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1 La « Vie orageuse » de la présidente Durey de Meinières (19 mars 1719-20 février 1805) Sa jeunesse, la fin de sa vie, son testament. Documents inédits présentés par Marie-Thérèse Inguenaud Octavie Guichard, veuve Belot, puis présidente Durey de Meinières 1 , est de ces femmes de lettres qui ont eu de leur vivant une certaine notoriété, mais ne sont  plus connues aujourd’hui que des spécialistes. S’agissant de notre auteur, l’oubli est d’autant plus profond qu’elle produisit toute son œuvre (qui se réduit à quelques titres) avant septembre 1765, date de son remariage avec le président de Meinières. Elle avait alors 46 ans, et devait vivre encore jusqu’à presque 86 ans, sans plus jamais  publier quoi que ce soit. Cette œuvre aux dimensions étroites se ca ractérise en outre  par la volontaire modestie de ses ambitions. Malgré la conscience aigüe qu’elle avait de sa valeur intellectuelle, et tout en assumant « l’audace d’une femme qui ose penser et même écrire » 2 , celle qui n’était encore que Mme Belot connaissait parfaitement le cadre étroit que les pr éjugés sociaux lui imposaient. Ce n’est pas chez elle que l’on trouve les prétentions d’une Mme Du Boccage qui poussa l’outrecuidance jusqu’à 1  On trouve toutes sortes de variantes de l’orthographe de ce nom : Du Rey, Durey, Meinières, Mesnières, ou Meynières. On doit cependant n’en retenir qu’une, celle qu’utilisent les intéressés eux-mêmes pour signer les nombreux documents notariés que nous avons consultés, c’est-à-dire « Durey de Meinières ». Il n’y a pas d’exception à cette graphie, ni chez le président ni chez sa femme. De la même manière, nous écrivons « Belot » avec un seul « l », à l’instar de l’intéressée, de son premier mari et son beau-fils. L’orthographe « Blot » que l’on trouve de temps en temps est intéressante, car elle indique la prononciation usuelle. 2  Préambule des Réflexions d’une provinciale sur le Discours de M. Rousseau […] touchant l’origine de l’inégalité parmi les hommes, 1756. Voir note 4.

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La « Vie orageuse » de la présidente Durey de Meinières

(19 mars 1719-20 février 1805)

Sa jeunesse, la fin de sa vie, son testament.

Documents inédits présentés par Marie-Thérèse Inguenaud

Octavie Guichard, veuve Belot, puis présidente Durey de Meinières1, est de

ces femmes de lettres qui ont eu de leur vivant une certaine notoriété, mais ne sont

 plus connues aujourd’hui que des spécialistes. S’agissant de notre auteur, l’oubli est

d’autant plus profond qu’elle produisit toute son œuvre (qui se réduit à quelques

titres) avant septembre 1765, date de son remariage avec le président de Meinières.

Elle avait alors 46 ans, et devait vivre encore jusqu’à presque 86 ans, sans plus jamais

 publier quoi que ce soit. Cette œuvre aux dimensions étroites se caractérise en outre

 par la volontaire modestie de ses ambitions. Malgré la conscience aigüe qu’elle avait

de sa valeur intellectuelle, et tout en assumant « l’audace d’une femme qui ose penser

et même écrire »2, celle qui n’était encore que Mme Belot connaissait parfaitement

le cadre étroit que les préjugés sociaux lui imposaient. Ce n’est pas chez elle que l’on

trouve les prétentions d’une Mme Du Boccage qui poussa l’outrecuidance jusqu’à

1 On trouve toutes sortes de variantes de l’orthographe de ce nom : Du Rey, Durey, Meinières, Mesnières,ou Meynières. On doit cependant n’en retenir qu’une, celle qu’utilisent les intéressés eux-mêmes poursigner les nombreux documents notariés que nous avons consultés, c’est-à-dire « Durey de Meinières ». Iln’y a pas d’exception à cette graphie, ni chez le président ni chez sa femme. De la même manière, nousécrivons « Belot » avec un seul « l », à l’instar de l’intéressée, de son premier mari et son beau-fils.L’orthographe « Blot » que l’on trouve de temps en temps est intéressante, car elle indique laprononciation usuelle.

2 Préambule des Réflexions d’une provinciale sur le Discours de M. Rousseau […] touchant l’origine del’inégalité parmi les hommes, 1756. Voir note 4.

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écrire des tragédies. Si l’on met à part ses Observations sur la Noblesse et le Tiers-

état 3, où elle intervient directement dans la querelle sur la noblesse commerçante, ses

autres travaux consistent en commentaires des œuvres d’autrui –Rousseau d’abord,

dont elle critique le  Discours sur l’origine de l’inégalité 4 –, et en traductions

d’ouvrages anglais, essentiellement l’Histoire d’Angleterre de David Hume, qui lui

valut à la fois sa notoriété, une pension du roi, et les sarcasmes de Grimm5. Comme

écrivaine aux talents remarquables mais en grande partie inexploités, elle a tout

naturellement trouvé sa place dans le  Dictionnaire des femmes de Lumières 

récemment paru6. Dans l’article très complet qu’elle lui consacre, Marie-Laure

Girou-Swiderski met en lumière ses nombreux mérites intellectuels, tels qu’ilss’expriment non seulement dans ses œuvres publiées mais aussi dans son abondante

correspondance, encore en partie inédite7.

3 Observations sur la Noblesse et le Tiers État par Madame ***, Amsderdam, Arkstée et Merkus, 1758.

4 Dans son essai de 1756, Réflexions d’une provinciale sur le Discours de M. Rousseau, Citoyen de Genève,

touchant l’origine de l’inégalité parmi les hommes, récemment réédité par Édith Flamarion (voir notesuivante), mais aussi dans les longues préfaces dont elle fait précéder certaines de ses traductions, commeL’Histoire de Rasselas, prince d’Abyssinie de Samuel Johnson, ou l’Essai sur la liberté de la presse de DavidHume.

5 Histoire d’Angleterre contenant la maison de Tudor  par M. David Hume, traduit de l’anglais par MadameB***, Amsterdam, 1763, 6 vol. , et Histoire de la maison des Plantagenet […] par M. David Hume, traduitde l’anglais par Madame B***, Amsterdam, 1765, 6 vol. « Il faut convenir que cette entreprise paraît entout au-dessus des forces d’une femme » (Correspondance littéraire, 1er mars 1763). Voir la liste complètede ses ouvrages dans Octavie Belot, Réflexions d’une provinciale sur le Discours de M. Rousseau, Citoyende Genève, touchant l’origine de l’inégalité parmi les hommes, édition présentée, annotée et commentéepar Édith Flamarion, Artois Presses Université, 2015, p. 341.

6 Marie-Laure Girou-Swiderski, « Belot, Octavie Guichard, puis présidente de Meinières (1719-1804) »,dans Dictionnaire des femmes des Lumières, sous la direction de Huguette Krief et Valérie André ; avec uneintroduction de Huguette Krief, 2 volumes, Paris, Champion 2015.

7 Marie-Laure Girou-Swiderski a publié ses lettres à la marquise de Lenoncourt : « Lettres de Mme deMeinières à Mme de Lénoncourt, 1770-1774 » dans Lettres de femmes. Textes inédits ou oubliés du XVIe

au XVIIIe siècle, éd. É. C. Goldsmith et C. H. Winn, Champion, 2005, p. 380-420. Voir aussi du mêmeauteur « De la 'gazette'au 'commerce des âmes': les lettres de la présidente de Meinières à la marquise de

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Malheureusement, nous ne savions jusqu’à présent presque rien de sa vie. Le

renseignement biographique le plus souvent repris par les commentateurs nous venait

de Grimm, qui avait ainsi présenté en 1763 la traductrice de Hume, alors âgée de 44

ans : « Madame Belot est la veuve d’un avocat qui la laissa à sa mort sans autre

ressource qu’une rente de 60 livres par an. Pour vivre de rien, elle se mit au lait,

vendit sa rente, et employa les 1200 livres qu’elle en tira à apprendre l’anglais, dans

la vue de se procurer une ressource par des traductions »8. Quant à sa jeunesse, nous

en ignorions tout, aussi bien que des 20 années qui avaient suivi son second veuvage9.

Son destin semblait se réduire aux années passées avec le président de Meinières 10,

qui avait contribué à la sortir de l’ombre où elle s’était empressée de rentrer après lamort de ce dernier. Seule indication, due au témoignage de son amie Madame

Thiroux d’Arconville, elle était morte, croyait-on, dans le plus grand dénuement :

«M. de Mesnieres étant venu à mourir, sa femme n’ayant reçu de lui aucun avantage

[…] se trouva dans la plus grande détresse […] au point de devoir à une sœur

converse de venir passer la nuit auprès d’elle, et de lui faire son pot-au-feu, quand

elle pouvait s’en procurer »

11

. Ces lacunes n’ont pas été comblées par Édith

Lénoncourt », p. 119-139, et « Biographie d’Octavie Durey de Meinières », p.255-256, dans Femmes entoutes lettres. Les épistolières du XVIIIe siècle, Studies on Voltaire, 2000 :4.

8 Correspondance littéraire, 1er mars 1763.

9  Le président Durey de Meinières mourut à Chaillot le 27 septembre 1785 (voir Mercure de France,novembre 1785), et sa veuve lui survécut jusqu’au 20 février 1805, et non en 1804, comme l’affirmentencore le catalogue de la BnF, ou Édith Flamarion (Réflexions d’une provinciale, introduction, p. 37). Voirl’indication donnée au début de son inventaire après décès : "[...] inventaire d'un pavillon où elle est

décédée le premier ventôse présent mois » (M.C., VIII, 1345, 17 ventôse an 13, minutes d’Auguste deFaucompret).

10 De 1765 à 1785.

11 Mme Thiroux d’Arconville, « Anecdote sur Mad. de Mesnieres », dans Pensées, Réflexions et Anecdotes,12 vol. manuscrits reliés, Bibliothèque de l’Université d’Ottawa, collection Charles le Blanc, P.Q. 2067, T.28 A6, volume VII, p. 226-227. Nous remercions Marie-Laure Girou-Swiderski d’avoir eu la gentillesse denous communiquer ce document. Cette indication est reprise par Édith Flamarion, op. cit. p. 44.

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Flamarion, qui a rassemblé avec soin dans l’introduction de sa toute récente édition

des Réflexions d’une provinciale toutes les informations dont nous disposions12. 

L’étude systématique de son testament, qui dormait depuis plus de deux centsans dans les liasses du minutier central13, nous a permis de lever un coin du voile sur

les deux extrémités de sa vie. Ce long texte de dix-sept pages, plein de

renseignements biographiques, a été le fil d’Ariane qui nous a guidée dans le dédale

des archives et nous a permis de découvrir d’autres documents, riches à leur tour de

toutes sortes d’informations. Nous avons mieux compris, grâce à eux, l’adjectif

d’ « orageuse » dont Mme de Meinières qualifie sa vie14 ; nous avons mesuré les

souffrances d’une jeunesse dont il lui arrive de se plaindre sans jamais aller au bout

de la confidence ; et lorsqu’elle se présente dans les premières lignes de ses

 Réflexions d’une Provinciale comme « persécutée par la fortune », ou qu’elle écrit à

Devaux un jour de découragement : « Ma vie est un combat d’athlète contre le

malheur 15 », nous ne l’avons pas soupçonnée d’exagération ni de coquetterie16.

****

La présidente de Meinières eut une jeunesse très sombre. Pourtant, tout

semblait avoir commencé sous d’heureux auspices. Ses parents avaient fait un

mariage d’amour -« de belle passion », pour reprendre l’expression qu’elle emploie

12 En particulier dans les diverses lettres que lui adresse Voltaire. Voir Réflexions d’une provinciale, op. cit.Introduction, en particulier les pages 35-43.

13 1er ventôse an XIII -20 février 1805, M.C., XLVI, 650, minutes de Charles-François Drugeon.

14 Testament, f° 3.

15 Lettres de la présidente Durey de Meynières (sic) à François-Antoine Devaux, BnF, n.a.fr. 15582, 19décembre 1762.

16 Comme semble le faire à mots couverts Édith Flamarion lorsqu’elle s’interroge sur le sens de l’expression« persécutée par la fortune » (op. cit. p. 66).

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dans son testament17. Ils s’étaient mariés à Paris le 11 décembre 171218. Les futurs

mariés, tous deux majeurs19, étaient l’un et l’autre d’origine provinciale. Sa mère,

Marie-Élisabeth de Lesval, venait d’une famille de hobereaux bourguignons installés

à Corpeau, village de vignerons situé près de Beaune20. Peut-être avait-elle fait la

connaissance de son futur mari par l’intermédiaire de son frère Sylvestre de Lesval,

qui avait été un temps page du comte de Toulouse21 : Michel-François Guichard, fils

de bourgeois lorrains de Commercy22, était en effet « premier commis de Monsieur

des Hugeres, receveur général des domaines de Monseigneur le comte de

Toulouse »23. Dès ce moment cependant, une question se pose à nous : comment

expliquer que le jour de la signature du contrat, aucun parent des futurs mariés ne se

17 Testament, f° 2.

18 M.C., LXXVIII, 553, minutes de Louis-Claude Gervais. 

19 C’est-à-dire qu’ils ont plus de 25 ans. Si les notes de Chastellux sont exactes, Marie-Élisabeth devait enavoir 32, étant décédée à Paris le 10 juin 1758, à soixante-dix-huit ans (Notes prises aux Archives de l’état-civil de Paris). Nous ne connaissons pas l’âge du marié.

20  Ainsi qu’il est précisé dans la procuration donnée par les parents annexée au contrat :«Damoiselle Marie-Élisabeth de Lesval […] fille de Jean-Guy de Lesval écuyer, sieur de Saint-Martin etdame Marie-Élisabeth L’Admiral son épouse ses père et mère résidents à Corpeau en Bourgogne[…] absens, representés en cette partie […] par Mre François de la Balme […] en qualité de leur procureur[…]».

21 Avant de devenir officier au régiment de Provence (La Chesnaye-Desbois).

22 Le contrat précise : «Sr Michel-François Guichard, fils du sieur Nicolas Guichard, bourgeois de la ville deCommercy en Lor(r)aine et (de) Marie Seriere ». Ce Nicolas Guichard, était « huissier en la cour souverainedes Grands-Jours à Commercy » (A.N., Y 4308). L’origine lorraine de son père explique probablement sesrelations avec les « lorrains de Paris », Devaux, Mme de Graffigny, Mme de Boufflers (voir É. Flamarion,op. cit. p.45).

23 Fils légitimé de Louis XIV et de Madame de Montespan. La découverte d’un lien social entre les famillesGuichard et de Lesval et la maison du comte de Toulouse apporte un nouvel éclairage sur l’amitié d’Octavieavec le fils naturel du comte de Toulouse, Philippe-Auguste de Sainte-Foix, plus connu sous le nom dechevalier d’Arcq, que la rumeur publique lui a prêté comme amant. Sans préjuger de ses rapports intimesavec lui, on peut supposer qu’il est d’abord une très vieille connaissance de son père, et sans doute un amide jeunesse.

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soit déplacé24  ? Est-ce le fait de provinciaux complètement étrangers au monde

 parisien25 ? Pour Marie-Élisabeth, faut-il incriminer la mauvaise santé de son père,

qui mourra moins de trois mois plus tard26? Ou les difficultés pécuniaires de cette

famille noble désargentée27? Peut-on soupçonner une réticence de la famille à l’égard

du futur époux, soit à cause de la différence sociale, soit à cause de sa personnalité?

 Nous n’avons pas réussi à éclaircir cette zone d’ombre.

L’unique enfant du couple, Octavie, vint au monde 7 ans plus tard, le 3 mars

171928. Son parrain et sa marraine n’étaient pas nés « dans la lie du peuple », pour

reprendre l’expression qu’elle emploie pour elle-même dans une de ses lettres à

Devaux29. Son parrain lorrain, Charles Doyot de Choloy et du Val-de-Passey, écuyer,

conseiller secrétaire du roi, maison couronne de France et de ses finances, était

économe général du clergé de France30. Sa marraine, Octavie Rousseau, était la fille

24 Seuls signent 4 ou 5 amis, tous du côté du marié. On note deux amis nobles, « Pierre-Louis-Joseph, comtedes Armoises, chevalier seigneur de Commercy, ami » et « Claude de Plumet  sieur de Varaine, ci-devantécuyer de M. le marquis de Choiseul, ami », ainsi que son jeune frère Jean-Joseph, âgé de 15 ans à peine,et un cousin maternel, Claude-Gabriel Bavoillot, avocat en Parlement, garde des archives du comte deToulouse. Personne du côté de la future mariée, mis à part le procureur de ses parents.

25 Aucun des frères, sœurs et cousins d’Élisabeth de Lesval n’avaient quitté la Bourgogne. Tous s’étaientmariés dans leur province d’origine.

