8
A utour de l’accord-cadre Suisse- UE exigé par cette dernière, un débat a réuni, sur l‘invitation du Pdt, trois figures politiques en vue: Sophie Buchs, membre de la Prési- dence du PDC-Ge, en campagne pour le National, le conseiller national PS, Carlo Sommaruga, briguant un siège au Conseil des Etats et Alexander Eni- line, président du PdT, candidat au National et au Conseil des Etats. S’ils ne veulent pas faire le jeu de l’UDC eurosceptique, les grands par- tis apparaissent divisés. Malgré un oui à l’UE, le PS, le PDC et les Verts ont des réserves. Ils ne souhaitent pas en l’état de l’accord institutionnel négo- cié par le Conseil fédéral – toujours flou dans son approche des pourpar- lers – sans aménagements, modifica- tions et clarifications. Ceci tout parti- culièrement concernant les mesures d’accompagnement sur le marché du travail et la limitation des règles sur les aides étatiques. Le PLR affiche un tiède soutien alors que les Vert’libé- raux sont plus favorables. Tandis que les centrales syndicales le rejettent sur certains points, Il est clairement com- battu, avec des arguments dissem- blables, par le PdT et l’UDC. Encore non signé, le texte institutionnel couvre cinq accords bilatéraux exis- tants régissant l’accès au marché de l’UE - libre circulation des personnes, transports terrestres, transports aériens, obstacles techniques au com- merce et agriculture. L’accord doit faire l’objet d’une votation populaire à l’issue certainement défavorable en l’état actuel de sa teneur, selon Carlo Sommaruga. Les raisons du refus «Les faits sont têtus», aimait à dire Lénine. Hormis l’UDC sous des dehors âprement démagogiques, ce thème essentiel pour la vie politique, sociale et économique suisse est peu abordé dans le cadre de la campagne, constate le président du PdT, Alexan- der Eniline, 29 ans. Il ne peut donner caution à une UE n’étant que «construction néolibérale. Sa commu- nauté de valeurs censée assurer la paix et la démocratie s’est révélée menson- gère. Les accords bilatéraux entre la Suisse et l’UE, eux, ont été élaborés au bénéfice exclusif des banques et de l’industrie d’exportation, chimie et pharmaceutique en tête.» A l’image des partis communistes européens, le PST-POP a pris depuis 2008, une position tranchée contre l’adhésion à l’UE. Et favorable à une renégociation des bilatérales dès 2005, pour le PdT genevois. La logique des traités au sein de l’UE? Promouvoir «la concurrence libre non faussée et la suppression de tout ce qui l’entrave, l’orthodoxie monétaire, une Banque centrale indé- pendante ayant pour objectif princi- pal de juguler l’inflation. Et la pri- mauté du droit européen élaboré par des technocrates sur le droit natio- nal». La nature de l’UE? «Montrer sa superbe avec la crise alors même que les troïkas (Banque Centrale Euro- péenne, Commission Européenne, FMI) ont imposé avec une grande brutalité les politiques d’austérité refusées par le peuple et qui consti- tuent un leurre inefficace». Aux yeux d’A. Eniline, la liste de raisons de s’opposer à l’accord Suisse-UE est encore longue. Ainsi, au sein de l’UE, affaiblir les services publics, l’éduca- tion, la santé, la sécurité des sites clas- sés Seveso, comme celui de l’usine Lubirizol à Rouen saturé de matières dangereuses et sa catastrophe écolo- gique de septembre dernier, renforce les inégalités. «Tous les accords bilaté- raux prévoient une adaptation de la législation suisse à la législation euro- péenne, comptant nombre d’excep- tions. Cela débouche sur un édifice très complexe, possiblement ingé- rable. Du coup, l’accord-cadre cha- peauterait les autres accords bilaté- raux, instituant une procédure de reprise du droit européen par la Suisse pour les domaines concernés dans un délai prévu de trois ans. Mais dans un sens parfaitement unilatéral imposé par l’UE.» Or si notre pays n’obtempère tou- jours pas au droit de l’UE, celle-ci peut prendre des «mesures de com- pensation». En clair, des «repré- sailles». Pour le PdT, il est hors de question de «se plier d’un point de vue économique et social à ce type d’accord antidémocratique». Alexan- der Eniline ne croit pas aux mesures d’accompagnement pensées comme «compensation à la libre circulation des personnes. Ainsi les syndicats constatent qu’elles n’empêchent pas toujours le dumping salarial». Citons en ce sens, le secrétaire général de la Confédération européenne des syndi- cats (CES), Luca Visentini, affirmant que «ce n’est pas un bon accord», l’UE refusant à la Suisse les mesures de protection salariale qu’elle «auto- rise explicitement à ses Etats membres» (Tdg, 23.03.19). Objectif: Europe «Celui qui croit pouvoir trouver en soi-même de quoi se passer de tout le monde se trompe fort; mais celui qui croit qu’on ne peut se passer de lui se trompe encore davantage», écrivait La Rochefoucauld. Le célèbre moraliste français du 17 e s. est rejoint en esprit par la Directrice de Pro Juventute-Ge, Sophie Buchs, 32 ans. Face à un monde incertain, l’UE représente une puissance économique de dimension globale sur laquelle la Suisse a tout intérêt à s’adosser. La signature de l’accord-cadre amendé sur certains points s’impose donc comme une nécessité à réaliser au plus vite. Elle relève que son parti genevois soutient l’adhésion par étapes à l’UE, puisque «nous avons une communauté de valeurs, des bilatérales et liens écono- miques forts avec l’UE qu’il faut approfondir. Les PDC continentaux ne sont-ils pas historiquement euro- philes?» Outre les places de travail en Suisse souvent fortement liées au marché européen, «des programmes de recherches universitaires, gage de la qualité d’innovation helvétique, ne peuvent exister sans accords bilaté- raux». A propos des aides d’Etat, des clarifications sont demandées sur les aides aux Cantons de montagne. Pour les mesures d’accompagnement, le PDC-Ge souligne que la question de la protection des travailleurs est fort importante. A Genève, «les contrôles effectués sur les chantiers sont satis- faisants selon les commissions pari- taires. Le point de litige serait que l’accord-cadre prévoit quatre jours ouvrables au lieu de huit actuellement pour ces contrôles. Aux yeux du PDC-Ge, le nouveau délai pourrait déboucher sur une amélioration du cadre bureaucratique de ces contrôles, ce que ne met pas en avant le PDC suisse». A en croire cette athée progressiste et dans les faits, l’UE est bien le pre- mier partenaire économique de la Suisse. En 2018, elle recevait 52% des exportations à la croix blanche sur fond rouge, alors que 70% des pro- JAA / PP / JOURNAL, 1205 GENÈVE SUCCESSEUR DE LA «VOIX OUVRIÈRE» FONDÉE EN 1944 WWW.GAUCHEBDO.CH N° 41 11 OCTOBRE 2019 CHF 3.- A Genève, les conditions déplorables de vie de Mineurs non-accompagnés page 2 La gauche portugaise triomphe, mais doit conforter maintenant le progrès social page 5 Ecole: un appel à «des profs transformateurs» page 3 LE PARTI OUVRIER ET POPULAIRE RENAÎT EN VALAIS ET AFFICHE SES AMBITIONS PAGE 4 Pour qui roule le Conseil des Etats? Quand votera-t-on sur l’initiative «pour des multinationales responsables», déposée en 2016 à Berne? Fin septembre, le Conseil des Etats a décidé de reporter la discussion du contre-projet ficelé par le Conseil natio- nal sur le thème après les élections fédé- rales, laissant entendre qu’il préférait lais- ser la bride libre et sans contrôle aux géants de l’économie. Cet atermoiement a été immédiatement dénoncé par la gauche comme une «manœuvre dilatoire» et une «soumission aux lobbys des multinatio- nales» et aux actionnaires de la part de la chambre haute. La Suisse peut-elle pourtant se passer de réglementer les activités de ces grandes entreprises, qui font des milliards de bénéfices, et qu’elle choie déjà par des réformes fiscales? L’initiative, soutenue par de nombreuses associations et citoyens qui arborent fière- ment une banderole en sa faveur sur leur balcon, ne demande rien de particulière- ment révolutionnaire. Elle veut simple- ment inscrire dans notre Constitution l’obligation pour les entreprises ayant leur siège en Suisse, ainsi que leurs filiales à l’étranger, de respecter les droits humains et l’environnement, également hors des frontières suisses. Déjà trop pour les tenants du laisser-faire, le Conseil national ayant proposé un contre-projet indirect au texte, qui vise à l’établissement de règles contre les violations les plus graves des droits humains par les multinationales. Cette légère avancée, qui inclut la respon- sabilité sociale des entreprises, est soute- nue par le PS, qui la voit comme «un pas dans la bonne direction». Depuis, le Conseil fédéral a proposé en été de demander aux multinationales de pré- senter «des rapports de durabilité portant sur le respect des droits humains et des normes environnementales», ou, si elles ne publient pas ce rapport, d’expliquer pourquoi elles ne veulent pas le faire. Ces indignes tergiversations ne lassent pas d’inquiéter à l’extérieur de nos fron- tières. La semaine dernière, la rappor- teuse au sein de l’ONU sur les droits éco- nomiques, sociaux et culturels, a fait part de ses craintes que la Suisse aboutisse à privilégier de simples mesures volon- taires de la part des multinationales. Va- t-on vers de nouveaux scandales interna- tionaux pour la Suisse? Joël Depommier IL FAUT LE DIRE... Suite en page 2 L’accord-cadre Suisse-UE fait débat SUISSE • Entre Alleingang et étape vers l’adhésion à l’Union Européenne (UE), le controversé accord-cadre Suisse-UE vu par trois personnalités politiques genevoises candidates aux élections fédérales du 20 octobre. Carlo Sommaruga (PS), Alexander Eniline (PdT) et Sophie Buchs (PDC) croisent leurs visions contrastées sur le disputé accord-cadre Suisse-UE au siège du PdT. DR

L’accord-cadre Suisse-UE fait débat - Gauchebdo · 2019. 10. 9. · 2 • NATIONAL N° 41 • 11 OCTOBRE 2019 Suite de la page 1 duits importés dans notre pays prove-naient des

  • Upload
    others

  • View
    1

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: L’accord-cadre Suisse-UE fait débat - Gauchebdo · 2019. 10. 9. · 2 • NATIONAL N° 41 • 11 OCTOBRE 2019 Suite de la page 1 duits importés dans notre pays prove-naient des

A utour de l’accord-cadre Suisse-UE exigé par cette dernière, un débat a réuni, sur l‘invitation

du Pdt, trois figures politiques en vue: Sophie Buchs, membre de la Prési-dence du PDC-Ge, en campagne pour le National, le conseiller national PS, Carlo Sommaruga, briguant un siège au Conseil des Etats et Alexander Eni-line, président du PdT, candidat au National et au Conseil des Etats.

S’ils ne veulent pas faire le jeu de l’UDC eurosceptique, les grands par-tis apparaissent divisés. Malgré un oui à l’UE, le PS, le PDC et les Verts ont des réserves. Ils ne souhaitent pas en l’état de l’accord institutionnel négo-cié par le Conseil fédéral – toujours flou dans son approche des pourpar-lers – sans aménagements, modifica-tions et clarifications. Ceci tout parti-culièrement concernant les mesures d’accompagnement sur le marché du travail et la limitation des règles sur les aides étatiques. Le PLR affiche un tiède soutien alors que les Vert’libé-raux sont plus favorables. Tandis que les centrales syndicales le rejettent sur certains points, Il est clairement com-battu, avec des arguments dissem-blables, par le PdT et l’UDC. Encore non signé, le texte institutionnel couvre cinq accords bilatéraux exis-tants régissant l’accès au marché de l’UE - libre circulation des personnes, transports terrestres, transports aériens, obstacles techniques au com-merce et agriculture. L’accord doit faire l’objet d’une votation populaire à l’issue certainement défavorable en l’état actuel de sa teneur, selon Carlo Sommaruga.

