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La Vie quotidienne. Journal hebdomadaire Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

La Vie Quotidienne 1899

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Two issues, weekly newspaper, French, 1899.

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Page 1: La Vie Quotidienne 1899

La Vie quotidienne. Journal hebdomadaire

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

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La Vie quotidienne. Journal hebdomadaire. 1898/12/11.

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Page 3: La Vie Quotidienne 1899

CE NUMERO CONTIENT UN SUPPLEMENT

PREMIÈREANNÉE. N° 424 Un an, 6 fr. Union postale, 8 fr. Le Numéro, là centimes DiMANcnE41 DÉCEMBRE1890.

LA VIEQUOTIBIENNE

JOURNAL HEBDOMADAIRE : 83 ET 83 dis, BOULEVARD SOULT. PARIS. »

Directeur: GASTON LÈBRE Rédacteur en Chef: GEORGES LABOUCHÈRE.

LA MARCHANDE DE MOURON. Dessin de CORTAZZO.

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LA VIE JUfJ/CIAIRE

LES MŒURS JUDICIAIRES (1)

par M, MBLCOT

Avocatgénéralà la CourdeCassation.

Sans institutions, organes de sa vie, un peuplen'est qu'une poussière d'hommes dont le tourbil-

; lonnement stérile ne peut conduire qu'au néant.

Parmi les plus importantes, les institutions judi-ciaires, chez les nations libres et civilisées, forment

un pouvoir spécial qui, procédant de la puissance

législative par.l'organisation. et du pouvoir exécutif

par le choix des magistrats, à moins qu'il n'émane

de l'élection, leur échappe, dès qu'il est né, pourvivre d'une existence propre dont l'indépendanceabsolue est le caractère essentiel. Dansles conflits

auxquels les intérêts donnent naissance, son rôle

est d'intervenir suivant des règles fixées par la ma-

jorité du peuple ou de ceux qui parlent en son nom;tandis que, dans les diverses branches de l'admi-

nistration, l'œuvre de l'agent aboutit à l'exécution

d'un ordre dontla responsabilité remonte à un chef

suprême, dans l'œuvre des juges et des membres

du ministère public à l'audience il n'y a place pouraucune intervention; libres, d'égale valeur nomi-

nale, dégagées de toute autorité hiérarchique, leurs

décisions peuvent tenir en échec tous les autres

pouvoirs.Comment, dès lors, s'étonner qu'ils aient été si

souvent désignés àl'animadversion publique? Tan-

tôt les gouvernements les croient hostiles, tantôt

les gouvernés leur reprochentleur servilité; chaquefois qu'ils résistent au courant de l'opinion, ils sou-

lèvent 11injure comme une écume et la Calomnie va

chercher soit dans leur vie privée, soit dans je ne

sais quelle perversion professionnelle, le mobile de

leurs arrêts. Fussent-ils infaillibles, que les récri-

minations des plaideurs, les plaintes des condam-

nés, l'irritation des partis qui se heurtent aux lois,la légèreté des jugements portés par le public sur

des données presque toujours inexactes etsouvent

mensongères les feraient accuser d'ignorance ou

de partialité; comment, sujets qu'ils sont aux nri-

sères humaines, pourront-ils résister aux àpretés• delà, critique? Contre les adversaires du dehors

Contre leur propre faiblesse, ils ne trouvent de

ressource que dans leur organisation et leur disci-

pline. 1Le maintien de celle-ci était, dans les anciens

Parlements, l'objet des mercuriales; le mercredide chaque semaine, diebus mercurii quolibet hebdo-made, les Présidents delà Grand'chambre, deuxPrésidents des enquêtes, les avocats du roy et le

Procureur général se réunissaient « pour la réfor-

mation du Parlement, du Chàtelet et autres Cours

sujettes » (registres du Parlement, 26 novembre

1472) « dans le but de s'informer.diligemment entre

, eux si les ordonnances ont été bien gardées, d'en

faire rapport à l'assemblée générale, sans aucune

amitié ou faveur, sans aucune dissimulation et no-

nobstant quelconque prière, amitié ou alliance »..

(Ordonnance de 1493, art. 110.)Ces réunions, dont l'idée était d'emprunter à la

discipline monastique, étaient trop rapprochées;aussi, elles ne sont plus prescrites, dès 1498, quede quinze jours en quinze jours et, en 1549, l'or-

donnance de Villers-Cotterets les rend trimestrielles.Le roi s'en préoccupe personnellement, à en juger

par la mention suivante des registres, à la date du13 novembre 1550 : « M0Jean Bertrand, Premier

Président, a dit que, en prenant congé du roy, illui a commandé de dire à sa Cour, que ayant paixavec les Princes et Potentats, ses voisins, il avait

l'intention de faire une réformation générale sur lefait de sa justice; que, sur de la conscience et

droicture des juges, il s'en reposait sur eux, mais

que la multiplication et longueur des procès étaitvenue à un si grand mal qu'il était besoin qu'il ymit ordre et que ce serait l'honneur de ladite Cour

(1) Discours de rentrée.

de dresser et aviser moyens qui fussent suivis. Et,

pour commencer, ledit sieur Premier Président a

dit que, mercredy prochain, il fallait tenir la mer-

curiale et se réformer; après, on verrait 1i la ré-

formation des autres P.

La règle n'était, toutefois, observée qu'avec quel-

que négligence; le 3 mars 1551, « ainsi que l'on

vôulait. ouvrir les huis pour l'audience et étant jà"MM. les présidents et conseillers montés aux hauts

sièges, sont venus les gens du roy et a été dit

par M0Pierre Séguier, avocat du roy, qu'il y. avait

trois mois passés que lamercuriale n'avaitété tenue;à ces causes, pour leur devoir, requérait que la

Cour avisàt de la tenir ».Le Parlement ne se résignait que difficilement à

cette correction mutuelle; soit qu'elle eùt des in-

convénients au point de vue de la concorde, soit

que les précautions oratoires des gens du roi ne

parvinssent pas à faire disparaître ce que leur sur-

veillance et" leurs observations avaient de pénible,il en demanda la suppression par des lettres de re-montrances auxquelles le Garde des Sceaux ré-

pondit, le 15 septembre 1551 : « Je vous assure

que je l'ai remontré au roy, lui donnant à entendrela raison pour laquelle vous étiez mus à ce faire-,ledit seigneur ne l'a point trouvé bon et ne veut

point que ledit article soit distrait, disant que cene peut être que chose honnête et prise du peupleen bonne part, mesmement gens de sçavoir et en-

tendement, que Explorare et scrulare seipsum et

que toute bonne réformatiofi doit commencer auchef ».

Le Parlement persistait dans son inertie : les

gens du roi requéraient, mais, quelquefois, sans

succès; ils n'obtenaient, certaines années, que desrenvois successifs. Le 18 juillet 1558, lé roi, dans

une lettre, se plaint de cette négligence; le 7 sep-tembre 1560 , c'est le Chancelier de l'Hospital quivient, en personne, rappeler les magistrats à leurdevoir: «Ala véi-ité,il cuide que l'hitermission desmercuriales soit un grand mal et serait bon de lescontinuer. Il ne faut pas prendre ce qui est proposépar les gens du roy ou autres comme dit d'un cœur

ennemy, les fautes étant les uns des autres remon-

trées; sçait qu'il y a en ladite Cour des empêche-ments; y a été conseiller et a failly comme les au-

tres; et, étant homme, faillira en tous états; a vu

que, quand il était question de rapporter un procès,

pour avoir un écu, chacun y était', mais quand il«

était question d'une affaire publique, personne n'yvoulait venir; il ne faut pas grand tempsà la mer-

curiale; né sçaurait assez dire qu'il n'y a affaire sipressée que celle-là". Trois ans plus tard, il vientencore au Parlement, prier que la mercuriale soitfaite.

L'ordonnance de Moulins, article 3, reproduit les

prescriptions antérieures et, le 7 juillet 1558, leParlement arrête qu'indépendamment des mercu-riales trimestrielles de huit en huit jours ou de quin-zaine en quinzaine, les présidents s'assembleront« pour sçavoir s'il y a plainte contre aucuns et y« pourvoir, et que, pour les fautes légères, la ré-e préhension se fasse par les présidents, soit par« mulets de gages ou petite correction, en présence« des conseillers de la Chambre». Cet excès dezèle avait pour but de se soustraire à l'ordonnanceen paraissant y obéir; les présidents sveuls, à l'ex-clusion des gens du roi, dont on ne parle pas, pren-dront part à ces réunions hebdomadaires qui ren-dront inutiles et feront négliger les mercuriales ré-glementaires. Aussi, le 19 juin 1577, le procureurgénéral se plaint de ce qu'elles n'ont été, depuisquatorze ou quinze ans, que fort rarement faites àla face du Parlement.

C'est en vainque, pour vaincre cette résistance,l'ordonnance de Blois n'exigeant plus que des mer-curiales semestrielles, déclare nuls les jugementsrendus avant l'accomplissement régulier de cette

formalité ; de 1579 à 1638, nous ne trouvons queneuf mercuriales, et, le 13 décembre 1638, c'est

par une Lettre de cachet que le roi enjoint, une foisde plus, de'les tenir : « Nos amés et féaux,.vous

sçavez que c'est par la Justice que les rois règnent.

C'est pour cela que les rois nos prédécesseurs vous Il'ont donnée en dépôt. ; maisil ne suffit pas à un I

juge d'être exact et droicturier, il doit l'exemple au Ipublic, et que la conduite de sa vie serve de règle Iaux autres.; ils ont assujéti leurs officiers aux B

mercuriales, afin que la vanité d'être blâmés et I

repris les retint en leur devoir. Nous n'avons H

point trouvé de voie plus sûre que de remettre en Bpratique une ordonnancesi sainte que celle-là. Si, Bn'y faites faute,-cartel est notre plaisir. Signé: Louis,

Het. ulus bas: DELOMÉNIÈ.» H

* Malgré toutes ces i nstances, nous netrou vons dans Bles registres du Parlement qu'une quarantaine de Bmercuriales de 1472 à 1742. Cette dernière année, B

le dérangementet la mauvaise conduite de plusieursjeunes conseillers occasionnèrent la mercuriale Bdu 28 août et l'adoption d'un nouveau règlement. BEn outre le Premier Président Le Peletier crut de- Bvoir instruire le Chancelier du scandale que plu- Bsieurs de ces jeunes conseillera venaient de causer Bdans la compagnie, et dans le public, par leur vie B

déréglée, par un trafic non seulement indigne de la B

magistrature, « mais encore d'un particulier qui Bfait profession d'homme de bien» en achetant chez Bdes marchands, à crédit, toutes sortes de marchan- Bdises à des prix exorbitants, qu'ils revendaient Bensuite aux trois quarts de perte, dans la vue de Bse procurer les moyens d'entretenir leur vie déré- B

glée; trafic- qui avait occasionné contre eux des Isentences de prises de corps. 11 lut décidé que ces Iconseillers remettraient leur .démission entre le!i- Imains du Premier Président, ce qui fut exécuté; I

parmi eux se trouvaient : Porlier de Rubel, Parisde Mézieux. Fermé et de La Live. Le sieur Dubois

d'Anizy était dans la même situation, mais les sol-licitations de son père, l'un des Présidents de la

première des Requêtes du Palais, obtinrent son

pardon, sous condition qu'il serait un an sans pa-raître au Palais et que, pendant ce temps, il tien-drait une conduite capable d'effacer les mauvaisesimpressions qu'il avait données. Il passa ce tempsà une terre de son père, nommée Pinon.

Toutes les mercuriales n'aboutissaient pas à desemblables mesures; on s'y bornait, d'ordinaire, à

rappeler les ordonnances, à signaler, sans nommer

personne, les infractions commises; ces observa-tions peuvent se ramener à trois points: les épiceset vacations, les mœurs intérieures, les mœurs ex-térieures. Il suffira, en ce qui concerne le premier,de rappeler les paroles de l'avocat du roi Doucherat.,le 20 novembre 1560 : « Les épices desquelles en-tendent dire, ce qu'ils ne veulent croire, qu'ellesmontent beaucoup plus, et de combien, dicere non

audenl, qu'elles ne soûlaient au passé; qu'ils ontété avertis que MM. les Présidents des Enquêtesprenaient deux écus par chacune vacation, commeMM. les Présidents de la Cour et qu'aucuns d'eux

prenaient, aucune fois, un écupour vacquer, depuisdix heures, àla revision et signature des diçtums ».La Chambre de la Tournelle répond ttqu'il y a lieude surseoir jusqu'à l'arrivée du sieur de Jouy, con-seiller et président des Enquêtes, attendu qu'il estmalade aux champs, et quant au surplus qu'il ne:l'est point fait et ne se fera », ce qui n'empêchepas le Procureur général de se plaindre, en 1577,de ce qu'il entend dire « encore qu'il croie quec'est à tort, que les épices sont triplées depuisquelque temps ».

Quant aux mœurs intérieures, Oh recommandait

l'exactitude, le secret des délibérations, la modéra-tion et la brièveté dans le vote « iinusquisque di-cal breviter sententiam, et qu'ils soient assis ». Lesunes rappellent l'article 5 de l'ordonnancede 1493;« Comme souvent advient que nos conseillers s'oc-

cupent à lire des requestes qui leur sont baillées et

rapportées, faire dictums, écrire lettres, et lesaulres lire registres et autres choses non concer-nant les procès et matières mises en délibération,nous déffendons que, durant lesdites expéditions,nos dits conseillers ne s'occupent des choses des-

* sus dictes ne autres qui les pourraient empescherà entièrement entendre les mérites desdits procèset affaires, sur peine de perdition de leurs gages,

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à tel temps que la Cour verra estre à faire sur ceux

qui seront coutumiers de ce faire «.

Les autres invitent au respect des Présidents et

des anciens: « Quant à MM. les Présidents, dit le

Procureur général, en 1577, ils sont principalementétablis pour tenir la main à la direction de la jus-tice; les ordonnances enjoignent très expressémentde leur porter honneur et révérence; néanElOins,l'on dit que cela ne se fait comme il appartient et

comme il se faisait par le passé ; que s'est vu, il n'ya pas longtemps, qu'on portait plus honneur aux

anciens conseillers qu'aucuns, même des plus

jeunes, ne portent à MM. les Présidents ; même il

y en a qui oubliant la modestie et honneur qu'ilsdoivent, usent bien souvent de paroles indécentes,ii-i-évérendes et de mauvais exemple. Anciennement,

quand MM. les Présidents entraient aux Chambres,tous les conseillers se levaient et demeuraient dé-

couverts, debout, jusqu'à ce qu'ils étaient en leur

place; cette façon de faire était honorable aux unset aux autres, car l'honneur qui est dû à MM. lesPrésidents est accompagné de beaucoup de peineet de travail s'i ls veulent bien faire leur devoir.Et quant à Messieurs qui sont encore jeunes, nonseulement ils doivent porter révérence à MM. les

Présidents, mais aussi honorer les plus anciens

conseillers; c'est un des vices de la jeunesse qu'ellesemble être résolue en toute chose, ne mettantrien en doute et en difficulté », et il termine parces paroles dont la solennité qui nous réunit jus-tifie la citation: «La Cour sçait que l'ouverture du

Parlement, le lendemain dela Saint-Martin, est undes actes lequel se fait avec le plus de solennité etoù chacun se doit efforcer de se trouver pour com-mencer le travail de son année par l'invocation dunom de Dieu et tesmoigner le dessein que l'on a de

s'acquitter sérieusement et honnêtement de sa

charge. Ces années, Messieurs y ont été fréquents,mais afin que l'on estime à l'avenir que cela pro-cède de ce que l'on n'osait lors se tenir aux champspour craindre du danger, même s'est vu que au-cuns étant à la ville n'y ont daigné venir, supplie laCour qu'auparavant aller à la messe, le tableau soitlu et que nulle excuse reçue que pour cause de ma-ladieet encore qu'elle soit certifiée et que les gages,tous les mois de novembre, de ceux qui ne se trou-

veront, encore qu'ils vinssent incontinent après la

Saint-Martin, seront donnés aux pauvres de la Con-

ciergerie. »

Les mœursextérieures sont l'objet d'une préoc-cupation constante; tantum valent eclicla quam vila

judicum : telle est la maxime, élevée au rangd'axiôme, dont s'inspire toute cette partie dela dis-

cipline. Le 22avril 1587, l'avocatduroid'Espeyssess'exprime ainsi: « A la même sincérité regarde ladécence des habits et la gravité dont nous devonsuser en public, évitant d'être vus trop communé-ment ès lieux de liberté et dissolutions publiques,comme en jeux de paume, foires et comédies. Le-viuscula ista, dicet aliquis; sic iict, sed parva haecnon negligendo, majoresnoslri aparva Rampublicammagnam jacerunt; quantautre mal n'en adviendrait,

j, telles indécences nous font moins respecter et, àcause de nous, la justice, principalement par lemenu peuple qui juge les choses par l'extérieur ».Aussi, au cours des deux siècles qui s'écoulententre 1525 et 1742, trouvons-nous dans les regis-tres du Parlement près de quarante discours ouarrêtés relatifs au genre de vie des magistrats.