26 Il ne signe pas la procuration « à cause de l’incommodité qui lui est survenue à la main droite ». Il mourrale 5 mars 1713, à l’âge de 74 ans.

27 La dot de Mlle de Lesval est de 4000 livres. Somme bien modeste, si on la compare par exemple à la dotde 525 000 livres faite par le président de Meinières à sa fille unique, Louise-Adélaïde (14 juin 1758, M.C.,CXV, 618, minutes d’Antoine-François Doyen).

28 Extrait du registre des baptêmes de Saint-Eustache, 4 mars 1719, collationné sur l’original le 16 octobre1785, annexé au contrat de rente du 15 novembre 1785, M.C., CVIII, 715, minutes de Guillaume Gibert.Les parents habitent rue Neuve Saint-Eustache. BnF, n.a.fr. 15582

29 Lettre à Devaux, 4 juillet décembre 1763, BnF, n.a.fr. 15582.

30 Choloy en Lorraine, à trois lieues de Toul. « Le sieur Charles Doyot, procureur et syndic de la ville deToul, ayant quelque contestation avec les habitants de Choloy, au sujet des biens qu’il avait dans cetteparoisse, le duc Léopold lui accorda en 1713 le titre de seigneur de Choloy avec tous les droits honorifiques

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de Nicolas Rousseau, conseiller et maître d’hôtel ordinaire du roi, et la sœur de Pierre

Rousseau, directeur général des monnaies de France. Elle avait épousé Guillaume-

Louis [de] Grassin, écuyer, seigneur de Mormant, qui appartenait à l’une des plus

vieilles familles de Bourgogne31.

Mais à cette époque, les relations entre ses parents s’étaient déjà

considérablement dégradées. Mme de Meinières brosse dans son testament le portrait

d’un père indigne, « qui aima mieux le plaisir que sa fille » et maltraita sa

femme: « Ma mère, née noble, fit un mariage de belle passion […] Mon père cessa

d’y répondre ; eut des maîtresses, et des procédés violents; elle s’en plaignit, implora

la justice, fut séparée de corps et de biens d’avec son mari »32. La mention de

l’inconduite du père nous a mis sur la trace des sentences de séparation des époux

Guichard. Nous les avons retrouvées, noyées dans l’immense réservoir du Châtelet :

la séparation de biens est datée du 2 décembre 1715, soit 3 ans à peine après le

mariage33. Quant à la séparation de corps, prononcée le 17 avril 1722 après une

longue procédure34, elle nous révèle que la mère d’Octavie fut une femme battue.

qui y sont attachés […] » (Dom Augustin Calmet, Notice de la Lorraine, tome 1, 1756, p. 98). Le parraind’Octavie devait mourir en 1729.

31 « Famille originaire de la ville de Sens en Bourgogne, l’une des plus anciennes et des plus considérablesde cette ville […] Ceux de ce nom ont laissé à la postérité des marques de leur piété […] dans la fondationdu collège des Grassins en l’université de Paris », La Chesnaye-Desbois, tome VII, MDCCLXXIV, p. 427-430.Voir aussi Saint-Allais, Nobiliaire universel de France […], tome 12, p. 58-74. Guillaume-Louis Grassin devaitmourir deux ans plus tard, le 20 avril 1721 (voir sa dalle funéraire dans l’église de Mormant, dans l’actuelleSeine-et-Marne).

32

 Testament, f° 2.33 A.N., Y 8997. Marie-Élisabeth de Lesval, demanderesse, renonce à la communauté. Son mari Michel-François Guichard est condamné à lui rendre les 4000 livres qu’elle lui a apportées en dot, et « à l’acquitterdes dettes auxquelles il l’a fait obliger ». Pour faciliter le paiement de la dite somme, les meubles saisis surle défendeur seront vendus.

34 A.N., Y 9008. Ce long document de six pages développe dans le moindre détail les mauvais traitementssubis par Élisabeth.

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L’acte énumère avec une cruelle précision les terribles sévices qu’elle eut à subir,

coups et blessures incessants, y compris pendant sa grossesse, ou encore adultère

avec une servante sous le toit conjugal tandis qu’elle est contrainte de coucher au

grenier 35. Il nous laisse imaginer ce que furent les premières années de la petite

Octavie, spectatrice du calvaire de sa mère, réfugiée avec elle dans la communauté

des Filles de l’Union chrétienne à l’âge de 3 ans à peine36.

 Nous ne savons pas comment vécurent Octavie et sa mère après la séparation

du couple Guichard. La jeune fille reçut à l’évidence une éducation soignée, grâce à

l’attention de sa mère, mais aussi aux « soins constants », et aux « secours généreux »

de sa famille maternelle, qui l’entoura d’affection du fond de son village de

Corpeau37. Son père l’a-t-il pour autant entièrement négligée durant son enfance et

son adolescence? Le jugement de séparation règle son éducation de la manière

suivante : Le sieur Guichard abandonnait à sa femme la moitié de la gratification

qu’il touchait du comte de Toulouse (soit 300 livres annuelles), et consentait « que

sa femme prenne soin d’Octavie Guichard sa fille jusques à l’âge de 7 ans ; qu’elle

la nourriroit, chaufferoit et entretiendroit pend[ant] le d[it] temps à ses frais, ainsyqu’elle s’y seroit obligée, après lequel temps le d[it] Guichard se chargeroit de la

35 Voir en annexe des extraits de ce texte.

36 Cette précision est donnée dans la sentence de séparation : « Deffense seroit faite [au sieur Guichard]de venir insulter et scandaliser la dite damoiselle de Lesval dans la communauté de l’Union chrétienne oùelle s’étoit retirée ». Située rue de la Lune à Paris, la communauté des Filles de l’Union Chrétienneaccueillait, outre des jeunes filles nouvellement converties au catholicisme, des femmes qui se trouvaientsans fortune et sans appuis.

37 Testament, f° 3. Octavie dut y faire de fréquents séjours. Si l’on consulte les registres paroissiaux, on laretrouve marraine d’un enfant du village aux côtés de son cousin germain Gérard-Philibert de Lesval à laveille de ses 12 ans. L’acte de baptême en date du 16 octobre 1730 est consultable en ligne sur le site desArchives départementales de la Côte d’Or. On peut y observer que la signature d’Octavie est déjà très bienformée. Quelle différence avec l’écriture complètement informe d’Anne-Catherine de Ligniville, futureMme Helvétius, y compris à l’âge adulte !

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d[ite] Octavie Guichard, de l’entretenir, loger, chauffer, nour[r]ir, et de la mettre dans

un couvent à 12 lieues au plus loin de Paris, où il seroit libre à la d[ite] de Lesval sa

mère de la voir toutes fois et quand elle le jugeroit à propos, comme aussy le d[it]

Guichard se seroit obligé de luy faire donner l’éducation qu’elle devoit avoir ». Mais

il ne respecta sans doute pas ses obligations, puisque le testament indique que sa

mère « [l]’éleva entièrement à sa charge pour [la] conserver auprès d’elle »38. La

seule chose dont nous sommes sûrs, c’est que le 20 décembre 1738, Michel-François

Guichard signa le contrat de mariage de sa fille avec l’avocat Belot39.

Elle n’eut pas beaucoup plus de chance avec son premier mari. Comme si elle

était née sous une mauvaise étoile, Octavie passa d’un père effrayant à un mari

irresponsable et méprisé. Il est vrai qu’elle n’avait sans doute guère eu le choix, dans

la situation précaire où se trouvait sa mère. Celle-ci avait eu une dot, si modeste fût-

elle. Octavie se maria sans dot, avec un veuf beaucoup plus âgé qu’elle, chargé qui

 plus est d’un enfant de cinq ans40. Au moins jouissait-il à l’époque d’une honnête

aisance, comme l’indique l’inventaire après décès de sa première femme41. Mais il

n’avait jamais su diriger sa vie. Ce bourgeois de Paris, présenté généralement dansles notices comme avocat au Parlement, n’en exerçait pas vraiment la profession. Il

38 Testament, f° 2.

39 20 décembre 1738, M.C., LXXXIII, 364, minutes de Louis Gervais. On y lit que la future mariée habite avecsa mère rue Froidmanteau, paroisse Saint-Germain l’Auxerrois, et que l’acte est passé rue de la Tacherie,paroisse Saint-Mederic « en la demeure du sieur Guichard père, où toutes les parties contractantes se sonttrouvées ». Sans doute la signature du contrat se déroula-t-elle chez lui en raison de son état de santé.

Nous n’avons pas retrouvé la date exacte de sa mort, mais nous sommes sûrs qu’il mourut avant le 21 juin1742, date du remariage de sa veuve.

40 La signature du contrat de mariage de Charles-Edme Belot avec sa première femme Marie-CatherineLegras date du 7 février 1723, M.C., minutes de Raymond, en déficit.

41  Inventaire après décès de Marie-Catherine Legras, 10 octobre 1738, M.C., XXXV, 612, minutes deFrançois Rahault. Cet inventaire, réalisé cinq ans après la mort de la défunte, morte en mai 1733, comporteune très importante bibliothèque de livres et de musique.

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faisait partie de ces avocats en Parlement à qui on donne ce titre parce qu’ils ont

obtenu leur licence en droit, mais « n’ont point suivi le palais ni fait la profession

d’avocat » et se contentent d’une activité de consultant42. Il faut les distinguer des

avocats plaidants de plein exercice, seuls appelés avocats au Parlement43. Il avait eu

très tôt des problèmes avec la justice. Compromis en 1726 dans une sombre affaire

d’escroquerie, il avait été brièvement incarcéré à la conciergerie44. Par la suite, sa

fortune subit des fluctuations diverses. Après son mariage avec Octavie Guichard, il

semble connaître une période de stabilité, puisqu’en 1744 il loue avec sa femme une

 partie de maison rue de l’Université pour 950 livres par an45. La propriétaire lui fait

alors suffisamment confiance pour proroger le bail deux fois, en 1748 et 175046. Maiscette prospérité n’est qu’apparente. Depuis longtemps l’avocat néglige

42 Dictionnaire de Trévoux, 1771. Leur activité est assez mal définie. Il semble par ailleurs que Belot ait eule goût des affaires risquées, comme en témoigne une cote de son maigre inventaire (voir ci-dessous note54) mentionnant la société qu’il avait formée avec un certain Vasvres «pour l’exploitation des bois […]entreprise en Pauméranie (sic) ».

43 Pour avoir le droit d’exercer la profession, il fallait être avoir été inscrit au tableau des avocats pendant

deux ans (voir l’article de Martine Acerra, « Les avocats du Parlement de Paris,  1661-1715 », Histoire,économie et société, 1982 Volume 1, Numéro 2, p. 213-225). Ce n’est pas le cas de Belot père, qui d’ailleursne figure nulle part dans l’Almanach royal . L’avocat Belot qu’on y trouve à partir de 1751 est son fils, qui,lui, eut une carrière parfaitement régulière. Cette distinction, qui n’apparaît pas toujours clairement, estnettement faite dans les « Comptes entre Charles-Edme Belot, « avocat en Parlement » et son fils Marie-Philippe-Auguste Belot, « avocat au Parlement », M.C., LXXVII, 250, 21 février 1756, minutes de Pierre LeBœuf de Le Bret.

44 Procès criminel fait par le lieutenant criminel à la requête du sieur de Saint-Rome contre Charles-EdmeBelot accusé de s’être approprié indûment une somme de 25041 livres à lui confiée par le sieur de Saint-Rome (A.N., X2A 661, 30 juillet 1726). Le procès se termina semble-t-il à son avantage, puisqu’il obtint queson écrou serait rayé et biffé et la plainte de Saint-Rome déclarée nulle et injurieuse, que son accusateur

fut condamné « à faire réparation devant tel de ses amis en tel endroit qu’il lui plairait à la cour », et qu’ildéclara le dit Belot homme d’honneur. Les deux adversaires furent condamnés l’un et l’autre à l’amendeordinaire de 12 livres.

45 Bail Marie-Thérèse Le Bas de Girangy veuve Le Clerc à Charles-Edme Belot et Octavie Guichard sonépouse, 20 novembre 1744, M.C., XXIII, 535, minutes de Pierre-Louis Laideguive.

46 Bail des mêmes aux mêmes, 25 avril 1750, M.C., XXIII, 568, minutes de Pierre-Louis Laideguive. Cettefois, il est de 9 ans, pour une surface plus grande et un loyer plus élevé de 1200 livres.

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complètement ses affaires. Dès 1745, il a accumulé les dettes qui ont entraîné une

 première saisie de meubles. Dans les années 1754 et 1755 éclate une grande crise.

Pour échapper à la catastrophe, Octavie et son beau-fils emploient les grands moyens.

Marie-Philippe-Auguste Belot47 obtient d’être émancipé d’âge le 28 juin 175448. En

1755, assisté de son tuteur, il fait assigner son père en justice pour obtenir ses

comptes de tutelle et éviter la dilapidation totale de l’héritage maternel. Le 21 février

1756, Charles-Edme lui rend compte devant notaire de la gestion des biens de la

communauté49. On apprend avec stupéfaction qu’en 1754 il a fait payer trois années

de son loyer par son propre fils50. C’est par respect filial que le jeune Belot a accepté

de prêter cet argent à son père, « pour l’affranchir de différentes vexations et procédés violents » de la part de ses créanciers. Le père reconnaît ses torts, disant

que « rien n’est mieux fondé que les prétentions et demandes du sieur son fils qu’il

reconnaît pour son légitime créancier et auquel il a toujours été porté de rendre la

47  Marie-Philippe-Auguste Belot, fils du premier mariage de Charles-Edme, porte les prénoms de sonparrain, qui n’est autre que le chevalier d’Arcq. Quant à sa marraine, c’est Marie-Élisabeth de Lesval, mère

d’Octavie, représentée lors de la cérémonie par « Dame Octavie Guichard épouse en secondes noces dusieur Belot avocat le père» (30 décembre 1750, extrait du registre des baptêmes de l’Église paroissiale deSaint-Sulpice, annexé à l’acte de notoriété pour les noms de Marie-Philippe-Auguste Belot, 26 juin 1758,M.C., LXXVII, 260, minutes de Pierre Le Bœuf de Le Bret). Le nouveau baptisé, né le 2 mai 1733, était âgéde 17 ans et 7 mois. Il n’avait été qu’ondoyé à la maison le jour de sa naissance « pour cause de danger demort». Sa mère était morte 5 jours après. C’est sans doute ce qui explique qu’on ait si longtemps négligéde régulariser son état-civil. L’acte de baptême offre la particularité d’être signé par le nouveau baptisé,aux côtés de son père, de son parrain et de la représentante de sa marraine : « […] ainsi signé Guichard-Belot, de Ste Foy chevalier Darc, Belot, Belot père, Dulau Dalleman, curé de S t Sulpice ». Ce parrainageconfirme l’ancienneté des relations d’Octavie Guichard avec le chevalier.

48 Voir lettre de chancellerie donnée à Paris le 28 juin 1754, insinuée le 1er juillet suivant (Archives de Paris,

DC6

 13, f° 162 v°). Étant âgé de 21 ans, il est mineur selon la coutume de Paris qui fixe la majorité à 25 ans.49 « Compte et abandon, Charles-Edme Belot à Marie-Philippe-Auguste Belot », 21 février 1756, M.C.,LXXVII, 250, minutes de Pierre Le Bœuf de Le Bret.

50 Les propriétaires voyant que le loyer n’était pas payé, avaient fait appel à la justice. Ce fut le fils qui payaen deux fois la somme de 2700 livres. Voir quittance Pierre-René Le Bas de Girangy à Charles-Edme Belot« avec déclaration que c’était des deniers du sieur son fils », 23 août 1754, M.C., CXVIII, 483, minutes deJean-Louis Le Verrier.

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 justice qu’il lui doit, particulièrement pour le mettre en état de suivre la profession

d’avocat qu’il a embrassée depuis plusieurs années […] »51. De son côté, Octavie se

voit contrainte de demander la séparation de biens, comme sa mère quelque 40 ans

 plus tôt52. Lors de l’enquête confiée au commissaire Chenon, tous les témoins cités

 par la demanderesse affirment que les affaires de Belot sont dans un dérangement

total : « Il est débiteur de sommes considérables, pour le paiement desquelles il est

 poursuivi depuis fort longtemps », au point que « ses meubles ont été saisis et sont

sur le point d’être vendus ». Elle obtient satisfaction par sentence du Châtelet du 14

 janvier 175653. La situation de son mari devint si critique qu’il fut contraint de quitter

son logement, dont semble-t-il les nouveaux locataires lui permirent par charitéd’occuper une chambre meublée54. Quant à elle, on ignore comment elle fit pour se

reloger. Peut-être alla-t-elle demander l’hospitalité à des amis. Toujours est-il qu’à

la mort de son mari, elle n’habitait plus avec lui55. Il n’est donc pas vrai de dire qu’à

cette époque, Madame Belot « si elle ignore, à coup sûr, l’aisance », « n’est pas

encore dans l’extrême dénuement qu’elle connaîtra plus tard »56. C’est là au contraire

qu’elle toucha vraiment le fond de la détresse matérielle et morale, et la publicationen avril 1756 des  Réflexions d’une provinciale, son premier ouvrage, est à resituer

dans ce dramatique contexte. 

