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L’Afrique face à la mondialisation: le point de vue syndical Education ouvrière 2001/2 Numéro 123

L’Afrique face à la mondialisation: le point de vue syndicaljaga.afrique-gouvernance.net/_docs/afrique_et... · 2015-01-20 · Fuite des cerveaux: la tête n’est plus sur les

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L’Afrique faceà la mondialisation:le point de vue syndical

Education ouvrière 2001/2Numéro 123

Editorial V

Les femmes africaines en première ligne, par Mamounata Cissé 1

L’intégration régionale en Afrique: mode d’emploi,par Mohammed Mwamadzingo 7

Le défi de l’économie informelle, par Emile Delvaux 14

Une nouvelle conception de l’ajustement, par Lawrence Egulu 20

Mondialisation, démocratisation et conditionnalités à géométrie variable,par François Misser 26

SIDA: prévention et trithérapies, pas de contre-indication pour le Sud,par Jacky Delorme 32

Bâtir une Afrique riche en informatique, par Marc Bélanger 36

L’impact de la mondialisation en Afrique et la réponse des syndicats:le cas de l’Afrique du Sud, par Shermain Mannah 41

Presse africaine et mondialisation: une mue inachevée,par Jean-Paul Marthoz 49

Fuite des cerveaux: la tête n’est plus sur les épaules, par André Linard 54

III

Sommaire

Administrator
Taken out 31.05.02

Le marché mondial est largement resté inaccessible pour l’Afrique. Maisles effets pervers de la mondialisation semblent s’être déjà concentrés

sur ce continent qui, avec 780 millions d’habitants, représente un dixièmede la population de la planète. La pauvreté, l’inégalité, l’exclusion, la dis-crimination, la guerre et les maladies sont venues s’ajouter aux capricesdu climat et de la météorologie.

Les problèmes de l’Afrique ne sont pas tous dus au déchaînement deséléments, ils sont souvent l’œuvre de l’homme. La bonne gouvernance, ladémocratie, le respect des droits humains et syndicaux, le dialogue socialet une forte expression indépendante du monde du travail ont été pen-dant trop longtemps des denrées rares dans la région. Mais la commu-nauté internationale ne peut pas non plus décliner sa responsabilité. Lesprogrammes d’ajustement structurel élaborés par la Banque mondiale etle Fonds monétaire international étaient censés aider les pays africains àredresser leur économie pour promouvoir la croissance et encourager l’in-vestissement. Ils se sont non seulement avérés inefficaces face à la pau-vreté, mais ils l’ont approfondie.

Les budgets nationaux alloués à l’éducation et à la santé ont été im-placablement réduits, privant une majorité de gens d’accès aux servicespublics essentiels. Des millions de personnes ont été reléguées dans laprécarité de l’économie informelle, privées de protection sociale et obli-gées de vivre, ou plutôt de survivre, de revenus aussi maigres qu’aléa-toires. Des ingrédients sociaux vitaux ont fait cruellement défaut dans lestentatives de stabiliser des économies en perdition. Pis, les législations dutravail, qui assuraient un minimum de protection aux travailleurs et tra-vailleuses et à leurs familles, ont été revues à la baisse. Les zones franchesd’exportation ont proliféré, souvent au détriment des normes internatio-nales du travail et des droits sociaux durement conquis.

Le système de partis uniques et d’autres régimes non démocratiquesont laissé en héritage une dette étrangère colossale qui, outre qu’elle hy-pothèque l’avenir de générations d’Africains et Africaines, n’a jamais pro-fité aux populations locales au nom desquelles elle avait été contractée.

La pandémie du VIH/SIDA a également frappé l’Afrique de pleinfouet. Et, si la pauvreté doit être considérée comme un des facteurs depropagation de la maladie, la prévention, les soins et les traitements auxvictimes dépendent, eux, essentiellement de mesures politiques, écono-miques et sociales qui devraient figurer en tête des priorités de la com-munauté internationale.

Tout cela constitue une triste réalité. L’Afrique a trop longtemps été uncontinent oublié et un champ de bataille où se disputent des enjeux quidépassent de loin ses frontières. Les ressources naturelles ont été pilléeset l’aide internationale s’est réduite comme une peau de chagrin. Le dé-veloppement s’est arrêté.

V

Editorial

Pourtant une autre Afrique voit le jour, tournée vers le futur et sou-cieuse d’un avenir meilleur. Les organisations syndicales font partie decet avenir et constituent des acteurs clés pour le construire. Beaucoupd’encre a coulé sur les malheurs de l’Afrique. Education ouvrière a choiside jeter un autre regard. L’Afrique est riche en ressources, humaines etnaturelles, elle dispose de marchés potentiels, elle a pris le chemin de ladémocratie. Comment utiliser au mieux ce capital pour relever les défisde la mondialisation? Comment obtenir de la mondialisation qu’elle pro-fite aux citoyens, et quelle contribution les organisations syndicales peu-vent-elles apporter au processus? Nombre de ces questions trouveront ré-ponse dans ce numéro, même s’il ne prétend pas être exhaustif. L’Afriqueest au travail.

Un hommage spécial est rendu dans cette édition aux femmes afri-caines qui, avec l’aide des syndicats et autres secteurs de la société civile,sont en première ligne du combat pour une Afrique prospère fondée surla croissance, le développement durable, la démocratie et le respect desdroits humains et syndicaux. Malgré de nombreux obstacles, écono-miques, culturels, institutionnels et parfois même physiques, les Afri-caines s’organisent et luttent. Les perspectives du continent dépendrontdans une large mesure de la contribution des femmes et de la place quileur sera accordée dans la construction de l’avenir. Les femmes doiventtirer des bénéfices du développement, mais elles doivent surtout être re-connues comme des acteurs clés dans le processus.