Le2 mai 1525, on s'occupe « des superfluitésdes états, dépense de bouche, chevaux, harnois etaccoutrances des hommes et femmes» ; on décid'ed'avertir les membres de la Cour, de la Chambredes comptes, les généraux de la justice et des mon-naies, le Prévost de Paris, ses lieutenants civils etcriminels et autres officiers du Chàtelet, ainsi queles chapitres et collèges de cette ville, « qu'ils aientà se conduire en habits honnêtes et non dissolus,sans porter aucun drap de soie; qu'ils évitent les

superfluités de dépense et que chacun se réduise

à la mode ancienne, et que les maris le remontrentà leurs femmes et que, si elles ne le veulent faire,qu'ils les y contraignent ».

Le 9 juillet 1557, le Procureur général Bourdin

requiert qu'il plaise à la Cour admonester les con-seillers de garder leur modestie es habits et che-

veux, sans se déguiser.Le 1" décembre 1563, M0Jean-Baptiste Dumes-

nil, avocat du roy, propose les articles suivants :« 1° que, par remontrance générale, soient avertiset admonestés aucuns de Messieurs de ne se com-mettre si souvent et si vulgairement au public etaux compagnies et jeux déréglés et licencieux,mesmeen habillements indécents comme manteauxet chapeaux d'étrange façon, malséants à personnesattachées à la toque. ; 20 aussi se gardent de scan-dale public que leur font les créanciers, prises de

corps, censures et exécutions. »

Un troisième article concernait la vie la plus in-time et le scandale que donnaient particulièrement,paraît-il, des conseillers ecclésiastiques.

Par délibération du 15 juillet 1568, au milieu deschaleurs de l'été, on défend aux magistrats d'alleren coche découvert par la ville, si ce n'est pour serendre aux champs.

Le 7 février 1571, une grande émotion se pro-duit « sur ce que les gens du roy ont dit que, hier,des demoiselles avaient dit que furent un grandnombre de conseillers de céans, à la foire Saint-

Germain, en habit et chapeaux indécents à leurs

états, à la vue du roy, qui aurait dit qu'il leur fal-lait bailler des coups d'éperon »; et à l'instant, on

enjoint à McsCharles de Dormans et Jacques de Va-

rade, conseillers, d'aller inviter les Chambres des

Enquêtes à informer. Si la foire Saint-Germain res-semblait déjà à la description qu'èn a fait, plus tard,Scarron, on conçoitla colère du roy et l'émotion duParlement. - - - --

Le discours du Procureur général, a la date du19 juin 1577, nous dépeint les magistrats sous un

aspect assez pittoresque : « Aucuns de Messieurs

prennent tel plaisir à se déguiser qu'ils font mé-

lange d'habits de solliciteurs, gentilshommes et sol-dats tout ensemble, portant petits chapeaux de ve-

lours, pourpoints et casaques découpés, chaussesfaites à la gréguesque pendantes jusqu'au dessousdes genoux et, dessus, une petite robe coupée auxmanches et, en cet habit seprésentent en tous lieux

publics comme en festins, banquets, noces et, quipis est, aux églises. Il y en a qui ne font point dedifficultés de venir au Palais,'portant seulementsous leur robe un pourpoint de taffetas ou de satinbien découpé et des chausses de velours à la gré-guesque coupées aux genoux; d'autres, après êtresortis du Palais, portent des manteaux et capes ;et il y en a aucuns qui, depuis quelque temps, onttrouvé une autre sorte d'habits qu'ils appellent à la

Cardinalesque et ne font difficulté de se promenerpubliquement en cet habit, etmesmeaucuns d'iceuxse tiennent ordinairement aux comédies qu'on joueen cette ville et autres jeux publics. Ce désordre

ayant commencé aux magistrats, serpil per omîteshommes et omnes gradus; et de fait, à cet exemple,la pluspart des avocats et procureurs et huissiers

portent des chapeaux dans le Palais. »-. Il se plaint, plus loin, de la continuelle fréquen-tation avec toutes sortes de gens et même bien

souvent avec les parties: « Il y en a qui ne fontaucune difficulté de se promener, aux jours d'au-

dience, aux passages par où l'on va de la Grand'-

Chambre à la Tournelle; les autres s'arrêtent à la

'boutique des merciers, les autres aux bancs des

procureurs, parlant avec hommes et femmes. »

La fréquentation des personnes de toutes quali-tés cum quibus ex œquali conversaiione maximaparsdignitalis (eniiiiatur, voilà l'écueil qui est constam-ment signalé: « Cela engendre de grands soupçonsaux parties et leur donne quelque occasion de douter

de la sincérité et conscience de ceux qui se rendentainsi communicatifs; il y a des seigneurs qui nefont point de difficulté de promettre d'en pouvoirdisposer et en fournir, car ainsi parlent-ils, encore

que je m'assure que c'est sans occasion. »

Quelles sont ces personnes de toutes qualités qu'ilest interdit de fréquenter? La mercuriale du 22 avril1587 le précise dans son article 8: « S'abstiendront

aussi de fréquenter trop librement et familièrement

diverses sortes de personnes de professions diffé-rentes à la nôtreet-quine nous touchent de pàrenténi d'alliance. »

Malgré les précautions prises pour maintenir les

magistrats dans l'éloignement de tout ce qui ne -rentrait pas dans les habitudes traditionnelles, unelente transformation s'opérait. C'est en.vain que, lo11 mars 1609, on les invite à arrêter, par l'exemplede leur frugalité et modestie, la course précipitéeau luxe; qu'on maintient l'obligation de la jupelongue et de la robe, à peine d'interdiction du Pa-lais pour six mois; qu'il leur est défendu, le 8 jan-vier 1614, de venir ni retourner avec manteaux etde prendre leur robe aux galeries et boutiques des

merciers; que, en 1630, on prohibe encore les

jeux, les festins et les lieux publics en prescrivant,une fois de plus, la soutane et le chaperon *,*que,le 29 janvier 1658, ils se voient défendre les habitset rubans de couleurs; après une lutte de plus dedeux siècles, les novateurs devaient triompher :un édit de 1684, rendu à la suite d'une mercurialedu mois d'avril de la même année, autorise « le

port des habits noirs, avec manteaux et collets »;la robe fermée n'était plus imposée que dans l'exer-cice des fonctions, les assemblées publiques, pouraller au Palais et en revenir; la liberté du costume,à propos de laquelle s'agitait, en réalité, la ques-tion du caractère et de l'esprit de la magistrature,du respect qu'elle inspirerait, de l'autorité de ses

décisions, avaient définitivement gain de cause etcette conquête était confirmée par le règlement de1742. -.

Pendant plusieurs siècles, soumis aune disciplinesévère, séparé des autres classes avec une1vigilanceinquiète, bénéficiant de l'éloignement qui, par uneffet de perspective, efface les détails pour dessiner

les grandes lignes, le Parlement avait gardé, dans

son rôle judiciaire, le prestige d'un majestueux iso-

lement, tandis que, dans son rôle politique, oppo-sant parfois aux injonctions cW roi une héroïquerésistance, il apparaissait au peuple avec une au-réole dont s'enorgueillit encore notre histoire.

C'est bien aux mercuriales qu'a été dû, pendantce temps, le maintien de la discipline; « leuraban-

don, disait le Procureur général, est une des prin-cipales occasions du déchet de la grandeur et au-torité de cette Cour, attribuée à la dissolution del'ancienne et sévère discipline, et cette compagniene fut jamais plus vénérée, louée et estimée quelorsqu'elles étaient fréquentes. »

Quelques années plus tard, dès la fin du XVI0 siè-

cle, l'ère des vraies mercuriales était close; on les

remplaçait par des discours d'apparat où, dans un

style à la fois emphatique et nerveux, l'orateur dé-

ployait toutes ses connaissances. Le premier exem-

ple s'en trouve dans les cinq remonstrances pro-noncées de 1589 à 1592, à la rentrée de Pâquesou à celle de novembre, par l'avocat du roy, Loysd'Orléans, sur le Jardin de Justice, le Temple de

Justice, l'Or de Justice, le Chandelier de Justice etle Mercure de Justice; les phrases y sont substi-tuées aux faits, l'éloge des vertus à la critique des

défauts, l'amplification oratoire à la vérité. Quepouvait valoir, au point de vue de la discipline un

langage.comme celui que je,vais citer: «Mais vousme direz: à ouel suiet le discours de ces iardinset à quel propos sur les remonstrances de ce jo\jr?Y a-t-il quelque proportion entre les jardins et lesfonctions des advocatset procureurs? Y a-t-il quel-que proportion entre les parterres et le ministèrede l'Equité? C'est que je veux aujourd'hui vous con-duire dans les vergers de la justice de France et,vous promenant par les délicieuses allées de ces

jardins, vous montrer que la justice n'est qu'unplaisant et agréable verger où Dieu se promène ».

Ce Loys d'Orléans, avocat, poète, écrivain satyri-que, était l'un des ligueurs les plus fougueux,lorsque le duc de Mayenne lui fit avoir la charged'avocat du roi: les menées politiques avaient fait,sa fortune, ce qui rend plus piquant ce passage desa quatrième remontrance : « Mais il y en a quiont une hautesse de cœur vitieuse, voire très per-

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nicieuse et dommageable au public. Ce sont ceux

qui, par ambitieuse prétentions, veulent monter

aux honneurs et qui, pour y parvenir, remuent

cette ville, pratiquent les plus frétillants et moins

quiètes, se bandent contre le Parlement, cons-

pirent contre cette lumière de justice et font des

plaies très profondes à la ville. Ceux-là ressem-

blent les vipères qui rongent le ventre de leurmère, afin qu'elle les enfante en honneur, commedit Saint-Bernard ».

A l'entrée d'Henri IV dans. Paris, il était exilé

et ne pouvait revenir qu'en 1604. >Ne trouvons-nous pas là le style précurseur des

pompeuses harangues de d'Aguesseau.Aujourd'hui, nous n'avons plus de mercuriales :

ce qui porte ce nom n'est partout qu'une statis-

tique des affaires; la tentative faite, au commence-

ment de ce siècle, pour établir le costume de ville,n'a pas réussi; en dehors de l'audience, rien ne

nous distingue; le droit auxhabits noirs, objet d'une

si longue lutte, est d'un usage de moins en moins

fréquent, et dansle portdes cheveux ou de la barbe

peut se manifester toute notre liberté.Sans doute, les magistrats ne peuvent pren-

dre pour modèle la vie de leurs-prédécesseurs aux

XVe, XVIe et XVlIe siècles; même réduit à l'aller.

et au retour du Palais, l'emploi dé la robe ne serait

pas sans quelque inconvénient; l'interdiction de

paraître aux spectacles et dans les lieux publics

risquerait de refroidir plus d'une vocation judi-ciaire; mais les habitudes nouvelles, quelque légi-times qu'elles soient, ne doivent être. acceptées =

qu'avec modération et prudence; elles imposentdes devoirs qu'il faut soigneusement observer. De-

mandons-nous; à ce point de vue, si l'on ne ren-

contre pas des magistrats en relations fréquentesavec des personnes dont la condition morale les

devrait éloigner; on nous reprochait, autrefois, une

morgue insupportable, ne semble-t-il pas main-

tenant que certains, confondant avec la simplicitéce qui n'en estque l'affectation, oublient et fassent

oublier leur caractère? Se tiennent-ils suffisammentà l'écart des détenteurs de la fortune etdu pouvoir,ceux-là mêmes qui ont succédé aux seigneurs qui,vers 1-577, promettaient de disposer des juges?. ;

Leur genre de -vie est-il assez discret? ne donné-

t-il pas à craindre que de la similitude des plaisirs,

le. public ne déduise la ressemblance de l'humeur?

Comprendra-t-il qu'en montant à son siège le ma-

gistrat qu'il croit connaître prend une personnaliténouvelle dans laquelle le caractère de l'homme est

modifié par celui de la fonction? Ne sera-t-il, pastenté de chercher dans l'amer plaisir d'un dénigre-ment qui lui.est rendu facile un dédommagement,à l'autorité qu'il, est obligé de subir?

Les faits se chargent de répondre: jamais la ma-

gistrature n'a été plus attaquée que depuis qu'elles'est rapprochée des mœurs et des idées nou-

velles; c'est au moment même où elle a cessé de

se recruter dans les classer privilégiées, pour

prendre des allures démocratiques, que la démo-

cratie lui adresse les plus violents reproches. Je

sais que le désintéressement de ses membres est

universellement reconnu; que, maîtres dans leurs

arrêts des intérêts les plus considérables, conser-

vant, toutefois, un genre de vie modeste au milieu

des effronteries du luxe et de la vanité, ils sont

dignes du respect des honnêtes gens et n'ont pasbesoin de l'estime des autres. A Dieu donc ne plaise

que j'entreprenne leur défense, outre que je ne puis,

prétendre ici à la liberté du style apologétique, jen'ai pas qualité pour aspirer à un si grand honneur,c'estassez de m'acquitter de mon devoir, sans tenter

de remplir celui d'un autre; mais ne' suis-je pas con-

traint par mon sujet même à m'expliquer sur uneaccusation qui est devenue le prétexte de toutes les

attaques? ,Alors que, dans les autres états, l'ambition est

presque regardée comme un devoir, il semble.que,chez les magistrats, le désir d'être appelé à un poste

plus élevé soit à peine avouable; on s'alarme à la pen-sée que leur conscience puisse être faussée par une

vue d'intérêt particulier; en eux l'ambition,« sœur

aînée de toutes les passions » (La Rochefoucauld),paraît par-dessus tout dangereuse ; « les cœurs am-bitieux ne s'attendrissent jamais» (La Harpe), etnous savons qu'il n'y a pas de justice sanspitié etsans bonté; « l'ambition a autant de maîtres qu'il ya do. gens utiles à sa fortune » (La Bruyère), et l'in-

dépendance est la condition primordiale de la jus-tice. Cette indépendance, l'inamovibilité la protège,mais que deviendra-t-elle avec le souci de l'avan-cement? Si les gouvernements ne s'abaissent pas àpeser sur les décisions judiciaires , les partis, n'ont

pas les mêmes scrupules : par les mille voix de la

presse, ils élucident ou obscurcissent une affaire,sollicitent ou gourmandent le magistrat, jugentavant lui, l'outragent ou le louent au nom de la jus-tice telle quela conçoit leur passion ; leurs représen-tants sont ou seront, un jour, au pouvoir: si le

magistrat est ambitieux restera-t-il inaccessible àl'espoir ou à la crainte?

Aussi, à chaquepas dans sa carrière, est-il l'objetd'un examen inquiet, surtout si l'avancement ne

s'explique ni parla durée des services, ni par l'éclatdu talent; on se demande alors s'il n'est pas du àdes sollicitations tenaces, à des recommandations

intéressées qui transforment en débiteur celui quisera appelé à juger demain : préoccupation légitime,pourvu qu'elle ne s'étende pas des individus à l'ins-titution elle-même.

S'il ya dans ses rangs des hommes qui convoitentdes postes auxquels personne ne leur reconnaît dedroits, à qui l'on est tenté de rappeler le vers de*Claudien : Il Principibus placuùse vtris non ultimalaits est », il faut reconnaître qu'ils sont en petitnombre et il serait injuste de faire rejaillir sur lesautres une défaveur que, seuls, ils doivent encourir.