51 M.C., LXXVII, 250. Voir ci-dessus notes 43 et 49.

52 Châtelet de Paris, 23 août 1755, Y 11327.

53 Châtelet de Paris, Y 9061.

54

 Il est décédé « dans une chambre […] dépendant de l’appartement qu’occupoient M. et Me Siber en unemaison sise rue de l’Université appartenant à M.de Girangy […] dans laquelle chambre le deffunt Sr Belots’étoit retiré dans les meubles appartenant aux d. S r et De Siber qui avoient bien voulu lui donner l’usagede la d. chambre ». Inventaire après décès de Charles-Edme Belot, 3 octobre 1757, M.C., LXXVII, 256,minutes de Pierre Le Bœuf de Le Bret.

55 La procuration qu’elle donne à cette occasion indique qu’elle habite rue de Vaugirard.

56 Édith Flamarion, op. cit. p. 65.

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Cependant, on le voit, si le tableau est affligeant, il n’a rien à voir avec celui

offert par Michel-François Guichard, père d’Octavie. Charles-Edme apparaît comme

un faible, et non comme un méchant. Il reste des traces de ce désastre conjugal dans

 plusieurs lettres à Devaux : « Le comble du malheur est d’être uni à quelqu’un que

l’on est en droit de mépriser au fond de l’âme », lui écrit-elle en décembre 1768,

faisant visiblement référence à son expérience personnelle57.

On ne peut qu’être frappé par la similitude de destin de la mère et de la fille,

toutes deux mal mariées, toutes deux menacées de sombrer dans la misère. Mais ce

qui est plus frappant encore, c’est leur capacité à affronter l’adversité. Non seulement

ces deux femmes fortes n’hésitèrent pas à mettre un terme à une conjugalité

désastreuse en faisant appel à la justice, mais elles surent toutes deux inventer des

solutions originales pour survivre. Nous savions que la fille avait eu l’énergie

d’apprendre l’anglais et de se lancer dans des traductions qui devaient à terme lui

valoir une certaine notoriété et surtout une pension de Louis XV. Mais sa mère lui

avait auparavant montré le chemin du courage : en 1718 (soit trois ans après avoir

obtenu la séparation de biens) elle s’était associée pour trois ans avec un célèbremarchand de vins de Dijon, Antoine Pertuiset de Mondésert, pour faire venir à Paris

toutes sortes de vins qu’elle se chargeait de « vendre et débiter à Paris et hors de

Paris » avec l’aide d’un de ses amis58. Elle faisait preuve ainsi non seulement d’un

57 La suite semble être une allusion à la manière dont elle vécut avec Belot : « L’âme alors ne se croit plusliée, et n’en déplaise aux casuistes, je ne suis pas sûre qu’il n’y ait pas des cas où elle n’a pas tort », peut-être aveu voilé d’infidélités passées. Lettre écrite aux alentours de décembre 1768, non datée, BnF, Naf15582.

58 Société entre Antoine Pertuiset de Mondésert, Louis Estienne de Candole, et damoiselle Marie-Élisabethde Lesval, épouse séparée quant aux biens du sieur Michel-François Guichard, 12 juin 1718, M.C., LXXVIII,585, minutes de Claude-Jean-Baptiste Dejean. Plus d’un an avant cette date, Élisabeth se livrait déjà à cetteactivité, ainsi que le montre une plainte déposée par elle contre son mari le 17 mai 1717 (voir en annexel’extrait n° 1 de la sentence de séparation de corps des époux).

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esprit d’initiative remarquable, mais aussi d’une certaine absence de préjugés,

 puisque cette fille de la noblesse n’hésitait pas à se lancer dans le commerce. On peut

relire à la lumière de cet élément biographique l’opuscule de sa fille, Observations

sur la Noblesse et le Tiers État 59. Loin de défendre le droit pour les nobles de faire

du commerce sans déroger, elle appelle de ses vœux une société où la pauvreté ne

les contraindrait pas à trahir leur vocation militaire. Tout montre dans cet essai

qu’Octavie s’est instinctivement identifiée à une mère noble et courageuse, plutôt

qu’à un père ou à un mari roturiers et indignes. Tout naturellement, c’est à de petits-

cousins nobles de Bourgogne, les enfants du baron de Joursanvault, son cousin issu

de germain, demeurant à Beaune, qu’elle choisira de léguer le peu qui lui reste de biens.

****

Ces débuts difficiles furent suivis d’une sorte de miracle. Devenue veuve, elle

rencontra le président Durey de Meinières, qui s’éprit d’elle au point de lui proposer

le mariage. Voici comment son amie Mme Thiroux d’Arconville évoque bien des

années après ce romanesque épisode: « M. de Mesnieres prit peu à peu un véritable

goût pour elle. Ce sentiment s’étant accru avec le tems, il ressentit une véritable

 passion ; plus il cherchoit à la combattre et plus elle acquérait d’empire. […] Après

avoir réfléchi longtems à un parti qu’il sentait bien qui serait désaprouvé, son amour

le détermina à s’élever au-dessus de toutes les considérations, et il proposa à Mad e 

Bellot de l’épouser »60. Même si de son côté, il y avait plus de reconnaissance que

d’amour, elle accepta sur-le-champ cette proposition qui mettait fin au cauchemar desa vie. Son bonheur conjugal semble avoir été sans nuage. Quatre ans après son

59 Observations sur la Noblesse et le Tiers État  par Madame ***, op. cit. note 3.

60 Mme Thiroux d’Arconville, « Anecdote sur Mad. de Mesnieres » , p. 220-222.

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remariage, dans une longue lettre à François Devaux, elle l’évoque encore avec une

sorte d’exaltation, tout en analysant ses sentiments avec lucidité: « Je fais gloire de

l’aimer beaucoup, mon honnête Panpan, et j’en conviens d’autant plus volontiers

qu’il n’y a aucun prestige, aucune illusion dans l’attachement que j’ai pour lui. Ce

n’est point de la flame ; c’est de la vénération, de la confiance, de l’amitié, de la

reconnoissance. » Elle insiste surtout sur celles de ses qualités dont était dépourvu

son premier mari : « Sa probité est exacte et pure jusqu’au scrupule, jusqu’à la

duperie ; aucun art, aucunes ruses, aucuns détours, aucunes finesses ne lui

viendroient dans la tête, quand ce seroit pour assurer le succès de la chose du monde

la plus importante. La vérité est toujours dans son cœur et sur ses lèvres. Vousavouerez, mon aimable Panpan, que pour le peu qu’on ait d’âme et de sens commun,

il est aisé de s’imposer et de remplir le devoir d’aimer, de choier, de conserver un

 pareil mari, surtout moi qui toute ma vie ai été la victime et le martir des deffauts

contraires à ses bonnes qualités. » Et pour caractériser ce bonheur qui ressemble

surtout à la fin d’une vive souffrance, elle utilise une comparaison

saisissante : « Aussi éprouvai-je cette espèce de bien-être calme, cette cessationabsolue de toutes douleurs dont jouissent les femmes qui viennent d’accoucher. […]

Demandez à celle de vos commères qui a eu des enfants qu’elle vous peigne l’instant

où l’enfant s’est échap(p) é de son sein, elle vous donnera une esquisse physique de

ma béatitude morale »61. Plus de trente ans après, son testament évoque discrètement

l’union parfaite qu’elle connut après tant de malheurs : « Je donne et lègue à la

citoyenne Boutinon de Courcelles […] le portrait de feu mon mari et le mien, en

61 7 mars 1769. Cette comparaison est le témoignage d’une expérience personnelle. Sans doute a-t-elle eudes enfants qui n’ont pas survécu, comme Mme de Graffigny.

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statue de terre cuite, représentant Baucis et Philémon. Ils sont l’emblème de l’union

qui existoit entre Monsieur de Meinières et moi62 ».

****Le second intérêt du testament de Mme de Meinières, surtout si on le compare

systématiquement avec son inventaire après décès, est de nous éclairer sur sa

situation matérielle pendant sa vieillesse. Il nous apprend que, quelles que soient les

difficultés financières auxquelles elle a été confrontée après la Révolution, elle n’est

 pas morte dans une misère profonde comme l’ont affirmé ses biographes à la suite

de Madame Thiroux d’Arconville

63

, mais seulement dans la gêne. Elle a sans doutecontribué à répandre ce bruit, comme elle en fait elle-même l’aveu :

« Qu’on me permette une réflexion qui se présente à moi, et qui

réprimera la surprise de quelques personnes lorsqu’elles sauront que ma

succession excède peut-être ce qu’elles l’avoient appréciées (sic) […] La

crainte des brigands, auxquels mon habitation isolée m’expose, et qui m’ont

déjà volée trois fois, m’a fait prendre la précaution de dissimuler autour demoi ce qui me restoit en numéraire, en vaisselle d’argent et en bijoux ; j’ay

donc crié misère avec exagération, pour me conserver les moyens de faire

quelque bien après moi. Si l’on ne m’avoit pas supposée à l’aumône, peut-être

m’y auroit-on mise en effet64 ».

62

 Testament, f° 6-7. Le président de Meinières exprime lui aussi son amour à de nombreuses reprises dansles lettres qu’il écrit de temps en temps à Devaux et qu’il glisse dans une lettre de sa femme. Le summumdu bonheur semble être atteint pour lui comme pour elle au moment de l’installation à Chaillot en juin1769. : « […] Avouez qu’il n’y avoit que cette femme-là dans le monde qui pouvoit me rendre heureux […]Je ne datte mon véritable bonheur que depuis que je suis uni à ma tendre amie […] » (6 juin 1769).

63 Voir ci-dessus note 11.

64 Testament, f° 11.

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De fait, il suffit d’examiner attentivement les indications qu’elle nous donne

dans son testament pour apprécier assez exactement sa situation financière avant et

après la Révolution. Sans patrimoine, mariée à sa demande sous le régime de la

séparation des biens65, elle souligne avec fierté au début de son testament qu’elle doit

« le peu de revenu dont elle jouit à ses travaux littéraires, aux pensions qu’ils avoient

méritées » et qui « consistent, pour la plus grande partie, en rentes viagères »66. En

1765, au moment de son remariage avec le président de Meinières, elle disposait,

nous dit-elle, de 2500 livres de rente, dont faisait partie la pension de 1200 livres que

lui avait value sa traduction de L’Histoire de la maison de Tudor . En 1772, elle en

obtint une seconde, également de 1200 livres67. À la mort de son mari en 1785, elletoucha un préciput de 10000 livres, et commença à percevoir son douaire, qui avait

été fixé par son contrat de mariage à une rente viagère de 2500 livres68. Enfin, en

1788, Louis XVI lui accorda une troisième pension de 1500 livres « en considération

des services de son mari, Président au Parlement de Paris »69, et son amie Mlle Pinard,

65 Le 6 septembre 1765, M.C., XXIII, 675, minutes de Pierre-Louis Laideguive. L’acte ne se trouve pas dans

la liasse, mais nous en avons un résumé dans le « compte d’exécution testamentaire rendu par M.Desjobert à la succession de M. de Meinières », 24 août 1786, M.C., CVIII, 720, minutes de GuillaumeGibert. 

66 Testament, f° 2.

67 Testament, f° 11.

68 Le président de Meinières avait pourtant affirmé qu’il «a[vait] eu la douleur de n’avoir pu lui faire aucunavantage en l’épousant » (lettre à Devaux, 6 juin 1769, BnF, n.a.fr. 15582). information reprise par Mmed’Arconville ( Anecdote, p. 226). Sans doute entendait-il par « avantage » le don d’une somme beaucoupplus importante, en rentes ou en numéraire. Toujours est-il que dans le compte d’exécution testamentairerendu à la succession du président (voir ci-dessus note 65), on voit exactement les arrangements de leurcontrat de mariage : le président de Meinières constituait à sa femme un douaire de 2500 livres de renteviagère sur les états de Bourgogne. De plus, il lui assignait un préciput de 10000 livres en meubles « telsqu’elle voudrait les choisir suivant la prisée de l’inventaire, ou en deniers comptants si elle le préférait ».Elle choisit pour 5699 livres et 10 sols de meubles, qu’elle compléta par de l’argenterie et des denierscomptants. Son douaire lui fut payé jusqu’à la Révolution (voir « procès-verbal de délivrance de préciputaccordé à la d. deffunte de de Meinières par le décès de son mari », Inventaire, f° 27).

69 Testament, f° 11, et Etat nominatif des pensions sur le trésor royal, tome second, 1790.

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morte la même année, lui laissa 630 livres de rentes viagères. À la veille de la

Révolution, ses revenus devaient donc être au moins de 8330 livres annuelles. Après

1789, elle perdit ses trois pensions et son douaire70, ce qui réduisit considérablement

ses ressources. Cependant, elle conserva plusieurs contrats de rentes, restant en droit

 propriétaire des uns, inscrits sur le Grand livre de la dette, et continuant à percevoir

cahin-caha le revenu des autres. Elle ne cessa d’ailleurs jamais d’avoir recours à un

homme d’affaire pour « donner ses soins à la gestion de [s]on peu de fortune »71.

Moyennant une réduction drastique de son train de vie --vente d’objets de valeur 72,

diminution du nombre de ses domestiques73-- elle put ainsi continuer à vivre

décemment. Elle continua d’habiter les pavillons de Chaillot74, réussit à payer son

70 Testament, f° 2 et f° 11.

71 Testament, f° 10. D’abord l’avocat Pointard, puis, de 1795 jusqu’à sa mort en 1805, le liquidateur derentes Michel-Louis Le Crosnier.

72 Ainsi, à la fin de son testament, elle joint un état de sa vaisselle d’argent qui se termine par cettenote : « J’ai vendu en 1793 six couverts d’argent, une cuiller à pot, une cuiller à ragout et cent jettons quine se trouveront plus icy, plus six cuillers à caffe ». Le testament nous apprend aussi qu’elle a vendu « deuxgrands vases de porcelaine du Japon montés en or moulu » à son amie la comédienne Eugénied’Hannetaire.

73 Au début de son testament, commencé en 1797, elle dit n’en avoir plus qu’un (f° 11), mais à sa mort en1805, il lui en restait encore deux qui furent gardiennes des scellés, Madame Palm et Jeannette Pime. Ilest vrai que leurs gages ne leur avaient pas été entièrement payés, ainsi qu’elles en témoignent à la fin del’inventaire : « Déclare la de Palm qu’il lui est dû ses gages depuis le mois de prairial an dix, sur le pied decent cinquante francs par an, sur lesquels elle a reçu divers acomptes […]. Déclare aussi la delle Pime qu’illui est dû ses gages depuis le mois de frimaire an douze, à raison de cent vingt francs par an, sur lesquelsgages elle a reçu divers acomptes » (Inventaire, f° 29).

74  Le couvent de la Visitation avait été détruit en 1794, mais les pavillons restèrent debout. Après laRévolution, ces pavillons appartinrent à la République, puis à un certain Gautier, qui en acquit la nue-propriété. Voir inventaire, f° 2 : « [Il va être procédé] à l’inventaire et description fidèle et exacte de tousles meubles et effets mobiliers […] dépendans de la succession de la d. De Ve Demeinieres, trouvés dans leslieux cy-après designés dependants des Pavillons de la Visitation situés quay de Chaillot, dont la d. deffunteetait propriétaire en usufruit et où elle est décédée […] ».

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loyer de 600 livres annuelles75, même si ce ne fut pas toujours facile76, et s’acquitta

 jusqu’à sa mort des diverses impositions auxquelles elle était soumise, preuve s’il en

était besoin qu’elle n’était pas indigente77.

Au-delà de ces dépenses indispensables, elle pensait être également en mesure

de laisser quelque chose après sa mort aux pauvres, à ses domestiques, à ses amis et

à ses héritiers. Elle avait prévu de distribuer à ses légataires une série de dons « en

numéraire ou valeur égale et réelle » dont le total approchait les 10000 francs, sans

compter les legs en nature. Mais elle avait surestimé le montant de ses « antiques

épargnes ». Certes, la prisée de tous les meubles et effets mobiliers contenus dans les

 pavillons de Chaillot fut loin d’être négligeable. Elle possédait encore des bijoux et

de l’argenterie. Ainsi, on peut noter une « croix en or et cristal de roche entourée et

garnie de 17 brillants », estimée 900 francs, ou un huilier d’argent fait par le fameux

Germain, orfèvre du roi, estimé à 179,99 francs. Cependant, l’ensemble n’atteignit

 pas 8000 francs78. Si l’on tient compte des sommes dues par la défunte à ses

75  Voir « quittances de la dite redevance de six cents livres payée aux d. d(ames) religieuses, au

gouvernement […] et ensuite au sieur Gautier, acquéreur de la nue-propriété, la dernière dattant du deuxvendémiaire an treize pour le semestre échu le premier du même mois » (Inventaire, f° 26).