Les raisons du refus «Les faits sont têtus», aimait à dire Lénine. Hormis l’UDC sous des dehors âprement démagogiques, ce thème essentiel pour la vie politique, sociale et économique suisse est peu abordé dans le cadre de la campagne, constate le président du PdT, Alexan-der Eniline, 29 ans. Il ne peut donner caution à une UE n’étant que «construction néolibérale. Sa commu-nauté de valeurs censée assurer la paix et la démocratie s’est révélée menson-gère. Les accords bilatéraux entre la Suisse et l’UE, eux, ont été élaborés au bénéfice exclusif des banques et de l’industrie d’exportation, chimie et pharmaceutique en tête.» A l’image des partis communistes européens, le PST-POP a pris depuis 2008, une position tranchée contre l’adhésion à l’UE. Et favorable à une renégociation des bilatérales dès 2005, pour le PdT genevois.

La logique des traités au sein de l’UE? Promouvoir «la concurrence libre non faussée et la suppression de tout ce qui l’entrave, l’orthodoxie monétaire, une Banque centrale indé-pendante ayant pour objectif princi-pal de juguler l’inflation. Et la pri-mauté du droit européen élaboré par des technocrates sur le droit natio-nal». La nature de l’UE? «Montrer sa superbe avec la crise alors même que les troïkas (Banque Centrale Euro-péenne, Commission Européenne, FMI) ont imposé avec une grande brutalité les politiques d’austérité refusées par le peuple et qui consti-tuent un leurre inefficace». Aux yeux d’A. Eniline, la liste de raisons de s’opposer à l’accord Suisse-UE est encore longue. Ainsi, au sein de l’UE, affaiblir les services publics, l’éduca-tion, la santé, la sécurité des sites clas-sés Seveso, comme celui de l’usine Lubirizol à Rouen saturé de matières dangereuses et sa catastrophe écolo-gique de septembre dernier, renforce les inégalités. «Tous les accords bilaté-raux prévoient une adaptation de la législation suisse à la législation euro-péenne, comptant nombre d’excep-tions. Cela débouche sur un édifice très complexe, possiblement ingé-rable. Du coup, l’accord-cadre cha-peauterait les autres accords bilaté-raux, instituant une procédure de reprise du droit européen par la Suisse pour les domaines concernés dans un délai prévu de trois ans. Mais dans un sens parfaitement unilatéral imposé par l’UE.»

Or si notre pays n’obtempère tou-jours pas au droit de l’UE, celle-ci peut prendre des «mesures de com-pensation». En clair, des «repré-sailles». Pour le PdT, il est hors de question de «se plier d’un point de vue économique et social à ce type d’accord antidémocratique». Alexan-der Eniline ne croit pas aux mesures d’accompagnement pensées comme «compensation à la libre circulation des personnes. Ainsi les syndicats constatent qu’elles n’empêchent pas toujours le dumping salarial». Citons en ce sens, le secrétaire général de la Confédération européenne des syndi-cats (CES), Luca Visentini, affirmant que «ce n’est pas un bon accord», l’UE refusant à la Suisse les mesures de protection salariale qu’elle «auto-rise explicitement à ses Etats membres» (Tdg, 23.03.19).

Objectif: Europe «Celui qui croit pouvoir trouver en soi-même de quoi se passer de tout le monde se trompe fort; mais celui qui croit qu’on ne peut se passer de lui se trompe encore davantage», écrivait La Rochefoucauld. Le célèbre moraliste français du 17e s. est rejoint en esprit par la Directrice de Pro Juventute-Ge, Sophie Buchs, 32 ans. Face à un monde incertain, l’UE représente une puissance économique de dimension globale sur laquelle la Suisse a tout intérêt à s’adosser. La signature de l’accord-cadre amendé sur certains points s’impose donc comme une nécessité à réaliser au plus vite. Elle

relève que son parti genevois soutient l’adhésion par étapes à l’UE, puisque «nous avons une communauté de valeurs, des bilatérales et liens écono-miques forts avec l’UE qu’il faut approfondir. Les PDC continentaux ne sont-ils pas historiquement euro-philes?»

Outre les places de travail en Suisse souvent fortement liées au marché européen, «des programmes de recherches universitaires, gage de la qualité d’innovation helvétique, ne peuvent exister sans accords bilaté-raux». A propos des aides d’Etat, des clarifications sont demandées sur les aides aux Cantons de montagne. Pour les mesures d’accompagnement, le PDC-Ge souligne que la question de la protection des travailleurs est fort importante. A Genève, «les contrôles effectués sur les chantiers sont satis-faisants selon les commissions pari-taires. Le point de litige serait que l’accord-cadre prévoit quatre jours ouvrables au lieu de huit actuellement pour ces contrôles. Aux yeux du PDC-Ge, le nouveau délai pourrait déboucher sur une amélioration du cadre bureaucratique de ces contrôles, ce que ne met pas en avant le PDC suisse».

A en croire cette athée progressiste et dans les faits, l’UE est bien le pre-mier partenaire économique de la Suisse. En 2018, elle recevait 52% des exportations à la croix blanche sur fond rouge, alors que 70% des pro-

JAA / PP / JOURNAL, 1205 GENÈVE

SUCCESSEUR DE LA «VOIX OUVRIÈRE» FONDÉE EN 1944 • WWW.GAUCHEBDO.CH N° 41 • 11 OCTOBRE 2019 • CHF 3.-

A Genève, les conditions déplorables de vie de Mineurs non-accompagnés page 2

La gauche portugaise triomphe, mais doit conforter maintenant le progrès social page 5

Ecole: un appel à «des profs transformateurs»

page 3

LE PARTI OUVRIER ET POPULAIRE RENAÎT EN VALAIS ET AFFICHE SES AMBITIONS PAGE 4

Pour qui roule le Conseil des Etats? Quand votera-t-on sur l’initiative «pour des multinationales responsables», déposée en 2016 à Berne? Fin septembre, le Conseil des Etats a décidé de reporter la discussion du contre-projet ficelé par le Conseil natio-nal sur le thème après les élections fédé-rales, laissant entendre qu’il préférait lais-ser la bride libre et sans contrôle aux géants de l’économie. Cet atermoiement a été immédiatement dénoncé par la gauche comme une «manœuvre dilatoire» et une «soumission aux lobbys des multinatio-nales» et aux actionnaires de la part de la chambre haute.

La Suisse peut-elle pourtant se passer de réglementer les activités de ces grandes entreprises, qui font des milliards de bénéfices, et qu’elle choie déjà par des réformes fiscales?

L’initiative, soutenue par de nombreuses associations et citoyens qui arborent fière-ment une banderole en sa faveur sur leur balcon, ne demande rien de particulière-ment révolutionnaire. Elle veut simple-ment inscrire dans notre Constitution l’obligation pour les entreprises ayant leur siège en Suisse, ainsi que leurs filiales à l’étranger, de respecter les droits humains et l’environnement, également hors des frontières suisses. Déjà trop pour les tenants du laisser-faire, le Conseil national ayant proposé un contre-projet indirect au texte, qui vise à l’établissement de règles contre les violations les plus graves des droits humains par les multinationales. Cette légère avancée, qui inclut la respon-sabilité sociale des entreprises, est soute-nue par le PS, qui la voit comme «un pas dans la bonne direction».

Depuis, le Conseil fédéral a proposé en été de demander aux multinationales de pré-senter «des rapports de durabilité portant sur le respect des droits humains et des normes environnementales», ou, si elles ne publient pas ce rapport, d’expliquer pourquoi elles ne veulent pas le faire.

Ces indignes tergiversations ne lassent pas d’inquiéter à l’extérieur de nos fron-tières. La semaine dernière, la rappor-teuse au sein de l’ONU sur les droits éco-nomiques, sociaux et culturels, a fait part de ses craintes que la Suisse aboutisse à privilégier de simples mesures volon-taires de la part des multinationales. Va-t-on vers de nouveaux scandales interna-tionaux pour la Suisse?

Joël Depommier

IL FAUT LE DIRE...

Suite en page 2

L’accord-cadre Suisse-UE fait débatSUISSE • Entre Alleingang et étape vers l’adhésion à l’Union Européenne (UE), le controversé accord-cadre Suisse-UE vu par trois personnalités politiques genevoises candidates aux élections fédérales du 20 octobre.

Carlo Sommaruga (PS), Alexander Eniline (PdT) et Sophie Buchs (PDC) croisent leurs visions contrastées sur le disputé accord-cadre Suisse-UE au siège du PdT. DR

Page 2: L’accord-cadre Suisse-UE fait débat - Gauchebdo · 2019. 10. 9. · 2 • NATIONAL N° 41 • 11 OCTOBRE 2019 Suite de la page 1 duits importés dans notre pays prove-naient des

2 • N A T I O N A L N° 41 • 11 OCTOBRE 2019

Suite de la page 1

duits importés dans notre pays prove-naient des 28. Sans accord-cadre, l’UE n’a pas l’intention de conclure d’autres accords sur des dossiers comme l’électricité, la santé publique, la sécurité alimentaire notamment. Néanmoins, les bilatérales ne se feront pas à n’importe quel prix. L’ex conseillère municipale carougeoise rappelle ainsi qu’au plan fédéral, le parti ne veut pas de la directive rela-tive au droit des citoyens de l’Union, faisant notamment qu’un nombre nettement plus important d’Euro-péens pourra toucher l’aide sociale. Il faut réclamer une solution pour les mesures d’accompagnement sans affaiblir la protection salariale. Et sou-ligner la nécessité de clarifier la pro-blématique en matière d’aides d’État.

Dernier mot à la Suisse «La Suisse dans l’histoire aura le der-nier mot. Mais encore faut-il qu’elle le dise!» La réflexion de Victor Hugo garde toute son acuité aux yeux de l’avocat Carlo Sommaruga, 60 ans. Il soutient que l’accord-cadre doit pou-voir garantir le niveau des salaires dans notre pays ainsi que les poli-tiques publiques du logement, qui doivent être exclues du champ d’ap-plication de l’accord. Ceci afin qu’elles ne soient pas remises en question au fil de son application. Au chapitre crucial des aides publiques au loge-ment, l’avocat socialiste et secrétaire général de l’Asloca Suisse affirme: «Comme le PDC, l’Asloca a critiqué les restrictions sur les aides d’Etat qui pourraient toucher, dans le sillage de la signature de l’accord-cadre, le sec-teur très controversé de l’électricité. Ou, plus grave, l’aide aux coopératives d’habitation menacée de suppression. Des clarifications sont indispen-sables».

Face à la perspective d’une soumis-sion de la Suisse à la législation arbi-trale de l’UE, Carlo Sommaruga se veut confiant. «La Suisse n’est pas obligée de reprendre le droit euro-péen. Mais si elle le fait, notre pays peut faire jouer son processus démo-cratique par le référendum.» Il rap-pelle qu’il y a un milliard de francs de transactions quotidiennes entre la Suisse et les Etats membres de l’UE. Partant, il est inconcevable de ne pas vivre avec l’UE, si essentielle pour l’emploi en Suisse. Selon le PSS et les syndicats, les mesures d’accompagne-ment (contrôles sur les chantiers, lutte contre le dumping salarial, responsa-bilité solidaire…) sont autant de sujets à discuter et éclaircir, empêchant pour l’heure la signature et la ratification de l’accord-cadre. Néanmoins le PSS, second parti de Suisse, semble telle-ment insister sur les mesures d’ac-compagnement au risque de faire capoter le projet d’accord qu’il appelle par ailleurs de ses vœux.

Mais le vrai défi reste, d’après le tri-bun socialiste, la lutte contre l’initia-tive de l’UDC, «Pour une immigration modérée (initiative de limitation)» réclamant la résiliation de l’accord sur la libre circulation des personnes avec l’UE et sur laquelle s’exprimera le peuple suisse en mai prochain. En cas d’acceptation, elle signifierait «la fin des bilatérales». Prenant un recul his-torique, il constate que l’UE est à l’ori-gine, «une construction économique, tout en se voulant un espace démocra-tique». Dès les années 80, on constate «un abandon de la dimension sociale, supplantée par une vision à la fois libérale et institutionnelle». Or, le fait que les questions sociales soient lais-sées aux Etats membres est aujour-d’hui «l’un des grands problèmes de la construction européenne inachevée». n

Bertrand Tappolet

Cela fait trois mois que des collec-tifs alertent sur les conditions de vie «déplorables» des MNA.