Pour quelques magistrats qui essaient de rappe-ler à un Garde des Sceaux, parfois éphémère, leurnom enseveli dans la poussière des cartons, com-bien y en a-t-il qui ne connaissent la chancellerie

que de nom et jamais ne lui ont rien demandé f Seconformant à la parole de Socrate, quand il répon-dait à Griton: « La Patrie est plus que ton père outa mère, et quelque violence ou injustice qu'ellenous fasse, nous devons les subir sans chercher à

y échapper », ils ne se demandent ni pourquoi onles oublie, ni si on les relèvera jamais du poste oùils ont, un jour, été placés; les succès de ceux quiles laissent en arrière ne leur causent ni envie niamertume et, dans la simplicité de leur àme, ilsles attribuent à un mérite sans cesse grandissant.A ces honnêtes magistrats, à ces sages, ne doit-on

pas un hommage de sympathie et de respect?-Quant à ceux qui, sans être en proie à une am-

bition illégitime, compromettraient parfois leur ca-ractère par d'indiscrètes démarches, n'y a-t-il paspour eux plus d'une excuse? Dès l'entrée dans la

carrière, leur situation est difficile: àgés d'au moinsvingt-cinq ans, ils ont à subir une attente moyennede cinq années dans les fonctions de juge suppléant;pourtant, ni leur rôle ni leur àge ne justifient un

pareil surnumérariat : s'ils sont capables, que neles nomme-t-on juges titulaires? S'ils n'ont pas en-core la valeur nécessaire, pourquoi leur permettrede juger? Cet état de choses qui, d'exceptionnel estdevenu général, par suite de considérations budgé-taires sans iriiportance quand il s'agit de l'organisa-tion judiciaire, correspond-il à une conception suf-fisamment élevée de la mission du jugNe?Ne cons-titue-t-il pas un privilège pour ceux qui-sont favori-sés des dons de la fortune? N'est-il pas un obstacleà un bon recrutement, puisqu'il laisse encombrerles avenues,. au détriment des jeunes avocats qui,ayant fait leurs preuves, ont conscience de leurvaleur?----- ---

Si les juges suppléants étaient, du moins, certainsd'être nommés à leur tour et dene pas languirpluslongtemps dans les travaux ignorés ou de mono-

tones. loisirs! Mais les propositions faites en leurfaveur sont-elles régulièrement suivies d'effet? N'é-chouent-elles jamais devant des influences pres-santés? Çommenten vouloir à ceux qui, découragés,recourent à des protections étrangères à la magis-trature? Ce n'est pas à eux que l'on doit s'en prendre

si, dès le début, alors qu'on devrait développer en Ieux le sentiment de la dignité professionnelle, la Iforce des choses les réduit au rôle de solliciteurs Iet de protégés qui, plus tard, risque de leur paraître

Iencore un heureux expédient. HAu cours de leur carrière, qui, à raison même de I

ces interventions étrangères, devient de plus en Iplus difficile, les magistrats rencontrent-ils toujours Hchez leurs chefs l'énergie qui maintient le bon ordre Bdans un ressort, l'esprit de justice qui inspire le Bmépris de l'intrigue, le dévouement généreux qui Bfait naître, chez les auxiliaires, la confiance et la Btranquilité? B

Telles sont les questions qui se posent lorsque Bl'on se préoccupe des mœurs judiciaires, et la ré- B

ponse qui y sera faite nous révélera le mal auquel Bil fautremédieren faisant appelà tousles concours: Bc'est aux Chambres, par des modifications organi- Bques; aux Gardes des Sceaux, par le dédain des Brecommandations politiques; aux chefs de ressort, Bpar une infa tigàble sollicitude;" aux magistrats eux- Bmêmes, par un redoublement d'abnégation, par Bl'éloignement de tout ce qui ressemble à l'habileté, Bqu'il appartient de faire disparaître, dans un cons- Btant effort, les taches qui peuvent ternir l'œuvre Bde justice, sans l'accomplissement régulier et res- Bpecté de laquelle il ne peut y avoir ni solidité pour Bla Uépublique, ni sécurité pour les .citoyens. B

LA VIE EN VOYAGE B

JERUSALEM

par CHATEAUBRIAND

SUITE

La secte chrétienne.des Arméniens est en possession dela nef que je viens de décrire. Cette nef est séparée destrois autres branchesde la croix par un mur, de sorte quel'église n'a plus d'unité. Quand vous avez passé ce mur-vous vous trouvez en face du sanctuaire oudu chœur, quioccupe le haut de la croix. Ce chœur est élevéde trois dexgrés au-dessus de la nef. Ony voit-un autel dédié aueMages. Sur le pavé, au bas de cet autel, on remarque uneétoile de marbre: la tradition veut que cette étoile corres-ponde au point du ciel où s'arrêta 1étoile miraculeuse quiconduisit les trois rois. Ce qu'il y a de. certain, c'est quel'endroit où naquit le Sauveur du monde se trouve perpen-diculairement au-dessous de cette étoile de marbre, dansl'église souterraine de la Crèche. Je parlerai de celle-cidansun moment. Les Grecs occupent le sanctuaire des Mages,ainsi que les deux autres nefs forméespar les deux extré-mités de la traverse de la croix. Ces deux dernières nefssont vides et sans autels.

Deux escaliers tournants, composés chacun de quinze de-grés, s'ouvrent aux deux côtés du chœur de l'église exté-rieure, et descendentA l'église souterraine, placée sous cechœur. Celle-ci est le lieu à jamais révéré de la nativité duSauveur. Avant d'y entrer, le supérieur me mit un ciergeà la main et me fit une courte exhortation. Cette saintegrotte est irrégulière, parce qu'elle occupe l'emplacement,irrégulier de l'étable et de la crèche. Elle a trente-septpieds et demi de long, onze,pieds trois pouces de large, etneufs pieds da haut. Elle est taillée dans le roc: les paroisde ce roc sont revêtues de marbre, et le pavé de la grotteest également d'un marbre précieux. Ces embellissementssont attribués à sainte Hélène. L'église ne tire aucun jourdu dehors, et n'est éclairée que par la lumière de trente-deux lampes envoyéespar différentsprinceschrétiens. Toutau fond de la grotte, du côté de l'orient, est la place où laVierge enfanta le Rédempteur des hommes. Cette placeest marquée par un marbre blanc incrusté de

iaspeet en-

touré d'un cercled'argent, radié en forme de soleil. On litces mots alentour:

1IICDEVIRGINEMARIAJESUSCHRISTUSNATYSEST.

Une table demarbre, qui sert d'autel, est appuyée contrele rocher, et s'élève-au-dessus de l'éndroit où le Messievint'à la lumière. Cet autel est éclairé par trois lampes,dont la plus belle a été donnée par Louis XIII.

A sept pas de là, vers le midi, après avoir passé l'entreed un des escali(,d'un des escaliers qui montent.à 1église supérieure, voustrouvez la crèche. On y descend par deux degrés, car ellen'est pas de niveau avec.le reste. de la,grotte. C'est unevoûte peu élevée, enfoncée dans le rocher. Un bloc demarbre blanc, exhaussé d'un pied au-dessus du sol, etcreusé en forme de berceau, indique l'endroit même où leSouverain du ciel fut couché sur la paille.

« Joseph partit aussi de la ville de Nazareth qui est enGalilée, et vint en Judée à la ville de David, appeléeBethléem,parce qu'il était de la maison et de la famille deDavid.

'< Pour se faire enregistrer avec Marie son épouse, quiétait-grosse.

« Pendant qu'ils étaient en ce'lieu, il"arrivaque le tempsauquel,elle-devait accoucher s'accomplit;

« Et elle enfanta son fils premier-né, et l'ayant emmail-roté elle le coucha dans une crèche, 'parce qu'il n'y avaitpoint de place pour eux dans l'hôtellerie. »

A deux pas, vis-à-vis la crèche, est un autel- qui occupela place où Marie était assise lorsqu'elle présenta l'enfantdes douleurs aux adorations des Mages.

« Jésus étant donc né dans Bethléem, ville dela tribu

Page 7: La Vie Quotidienne 1899

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de Juda, du temps du roi Hérode, des Mages vinrent del'Orient en Jérusalem.

Et ils demandaient: Où est le roi des Juifs qui esnouvellement né' car nous avons vu son étoile en Orientet nous sommes venus l'adorer.

«« Et en même temps l'étoile qu'ils avaient vue en Orient

allait devant eux, jusqu'à ce qu'étant arrivée sur le lieu oùétait l'enfant, elle s'y arrêta.

« Lorsqu'ils virent l'étoile ils rurent tout transportés dejoie:

« Et entrant dans la maison, ils trouvèrent l'enfant avec.Marie sa mère, et se prosternant en terre ils l'adorèrent;puis ouvrant leurs trésors, ils lui offrirent pour présents del'or, de l'encens et de la myrrhe. »

Rien n'est plus agréable et plus dévot que cette églisesouterraine. Elle est enrichie de tableaux desécoles italienneet espagnole. Ces tableaux représentent les mystères de ceslieux, des Vierges et des Enfants d'après Raphaël, desAnnonciations, l'Adoration des Mages, la Venue des Pas-teurs, et tous ces miracles mêlés de grandeur et d'innocence.Les ornements ordinaires de la crèche sont de satin bleubrodéen argent. L'encens fume sans cesse devant le berceaudu Sauveur. J'ai entendu un orgue, fort bien touché, jouerh la messe les airs les plus doux et les plus tendres desmeilleurs compositeurs d'Italie. Ces copcerts charment l'A-rabechrétien qui,laissant paître sescliameaux, vient, commeles antiques bergers de Belhléem, adorer le Hoi des rois danssa crèche. J'ai vu cet habitantdu désert communier à l'auteldes Mages avec une ferveur, une piété, une religion incon-nues des chrétiens de l'Occident. « Nul endroit dans l'uni-vers, dit le père Neret, n'inspire plus de dévotion. L'abordcontinueldes caravanes de toutes les nations chrétiennes.les prières publiques, les. prosternations. la richessemêmedes présents que les princes chrétiens yont envoyéstout cela excite en votre âme des choses qui se font sentirbeaucoup mieux qu'on ne peut les exprimer. »

Ajoutons qu'un contraste extraordinaire rend encore ceschosesplus frappantes; car en sortant de la grotte, où vousavez retrouvé la richesse, les arts, la religion des peuplescivilisés, vous êtes transporté dans une solitude profonde,aumilieu des masures arabes, parmi des Sauvages demi-nuset des musulmans sans foi. Ces lieux sont pourtantceux-là.mêmes où s'opérèrent tant de merveilles; mais cette terresainte n'ose plus faire éclater au dehors son allégresse, etles souvenirs de sa gloire sont renfermés dans son sein.

Nous descendîmesde la grotte de la Nativité dans la cha-pelle souterraine où la tradition place la sépubure des Inno-cents: « Hérode envoya tuer k Bethléem,et en tout le paysd'alentour, tous les enfants âgés de deux anset au-dessous:alors s'accomplit ce qui avait été dit par le prophète Jéré-mie: Voxin Rama audita est. » 1

La chapelle des Innocents nous conduisit a la grotte desaint Jérôme: on y voit lesépulcre de ce docteur de l'Eglise,celui de saint Euscbe, et les tornberux de sainte Paule et desainte Eustochie.

Saint Jérôme passa la plus grande partie de sa vie danscette grotte. C'est de Ii qu'il vit la chute de l'empire ro-main; ce fut là qu'il reçut ces patriciens fugitifs qui, aprèsavoir possédé les palais de la terre, s'estimèrent heureux departager la cellule d'un cénobite. La paix du saint et lestroubles du mondefort un merveilleuxeffet dans les lettresdu savant interprète de l'Ecriture.

Sainte Pauleet sainte Eustochiesa filleétaientdeux grandesdamesromaines de la famille des Gracques et des Scipions.Elles quittèrent les délices de Rome pour venir vivre etmourir à Bethléem dans la pratique des vertus monastiques.Leur épitaplie, faite par saint Jérôme, n'est pas assez bonneet est trop connue pour que je la rapporte ici :

Scipio, quam jfenuit, etc.

Onvoit dans l'oratoire de saint Jérôme un tableau où cesaint conserve l'air de tête qu'il a pris sous le pinceau duCarrache et du Dominiquin. Un autre tableau offre lesimages de Paule et d'Eustochie. Ces deux héritières deScipion 80l\t représentées mortes et couchéesdans le mêmecercueil.Par une idée touchante, le peintre a donné auxdeux saintes une ressemblance parfaite; on distingue seu-lementla fille de la mère il sa jeunesse et à son voileblanc;l'une a marché plus longtemps et l'autre plus vite dans lavie; et elles sont arrivées au port au même moment.

Danslesnombreux tableaux que l'on voit aux lieux saints,et,qu'aucun voyageur n'a décrits, j'ai cru quelquefois re-connaîtrela touche mystique et le ton inspiré de Murillo :il serait assez singulier qu'un grand maître eût à la crècheouau tombeau du Sauveur quelque chef-d'œuvre inconnu.

Nous remontâmes au couvent. J'examinai la campagneduhaut d'une terrasse. Bethléem est bâtie sur un monticulequi domine une longue vallée. Cette vallée s'étend de l'est àl'ouest: la colline du midi est couverte d'oliviers clair-semés sur un terrain rougeâtre, hérissé de cailloux; lacollinedu nord porte des figuiers sur un sol semblable àcelui de l'autre colline. On découvre çà et là quelquesruines, entre autres les débris d'une tour qu'on appelle laTour de Sainte-Paule. Je rentrai dans le monastère, quidoit une partie de sa richesse à Baudouin, roi de Jérusalemet successeur de Godefroi de Bouillon: c'est une véritableforteresse, et ses murs sont si épais qu'ils soutiendraientaisémentun sièerecontre les Turcs.

L'escortearabe étant arrivée, je me préparai à partir pourla merMorte. En déjeunant avec les religieux, qui formaientun cercle autour de moi, ils m'apprirent qu'il y avait aucouventun père, Français de nation. On l'envoya chercher :il vint les yeux baissés, les deux mains dans ses manches,marchant d'un air sérieux; il me donna un salut froid etcourt. Je n'ai jamais entendu chez l'étranger le son d'unevoix française sans être ému:

Aprèsun si longtemps.Oh1quecetteparole à monoreilleestchère!

Je fis quelques quelques questions à ce religieux. Il medit qu'il s'appelait le pire Clément; qu'il était des environsde Mayenne; que, se trouvant. dans un monastère en Bre-tagne, il avait été déporté en Espagne avec une centaine deprêtres comme lui; qu'ayant. reçu l'hospitalité dans un cou-vent de son ordre, ses supérieurs l'avaient ensuite envoyémissionnaireen Terre-Sainte. Je lui demandai s'il n'avait

point envie de revoir sa patrie, et s'il voulait écrire à sa fa-mille. Voici sa réponse mot.pour mot: « Qui est-ce qui sesouvient encore de moi en France? Suis-je si j'ai encoredes frères et des sœurs? J'espère obtenir par le mérite dela crèchedu Sauveur la force de mourir ici, sans importunerpersonne et sans songer à un pays où je suis ouulie. »

Le père Clément fut oblige de se retirer: ma présenceavait réveillé dans son cœur des sentiments qu'il cherchaieà éteindre. Tellessont les destinées humaines: un Françaitgémit aujourd'hui sur la pertede son paysaux mêmesbordsdont les souvenirs inspirèrent autrefois le plus beau descantiques sur l'amour de la patrie:

Super flumina Babylonis,etc.Mais ces fils d'Aaron qui suspendirent leurs harpes aux

saules de Babylonc ne rentrèrent pas tous dans la cité deDuvid; ces filles de Judée qui s'écriaient sur le bord del'Euphrate:

0 rivesdu Jourdain! ô champsaimésdes cieuxletc.ces compagnes d'Esther ne revirent pas toutes Emmlllls etBélliel : plusieurs laissèrent leurs dépouilles aux champsde la captivité.

A dix heures du matin nous montâmes à cheval, et noussortîmes de Bethléem. Six Arabes belhléémiles à pied,armés de poignards et de longs fusils à mèche, formaientnotre escorte. Ils marchaient trois eh avant et trois en ar-rière de nos chevaux. Nuus avions ajoutéà notre cavalerieun âne qui portait l'eau et les provisions. Nous primes laroute du monastère de Saint-Saba, d'où nous devions en-suite descendre àla nierMorte et revenir

parle Jourdain.

Nous suivîmes d abord le vallon de Bethléem,qui s'étendau levant, comme je l'ai dit. Nous passâmes une croupedemontagnes où l'on voit sur la droite une vigne nouvellementplantée, chose assez rare dans le pays pour que je l'aie re-marquée. Nous arrivâmes il une grotte appelée laGrotte desPasteurs. Les Arabes l'appellent encoreDta-el-Natour, leVillage des Bergers. On prétend qu'Abraham faisait paîtreses troupeaux dans ce lieu, et que les bergers de Judée fu-rent avertis dans ce même lieu de la naissance du Sauveur.

« Or, il y avait aux environs des bergers quipassaient

lanuit dans les champs, veillant tour à tour iLla garde deleurs troupeaux.

« Et tout d'un coup un ange du Seigneur seprésenta

aeux, et une lumière divine les environna, ce qui les remplitd'une extrême crainte.

« Alors l'ange leur dit: Ne craignez point, car je viensvous apporter une nouvellequi sera pour tout le peuple lesujet d'une grande ioie.

« C'est qu'aujourd'hui, dans la ville de David, il vousest né un Sauveur, qui est le Christ., le Seigneur.

« Et voici la marque à laquelle vous le reconnaîtrez :Vous trouverez un enfant emmaillotté, couché dans unecrèche.

« Au même instant il sejoignità l'ange unegrande troupede l'armée céleste, louant Dieu et disant :

« Gloire A Dieu au plus haut des cieux, et paix sur laterre aux hommesde bonnevolonté, chéris de Dieu.-

La piété des fidèles a transformé cette grotte en unechapelle. Elle devait être autrefois très ornée: j'y ai re-marqué trois chapiteaux d'ordre corinthien, et deux autresd'ordre ionique. La découverte de ces derniers était, unevéritable merveille; car on ne trouve plus guère après lesiècle d'Hélène que l'éternel corinthien.

En sortant de cette grotte, et marchant toujours à l'orient,une pointe de compas uu midi, nous quittâmes les mon-tagnes Rouges pour entrer dans une chaîne de montagnesblanchâtres. Nos chevaux enfonçaient dans une terre molleet crayeuse, formée des débris d'une roche calcaire. Cetteterre était si horriblement dépouillée qu'elle n'avait pasmême une écorce de mousse. On voyait seulement croîtreçà et là

quelquestouffes de plantes épineuses aussi pâles

que le so qui les produit, et qui semblent couvertes depoussière comme les arbres de nos grands chemins pendantl'été.