76 Ainsi, le 9 fructidor an II (26 août 1794), une opposition fut formée au payement des arrérages des rentesperpétuelles qui lui étaient dus « à raison des loyers qu’elle devait à la république » pour les pavillonsqu’elle occupait quai de Chaillot. Cette opposition fut levée le 9 germinal an 4 (29 mars 1796) « au moyende ce que la dite Citoyenne Meynieres s’ [était] acquittée des loyers qui étaient l’objet de cetteopposition. » (M.C., XIII, 496, minutes de Louis Brelut de La Grange).

77 « Trente pièces qui sont quittances des impositions foncières, mobiliaires et personnelles que payait lad. défunte, la dernière desquelles est en datte du vingt-deux nivôse an treize de la somme de cinquantefrancs quarante-cinq centimes, à compte (sic) de cent soixante-quatre francs, quarante-cinq centimes,

montant des impositions pour la présente année » (Inventaire, f° 28).78 La prisée indique exactement 7714 francs et 07 centimes, somme qui se décompose en 5142 francs pourles objets (meubles, livres, habits, linge, hardes, bijoux), 2149 francs et 91 centimes pour l’argenteriecomptée à part, et 422 francs et 16 centimes en deniers comptants (Inventaire, f os 21 et 22). Pour mesurerla modestie de cet héritage, on peut le comparer au produit de la vente des meubles qui se trouvaient tantà Chaillot qu’à Paris à la mort de son mari en septembre 1785. Le prix total en fut de 20488 livres (M.C.,CVIII, 720 et note 65). Pourtant, à cette date, sa fortune avait été considérablement écornée par les dettesde son fils Durey de Bourneville qu’il avait été contraint de rembourser. À l’autre extrémité, si l’on veut

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domestiques et à certains ouvriers, il est donc impossible que l’ensemble des legs ait

 pu être payé. Au moins avons-nous trouvé la preuve que le premier et le plus

important d’entre eux, celui de 1200 livres « aux pauvres vieillards et vieilles

habitant Chaillot », fut effectivement délivré à ses bénéficiaires79.

Par ailleurs, il lui restait différents contrats de rentes qu’elle avait fait inscrire

sur le Grand livre. Son homme d’affaires Le Crosnier vint les présenter à la fin de

l’inventaire à Blancheton de Meursault, représentant les intérêts de ses jeunes

héritiers de Joursanvault. Ce dernier ne les dédaigna nullement, puisqu’il les remit

au notaire Drugeon, exécuteur testamentaire, pour en recouvrer la valeur, qui dut

monter à un peu plus de 3000 francs de rente annuelles80.

****

Ces pages nous montrent enfin que la vieillesse n’avait dégradé ni son

intelligence, ni son ouverture au monde, ni ses qualités de cœur.

Elle qui s’était toujours définie comme une femme « qui ose penser » nous

donne au début de son testament comme l’esquisse d’un ultime essai, qu’on pourrait

intituler  Réflexions sur la nouvelle loi relative aux successions. Dans une longue

introduction, elle en conteste en effet au nom de la raison et de la justice les deux

voir ce qu’est un inventaire vraiment misérable, on peut consulter celui de Charles-Edme Belot (voir ci-

dessus note 54).79 Voir la quittance de Guérin, receveur général des hospices civils et secours qui reconnaît avoir reçu deDrugeon, exécuteur du testament de Mme de Meinières « 1200 livres, legs en faveur des pauvres vieillardsdes deux sexes et aux familles chargées d’enfants habitant Chaillot, lequel legs a été accepté par Jean-Jacques Fesquet, membre de la commission administrative des hospices civils de Paris » (14 juillet 1806,M.C., XLVI, 657, minutes de Charles-François Drugeon).

80 Inventaire, f° 30.

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 principales dispositions: la défense faite au testateur de disposer au-delà du sixième

de son bien en legs particuliers, qu’elle croit inapplicable aux effets mobiliers, et

l’obligation de maintenir une égalité absolue entre les héritiers potentiels81. Elle

revendique en particulier le droit d’écarter ses parents paternels, dont elle a eu

 beaucoup à se plaindre : « Est-il juste qu’ils s’emparent de ma dépouille au préjudice

de mes parents maternels ?» Derrière la modestie de façade, elle fait preuve de la

même assurance que dans ses écrits d’autrefois, n’hésitant pas à soutenir que ses

observations lui « paroissent devoir être érigées en principes », et allant même

 jusqu’à faire la leçon aux législateurs: « Vous n’ignorez pas qu’il n’est point de loi

sans exception et que souvent la lettre tue, tandis que l’esprit vivifie ».

Par ailleurs, contrairement à ce que suggère Mme Thiroux d’Arconville, loin

de mourir abandonnée de tous82, Mme de Meinières conserva jusqu’à sa mort

 beaucoup de ses amis d’autrefois. L’adjectif « ancien » est même un des mots qu’elle

emploie le plus souvent pour désigner ses légataires : Madame Boutinon de

Courcelles, « mon ancienne aimable amie », le citoyen Belot, « mon plus ancien

ami », « mon ancienne et tendre amie Charlotte Helvétius », le citoyen LeCrosnier, « l’un de mes anciens amis », sans compter les domestiques, Michel Foin

et Nanette Regnier, domestiques « anciennement attachés à mon service », Marie

Conard, femme Frison, « mon ancienne cuisinière, élevée chez moi », ou Le Grand,

81 Loi de la Convention du 17 nivôse an II. Testament, f° 1-3.

82 Après son veuvage, les parents de son mari et ses anciens amis ne lui offrirent pas, dit-elle, « le plusléger secours, surtout dans les derniers temps de sa vie » ( Anecdote, p. 227). Il est possible que cetteaffirmation contienne une part de vérité, car il était de notoriété publique que le remariage du présidentde Meinières avait été désapprouvé par toute une partie de sa famille, notamment par la duchesse deChoiseul, dont le père était le cousin germain du président de Meinières (voir sa lettre à Devaux du 19 mai1769 : « Mon mari est brouillé avec tous les Choiseul du monde ; la duchesse nous hait tous deux, et n’ena pas gardé le silence. Je vous ai conté comme quoi elle avoit clamé contre mon mariage»). Mais celan’implique pas qu’elle perdit tous ses amis.

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« ancien valet de chambre de mon mari ». Dans les commentaires affectueux dont

elle accompagne chacun de ses legs, on retrouve celle qui avait toujours eu le culte

« [des] soins et d[es] attentions de l’amitié délicate »83  : En léguant à la jeune

Madame de Villeneuve, fille de Mme de Guibert, deux vases de Sèvres représentant

deux muses, elle lui glisse ce plaisant éloge: « C’est lui laisser allégoriquement le

 portrait de sa spirituelle maman, et le sien ». Même à Charlotte Lécuyez (dont le nom

revient quatre fois), sa fidèle domestique, elle sait donner avec un mélange de tact et

d’humour. Après lui avoir légué le lit complet où elle couche, elle lui fait don de

deux petites bergères à coussin de plumes couverts de velours d’Utrecht rouge pour

« qu’elle se souvienne [d’elle] assise comme couchée et mette à son aise la chiennequ’[elle] laissera à ses soins après [elle]». Les lignes qu’elle consacre à l’ «aimable »

Mme Boutinon de Courcelles sont empreintes d’émotion. En lui léguant « le portrait

de feu [s]on mari et le [s]ien, en statue de terre cuite, représentant Baucis et

Philémon » et en la priant de le placer dans son jardin, elle transforme un symbole

d’amour conjugal en « monument de [son] amitié ».

De plus, la liste de ses légataires ne se limite pas aux amis d’autrefois. Elles’en est fait aussi de nouveaux, et l’on reste admiratif devant la capacité d’ouverture

au monde de cette très vieille dame presqu’octogénaire. Ce sont surtout de jeunes

femmes, dont certaines pourraient être ses filles, ou même ses petites-filles. Oubliées

aujourd’hui, elles ont eu leur heure de notoriété sinon de gloire : Peintre, comme

Marie-Guilhelmine de la Ville-Le Roulx, élève de Mme Vigée-Lebrun ; écrivaine,

comme Madame Monnet, « auteur applaudi des Contes orientaux et de plusieurs pièces de théâtre » ; comédienne, comme Eugénie Servandoni d’Hannetaire, qui a

 poussé l’amitié jusqu’à acheter à la vieille dame « deux grands vases de porcelaine

83 Qu’elle se plaint de ne pas trouver chez les Helvétius (lettre à Madame de Lenoncourt, 26 novembre1770, Correspondance générale d’Helvétius, V, p. 68).

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du Japon montés en or moulu», sans vouloir recevoir d’elle « ni billet ni quittance ni

engagement quelconque », et a persévéré à lui en laisser la jouissance, « pour que le

sacrifice qu’[elle] en faisoi[t] à [s]a situation ne parût pas, et [lui] fût moins

sensible ». Enfin, cette femme qui n’a pas eu d’enfants semble avoir éprouvé

l’affection d’une grand-mère pour quatre de ses jeunes légataires, parentes de son

second mari, Victorine Mahé de la Bourdonnais, Aglaé Camus de Pontcarré,

Joséphine et Pauline Durey de Noinville. Les souvenirs que nous a laissés cette

dernière bien des années plus tard nous apprennent que « la bonne tante de

Meinières », inquiète de l’éducation sommaire qui leur était dispensée au couvent de

la Visitation de Chaillot où elles étaient pensionnaires à la veille de la Révolution,suppléait alors à leur instruction par « de bons maîtres d’histoire, d’italien, de dessin,

de danse »84. Elle nous brosse le portrait d’une femme ouverte aux idées nouvelles,

chez qui elle avait vu la fameuse gravure de l’Assemblée des notables de 1787

représentant dans son souvenir le roi assis sur son trône, entouré d’un cercle de

dindons, au bas de laquelle on lisait : « Mes amis, je vous ai assemblés pour vous

demander à quelle sauce vous voulez que je vous mange

85

 » et qui, en voyant poindrela Révolution, avait cru « toucher à l’âge d’or ».

****

84 Souvenirs d’une octogénaire de Pauline de Noinville, restés inédits, mais en partie reproduits par JacquesDinfreville sous le titre « Les Émigrés pendant la Révolution »,  Écrits de Paris, janvier 1973, p. 59-73, etfévrier 1973, p. 76-86. On trouve dans l’ Anecdote de Mme d’Arconville un témoignage identique : « Lesfilles de Mr de Noinville, neveu de Mr de Mesnières, étaient élevées dans le couvent de Ste Marie de Chaillot.Made de Mesnières s’occupait beaucoup de leur éducation en allant les voir souvent » (p. 226).

85 Assemblée des notables tenue à Versailles le 22 février 1787 à l’initiative de Calonne pour présenter sagrande réforme de l’impôt. En réalité, ce n’était pas le roi, mais Calonne qui était représenté sur cettegravure sous les traits d’un singe cuisinier du « buffet de la Cour » présidant une assemblée de canards,de poulets et de dindons.

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En définitive, personne ne ressemble moins à l’Octavie des derniers jours que

cette ombre désolée qu’on serait tenté d’imaginer d’après Mme d’Arconville86. Nulle

 part elle ne se révèle plus semblable à elle-même que lorsqu’elle lègue à certaines de

ses amies les objets qui furent les instruments ou les signes de son travail intellectuel,

comme ce «secrétaire en forme de tombeau, fermant à secret, avec les papiers qu’il

contient, tels que des lettres de gens célèbres par l’esprit, Voltaire, Helvétius, La

Condamine, Quinault &c., des fragments d’ouvrages littéraires commencés, des

 pièces fugitives, en vers et en prose, qui ne peuvent servir qu’à l’amusement de la

légataire; de plus encor tous les Romans et journeaux qui se trouveront épars ou

rassemblés chez moi, et pourront lui fournir des sujets drammatiques, ou du moinsamuser ses loisirs », ou « les dix-huit vol. de l’histoire d’Angleterre, par M. Hume,

dont j’ai traduit la Maison de Tudor, et la maison de Plantagenet […] ». Et s’il nous

fallait garder d’elle une seule image, nous l’imaginerions en train de rédiger ses

dernières volontés assise devant son écritoire d’argent, celle même qu’elle disait

« idolâtrer », lorsqu’elle y passait plus de 8 heures par jour à travailler à Chaillot aux

côtés de son mari

87

.

MARIE-THÉRÈSE INGUENAUD

86 On peut expliquer l’inexactitude des renseignements de Mme d’Arconville par le fait qu’elle a très viteperdu de vue la présidente de Meinières après la Révolution, comme elle le dit elle-même dans son Anecdote.

87 Lettre à Devaux, 8 janvier 1768, BnF, n.a.fr. 15582..

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ANNEXE 1

Sentence de séparation de corps des époux Guichard

(17 avril 1722, A.N., Y 9008)

1.  Extraits de la plainte d’Élisabeth de Lesval à l’encontre de son mari en

date du 21 mai 1717. 

« […] Depuis quatre ans et demy qu’elle avoit épousé le dit Guichard, il a eu

toutes sortes de duretés pour elle, l’ayant maltraitée et excédée de coups de

 pieds et de poings plusieurs fois, dont elle avoit été obligée de garder en

différents temps le lit pendant 40 jours à cause de sa grossesse, et une autre

fois les médecins et chirurgiens crurent qu’il la faudroit trépaner des coups que

son mary luy avoit donné sur la teste et sur le visage ; qu’il luy a dissipé et

mangé son bien […] que le dit Guichard l’a gastée plusieurs fois, luy ayant

communiqué trois fois des maux vénériens dont elle étoit encore actuellement

malade […] que le dit Guichard son mary étant convenu le jour précédent que

la dite plaignante iroit en plusieurs maisons de condition et de bourgeois pour

demander de l’argent aux uns pour les marchandises de vin qu’elle avoit

fournyes, et aux autres pour leur demander s’ils en vouloient achepter ; la dite

 plaignante y seroit allée, et étant revenue avec une damoiselle de ses amies sur

les six heures du soir chez elle, elle n’y auroit point trouvé le dit Guichard son

mary, et l’auroit attendu à leur porte de la rue jusques à 8 heures et demy, et

voyant la plaignante que le dit Guichard ne revenoit point, elle auroit avec sonamie pris un carosse et seroient allées ensemble chercher le dit Guichard son

mary ; ne l’ayant point trouvé, elles allèrent souper rue du Roulle chez le Sr

Marlier amy du dit Guichard qui luy en a donné la connoissance, d’où elles

revinrent la veille de la dite plainte au soir sur les 11 heures et demy, et

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trouvèrent la porte fermée. Le dit Guichard, au lieu de luy ouvrir la porte, luy

dit d’aller coucher d’où elle venoit et ne voulut point la luy ouvrir, et se mit à

la fenestre ; la plaignante et son amie étant à la porte de la rue, les coucha en

 joug avec son fusil […] et luy ayant dit plusieurs parolles dures et offensantes

et à son amie, il leur refusa absolument la porte après les avoir fait attendre

 jusques à deux à trois heures après minuit, et auroient couché dans la rue sans

le sr Dupré directeur des vivres de Flandres, qui eut assez de bontés pour elles

de les faire entrer chez luy […]. »

2.  Extraits de la plainte d’Élisabeth de Lesval à l’encontre de son mari en

date du 5 août 1717.

« […] Le dit Guichard continuoit d’exercer contre elle toutes sortes de rigueur,

à proférer journellement contre elle les injures les plus atroces, et l’avoit

menacée plusieurs fois de la faire périr soit par le poison, soit par l’épée, soit

 par le bâton, et non content d’exercer toutes ses violences contre elle, luy a

 pris plusieurs fois des billets et de l’argent qu’il a mangé avec des gens de

mauvaise vie, et le jour et la nuit ne couchant presque point dans leur

apartement  et y revenant seulement deux fois la semaine pour changer de

linge, et n’y ayant point couché […] jusques au dit jour 5 aoust dix heures du

matin qu’il est venu et a trouvé la plaignante au lit malade depuis huit jours

d’un grand mal de teste et ayant pris médecine, et en entrant le dit Guichard

luy a dit qu’elle étoit une sacrée B. de gueuse, une sacrée B. de garce, et qu’elle

n’avoit qu’à choisir de mourir par le poison, par l’épée ou sous le bâton, et amis son épée sur la table, ce qui a tellement effrayée la plaignante qu’elle s’est

 jettée hors de son lit et a fui promptement, sans quoy il auroit indubitablement

exécutté son mauvais dessein […]. »

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3.  Extraits de la plainte d’Élisabeth de Lesval à l’encontre de son mari en

date du 12 octobre 1721.