L’expérience a aussi démontré que l’économie informelle n’est plushors d’atteinte pour le mouvement syndical. Les efforts des syndicats etautres groupes, avec l’appui de l’Organisation internationale du Travailet de son Bureau des activités pour les travailleurs (ACTRAV), ont com-mencé à engranger des résultats. Les travailleurs et travailleuses de l’éco-nomie informelle sont de plus en plus susceptibles de faire entendre leurvoix et d’obtenir des améliorations à leur sort.

Des processus d’intégration régionale sont en cours et pourraientconstituer des points d’entrée dans le marché mondial, permettant d’ob-tenir enfin des dividendes sociaux de la mondialisation. Tout en renfor-çant leur présence au niveau national, les syndicats ont un rôle spécial àjouer pour exiger que cette intégration économique se traduise par uneamélioration des conditions de vie et de travail. La fracture numériquepeut également être comblée, certes pas du jour au lendemain, mais entant qu’objectif à moyen terme, en visant à développer des technologiesconçues par des Africains pour des Africains et compatibles avec le ré-seau mondial. La démocratisation fait entrevoir un environnement poli-tique plus favorable, et la démocratie s’est déjà ancrée solidement dansnombre de pays. Comme le mouvement syndical, les médias ont recou-vré une liberté leur permettant de devenir des acteurs indépendants et decontribuer au progrès et aux débats.

Le succès de cette nouvelle Afrique dépendra, cependant, du soutienque voudra bien lui accorder la communauté internationale. Les timidesinitiatives de réduction ou d’effacement de la dette des pays les pluspauvres devraient être réexaminées de façon bien plus généreuse, confor-mément aux suggestions avancées par le mouvement syndical interna-tional. L’assistance à la lutte contre le VIH/SIDA, y compris l’accès autraitement et le soutien aux efforts de prévention sur le plan local, est in-dispensable et urgente. L’aide au développement doit retrouver le che-

VI

min de l’Afrique en insistant sur les aspects de bonne gouvernance, dedémocratie et de respect des droits humains et syndicaux. L’investisse-ment dans l’infrastructure et l’agriculture doit être considéré comme prio-ritaire. Et les institutions financières internationales devraient honorerleur propre engagement à consulter les acteurs locaux, en particulier lessyndicats, dans l’élaboration, la mise en œuvre et le suivi des programmesd’ajustement.

Les gouvernements africains, les employeurs et les syndicats ont unrôle majeur à jouer pour promouvoir en Afrique un climat susceptible demener à la croissance, la justice sociale et la démocratie. Le dialogue so-cial doit devenir le principal pilier de la nouvelle Afrique. Il devra per-mettre de bâtir un large consensus autour de politiques axées sur lameilleure des ressources africaines: les Africains eux-mêmes. La santé,l’éducation et le développement social sont des questions qui doivent êtretraitées maintenant. Elles constituent, par ailleurs, le meilleur investisse-ment pour une Afrique prospère.

Manuel Simón VelascoDirecteur

Bureau des activités pour les travailleurs (BIT)

VII

Des remerciements spéciaux sont adressés aux représentants d’ACTRAV sur le ter-rain, Ibrahim Mayaki (Abidjan), John Fallah (Addis Abeba), Francisco Monteiro(Dakar), Mohammed Mwamadzingo (Harare), et à Abdoulaye Diallo et DitiroSaleshando (chargés des bureaux africains au sein d’ACTRAV à Genève) pour leuraide précieuse dans l’identification des sujets à traiter dans ce numéro et des au-teurs et pour leur contribution à sa conception.

Traditionnellement, les femmes afri-caines n’ont pas de place dans la vie de

la cité, sinon celle d’être des citoyennes deseconde zone. Les lois et les coutumes lesempêchent, plus que les hommes, d’avoiraccès aux facteurs de production (terre etcrédit), à l’éducation, à la formation, à l’in-formation, et aux soins médicaux pourexercer leur rôle dans l’économie et dansla société en général. Trop souvent, elles neconnaissent même pas leurs droits légauxou n’arrivent pas à les revendiquer. Auquotidien, elles ploient sous le fardeaud’un partage tout à fait inégal des respon-sabilités ménagères et familiales. A l’inté-rieur des foyers domestiques, mais aussidans les écoles, sur les lieux de travail, dansla rue et partout ailleurs dans la société, lesfemmes africaines sont en outre souventvictimes de violences physiques, sexuelleset psychologiques. Dans la plupart despays africains, cette violence fondée sur legenre résulte de concepts sociaux, religieuxet culturels qui octroient aux hommes unstatut supérieur à celui des femmes et quileur confèrent de ce fait le monopole surtoutes les sources de pouvoir.

Les déficiences de l’enseignement

Les discriminations dont les femmes sontvictimes conditionnent leur perceptiond’elles-mêmes et leurs perspectives d’ave-nir dès leur plus jeune âge. Elles sont en-fermées dans une image dévalorisée,basée sur la dépendance, la sujétion et lasubordination par rapport aux hommes.Dans les sociétés africaines traditionnelles,une femme n’existe pas vraiment, elle estcomme une ombre. Dans beaucoup depays africains, les filles sont moins nour-ries que leurs frères, sont forcées de tra-vailler plus dur et disposent d’un accèsplus réduit à l’école et aux soins médicaux.