En tournant une des croupes de ces montagnes, nousaperçûmes deux camps de Bédouins: l'un formé de septtentes de peaux de brebis noires disposées en carre long,ouvert à l'extrémité orientale; l'autre composé d'une dou-zaine de tentes plantées en cercle. Quelques chameaux etdes cavales erraient dans les environs.

Il était, trop tard pour reculer: il fallut faire bonne con-tenance et traverser le second camp. Tout se passa biend'abord. Les Arabes touchèrent la main des Bethléémiteset, la barbed'Ali-Aga. Mais à peine avions-nous franchi lesdernières tentes, qu'un Bédouin arrêta l'âne qui portait nosvivres. Les Bethléémites voulurent le repousser; l'Arabeappela ses frères à son secours. Ceux-ci sautent à cheval :on s'arme, on nous enveloppe. Ali parvint à calmer toutce bruit, pour quelque argent. Ces Bédouins exigèrent undroit de

passage:ils prennent apparemment le désert pour

un grand chemin; chacun est maître chez soi. Ceci n'étaitque le prélude d'une scène plus violente.-

Une lieue plus loin, en descendant le revers d'une mon-tagne, nous découvrîmes la cime de deux hautes tours quis'élevaient dans une vallée profonde. C'était le couvent deSaint-Saba. Comme nous approchions, une nouvelle trouped'Arabos, cachée au fond d'un ravin, se jeta sur notre es-corte en poussant des hurlements. Dans un instant nousvîmes voler les pierres, briller les poignards, ajuster lesfusils. Ali se précipita dans la mêlée; nous courons pourlui prêter secours: il saisit le chef des Bédouins par labarbe, l'entraîne sous le ventre de son cheval, et le menacede l'écraser s'il ne fait,finir cette querelle. Pendant le tu-multe, un religieux grec criait de son côté et gesticulaitdu haut. d'une tour; il cherchait inutilement à mettre la

paix.Nous étions tous arrivés à la porte de Saint-Saba.

Les frères, en dedans, tournaient la clef, mais avec lenteur,car ils craignaient que, dans ce désordre, on ne pillât lemonastère. Le janissaire, fatigué de ces délais, entrait enfureur contre les religieux et contre les Arabes. Enfin, iltira son sabre, et allait abattrela tête du chef des Bédouins,qu'il tenait toujours par la barbe avecune forcesurprenante,lorsque le couvent s'ouvrit. Nous nous précipitâmes touspêle-mêle dans une cour, et la porte se referma sur nous.L'affaire devintalors plus sérieuse: nous n'étions point dansl'intérieur du couvent; il y avait une autre cour à passer,et la porte de tette cour n'était point ouverte. Nous étions

renfermés dans un espace étroit, où nous nous blessionsavec nos armes, et où nos chevaux, animés par le bruit,étaient devenus furieux. Ali prétendit avoir détourné uncoup de poignard qu'un Arabe me portait par derrière, etil montrait sa main ensanglantée; mais Ali, très bravehomme d'ailleurs, aimait l'urgent, comme tous les Turcs.La dernière porte du monastère s'ouvrit; le chef des reli-gieux parut, dit quelques mots et le bruit cessa. Nous ap-prîmes alors le sujet, de la contestation.

Les derniers Arabes qui nous avaient attaqués apparte-naientà une tribu qui prétendait avoir seule le droit deconduire les étrangers à Saint-Saba. Les Bethléémites, quidésiraient avoir le prix de l'escorte, et qui ont une réputa-tion de courage à soutenir, n'avaient pas voulu céder. Lesupérieur du monastère avait promis que je satisferais lesBédouins, et l'affaire s'était arrangée. Je ne leur voulais riendonner, pour les punir. Ali-Aga me représenta que si jetenais à cette résolution, nous ne pourrions jamais arriverau Jourdain; que ces Arabes iraient appeler les autres tri-bus; que nous serions infailliblement massacrés; que c'é-tait la raison pour laquelle il n'avait pas voulu tuer lechef;car, une fois le sang versé, nous n'aurions eu d'autre partià prendre que de retourner promptement à Jérusalem.

Je doute que les couventsde Scété soient placés dans deslieux plus tristes et plus désolés que le couvent de Saint-Saba. 11est bâti dans la 'ravine même du torrent de Cé-dron, qui peut avoir trois ou quatre cents pieds de profon-deur dans cet endroit. Cetorrent est à sec et ne roule qu auprintemps une eau fangeuse et rougie. L'église occupe unepetite éminence dans le fond du lit. De là les bâtiments dumonastère s'élèvent par des escaliersperpendiculaires et despassages creusés dans le roc, sur le flanc de la ravine, etparviennent ainsi jusqu'à la croupe de la montagne, où ilsse terminent par deux tours carrées. L'une de ces tours esthors dit couvent; elle servait autrefois de poste avancé poursurveiller les Arabes. Du baut de ces tours, on découvreles sommets stériles des montagnes de Judée; au-dessousde soi, l'œil plonge dans le ravin desséché du torrent deCédron, où l'on voit des grottes qu'habitèrent jadis les pre-miers anachorètes. Descolombesbleues nichent aujourdhuidans ces grottes, comme pour rappeler, par leurs gémisse-ments, leur innocence el leur douceur, les saints qui peu-plaient autrefois ces rochers-.Je ne dois point oublier unpalmier qui croit dans un mur sur une des terrasses ducouvent; je suis persuude que tous les voyageurs le remar-queront comme moi il faut être environné d'une stérilitéaussi affreuse pour sentir le prix d'une touffe de verdure.

(A suivre.)

LA REINE AYESHA

Par RIDERHAGGARD.

(SUITE)II 1

Je me mis en route pour l'intérieur.Mais deux jours après, le manque de provi-

sionsainsi que les premiers symptômes d'une

grave maladie me forcèrent à regagner monnavire.

Quant aux aventures qui m'arrivèrent en-

suite, il est inutile d'en parler. Je fis naufragesur la côte de Madagascar, et fus recueilli quel-ques mois après par un navire anglais quim'amena à Aden, d'où je partis pour l'Angle-terre avec l'intention de poursuivre mes re-cherches dès qu'il serait possible. Cependant,je m'arrêtai en Grèce, où j'épousai votre mère.c'est là qu'elle est morte, en vous mettant aumonde. Peu de temps après, atteint de madernière maladie, je revins ici pour mourir.

Toutefois., espérant encore contre toute espé-rance, je me mis à apprendre l'Arabe, avecl'intention de retourner à la côte d'Afrique, etd'éclaircir le mystère dont la tradition s'est

perpétuée dans notre famille. Mais je ne mesuis point rétabli, et, en ce qui me concerne,l'histoire est finie.

Il n'en est pas de même pour vous, mon

fils, et, quand vous aurez atteint l'âge mùr-mais seulement a ce moment-là on remet-tra entre vos mains les résultats de mes la-beurs. Vous serez alors à même de décider sivous voulez poursuivre mes recherches ; peut-être regarderez-vous toute cette histoire com-me une simple fable, inventée parle cerveaumaladif d'une pauvre femme.

Ce n'est pas une fable; je crois qu'il y a unendroit où les forces vitales du monde existentvisiblement. Mais je ne veux nullement vous

influencer, lisez et jugez par vous même. sivous êtes persuadé que tout cela n'est qu'unechimère, détruisez le tesson de poterie et les

documents, pour épargner à notre race une

cause de trouble et de souci. Ce sera peut-êtrele parti le plus sage. L'inconnu est une chose

terrible, et celui qui veut jouer avec les forces

Page 8: La Vie Quotidienne 1899

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secrètes de l'univers devient souvent la victime

de sa folie. Et, à supposer que le but soit at-

teint, et que vous acquériez une beauté et une

jeunesse éternelle, en serez-vous réellement

plus heureux ? Choisissez, monfils, et que le

Dieu qui gouverne toutes choses vous guidedans votre choix! Adieu.

La lettre qui n'était ni datée, ni signée, finis-

sait là, brusquement :

Qu'allez-vous faire de ceci, oncle Holly?dit Léo en replaçant la lettre sur la table,.

Ce que je vais en faire? Mais, il n'y, a pas de doute que votre, pauvre père ne fùt

fou. Vous voyez qu'il s'est évidemment sui-

cidé.Bien sùr, Monsieur, ajoute Job, qui voyait

toujours le côté positif des choses.

Examinons tout de môme ce que le tes-

son de poterie a à nous dire, fit observer Léo;et, prenant la traduction écrite par son frère,il lut ce qui suit :

« Moi, Amenartas, de la famille royale d'E.

gypte, femme de Kallikrates, prêtre d'Isis, à

mon fils Fisisthenes (le puissant -vengeur.)Sous le règne' de Nectanebes, je me suis en-

fuie d'Egypte avec ton père, qui, par amour

pour moi, avait rompu ses vœux. Nous étant

enfuis vers le Sud, à travers les mers, nous

errâmes pendant douze lunes sur la côte orien-

tale d'Afrique, à l'endroit où se dresse un ro-

cher ayant la forme d'une tête d'Ethiopien.

Après avoir navigué pendant quatre jours sur

une vaste rivière,nous fûmes recueillis par

des sauvages qui nous portèrent, dix jours du-

rant, à travers des déserts et des marais, et

nous atteignîmes enfin une montagne, où se

trouvent les ruines d'une grande cité, et des

grottes dont personne n'a jamais vu la fin; les

indigènes nousoonduisirent vers laReine d'un

peuple qui place des pots enflammés sur la tête

des étrangers; cette Reine est une magicienne

ayant la connaissance de toutes choses, et sa

vie et ses charmes sont éternels. Elle jeta un

regard d'amour sur ton père, Kallikrates, et

aurait voulu me tuer et le prendre pour époux,

mais il m'aimait et la craignait, et il refusa.

Alors elle nous conduisit, au moyen de son

infernale magie, à la fosse où le vieux philo-sophe est étendu mort, et nons montra la Co-

lonne de Feuqui ne meurt point, dont la voix

est commela voix du tonnerre ; elle se plongeaalors dans les flammes, et en sortit sans bles-

sure, et plus belle que jamais. Puis, elle jurade rendre ton père immortel s'il voulait me

tuer et se donner à elle, car elle ne pouvait me

tuer, à cause de ma propre magie. Et il mit

sa main devant ses yeux, et refusa même delà

regarder. Alors, dans sa rage, elle lança un

sortilège contre lui, et il mourut; mais elle le

pleura, et le porta chez elle avec force lamen-

tations. Craignant ma vengeance, elle m'en-

voya à l'embouchure de la grande rivière ; em-

portée au loin sur le navire où je te donnai le

jour, j'arrivai enfin à Athènes après mille pé-

ripéties. Fisisthenes, mon fils, va retrouver

cette femme, apprends le Secret de la Vie, et,si tu en trouves le moyen, tue-la pour venger

tompère Kallikrates; et, si tu recules ou quetu échoues, je répète ceci à tous ceux de ta

race qui viendront après toi, jusqu'à ce qu'ilse trouve enfin parmi eux un vaillant homme

qui se baignera dans les flammes, et s'as-

siéra sur le trône des Pharaons. Je jure que jedis la vérité ! »

Que Dieu lui pardonne ! dit Job qui avait

écouté bouchebéecetétrangedocument.Quantà moi, je ne dis rien, ma première idée était

que mon pauvre ami avait composé le tout dansun accès de folie; et, pourtant, il sem"ait dif-

ficile d'inventer une histoire aussi originale.Je pris le tesson de poterie, et me mis à lire

les caractères grecs onciaux qui y étaient tra-

ces •' ce texte correspondait de tous points àla traduction anglaise de Vincey.

Examinant ensuite le tesson de poterie sous

toutes ses formes, j'y lus une quantité d'ins-

criptions datant les unes de l'époque romaine,les autres du moyen-âge ; elles étaient signéesdu nom'de Vinclex ou Vincey, et attestaient

que le précieux fragment s'était transmis dansla famille de père en fils, de génération en gé-nération.

- Eh bien, dis-je à Léon, mon opinion estfaite.

Quelle est-elle ?Voici. Je crois que le tesson de poterie

est parfaitementauthentique, et qu'il s'est con-

servé dans votre famille depuis le quatrièmesiècle avant J.-E. ; les inscriptions le prouventd'une manière irréfutable. Je ne doute pas quela princesse Egyptienne, ou un scribe à ses

ordres, n'ait écrit ce que nous voyons sur le

tesson de poterie; en même temps, je suis sûr

que ses souffrances et la perte de son mari lui

avaient tourné la tête,et qu'elle était folle quandelle a écrit cela.

Comment expliquez-vous alors ce quemon père a vu et appris? me demanda Léo.

Pure coïncidence. 11y a sans doute sur

la côte d'Afrique plusieurs caps ayant l'appa-rence d'une tête humaine,"et aussi mainte na-

tion qui parle un patois arabe. Je crois aussi

qu'il ne manque pas de marais. Et puis, Léo,

je suis fâché de vous le dire, mais votre pauvre

père n'était pas dans son bon sens quand il a

écrit cette lettre. 11 avait éprouvé de grandschagrins, cette histoire s'était emparée de son

esprit, le tout ire vaut pas la peine qu'on s'yarrête. Il y a certainement, dans la nature,des forces cachées que nous ne pouvons com-

prendre ; mais, à moins de l'avoir vu de mes

propres yeux, je ne croirai jamais qu'il y aitnn moyen d'éviter la mort, même pour un

temps, ou qu'il existe une sorcière blanche vi-vant au cœur des marais d'Afrique. C'est dela faive, mon cher - qu'en dites-vous. Job?

Je dis, monsieur, que c'est un mensonge,et que si, par hasard, c'est vrai, j'espère bien

que M. Léo n'ira pas se mêler de choses pa-reilles, car il n'en peut sortir rien de bon.

Peut-être avez-vous tous deux raison, ditLéo avec calme. Je n'exprime pas d'opinion.Mais, je suis décidé à en avoir le cœur net,et, si vous refusez de m'accompagner, j'irai toutseul.

Regardant le jeune homme, je vis bien

que rien ne pourrait le faire changer d'avis.Mais je n'aurais jamais consenti à le laisser

partir sans moi. Sans affections, ni liens ici-

bas, m'étant tenu volontairement à l'écart dumonde, j'ai reporté toute ma tendresse sur mon

cher Léo, qui est pour moi un frère, un enfantet un ami. Toutefois, il était inutile de lui lais-ser voir l'empire qu'il avait pris sur moi; jecherchai donc un moyen- de m'imposer à lui

sans en avoir l'air.

Oui, j'irai mon oncle; et, si je ne trouve

pas la « Colonne de Vie », je tirerai du moins

quelques bons coups de fusil.Je saisis la balle au bond: Des coups de

fusil ? dis-je. Tiens! jen'y avais jamais pensé.Ce doit-être un pays sauvage riche en gros

gibier. Mon désir a toujours été de tuer un

buffle avant de mourir. Sans croire à l'his-toire en question, je crois assez au gros gibier,

pour si vous partez, prendre un congé et vous

accompagner.Mais l'argent? nous aurons besoin d'une

forte somme.

Soyez sans inquiétude. Votre revenu

s'est accumulé pendant des années, et nous

ne manquerons de rien.

Eh bien! mettons ces documents à l'abriet allons à Londres acheter nos fusils. A propos,

Job, venez-vous aussi ? Il est temps que vouscommenciez à voir le monde.

Oh! Monsieur, répondit Job, je me soucie

peu des pays étrangers, mais, si vous parteztous deux, vous aurez besoin de quelqu'unpour vous aider, et je -ne suis pas homme àvous abandonner après vingt ans de service.

Fort bien, Job, lui dis-je. Et maintenant,écoutez-moi. Il ne faut pas dire un traître motde cette « bêtise », et je désignai le tessonde poterie. Si'cela s'ébruitait, et qu'il m'arrivâtmalheur, mes proches attaqueraient mon tes-tament pour cause de folie, et je deviendrais

la risée de tout Cambridge !Trois mois plus tard, nous naviguions sur

l'Océan, en route pour Zanzibar.

III

Nous voici'loin de notre patrie ; adieu, lesallées plantées d'ormes, adieu nos chambrettes

d'étudiant, adieu notre chère bibliothèque! Lamer nous entoure de toutes parts; une joliebrise gonfle notre voile, et la lune verse surles flots sa lumière argentée. La plupart desmatelots sont endormis, il est près de minuit ;seul, Mahomet, notre pilote Arabe, se tient àla barre, gouvernant avec nonchalence. A tri-

bord, une ligne basse se dessine vaguement :c'est la côte orientale d'Afrique. Nous navi-

guons vers le Sud, entre la terre ferme et lesrécifs qui bordent cette côte périlleuse pen-dant des centaines de milles. La nuit est pai-sible, si paisible qu'on entend le moindre

murmure ; si paisible qu'un sourd gronde-ment nous arrive de la terre lointaine.

Le timonier arabe lève la main, et ne dit

qu'un mot : « Simba » (lion). Nous écoutonsattentivement, et nous entendons le même

grondement, qui nous émeut jusqu'au fondde notre être.

Demain, vers dix heures, dis-je, nous de-

vrions, si le capitaine ne se trompe pas, dé-couvrir cette fameuse tête de nègre, et com-mencer notre chasse.