« […] le dit Guichard étant revenu sur les 10 heures du soir pour souper etétant à table la traitta indignement sans qu’elle luy en eût donné aucun sujet,

l’appellant B. de G. et de putain, auxquelles injures elle ne répondit rien, que

cherchant à l’outrager plus violament, il luy chercha querelle sur ce qu’elle

vouloit mettre dehors la nommée Nanette sa servante, et de ce qu’elle l’avoit

grondée, qu’elle plaignante ne put s’empescher de luy faire connoistre avec

toute la douceur possible le sujet de renvoyer cette servante qu’elle avoit

trouvée couchée avec luy le jour précédent, qu’il étoit de son devoir, mesme

envers Dieu, de ne point souffrir une telle débauche, et qu’elle avoit pris […]

ses mesures pour la renvoyer sous un autre prétexte affin de cacher ce

libertinage ; qu’à peine eut-elle pris la parole que le dit Guichard son mary se

mit dans un emportement furieux, prit un couteau et voulut l’en fraper, ce qu’il

auroit fait si elle ne s’étoit retirée d’auprès de luy, que voyant qu’il n’avoit pu

luy donner ce coup de couteau, il renversa la table où ils mangeoient, la prit àdeux mains et luy jetta sur le corps, qu’avec la force dont il luy jetta cette table,

la dite table s’est cassée en deux sur son corps, dont elle étoit toute meurtrie,

et comme il continuoit ses excès, […] elle se mit à crier à son secours, que

 plusieurs locataires de la maison vinrent à son secours et se mirent au-devant

de luy pour l’empescher d’exécutter les menaces qu’il faisoit de la tuer […].

4. 

Extraits de la plainte d’Élisabeth de Lesval à l’encontre de son mari endate du 13 novembre 1721.

[Le dimanche 12 octobre la plaignante étant retournée chez elle après avoir

déposé la plainte ci-dessus, son mari la traita encore indignement, lui disant]

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« qu’il ne vouloit plus habiter avec elle, et qu’elle n’avoit qu’à s’en aller

coucher au grenier […] que pour éviter la fureur du dit sieur son mary et luy

marquer une entière soumission, elle fut sur les onze heures de nuit coucher

au grenier où elle avoit couché jusques au dit jour 13 novembre, et dans lequel

la dite Nanette servante la venoit enfermer la nuit, que le dit sieur son époux

n’a jamais voulu la voir depuis et l’a menacé tous les jours de luy casser les

 bras et les jambes si elle ne vouloit point s’en aller […] et qu’elle a souffert

avec patience, espérant que sa complaisance et sa douceur le feroit revenir à

luy, mais elle avoit la douleur de voir qu’au lieu d’être traittée humainement

[il la maltraitait encore plus, au point que sa vie n’étoit plus en sûreté].Pourquoy elle avoit rendu la dite plainte et déclaré qu’elle alloit se retirer dans

la communauté de l’Union chrestienne, rue de la Lune près Bonnes nouvelles

 pour se pourvoir par les voyes de droit en séparation de corps et d’habitation

d’avec le dit sieur Guichard son mary […].

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ANNEXE 2

Testament de Madame Durey de Meinières88 

[Fo 1] Introduction à mon testament

Cecy contient mes dernières volontés s’il m’est permis de les énoncer, et

d’espérer qu’elles seront exécutées.

Je suis née dans la religion catholique, et j’y mourrai fidelle autant qu’il

dépendra de moi d’observer ce qu’elle commande. J’implore la miséricorde de Dieu pour moi et pour mes compatriotes.

Je ne suis, et ne puis guères être instruite, dans ma position isolée, des formes

 prescrites par le nouveau gouvernement ; mais je crois qu’elles ont la justice et

l’humanité pour base89. J’ai entendu dire qu’une loy récente deffendoit à tout

testateur de disposer au-delà du sixième de son bien en legs particuliers, et qu’elle

apelloit tous les héritiers du mort, sellon leur degré de parenté, au partage de sasuccession90. Je suppose que cette loi ne regarde que les biens fonds, en maisons, et

en terres. Autrement je la crois inapplicable aux effets que je délaisserai en mourant.

88 Ce testament est conservé dans les minutes du notaire Charles-François Drugeon (1er ventôse an XIII -20 février 1805, M.C., XLVI, 650).

89 Le testament (indépendamment des codicilles) est daté du premier nivôse an six de la république (21décembre 1797).Le gouvernement auquel se réfère la présidente de Meinières est donc le Directoire.Installé depuis le 26 octobre 1795 (4 brumaire an IV), il devait durer jusqu’au 9 novembre 1799.

90 La loi de la Convention du 17 nivôse an II (6 janvier 1794) relative aux donations et successions nepermettait de tester qu’au profit d’un membre de la famille, et instituait l’égalité absolue entre leshéritiers. Elle permettait toutefois au testateur de disposer du dixième de son bien, s’il avait des héritiersen ligne directe, ou du sixième, s’il n’avait que des héritiers collatéraux, au profit d’autres que lespersonnes appelées par la loi au partage des successions (article 16). N’ayant pas eu d’enfants, Mme deMeinières est donc autorisée à disposer du sixième de son bien.

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Ils consistent, pour la plus grande partie, en rentes viagères, et en mobiliers. Le reste

est en rentes perpétuelles, mais semblent devoir être regardées comme suite de mon

mobilier puisque les opérations de finance du gouvernement ne les respectent pas, et

en disposent souverainement91.

Avec cette nature de biens, il m’est impossible d’aprécier à quoi se montera,

après moi, le sixième des meubles, des hardes, des revenus à écheoir, ou échus, enfin

les dettes que je pourrai avoir contractées. Comment devinerois-je à présent, si les

différends effets que je léguerai à mes amis, aux gens à qui j’aurai des obligations,

aux pauvres, à d’anciens domestiques, atteindront, ou excèderont ce sixième, dans le

cas où la totalité seroit immobilisée, contre toute raison ? Sai-je ce que vaudront alors

des meubles meublants, plus ou moins usés, des porcelaines, des tabatières de

fantaisie, des dentelles, des robes, du linge &c. que je distribuerois à diverses

 personnes ? donner et retenir ne vaux92, dit le proverbe. La loi dont il s’agit m’ôteroit

donc de fait, le droit qu’elle laisse de disposer du sixième de ce qu’on possède en

mourant ? Elle ne doit donc raisonnablement [f° 2] réserver les cinq autres sixièmes

aux héritiers naturels du testateur que sur les biens en terres, en maisons, et non surdes portraits, des vêtements, des choses fragiles, et d’une valeur arbitraire.

O ! Législateurs suprêmes, et vous Ministres de leurs décrets, daignez

distinguer d’un riche malveillant, agioteur monopoleur qui accumule toute sa fortune

en numéraire pour la grossir journellement, ou en effets précieux qu’il achette à bon

marché pour les revendre cher 93, d’une vieille femme honnête, pauvre, qui n’a jamais

91 Sur la reconnaissance de la dette de l’Ancien Régime par le gouvernement révolutionnaire voir note 112.

92 Souligné dans le texte

93 Mme de Meinières se défend ici de faire partie de ces citoyens honnis des révolutionnaires, qu’on a aussiappelés « accapareurs ». L’agioteur, ou accapareur d’argent, spécule sur la monnaie et sur la hausse et la

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eu de patrimoine, qui doit le peu de revenu dont elle jouit, à ses travaux littéraires,

aux pensions qu’ils avoient méritées94 et dont la première législature95 l’a dépouillée,

et à son douaire dont elle n’est pas payée par le gouvernement96. Laissez-lui, à cette

infortunée  presqu’octogénaire97, la consolation, à sa dernière heure de choisir les

légataires des bagatelles qui lui resteront. Elle s’abandonne avec confiance à la

 justice éclairée que le peuple français attend de vous. Vous n’ignorez pas qu’il n’est

 point de loi sans exception et que souvent la lettre tue, tandis que l’esprit vivifie.

D’après ces observations qui me paroissent devoir être érigées en principes,

 j’en ajoute encore d’autres relativement au partage d’une succession entre tous les

héritiers habiles à succéder, suivant la loi, qui ne permet pas au testateur d’en préférer

 parmi ses collatéraux. Il y a trente-cinq ans, au moins, que je n’ai vu, ni entendu

 parler de mes parens paternels. J’ignore s’il m’en reste, ni combien, ni à quel degré

baisse des effets royaux ou publics, billets, lettres de change, papiers de crédit. Voir  Michel Vovelle, LesMots de la Révolution, P. U. du Mirail, 2004, article « Accapareur-Agioteur », p. 3.

94 En février 1763, grâce à Mme de Pompadour à qui Quesnay l’avait recommandée, elle avait obtenu unepension de 1200 livres sur le Mercure de France pour sa traduction de l’ Histoire d'Angleterre contenant lamaison de Tudor  de Hume (voir note 147). Par la suite, Louis XV lui avait accordé une seconde pension de1200 livres (voir note 147).

95 L’Assemblée législative (octobre 1791-septembre 1792).

96 Le douaire est ce que le mari donne à sa femme en faveur du mariage qu'il contracte avec elle, et pouren jouir si elle lui survit. Le contrat de mariage d’Octavie Guichard veuve Belot avec le président Durey deMeinières (6 septembre 1765) portait que les époux étaient non communs en biens. Le président deMeinières constituait à sa femme un douaire de 2500 livres de rentes viagères sur les États de Bourgogne.L’acte ne se trouve pas dans la liasse, mais nous en avons un résumé dans le « compte d’exécutiontestamentaires rendu par M. Desjobert à la succession de M. de Meinières », 24 août 1786, M.C., CVIII,720, minutes de Guillaume Gibert (voir note 65).

97 Elle était née le 3 mars 1719, et était donc âgée de 78 ans et 9 mois.

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il m’en reste. Ma mère, née noble98, fit un mariage de belle passion99 ; mon père cessa

d’y répondre ; eut des maîtresses, et des procédés violents ; elle s’en plaignit, implora

la justice, fut séparée de corps et de biens d’avec son mari, et m’éleva entièrement à

sa charge, pour me conserver auprès d’elle100. [F° 3] Je conclus de l’abandon de mes

 parens paternels que je leur suis et leur ai toujours été indiférente ; qu’ils n’ont pas

eu besoin de moi, ni présumé que j’eusse besoin d’eux dans les tems heureux et

malheureux de ma vie, très orageuse, ou qu’ils n’existent plus.

S’il s’en présente, par hazard, est-il juste qu’ils s’emparent de ma dépouille au

 préjudice de mes parents maternels, qui m’ont rendus des soins constants et accordés

des secours généreux ? Je me plais à penser que mes parents paternels, sachant que

 je n’ai pas même eu une légitime101 de mon père, qui aima mieux le plaisir que sa

fille, seront assez judicieux et assez riches, pour ne pas réclamer ma succession, et

ne pas s’opposer à l’exécution de mes dernières volontés. S’ils s’y opposent et

veulent la réduire à rien pour chacun d’eux en la divisant entre tous, j’invoque la

décision de la puissance législative102.

98 La mère de Mme de Meinières, Marie-Élisabeth de Lesval (1680 ?-10 juin 1758), était issue d’une famillede la noblesse bourguignonne. Ses parents, Jean-Guy de Lesval, écuyer, sieur de Saint-Martin, et Marie-Élisabeth L’Admiral, résidaient à Corpeau (à 16 km de Beaune). Leur devise était Stat virtus nixa fide, lavertu se maintient appuyée par la foi (Comte O. de Bessas de la Mégie, Légendaire de la noblesse de France,Paris, MDCCCLXV).

99  Elle avait épousé en premières noces Michel-François Guichard, père de Mme de Meinières (11décembre 1712, M.C., LXXVIII, 553, minutes de Claude-Jean-Baptiste Dejean). Après la mort de ce dernier(entre 1738 et 1742), elle se remaria avec Antoine-Hercule de Michault de Feuquerolles, chevalier de Saint-

Louis et commandeur de Saint-Lazare (21 juin 1742, M.C., X, 460, minutes de Louis de La Fosse).

100 La sentence de séparation de corps fut prononcée le 17 avril 1722 (A.N., Y 9008, Sentences rendues enla chambre du conseil du Châtelet de Paris). Elle avait été précédée d’une sentence de séparation de biensle 2 décembre 1715 (A.N., Y 8997).

101 La portion que la loi attribue aux enfants sur les biens de leurs pères et de leurs mères.

102 Ici se termine l’introduction de son testament.

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En espérant qu’elle validera mes dispositions, j’institue pour mes seuls

héritiers les enfants du feu citoyen Gaignarre, ci-devant Baron de Joursanvault103,

mon cousin issu de germain, demeurants à Beaune département de la Côte d’or, sous

la tutelle de leur mère. Je connois assez la probité et la bonté de cette vertueuse tutrice

 pour être sûre qu’en recueillant le peu que je laisse à son fils, mon filleul, et à sa fille,

elle acquiteroit à ses propres dépens les legs particuliers que je vais faire104.

Je donne et lègue aux pauvres vieillards et vieilles habitants Chaillot105, à

 partager avec les pauvres familles chargées d’enfants du même lieu, la somme, une

fois payée, de douze cent livres, en numéraire, ou valeur égale et réelle106.

103  Jean-Baptiste-Anne-Geneviève Gaignarre de Lesval de Joursanvault (1748-1792) était le fils d’unecousine germaine de Madame de Meinières, Anne-Philiberte de Lesval de Saint-Martin,   et de ClaudeAlexandre-Gaignarre de Joursanvault. Mme de Meinières est donc sa « tante à la mode de Bourgogne »,ainsi qu’elle est désignée dans son inventaire après décès (M.C., VIII, 1345, 17 ventôse an 13, minutesd’Auguste de Faucompret). Le baron de Joursanvault n’était pas n’importe qui. Franc-maçon, grandcollectionneur, amateur d’art passionné, il fut le mécène du sculpteur Pierre-Paul Prudhon. E. et J. de

Goncourt évoquent avec admiration cette « belle et noble figure d’amateur provincial» (L’Art du dix-huitième siècle, 1874, II, p. 399). Il était mort à 45 ans à peine, le 17 octobre 1792, à Châlons-sur-Saône«dans l'hôtel du Cheval blanc, où il s'était réfugié. Il était alors à peu près ruiné » (Charles   Clément,Prud'hon sa vie, ses œuvres et sa correspondance, 1872, p. 77, note). Sur cette gloire locale, voir LouisMorand, Le Bon  de Joursanvault et les artistes bourguignons, Prud'hon, Gagneraux, Naigeon, Beaune,1883). Toute la famille de Lesval était éteinte, le baron de Joursanvault, dernier survivant, ayant disparuau début de la Révolution. Seuls demeuraient ses deux jeunes enfants, Hermenegilde-Joseph-Alexandre-Guillaume, né le 17 juin 1787 à Beaune (AD Côtes d’or en ligne), dont Mme de Meinières était la marraine,et Pétronille-Agathe-Jeanne, née le 8 octobre 1789.

104  Le musée des Beaux-arts de Beaune conserve un très joli buste en terre crue de la baronne deJoursanvault, née Agathe-Rose de Fuligny d’Ambrun, par Prudhon.

105 Ce testament est écrit à Chaillot, où M. et Mme Durey de Meinières vinrent habiter en 1769, et où leprésident était mort le 26 septembre 1785. Ils y occupaient deux pavillons appartenant aux religieuses dumonastère de la Visitation de Sainte-Marie de Chaillot (voir le contrat de bail à vie, M.C., XXIII, 701, 29 juin1769, minutes de Pierre-Louis Laideguive). L’habitation comprenait, outre les pavillons, un jardindépendant du monastère.

106 Ce legs de 1200 livres aux pauvres habitants de Chaillot est le seul dont nous ayons trouvé la preuvequ’il fut payé (14 juillet 1806, M.C., XLVI, 657, minutes de Charles-François Drugeon). Voir note 79.

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[F° 4] Je donne et lègue la somme une fois payée de trois cent livres en

numéraire, ou valeur égale et réelle, à plusieurs pauvres ci-devant religieuses

capucines, vivant ensemble grande rue de Chaillot, n° 138107.

Je donne et lègue sept cent livres, une fois payée en numéraire, ou valeur égale

et réelle aux administrateurs des frais du culte catholique de la paroisse St- Pierre de

Chaillot, pour aider à libérer ce qui pourroit être encore dû des avances faites pour

réparer l’église, et la pourvoir des choses nécessaires aud. culte, dans le cas où le

culte catholique y seroit libre et permis.

Je donne et lègue à la citoyenne Molard, née Vager, femme d’un chirurgien del’armée républicaine, et ma filleule108, la somme une fois payée en numéraire, ou

valeur égale et réelle, de mille livres109.