Derrière cet acronyme se cacheraient une soixantaine de Mineurs non-accompagnés. A la différence des Requérants Mineurs non-accompa-gnés (rMNA), ces derniers provien-nent de pays dit «sûrs» et n’ont donc pas accès à la prise en charge qui accompagne une demande d’asile.

En juillet dernier, par une lettre ouverte, relayée par le collectif «tour-noi antiraciste», ces jeunes concernés revendiquaient auprès de la Conseillère d’Etat chargée du dépar-tement de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse (DIP), Anne Emery-Torracinta (PS), le res-pect de leur droit à des conditions dignes en matière d’accompagne-ment social, de logement et de scola-rité. Le 15 août, à deux semaines de la rentrée scolaire, le Collectif Lutte des MNA dénonçait l’inaction des autori-tés dans les colonnes du site d’infor-mation alternatif Renversé.co et rap-pelait qu’alors que «[n]os enfants, frères et Sœurs, cousins et cousines feront leur rentrée [...], leur droit à la formation étant ainsi respecté», les MNA, eux, n’en n’auront toujours pas.

Le 26 août, jour de la rentrée pour (presque) tous les mineurs du canton, le Collectif a rencontré la Délégation du Conseil d’État aux migrations. Selon lui, des engagements auraient été pris. Ils consisteraient en un accès à la scolarité suite à l’étude de cha-cune des situations, la mise en place d’un document attestant de leur identité et de leur prise en charge par le SPMI, ainsi qu’une invitation à la présentation d’un nouveau foyer d’hébergement. En effet, certains de ces MNA sont actuellement logés à l’Hôtel Aïda, établissement qui est dénoncé par plusieurs témoins comme totalement inadapté à l’ac-cueil de ces jeunes gens.

Laissés-pour-compte A ce jour, aucun des engagements des autorités ne se serait concrétisé. Jointe par téléphone, Léa*, membre du collectif, nous informe que quelques jeunes sont actuellement

logés dans des foyers tel celui des Tattes, du Grand-Sacconex, ou de l’Étoile à Carouge. Rappelons que ce dernier a défrayé la chronique depuis le suicide d’Ali, un de ces jeunes pen-sionnaires, au printemps dernier. Selon Léa, la plupart des MNA dor-ment toujours à l’Aïda ou dans d’autres hôtels et «certains sont actuellement à la rue».

Les matins, les MNA accueillis dans des établissements hôteliers ont le droit à un petit-déjeuner. Selon un témoignage publié par Renversé.co, celui de l’Hotel Aïda se serait déjà composé de lait «dilué avec beaucoup d’eau» et de «pain moisi». Le midi, les jeunes sont censés déjeuner à l’asso-ciation Païdos, mais le nombre de place s’y limiterait à 15 selon le Col-lectif, soit 4 fois moins que le néces-saire. Quant aux dîners, ils peuvent aller les chercher gratuitement dans une sandwicherie de la rue de Lau-sanne. Léa fustige de telles condi-tions, «non seulement certains ne parviennent pas à déjeuner, mais de plus on a des jeunes qui se nourris-sent de sandwichs tous les soirs». Elle ajoute, que les repas offerts par Paï-dos (en nombre insuffisant) ainsi que par la sandwicherie, ne le sont que du lundi au vendredi, laissant ces jeunes sur le carreau durant le week-end.

A l’instar de certains déjeuners, l’intégration dans un parcours sco-

laire, demandée par ces mineurs, se fait également attendre. Léa nous confie, que d’après l’Accueil de l’En-seignement Secondaire II (ACCES II), il suffirait d’un accord des cura-teurs du Service de Protection des Mineurs (SPMI) pour que ces jeunes intègrent des cursus. Toutefois, «rien n’est fait», selon elle, pour répondre à ces demandes, d’autant plus légitimes qu’elles constituent un droit garanti par la Convention aux droits de l’en-fant (Art. 28), ratifiée par la Suisse en 1997.

Le Collectif dénonce également la répression policière dont sont vic-times ces jeunes. A la sortie de leur dernière conférence de presse, deux MNA se sont fait arrêter parmi 5 per-sonnes pour un contrôle d’identité, avant d’être relâchés après 2 heures d’une garde-à-vue «inutile», sans aucune charge retenue à leur encontre. Pour le collectif, qui sou-ligne la nécessité d’un document per-mettant de se légitimer comme pris en charge par le SPMI, les agisse-ments de la police s’assimilent parfois à du «profilage racial».

Nouvelles promesses et mobilisations Par un mail daté du 27 septembre, que nous avons pu consulter, le DIP annonce avoir mandaté la fédération Officielle de la Jeunesse «pour l’ou-

verture, courant octobre, d’un lieu d’hébergement destiné aux MNA». Le département annonce également que ces derniers y disposeront d’une prise en charge consistant en «un accompagnement éducatif adapté aux besoins de ces mineurs, dans un cadre d’hébergement sûr». Toutefois, cette nouvelle structure devrait offrir «une vingtaine de places», soit 3 fois moins que nécessaire. Le DIP annonce également, que «le pro-gramme des activités a été revu, notamment pour renforcer le temps dédié aux apprentissages scolaires (français et mathématiques)». A cela, le Collectif répond qu’il ne souhaite pas que ce «renforcement» des activi-tés scolaires soit proposé à la place d’une formation scolaire ou profes-sionnelle complète.

En l’absence d’une prise en charge effective et suffisante des MNA par les autorités compétentes, le collectif est bien décidé à se faire entendre. Afin de revendiquer la fin de l’héber-gement en hôtel, la fermeture du controversé oyer de l’Étoile, ainsi que des conditions d’accueil dignes pour tous les MNA (et les rMNA), il occu-pera ce dernier le jeudi 17 octobre dès 18h, ainsi que l’Hôtel Aïda dans les semaines suivantes.

Jorge Simao *Ne souhaite pas indiquer son nom de famille.

«Les conditions de vie déplorables des MNA»GENÈVE • Depuis des mois, plusieurs groupes citoyens dénoncent la situation précaire de mineurs arrivés seuls dans la cité de Calvin. De leur côté, les autorités prennent des engagements qui se font attendre.

Le Collectif Lutte des MNA (Mineurs non accompagnés) met en lumière « l’absence d’une prise en charge effective et suffisante des MNA.» DR

La Ferme UDC Tout est dans le nom! Qui d’entre vous a déjà tenté d’expliquer, hors nos frontières, ce que pouvait avoir de démocratique ou cen-triste le premier parti de Suisse (pourtant joliment nommé «Union Démocratique du Centre»)? Vous

aurez beau vous contorsionner la langue et les méninges, rien n’y fera. Ces faucheurs de minarets ont autant à cœur d’être au centre que le PLR d’être syndicaliste. Quant à la démocratie, ils n’ont évidemment rien contre, tant qu’on en circonscrit les votants aux des-cendants des Waldstätten.�Mais qu’on s’en gausse ou pas, c’est bien la première force du Parlement (dont on comprend mieux les errances). Et les revoilà ces jours dans les star-ting-blocks électoraux, comme leurs concur-rents bleus, roses, verts, oranges et rouges gre-nadine. De savoir ce parti agraire en cam-pagne, on redoutait la lourdeur d’un pléo-nasme. C’est l’oxymore qui survint: «Liberté et

sécurité»! Tel est le programme annoncé. Avec à la clef: des candidats en chemise, et qui vous la troussent jusqu’au coude! Pour un peu, on crierait à la débauche. Fort heureusement, ces petits bras ne sont rien moins qu’attirants: la libido n’est pas encore du parti.�Reste donc le slogan. Qui veut dans un même temps assurer la liberté, tout en sécurisant le périmètre. Au pays d’UDC, l’immunité n’est garantie à cer-tains qu’en criminalisant les autres. Et l’on peut toujours espérer, comme le cheval d’Or-quewell, avoir sa carte au clan des cochons. L’adage de la Ferme des animaux, lui, reste bien gravé au fond des granges de l’UDC. L’égalité des chances, certes, mais pour autant qu’on ait le bon passeport. L’étape suivante, c’est le code génétique. Ensuite la confession. Et au final, il vous reste trois gorets coincés dans un chalet. Et qui vitupèrent sur les barques pleines et l’ «Océan Viking»…

Méditerranéennement vôtre, Renart

* Chronique tenue tous les 15 jours par Yves Mugny, auteur de La Faute au loup (éd. Cousu Mouche), www.yvesmugny.ch/ www.facebook.com/Yves.Mugny/ Illustration: maou.ch

Page 3: L’accord-cadre Suisse-UE fait débat - Gauchebdo · 2019. 10. 9. · 2 • NATIONAL N° 41 • 11 OCTOBRE 2019 Suite de la page 1 duits importés dans notre pays prove-naient des

N A T I O N A L • 3N° 41 • 11 OCTOBRE 2019

N’autre école publique (NAEP) est une association sans but lucratif, politiquement neutre et

confessionnellement indépendante dont le but est de promouvoir des pra-tiques enseignantes innovantes, alter-natives et critiques centrées sur les besoins de l’enfant, sur une éducation pour la paix et pour un développe-ment durable. L’association regroupe des membres du personnel travaillant dans les écoles publiques des cantons romands et d’autres membres d’uni-vers éducatifs nombreux et divers.

Lors de notre rencontre, Zakaria Serir reconnaît aussi avoir connu un parcours scolaire «pas si simple», par-semé de difficultés d'apprentissage, mais il affirme néanmoins «avoir compris beaucoup de choses».

L’échec scolaire, les inégalités, les injustices, une certaine réussite des méritants, l’ethnocentrisme éducatif et le rôle de l’école dans la reproduction sociale que Bourdieu avait déjà exposé dans ses travaux, l’ont questionné. Et depuis il aspire à une autre école.

Parmi ses modèles, Paulo Freire, pédagogue brésilien, connu pour ses efforts d'alphabétisation tournés sur une pédagogie de l’autonomie, conçue comme un moyen de lutter contre l'oppression. Mais aussi Célestin Frei-net, pédagogue français, qui voulait faire de la classe un atelier et favoriser ainsi le travail et la coopération dans l'apprentissage. Ou encore Ivan Illich dénonçant les travers d'une institution scolaire qui, selon lui, fabriquait des élèves dociles, prêts à consommer des programmes préparés par des «autori-tés» et à obéir aux institutions.

Possible projet émancipateur .Pour Zakaria Serir, une chose est

sûre, «il existe un écart gigantesque

entre son vécu d’enfant et celui des jeunes élèves actuels». Il soutient l’idée que «l’école publique peut, elle aussi, développer un projet émanci-pateur. Mais elle ne pourra le faire que «s’il y a en son sein des ensei-gnants engagés dans ce sens; des pro-fessionnels enthousiastes quant aux idées d’un progrès social humaniste; des enseignants transformateurs agis-sant au quotidien pour la réussite de tous leurs élèves».

Avec un petit sourire au coin des lèvres, il nous dit n’avoir rien inventé, que tout ce qu’il explique est vieillot, mais pourtant si actuel et nécessaire. Pour lui, un enseignant ne devrait avoir qu’un seul objectif: «accompa-gner les enfants à comprendre le monde pour l’imaginer autrement».

Selon Zakaria Serir, l’Ecole (avec un grand E), dont l’histoire est inti-

mement liée à l’instauration de l’Etat et de la forme scolaire en découlant, bénéficie d’un statut particulier. Sta-tut lui conférant une légitimité que l’Ecole lègue de facto aux ensei-gnants. Cette première prise de conscience, celle des responsabilités de l’enseignant, est essentielle dans le processus de changement.

Contre la pensée banale «Nous vivons dans une société

marquée par un sentiment de menace issu des dérives sociétales et des peurs qu’elles engendrent. Avec pour corollaire, une interprétation dominante du principe de précaution et de gestion des risques qui nous prive, à nos dépens, de nos droits de réfléchir, de faire autrement», nous explique-t-il. Conséquences: cela donne lieu à un élargissement de la

pensée banale et des représentations de sens commun. D’où un sentiment de «résignation», de «fatalité» ou d’«indifférence» devant les possibili-tés de changement. Pour Zakaria Serir, les enseignants ne sont pas épargnés par ces effets.