Alors que dans toutes les régions dumonde l’enseignement primaire a pro-gressé au cours des dernières décennies, leFonds des Nations Unies pour la popula-tion (FNUAP) déplorait, dans un rapportpublié l’an dernier 1, un ralentissement dela scolarité en Afrique «en raison des coûtsélevés pour les parents et de la baisse de laqualité de l’enseignement». En Afriquesubsaharienne, pas plus de 60 pour centdes enfants achèvent le cycle d’études pri-maires. Un déficit de formation qui frappede plein fouet les futures femmes quandon sait que, dans 22 pays africains, le tauxde scolarisation des filles est inférieur à 80

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Les femmes africaines en première ligneQuelles soient économiques, sociales, culturelles, institutionnelles etjuridiques, ou physiques, les contraintes qui pèsent sur les femmesafricaines sont écrasantes. Malgré tous ces obstacles, qui pourraientles conduire à une passivité dictée par l’image dans laquelle la tradi-tion voudrait les enfermer, les femmes africaines font preuve d’undynamisme et d’une combativité remarquables.

Mamounata CisséSecrétaire générale adjointe

Confédération internationale des syndicats libres

Natacha DavidRédactrice en chef du Monde syndical

Confédération internationale des syndicats libres

pour cent de celui des garçons. «L’éduca-tion, en particulier celle des femmes, a plusd’impact sur la mortalité des nourrissonset des jeunes enfants que les effets combi-nés de l’élévation du revenu, de l’amélio-ration de l’assainissement, et de l’emploidans le secteur moderne», rappelle fort àpropos le FNUAP. Ainsi, le Botswana, leKenya et le Zimbabwe, qui ont les niveauxles plus élevés de scolarisation féminine enAfrique subsaharienne, accusent aussi lestaux les plus bas de mortalité infantile.

Sur le plan du travail, les femmes afri-caines restent trop souvent confinées auxtâches dites improductives et sous-rému-nérées, voire le plus souvent pas rémuné-rées du tout (garde des enfants, travaux do-mestiques, soins aux malades et auxpersonnes âgées, éducation informelle,production agricole domestique, approvi-sionnement en eau et en bois, etc.). Ellessont aussi nombreuses dans l’agricultureet dans le secteur informel où les condi-tions de travail sont mauvaises, le coeffi-cient de main-d’œuvre élevé, le niveau detechnicité et de qualification faible et lesrémunérations médiocres. En Afrique del’Ouest, les femmes écoulent de 70 à 90pour cent de tous les produits de l’agricul-ture et de la pêche et les vendeuses des rueset des marchés font partie d’une économieinformelle qui produit environ 30 pourcent de la richesse des centres urbains. EnAfrique, relevait l’an dernier le Fonds de dé-veloppement des Nations Unies pour lafemme (UNIFEM), les femmes travaillentdans des secteurs stratégiques, notammentdans l’agriculture et la production d’ali-ments, mais les instruments financiers etles services offerts par les banques et lesinstitutions financières (assurances et cré-dits) vont en priorité aux secteurs d’expor-tation et aux activités non agricoles du sec-teur urbain et donc excluent une majoritédes femmes de ces circuits2. Dans ces condi-tions, personne ne s’étonnera de la difficultépour les femmes d’améliorer le rendementde la terre. En donnant, par exemple, auxexploitantes agricoles du Kenya le mêmeappui qu’aux exploitants, on augmente-rait le rendement de leurs terres de plus de20 pour cent, indique le FNUAP.

Le poids des traditionset celui des crises

Pour les rares femmes qui parviennent àfranchir la barrière de la formation, l’in-égalité reste de mise. La Fédération inter-nationale des journalistes (FIJ) relevait ré-cemment que les femmes représententencore une minorité parmi les journalistesafricains, alors que dans les pays indus-trialisés près de 50 pour cent des journa-listes sont des femmes. «La culture mettoujours les femmes dans une position su-balterne, même en Afrique du Sud où, de-puis la fin de l’apartheid, on a créé une élitenoire masculine, mais pas une élite fémi-nine», commente Farahana Ismail, unejournaliste sud-africaine membre de la di-rection de la FIJ.

En 1994, la Banque mondiale estimaitque les femmes représentaient en Afrique44 pour cent de la main-d’œuvre mais,plus récemment, le Bureau internationaldu Travail notait que le taux d’activité desfemmes dans le continent était en diminu-tion, sans doute en raison de l’invisibilitédu travail des femmes liée à leur plongeondans l’économie informelle.

Au poids de la tradition s’ajoute pourles femmes africaines celui de la gravecrise économique et sociale, des conflitsmeurtriers et du regain d’épidémies dé-vastatrices qui frappent de façon endé-mique le continent africain et dont elles su-bissent les conséquences négatives defaçon disproportionnée.

Aggravées par le fardeau injuste de ladette, les politiques d’ajustement structu-rel dictées par les institutions financièresinternationales (FMI et Banque mondiale)ont des effets désastreux sur l’emploi(structuré et informel) et sur l’ensembledes services publics de base, comme l’édu-cation et la santé. Ces politiques d’ajuste-ment structurel, qui ont joué un rôle déter-minant dans le processus de délabrementavancé de tous les secteurs vitaux dessociétés africaines, pénalisent particulière-ment les femmes. Face aux privatisationsmassives, elles sont doublement affec-tées. D’une part, parce que l’emploi desfemmes africaines dans le secteur formel

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Administrator

est souvent limité au secteur public, fai-sant d’elles des cibles privilégiées desprogrammes de «dégraissement». D’autrepart, ce sont elles qui, au quotidien, doi-vent désormais pallier tant bien que malles défaillances ou carrément l’absence deservices de base assurés auparavant parles pouvoirs publics. Les carences des sys-tèmes de sécurité sociale, voire leur dispa-rition, contribuent à la paupérisation crois-sante des femmes africaines.