Je donne et lègue en commun à la citoyenne, femme de Michel Foin, tenant un

caffé à la Chapelle, près St-Denis, et à Nanette Regnier, fille de Martin Regnier

autrefois mon domestique, toutes deux attachées anciennement au service de ma

 personne, ma garde-robe, linge et habillement, excepté le linge de lit et de table,excepté encore ce que j’en distrairai cy-après. Je nomme le citoyen Blinois110,

cabarretier au bas de Passy, près la grille des nouvelles eaux, oncle de la de  Nanette

Regnier pour recueillir les effets par moi légués à sa nièce, dans le cas où elle seroit

107 En marge : « 300lt ».

108 Octavie-Adélaïde Waget, veuve Mollard (1747-1825) était la fille d’un contrôleur des fermes et la filleulede Mme de Meinières (voir « Notoriété après le décès de Mme Veuve Mollard » , 20 juillet 1825, M.C.,

XXIV, 1222, minutes de Louis-Auguste Lahure). Son mari, Jean-Baptiste Mollard, avait été chirurgien dubaron de Breteuil, ambassadeur extraordinaire du roi auprès de leurs majestés impériales, avant de servircomme chirurgien-major dans l’armée républicaine (A.N., Y 5080 A).

109 En marge : « 1000lt ». Les quatre lignes concernant « la citoyenne Molard » sont barrées en croix. Lesmots « Je suprime ce legs-là » ont été ajoutés à côté, sans doute beaucoup plus tard, comme l’indique lechangement d’écriture, mais rien n’indique le motif ni la date de cette suppression.

110 Ce mot est souligné.

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absente ainsi que son père. J’entends que ma garde-robe sera estimée et même

vendue pour en faciliter le partage entre mes deux légataires, sauf à chacune d’elle à

 prendre en nature, au prix de l’estimation, ce qui pourra leur convenir, et en s’en

tenant compte réciproquement111.

Je donne et lègue à la citoyenne Le Plat, cy-devant ma femme de chambre, et

depuis logeant chez moi, la somme de trois cent livres une fois payées, en numéraire

ou en valeur égale et réelle.

[F° 5] Je donne et lègue à Marie Conard, femme Frison, mon ancienne

cuisinière, élevée chez moi, la somme de huit cent livres, une fois payée, ennuméraire ou valeur égale et réelle indépendament d’un contract de soixante livre de

rente inscrit sur le grand livre, dont je lui ai transferré la propriété 112. Cette

inscription, ou transfers doit lui être remis incessament. Elle en a mon billet de

garantie pour sa sûreté, dans le cas où je mourrois avant que le transfers lui fût délivré

 par le citoyen le Crosnier 113.

111 Tout le passage concernant le legs à la femme de Michel Foin et à Nanette Regnier est barré, et enmarge, est écrit de la même écriture que la suppression du legs à la citoyenne Molard : « Je suprime celegs. O. Guichard de Meinières ».

112 En marge : « 800lt». Le 24 août 1793 avait été créé le grand livre de la dette publique, qui reconnaissaitofficiellement la dette de l'Ancien régime. Toute dette publique non viagère devait y être enregistrée parordre alphabétique des noms des créanciers. La loi du 23 floréal an 2 avait formé pour la dette publiqueviagère un grand livre distinct de celui de la dette publique perpétuelle.

113 Michel-Louis Le Crosnier, liquidateur des rentes, cloître Saint-Merry ( Almanach de Paris, 1791). Dansl’inventaire après décès (f° 24), Michel Le Crosnier présente le samedi 25 ventôse la « copie informe d’uneinscription au grand livre de la dette publique de six-cent-quarante-quatre francs de revenu expédié auprofit de la d. deffunte, pour trois cent-quarante-huit francs comme propriétaire et pour deux-cent-quatre-vingt-seize francs en usufruit, dont la propriété appartiendrait pour cent-quatre-quatre-vingt-sixlivres aux héritiers de Me Durey de Meinières, pour soixante francs à Marie-Geneviève Conard veuve deFrançois Frison, pour cinquante francs à Emmanuel-Gabriel de Milly, la d. inscription No 21551, vol. 36,portant jouissance du premier vendémiaire de la présente année ».

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Je donne et lègue à Charlotte Lecuyez, actuellement à mon service, en cas

qu’elle y soit encore lorsque je mourrai, la somme une fois payée, en numéraire ou

valeur égale et réelle, de deux cents livres, indépendament de ce qui pourroit lui être

dû alors de ses gages ou avances. J’ajoute à ce legs, celui du lit complet sur lequel

elle couche. Je réduis la récompence de toute autre femme qui succéderait à son

service dans ma maison à une année de gages de plus que ceux qu’elle gagneroit chez

moi114.

Je donne et lègue à mon jardinier huit cent livres, une fois payées, en

numéraire, ou valeur égale et réelle. Je ne lui donne à présent que son logement gratis,

en échange du soin qu’il prend de mon jardin à ses moments perdus115.

Je donne et lègue à la citoyenne Monnet, mon estimable amie, auteur applaudi

des Contes orientaux et de plusieurs pièces de théâtre116, la somme de mille livres

une fois payée, en numéraire, ou valeur égale et réelle, de plus un secrétaire en forme

de tombeau, fermant à secret, avec les papiers qu’il contient, tels que des lettres de

gens célèbres par l’esprit, Voltaire, Helvétius, La Condamine, Quinault &c. des

fragments d’ouvrages littéraires commencés, des pièces fugitives, en vers et en prose,

qui ne peuvent117 [f°6] servir qu’à l’amusement de la légataire ; de plus encor tous

114 En marge : « 200lt».

115 En marge : « Je suprime ce leg fait à Étienne. O. Guichard de Meinières ».

116 Mariette Moreau, dame Monnet (1752-1798), auteur des Contes orientaux, ou les Récits du sage Caleb,voyageur persan  (1779), de Histoire d’Abdal Mazour, suite des Contes orientaux […] (1784), et de

nombreux autres écrits, dont la comédie Les Montagnards, donnée le 24 vendémiaire an 2 (15 octobre1793) « au théâtre national, maintenant réuni au théâtre de l’Égalité, ci-devant français » exalte sansréserve les idéaux de la toute nouvelle république. La Décade philosophique  lui consacra à sa mort unarticle élogieux dans lequel elle souligne l’estime qu’eurent pour elle d’Alembert, Diderot, le poète Thomas(Décade philosophique, an 7, n° 29, p. 119). Son mari, Antoine-Grimoald Monnet, fut un minéralogisterenommé.

117 Tout le passage commençant à « Je donne et lègue à la citoyenne Monnet » et finissant à « qui nepeuvent » est raturé. En marge la mention « J’approuve la rature ci-contre. Ce legs est devenu caduque

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les Romans et journeaux qui se trouveront épars ou rassemblés chez moi, et pourront

lui fournir des sujets drammatiques, ou du moins amuser ses loisirs118.

Je donne et lègue au citoyen Drugeon, mon notaire, douze cent livres ennuméraire ou valeur égale et réelle, que je crois lui devoir, au moins, pour acquitter

des frais d’actes et d’avances, dans le cours des soins qu’il a bien voulu prendre de

mes affaires, et qu’il prendra pour mon inventaire119.

Je déclare et reconnois que les deux grands vases de porcelaine du Japon

montés en or moulu placés sur la cheminée de ma chambre à coucher, appartiennent

à la citoyenne Servandoni d’Hanetaire, femme divorcée du citoyen Larive, acteur dela comédie françoise ; qu’elle m’en a payé la valeur sans vouloir recevoir de moi ni

 billet ni quittance ni engagement quelconque, et qu’elle a persévéré à m’en laisser la

 jouissance, pour que le sacrifice que j’en faisois à ma situation ne parût pas, et me

fût moins sensible. Si la propriété de ces vases lui pouvoit être disputée faute par la

de citoyenne de représenter un titre, mon testament lui en servira, car alors je les lui

donne en forme de legs, si ce n’est en forme de dette120.

par la mort de la citoyenne Monnet arrivée au mois de Brumaire an 7e de la république. O. GuichardMeinières ».

118 Tout le passage commençant à « servir » et finissant à « ses loisirs » est raturé. En marge la mention« J’approuve la rature cy-contre, suite de celle de l’autre part. O. Guichard Meinières le 26 brumaire an7».

119 Charles-François Drugeon, notaire à Paris du 19 janvier 1788 au 18 avril 1811 (M.C., étude XLVI). Enmarge : « 1200 ».

120 Eugénie Servandoni d’Hannetaire, dite Eugénie d'Hannetaire (1746-1816), est une actrice française, filledu comédien et directeur de théâtre de Bruxelles Jean-Nicolas Servandoni d'Hannetaire et de lacomédienne Marguerite Huet. Elle avait épousé le comédien Jean Mauduit, dit Larive, dont elle divorçaaprès vingt ans de mariage. Le prince de Ligne lui avait dédié ses Lettres à Eugénie sur les spectacles (1774).Ces vases sont décrits dans l’inventaire avec la mention : « Deux vases en porcelaine du Japon, et avecornements en cuivre doré » (et non en or). Ils ne sont pas estimés, « attendu qu’il est à la connaissancedes parties qu’ils appartiennent à Made Servandoni d’Hannetaire, f e divorcée Larive»(f° 8).

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Je donne et lègue à la citoyenne Boutinon de Courcelles121, rue de Gramont122,

mon ancienne aimable amie, tous les petits tableaux peints en mignature par le vieux

cher de Valori123, nôtre ami commun, y compris le portrait de feu l’auteur, et qui sont

épars dans mon appartement. Je la prie d’accepter encor, et de placer dans le jardin

de sa maison, le portrait de feu mon mari et le mien, en statue de terre cuite,

représentant [f° 7] Baucis et Philémon. Ils sont l’emblème de l’union qui existoit

entre Monsieur de Meinières et moi, ils deviendront un monument de mon amitié

 pour ma légataire et de la confiance que j’ai dans la sienne pour moi. Ces statues

seront transportées chez elle aux frais de ma succession124.

121  Madame Boutinon de Courcelles, née Louise-Charlotte-Françoise de Valmalette de Morsan (1740-1822). C’est la mère de Mme de Guibert et la grand-mère de Mme de Villeneuve (voir ci-dessous notes143 et 144). Son mari, Louis-Marie-Marc-Antoine de Bout(h)inon de Courcelles (1720-1790) était le beau-frère du fermier général La Pouplinière, qui avait été longtemps le protecteur de Mme de Meinières.

122 « Cette famille demeurait alors […] dans une même maison, qui lui appartenait, rue de Grammont. […]Au rez-de-chaussée, c’était madame de Courcelles, mère de madame de Guibert ; au premier, madame deGuibert mère de madame de Villeneuve, au deuxième M. et madame René de Villeneuve avec leursenfants.» (George Sand, Histoire de ma vie, troisième partie, chapitre 2).)

123  Jules-Hippolyte de Valory (1696-1785), chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis, anciencapitaine de grenadiers au régiment de la marine, académicien honoraire des académies de peinture etde sculpture, mort au château de Bourgneuf à Étampes le 25 mars dans sa 88e année ( Journal politique, ouGazette des gazettes, 1785, p. 82). Valory était non seulement l’ami de Mme de Meinières, mais aussi celuide Mme d’Épinay. Rousseau l’évoque dans ses Confessions. 

124 C’est un souvenir à valeur uniquement sentimentale que Mme de Meinières lègue à son amie. Dansson inventaire après décès, ces figures en terre cuite sont prisées 3 francs (f° 5).

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Je donne et lègue à la citoyenne Le Roux de la Ville, femme du citoyen

Benoist125, une robe de perse fond blanc et son jupon, à dessin courant de roses126 ;

de plus, deux ajustements complets, garniture, manchettes à trois rangs, et fichus de

 poinct avec un autre ajustement complet aussi, de dentelle d’Angleterre, tous trois

dans un même grand carton. Elle parera ce qui me paroit, et se souviendra au moins

 pendant sa toilette de quelqu’un qui l’aima et l’estima beaucoup. J’ajoute à ce legs

un secrétaire en tombeau et les manuscrits qu’il contient127.

Je donne et lègue au citoyen Belot, mon plus ancien ami et fils d’un premier

mariage de mon premier mari128, les deux portraits en pastel de Monsieur de

Meinières, mon second mari, celui du feu Cardinal de Bernis129, celui de feue

125 Marie-Guilhelmine Le Roulx de la Ville (ou De La Ville Leroulx) (1768-1826), épouse Benoist, artistepeintre de l’époque révolutionnaire, élève de Madame Vigée Le Brun et de David. Sa toile « Portrait d’unenégresse » (1800), la rendit célèbre. Sa sœur cadette Élisabeth (1770-1842) était également artiste peintre.Filles de René Le Roulx de La Ville (1743-1797), qui avait été ministre des finances de Louis XVI, elles étaientproches de la famille Vallet de Villeneuve. Leur oncle Joseph-Louis le Roulx de la Ville (1747-1803), avaiten effet épousé en 1796 Madeleine-Suzanne Dupin de Francueil, veuve de Pierre-Armand Vallet deVilleneuve, et mère de René de Villeneuve, jeune mari de « la citoyenne Villeneuve, fille de la citoyenne

Guibert » (voir ci-dessous note 143). Le mari de Guilhelmine, Pierre-Vincent Benoist (1758-1834) fut unhomme politique important sous la Restauration. Charles X lui conféra le titre de comte. Voir sur cetteartiste oubliée Marie-Juliette Ballot, Une élève de David. La comtesse Benoist, l’Émilie de Dumoustier(1768-1826), Paris, 1914.

126 Cette robe, décrite exactement de la même manière, est prisée 15 francs dans l’inventaire (f° 17).

127 Ce legs était primitivement destiné à la citoyenne Monnet, décédée (voir notes 116-117). La ligne a étérajoutée.

128  Marie-Philippe-Auguste Belot (2 mai 1733-3 février 1803), commença par exercer la professiond’avocat. Les Mémoires secrets de Bachaumont l’évoquent à plusieurs reprises comme l’un des avocatsplaideurs pour les souscripteurs de l’Encyclopédie, et font l’éloge de son talent. Pendant la Révolution il

devint juge au tribunal de grande instance de la Seine. Belot fut franc-maçon, successivement à la loge desFrères unis de Saint-Henri et à la loge du Centre des amis. Cette dernière loge était composée à 40 %d’hommes de loi acquis aux valeurs révolutionnaires. Il a 64 ans quand Octavie commence la rédaction deson testament et mourra en 1803 peu avant qu’elle en écrive le dernier codicille. Peut-être n’a-t-elle pasappris cette disparition, car le legs n’est pas supprimé. Sur Belot, voir ci-dessus note 47 et Fichier Bossu(23), fichier biographique du fonds maçonnique, en ligne sur Gallica.

129 François-Joachim de Pierres, abbé de Bernis (1715-1794), ministre des affaires étrangères, cardinal etambassadeur à Rome. Son portrait avait été légué à Madame de Meinières par Madame Doublet (voir

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Madame de Pompadour ; ces deux derniers tableaux font un chapitre de l’histoire de

France. J’ajoute à ces legs un service de porcelaine de Monsieur 130, composé de

douze assiettes, de huit compotiers, et une corbeille à fruits ; plus deux petits

flambeaux dorés d’or moulu orné de quatre chaînes en forme de perles.

Je donne et lègue au citoyen Boutinot, demeurant à la pompe à feu de

Chaillot131 un grand tableau représentant le portique d’Athènes, excélente copie de

l’original qui est à Rome, peint à fresque132.

Je donne et lègue à la citoyenne Victorine Mahé de la Bourdonnais133, à

Eaubonne par Sannoy, un petit médaillon émaillé, représentant d’un coté le portrait[f° 8] de feue Madame de Bourneville, sa parente et ma belle-fille134, de l’autre un

 petit chien ; plus mes ciseaux à lame d’or, et un de lame d’acier garni d’or, dans le

testament de cette dernière, codicille du 18 avril 1769, M.C., II, 650 bis, 26 mai 1771, minutes de ClaudeQuatremère).

130 Ce mot est souligné. S’il s’agit bien du comte de Provence, frère de Louis XVI et futur Louis XVIII, Mmede Meinières tient peut-être ce service du chevalier d’Arcq, qui fut de 1772 à 1775 « premier fauconnier

et chef des oiseaux du cabinet » du comte de Provence auquel il était apparenté par les liens du sang. Celaimpliquerait qu’elle soit restée amie avec lui après son mariage avec le président de Meinières.

131 Fameuse machine destinée à alimenter en eau les fontaines de Paris, construite par les frères Perrieren 1778. Michel Boutinot, architecte préposé à la pompe à feu.

132 L’École d’Athènes, fresque réalisée par Raphaël entre 1509 et 1512 pour les appartements de Jules II aupalais du Vatican. Prisée 6 francs dans l’inventaire (f° 7).