Interroger le monde Selon Zakaria Serir, il est néces-

saire de démasquer le sens social des mots, pour aller au-delà de la banalité de leur sémantique. Par exemple, «quand on parle d'autonomie d'un enfant à l’école, on s'attend à ce que l'on fasse référence à sa capacité d’agir par lui-même, de façon indé-pendante, dans le monde. Pourtant de nombreuses recherches montrent qu’à l’école, l’autonomie se mesure davantage à la capacité de l’élève à obéir aux règles scolaires, en enle-

vant, par exemple, ses chaussures avant d’entrer dans une classe ou encore en se mettant en cortège».

Aux yeux de Zakaria Serir, chan-ger l’école c’est «offrir les moyens et les outils à l’enfant pour penser par lui-même, sans manipulation, afin qu’il interroge le monde dans lequel il vit, à commencer par son école, en l’accompagnant à prendre conscience des éventuelles différences ou des inégalités qu’il vit au quotidien».

Enfin, «facile à dire»… nous dit Zakaria Serir. Plus «difficile à faire» ajoute-t-il. D'où la nécessité pour lui d'offrir des contre-modèles. «La pédagogie libertaire, qui part du constat que tout enfant est capable, considère que tous les savoirs - ceux issus du quartier de l’enfant, de ses parents, de ses affects - sont des savoirs dignes qu’il est important de prendre en compte».

Et pour tenir compte avec respect des savoirs de chacun, il dit s’être intéressé aux pédagogies critiques. «Parce qu'elles sont souvent mal connues et confondues avec les péda-gogies alternatives. Parce qu’elles visent à lutter contre les formes de domination, qu'elles soient de genre, de classe ou encore qu’elles relèvent d'autres inégalités. Parce qu’elles per-mettent de définir l’école comme un lieu où la société se pense pour se transformer. Parce qu’elles sont un espoir afin de connaître un monde en paix et une société humainement prospère.»n

JDr Ce texte a été relu et amendé par

l’intervenant. «Danser sur les tombes. Quand les élèves

apprennent à développer un esprit critique». Exposition coorganisée par Zakaria Serir à Uni-Mail, Genève. Jusqu’au 15 octobre.

Un appel à des «profs transformateurs»ENSEIGNEMENT • Quelle école pour demain? Rencontre avec Zakaria Serir, fondateur de l'association N’autre école publique (NAEP).

La semaine dernière, l’Asloca a présenté un projet de loi au Grand Conseil pour faciliter l’accès au logement des genevois. Quels en sont les contours? CHRISTIAN DANDRÈS Aujourd’hui, l’Etat ne peut attribuer que 20% des seuls logements sociaux. Il n’a aucun pou-voir de décision sur les appartements locatifs ou en PPE, dont les proprié-taires font ce qu’ils veulent, attri-buant leurs biens à qui bon leur semble. On constate que bien souvent les appartements sont attribués à celles et ceux qui sont dans les petits papiers des propriétaires et/ou des promoteurs. Or, les besoins en loge-ments sont criants. Plus de 8’000 per-sonnes attendent sur les listes de l’Etat et la Ville de Genève. La diffi-culté à se loger est importante pour toutes les catégories de salariés, hor-mis pour les quelques personnes dont les revenus sont exceptionnellement élevés.

Avec notre projet de loi, l’Asloca veut que l’Etat puisse attribuer 20% des logements en loyer libre et 20% des logements en PPE, en zone développe-ment, sur la base de critères objectifs découlant d’une priorisation du besoin. Nous escomptons obtenir une majorité au Parlement genevois.

Cette loi viendrait compléter l’ini-tiative 156 « Halte aux magouilles OUI à la loi Longchamp! » acceptée en 2016. Celle-ci visait à interdire la spé-culation dans les zones de développe-ment, en obligeant les acheteurs de logement en PPE à y vivre durant dix ans. L’objectif était de mettre fin à la spéculation constatée à La Tulette à Cologny, où des amis du promoteur achetaient des appartements pour les louer durant la période de contrôle des loyers, avant de congédier les loca-taires et de revendre les logements à la fin de celle-ci, en empochant un béné-fice considérable.

Des locataires ont dû quitter leur logement à la Servette, du fait des risques d’effondrement, ce projet pourrait leur servir pour se reloger? Ce cas illustre l’absurdité actuelle. Ces locataires ont un besoin urgent de se reloger, qui devrait primer sur le désir des promoteurs et propriétaires de ser-vir d’abord les copains.

Au niveau national, l’Asloca a déposé en 2016 une initiative «pour des logements abordables». Où en est-on? Notre texte devrait passer en février 2020 devant le peuple. Les autorités

fédérales ont fait preuve de mépris pour les locataires en conditionnant le fait de réalimenter le fonds de roulement en faveur du logement d’utilité publique au retrait de notre initiative. Pour com-battre la pénurie de logements, notre initiative propose de favoriser la construction de logements en utilité publique pour atteindre le seuil de 10%, en donnant aux collectivités publiques un droit de préemption sur des terrains en mains d’entreprises publiques. Ainsi, l’Etat pourrait acheter des terrains des CFF dont les pratiques immobilières scandaleuses servent la spéculation. CFF immobilier construit des bureaux et des logements de standing comme la tour OPALE à Chêne-Bourg. Notre initiative veut aussi que les rénovations d’im-meubles ne s’accompagnent pas d’une transformation de ses logements bon marché en appartements de standing, comme c’est fréquemment le cas à Zurich. L’Asloca est aussi prête à lancer un référendum contre le projet des représentants politiques des milieux immobiliers au Parlement fédéral, ava-lisé en juin, visant à démanteler la pro-tection des locataires contre les loyers abusifs. n

Propos recueillis par Joël Depommier

Des logements pour tous!GENEVE • L’Asloca vient de proposer un texte de loi pour faciliter l’accès au logement locatif pour tous. Interview de Christian Dandrès, juriste au sein du secrétariat juridique de l’association genevoise.

«La pédagogie libertaire postule que tout enfant est capable et considère que tous les savoirs sont des savoirs dignes.» DR

Le 2 septembre, la multinationale du tabac Japan Tobacco Interna-

tional basée à Genève a annoncé un plan de restructuration, avec la sup-pression de 268 postes fixes.

Rapidement, les employés ont mandaté leurs représentants pour entrer en négociation avec la direc-tion afin qu’elle garantisse les condi-tions cadre permettant une réelle consultation. Avec peu de succès: l’entreprise n’a pas voulu accorder au personnel genevois le même traite-ment qu’à ses collègues touchés par la

restructuration dans d’autres pays. Face à cette situation, les employés

ont saisi, fin septembre, la Chambre des relations collectives du travail (CRCT), avec l’aide du syndicat Unia, afin de tenter une médiation. Celle-ci vient d’aboutir à un échec de la conciliation. Sans garanties d’ici la fin de la semaine de la part de la direc-tion pour le maintien des emplois et un plan social juste, des mesures de lutte seront prises dès la semaine pro-chaine. n

Réd.

Pour l'Amazonie, les peuples autochtones et la justice climatique Samedi 12 octobre, 13h30 · Zone piétonne du Mont-blanc, Genève L'Amazonie brûle. La Suisse se fait complice de cette destruction, en ayant conclu un accord de libre-échange AELE (Suisse, Islande, Liechtenstein et Norvège) - MERCOSUR (Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay). La mobilisation s’inscrit dans le cadre de la campagne globale pour revendiquer la souveraineté des peuples, démanteler le pouvoir des multinationales et mettre fin à l’Impunité. Et de la lutte pour l'établissement du Traité Contraignant sur les multinationales et les droits humains à l’ONU.

Vale & compagnies détruisent nos vies et la planète Lundi 14 octobre à 20h. À l'Espace Dickens, 4 Avenue Charles Dickens, Lausanne Avec Carolina de Moura Campos, militante brésilienne, leader communautaire à Brumadinho, membre de la Coordination Internationale des victimes de Vale; Danilo Chammas, avocat populaire brésilien, défenseur des communautés atteintes par Vale en Amazonie brésilienne et dans l’Etat du Minas Gerais, membre de la Coordination Internationale des Victimes de Vale et Franziska Meinherz, solidaritéS

AGENDA

268 emplois partent en fumée à JTI

Page 4: L’accord-cadre Suisse-UE fait débat - Gauchebdo · 2019. 10. 9. · 2 • NATIONAL N° 41 • 11 OCTOBRE 2019 Suite de la page 1 duits importés dans notre pays prove-naient des

4 • M O U V E M E N T N° 41 • 11 OCTOBRE 2019

Il s’agit d’un retour du parti sur la scène politique valaisanne, où il a été présent de 1944 à 1990, date de

la dissolution de la section de Marti-gny. René Duchoud, président de cette section avait notamment été vice-président de la commune de La Bâtiaz durant les années 1950. Ces dernières années des liens avaient par ailleurs été tissées entre la Gauche valaisanne alternative, alors seul mouvement de gauche radicale valai-san, et le POP.

Cette refondation est due surtout aux efforts de Frédéric Nouchi, chauffeur aux TPG, syndiqué SEV, ancien membre du Parti socialiste du Valais Romand, ancien vice-prési-dent romand du PS-Migrants suisse

et conseiller général Alliance de Gauche à Martigny.

Le POP valaisan se propose «d’ébranler les politiques de compro-mis et d’austérité qui ne cessent de détériorer la vie des Valaisannes et des Valaisans». Il souhaite participer aux élections locales si possible dans des alliances de gauche, pour renfor-cer la gauche valaisanne. Il se battra pour un certain nombre de thèmes présents dans le programme du PST, notamment une caisse maladie publique unique, un salaire mini-mum de 4500 francs, la souveraineté alimentaire, l’introduction de l’ur-gence climatique, l’intégration du deuxième pilier dans le premier et l’arrêt immédiat des privatisations

dans le secteur public. Le POP Valais sera une section à

part entière du PST. Après une assemblée générale validant ses sta-tuts, il sera intégré dans les structures nationales du PST. Il sera la 12e sec-tion cantonale du PST qui, présent dans les trois régions linguistiques, est le seul parti national à la gauche du PS et des Verts.

A l’heure où, en Valais comme partout, de graves problèmes se posent auxquels aucune solution effi-cace n’est envisagée par les pouvoirs en place, on ne peut que souhaiter plein succès au nouveau POP dans sa volonté d’insuffler plus de combati-vité dans la gauche valaisanne. n

Jean-Marie Meilland

Refondation du POP en ValaisVALAIS • Le 8 octobre, le POP a été reconstitué en Valais. En présence de Christophe Grand, co-secrétaire du PST-POP, une conférence de presse et une assemblée ont procédé à son officialisation.

L’Iran et l’Arabie saoudite, deux pays particulièrement misogynes Le 6 septembre, je vous parlais de l’engouement pour le foot féminin durant l’été. Il est hélas des pays où le simple fait d’entrer dans un stade est interdit aux femmes, comme en Arabie saoudite jusqu’au 12 décembre 2017 et aujourd’hui encore en Iran, malgré les manifestations de militantes. Mais certaines, pour braver cet interdit, se déguisent en homme et se dessinent une barbe. C’est ce qu’a fait récemment Sara Khabazi pour le plai-sir de voir ses idoles de près. Malheureusement, elle a été découverte, arrêtée et condam-née à 6 mois de prison. Ce qui l’a poussée à se suicider par immolation, une des pires façons de mourir.

Ce drame a fait le tour du monde. Et montré à quel point ce pays rétrograde ne respecte pas les femmes. Si peu que des lois absurdes leur sont imposées. Elles ont l’interdiction de chanter en public et sur scène, de conduire en étant mal voilées (leur voiture peut être confisquée), de refuser des relations sexuelles avec leur époux, sous peine de ne pas rece-voir de pension alimentaire. Le viol conjugal et les violences au sein du foyer ne sont pas punis par la loi. Les relations lesbiennes sont passibles de 100 coups de fouet et de peine de mort à la 4e récidive.