La santé est devenue le parent pauvredes budgets d’Etat. Résultat: une femmeafricaine sur 13 meurt pendant la grossesseou après un accouchement, alors que dansles pays industrialisés le rapport, estimépar l’UNICEF, est de un décès sur 4 085naissances. En République-Unie de Tanza-nie, rapporte une étude, les mères parlentainsi: «Je vais en mer chercher un nouveaubébé, mais le voyage est long et dangereuxet il se peut que je ne revienne pas».

Les femmes africaines sont aussi enpremière ligne face aux conflits meurtriersqui déchirent trop de sociétés africaines,un sacrifice d’autant plus injuste qu’ellessont rarement partie prenante de l’originede ces conflits, fomentés et mis en œuvrepar des hommes. Au plus fort de cesconflits, elles continuent de jouer un rôleessentiel pour assurer la survie de leursfamilles. Et c’est sur leurs épaules que pè-sera sans doute le poids de la reconstruc-tion. Au Rwanda, les femmes représen-taient, au lendemain du génocide, 70 pourcent de la population et 50 pour cent desfoyers étaient dirigés par des femmes,veuves pour la plupart. Sans travail, sansmaison, souvent victimes de graves sé-quelles physiques et psychologiques, ellesse battent néanmoins pour survivre et re-construire un avenir.

Doubles victimes du SIDA

Face aux épidémies qui déciment les po-pulations africaines, et particulièrement leVIH/SIDA, les femmes africaines paientaussi un lourd tribut. D’abord, en tant quevictimes (plus de 12 millions de femmesafricaines sont déjà mortes du SIDA, sou-

vent pour avoir été contraintes à des rap-ports sexuels non protégés), ensuite poursoigner les malades ou encore s’occuperdes plus de 11 millions d’orphelins dontles parents ont été emportés par la pandé-mie. Selon l’ONUSIDA, les femmes repré-sentent plus de la moitié des adultes séro-positifs ou malades en Afrique (voir articlede Jacky Delorme en page 32). Plus précis,le rapport du FNUAP indique que, enAfrique, le nombre de femmes séroposi-tives dépasse de 2 millions celui deshommes infectés.

Les discriminations de genre, résultantà la fois de la tradition et du contexte socio-économique actuel, engendrent d’impor-tantes disparités dans la distribution desressources, avec des conséquences néga-tives importantes pour le développementdes femmes, mais aussi de la société afri-caine dans son ensemble. Car la discrimi-nation a un coût. «Promouvoir l’égalitéentre les sexes, c’est promouvoir aussi lacroissance et le développement stable dessystèmes économiques, ce qui comportedes avantages sociaux aussi bien qu’éco-nomiques au sens strict», note, à cet égard,le FNUAP.

Il reste que, malgré toutes cescontraintes, «les femmes se débrouillenttoujours», une idée répandue sur tout lecontinent africain. Et de fait, cette «dé-brouille» est partout visible: dans la pro-duction agricole rurale, dans l’artisanat ouencore le petit commerce. Aujourd’hui, lesfemmes africaines savent qu’elles ne peu-vent compter que sur leurs propres forces.Elles sont de plus en plus nombreuses àprendre confiance en leur propre capacitéet à chercher à conquérir leur autonomie.Même si elles restent encore minoritaires,ces femmes se battent contre les préjugéset pour leur liberté et n’ont pas peur deprendre tous les risques pour cela. On as-siste ainsi à une transformation progres-sive de l’attitude des femmes dans leursrapports avec les hommes et dans leursrapports traditionnels de sujétion avec lasociété dans son ensemble. Cela n’induitpas nécessairement un rejet de la traditionmais plutôt une volonté de mettre l’accentsur les valeurs positives de cette tradition,

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comme la solidarité au service de la réali-sation de soi et du développement de tous.

Alors que les sociétés africaines luttentpour répondre aux défis de la modernité,les femmes africaines sont devenues lemoteur essentiel de cette dynamiqued’adaptation et de changement. Elles ontdéveloppé un capital technique basé sur lesavoir-faire et les compétences acquisesnotamment grâce aux mouvements asso-ciatifs. Elles ont aussi développé un capi-tal social basé sur la vie communautaire,les principes de solidarité et de réciprocité,qu’illustrent, entre autres, les célèbres«tontines» de femmes africaines. Elleschoisissent la solidarité comme stratégied’actions collectives et, plutôt que l’accu-mulation financière, elles privilégient lacapitalisation du social et du savoir-faire.

Comme l’a dit Kofi Annan, secrétairegénéral des Nations Unies, «l’égalité degenre est plus qu’un objectif en soi. C’estune condition préalable pour mener lecombat en faveur de la réduction de lapauvreté, de la promotion d’un dévelop-pement durable, et de la construction dela bonne gouvernance».

Avec pour objectif de lutter pour lapaix, pour la prospérité économique, lajustice sociale, la démocratie et les droitshumains, de nombreux réseaux, associa-tions et organisations de femmes se sontmis en place.