133  Victorine Mahé du Coudray de la Bourdonnais, de son vrai prénom Marie-Victoire (1777-1866)appartenait à la famille du célèbre marin breton Bertrand-François Mahé de la Bourdonnais, dont songrand-père Pierre-François était le cousin germain. Elle devait épouser le lieutenant général comtePhilippe-Henri de Grimoard (1753-1815), qui fut le précepteur militaire des ducs d’Angoulême et de Berry.Elle mourut au château de Bagatelle à l’âge de 89 ans (Borel d’Hauterive, Annuaire de la noblesse de Franceet des maisons souveraines de l’Europe, 1867, p. 330).

134 Madame de Bourneville (1736-après 1789) était la belle-fille par alliance de Mme Durey de Meinières.Née Marie-Louise-Françoise Durey de Noinville, elle avait en effet épousé en secondes noces son cousinAntoine-Jean-Baptiste Durey de Bourneville, fils unique du président de Meinières. Elle est apparentée àVictorine Mahé de La Bourdonnais, par son frère Alphonse-Louis-Bernard Durey de Noinville (1738-1818)qui avait épousé une demoiselle Tabary dont la mère était une Mahé de la Bourdonnais.

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même étui, mon dez d’or dans son étui à aiguilles. Enfin je la prie d’être dépositaire

d’une tabatière ronde doublée d’or, sur laquelle est le portrait de feue Madame de la

Tour 135, et de la remettre à Aglaé de Pontcarré136, lorsque cette jeune personne, son

ancienne compagne au couvent137, sera de retour à Paris138. Je la charge de partager

avec Pauline et Joséphine139 les legs que je lui fais, j’y ajoute mes deux montres et

chaînes d’or 140.

135 Madame de la Tour (1731-1780), née Marie-Madeleine d’Aligre, nièce du président de Meinières (fillede sa sœur Marie-Louise Adélaïde et d’Étienne-Claude d’Aligre) et femme de Charles-Jean-Baptiste desGallois de la Tour (1715-1802), premier président du parlement d’Aix. Sa fille, Madeleine des Gallois de laTour (1749-1782) avait épousé Louis-François-Élie Camus de Pontcarré (1746-1810), dernier des premiersprésidents au parlement de Normandie.

136 Louise-Charlotte-Aglaé Camus de Pontcarré, future marquise d’Aligre (1776-1843), fille de Madeleinedes Gallois de la Tour et de Louis-François-Élie Camus de Pontcarré (voir note précédente), était la petite-fille de Madame de la Tour. Elle était alors âgée de 21 ans passés. Elle devait épouser en 1810 son oncle àla mode de Bretagne Étienne-Jean-François marquis d’Aligre (1770-1847) et devenir une des plus illustresphilanthropes du XIXe siècle. Voir A.P. Chalons d'Argé, Mme la marquise d'Aligre, sa vie, ses fondations, samort , Paris 1847.

137 Les deux jeunes filles avaient été élevées au couvent de la Visitation de Chaillot, détruit en 1790, commePauline et Joséphine de Noinville (voir ci-dessous note 139).

138 À la Révolution, son père l’avait emmenée avec lui en émigration à Londres, où elle vécut jusqu’en 1795.Au moment où Mme de Meinières écrit son testament, Aglaé se trouvait au château de Saint-Aubin-sur-Loire chez son grand-père maternel, le président des Gallois de la Tour. Elle devait y rester jusqu’à la mortde ce dernier en 1802. Elle alla alors habiter chez son père, qui était revenu de Londres en 1801 (MaxBoirot, «Saint-Aubin sur Loire », Bulletin de la Société d’émulation du Bourbonnais, tome 41, 1938, p. 101-137).

139 Ambroisine-Jeanne-Pauline (1777-1863) et Anne-Perrine-Joséphine (1779-1842) Durey de Noinville,âgées respectivement de 20 et 18 ans, toutes deux filles d’Alphonse-Louis-Bernard Durey de Noinville etde Marie-Françoise-Renée Tabary (voir ci-dessus note 134). À l’époque où Mme de Meinières rédige sontestament, la famille Durey de Noinville, émigrée dès le début de la Révolution, n’est pas encore rentrée

en France. Elle n’y revint qu’en 1800, comme en témoignent les Souvenirs d’une octogénaire de Paulinede Noinville (reproduits par Jacques Dinfreville sous le titre « Les Émigrés pendant la Révolution », Écritsde Paris, janvier 1973, p. 59-73, et février 1973, p. 76-86 (voir ci-dessus note 84). Pauline et Joséphinen’eurent pas la chance de Victorine et d’Aglaé. Elles ne se marièrent point.

140 Ajouté après coup en marge : « J’ai fait passer le portrait de Made de la Tour et la boite à sa destination.Victorine en sera dispensée. O Guichard Ve Meinières. » Le legs confié à Victorine a été ajouté après coup,sans doute lorsque Mme de Meinières a appris le retour d’Aglaé en France. L’ensemble des objets léguésaux trois jeunes filles, Victorine Mahé de la Bourdonnais, et Pauline et Joséphine Durey de Noinville,

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Je donne et lègue à mon ancienne et tendre amie Charlote Helvétius, femme

divorcée du ci-devant comte de Mun, les portraits en pastel de feu son illustre père

Helvétius, et celui de sa veuve ; plus tous les petits pots, écuelle, tasses de porcelaine

différentes qui sont sur la cheminée de ma chambre à coucher, entr’autres un beau

gobelet à chocolat et sa soucoupe de porcelaine de Sèves141  ; plus deux petits

flambeaux dorés d’or moulu, représentant une caisse d’oranger sur une table

ronde142.

Je donne et lègue à la citoyenne Villeneuve143, fille de la citoyenne Guibert144,

rue de Gramont deux figures en biscuit de Sèves, représentant deux muses : c’est lui

laisser allégoriquement le portrait de sa spirituelle maman, et le sien145.

forment un ensemble de valeur. Les deux montres valent respectivement 240 et 160 francs (inventaire, f°12).

141 Ancien nom de Sèvres.

142 Le legs à Charlotte Helvétius est barré en croix, et la note suivante est ajoutée en marge : « Ce legs estdevenu caduc par la mort de Made de Mun ». La fille aînée d’Helvétius, Élisabeth-Charlotte (1752-1799),qui avait épousé le comte Alexandre-François de Mun en 1772 et en avait divorcé pendant la Révolution

en 1793 (voir Correspondance générale d’Helvétius, IV, p. 218-219), était morte le 16 germinal an 7 (5 avril1799).

143  La citoyenne Villeneuve est Appoline-Charlotte-Adélaïde de Guibert (1776-1852), fille de Louise-Alexandrine Boutinon de Courcelles et de Jacques-Antoine-Hippolyte comte de Guibert. Elle venaitd’épouser en 1795 René Vallet de Villeneuve, petit-fils de Dupin de Francueil, grand-père de George Sand.À la date du présent testament, elle était déjà mère d’un enfant.

144 La citoyenne Guibert, mère de la citoyenne Villeneuve, était Louise-Alexandrine Boutinon des Hayes deCourcelles (1758-1826), fille de Louis-Marc-Antoine Boutinon de Courcelles et de Louise-Charlotte-Françoise de Valmalette de Morsan (désignée ci-dessus comme « mon ancienne aimable amie », voir note121). Elle avait épousé le comte de Guibert, militaire, écrivain, membre de l’Académie française, et célèbre

amant de Mlle de Lespinasse (voir note précédente). Femme de lettres elle-même, elle avait édité lesœuvres de son mari, y compris sa correspondance avec sa rivale, ce qui en choqua plus d’un. Le coupleGuibert était très lié au couple Durey de Meinières, et pour élaborer ses œuvres militaires, Guibert « avaitpuisé une grande quantité de notes dans l’immense collection du président de Meinières » (Voir EthelGroffier, Le Stratège des lumières, le comte de Guibert  (1743-1790), Paris, 2005. 

145 George Sand a bien connu cette famille une génération plus tard, alors que Mme de Guibert étaitarrière-grand- mère et Mme de Villeneuve grand-mère. Elle souligne le rapprochement des générations :« Toutes ces femmes s’étant mariées très jeunes, et étant toutes jolies ou bien conservées, il était

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Je donne et lègue à la citoyenne Chevigné demeurant à Oignons, sa campagne,

 près de Senlis146, dix-huit vol. de l’histoire d’Angleterre, par M. Hume, dont j’ai

traduit la Maison de Tudor, et la maison de Plantagenet, contenant 12 vol. Les six

autres de la maison de Stuart, ayant été traduits et publiés les premiers par feu l’Abbé

Prevôt147  ; plus tous les ouvrages de M. Mercier, qui se trouveront parmi mes

livres148.

[F° 9] Je donne et lègue à la citoyenne Gengeme149 demeurant à Passy, rue de

la Paroisse, la somme de trois cent livres une fois payée, en numéraire ou valeur égale

et réelle150.

Je donne et lègue à la citoyenne Casteaux maintenant près de sa tante pour la

soigner à l’hospice des vieillards, faubourg St Laurent151 ce me semble, mon écritoire

impossible de deviner que madame de Villeneuve fût grand-mère et Madame de Guibert arrière-grand-mère. » (Histoire de ma vie, troisième partie, chapitre 2, voir ci-dessus note 122). Au moment où Mme deMeinières rédige ce testament, Mme de Guibert, née en 1758, mariée à 17 ans en 1775, a 39 ans, et Mme

de Villeneuve, née en 1776, mariée à 19 ans, en a 20. Quant à la grand-mère, Mme de Courcelles, née en1740 et mariée à 17 ans en 1757, elle est âgée de 57 ans. Le legs fait à la citoyenne Villeneuve est estimé9 francs (inventaire f° 9).

146 Adélaïde-Marie-Louise Titon de Villegenon (1737?-1804 ?) avait hérité de son père le château d’Ognon,près de Senlis en 1758. Veuve de Bernard-Christophe marquis de Bragelongne en 1769, elle s’étaitremariée en 1773 avec le comte Auguste-Charles-René de Chevigné (1737-1805).

147 Histoire d'Angleterre contenant la maison de Tudor , traduite de l'anglais par Madame Belot en 1763, etHistoire d'Angleterre, contenant la maison de Plantagenet , traduite de l'anglais par Madame Belot en1765.L’histoire de la maison des Stuarts avait déjà été traduite en 1760 par l’abbé Prévost. Il n’y a que 17volumes dans l’inventaire, le tout prisé 15 francs (inventaire f° 15).

148 Louis-Sébastien Mercier (1740-1814), auteur dramatique, romancier et journaliste, le célèbre auteur

du Tableau de Paris.

149 Le nom s’écrit Gengemme.

150 En marge : « 300lt ».

151  Hospice du Saint-Nom-de-Jésus  pour les vieillards construit en 1653 par Vincent de Paul dans lefaubourg Saint-Laurent.

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d’argent, qui se trouvera dans une boîte de chagrin152. Je lui dois cette légère marque

de souvenir en reconnaissance des bons offices qu’elle m’a rendus, et de

l’attachement qu’elle m’a témoigné.

J’ajoute aux legs que j’ai faits ci-devant à Victorine Mahé de la Bourdonnaye

toutes mes tabatières sur lesquelles sont des portraits de famille en miniature153,

comme feu Monsieur de Meinières, mon mari ; Madame Durey sa mère ; Madame

Du Dognon sa petite-fille154 ainsi que Madame de la Tour sa nièce155, déjà léguée ci-

devant à la même Victorine, de plus je lui lègue ma tabatière d’or guillochée, et mon

étui d’or à cure-dents156.

Je donne et lègue à Le Grand, ancien valet de chambre de feu mon mari, la

somme une fois payée de cent écus, en numéraire ou valeur égale et réelle157. J’aurois

voulu et pû lui laisser d’avantage s’il avoit voulu rester à mon misérable service

quand il y est rentré, parce qu’alors je n’aurois pas pris une femme pour le remplacer,

et qu’il est juste de récompenser un peu. La disette de pain158 le força de retourner

travailler de son talent, à Paris.

152 « Un (sic) écritoire en chagrin noir garni de son encrier, sa poudrière, et de sa cuvette à éponge enargent » prisé 40 francs (inventaire f° 13).

153 En tout l’inventaire mentionne 5 tabatières sur lesquelles sont des portraits de famille.

154 Marie-Marc (et non Marthe) de Pechpeyroux-Comminges, fille de Louise-Adélaïde Durey de Meinières(1741-1819) et de Charles-Guillaume de Pechpeyroux-Comminges, comte de Guitaut. Elle avait épousé en

1777 Armand de Remond de Montmort, comte du Dognon. Elle est âgée d’une vingtaine d’années.155 Voir note 135.

156 Cette dernière phrase ajoutée d’une autre encre. La tabatière en or guilloché est prisée 160 francs, etl’étui d’or à cure-dents 60 francs (inventaire f° 13).

157 En marge : « 300 ». Un écu vaut 3 livres.

158 La disette de pain perdura jusqu’à 1793 au moins, date de la loi du maximum, qui fixait le prix du blé.

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Je donne et lègue cent francs une fois payés en numéraire ou valeur égale

et réelle à la citoyenne Bertrand, ouvrière à Chaillot, qui a eu soin de mon triste

ménage, quand je me suis trouvée sans domestique159.

J’institue pour exécuteur de mon testament [f°10] le citoyen Le Crosnier 160,

l’un de mes anciens amis, demeurant cloitre St Merry, vis-à-vis les consuls161. Il a

 bien voulu se charger de faire la recette de mes rentes, après la mort du cit. Pointar 162,

et de donner ses soins à la gestion de mon peu de fortune. J’attache à l’exécution de

mes dernières volontés expliquées ci-devant, un legs de douze cents livres une fois

 payées, en numéraire ou valeur égale et réelle, et je donne et lègue à la citoyenne le

Crosnier, son épouse, un huilier d’argent, fait par le fameux Germain, orfèvre du

Roy163, que je la prie d’accepter 164.

Je charge mon exécuteur testamentaire et les personnes qui seront près de moi

quand je mourrai de me faire ouvrir au moins l’estomac, pour me garantir d’être

enterrée vive. J’ay eu cette crainte toute ma vie, et justifiée par trop d’exemples.

Qu’on me permette une réflexion qui se présente à moi, et qui réprimera lasurprise de quelques personnes lorsqu’elles sauront que ma succession excède peut-

159 En marge : « 100 ».

160 Voir note 113.

161 La juridiction consulaire est une sorte de tribunal de commerce composé d’un juge et de quatre consuls.Leur maison était située dans le cloître Saint-Merry.

162

  Claude-Charles Pointard, avocat au Parlement (1745-1795). Ses papiers personnels, conservés auxArchives nationales (26 AP), contiennent de nombreux billets autographes de Mme de Meinières,concernant la gestion de ses biens.

163 Soit Pierre Germain (1647-1684), soit son fils François-Thomas Germain (1726-1791). Cet huilier estmentionné dans la rubrique « argenterie » de l’inventaire et estimé à 179, 90 francs (f° 21).

164  Trois lignes rayées de manière à ce qu’il soit impossible de les lire, avec en marge la mention« J’approuve la rature ci-contre. O. Guichard de Meinières. »

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être ce qu’elles l’avoient appréciées. Elle pourroit être plus considérable, si j’avois

abusé de la fortune de mon mari. Il jouissoit de soixante mille livres de rentes, et moi

 j’en avois deux mille cinq cent, lorsque nous nous unîmes. Si je n’avois rien mis de

mon revenu dans la dépense de sa maison, et j’y mettois douze cent livres ; si j’eusse

souffert qu’il supportât même les frais de mon entretien, comme étant le plus riche

de nous deux, sans comparaison ; si j’eusse placé annuellement mes deux mille cinq

cent livres en papiers royaux, et tiré ainsi les intérêts des intérêts [f° 11] pendant les

vingt années que nous avons vécus ensemble ; si on veut compter encor une seconde

 pension de 1200lt que Louis XV m’avoit accordée165, dont j’ai joui deux ans avant sa

mort, la pension de 1500lt qui m’avoit été donnée par son successeur et quel’assemblée constituante a supprimée166 ; ensuite le petit héritage de feue ma vieille

amie Mlle Pinard de 630lt  de rentes viagères placées sur nos deux têtes, et une

cinquantaine de louis en argent167 ; je pourrois avoir légitimement plus de soixante

mille francs d’économies, que je n’ai pas. La crainte des brigands, auxquels mon

habitation m’expose, et qui m’ont déjà volée trois fois, m’a fait prendre la précaution

de dissimuler autour de moi ce qui me restoit en numéraire, en vaisselle d’argent eten bijoux. J’ay donc crié misère avec exagération, pour me conserver les moyens de

165 Pour sa traduction de l’Histoire d’Angleterre de Hume (voir notes 94 et 147).

166 En 1788, trois ans après la mort de son mari, Louis XVI avait accordé à Madame de Meinières unepension de 1500 livres « en considération des services de son mari, président au Parlement de Paris » (Etatnominatif des pensions sur le trésor royal, tome second, 1790).