La Constitution iranienne affirme que la vie d’une femme ne vaut que la moitié de celle d’un homme. Si une femme souhaite témoigner, elle devra être accompagnée de deux hommes, sinon son témoignage n’a aucune valeur. Dans cette même «logique», les répa-rations versées pour avoir tué ou blessé une femme correspondent à la moitié des indem-nités dues lorsqu’il s’agit d’un homme. Les femmes doivent obtenir la permission de leur mari pour quitter leur pays. En cas d’adultère, le couple en question est sanctionné par lapidation, jusqu’à ce que mort s’ensuive. Tous deux sont enterrés, l’homme jusqu’à la taille et la femme jusqu’au-dessus de la poitrine. L’homme a alors plus de «chance» de s’en sortir. Après le divorce, l’homme a officiellement la charge de son garçon à partir de deux ans et de sa fille à partir de sept. La femme, elle, perd automatiquement le droit de garde des enfants si elle compte se remarier.

Il est interdit aux femmes d’étudier la biologie, la littérature anglaise et 75 autres filières universitaires, réservées aux hommes, bien que les femmes obtiennent de meilleurs résul-tats. En outre, le gouvernement demande aux entreprises de favoriser les hommes et les femmes qui ont déjà des enfants, lors du recrutement.

Demander le divorce en Iran est considéré comme une atteinte à la virilité. Et si le mari y est favorable, les procédures sont longues. Il est interdit d’avoir un contact physique entre une femme et un homme qui ne sont pas de la même famille. En 2014, la bise sur la joue entre l’actrice iranienne Leila Hatami et Gilles Jacob, alors président, sur le tapis rouge du Festival de Cannes avait défrayé la chronique. La femme iranienne n’a pas le droit d’épou-ser un étranger ni un non-musulman. En Iran, les petites filles peuvent être condamnées à mort dès l’âge de 9 ans, contre 15 pour les garçons. Ce pays est celui qui compte le plus de mineur-e-s dans le couloir de la mort en 2016... Enfin récemment, dans ce charmant pays, une Iranienne célèbre sur Instagram pour avoir transformé son apparence grâce à la chirurgie esthétique, a été arrêtée et accusée de «blasphème».

Les femmes sont soumises à des lois absurdes dans un autre pays musulman, l’Arabie Saoudite. Jusqu’en 2018, les femmes n’avaient pas le droit de conduire (sous prétexte que cela favoriserait le mélange des genres et la promiscuité), ce qui leur compliquait la vie, puisqu’il leur fallait trouver un chauffeur pour le moindre déplacement. Cependant, des militantes qui bataillaient depuis des années pour obtenir ce droit ont été emprisonnées et poursuivies en justice pour avoir parlé à des journalistes étrangers!

En Arabie Saoudite, les femmes sont soumises au contrôle de leur père, mari, frère ou fils. Celui-ci occupe le statut de «gardien masculin». Les Saoudiennes doivent donc obtenir l’autorisation de leur «gardien» pour renouveler leur passeport et quitter le pays, ainsi que pour faire des études. Le pays compte plusieurs universités réservées aux femmes. Depuis quelques années, la monarchie dirigée par la dynastie Saoud cherche néanmoins à moderniser son image et rompre avec celle d’un royaume ultraconservateur. Par exemple, en levant les restrictions qui empêchaient les femmes d’avoir accès au marché de l’em-ploi, moins par respect que pour des raisons économiques: le royaume cherche à réduire sa dépendance aux ressources pétrolières. Mais les Saoudiennes ne peuvent pas exercer tous les métiers: tout contact avec un homme leur étant interdit, elles ne doivent pas avoir de relation avec le public, excepté dans les hôpitaux. Elles n’ont pas le droit d’avoir un compte en banque (comme en Suisse jusqu’en 1988!) ni de quitter le foyer sans en avertir le mari. Pour se marier, les femmes de tous âges doivent obtenir la permission de leur «gardien», tandis que les hommes peuvent divorcer sans le consentement de leur épouse. En janvier 2018, les Saoudiennes ont pour la première fois été autorisées à péné-trer dans certaines enceintes sportives, mais dans des tribunes séparées.

Enfin, les pouvoirs de la redoutée police religieuse, qui a pendant des décennies patrouillé les rues pour réprimander les femmes pas assez couvertes ou au vernis à ongles trop brillant, ont été réduits. Dans la capitale, Ryad, et dans d’autres villes, il est d’ailleurs désormais possible de voir des femmes circuler sans foulard. L’avortement est naturelle-ment interdit dans les deux pays, sauf en cas de danger pour la mère. Rappelons que les Saoudiennes n’ont obtenu le droit de vote qu’en 2015, l’Arabie saoudite fut le dernier pays à l’accorder. Les Iraniennes l’obtinrent en 1963, soit 8 ans avant les Suissesses!

Mais l’obscurantisme sévit aussi en Occident. Dimanche 6 octobre, des dizaines de milliers de personnes ont défilé à Paris contre la PMA (procréation médicale assistée) pour toutes, plus ou moins les mêmes qui s’étaient opposées au mariage pour tous. La Suisse est le seul pays européen à ne pas avoir encore de congé paternité ou parental. L’avortement est encore totalement interdit dans 4 pays européens: Andorre, Malte, Saint-Marin et Vatican...

D’un côté, on enferme les femmes vivantes, d’un autre, on les dénude. De tout temps, le corps féminin a représenté un enjeu politique. Quand fichera-t-on la paix aux femmes? Quand seront-elles respectées dans tous les pays du monde?

Huguette Junod

LA CHRONIQUE FÉMINISTE

Avenir Suisse pour le libre-échange et les importations issues de la souffrance animale

Avec l’article «Les paysans suisses devraient balayer devant leur porte» publié dans la NZZ du 01.10.2019,

Avenir Suisse, le groupe de réflexion proche des milieux économiques, enfonce le clou pour demander plus d’ac-cords de libre-échange. Dans l’optique de promouvoir l’ac-cord avec les pays du Mercosur, il dénigre fortement l’agri-culture suisse et ses performances en matière de dévelop-pement durable. Avenir Suisse a une vision trop étroite des milieux critiques d’un tel accord. La Coalition Mercosur, dont la Protection Suisse des Animaux PSA fait partie, regroupe des organisations de protection de l’environne-ment, des animaux et des consommateurs qui demandent d’y faire une place plus large au développement durable et au bien-être animal.

La PSA juge aussi l’offensive PR d’Avenir Suisse cousue de fil blanc. Avec son «Programme de politique agricole en 10 points», il veut réduire la protection aux frontières et chambouler la politique agricole pour baisser les coûts de production de notre alimentation. Mais avec des fermes-usines et un abaissement des normes de qualité et de contrôle des aliments, il nous faudrait payer le prix fort pour avoir des denrées alimentaires moins chères.

Concrètement, les consommatrices et consommateurs suisses se verraient proposer toujours plus de viande d’éle-vages industriels étrangers, produite par des animaux engraissés dans des bâtiments sans fenêtres, exposés conti-nuellement à la lumière artificielle et traités régulièrement aux antibiotiques. Plus d’importations bon marché signi-fient donc plus d’importations issues de la souffrance ani-male.

Les consommatrices et consommateurs sont aussi inquiets, notamment parce que le Brésil est le plus gros uti-lisateur mondial de pesticides, dont on peut trouver des résidus dans la viande liés à l’apport d’eau et d’aliments - en grande partie génétiquement modifiés - consommés par ces animaux. Personne n’ignore qu’on utilise à large échelle dans ces pays des antibiotiques comme facteurs de croissance.

On peut discuter en toute bonne foi de la situation de l’agriculture suisse en matière de protection de l’environ-nement et des animaux. Mais pour la PSA, il est clair que l’expérience radicale qu’Avenir Suisse veut faire subir aux paysans entraînera aussi une régression drastique du bien-être animal en Suisse. Les consommatrices et consommateurs n’en veulent pas, pas plus que la Protec-tion des animaux. n

Stefan Flückiger, Directeur Politique agricole,

Protection Suisse des Animaux PSA

COURRIER

Gauchebdo a besoin de votre soutien: abonnez-vous ! www.gauchebdo.ch/abo

Page 5: L’accord-cadre Suisse-UE fait débat - Gauchebdo · 2019. 10. 9. · 2 • NATIONAL N° 41 • 11 OCTOBRE 2019 Suite de la page 1 duits importés dans notre pays prove-naient des

INTERNATIONAL • 5N° 41 • 11 OCTOBRE 2019

Comme le veut la Constitution portugaise, le Président de la République convoquera le lea-

der du parti vainqueur et lui deman-dera de former un gouvernement, qui ensuite se présentera devant le nou-veau parlement pour être investi. C’est le Parti socialiste qui est sorti vainqueur du scrutin avec environ 37% des voix (106 députés sur 230 contre 86 en 2015), donc sans majo-rité absolue, ce qui va l’obliger à pas-ser des accords.

Ceux-ci seront conduits à gauche comme dans la législature précédente, soit à droite, comme cela s’est déjà fait en 1978 avec Mário Soares, secrétaire général du PS à l’époque, qui n’avait pas hésité à passer un accord parlementaire avec la droite dure (CDS) pour pouvoir gouverner. Une expérience qui n’avait tenu que 8 mois.

Antonio Costa, l’actuel et futur Pre-mier ministre pour les quatre pro-chaines années, tentera à nouveau de former un gouvernement avec l’appui de la gauche parlementaire soit le Bloc de Gauche (BE) et la CDU (Coalition formé par le Parti communiste portu-gais et le Parti écologiste - Les Verts). La première formation maintient ses 19 députés avec 9,67% des voix, alors que la coalition rouge-verte décroche 6,46% des votes, contre 8,25% en 2015, et 12 élus.

Une alliance positive Cette alliance a conduit à des résultats positifs. Parmi les avancées: augmen-tation des salaires minimaux natio-naux à 600 euros, augmentation des retraites, retour du 13e salaire, qui avait été retiré aux employés de la fonction publique, ainsi que celui des 35 heures de travail hebdomadaires. Le gouvernement a aussi œuvré, entre autres, pour une baisse importante de l’abonnement des transports publics et la gratuité des manuels scolaires pen-dant toute la scolarité obligatoire.

Ce gouvernement - la «gerin-gonça» - a été soutenu par la gauche, sans quoi le budget annuel du gou-vernement n’aurait pas été voté, ce qui signifiait la chute du gouverne-ment et la convocation de nouvelles élections.

Le bilan est donc globalement posi-tif, même si le Parti socialiste s’est allié à la droite pour faire passer le nouveau Code du Travail, un revers important pour les travailleurs et les syndicats. Comme par hasard, celui-ci a été voté le dernier jour de la législature, sous les remerciements du patronat. Après les votations de dimanche dernier, Anto-nio Costa a déjà annoncé qu’il entendait continuer dans le même registre.

Abstention en hausse Du côté de la coalition PCP/PEV, les premières déclarations, par l’entremise de son secrétaire général, Jeronimo de Sousa, vont dans le sens de refuser un accord écrit avec le Parti socialiste, pour ne pas se retrouver pieds et poings liés. Elle verra au cas par cas la possibilité de voter en faveur du gou-vernement, surtout si les propositions vont dans le sens voulu, soit l’amélio-ration du niveau de vie du peuple por-tugais, avec notamment l’augmenta-tion du salaire minimum à 850 Euros exigé par le PCP et la CGTP.

Concernant les élections de dimanche dernier, le bilan est aussi positif. La gauche sort largement vain-queur, le nombre de femmes élues passe à 89 députées, chiffre jamais atteint dans l’histoire du Portugal. Pour la première fois aussi, 3 femmes d’ori-gine africaine (Guinée et Sénégal) font leur entrée au parlement.

Malheureusement, ces élections ont aussi des aspects négatifs, voire très négatifs, comme l’augmentation de l’abstention à 45%. Mais surtout, il y eut l’élection pour la première fois d’un député d’extrême droite, alors que le Portugal était jusqu’à dimanche l’un des

quatre pays européens, où l’on n’en comptait aucun.

Plus préoccupant encore est le fait que le parti Chega! (extrême droite) a obtenu ses meilleurs résultats dans les bastions de la gauche (Lisbonne, Évora, Portalegre), ainsi que dans les quartiers les plus défavorisés. A cette percée de l’extrême droite, correspond une perte de cinq députés pour la Coalition PCP/PEV, soit presque 1/3 de sa repré-sentation parlementaire.