Le mouvement syndical est aussi deplus en plus présent. Il revendique l’inté-gration de la perspective de genre dansl’approche de l’ajustement structurel et dela lutte contre la dette. Dans la même pers-pective, le mouvement syndical interna-tional se bat pour l’inclusion des normesfondamentales de l’OIT, notamment enmatière d’égalité, dans le commerce inter-national. S’il est sans doute très loin despréoccupations des femmes africaines quis’échinent dans les champs, les ateliers ousur les marchés africains, ce combat au ni-veau mondial est pourtant intimement liéà l’amélioration de leur condition.

Changer les mentalités

Sur le terrain, de très nombreux syndicatsafricains ont développé des programmespour conscientiser les femmes sur leursdroits, les aider à s’émanciper par l’alpha-bétisation, l’éducation et la formation. Cetravail de sensibilisation vise l’extérieur,mais aussi l’intérieur des syndicats, long-temps considérés comme une affaired’hommes, où les femmes étaient complè-tement marginalisées. Peu à peu, les syn-dicats africains ont mis en place des pro-grammes pour encourager les femmes à laprise de responsabilité à tous les échelonsdes structures syndicales et, petit à petit,les mentalités changent.

Mais il reste encore trop souvent unfossé entre la théorie des résolutions po-litiques et la réalité. La participation desfemmes aux instances dirigeantes dessyndicats est encore très faible. Respon-sable féminine au Congrès syndical duGhana, le GTUC, Veronica Kofie consi-dère que la direction syndicale restebeaucoup trop à l’écart des femmes.«Nous devons aller sur le terrain, dit-elle,contrôler le travail des gens qui sont encontact avec les travailleuses. Et, pour in-téresser les femmes, nous devons prendreen compte les problèmes liés aux situa-tions particulières qu’elles vivent, parexemple, le fait qu’elles soient nom-breuses aujourd’hui à être mères céliba-taires.» Le GTUC a déjà mis en pratiquel’utilisation d’un langage plus neutre dupoint de vue des genres dans les conven-tions collectives qu’il a négociées et, pourrendre son action plus visible, son comitédes femmes a créé un trust qui a lancé unsystème d’assurances, de radio-taxis etautres services pratiques.

Pour lutter contre les stéréotypessexistes, les syndicats visent non seule-ment à conscientiser les femmes, maisaussi à changer les mentalités chez leshommes. Cela se traduit par des pro-grammes de formation qui s’adressent àun public mixte, des programmes aussiplus adaptés à la réalité quotidienne desfemmes syndicalistes, tenant compte no-tamment des contraintes liées au poids

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disproportionné des responsabilités fami-liales et domestiques qui leur incombent.

Comment les syndicats se battent-ilspour syndicaliser plus de femmes? Parexemple, en féminisant les équipes de re-crutement, en mettant en avant des thèmesauxquels les femmes sont particulière-ment sensibles, comme la santé, la sécu-rité, ou le planning familial, ou, comme lefont les syndicats sud-africains, en mettantl’accent sur les jeunes travailleuses.

La réponse syndicale

Se battre pour la syndicalisation du secteurprivé reste un objectif prioritaire pour aug-menter la puissance syndicale des femmesqui, au vu de la contraction sévère du sec-teur public, cherchent des alternativesd’emploi dans le secteur privé. Même si cecombat se heurte à la précarisation des em-plois et au harcèlement antisyndical. EnCôte d’Ivoire, raconte la syndicaliste Ma-riatou Coulibaly, «le coup d’Etat a, enquelque sorte, galvanisé les travailleurs,surtout les femmes car les licenciementsmassifs les ont touchées directement». «Cesont donc ces femmes que nous avonscontactées en premier lieu et que nousavons aidées, poursuit Mariatou Coulibaly,notamment en calculant avec elles, et à laplace de leur patron, le montant des in-demnités de licenciement. Cette interven-tion a eu un effet boomerang pour le syn-dicat. De dix femmes déléguées avant lecoup d’Etat, nous sommes passés à 67.»

Le combat des femmes africaines passeaussi par la lutte traditionnelle des syndi-cats pour de meilleures conditions de tra-vail. Et les femmes syndicalistes ne se pri-vent plus de crier haut et fort leursrevendications. En juin dernier à Lagos(Nigéria), ce sont les infirmières des hôpi-taux publics qui ont débrayé pour réclamerde meilleurs salaires alors que ceux desmédecins venaient d’être augmentés. ABa-mako (Mali), des travailleuses de l’Indus-trie des boissons et des glaces (IBG), unedes principales industries de boissons dupays, étaient en grève au mois d’avril, dé-nonçant des conditions de travail proches,

selon elles, de l’esclavage. Elles se plai-gnaient notamment de troubles oculairesdus aux effets de la soude caustiquequ’elles manipulaient «sans protection».

Le défi de l’économie informelle

S’il y a bien un champ de syndicalisationà investir pour mieux défendre les femmesafricaines, c’est celui de l’économie infor-melle. Pour ce faire, les syndicats doiventdévelopper de nouvelles méthodes d’ap-proche et d’organisation, tenant comptedes revenus extrêmement faibles de cestravailleuses et du peu de temps qu’ellespeuvent consacrer aux activités syndicalesdu fait de leurs charges familiales. Les syn-dicats doivent aussi chercher à combattrel’isolement de beaucoup de travailleusesinformelles, particulièrement celles quitravaillent à domicile, ou encore celles quitravaillent en zones rurales isolées. EnZambie et au Ghana, la CISL et son orga-nisation régionale africaine (l’Oraf) finan-cent ainsi des projets en faveur des femmesde l’économie informelle (voir aussi l’ar-ticle d’Emile Delvaux, p. 14).