167  Marie-Françoise Pinard, décédée le 19 avril 1788 à Chaillot, chez la présidente de Meinières, quil’hébergeait depuis plusieurs années. Comme la vieille dame n’avait aucun parent, ce fut Mme deMeinières qui fut sa légataire universelle (voir le procès-verbal de scellés dressé après sa mort, A.N.,Chaillot Z2 554). Elle hérita en particulier d’un contrat de 630 livres de rentes viagères que Camille-Françoise-Gabrielle d’Hautefort avait placé sur sa tête et celle de Mme de Meinières « dont jouiraitd’abord la demoiselle Pinard, et après son décès la dame de Meinières. » (M.C., II, 631, 31 octobre 1768,minutes de Claude Quatremère).

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faire quelque bien après moi. Si l’on ne m’avoit pas supposée à l’aumône, peut-être

m’y auroit-on mise en effet.

La suppression des pensions dont j’avois joui, le non payement de mondouaire168, le gouvernement s’étant emparé des biens qui en sont grevés, le non

 payement de mes autres revenus qui sont tous sur son grand livre169, m’ont réellement

obligée à des réformes sévères dans mes domestiques, en me réduisant à un seul170,

et dans toutes espèces de dépenses, afin d’entamer le moins possible, la ressource de

mes antiques épargnes. J’ai toujours été occupée du désir de ne pas laisser mes

domestiques sans récompense et les pauvres sans secours. J’espère qu’à la faveur de

toutes les privations que je me suis imposées ; d’après mon grand âge, qui m’annonce

une mort prochaine, d’après la promesse authentique des législatures, de respecter

les propriétés, d’en rendre garante la [f° 12] la loyauté françoise, ce que le

gouvernement me devra, en toute justice le jour de mon décès, et ce qui me restera

de mon mobilier de toute espèce pourront suffire à mes legs particuliers, et donner

une légère marque de mon tendre souvenir à mes jeunes héritiers Gagniare, ci-devant

Joursanvault171.

Fait à Chaillot ce premier nivos (sic) an sixième de la république,

ou 21 X bre 1797, V(ieux). S(tyle).

Octavie Guichard Ve Meinières

168 Voir note 96.

169 Voir note 112.

170 En 1804, elle en avait pourtant deux.

171  En marge : « à Beaune ». L’expression « une légère marque » montre à la fois que Madame deMeinières compte bien qu’il restera quelque chose à ses petits-cousins une fois les créanciers payés, etqu’elle est parfaitement consciente que cet héritage sera modeste.

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Je demande que le citoyen Drugeon notaire fasse mon inventaire, et que le

citoyen Duplessis, huissier priseur, s’il l’est encor, fasse la prisée des effets que je

délaisserai, comme il a fait celle de la succession de Monsieur de Meinières.

Je demande que la citoyenne Michel Foin, une de mes légataires, soit

gardienne du scellé qu’on mettra sur mes d(its). effets172, et à son deffaut, la

citoyenne Regnier, actuellement chez moi. Toutes deux sont honnêtes et vigilantes.

Je demande que le legs que je fais à Charlote Lécuyez, ma domestique, si elle

l’est encor à mon décès, lui soit délivré sur-le-champ, de préférence à tous, parce

qu’elle resteroit dans un extrême besoin sans ce secours. Ses bonnes qualités méritentde l’en garantir.

Octavie Guichard, Ve Meinières

À Chaillot ce vingt-deux décembre mil sept cent quatre-vingt-dix-sept,

ou le deux nivos (sic), an 6e de la république françoise.

J’ajoute au legs ci-devant énoncé celui de deux petite bergères, ou fauteuils àcoussin de plumes couverts de velours d’Utrecht rouge pour que la d e Charlotte

Lecuyez se souvienne de moi assise comme couchée et mette à son aise la chienne

que je laisserai à ses soins après moi. 

Guichard Meinières

[F° 13] Je révoque, j’annule le legs de sept cent francs que j’ai fait, page quatre

de mon présent testament aux administrateurs des frais du culte catholique de la paroisse St Pierre de Chaillot.

172 En marge : « Hélas ! morte avant moi ».

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J’ai nommé ci-devant le citoyen Le Crosnier exécuteur de mon testament, et

 je persiste à lui en confier l’exécution ; mais attendu que ses affaires personnelles,

son bureau, l’éloignement de sa demeure et de la mienne, pourroient ralentir les soins

que mes dernières dispositions exigent, je lui adjoints pour le seconder, l’aider, le

remplacer même, en cas de maladie, le citoyen Boutinot, employé à la tête des

ouvriers de la pompe à feu de Chaillot, et y demeurant. L’estime, la confiance qu’il

mérite et que j’ai pour lui, son activité, son intelligence en affaires, son voisinage des

 pavillons que j’occupe achèvent de me tranquiliser sur l’exécution de mes dernières

volontés, dont son ancien attachement pour moi l’occupera avec zèle. Je voudrois

 pouvoir lui marquer ma reconnoissance par une somme plus considérable que cellede six cents francs effectifs que j’attache aux fonctions dont je le charge ici. Mais les

remboursements que le gouvernement m’a fait, en papiers, de tous mes fonds dont il

disposoit, ont réduits ma mince fortune à mon mobilier.

Je donne et lègue à la citoyenne Boutinot son épouse une petite caffetière

d’argent de deux tasses, en signe de souvenir, et [f° 14] d’amitié pour elle et son

mari. Je demande qu’une copie exacte de mon présent testament soit faite au dépensde ma succession, et donnée au citoyen Boutinot pour le guider.

Fait à Chaillot ce douze nivôse an septième de la république françoise,

Octavie Guichard Ve Meinières173 

J’ajoute aux legs que j’ai cy-devant fait à Charlotte L’Ecuyer deux chaises de

tapisserie de ma première antichambre, tous les ustenciles de cuisine qui y sont aussi, poêle, poilon, écumoire &c. , toute la poterie en terre, les sceaux de bois et le crochet.

173 2 janvier 1799.

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Plus l’armoire vuide qui contient mon linge de lit et de table 174 ; plus quatre paires

de draps de domestiques.

Guichard MeinièresCe 8 frimaire an 8e de la république175 

Je rétablis le legs de sept cent francs que j’ai fait page quatre du présenttestament et révoqué cy-devant page treize. J’entends et je veux qu’il soit exécuté176.

Ce vingt-quatre janvier 1800, ou quatre pluviôse an 8e177.

Guichard de Meinières

Je déclare que la glace, ou miroir, en deux parties posé dans la chambre

 parquetée, ainsi que celle qui est sur la cheminée de la chambre où je couche

appartiennent aux pavillons que j’habite, et que des voleurs surpris y laissèrent.

Toutes les autres sont à moi en propres178, excepté encore les carreaux des portes du

sallon, et le chapitaux qui est dans mon cabinet,

Ce 3 f er 1800.Guichard de Meinières

174 Le mot « vuide » a été ajouté, pour préciser que le legs ne concerne que le meuble et non son contenu.

175 29 novembre 1799.

176 Ce legs, fait en 1797 a été révoqué en 1799. Il est maintenant rétabli en 1800. Nul doute que ceshésitations ne trouvent leur explication dans le plus ou moins de zèle des administrateurs à faire réparerl’église.

177 Ce codicille est écrit après le coup d'État du 18 Brumaire an VIII (9 novembre 1799), qui renverse lerégime du Directoire. Le premier consul Napoléon Bonaparte est maintenant le maître.

178 Voir à l’annexe 1, la liste de ces glaces.

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[F° 15] Je fixe et je réduis le legs que j’ai fait ci-devant en commun à la

citoyenne Michel Foin et à Nanette Régnier, devenu en partie caduc par la mort de

la de Michel Foin, à la somme de cent pistoles, ou mille francs179 une fois payés à la

dame Nanette Régnier, ma légataire survivante, au lieu et place de ma garde-robe et

linge servant à ma personne, que je préfère qui soient vendus, excepté ce que j’en

distrait dans le présent testament pour d’autres dispositions.

Ce 16 juin 1800.

À Chaillot. Guichard de Meinières

Je donne et lègue au citoyen Foin, fils cadet de feue la citoyenne Michel Foin,

cy-devant ma légataire, et à lui seul de sa famille, la somme de mille francs, une fois

 payés.

Fait à Chaillot ce dix aoust 1800.

Octavie Guichard, Ve Meinières.

Je dispense le citoyen Boutinot de l’exécution du présent testament en tout et

en partie. Son changement d’état et d’habitation la rendroit impossible. Je lui

substitue à cet effet, et aux mêmes conditions, le citoyen Sohier, homme de loi, ayant

une maison à Chaillot, qui l’habite quelques jours de chacque semaine, et d’où il

 pourra veiller aux soins que je lui confie ; je regrette de ne pouvoir y attacher une

marque de reconnoissance plus considérable que les six cents francs cy-devant

 promis à l’exécuteur de mes dernières volontés.

Fait à Chaillot ce dix-sept novembre dix-huit cent ;

ou an huitième de la révolution.

179 Une pistole vaut 10 livres.

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O. Guichard de Meinières

[F° 16] Je réduis les legs cy-devant faits à Charlotte L’Ecuyer à la somme, une

fois payée, de trois cent francs180.

À Chaillot ce dix mars 1801.

Octavie Guichard de Meinières

Je donne et lègue à Mademoiselle Thomas, nièce de feu l’abbé Porquet181, mon

ancien ami,  et demeurant à Chaillot, ma perruche, mes serins, leurs cages, leurs

tables, et tous leurs ustenciles.

À Chaillot ce 28 septembre1801.

Octavie Guichard de Meinières

Je donne et lègue à Made Palm182, à présent à mon service, le lit où elle couche

chez moi, l’armoire où j’enferme mon propre linge qui est de bois de noyer ; six

180 Charlotte L’Ecuyer doit avoir quitté le service de Madame de Meinières. Les legs qui lui étaient destinés(les bergères à coussins de velours et la garde de la chienne Rosette) seront transférés à Madame Palmdans le dernier codicille. Voir ci-dessous note 182.

181  L’abbé poète Pierre-Charles-François Porquet (1728-1796), avait été précepteur du chevalier deBoufflers, puis aumônier à la cour de Lunéville. Après la mort de Stanislas il revint à Paris où il fréquentatoute la bonne société. Il a laissé des vers légers publiés en particulier dans l’ Almanach des Muses. Voicicomment Mme de Meinières en parle dans une de ses lettres à François Devaux : « C’est un homme très

aimable […] et très estimable. J’aime fort son commerce » (lettre du 5 janvier 1778).182 Anne Chevillard, épouse Palm, était au service de la présidente de Meinières depuis au moins trois ans(voir l’inventaire après décès de cette dernière, où elle apparaît comme gardienne des scellés et signaleque ses gages ne lui ont pas été payés depuis le mois de prairial an X). Elle était femme d’un capitainebavarois, adjudant du lieutenant-général baron de Wrede, qui commandait trois divisions alliées del’armée napoléonienne (voir  Journal du commerce, de politique et de littérature du département del’Escaut , 10 juillet 1807). C’est la seule des domestiques dont le nom est précédé de « Madame », lesautres étant désignées par leur nom seul, suivi ou non de la mention « femme untel », et quelquefois

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 paires de draps de domestiques ; deux douzaines de serviettes unies ; deux nappes

ouvrées ; quatre petits fauteuils ou bergères de velours d’Utrecht cramoisi ; un grand

fauteuil de damas de la même couleur, six cent francs une fois payés en numéraires,

et ma petite chienne épagneule nommée Rosette183, que je lui recommande instament.

Plus je lui donne un miroir de toilette, qui est dans ma garde-robe et je lui transporte

le legs, ci-dessus fait à Mlle Thomas, de mes oiseaux, peruche et serins184.

Guichard de Meinières,

ce 20 avril 1803

Plus deux robes et jupons d’étofe de soye à son choix. J’ajoute à ces legs celui de la

 petite armoire placée près de celles qui contiennent mes livres, plus la petite table de

marbre, et la petite glace placées près de la porte d’entrée, et ma table de nuit.

Ce 2 mars 1804.

O. Guichard de Meinières

[F° 17] Je donne et lègue à Jeanette Pime actuellement à mon service, si elle y

est encore lorsque je mourrai, le lit où elle couche, et trois cents francs une fois payés.

Je confirme mes précédants testament et codiciles, excepté que je nomme pour

exécuteur de mes dernières volontés Monsieur Drugeon, notaire à Paris avec la

saisine de mes biens.

précédé du mot « citoyenne ». C’est peut-être le signe qu’elle est perçue comme supérieure socialement,même si les circonstances l’ont amenée à servir comme domestique.

183 Souligné dans le texte

184 Il n’y a pas de justification à ce changement. Mlle Thomas est peut-être morte, ou Mme de Meinièresa contre elle quelque grief qu’elle n’indique pas.

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À Chaillot, ce 12 brumaire an treize,

O. Guichard, Veuve Meinières185 

185 Treizième codicille, ajouté le 3 novembre 1804, six mois après la proclamation de l’Empire et 3 moisavant la mort de Mme de Meinières, survenue le 1er ventôse an XIII (20 février 1805).

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[F° 18] État de ma vaisselle d’argent 

Un plat à soupe à anse

Deux plats longs

Deux plats ronds

Deux caisses quarées

Cinq cuillers à ragouts186 

Une petite cuiller à pot

Douze cuillers à caffé, dont six à filets

Une cuisinière dans sa boite doublée de taule187 (?)

Un petit chaudron

Deux petits couverts à œufs frais

Deux petites cocottes

Deux petites assiettes

Un poêlon

Un autre poêlon d’argent placqué

Une petite caffetière

186 Dans l’inventaire de l’argenterie, il ne reste plus que deux cuillers à ragoût.

187 Mot illisible.

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Deux cuillers à sel

Un bougeoir

Un porte huilier

Deux écritoires, l’une dans ma petite table de lit,

l’autre dans sa boîte de chagrin188 

Deux flambeaux ciselés

Douze couverts, dont six avec des armes, et dix à filets

Quatre couverts unis, servant aux domestiques. J’ai donné

le cinquième à Made Michelle Foin

Une fourchette à huîtres

Une bourse de cent jettons

Glaces qui m’appartiennent

Une dans ma chambre vis-à-vis les fenêtres

Une dans mon petit cabinet, et les carreaux de la porte idem

Une dans l’antichambre

Deux dans la pièce parquetée, l’une en face de la fenêtre,

l’autre sur la cheminée

188 Cette écritoire léguée à la citoyenne Casteaux. Voir note 151.

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Deux miroirs de toilettes, dont l’un est fendu. Ce fendu est

donné à Manon Frizon

Les autres glaces sont des pavillons.Tout mon argent, mes assignats et mes bijoux sont dans mon secrétaire, dans mon

cabinet. Ce 8 pluvios (sic) an 2 de la rép189.

189 27 janvier 1794. Ce petit inventaire a donc été dressé avant la rédaction du testament. Sur le côté droitde la feuille, en travers, sont ajoutés ces mots de la main de la testatrice : « J’ai vendu en 1793 six couvertsd’argent, une cuiller à pot, une cuiller à ragoût et cent jettons qui ne se trouveront plus icy. Guichard deMeinières». Entre « icy » et la signature ont été ajoutés après coup les mots « plus six cuillers àcaffé. » Après la signature ont été ajoutés les mots «ni quatre couverts unis que j’ay donnés à Regnier età Manon Frison ». L’ensemble de l’annexe 1 est de la main de Mme de Meinières.

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[F° 19] État des livres que Monsieur de Brunville a remis à

Madame la Présidente de Meinières pour en jouir

pendant sa vie190.

 L’Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné  des sciences et  

des arts.191 

 Le Dictionnaire de l’Académie françoise, in fol. 2 vol.

Paris 1762.

Les Contes192 et les Fables de La Fontaine avec gravures,

 belle édition.193 

Les Œuvres de Voltaire, in-8°, 58 vol.

Les Œuvres de Jean-Jacques Rousseau, in-8°, 14 vol.

J’ai rendu à Monsieur de Brunville tous les volumes de l’Encyclopédie au mois

de mars ou d’avril 1793. La reconnoissance qu’il a de moi ne porte plus que le reste

des autres livres dont il a bien voulu me laisser la jouissance, et qui sont indiqués cy-dessus194.

190 Cette annexe est rédigée d’une main inconnue Le président de Meinières avait vendu l’ensemble de sabibliothèque à François-Antoine de Flandre de Brunville, conseiller au Parlement de Paris, le 8 juin 1775,

soit dix ans avant sa mort survenue le 26 septembre 1785. Voir le catalogue de cette vente au Minutiercentral, LVII, 526.

191 Ajouté de la main de Mme de Meinières : « in fol. 35 vol ».