Une réflexion s’impose à toute la gauche, mais particulièrement au PCP, pour essayer de comprendre ce qui s’est passé, afin de stopper la perte de notre représentation parlementaire, tendance qui se vérifie depuis les trois dernières élections. n

Francisco Belo, militant PCP

La gauche portugaise triomphe, mais doit maintenant conforter le progrès social

PORTUGAL • Le parti socialiste du premier ministre sortant, Antonio Costa, remporte les élections pour l’Assemblée de la République (Parlement). Il devrait reconduire sa coalition gouvernementale avec le Bloc de Gauche et le Parti communiste portugais.

C’est un tournant historique pour le Kosovo. Les commandants de l’ancienne guérilla de l’UÇK ont été remerciés par les électeurs à

l’occasion des élections de dimanche. Le Parti démocratique du Kosovo (PDK) du président Hashim Thaçi n’arrive qu’en troisième position, derrière la Ligue démocratique du Kosovo (LDK, centre droit) et le mouvement de gauche souverainiste Vetëvendosje, qui a déjoué les pronostics en se classant à la première place.

Cette position est précieuse, car la Constitution du Kosovo stipule que le parti arrivé en tête obtient la présidence du Parlement et la possibilité de désigner un mandataire pour former le gouver-nement, même s’il n’a pas de majorité. Reste donc à voir si Vetëvendosje et son charismatique leader, Albin Kurti, parviendront à obtenir le ralliement de la LDK ou d’autres plus petites formations.

Albin Kurti revient de loin. L’ancien diri-geant des manifestations étudiantes albanaises

des années 1990, emprisonné durant près de deux ans en Serbie, s’est imposé en politique en dénonçant la tutelle internationale qui continue de peser sur le Kosovo, même si celui-ci a pro-clamé en 2008 une indépendance toujours contestée par la Serbie et incomplètement reconnue sur la scène internationale.

L’homme, qui possède de solides références marxistes, tout en professant un nationalisme albanais virulent, revendiquait le droit à l’unifi-cation du Kosovo et de l’Albanie. Depuis, il a mis de l’eau dans son vin, fait accepter son mou-vement par l’Internationale socialiste, et doit son succès à la dénonciation de la situation sociale catastrophique du pays. Le Kosovo est rongé par un chômage massif qui pousse la jeu-nesse à s’exiler massivement. Il suffit en effet de suivre quelques cours d’allemand pour obtenir une promesse d’embauche et un permis de tra-vail en Allemagne, dont les besoins de main-

d’œuvre semblent insatiables, notamment dans des secteurs comme le bâtiment ou les soins à la personne. Albin Kurti lâchait, désabusé, il y a quelques années: «Ce sont nos électeurs poten-tiels qui sont les premiers à s’en aller.»

La mainmise des anciens commandants Cette année, les jeunes, les urbains mais aussi les électeurs de la diaspora se sont mobilisés et ont assuré le succès de Vetëvendosje. «Les Kosovars de Suisse, de Belgique et d’ailleurs voient tous les jours comment fonctionne un État de droit», explique ainsi Bashkim Iseni, fondateur du site Albinfo.ch, destiné à la diaspora albanaise de Suisse. Selon les statistiques officielles, 800’000 Kosovars résident à l’étranger, soit 30% de la population du pays. Pour Bashkim Iseni, ces élec-tions marquent «le début de la libération des griffes des patrons qui ont pris en otage un pays entier, où une génération complète a été sacrifiée».

Plus encore que l’absence de tout développe-ment économique, c’est en effet la mainmise sur le pays par les anciens commandants, notam-ment le PDK, que ne supporte plus la jeunesse du Kosovo. Pour obtenir un emploi, pour créer une entreprise, il était en effet indispensable d’avoir la carte du parti ou de savoir à qui verser de précieuses «petites enveloppes».

La victoire de Vetëvendosje prend de court les chancelleries occidentales, notamment les États-Unis, qui ont toujours misé sur Hashim Thaçi, pensant que l’ancien porte-parole de la guérilla, qui contrôle toujours les puissants réseaux de vétérans, serait le plus à même de faire passer un «compromis historique» avec la Serbie. Reste que le nouveau gouvernement, devra, lui aussi, reprendre la voie de l’incontour-nable dialogue avec Belgrade. n

Jean-Arnault Dérens Paru dans L’Humanité

Un vent de changement souffle sur les Balkans KOSOVO • Les députés des partis qui émanent des vétérans de la guérilla de l’UÇK ont connu de sérieux revers lors des élections de dimanche dernier.

Le 25 juillet, le premier ministre sortant, élu il y a un an, le socialiste Pedro Sanchez, avait échoué à former une coalition de gauche pour se faire reconduire au pouvoir par la Chambre. A la date fatidique du 23 septembre, aucun accord n’ayant été trouvé, les Espagnols seront convoqués aux urnes le 10 novembre, la quatrième fois en quatre ans. Dans ce scrutin, la gauche de la gauche devrait repartir au combat, sous la bannière unique de la coalition électorale Unidas Podemos fondée en 2016. Celle-ci comprend le mouvement Podemos, dont le secrétaire général est Pablo Iglesias, mais aussi la Gauche unie, qui comprend différents partis de gauche, de gauche radicale et d’extrême gauche autour du Parti communiste d’Espagne (PCE) et des formations autonomistes. A l’occasion d’une conférence de presse à Malaga le 8 octobre, Alberto Garzon, coordinateur général de la Gauche unie a mis en garde contre un éventuel futur gouvernement du Parti socialiste (PSOE) et Ciudadanos, parti de centre-droit, qui avait obtenu 57 sièges sur 350 lors des élections d’avril dernier. Avant de rappeler le programme de la coalition, avec des revendications comme l’abrogation de la Réforme du travail, l’intervention sur le marché du logement pour faire baisser les loyers ou la réduction de la facture d’électricité, afin de «faire passer les intérêts des familles avant ceux des grandes industries». Réd.

L’Espagne une nouvelle fois aux urnes

Page 6: L’accord-cadre Suisse-UE fait débat - Gauchebdo · 2019. 10. 9. · 2 • NATIONAL N° 41 • 11 OCTOBRE 2019 Suite de la page 1 duits importés dans notre pays prove-naient des

6 • I N T E R N A T I O N A L N° 41 • 11 OCTOBRE 2019

Le suspense est fort du fait que les sondages réalisés dans le cadre des élections en cours en Bolivie

rendent compte d’un nombre très élevé d’indécis. Le tout dernier son-dage d’opinion publié ce 30 septembre par la société «Mercados& Muestras», donnait 33% des intentions de vote à l’actuel président bolivien Evo Morales du Mouvement vers le socia-lisme (MAS), 26% à Carlos Mesa, ancien président de la Bolivie de 2003 à 2005, candidat de Communauté citoyenne et 9% au sénateur Oscar Ortiz de l’Alliance La Bolivie dit non (regroupement lié à l’élite agro-indus-trielle de la province de Santa Cruz). Les six autres candidatures ne dépas-sent pas le 3%. L’enjeu pour ces der-nières est tout simplement de ne pas disparaître de l’échiquier politique. D’ici le jour des élections en raison entre autres de la grande proportion d’indécis, beaucoup de choses peuvent encore bouger.

Le pourcentage cumulé de ceux qui voteraient nul ou blanc et de ceux qui ne savent pas pour qui voter, ou qui ne souhaitent pas le dire, atteint en effet le score de 26%. Un sondage similaire, fait par l’entreprise IPSOS lors des élections de 2014, faisait état d’un taux de 16% seulement.

Les indécis ne sont pas seulement en mesure de définir qui de Evo Morales ou Carlos Mesa arrivera en tête le 20 octobre prochain, mais sur-tout si oui ou non il y aura un deuxième tour, où «les cartes seront entièrement redistribuées» et où «recommencera un nouveau match». L’enquête du 30 septembre donne Carlos Mesa vainqueur d’un hypo-thétique deuxième tour avec une marge de 5 points sur Evo Morales.

Un paysage électoral extrêmement compliqué L’une des raisons qui explique ce 26% d’indécis est sans doute la nature par-ticulièrement complexe du processus en cours. Il faut savoir qu’il s’agit des élections générales, autrement dit pré-sidentielles et législatives. En plus d’élire ceux qu’ils porteront à l’exécu-tif en deux tours, les citoyens boli-viens choisiront aussi en un tour les députés et sénateurs, qui compose-ront le prochain parlement national.

Si les estimations du sondage cité se confirment (Morales vainqueur au premier tour et Mesa au deuxième), il y a de grandes chances que la Bolivie se retrouve avec un parlement de gauche et une présidence de droite. Situation qui risque fort de créer de l’instabilité, voire d’insoutenables blocages proches de ceux qui ont amené Martin Vizcarra, président du Pérou, à dissoudre l’assemblée légis-lative et convoquer de nouvelles élec-tions.

Deuxième élément à prendre en compte, l’établissement des listes de candidats comme députés et séna-teurs est le résultat d’un véritable marchandage, dans lequel différents facteurs entrent en jeu. Indépendam-ment des partis, la pratique voudrait que les candidats au législatif soient en mesure de faire gagner des voix aux binômes présidentiels, en se basant sur la légitimité sociale du candidat, mais aussi sa capacité à financer, du moins partiellement, sa propre campagne. L’attente d’un retour sur investissement montre

bien que l’imbrication d’idéaux col-lectifs et d’intérêts personnels est sin-gulièrement forte chez une partie considérable de ces candidats.

Troisième élément de complexité, le scrutin du 20 octobre précèdent de seulement quelques mois les élections sub-nationales, au cours desquelles près de 5’000 nouvelles autorités locales (municipales, départemen-tales et régionales) seront élues dans tout le pays. Ce nouveau rendez-vous électoral a la double caractéristique de mobiliser fortement les bases des partis et de permettre, bien souvent, l’instauration des contrepoids aux partis détenant le pouvoir au niveau national.

Ces élections, qui ont une grande valeur régulatrice, donnent la possi-bilité à des candidats d’envergure locale de conquérir des espaces de pouvoir plus restreints, mais beau-coup plus nombreux. Il va donc de soi qu’une bonne partie des candidats aux postes de sénateurs et comme députés ne participent aux élections générales que pour accroître leur visi-

bilité, avantage leur permettant d’augmenter leurs chances là où ils placent leurs véritables espoirs: les élections sub-nationales.

La question est donc de savoir si l’électeur doit offrir son vote a des candidats ayant de réelles chances d’agir au niveau national ou plutôt à des candidats pouvant exercer un contre-pouvoir local?

A noter d’ailleurs que ce contre-pouvoir peut déjà jouer un rôle non négligeable lors d’un probable deuxième tour.

Le quatrième élément, plus évi-dent jour après jour, réside dans l’après-élection, qui promet d’être très probablement suivie de protesta-tions diverses. Surtout si les résultats ne sont pas catégoriques et pires encore s’ils ne tombent qu’à la clô-ture d’un deuxième tour ne donnant qu’un très faible avantage au vain-queur. Tant les partisans de l’opposi-tion que ceux du MAS envisagent de mobilisations pour essayer d’obtenir depuis la rue ce qu’ils n’ont pas gagné lors des élections. Morales, Mesa ou

Ortiz devront alors non seulement faire face à ces pressions, mais aussi réussir à dialoguer avec leurs oppo-sants.

Morales est-il capable de faire de concessions en vue de trouver des terrains d’entente avec ses adver-saires? Mesa ou Ortiz sont-ils ouverts à des pourparlers avec les militants «masistes» dans le but de s’entendre sur un agenda commun? Qui de ces trois candidats est à même de gou-verner tout en gérant des protesta-tions et conflits sociaux de tous ordres?

Les considérations ci-dessus et les questions qu’elles contiennent aide-ront peut-être certains indécis à faire leur choix. Elles risquent par contre d’être superflues pour les «faux indé-cis» qui se dissimulent dans le 26% évoqué par le sondage.