Souvent, ces travailleuses se sont déjàauto-organisées en associations ou en co-opératives, les syndicats peuvent alors dé-velopper des stratégies de collaboration etde travail en réseau avec tous ces acteursdéjà actifs sur le terrain. Parmi d’autresexemples, les syndicats soutiennent descoopératives de femmes au Sénégal.

Les syndicats cherchent aussi à appor-ter des avantages tangibles et immédiats:création de fonds sociaux pour pallier l’ab-sence de sécurité sociale, facilités d’accèsau crédit et à la terre, aide administrativeet juridique, éducation et formation poursurmonter le manque cruel de qualifica-tions, fourniture d’infrastructures de base(électricité, eau, transport, sanitaires, lo-caux de stockage, crèches, repas…). Lessyndicats peuvent aussi aider à améliorerles revenus de ces femmes en facilitant lavente et l’achat collectifs; en suscitant deséchanges d’expériences; en assurant uneprotection contre les violences (notammentpour les vendeuses de rue); et en rendant

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la chaîne de sous-traitance visible pour né-gocier avec les employeurs une protectionélémentaire pour les travailleuses à domi-cile. Les syndicats peuvent apporter leursoutien à des microprojets, particulière-ment ceux qui sont porteurs de dévelop-pement rural, ou encore faciliter, pour lesbiens produits par des femmes, l’accès auxnouveaux réseaux de commerce équitable,comme c’est le cas au Bénin ou au BurkinaFaso.

De nouvelles pistes d’action

Organiser les travailleuses des zonesfranches d’exportation, qui prolifèrent ra-pidement en Afrique, est un autre défi detaille pour les syndicats africains. Les paysd’accueil de ces zones franches offrent auxinvestisseurs étrangers une main-d’œuvrebon marché et une paix industrielle, au prixgénéralement d’une féroce répression an-tisyndicale. Résultat, ces zones franches,qui emploient en majorité des femmes,sont trop souvent des zones de non-droitsyndical où l’exploitation est la norme (trèsbas salaires, contrats de travail précaires,harcèlement sexuel des travailleuses,conditions de travail déplorables…). AuMaroc, malgré la répression antisyndicalequi y sévit, les syndicats se battent pour or-ganiser les ouvrières des usines textilesdans les zones industrielles. A Maurice, lessyndicats ont mis sur pied une crèche pourles enfants des travailleuses des planta-tions sucrières.

En matière de lutte contre leVIH/SIDA, les syndicats ont aussi un rôlefondamental à jouer pour assurer uneperspective de genre dans tous les pro-grammes de sensibilisation et d’aide auxvictimes. Ils participent également active-ment à la campagne internationale en fa-veur de produits pharmaceutiques quisoient financièrement accessibles aux ma-lades du SIDA en Afrique. Dans beaucoupde syndicats africains, les femmes sont auxavant-postes de la lutte contre la pandé-mie. «Les femmes subissent davantage lesconséquences de la maladie. Elles résistentplus longtemps au virus donc vivent plus

longtemps avec le SIDA, et ce sont elles quidevront se charger des enfants», confiaitrécemment Florida Mukandamutsa dusyndicat rwandais CESTRAR au Mondesyndical 3. «Nous avons mis sur pied auRwanda une association des gens qui vi-vent avec le VIH/SIDA. C’est une asso-ciation mixte, mais les femmes y sont ma-joritaires», expliquait la syndicaliste.

Pour sortir du fossé technologique quisépare l’Afrique du reste du monde et luiassurer un développement durable, lessyndicats réclament un meilleur accès auxnouvelles technologies de l’informationpour tous les travailleurs et travailleusesafricains (formation et infrastructure). Làaussi, il faut insister sur la dimension degenre, indispensable pour s’assurer queles femmes, déjà discriminées sur tous lesfronts, ne se retrouvent pas, en outre, toutau fond du fossé numérique qui sépare lesplus éduqués des moins qualifiés, les plusriches des plus pauvres.

Toutes ces pistes d’actions syndicales,déjà expérimentées avec imagination, cou-rage et succès par différents syndicats afri-cains, convergent vers le même objectif glo-bal: mieux tenir compte des besoins et despriorités spécifiques aux femmes et de leurrôle dans l’économie et la société en géné-ral. C’est une clé essentielle pour l’avenirdu continent, une question d’équité, maisaussi une question de survie. Comme par-tout ailleurs dans le monde, mais peut-êtreencore plus en Afrique compte tenu du rôleparticulièrement fondamental que, malgréles immenses difficultés, les femmes yjouent en matière de développement, l’ave-nir dépendra de la place que les femmes yauront.

Notes

1 FNUAP: L’état de la population mondiale, 2000(New York, 2000).

2 UNIFEM: Gender dimensions of the financing for de-velopment agenda, document de travail en vue de laConférence des Nations Unies sur le financement dudéveloppement prévue en 2002 (New York, avril 2001).

3 Le Monde syndical, mensuel publié par la Confé-dération internationale des syndicats libres (CISL),(Bruxelles, décembre 2000).

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Le développement nécessite l’organisa-tion d’activités sociales et écono-

miques à une échelle bien plus vaste quecelle que l’on retrouve actuellement dansles différents pays d’Afrique. En effet, laplupart d’entre eux sont relativement pe-tits, non seulement du point de vue de lapopulation, mais également des résultatséconomiques. Cette situation a donnénaissance à des efforts visant à promou-voir l’intégration régionale et sous-régio-nale en tant que stratégie majeure pourpromouvoir le commerce régional et accé-lérer le développement et les transforma-tions structurelles. Malgré les résultats trèsmodestes obtenus jusqu’à présent, cettestratégie reste l’un des principaux instru-ments pour permettre au continent de sur-monter ses problèmes de fragmentationéconomique, de promouvoir la diversifi-cation économique et l’établissement deliens mutuellement bénéfiques entre uni-tés de production dans différents pays.