Et rechercher aussi la cité ruinée et la« Colonne de Vie», ajouta Léo en souriant.

Quelle bêtise! Cette après-midi, vous avezcausé en Arabe avec notre timonier : eh bien!lui qui connaît à fond tous ces pa.rages, a-t-ilentendu parler de la cité en ruines ou des

grottes ?Non, répliqua Léo. Il dit que toute la

contrée n'est qu'un vaste marécage, rempli de

serpents et de gibier, et que personne n'y ha-bite.

vous voyez quelle opinion ces gens ontdu pays. Aucun d'eux ne voudra nous accom-

pagner. Ils nous croient fous, et, ma foi, ilsont peut-être raison. Je crains bien que nousne revoyions jamais notre chère Angleterre !

C'est égal, oncle Horace, il faut tout de

mêmetenter la chance. Tiens! qu'est-ce donc

que ce nuage? et il montrait une tache noiresur le ciel étoilé, à quelques milles derrièrenous.

Il me quitta et revint au bout d'un instant.-Le timonier dit que c'est un ouragan, mais

qu'il passera à côté de nous sans nous toucher.Rassurés par cette réponse, nous restâmes.

Léo et moi, à causer paisiblement sur le pontdu navire, admirant la beauté de cette nuit

d'Afrique, et bientôt une sorte de torpeur s'em-

para de nous. Quant a Job, il s'était installedans une barque, qui pendait aux flancs du

navire, et où nous avions enta-ssé toutes nos

provisions, le capitaine nous ayant dit queles brisants l'empêcheraient d'attérir..

Il y avait quelques moments que nous som-meillions, quand nous fûmes réveillés par un

coup dé ventterrible,accompagné d'unetrombed'eau qui nous fouettait le visage. L'équipage,frappé de terreur, essaya, mais inutilement,

Page 9: La Vie Quotidienne 1899

- 191 -

de carguer les voiles'. Le ciel était couvert de

sombres nuages ; toutefois, la lune brillait en-

core, et je pus distinguer une vague énorme,

haute de vingt pieds environ, qui se précipi-tait sur nous. Peu d'instants après, un flot

d'écume inonda le pont du navire, et il me

sembla que j'étais sous l'eau durant plusieursminutes ce n'étaient en réalité que quel-

ques secondes. La vague passée, il y eut un

moment de calmerelatif. Job me criait: « Sau-

tez dans le bateau ! » Je me précipitai à l'ar-

rière du navire, et le sentis s'enfoncer sous

moi; voyant Mahomet s'élancer dans la bar-

que, je me décidai à le suivre, et, secondé parJob. je tombai comme une masse au fond du

petit bateau. Cinq minutes après, le navire

coulait à pic, tandis que Mahomet coupait avec

son couteau la corde qui nous attachait à lui.

- Grands Dieux! où est Léo? m'écriai-je,et soudain je vis flotter sur la crête des vaguesun objet noir qui, au milieu del'écume et des

tourbillons, se rapprochait de plus en plus.

j'étendis le bras, et ma main rencontra un

autre bras, queje serrai comme dansunétau.

Mon bras fut presque arraché de l'épaule parle poids du corps flottant, mais, grâce à une

vigueur peu commune, je parvins à le hisser

dans le canot. A ce moment même, un rayonde lune éclaira le visage de l'homme que jevenais de sauver; c'était Léo, Léo arraché, vi-

vant. ou mort, au gouffre de l'Océan !.

Notre situation était terrible ; nous étions

obligés de yider constamment l'eau qui en-

vahissait notre canot, et deux lignes de bri-

sants se dressaient en face de nous, grondantet mugissant comme des hôtes del'enfer. « Pre-

nez le gouvernail, Mahomet, dis-je en' Arabe,et tâchons de les franchir. » Mahomet se cram-

ponna à la barre, tandis que je ramai avec

l'énergie du désespoir, et, grâce à l'adresse de

notre timonier, nous passâmes sans encombre

au milieu d'un gigantesque tourbillon d'écume,et nous pûmes gagner un petit bras de mer où

les flots étaient relativement paisibles.Mais nous étions inondes a eau, et a un

demi-mille environ se dressait la deuxième

ligne de brisants. Heureusement, la tempêtes'était tout-à fait calmée, et la lune, voilée un

instant, nous découvrait maintenant un caprocailleux, terminé par un pic qui semblait

éloigné de nous d'un mille tout au plus. A ce

moment même, Léo ouvrit les yeux, et pro-nonça. deux ou trois mots; il était sauvé!.

Qu'elqlles minutes après, Mahomet nous fai-sait franchir heureusement les nombreux bri-

sants, et, contournant rapidement le cap dontje viens de parler, nous entrions dans une ri-.vière au cours paisible.. Léo dormait profon-dément.:. Lalune commença à descendredansle firmament, la clarté des étoiles pâlit devantune lueur' étincelante qui s'élevait à l'Orient,et bientôt l'Aurore versa des torrents de lu-

mière sur la crète des vagues, sur les mon-

tagnes, sur la ligne des côtes, sur les marais

qui s'étendaient au-delà. Hélas! le soleil quise levait pour nous. s'était couché hier pourdix-huit de nos compagnons, dont les corpsétaient maintenant ballotés parmi les rocherset les herbes de FOcéan !

Enfin, le soleil émergea des flots dans toutesa splendeur, et inonda la terre de chaleur etde lumière. Bientôt ses rayons éclairèrent le

picsurmontantle promontoire que nous avion sdoublé avec tant de difficulté, et je constataiavec stupeur que le sommet du pic avait laforme d'une tête et d'un .visage de nègre, à

l'aspect terrifiant. Il n'y avait pas à s'y trom-

per; tout y était, les lèvres épaisses, le nez

aplati, le crâne arrondi, et, pour compléter la

ressemblance, unn touffe d'herbe ou de lichenpoussant sur le crâne, et figurant la toisond'une, tête colossale de nègre. C'était assu-rément fort étrange, et je crois à présent qu'il

y a là, non une pure fantaisie de la nature,mais un monument gigantesque élevé par un

peuple inconnu, à titre d'avertissement et de

défi aux ennemis qui viendraient aborder.

Quoi qu'il en soit, cette figure menaçante con-

tinue d'âge en âge à dominer les profondeursde l'Océan ; c'est là qu'elle se dressait il y a

deux mille ans, à l'époque d'Amenartas, la

femme de Kallikrates, ancêtre de Léo, c'est là

qu'elle se dressera encore plusieurs siècles

après que nous serons descendus dans la

tombe!.Que pensez-vous de ceci, Job, demandai-

je à notre serviteur, en lui montrant cette tête

diabolique.- Oh! Monsieur, répondit Job, qui remar-

quait pour la première lois l'objet en ques-tion, je pense que c'est le Diable en personne

qui a posé pour son portrait sur ces rochers !

J'éclai de rire, ce qui réveilla Léo.»

Oh! oh! s'écria-t-il, qu'ài-je donc? je me

sens tout raide, où est le navire?Le navire est englouti, répondis-je; tout

l'équipage est noyé,à l'exception de nous qua-tre, et vous-même, vous n'avez été sauvé que

par miracle.Et, tandis que Job allait chercher un flacon

de cognac pour le réconforter, je lui racontainotre étrange aventure.

-Ciel! dit-il d'une voix faible. –Tiens! ajou-ta-t-il soudain après avoir avalé quelques gor-

gées de cognac, voilà cette fameuse tête dont

parle l'inscription !

Oui, dis-je, c'est elle.- Alors, répondit-il, toute l'histoire est

vraie.l

Je n'en suis nullement sûr. Nous savions

que cette tête était là, votre père l'a vue, cen'est probablement pas la même tête dont

parle l'inscription; et, en tout cas, cela ne

prouve r-ien.Vous êtes un incrédule,. onel.) Horace,

me répliqua Léo en souriant. Qui vivra, verra.

Fort bien. Et maintenant, Job, ramons

vigoureusement, et voyons si nous pouvonstrouver une place nour aborder.

La rivière où nous entrions ne semblait pastrès large, bien que le brouillard qui couvraitses rives nous empêchât d'en bien mesurer la

largeur. Il y avait, comme dans presque toutesles rivières de la côte d'Afrique, une barreconsidérable à l'embouchure, mais nous par-vînmes à franchir cet obstacle sans trop de ,difficulté. Quelques instants après, la brumese dissipa, et nous vîmes que le petit estuaireavait environ un demi mille de large, les rivesétaient fort marécageuses, et peuplées de cro-codiles couchés au milieu de la vase. A unmille devant nous, cependant, on apercevaitune sorte de langue de terre, et, nous diri-

geant vers ce point, nous prîmes le parti de

débarquer, après avoir amarré notre bateau àun arbre magnifique, de l'espèce des magno-lias. Un copieux déjeuner répara nos forces

épuisées, nous étions heureux d'avoir entassétoutes nos provisions dans la barque avant

que l'ouragan ne détruisit le navire.-Notre repas terminé, nous nous mimes',à

explorer les alentours. Nous nous trouvionssur une langue de terre large d'environ deuxcents mètres sur cinq cents de long, bordée:d'un côté par la rivière, de l'autre par desmarais désolés, qui s'étendaient à perte devue. Cette langue de terre était élevée d'envi-ron vingt-cinq pieds au-dessus des maraisenvironnants et du niveau de la rivière : elleavait en réalité tout l'air d'avoir été créée demain d'homme.

C'est un ancien wharf, dit Léo senten-cieusement.

Allons donc! répondis-je. Qui serait as-sez stupide pour construire un wharf au milieu

de ces affreux marais, et dans un pays habitépar des sauvages, si toutefois il est, ?.

Peut-être n'y a-til pas toujours eu icides marais et des sauvages, dit-il sèchement,en regardant la rive escarpée. Voyez donc,

- •

ajouta-t-il, en désignant un endroit du rivage.où l'ouragan de lo nuit dernière avait déracinéun magnolia et soulevé en même temps une

grande quantité de ter-re. n'est-ce pas là un

ouvrage en pierre? Çaen a bien l'air, en toutcas.

Allons donc! répliquai-je de nouveau, enme dirigeant avec lui vers l'arbre dérDciné..

--.- Eh bien! dit-il.Cette fois, je ne répondis rien, car je venais

d'apercevoir une véritable muraille de pierresreliées entre elles par du ciment. Et ce n'est

pas tout; voyant un objet qui émergeait du solau bas de la muraille, j'écartai la terre avecmes mains, et je mis à jour un énorme anneau

dé. pierre, épais d'environ trois pouces. Je de- •

meurai stupéfait.On dirait un wharf où de gros navires

ont été amarrés, n'est-ces pas? oncle Horace,dit Léo avec animation.

J'étais sur le point de répéter : « Allonsdonc! » mais je n'osai, en face de mon étrangedécouverte. Ainsi, des navires avaient été

jadis amarrés en cet endroit, et ces pierresétaient sûrement les débris d'un wharf solide-ment construit. Sans doute la ville à laquelleil avait appartenu était ensevelie au fond desmarais.

Hem! on dirait tout de même que l'his-toire est vraie? dit Léo d'un air gai, et, réflé-chissant à la tête mystérieuse du nègre et auxruines également mystérieuses, jene répondis"pas directement à sa question.,

Une contrée comme l'Afrique; dis-je,abonde en reliques de civilisations mortes et

oubliées depuis longtemps. Personne ne con-

naît l'origine de la civilisation 'égyptienne;ajoutez les Babyloniens, les Phéniciens, les

Perses, et toutes sortes degensplusou moins

civilisés, sans parler des Juifs qui se faufilentpartout à présent. Peut-être ces différents peu-ples, ou l'un d'entre eux, ont-ils eu ici des co-lonies ou des comptoirs.

Oui, en effet, dit Léo, mais ce n'est paslà ce que vous disiez tout-à-l'heure.

Eh bien! qu'allons-nous faire mainte-nant? demandai-je en changeant le cours dela conversatioli.

Personne ne répondit et nous nous diri-

geâmes vers les bords du marécage, afin d'en

explorer la nature et l'étendue. Il semblait im-mense, et, maintenant que le soleil était déjàhaut dans le ciel, des vapeurs méphitiquess'exhalaient des flaques d'eau stagnante.

Deux choses,sont claires pour moi, dis-jeà mes trois compagnons! d'abord," n'ous ne

pouvons traverser ce marais; ensuite, nous.mourrons certainement de la fièvre, si nousnous arrêtons on cet endroit. Dès lors, il y adeux alternatives : virer de bord, et tâcher de

gagner un port, ce qui serait fort risqué, oubien remonter la rivière.

Je suis décidé à remonter la rivière, dit

Léo.Job fit la grimace, Mahomet gémit en mur-

murant : « Allah! » Quant à moi, j'étais' aussi.désireux que Léo de marcher de l'avant. La

tête de nègre et les ruines avaient piqué ma cu-

uriosité. Ayant donc tout disposé pour notre

départ, nous nous embarquâmes, et le vent, quisoufflait de la mei, nous permit de hisser lavoile. Grâce à la brise favorable, nous pûmesremonter aisément la rivière pendant deux ou

trois heures. Vers midi, le soleil devint insup-

portable, etles miasmes qui se dégageaientdesmaraisnous forcèrent à avaler des doses sup-plémentaires de quinine.(A suivre.)

Page 10: La Vie Quotidienne 1899

iMPItIMBHIBDELAVIB MODERNE,83 E?83 Bis,BOULEV.SOULT

I/Imprlmeur-Gtérants G. LÈBRE.1 A

LA VIE EN VOYAGE. BRUXELLES UN JOUR DE FÊTE. TYPES DE LA RUE. Dessin de A. HUBERT.

Page 11: La Vie Quotidienne 1899

SUPPLÉMENT Un an,6 fr. Union postale, 8 fr. Le Numéro, il& centimes N"̂ 24. DIMANCHE11 DKCUMKRE1898.

LA VIE QUOTIBtENNE

JOURNAL HEBDOMADAIRE : 83 ET 83 bis, BOULEVARD SOULT. PARIS.

Directeur : GASTON LËBRERédacteur en Chef: GEORGES LA BOUCHÈRE

LES DRAMES MARITIMES. Bateau de sauvetage

se portant au secours d'un navire drossé sur un banc. Dessin de ROBERT MOLS.

Page 12: La Vie Quotidienne 1899

2

LA VIE MARITIME

tPÊCHEURS DU LARGE

!

LES

: NAVIRES-HOPITAUX DES ŒUVRES DE MER

-par le Dr BONNAFY

MitlccinCilChefne la Marine,Membredu Conseilsupérieurdesanté de la Marine

>En France, en dehors de nos pécheurs du litto-

ral, nous possédons une catégorie de pécheurs qui,par tradition et en considération des circonstancestoute spéciales où ils se livrent à leur industrie,constituent une caste particulièrement hardie, cesont ceux qui tiennent la mer pendant de longsmois et vont souvent jusque sur les côtes de l'A-

mérique. C'est la grande pèche, la pèche du large,','::: la pêche de la haute mer; les Anglais disent la

pèche de la mer profonde (deep sea).'fi Nous comptons 16.000 marins de la grande pè-

che à savoir, 10.000 pour Terre-Neuve, 4.000 pourl'Islande et 2.000 pour la mer du Nord, ceux deTerre-Neuve partent de.Fécamp, Granville et Saint-Malo; ceux d'Islande partentde DunkerquedeSaint-Brieuc, de Binic et de Paimpol, enfin Fécamp etsurtout Boulogne arment pour la mer du Nord.

ATerre-Neuve, les.lieux de pêches sontd'abord le grand bancde Terre-Neuve,, en-suite la partie nordde la côte de Terre-Neuve qui s'étend

depuis le cap Raye àl'ouest jusqu'au capSaint-Jean à l'est et

qui de ce fait estconnue sous le nomde côte française(french shore).

C'est le traité d'U-trecht (1713) qui a

réglé la question dela pêche dans ces pa-rages; en voici les

Un Bateau-Hôpital des Œuvres de mer

principales dispositions : les ilôts de Saint-Pierreet de Miquelon situés au sud de la grande île nous

appartiennent; quanta lagrande île de Terre-Neuve,elle est sous la souveraineté de l'Angleterre sauf

qu'une partie de la côte (french shore) nous est ex-clusivement réservée pour la pêche, avec cetterestriction que nous ne pouvons pas y bàtir dansle sens rigoureux du mot; tout ce qu'il nous est

permis de faire c'est d'y élever des bàtiments enbois dans le seul but d'abriter les pécheurs pendantla saison de pêche et de leur permettre la manipu-lation de la morue qui, vous le savez, est le butin

qu'on va chercher dans. ces parages.A une époque relativement récente, des difficul-

tés ont été soulevées par les Anglais du fait quecertains armateurs français ont voulu étendre leurindustrie sur le french shore en y établissant deshomarderies, le homard étant également très abon-dant dans ces parages. Vous avez le droit de pèche,c'est-à-dire le droit de prendre du poisson, ont ditles Anglais, mais le homard n'étant pas un poisson,sa capture n'est plus de la pèche et vous violez letraité.

ga*A l'heure actuelle la mauvaise humeur des An-

ÉflL-'

glais persisteencore et se traduit

parcette expres-

:sion dédaigneuse : la soz-dzsant côte française (so

|f| called french shore).Le bancde Terre-Neuve naturellement appartient.,

comme la mer à tout le monde. Ce banc qui, à

peude choseprès, ala même étendue que la grandeîle de Terre-Neuve est constitué par un plateausous-marin que l'on trouve partout à 60 mètres en-viron de profondeur.