Le mythe politique des indécis Dans son blog «Machiavel et Freud», Daniel Eskibel, psychologue, consul-tant politique et écrivain uruguayen, affirme: «Les indécis n’existent pas». Selon lui, «ces êtres qu’un certain sens commun voudrait dépourvus d’opinion seraient soit des personnes ayant déjà fait leur choix, soit des citoyens qui ne le feront jamais, soit des gens obsédés par ce qui les répulse et dont le vote ne dépendra finalement que de facteurs purement émotionnels».

Selon lui, la masse des vrais indé-cis ne serait donc pas aussi grande que ce que les sondages le laissent croire. D’autres analystes considèrent que le vote des indécis tend à se repartir de manière proportionnelle aux résultats des enquêtes, relativi-sant grandement l’efficacité des efforts des partis en lice pour tenter d’obtenir leur préférence.

Comme le suggère Adalid Contre-ras, spécialiste bolivien en stratégies de la communication: «C’est le dévoi-lement de ce mystérieux pourcentage déguisé en indécision qui va décider le résultat du scrutin». n

Guillermo Montano et réd.

Rendez-vous musico-politique Organisé par l’association Bolivia-9, sur la situation bolivienne. Vendredi 18 octobre à 19h. Maison des associations, 15 rue des Savoises, Genève.

L’agaçant pouvoir des «indécis» BOLIVIE • Le 20 octobre auront lieu les élections présidentielles et législatives dans le pays andin.

Il est plus facile de serrer la louche à la prési-dente du FMI, Christine Lagarde, que de ser-vir la soupe aux siens. Depuis jeudi, le chef de

l’État équatorien, Lenin Moreno, essuie une révolte sociale: manifestations dans le centre de la capitale, ainsi que dans les grandes villes, écoles et facultés fermées, routes bloquées… Après les chauffeurs de transport, ce sont les étudiants, les syndicats de salariés et les Indiens de la Conaie, la puissante Confédération des nationalités indigènes, qui refusent de payer la facture du plan d’ajustement structurel convenu avec l’institution financière internationale. Élu en 2017 sur le bilan de la révolution citoyenne de son prédécesseur Rafael Correa, le président, qui a depuis retourné sa veste, a décrété l’état d’exception pour une durée de 60 jours. Les forces de l’ordre, chargées de mater les mobili-sations, ont procédé à près de 400 arrestations. Les manifestants, qualifiés de «putschistes» par

Lenin Moreno, ont répondu à cette mesure d’in-timidation par un appel à une grève nationale, prévue le 9 octobre.

Réduction des salaires dans le secteur public Le 1er octobre, le président a annoncé une série de mesures économiques impopulaires, en échange d’un prêt conditionné du FMI d’un montant de 4,2 milliards de dollars sur trois ans. Quito (la capitale) prévoit ainsi de réduire de 20 % les salaires des contractuels dans le secteur public. Les fonctionnaires verront leurs vacances annuelles de 30 jours amputées de 50 % ; ils devront également renoncer à un jour de leur salaire par mois. Par ailleurs, les entreprises dont les revenus excèdent les 10 millions de dollars par an seront assujetties à une contribution fiscale. Selon l’exécutif, les 300 millions de dollars qui seront au total levés permettront de financer la santé, la sécurité publique et l’éducation. Mais

c’est surtout la suppression de la subvention aux combustibles – estimée à 1,3 milliard par an – qui a mis le feu le feu aux poudres. « Compatriotes, il est nécessaire de corriger les graves problèmes de l’économie équatorienne (…). Durant des décen-nies, cette subvention a bénéficié principalement à ceux qui n’en avaient pas besoin et à ceux qui vivent de la contrebande », a osé expliquer Lenin Moreno. Deux jours seulement après ces annonces, les prix sont partis en flèche. Le gallon de gasoil (l’unité de mesure américaine, équiva-lente à 3,78 litres) est passé de 1,85 dollar à 2,30 dollars. Quant au gallon de diesel, il a grimpé de 1,08 dollar à 2,27 dollars, soit une hausse de plus de 120%. Les manifestants craignent que cette flambée des prix ne se répercute sur les tarifs des transports et les biens de consommation. «Dialo-guer oui, mais en aucune circonstance nous n’al-lons revenir sur cette mesure. Entendez bien, je ne vais pas changer cette mesure, que ce soit clair,

la subvention a été éliminée, c’en est fini de l’oisi-veté», a encore péroré Moreno, dont l’exécutif a annoncé un retour à la normale dès aujourd’hui avec la reprise des cours. Si les 11 fédérations de chauffeurs ont décidé de reprendre le travail, le pays andin connaît encore d’importants foyers de résistance. «Les organisations sociales ratifient leur appel à la grande grève du 9 octobre», a rap-pelé le vice-président du Front unitaire des tra-vailleurs, José Villavicencio, comme l’a fait de son côté le président de la Conaie, Jaime Vargas.

En 2000, le président de l’époque, Jamil Mahuad, grand artisan de la dollarisation du pays, avait lui aussi pris des mesures drastiques afin de contenter les bailleurs de fonds avec, entre autres, une augmentation sensible du prix des carburants. Des milliers de manifestants l’avaient alors destitué sans état d’âme. n

Cathy Dos Santos Paru dans L’Humanité

Face à la révolte sociale, Moreno décrète l’état d’exception EQUATEUR • La fin de la subvention des carburants prévue dans le plan d’ajustement structurel du FMI a mis le feu aux poudres. Grève nationale le 9 octobre.

Le président bolivien actuel, Evo Morales, du Mouvement vers le socialisme (MAS) fait face à des échéances électorales complexes et indécises. DR

Page 7: L’accord-cadre Suisse-UE fait débat - Gauchebdo · 2019. 10. 9. · 2 • NATIONAL N° 41 • 11 OCTOBRE 2019 Suite de la page 1 duits importés dans notre pays prove-naient des

C U L T U R E • 7N° 41 • 11 OCTOBRE 2019

L’extension du domaine de la marchandise et du consumé-risme n’a pas de limites, elle pol-

lue les existences de jour comme de nuit. Cette progression est même visible depuis l’espace, d’ailleurs tout aussi colonisé par le capitalisme: rares sont les zones terrestres qui, la nuit tombée, ne sont pas gênées par la pollution lumineuse de l’éclairage et les turbulences industrielles des grands centres urbains. Les passion-nés de la voûte céleste, les défenseurs de la nature, les animaux et les végé-taux aussi, tous souffrent à leur niveau de ce dérèglement. En revenir à la bougie n’est pas un obscuran-tisme, c’est, bien au contraire, renouer avec la «dimension cos-mique» de la condition humaine: par un «droit à l’obscurité».

C’est par cette sombre perspective que le sociologue Razmig Keucheyan amorce son dernier essai, dans lequel il propose d’en finir avec les compul-sions de la consommation et de la réification par les marchandises jetables. Pas neuf, le diagnostic d’une aliénation par les choses n’en mérite pas moins d’être actualisé, tant les

mondes vécus sont corrompus par des besoins artificiellement entrete-nus par le système capitaliste.

Keucheyan passe ainsi en revue les sources d’abrutissement par la consommation, tout ce qui nous lie à des artefacts et des pratiques de consommation. On connaît la sidéra-tion qu’entraînent la fréquentation des centres commerciaux et son prolonge-ment «en ligne» sur les sites marchands qui prétendent connaître et dicter le moindre de nos goûts par l’emprise des algorithmes. Tout pousse à la dépense. Les technologies sont gadgétisées, interchangeables, programmées à l’ob-solescence, irréparables, à avaler à la va-vite. Nos assiettes sont saturées de gras et de malbouffe. Nos vies sont les consommables d’un cycle qui se repaît des besoins qu’il inocule. Notre puis-sance d’action est résumée à notre pou-voir d’achat.

Une politique des besoins Le constat, aussi lucide que docu-menté, est aussitôt suivi de pistes pour hâter l’émancipation de ce mode de vie. Ces pistes sont aussi bien théoriques que pratiques, et Raz-

mig Keucheyan s’emploie à les arti-culer par l’esquisse d’une «politique des besoins». Non seulement il sug-gère une réappropriation de tradi-tions marxistes et critiques parfois anciennes, mais dont la pertinence est étonnamment grande (Heller,

Gorz, Poulantzas, Gramsci), mais aussi enjoint-il à repenser les modes d’action de telle sorte que soit conjuré le spectre de la marchandisa-tion de l’existence. Face à la crise environnementale planétaire, mieux vaut éviter la moraline incantatoire et

l’organisation du désespoir par la hantise de l’effondrement global. De nouvelles formes d’intervention et d’action peuvent être imaginées, avec un sens de la stratégie et de l’urgence. Ainsi faudrait-il alterner entre, d’une part, la politisation «par en bas», par un municipalisme libertaire ou la relance de conseils ouvriers 2.0 ; d’autre part, la planification écolo-gique à large échelle et décidée par une démocratisation des choix collec-tifs en matière de besoins, mettant l’accent sur l’intérêt général et la pré-servation de la nature. Le projet de partager des biens extirpés de la logique mortifère du consumérisme est séduisant. Robustes, beaux, per-sonnalisables, ouvragés, sobres, etc., ces biens communs ne seraient plus l’apanage des nantis. Et l’auteur d’en appeler à un «communisme du luxe» qui n’a rien de l’oxymore. A méditer sans modération, avant de passer enfin à l’action. n

Arnaud Saint-Martin Paru dans l’Humanité

Razmig Keucheyan, Les besoins artificiels. Comment sortir du consumérisme, Zones, 201 pages, 18 euros

Comment sortir du consumérisme? LIVRE • L’essai de Razmig Keucheyan est une mise en accusation du système capitaliste qui pousse à toujours consommer et un appel à passer à la contre-offensive.

Ouvrage volumineux et fortement documenté, le livre d’Anna Bednik perce à jour un phé-nomène qui se répand à l’échelle mondiale,

«en avançant toujours plus vite et plus loin» et qui contribue à renforcer la catastrophe écologique mondiale: l’extractivisme. Défini par le chercheur uruguayen Eduard Gudynas comme un modèle massif d’extraction des ressources naturelles peu transformées, orienté vers l’exportation, ce phéno-mène concerne particulièrement l’exploitation des minerais et hydrocarbures, mais touche doréna-vant les grands projets hydroélectriques, l’agricul-ture industrielle, la monoculture forestière ou la pêche intensive. Chaque année, plus de 70 mil-liards de tonnes de «ressources naturelles» sont ainsi fournies, précise la journaliste, aux chaînes de production et de consommation.

Si cette atteinte à la nature a déjà été mise en lumière par des auteurs comme Eduardo Galeano, dans son célèbre ouvrage Les veines ouvertes de l’Amérique latine (1970), qui mon-traient comment l’Espagne et les pays du centre exploitaient les ressources de la périphérie du sys-tème-monde, cette exploitation sans vergogne des ressources naturelles s’est encore amplifiée et n’épargne plus aucun endroit sur la terre. En Amérique latine, même les gouvernements pro-gressistes, que ce soit celui d’Hugo Chavez au Venezuela ou Rafael Correa en Équateur n’ont jamais pu se défaire complètement de ce modèle d’extraction de la rente pour réaliser leurs pro-grammes sociaux. Dans le centre de l’économie mondiale, au Canada ou aux Etats-Unis, l’exploi-tation de sables bitumeux ou de pétrole de schiste

est devenue une réalité, qui essaime aussi en Europe ou en Chine, où sont exploités des métaux rares.

Des luttes asymétriques Au passage, Anna Bednik dénonce les supercheries du discours actuel sur la «dématérialisation» de l’économie, qui est un leurre, tant elle est gour-mande en minéraux rares et en déplacements à l’échelle du globe pour la finalisation de nouveaux produits et leur mise sur les marchés. Elle dénonce aussi le greenwashing des multinationales, rappe-lant que les entreprises extractives excellent en matière de maquillage. Les expressions «dévelop-pement durable» ou «écoresponsabilité» sont sys-tématiquement intégrés dans leur propagande.