Structures régionaleset sous-régionales en Afrique

Il ne fait aucun doute que le premier argu-ment en faveur de l’intégration régionaleest celui de l’efficacité: lorsque des pro-ducteurs et des pays se spécialisent dans

des marchandises qu’ils peuvent produireà moindre frais, l’ensemble de la région enprofite. Deuxièmement, des économiesd’échelle souvent impossibles à réaliser surle marché domestique peuvent l’être sur unmarché régional plus vaste. Troisième-ment, l’intégration régionale peut appor-ter, dans un premier temps, l’expérience etles avantages d’une concurrence entre pro-ducteurs dans un environnement plus sûrque celui du marché mondial.

Les accords d’intégration régionale ontune longue histoire en Afrique. Elle re-monte aux unions douanières de 1900entre le Kenya (alors appelé Protectoratd’Afrique de l’Est) et l’Ouganda. De nosjours, il existe en gros deux types de grou-pements régionaux en Afrique, à savoir,ceux parrainés par la Commission écono-mique des Nations Unies pour l’Afrique(CEA) et ceux découlant d’autres initia-tives. La CEA a été le promoteur de troisaccords sous-régionaux: la Communautééconomique des Etats d’Afrique del’Ouest (CEDEAO), le Marché commun del’Afrique orientale et australe (COMESA),et la Communauté économique des Etatsd’Afrique centrale (CEEAC).

A l’échelon panafricain, le traité éta-blissant la Communauté économique afri-caine adopté à Abuja en 1991 peut êtreconsidéré comme le point d’orgue des dé-

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L’intégration régionale en Afrique:mode d’emploi

L’intégration économique a plus de chances de réussir si les membresde la société civile, et plus particulièrement les syndicats, participentau processus décisionnel et si leurs droits sont garantis et respectés.Comment les syndicats peuvent-ils assumer un rôle plus significatifsur le plan de la promotion de l’intégration régionale et commentpeuvent-ils faire en sorte que les droits humains et syndicaux soientrespectés?

Mohammed MwamadzingoSpécialiste régional de l’éducation des travailleurs

Bureau de l’OIT à Addis-Abeba

clarations faites auparavant par les chefsd’Etat et de gouvernement africains etleurs ministres (à l’instar de la Déclarationde Kinshasa de 1976, du Plan d’action deLagos et de l’Acte final de Lagos de 1980)à propos de leur volonté de créer une com-munauté économique englobant toutel’Afrique.

Lors du 37e Sommet des chefs d’Etat etde gouvernement de Lusaka, Zambie(juillet 2001), l’Organisation de l’unité afri-caine (OUA) est officiellement devenuel’Union africaine (UA), 50 des 53 Etatsmembres de l’OUA ayant ratifié le traitéétablissant l’UA. Le nouveau secrétaire gé-néral de l’UA s’est vu investi de la respon-sabilité d’assurer la transition en un an.

En Afrique de l’Ouest, la Commu-nauté économique des Etats d’Afrique del’Ouest (CEDEAO) a vu le jour en 1975 etavait pour objectif de devenir à terme uneunion douanière, puis un marché com-mun, à mesure que progressait l’intégra-tion des Etats de la sous-région. Elle secompose de 15 Etats membres (le Bénin, leBurkina Faso, le Cap-Vert, la Côte d’Ivoire,la Gambie, le Ghana, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Libéria, le Mali, le Niger, le Ni-géria, le Sénégal, la Sierra Leone et leTogo), dont 10 font partie d’autres grou-pements sous-régionaux. Le nouveautraité de la CEDEAO, signé en 1993,cherche à consolider et à étendre les acquisde la communauté et vise à régler le pro-blème de la multiplication des organisa-tions intergouvernementales (OIG) dansla sous-région, à renforcer la capacitéd’exécution du secrétariat de la CEDEAOet à étendre les fonctions politiques de lacommunauté. Il accorde en outre un statutsupranational à la CEDEAO en qualitéd’institution de représentation uniquepour la région d’Afrique de l’Ouest. Dureste, il ajoute, entre autres, le maintien dela paix parmi les missions de la CEDEAO.

La région d’Afrique de l’Ouest est cellequi, actuellement, compte le plus grandnombre d’OIG (une quarantaine au total),parmi lesquelles figurent la CEDEAO,l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA, composée du Bénin,du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire, de la

Guinée-Bissau, du Mali, du Niger, du Sé-négal et du Togo), et l’Union de la RivièreMano (MRU, qui englobe la Guinée, le Li-béria et la Sierra Leone). L’UEMOA a étémise sur pied en 1994. L’une des grandesdifférences entre elle et la CEDEAO est quecette dernière possède un élément fonc-tionnel d’intégration monétaire.

En vertu de l’accord conclu lors duConseil des ministres de la CEDEAO en1993, toutes les autres OIG devraient de-venir des agences spécialisées de la CE-DEAO dès 2005.

Autre sous-région, l’Afrique orientaleet australe a également connu de nom-breuses initiatives en vue d’instaurer desinstances transfrontalières, de manière àaccroître le commerce, l’investissement etles échanges entre les pays qui collaborent.Cette sous-région est désormais ladeuxième par le nombre d’OIG, aprèsl’Afrique de l’Ouest.