Des 10.000 marinsqui pèchent dans ces parages,

800 environ vont sur le frenchshore, les autres vont

sur le banc.Les pécheurs du french shore mettent leurs na-

vires à l'abri au fond des havres et s'installent dans

des bâtisses en bois les chauffauds. Ils pèchent surla côte généralement à la senne.

Les pêcheurs du banc mouillent leurs bateauxsur ce banc et mettent à la mer de légères embar-cations à fond plat des dons qui s'empilent très fa-cilement à bord les uns dans les autres. Chaquedoris est monté par deux hommes et rayonne au-tour du bateau mouillé.

Sur le banc on pêche la morue avec des lignesfixées à de très longues cordes que l'on jette à lamer. Deux à deux dans leurs doris les pêcheurspassent leur temps à amorcer les lignes à les im-

merger et à les relever. La grosse question de la

pèche est l'appat boële; le premier employé estle hareng conservé, plus tard c'est l'encornet, (es-pèce de seiche), le capelan etc.

En Islande c'est encore la morue qui constituele butin; les bateaux de pêche, moins forts queceux du banc, ne mettent pas d'embarcations à lamer et surtout ne mouillent pas; c'est de leurs ba-teaux même, du côté du vent, que les marins pè-chent à la ligne, comme sur nos paisibles rivières,avec cette seule différence qu'ils tiennent à la mainla corde de la ligne. La zone de pèche correspondà la côte sud de l'Islande en débordant un peu àl'ouestet plus fortement à l'est. Dans la mer du

.Nord1 objectif de la

pêche est surtout le

harengqui se prendau filet. Ce poissonvoyage par bandes;il y a de vrais passa-ges comme pour lesoiseaux migrateurs.

L'expérience a apprisaux pêcheurs de lamer du Nord les loisde ces migrations.En conséquence ilscommencent à pê-cher immédiatement

au sud des Shetland,

puis à mesure quela saison de pècheavance, ils progres-

sent vers le sud et arrivent ainsi jusqu'en face deDouvre.

La vie est dure pour tous les pêcheurs de la haute

mer; cependant elle ne l'est pas au même degrépour nos trois principaux lieux de pèche. En effetles pêcheurs de la mer du Nord mettent tout au

plus quinze à vingt jours pour remplir leurs barilsde harengs; ils sont obligés de regagner leur port;là ils débarquent leur butin, réparent leurs avaries,font de l'eau et des vivres et repartent vivement

pour la pèche. Ils ne perdent certes pas de tempsmais il n'en est pas moins vrai que leur saison de

pèche est coupée par des retours dans leurs foyers.D'autre part, en cas d'accident grave, ils peuvent re-

gagner leur port sans trop de peine et de retard. En

somme ce sont encore les pêcheurs du large lesmoins isolés.

Les pêcheurs d'Islande font toute leur saison surles lieux de pêche; mais ils ne sont pas loin de la

côte, etils peuvent assez rapidement entrer en com-

munication avec la terre. Il est vrai que cette terredanoise est assez misérable, mais elle est très hos-

pitalière ; on peut y trouver des médecins, et même

un hôpital très convenableà Reikiavick, la Capitale.Là encore les pêcheurs se trouvent dans un iso-

lement qui n'est que relatif.

C'est donc sur le banc de Terre-Neuve que nousrencontrons des pêcheurs dans des conditions par-ticulièrement pénibles d'isolement et d'abandon.

C'est là qn'on peut voir notamment de grand ba-

teaux de pêche de Fécamp mouiller sur le banc, yrester six mois et repartir pour Fécamp sans avoir

vu la terre une seule fois.Il est donc tout naturel qu'au point de vue des

conditions dans lesquelles se fait la grande pèchenous prenions comme exemple les pêcheurs dubanc de Terre-Neuve. Considérons d'abord leur I

habitation, c'est-à-dire le navire. Les bateaux qui Hvont mouiller sur le banc sont toujours d'un ton- H

nage relativement élevé, afin de pouvoir tenir la Hmer dans ces parages particulièrement difficiles. H

Chaque bateau présente à l'arrière le logement du I

capitaine et à l'avant le poste de l'équipage com- I

posé en moyenne de 40 à 50 hommes. Ces deux H

compartiments, sont aussi serrés, aussi réduits que H

possible, afin que le compartiment du milieu qui Hles sépare en soit d'autant plus vaste. Ce dernier Hest en effet relativement grandiose et imposant; Ic'est le sanctuaire; c'est là qu'on mettra la morue. I

Le compartiment qui intéresse le plus l'hygiéniste Iest celui de l'avant, le poste de l'équipage. Il est Iloin d'être gai et attrayant. En haut sur le pont,une ouverture étroite par où passe un peu d'air et I

de lumière et par ou descendent les pêcheurs àl'aide d'une échelle à pic. Une fois descendu, on I

distingue à peine'au milieu, comme pièce d'ameu- I

blement, un poële et c'est tout. Cependant, en tà- Itant les parois, on finit par s'apercevoir qu'elles Isont partout garnies d'enfoncements superposés. I

C'est dans ces trous que s'introduisent péniblement Ideux par deux les pêcheurs pour prendre un peu Ide sommeil. Rien ne rappelle l'idée d'un lit ou d'un I

simple hamac. Pour se reposer, les pècheurs ne se I

déshabillent jamais; ils n'oient même pas leurs I

immenses et lourdes bottes. Telles sont les condi- Itions dans lesquelles vivent les pêcheurs du banc. I

Il ne suffit pas de pêcher la morue, il faut encorela préparer pour la conserver; d'où une série

d'opérations dont voici le résumé: on coupe la

tête, cette tète n'ayant pas de valeur marchandeest utilisée pour nourrir l'équipage; on tend la

morue, on la vide, on enlève la plus grande partiede la colonne vertébrale, et on l'étale de manière

à la transformer en poisson plat. C'est sous cette

forme que dans le grand compartiment réservé dumilieu on établit des couches de morues et des

couches de sel. Dans cet état la morue se conservebien et constitue ce que dans le commerce on ap-

pelle la morue verte. L'Islande ne fournit que de la

morue verte; le banc de Terre-Neuve, outre la mo-

rue verte, produit ce qu'on appelle la morue sèche

que l'on prépare de la manière suivante: certains

bateaux, quandils sont chargés de morue se ren-

dentà Saint-Pierre. Làles prairies sont remplacées

par des champs de beaux cailloux qu'on appelle des

graves. Les morues sont déchargées, lavées et mises

à sécher sur les graves. On procède à l'égard de la

morue comme en France nos paysans agissent pourle foin. Le temps devient-il menaçant, on met la

morue en tas, ou meules; dès que le soleil se mon-

tre on l'étalé. Le temps passager de la pècheest bien trop précieux pour que les équipages, pres-sés de revenir sur le banc, s'occupent du séchage;

cette besogne est faite par des enfants venus de

France pour la saison et qu'on appelle des graviers.Les pêcheurs du banc sont pendant leur cam-

pagne exposés à des dangers graves et multiples.Dès le commencement, pour se rendre sur les lieux

de pêche, ils sont exposés à se briser contre les

Page 13: La Vie Quotidienne 1899

3

glaces flottantes (icebergs) qui sont entraînées sur

la route qu'ils doivent suivre par les courants quiviennent du Nord.-

Arrivés sur le banc. bien qu'y stationnant dans

la saison relativement bonne, ils ont à lutter contre

une mer très dure; enfin, le danger le plus cons-

tant est le brouillard, qui dans ces parages

peut régner sans interruption pendant plusd'une semaine. Or, il se trouve quemalheureusement la route la plus courte

pour les paquebots qui relient New-York

à l'Europe coupe précisémentlo banc.

Vous voyez d'ici ce qu'il peut advenir de

notre flottille de pêche lorsqu'un paque-bot lancé à toute vapeur passe à travers.

En allongeantde quelques heures leur

traversée, les paquebots pourraient ne pas

passer sur le banc, mais à notre époque de

concurrence à outrance, peut-on espérer

qu'une compagnie donnera le bon exempleet surtout sera imitée parles autres ?

D'autre part, malgré le brouillard, les

pêcheurs, qui en réalité vivent constam-

ment dans la fièvre de la pêche, ne se

croisent jamais les bras. Ils vont dans

leurs doris manœuvrer leurs lignes et

très souvent ils ne peuvent pas retrouver

leur bateau; ce sont autant d'hommes

perdus à jamais, s'ils n'ont pas la chance

de rencontrer dans la brume un autre

bateau.Il est très instructif de rappeler la morta-

lité qu'ont présentée nos pêcheurs dans lacamnaene de nêche de 1097: camnasner u a i c

qui a duré six mois environ. A Terre-Neuve, il ya eu 10,500 marins qui ont perdu 266 des leurs,

ce qui donne comme mortalité 26 pour 1,000. Ces

pertes d'hommes se répartissent ainsi: 143 par

naufrages(il ya eu6 naufrages); 65 par disparitionsà la mer (hommes tombés à l'eau ou égarés dans

leurs doris); 58 par maladies.En Islande, les 3,718 pêcheurs quiont fréquenté

ces parages ont présenté 86 décès, ce qui donne

comme mortalité 23 0/00.En totalisant ces résultats, on voit que les 14,2i 8

pêcheurs qui ont fréquenté Terre-Neuve et l'Islandeont perdu 352 hommes, ce qui donne comme mor-

talité 25 pour 1,000. Pendant la même période (6

mois), pour 1,000 hommes la marine Autrichienneen perd 2 1/2, la marine Anglaise 3, l'armée fran-

çaise également 3.Si nous considérons nos pertes pendant la guerre

d'Italie (1859), en additionnant les morts à Magentaet à Sollerino, (1) nous trouvons comme mortalité

précisément 25 pour 1,000, c'est-à-dire exactement1,000, c'est-à-dire exactementla mortalité d'une campagne de pêche.

On peut donc dire que chaque année, en partantpour leur campagne de pèche, nos pêcheurs du

large vont s'exposer exactement aux mêmes périlsque s'ils allaient prendre part à deux grandes ba-tailles rangées.

Jamais groupe humain de travailleurs n'a été

plus digne d'assistance et de secours; sans compterque par eux-mêmes ces marins sont particulière-ment sympathiques. Il peut bien se faire qu'à unmoment donné, dans ce profond isolement de lapêche du large, chez quelques-uns d'entre eux re-

paraissent certains instincts ataviques de la brute ;

mais il faut tenir compte des circonstances, car aufond ces hommes sont bons. Tous ils ont servi surles bateaux de guerre et s'y sont montrés admira-blement dévoués et disciplinés.

Ce n'est qu'à une époque relativement récente

que l'opinion publique, aussi bien à l'étranger

1

(1) D'après le médecin inspecteur Movache. Direc-

1teur du service de Santé du XVIII.corps à Bordeaux.

qu'en France, s'est émue de la situation péniblede ces rudes travailleurs de la mer et a cherché à

leur porter secours et assistance.En 1877 s'est constituée en Angleterre la Société

de Vhôpital. St-Jean (St-John hospital Association) quitout en visant la généralité des classes laborieuses,

s'intéresse plus particulièrement aux pécheurs.En 1882 le Dr Esmarchde Kiel a fondé VAssocia-

tion Samaritaine allemande (dcutscher Samariter-

Verein) qui ne s'occupe exclusivement que des*

pêcheurs. Cette association, sous la vigoureuse

impulsion de son créateur, est en pleine activitésur toute la côte allemande. Son objectif consistesurtout à enseigner aux pêcheurs les soins médi-

caux urgents qu'ils peuvent s'administrer en l'ab-sence de médecin. Dans chaque centre sont faites

des conférences par les hommes techniques qui setrouvent sur les lieux, de préférence par des mé-

decins de la marine et des médecins de la guerre.Le Dr Esmarch a résumé cet enseignement dans un

petit livre le catéchismedes premiers secours (Kate-chismus zur ersten Hülfeleistnng) qui est si bienordonné que la princesse Christian l'a traduit en

Anglais à l'usage de la Société de l'hôpital Saint-Jean. Ces deux sociétés pleines de bonne volonté,se bornent néanmoins à donner des secours et desconseils sans quitter la terre ferme; ce n'est pasassez.

En 1884, une nouvelle société d'assistance,fondée en Angleterre sous le patronage de la Reine,a fait un pas décisif dans l'assistance efficace en ar-mant des bateaux-hôpitaux qui accompagnent les

pécheurs sur les lieux de pêche; c'est la mission

des pêcheurs de la hatiteiiici- (mission to the deep sea

fishltermen). A l'heure actuelle cette société pos-sède 14 navires pour croiser dans la mer du Nord

et sur les cotes du Labrador. En 1897 elle a dé-

pensé 543.000 fr., que lui a fournis la générosité

publique.

En France l'initiative privée a du premier coupcherché à porter secours et assistance surles lieuxmêmes de pêche. En 1895 a été fondée la Sociétédes œuvres de mer dont le but est de faire croiserdes navires-hôpitaux au milieu des bateaux de

pêche. Le siège de la Société est 5, rue Bayard,à Paris. M. l'amiral Lafont en est le président etM. Bailly, ancien officier de marine, le secrétaire

général. Cette Société n'a pas perdu de temps puis-

que le lor avril 1896 son premier navire-hôpital

partait pour le banc de Terre-Neuve. 1Le type général du bateau-hôpital adopté et cons-

truit parles œuvres de mer sur les indications four-

nies par M. Normand,le constructeur de bateau bienconnu, qui d'ailleurs est vice-présidentde la société, ,

est le trois mâts goelette de 37 mètres de long.L'aménagement est admirablement compris; on

peut à la rigueur y hospitaliser dans d'excellentesconditions 30 malades. Mais en pratique le nom-bre des- malades n'aiteint jamais ce chiffre parceque le but du bateau-hôpital n'est pas de gardertous les malades à bord jusqu'à parfaite et com-

plète guèrison. Agir ainsi ne serait pas sage. Lamission du bateau-hôpital est autrement comprise ;le navire des œuvres de mer croise sur les lieux de

pêche, recueille les malades graves et quand il a

passé en revue la flottille de pèche et recueilli en

moyenne de 5 à 10 malades, il va les déposerdansles hôpitaux à terre soit à l'hôpital de St-Pierre, à

Terre-Neuve,soit à l'hôpital de Reikiawik en Islande.Le personnel de chaque bateau-hôpital est de

21 personnes; dans ce nombre sont compris lemédecin et l'aumohier.

Le médecin se rend sur les bateaux de pêche '/<

qui signalent des malades à bord, donne des con-

sultations, fait des pansements et ramène à borddu bateau-hôpital les malades graves et les sérieu- ;sement blessés, bien entendu avec l'assentimentdu capitaine du bateau de pèche. -Naturellement - -

tous ces soins, y compris l'hospitalisation à borddu navire-hôpital, sont absolument gratuits. Leservice du médecin, en considération des transbor- ;clements multiples, souvent par grosse mer, estdifficile et réclame une certaine habitude de la mer.

Jusqu'à présent, aucun médecin civil n'a demandé

emploi pareil, mais toutes les fois qu'un navire-

hôpital a du prendre la mer, plusieurs jeunes mé-decins de la marine ont très simplement déclaré

qu'ils étaient prêts à embarquer, et c'est avec lai v

plus grande bienveillance que le Ministre de lamarine a mis à la disposition des œuvres de merles médecins nécessaires pour assurer le service -

nous avons vu que nos pêcheurs du large sont :absolument dans les mêmes conditions que lesv/~troupes qui vont au feu; or, pour nos soldats

fai-<(r lsant campagne, les règlements de la guerre ontprévu des aumôniers dans les ambulances.–C'est

Page 14: La Vie Quotidienne 1899

LES DRAMES ^MARITIMES.–RENCOI D

Page 15: La Vie Quotidienne 1899

1

DEUX NAVIRES. Dessin dé ROBERT MOLS

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6

donc avec juste raison que chaque navire-hôpitala son aumônier. ,."

La Société des oeuvres de mer a déjà prouvé sa

vitalité et l'énergique impulsion que lui ont impri-mée ceux qui la dirigent, en réagissant d'une ma-

nière merveilleuse contre les accidents de mer, qui,dès le début, l'ont frappée et auraient pu paralyserune direction moins dévouée à son œuvre.

En effet, ce premier navire-hôpital, le Saint-Pierre

n°1 que nous avons vu partir pour Terre-Neuve

en avril leU6, venait de déposer à l'hôpital deSaint-Pierre les malades recueillis dans une pre-mière croisière sur le banc. Malgré le brouillard,le capitaine voulut regagner sans retard le banc;forcé de louvoyer contre un vent contraire, il vint

se briser sur la côte de Terre-Neuve.–L'équipagefut sauvé, mais la Société était sans navire. Elle

répondit à ce coup du sort en faisant construire

deux nouveaux bateaux, le Saint-Pierre n° 2 et le

Saint-Paul. Quand s'ouvrit là campagne de pêchede 1897, le Saint-Paul partit pour l'Islande et le

Saint-Pierre pour Terre-Neuve.