Un chapitre est consacré à casser les discours

de légitimation de cette industrie, qui martèle qu’aucune alternative à ce type de développe-ment n’existe. Pour finir, Bednik rend compte des nombreux mouvements de résistance à l’ex-tractivisme, souvent sur la base de reportages sur le terrain, en soulignant leur diversité, mais aussi l’asymétrie de leurs moyens face aux géants du secteur ou aux Etats, qui, souvent, les protè-gent.«Pourtant, il n’y a pas de nécessité publique appelée«or», ni «cuivre». Personne ne se nourrit d’or et de cuivre. Les gens vivent en mangeant de la nourriture et c’est de cela que l’humanité a besoin», conclut un paysan péruvien contre le projet d’extraction minière de Tambogrande. n

JDr Anna Bednik, Extractivisme, le Passager clandestin, 2019, 495 p

Le monde submergé par la gangrène de l’extractivismeLIVRE • Journaliste indépendante (notamment pour «Le Monde diplomatique»), Anna Bednik sort un livre sur le saccage exponentiel de la nature par l’extractivisme, tout en mettant en avant les luttes de résistance contre ce pillage des ressources naturelles.

Pendant une toute année, Patric Jean s’est immergé dans la vie d’un grand centre commercial

français. Cette plongée, sans com-mentaires, dans un temple du capita-lisme où tout est pensé pour nous faire consommer, nous amène à la rencontre des petites mains qui, der-rière le rideau, soutiennent l’illusion du «monde parfait».

De l’hôtesse d’accueil répétant mécaniquement la création de cartes de fidélité, à la femme de ménage, dont les journées, en coupé, débutent à 05h pour se terminer à 20h, le spec-tateur ne peut échapper à la violence sociale derrière le spectacle mar-chand. Entrecoupé par le rythme entêtant du compteur des visiteurs du jour, on y entend le directeur du centre reconnaître que son rôle, à lui, «c’est de livrer le client, prêt à consommer» sans que cela se voie.

Ces consommateurs, qu’il livre aux enseignes, on les découvre égale-

ment. Du retraité arpentant quoti-diennement les couloirs à la recherche des bises de ces vendeuses préférées, aux ados en déshérence, se rendant compte qu’ils viennent «pour se frustrer» devant ces choses qu’ils ne peuvent avoir, on prend conscience de la grande peur de notre époque, la solitude.

L’insécurité, autre crainte contem-poraine, pousse ces badauds à se réfugier dans ce «meilleur des mondes», où les agents de sécurité veillent au grain, sur tous ceux qui pourraient inquiéter ces clients deve-nus aussi produits.

En somme, ce documentaire pro-pose de mettre bas les masques de l’idéal capitaliste, où tout a une valeur marchande, pour apercevoir une dys-topie digne d’Aldous Huxley ou de George A. Romero. n

JDr Documentaire Le Monde parfait, disponible sur la plateforme Arte.tv

Le meilleur des mondes

L’extension du domaine de la marchandise est illimité et l’achat compulsif, un dogme artificiel. DR

Page 8: L’accord-cadre Suisse-UE fait débat - Gauchebdo · 2019. 10. 9. · 2 • NATIONAL N° 41 • 11 OCTOBRE 2019 Suite de la page 1 duits importés dans notre pays prove-naient des

CULTURE • 8N° 41 • 11 OCTOBRE 2019

Le Musée Jenisch, à Vevey, abrite le Cabinet cantonal vaudois des estampes. Celui-ci renferme une

très riche collection complétée, pour les besoins de l’exposition, par les prêts de plusieurs fondations. Rappe-lons le sens du mot «estampe». Ce terme générique désigne une image multipliable à l’infini, à partir d’une matrice (planche de bois, plaque de métal ou de pierre) qui, encrée, passe sous une presse pour être reproduite sur papier ou un autre support. Le concept désigne donc de nombreuses techniques différentes. Ce sont celles-ci, et non une démarche chronolo-gique, qui organisent le parcours de l’exposition. On verra donc se côtoyer des œuvres allant du XVe au XXIe siècle, figuratives ou abstraites. Que les visiteurs se passionnent ou non pour les techniques elles-mêmes - dont nous ne donnerons pas ici les définitions, car elles figurent dans chaque salle du Musée - ils auront l’occasion de voir des pièces d’une qualité artistique exceptionnelle.

C’est peut-être la gravure sur bois, en noir-blanc ou en couleurs, avec ses forts contrastes, qui séduit le plus le public. On verra des pages imprimées et illustrées de la Bible, datant de la fin du XVe siècle, et désormais lisibles par un plus grand nombre de per-sonnes que ne l’étaient les manuscrits médiévaux, ce qui a fortement concouru au succès de la Réforme. L’exposition montre quelques chefs-d’œuvre d’Albrecht Dürer, dont Les quatre cavaliers de l’Apocalypse. Mais la gravure sur bois vit aussi naître des réalisations remarquables sous la main de Félix Vallotton ou, plus récemment, de Pierre Aubert, qui a très bien rendu les montagnes vau-doises. Elle fut aussi pratiquée par les artistes japonais du XIXe siècle: on peut voir quelques exemples de pay-sages nippons. Dürer, génie absolu, fut également un grand maître du travail au burin, avec par exemple son Saint Jérôme dans sa cellule, d’une finesse de traits et d’une abon-dance de détails extraordinaires. Par-fois les graveurs, notamment au XVIIIe siècle, reprirent les sujets des peintres, permettant leur diffusion plus grande dans le public. On repro-duisit ainsi des œuvres de Rem-

brandt, du Corrège ou de Fragonard. L’eau-forte a été adoptée au XVIe

siècle. Une œuvre de caractère «didactique» du XVIIe nous montre

d’ailleurs comment on imprimait les planches. Ce procédé a été très utilisé par les Italiens, en particulier Lorenzo Tiepolo avec une sensibilité

très baroque (mouvement, dramati-sation des gestes et des scènes). On trouvera beaucoup de poésie chez Claude Gellée, dit Le Lorrain, avec

ses paysages parsemés de ruines antiques. On verra aussi un étonnant portrait de Picasso par lui-même. Autre technique, la pointe sèche a notamment été pratiquée avec un grand talent par Théophile-Alexandre Steinlen et par Edgar Degas.

Plus récente, l’héliogravure date du XIXe siècle. Elle a permis par exemple de reproduire la célèbre photo de Dorothea Lange, Migrant Mother (1936), qui résume toute l’an-goisse du lendemain pendant la Grande Crise économique.

Quant au cliché-verre, il est contemporain de la naissance de la photographie. Il a été très employé par les artistes de l’Ecole de Barbizon, dont Camille Corot. L’aquatinte per-met d’utiliser des couleurs variées. On en verra une très belle illustration avec une œuvre de dimensions importantes de Joan Mirò. Comme son nom l’indique, la sérigraphie uti-lise la soie. Elle a notamment été uti-lisée par Andy Warhol dans ses por-traits de Jacqueline Kennedy. De même pour la lithographie, procédé pour lequel nous avons retenu la belle composition abstraite aux motifs circulaires chers à Sophie Delaunay. Mais cette technique a été employée dans des genres très diffé-rents, allant des caricatures d’Honoré Daumier fustigeant les bourgeois incultes aux œuvres oniriques d’Odi-lon Redon, à l’intimisme de Pierre Bonnard, et même aux affiches publi-citaires réalisées par Alphonse Mucha dans le style Art nouveau.

On le voit, cette exposition offre une belle variété, non seulement par la présentation des différentes tech-niques, mais aussi par les sujets (reli-gieux, profanes, abstraits) et les styles des différentes œuvres, enfin parce qu’elle offre un beau parcours esthé-tique à travers plusieurs siècles d’his-toire de l’art. Et pour celles et ceux qui souhaiteraient approfondir leurs connaissances, le musée a publié un utile ouvrage didactique illustré, Petit traité des techniques de l’estampe. n

Pierre Jeanneret «Rien que pour vos yeux #2. Les plus belles estampes des collections», Vevey, Musée Jenisch, jusqu’au 5 janvier 2020.

Un voyage à travers l’histoire de la gravure EXPO • Le Musée Jenisch a rassemblé 300 chefs-d’œuvre de ses collections, de la Renaissance à l’ère contemporaine.

Une modeste mais intéressante exposition se déroule actuellement à l’Espace Arlaud. Certes critique, mais sans procéder à des

condamnations anachroniques, elle est consa-crée aux missions protestantes suisses en Afrique. Celles-ci débutent en 1870. Elles sont essentiellement le fait de l’Eglise libre. Cette fracture religieuse, née du mouvement piétiste du Réveil et de la pensée d’Alexandre Vinet, s’opère au milieu du XIXe siècle, et notamment dans le canton de Vaud en 1847.

Sans aide financière de l’Etat, l’Eglise libre doit subvenir aux dépenses induites par la volonté d’apporter la Parole divine aux «nègres». Elle y parvient notamment par la vente d’objets de fabrication indigène, dont l’ex-position présente un certain nombre d’exemples: paniers, lances en bois, arcs, objets d’art, paillassons en raphia (ce symbole de la propreté helvétique!). Les précieuses photogra-phies rapportées par les missionnaires montrent que les temples bâtis en Afrique adoptent tota-lement le style occidental, néo-roman ou néo-

gothique. Un fait parmi d’autres qui démontre que la civilisation européenne est perçue comme supérieure. Les missions s’ingénient notamment à lutter contre l’influence des «sor-ciers» (un terme en soi péjoratif), dont on peut voir divers grigris et amulettes aux pouvoirs magiques. Elles bâtissent des dispensaires et hôpitaux, car il faut «soigner les corps pour atteindre les âmes».

Des préjugés racistes dans l’air du temps Pour mieux diffuser l’Evangile, les mission-naires s’attachent à mieux comprendre les peuples locaux. Ils font donc un véritable travail d’ethnologues. De nombreuses pièces rejoin-dront d’ailleurs les musées d’ethnographie en Occident, dont celui de Neuchâtel aux collec-tions particulièrement riches.

Ils étudient également les langues vernacu-laires, s’employant à constituer des diction-naires. Ils traduisent la Bible dans ces langues. Ils s’intéressent aussi à la faune (collecte de papillons), à la flore, rassemblant de multiples

exemplaires qui iront aussi aux musées euro-péens. Cet aspect de l’activité missionnaire fut positif.

Certes, tout cela ne va pas sans préjugés que l’on pourrait qualifier de racistes, mais qui étaient dans l’air du temps. Les missionnaires utilisent des moyens techniques modernes, en particulier la projection d’images saintes grâce à la lanterne magique, pour impressionner les populations et assurer leur emprise sur elles. Des institutrices suisses enseignent aux filles tant des matières théoriques de base (écriture, calcul) que des activités pratiques, comme le repassage ou des éléments de puériculture. Sans doute cet enseignement était-il très «genré», mais n’en allait-il pas de même en Suisse?...

Le but de l’éducation prodigué par les mis-sions était de former des auxiliaires des fonc-tionnaires et agents coloniaux européens. En cela, on peut dire qu’elles étaient «colonialistes». Mais encore une fois, il est dangereux de proje-ter sur le passé des conceptions actuelles. Et par-fois leurs ouailles échappèrent à leur influence.

C’est le cas d’Eduardo Mondlane, éduqué par une mission, mais qui s’en distanciera pour adhérer au FRELIMO mozambicain, mouve-ment proche du marxisme-léninisme, avant d’être assassiné en 1967. C’est lui qui a eu ces fortes paroles: «Quand les Blancs sont venus dans notre pays, nous avions la terre et ils avaient la Bible; maintenant nous avons la Bible et ils ont la terre.» L’exposition aurait cependant pu mettre davantage l’accent sur ces mission-naires qui, loin de soutenir le pouvoir colonial, s’engagèrent aux côtés des mouvements de libé-ration et notamment contre l’apartheid en Afrique du Sud.

En bref, cette présentation vivante, faite d’ob-jets, de photographies, de précieux films des années 1920, d’enregistrements sonores, pose une série de bonnes questions et y répond de façon nuancée. La mission protestante en Afrique était bien «fille de son temps».n

Pierre Jeanneret «Derrière les cases de la mission», Lausanne, Espace Arlaud, jusqu’au 17 novembre.

Les missions protestantes en Afrique étaient-elles racistes? EXPO • Une exposition lausannoise au Musée Arlaud y répond de manière nuancée, en les remettant dans leur contexte historique.

Henri de Toulouse-Lautrec, «Un Monsieur et une Dame»,1895. Cabinet cantonal des estampes, Fondation Werner Coninx, Musée Jenisch Vevey