Le Saint-Paul venait déjà de rendre des services

aux pêcheurs; il était mouillé à Reikiawik quandsurvint pendant la:nuit un formidable coup de vent.

Tous les naviresà voile sur rade furent balayés et

jetés à la côte; le Saint-Paul comme les autres.-

C'est en vain que les officiers et les, matelots du

bateau de guerre Danois le Heimdcil essayèrent de

le retirer des rochers surlesquels il gisait.-Notrenavire de guerre dela station Ja Manche arriva et

son commandant prit la direction du sauvetage;réussit à mettre à Ilot le Saint-Paul; on l'échoua

avec mille précautions sur une plage de sable; on

ferma la plaie béantequ'il portait au flanc et on le

, ramena en France d'où, après réparation com--

plète, il vient de repariircstte année pour l'Islande.

Quant au Saint-Pierre, parti également en 1897

pour Terre-Neuve, il eut un début malheureux, un

abordage; mais il ne perdit pas courage, il répara

rapidement ses avaries à Saint-Pierre et croisa sur

le banc pendant toute la saison de pêche. Voici

un résumé des services qn'il.renditaux pêcheurs:196 fois il communiqua avec des bateaux de pêche;il recueillit 19 malades graves qu'il alla déposer à

l'hô il de Saint-Pierre ; il compléta le coffre à

médicaments de 27 navires de pêche; recueillit

soit directement, soit à bord d'autres navires, les

hommes de 5 doris en dérive ; enfin lors de son

retour en France, il rapatria dans d'excellentesconditions 21 malades et convalescents pris à l'hô-

pital de Saint-Pierre, '-

En dehors.de leur rôle de secours et d'assistance,les navires-hôpitaux rendent encore des services

particulièrem'ent appréciés par les pécheurs. Leurs

croisières sont interrompues par des pointes sur

Saint-Pierre (Terre-Neuve )et sur Reikiawik(Islande)où ils vont déposer leurs malades dans les hôpi-taux là ils déposent les lettres recueillies sur

les lieux de pêche et prennent celles qui. sont des-

tinées aux pécheurs. Enfin la Société des œuvres

-de mer a installé à Saint-Pierre, pour les gravierssi intéressants et pour les pêcheurs de passage,une maison dite de famille où les pêcheurs trou-

yentdans des salles bien éclairées des livres, des

journaux du pays et tout ce qu'il faut pour écrire

à leur famille.

La maison de famille a reçu en moyenne par

jour 122 visiteurs en 1896 et i98 en 1897.

C'est autant de gagné sur les cabarets du pays.Les résultats déjà obtenus par la Société des

œuvres de. mer sont tangibles. --,. Elle a pu fonc-

tionner grâce à la générosité publique, qui lui a

fourni les fonds nécessaires pour construire, armer

et entretenir ses navires-hôpitaux. Des sommes

importantes ont été collectées par des comités de

dames quise sont formés à Paris et dans quelquesvilles du littoral, notamment à Boulogne, le Havre,

Brest, Bayonne, etc. Jusqu'à présent, la Société

a eu à sa disposition des ressources suffisantes ;

mais elle désire compléter et perfectionner ses

moyens d'assistance ; d'abord elle voudrait pourla mer du Nord construire et armer un troisième

navire-hôpitaldont les pêcheurs de ces parages

sont encore dépourvus, ensuite elle désirérait mu-nir ses navires d'une machine à vapeur, ce quiaugmenterait-beaucoup leur rendement. -

C'est pourquoi, en vue d'augmenter ses' res-

sources et de lui permettre de réaliser les amélio-rations projetées;, il est bon de faire connaître laSociété des œuvres de mer, car-la faire connaître,

exposer son but et rappeler les résultats qu'ellesdéjà obtenus, c'est forcément établir un fort courantde sympathie et de générosité à l'cgard de cette

admirable mission d'assistance qui se fait remar-quer pour deux caractères spéciaux et que voici :

"D'abord elle ne s'adresse pas aux vaincus etaux défaillants, mais bien aux lutteurs.par excel-lence, aux travailleurs de la mer; ensuite çe n'est

pas une Société qui est appelée à rendre servicedans un avenir plus ou moins hypothétique et loin-tain, mais bien dès son origine et constamment;

LA VIE FÉMINISTE

POUR UNE HUMANITE NOUVELLE

- par.L. LE FOYER

AJules Bois.

Espéronsmaintenantla Femmenouvelle,la Cité future.Quefaut-ilpourle salutet le progrésde la femmeet du monde?Constituerla femmeindépendanteet enelle-même,danslaconquête,

la possessionet lé développementdesresfacultés.Au lieu de l'assu-jettir mineureet subordonnée,l'éniancipel'majeureet autonomelLafairepersonnelibreet souveraine.Ledéveloppement,la réalisationdela femmesuivracette libérationde ses virtualités.La femmelèveraenfindu Vieuxlit de Procusteune stature éblouissante.

« Quienvisagelacamaradevitaleenêtreisolédesoi,pouvantvivreà part, force,formeindépendanteet personnelledansl'ullivcrs,âme,corpsayantsa viepropre,sonbut,sa destinée?x (1) Il fautdéclarercaduquec,l'anthropocentrisme»masculindansl'humanité.«Lafemmen'à pascommemissionuniquede plaireà l'homme.»(2) (.1.Ihiis).Certes!Imaginezlerenversementdestermes!Le sacrificede lafemmeà l'homme,"sicommunémentexalté,n'est « beauques'il a pourré-sultatl'accroissementde la félicitécollective. Sesacrifierau vice,à la sottise,à la fourberie,à l'avarice,ce n'estquelâcheté,cen'est

pashéroïsme.» (3) Il fautféliciterM. Doisd'avoiroséaffirmercetteimportantevérité: CILa femmevautparsoiseuled'abord(4). avantquede valoirpar ses enfants.» (5) Nonplusla feninie-poupoe,.nonplusla femme-reflet,. nonplusla femme-victime,.nonpascertes la femme-homme,.mais la femme-femme» (6) (J. Bois),épanouissantses facultés,ses.magnificenceset sesdestins. 11fautaffirmer, avecle « cahier»rédigepar la FédérationfrançaisedesSociétésféministes: « Le dix-huitièmesièclea proclaméles droitsdel'homme;ledix-néuvièinesièrledoitproclamerledroithumain.» (7)Mfaut établir, selonlevceud')'jnii<'Accolas,« dans le; institutionset dansles mœurs,le droitdela femmecl ludroit de l'enrant.» (8)il fautélaborerle doubleet inséparableidéal humain: ftLieueetDieu.» (9)

Quellesdoiventdoncêtre les fonctionsde la fopimeemancipec.et •constituée1 Cellesqu'exigentet accomplissentsesfacultésnormales,

à savoir,ramenéesici sommairementauxtroischefsprincipaux:la fonctionmatérielledesubsistanceéconomique,lafonctionspirituelle

d'acquisitionde\)a science,dp.!a ninralié etdu progrès,la fonctiond'amour'etdematernité.Lesdeuxpremières,méconnuesen droit,es-tropiéesouatrophiéesen fait, sont à constituer.La troisième,re-connueofticiettement,maiscorrompuedansson applicationpar lasubordinationféminineà la dofriinationvirile, est à reconstituer.

Constituerlà fonctionéconomiquede la femme,donnerà la femmelaliberté,et, solidairement,la responsabilitéde saviematérielle,c'estrecon'naitrequele Travailestpourelle àla foisun droit et un.devoir.l'es COSIséquencpÉcapitalesdedetteconstitutionéconomiquedelafemmesont les suivantes:

four les c!assesriches: reconnaissancequel'oisivetématérielleetspirituelledes femmesest uneanomalie,dupireexemple,et inau-gurationspontanéedes«professionslibérales» féminines.- Ponrlesclassesouvrières: acceptationdes formesnouvellesdutravail,travailindustrielà l'atelierjusqu'àceque le. travailindustrielpuisseêtreaccomplij.dans lescasou il pourrat'être,a domicile; proclamationdece principeféministecommedominantle contratde travail: pourlesdeuxsexes,

à productionégale,salaireégal:accèsdesfemmesàtoutesdeuxsexes,à prodiietioii tgale salaireé -l

l i-enetdans

iesection

les places,selonlesmesuresde leursfacultéset l'éliminationpar laconcurrence,ouvertureperpétuelleetrégulière,danschaquechapitredu vasteetactuelproblèmede l'organisationdu travail,d'unesection

portantla rubrique:«questionsféminines», enVacedelasection:

estions masculines».« Ondisait, on dit encore: La dignitéde lafemmeestdansle ma-riage. Ecoutezla Fédérationfrançaisedes Sociétésféministescom-

mençantle paragraphede ses « cahiers» intitulé« le droità lavieéconomique» par cesmots: « la Fédération,considérantqneladi-,gnitéde la femmea poursauvegardele travail..,» (10) «Je neveuxpoint,ditl'Evenouvelle,aniverparle Baiser,commel'hommearriveparleTravail» (11).«M.Em.Fagtieiparledela nationfortequi seracelleoù lesfemmesn'exercerontpasde métier.Je m'aperçoisque lesraceslatinesdégénèrentjustementpourcetteraisonquidcvraitlesfairetoute-puissantes.Ellessontdevancées,ouleserontbientôt,parlesAn-

glo-Saxonnes,les Slaveset lesAméricaines,quiontsuaccepter,accé-lérermêmel'évolutiondela femme loindel'ignoranceet dela cor-

1.L'Evenouvelle,p. 217.-

2.P.331. -- --3. //EM nouvelle,P. 2G4.4.P. 2.5. P. 6.Q.P. 8.7. CiteH. int., p. 218.8. H.int.. m'ef.,p. XVII, note.9. L'Evenouvelle,p. 37.10.CitéH.int., p.219. ---il. LEve nouvelle,p. 237.

ruplion dansle salutaireet régénéranttravail.« (1)Nullen'amoinsde leriipspourlamaternitéqiielafemmeoisive »,(2).

Constituerla fonctionspirituelle,la Penséedela lenime, œuvredejustice,œuvredesalut,fontained'oit,jailliraleréconfortd'Eve,Óî1,pourrait-ondireencore,coffret,présentde Jupiter,oùtoute sonespéranceest enfermée.En l'espritrésidentla sagesse, la forceetla liberté.M.J."Doisa vucette loi essentielleet l'a marquéedel'in-tensitédiela lumière: à Je ne sauraistropteredire et le crier: lafemmeneseralibrequ'aprèsavoirété consciente.» (3) Il citela belleparolede l'Evangile(.« Vousconnaîtrez la vérité,et lavérité vousrendralibre. » (4)Et il conseille: « Faites-vousdesâmesquiaientdesyeux. n'ayezpas depauvresinstinctsincohérents,quinesaventrien,ne peuventrien.Au-dessusdel'amour,avantlui, aprèslui, il ya la:personnalitéconsciente.»(o) (6)-Ktcommentla femmepeut-elle

.devenirConsciente?Parl'assimilationprofonde,sincèreetcomplètedela.cÕnnaissanco,par,jointeà l'usagede la réflexion,l'acquisitiondela science,nondanssesvainsdétails,maisdansses essentielfcprin-cipeset dans ses conclusionshardieset fortes.« Ceque nousnevoulons'pas,c'est qued'un côtéonenseignele fauxouletrop incom-plet, et. de l'autre,la vériténleine.Il(7)

La science,seméedansl'aineféminine,donnerala plusabondantemoissonsociale,àla foisintcllcctuellenicnlet moralement.A-l'œuvrede connaissancela femmeapportera,en dehorsde sa collaborationàl'investigationgénéraledu monde,sa particulièrepénétrationd'elle-même,des «œuvresoriginalesoùl'éliiuicr, peinte,parellc-mèinc;»(8)Moralement,la femmeapporteraàla so'iétéles trésorsdesoncœur.Elleaura, pensanteet instruite,le dévouementintelligent,la bontévéritable.« L'altruismeest le fruitde la^con<cience» (9) Libéréedeschimères,elleperdrale méprisdela réalitéen acquérantlavraieconnaissancedel'idéal,cette réalitéde

-demain.Faut-ildoncrévéler

que l'idéal,commetoutau monde,nes'apprendpas parl'ignorance,maispar la science?Elle deviendraune' « femmesociale», une« citoyennea. (10) « Ellefera partiede celteEglise desvolontés,providencehumaine». (H)« Alorsla eiléne sera plus physiologi-quementreprésentéeparles seulsdépositairesdelaforcemusculaireet brutale,. maisaussipar les délicats,les énergiesde résistance

"et dé réserve.» (12) Qm-lquesfemmes,peut-être, et nonpastoutesni beaucoupmême-, pourrontêtre,par ledéveloppementdeleur oflicesocial,détournéesde leurrôlematernel.Il fautaffirmer,et M;Hoisnousle rappelle,qu'ilest normalque les enfantssoientmoinsélevéspar les parentsqu'ils ne le.sontaujourd'hui,et davan-tage par lesgrands-parents,retirésde l'actionet possesseursd'expé-rience.« L'aïeuleestl'éducatrice Ellenesubit plusles détestablesvariationsdu tempérament,ellea vainculecaprice,elleest graveetdouce; sa mainest ferme,maisne

-blessepas.» (13)

Leur fonctionintellectuelleet sociale,certainesfemmes,vivantesou mortes,donton pourraitciterles noms,mcneilleuseinontla com-prennent.Elles adorent,dans lascienceetdansl'activitéhumanitaire,l'épopéeardentedu divinpar le monde.« Lesvéritésscientifiquesmontentsur leurs lèvresaveclagravitédesancienspsaumes.Ellesycroientd'ailleursàcette science,elles y croientcommeà un Dieuenfinvisible.» (14)Ellesont gardéici, et iciprécieux,l'abnégation,lesacrifice.El!esont retrouvél'enthousiasmeDumasprévoyait: « Lesfemmesvontsejeterdansla scienceà corpsperdu,c'estle vraimot.Ellese laisseraarracherles seins,commesainteAgathe,si celapeutrévélerle mystèrede la laelation,ellepasserason enfantà savoisine;commesainteFélicité,pourallerse livrerauxbête*,nonpourprouverqueJésus a dit la vérité,nais poursavoirsiDarwina raison.» (15)Ellesviventdansl'exaltationhéroïque,« lessaintesnouvelles».(l(î)« Jeveuxenfinécouterleconseilimpérieuxetsagedemoacœtir». (17)Ellesse retirentdes milieuxmondains,afinde mieuxapparteniraumonde.» (18) Ellespartagent,« poursentiretapprendre», la viemisérabledesouvriers.Puisellesse répandentparles villes.recevantla science,donnantle courageet labonié, « activesadmirables,cœurspratiqueset tendres.» (19.)Formulonssoncredo,ditM.JulesMois: «Il n'estpa'sd'autrebonheurqued'êtrebon. (20) Il faudraitciterdes nomset desvies,que l'opinionpubliqueignore, n'ainie-t-onpasmieuxignorerpourcalomnierplustranquillement?«L'hommela calomnie,l'outrage,dit M.L. Lacour,

pourépargnerà sa paresse

d'insolentjuge,omniscientpargrâced'enhaut,l'effortd'unecuriositédeiusiicc.»(21) -

Reconstituerla fom-tionsexuelled'amouret (['enfantement,c'estpu-rifieret transfigurerle mariage.

Lasubsistancematériellede la femmeassurée,avecson indépen-dauce,par letravail, le mariageest délivré,autantquefairesepeut,du parasitecontratd'argent.Envain, Balzacet MicheLt avaientes-pèreenleverle mariageàl'argent,le rendreà l'amour,par lasuppressiondela dot. Dansces conditions,l'homme,peusaient-ils,choisiraitsafemmepar amour.M.BoisrépondIneidement:« L'hommechoisira,maisla femme? (22)« Indépendante,dit rHvcnouvelle,je sépareenfinl'amourdel'intérêtet de laservitude.» (23) Commel'amourestaffranchide l'argent,voicila femmeaffranchiede la nécessitédel'amour.Enfinelle peuts'avouerqu'elle«n'a pasété faite,que pourl'amour.» (2-i)Ellen'a plusbesoindetrouversa nourritnrcdechaquejour danssasoumissioncorporelleà l'homme,-mari,amanton passant.Sonangoissede séductiondiminue; l'hommerespire.Lamonomaniecharnelles'apaisedans laville: « Jerêve unehumanitéquen'affoler#plusl'aignillonartificielet pervers,pourqui le centredesactivitésneserapastoujoursle.mêmeorgane.»(25)Doit-oncraindrela diminutiondu véritableamour,penserque «les femmestrès cultivéesn'inspi-rerontplusl'amouret nele rendrontplus"?.Quelleerreur! unegrandeâmeattire et est attiréeavecbienplus d'intensitéqu'uneâmemes-

1. L'Evenouvelle,p. 233.2. LEve'nOUvPlle,p. 231.3.P.337.4. P. 337.ô. P 2i4.G.Lan eur, qui signe M.V.,et qui estime femme,d'un gé-

néraux article paru dansVArt et la l'io'dejuillet 1897,exprimeune idée analogue: IlLa possessionde soi, làStension de savolonté,et avanttoutle r •noncemenfcaux anciens privilèges,sont lès degrésdisposésd'avancepar la grande loi qui fai. del'elfort là conditionde tout progrès. » -

7H.mt., p. 304.8.il. int.,p.63.. ---9 L'Evenouvelle,p. 339.10.LEve.nouvelle,p. 33b.lt. L'Evenouvelle,p. 336.12.L'Evenouvelle,p. 307.13.P.S,9. 111.L'Evenouvel'e,p. 195.15.H.int.,-p. 246-247.16. LEvenouvelle, p.279.17. LEvenouvelle,p.3.1fa.18.LEvenouvelle,p. zrJ.19.LEvenouvelle,p. ssu.20.P. 1281.21.P. 71.22. P. 156.23.L'Evenouvelle,p. 237.24.LEvenouvelle,p. 222.25. LEvenouvelle, p. 262.

Page 17: La Vie Quotidienne 1899

.-i-

quinc. C'estjustementen faveurde l'amourquenous attendonsdestempsmeilleurs» (l)-(2). L'idéaldel'aiméet dul'aiméesemodifieraseulementpours'éleverà l'esprit: « Demainnaîtraun idéalde beauté

plusintelligentoùl'on aimera-passionnémentla tracedela pensée,le

plissementdel'effortcérébral.» (3)Lemariageserapurifiéencoreparle respect,de chaqueépoux,pour

lalibertéde l'aulrcépoux,–il fautentendrecesmotsau pointdevuechat'nel:,.«L'amourvéritableest don libre, dansle mariagemême.» (-4)(L.Lacour)Surpriseetparfoisterrifiéeparla révélationsubitequ'estle'mariage,-la jeime femmedoit, pourparlercommeMmeIIudry-MenoSj'« se reprendreavant depouvoirsedonner.» (o)respectdelalibertédu conjointqueladélicatesseindividuellemontre

parfoisen fait,quelaloinie,accréditantcontreelleledroitetla force.Lemariagepourraêtreenfintransfiguréparledéveloppementdela

présenteunions-uniqueet exclusive,enunehiérarchieet harmoniedemariages,où, commes'exprime,enuncertainsens,M.CamilleChai-gneau,« harmonogamieM. Sansaucundoute,il fautadmirerlecouple,l'indissolublecouplejfortet unià traversla\ic, oùlesépouxsetransformentcôteà côtesansdivergerjamais.Maisilfautappré-cier,avecla' portée,la limitedes facullésducouple,et il est juste.d'enbornerlesméritesparlesdesiderata; ilest permismêmederèyerdeluiajouterce' qui lui manque.M.J. Boiset surtoutM.Lacouroui,semble-t-il,faussélanalureducoupleenexagérantsesaptitudes,enfaisantdel'uniondurablede l'homlllcet dela femmeune unité:c'estunesorted'unitémystique,selonlepremier,unesorte d'unitésociale,suivantle second.M.Lacourvent,commepierreangulairedelacité,«lecoûple.citoyeii,prolongementducouplegénérateuretéduca-teur»(6).Lecoupleestpourluil'élémentessentielet complet,quiimporteetquisuflit,l'organede générationdel'idéecommel'organcdegéné-alionde l'enfant.MaisM.Lacours'aperçoitd'unecertainepolygamiesquise glissejusquedanslamonoganlie: certainesimaginationsvives,principalementparmilesartistes,rêventde trouverdansl'ohjetaimélesqualitéslesplusopposées,l èvent«"ansunefemme,parexcmple,unassemblagede femmesi) ; (7)« il y a réellepolygamie,quoiqueportantsur un seul être» (8), et l'auteurs'en indigne. Est-onbiensur quecettediversitéd'aspirationssoitméprisableet mauvaise?Nefaut-il

pasregardercommeunemarqued'excellencele développe-

mentdesdésirs,l'ardentet multipleidéal'?Et nefaut-ilpas surtoutadmirerqui possèdeensoitouteunerichessede floraisons,quisaitaccueillirtoutun cœuraimant,quisaitcharmertouteslesaspirations,maintenantexaltéeset satisfaites? «Je ne suispasuneremmeije suis'unmonde», dit la reinedeSaba(9). MaisM. Jules Bois,danscesens,va plusloin: <»Plaçonsdevantnosyeux,devantnotrevo-lonté,aufondde notredésir,s'ilse peut, la statuesaintedel'amourunique. Maisvoici,ô femme,quecelui-cis'est arrêté prèsde toi;sonvisagen'est-ilpassemblableauDieuquetu adores?Ecoute,il teparle.Danssonbaiserun secretest passé.Et cet autrearrivequando nrciniera fui.et c'estencoreun enseignementauesonélreinie.Unevériténouvelleestdansfontsincère amour.>(10)Etvoicilacon-damnationde la jalousie: « Sasourceest le.sentimentde propriétéleplusinjuste,l'illusoirect mauditeespéranced'enchaincrles âmes,commeautrefoisonliaitles corps.» (11) Oui,peut-êtredoit-onsede-manders'illie fautpasquelesâmesardentesentrent dansplusieursunionspouren sortirplusgrandes,si à l'unitésimplel'harmoniecom-plexen'est passupérieure,s'il.ne faut pasépanouir,dansl'individumisenfaceduvastemonde,laricheefflorescencodesrêvesetdesjoies.

Unpointest traitépar

M.Lacour,queje signaled'unmot,et quitouchemoinsaudroitdelafemmequ'àson'devoiretaudroitdel'enfant:Undroit qui inquiète,et par sa nouveauté,et parsa gravitédoulou-reuse: le droitdenepasnaîtremaladeet vicié,martyr-néd'unetareinexorable,acquiseparlesparents,oudéjàhéréditaireellc-mêmc.Sortesd'attentatssur l'enfantquede pareilsenfantements,attentatsinvolon-tairesévidemment,maisquidevraientêtre, selonnotreauteur,volon-tairementévités,etqu'unarticleduCode,aujourd'huichimère,punirapeut-êtreunjour, dirais-je,souslenomde sévicescongénitaux.Lesnomsdecesmaladiessontprésentsà touslesesprits.Précisonsuncaspourtant,aveccettecitationd'unenouvelleanglaise,dontunefemme,MmeZulaMaudWoodhull.estl'auteur: Unejeunefilledit: « l'affirmesolennellement,enpleineconnaissancedes suitesd'un tel serment,que,nevoulantpasperpétuerle fléaudola phthisie,qui depuisdesgénérationssévitsur rotre famille,j'affirmesolennellementfjue je vi-vraitoutemavie dansun célibatimmuable.Celaest décide.Je veuxêtrenoble.» (12)

***

Levicede la simplicitédumariage,l'heureusevertud'unemulti-plicitéd'unionssatisfaisant tes nombieusesaspirationsde l'amour,.\1.J. Joseph-Renaudh-smanifestedanssontout récentroman,LeCinématographedu Mariage(13).« Institutionnaïvequecenïariageuniquepourtous(14)H,prononcet'evidenccparla bouchedel'auteur.Etvoiciles aphorismesqu'uncousinintellectuelformuleà l'héroïnedece livre,jeune femmeinsatisfaiteetangoissée: fiIl n'y a pasdemoyenterme:continuerà souffrird'unesolitudequela venuedumarin'apaschangée,ous'adresserailleurs(15) o. Oui,* solitude», ainsisouventarrive-t-il;solitudeà deuxpireque lasolitudeen soi-même,solitudedésormaissansespérance,l'enferremplaçantle purgatoire.Et,continuant,avecun gracieuxcynisme:«Sivotremarivousdonnesuf-fisammentd'amourcharnel,maisne satisfaitpas votrecérébralité,ayezun ami intellectuel.S'il est uncérébraladmirable,maisun fri-gidede cœuret de sens,ayezunamantafleclifeuxet ardent. Etjemaintiensquevousne le trompezpas.Vouscomblezses lacunes.Vousle complétez(16) ». Certes,M.Joseph-Renauda fortbienvula thèse.11poursuit,aveclogique: « Lesmaris,si quelquesves-tigesdebarbarieleurcauseunesotiffrancequandoncomplètelafé-licitéde leurscompagnes,ne doivent-ilspascombattrecesentiment,

1 L'Evenotivelle, p. 167.

i.

Le côte inverse et-complémentairede l'attraction amou-

reuse,à

savoir

le

don

amoureuxest précisément

permis,

deve-loppéet embellipar la possessionconscientequ'on a de soi--iiieme.MmeM.-V. (V.supra) l'indique finement: « Pour selouner,il faut se posséder,mais pour se posséder ne faut-ilpasse connaîtreet se vouloir? »1 o.liosny. LIndomptee,cité ll.int., p. 97..14. P. 124.1 S.CitéH. inl.1 c. P. 259.I i H.int., p. 134.1 s. Ibid,-p.134.1 •>.iUaubert.La Tentationdesaint Antoine.I 10.P.246.I 11.Jhixl TV.-VT.7I 12.OilèR.Ml-,r». 295-29G.1 '.t Un vol.chezFlammarion.3 fr.T)0.

'4.P.75.1;1.P.88.10.Ibid.

l'annihiler,par un sentimentcontrairede sacrificevraimenthumain,supérieur!Le mondedoits'entraînerà la chariténécessaire.La ci-vilisation,modernea faitla femmeet l'hommetropcomplexesetavidespour qu'ils ne cherchassentpas la totalefélicitéen uneharmonied'unionspartielles(1) ». Et, en margede cettethéorie,déjàétabliepard'autres,dessinantunejolie-figurine,rauteurajoutesacontribu-tionoriginale:c'estuncurieuxpersonnage,quis'estdonnépourmis-sion socialeet pourplaisirindividuelde combler,parl'apportde lachair, de.la sentimentalitéoude l'inlelligence,iepassifdespassionsféminines: «Je filsJ'e voulusêtre,pourle plusgrandnombrepossible,la joie complémentaire.J'offrisauxfemmesl'usagede ma sciencealtruiste,si heureuxquandpar moil'uneconnaissait

l'épanouissementcompletde sonêtre. En ce mo-

ment.je cçnduisà la joieparfaite diversesamantes(2)1).Endehorsdecelteidée, dansce livre centrale,il seraitaiséde

signaler plusieursquestionsattachantes,touchéesen passantd'uneplumehabile. L'auteur. je veuxdireson-héroïne,traverse,unjardinparisien,.Tuilèticsou autre,et, dans l'encombrementdes en-«fants,des nourrices,et (loimèresdefamillu,livréesauxtravauxd'ai-guilles,aux conversationsineptes(lesinères,cestémoinsscrupuleuxel infatigablesdesactionspuériles,ceshistoriographesde.l'inutile)..,

dansl'odeur de langesmêléeà l'airlibre,l'auteur remarque,commeonpourraremarquerduinain- cettefiertédesmères'- (I_cell.\!fiertéspécialeet sotte,ordinaireauxpeuplesstéi-iles. lesmamans,l'œilstupidedematernité.»(3)«Pourquoicettefiertécontinuelleà'.pro-posd'unesilliplefollet:on physique?Pourquoicetteostentationde.lapondeuse,et cettehouledel'amoureuse?Lagestation,l'alia'iteitient,-s'exhibentavecarrogance,et l'amourdemeureclandestin.!'»(4).–lit l'héroïnes'insurgecontrelamaternitéoùl'on prétendmurerlafemme.«N'es-lupas femmeavantd'êtremère?Occupe-loid'aborddene,pasresterla premièreinsignifiantevenue,deviensinstruite,consciente,réfléchie!»(5)–N'esl-onpaslibrede donnerourefuserà l'amoursa suite,1enfantement?Elles'écrie,cettejeunefcmmp.lui n'a paspeur:«<C'estl'avorlcmentdevenunécessaire?.Parbleu!Etremaîtredes fonctionsreproductivesest unedesconditionsdu bonheur.D'ailleurs,ce qu'ilse pratiquedéjà!. C'estinouï.Htdefaçonanodine. unrien! Même

pasde lièvre(6)». Quenoussommesencoreloindecettelibertédans

a chair,de cettepersonnalitéde notrecorps! Elles'irritecontresonépoux,en ne ménageantpointlesmots,cettejeuneépousée.Scènein-time; dramehumain.Osonsciter:«Est-cequcjesais,moi,commentonévitelesenfants?Pouvais-jeprévoirquetu m'engageraisainsi sansmeconsulte)'?(7)».Tragédieobscureet violenteque,souvent,la vied'unefemme! Jeunefilleonest enferméeaucloître del'innocence:« Jesuis

toujours J'esclavecloîtréedu Barbarevioleurde vierges», Mariée,éclose,onest closeencoredansla prisonmoraledumariage'.L'épotisese« sans amour,par tradition,commesansamoutypairbesoin,la courtisanex.M.Joseph-Renauda unepagepleined'espritetd'agré-mentsur lessoirées,cesrareset tristesfêtesdesinclinations: «Soi-rées. Ah! lessoirées,lessoiréesdansantes,soiréesdeMadameDII-pontonde la marquise,rueSaint-Denisou avenuedit Bois.halleoùl'onoffreles petitesviergesà la dansée,où, lecontratdéjàparaphé,le nancecrétinouroublardconnaitenfincellede sa viequeluipré-senteunevieilledametrèsbienetnonrebelleaucourtage,dotal.Ah!soirées,soiréesde monpetitcoeur,soiréesdnusantes,vousniesemhlezla provincedel'amonl'!L'amourofliciel,et mêmeidiot,quis'élaboredanscesde minuità cinq,vautlesconversationslittérairesdes de-votesde GapouMortain(8)». 11fautrestituerla femmeà la véritéde sa nature,lui rendresa réelle,puretéavecla sincéritéde sa vie.Onprétendfactice,créerl'Ange;onà, monstrueuse,laSphinge:«Pasd'ailes1 del'amour! Lesdouceursdusentimentelle contactdespeauxnues!Noussommesluimaines,humaines,humaines!. (9) ».

C'estainsique M.Joseph-Renauda lucidementvii, élégammentexprimédes idéesencorenonvelles,et justes. Justes?Pas stricte-mentparfois;il manqueici et là l'exactitude"absolueque donnelaconvictionprofonde.

L'auteurse joue un peu de la vérité,qui le lui

rend.Onnesentpasla nécessitédes chosesdites; il y a duhasard.Etc'estainsiquece livrese maintientun roman.Cesont desvuesdevie,diverses,pourle public,qui lit des romans.«Cinématographe»avecdis sanies.Peu de conclusions.« commelavie», suivanttaformule.Pourtantla psychologiesesacrifiaitvolontiersauxidées;lesthéoriesdechoississentpas.toujourslesbouches.Et, à l'occasion,desinexactitudesde caractères,oude mœurs.L'inventiondramatique,étantpeudéveloppée,no devaitguèreapporterde troubledans lespsycholoiiies; celles-cisontfaitespourtantd'élémentsdisparatesbou-clésenhâtecommeun budget.Cespersonnagessontmultiplesavecsimplisme,et virevoltentplutôtcyniquement.Ils sontplus faits deparolesque dechair. Maisne voyons-nouspas de pareillesâmesvivre?

-.

Lesgrandsmériteslittérairesde celivreamusant,attachant,élé-gant,curieux,sontla sensationet l'expression;011 y trouved'ailleursla facilitéordinaireà ce quin'estpascomposé.M. Joseph-Henaudalavisionet lagrâceverbale.11voitlestableajixdechaqueinstantaveclucidité,intensité,précision;il peintd'unefinesseartiste.Bornons-nousà admirer,entreautres,ce passage,unearrivéepluvieuseduhéroset del'héroïneà Venise,voyagede noces:« Le tissude pluiestriaitlesperspectives.Unsilencede cimetièreemplissaitl'aube froide;sousce brouillardd'eau,Veniseapparaissaitunecitéseptentrionale,quelqueBruges

partempsdeToussaint. Entreles demeuresà six

elnges,unebandede cielgrispluviassait.

Touslesvoletsvertsétaientclos;sansen croiserd'autres,a gondoleavançaitdesonbalancementmonotonedanslemystèred'uncloîtreinterminableet liquide. LesépOtlx,ahuris,regardaientglissercontreeux la peauglauqueducanalinfinimentcribléede pluie(10). Ah! cessera-t-ilce douxbruitd'eau. » (11.)

L-P.10t.2. P. 92-93,3. P. 116".4. P.lin.5P. 116.6.P.,109.7. P.124.8 P. 168.9. P. 9.10.P. 51.11.P. 61.

LA VIE ARTISTIQUE

L'EXPOSITION FALGUIÈRE

Très vif succès au Nouveau-Cirquepour l'exposition des maquëttes de Fal-

guière. L'œuvre terminée ditla maîtrise

,de l'artiste, l'esquisse dit sa conscience.

.1

Saint-Vincent de PauleDessint'là Falquiétle

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Page 18: La Vie Quotidienne 1899

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