La Zone d’échange préférentiel pourl’Afrique orientale et australe (PTA) a étéétablie en 1978 et a servi de fondement àla création du Marché commun pourl’Afrique orientale et australe (COMESA),en novembre 1993. Le COMESA com-prend aujourd’hui 21 pays, après le retrait,l’an dernier, de la République-Unie deTanzanie. La PTAs’était engagée dans cinqgrands domaines de coopération, à savoir:coopération monétaire, fiscale et finan-cière; développement du commerce etdouanes; transports et communications;industrie, énergie et environnement; et dé-veloppement de l’agriculture.

Le traité du COMESAen appelle à l’ins-tauration d’une union douanière par lebiais d’une suppression de toutes les bar-rières commerciales et de la mise en placede règles d’origine et d’un tarif douanierextérieur communs. Ce traité prévoit la co-ordination des politiques macroécono-miques à mesure que les pays progresse-ront vers une libre circulation des serviceset des capitaux, ainsi que vers la converti-bilité de leurs monnaies.

Contrairement à la PTA, le COMESAmet désormais l’accent sur un engagementen faveur d’une redistribution des avan-tages de l’intégration, au moyen de pro-

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grammes régionaux spéciaux visant à pro-mouvoir le développement des pays lesmoins développés de la région et à parve-nir à un développement équilibré au seindu marché commun. Des domaines spéci-fiques de coopération ont été recensés,comme la libéralisation des échanges et lacoopération douanière; les transports etles communications; l’industrie et l’éner-gie; les affaires monétaires et financières;l’agriculture; et le développement écono-mique et social.

Au sein de la même sous-région, on re-trouve aussi la Communauté de dévelop-pement d’Afrique australe (SADC) etl’Union douanière d’Afrique australe(SACU). La SADC (qui rassemble 10 desEtats membres du COMESA) a succédé àla Conférence de coordination du déve-loppement d’Afrique australe, une organi-sation dont l’objectif principal était de ré-duire la dépendance de la sous-région parrapport à l’Afrique du Sud pendant le ré-gime d’apartheid. La SADC cherche àmieux coordonner les tarifs douaniers ex-térieurs et à promouvoir la libre circulationdu capital et des travailleurs. Elle souhaitede surcroît mettre sur pied des autorités ré-gionales chargées des infrastructures etune banque de développement.

La SACU n’a été instaurée sous saforme actuelle qu’en 1969, mais elle dé-coule directement de l’accord conclu en1910 entre l’Afrique du Sud et, à l’époque,trois protectorats britanniques: le Basuto-land (aujourd’hui le Lesotho), le Bechua-naland (aujourd’hui le Botswana) et leSwaziland.

La région d’Afrique de l’Est n’a guèrefait preuve d’activités dans la période quia suivi la dissolution de la Communautéd’Afrique de l’Est, en 1977. Le 22 no-vembre 1991, les présidents des trois paysd’Afrique de l’Est (Kenya, Ouganda et Ré-publique-Unie de Tanzanie) se sont ren-contrés à Nairobi et ont convenu de réac-tiver et d’accentuer la coopération entreleurs trois pays. En novembre 1993, lors dudeuxième sommet tripartite sur la coopé-ration en Afrique de l’Est, tenu à Kampala,un protocole a été signé en vue d’établir lesecrétariat de la Commission tripartite

permanente pour la coopération enAfrique de l’Est, à Arusha, en Tanzanie. LaCommission est devenue la Communautéd’Afrique de l’Est, depuis la signature dutraité établissant cette dernière en 2000.

L’Autorité intergouvernementale pourle développement (IGAD), rassemblantl’Erythrée, l’Ethiopie, le Kenya, le Soudan,la République-Unie de Tanzanie et l’Ou-ganda, est une autre OIG. Le 18 avril 1995,les chefs d’Etat et de gouvernement réunisdans le cadre d’un sommet extraordinairede l’IGAD ont décidé de lancer une nou-velle initiative impliquant la revitalisationet la restructuration de l’IGAD en tantqu’instrument pour une coopération ac-crue et une intégration économique sous-régionale entre les Etats membres de l’or-ganisation.

Les autres groupements de la mêmesous-région sont l’Organisation pourl’aménagement et le développement dubassin de la rivière Kagera (OBK), et laCommission de l’océan Indien (COI) quiréunit Maurice, Madagascar, les Comoreset les Seychelles, et vient d’établir son se-crétariat à Quatre Bornes, Maurice. Parailleurs, une initiative a vu le jour au débutde 1995 en vue de tenter d’instaurer uneplate-forme de coopération régionale pourl’ensemble du bassin indien. L’Australie,l’Inde, le Kenya, Maurice, Oman, Singa-pour et l’Afrique du Sud ont participé àune réunion jetant les fondements d’unecoopération future dans la région, ce qui aabouti à la mise sur pied de l’Initiative dubassin de l’océan Indien (IORI). Des do-maines de coopération ont été recensés,parmi lesquels figurent la facilitation deséchanges, la promotion du commerce et del’investissement, la coopération dans lesdomaines des sciences et des technologies,ainsi que le développement des ressourceshumaines.

En Afrique du Nord, l’Union duMaghreb arabe (UMA), composée de l’Al-gérie, de la Jamahiriya arabe libyenne, dela Mauritanie, du Maroc et de la Tunisie,est l’un des plus anciens organismes de co-opération sous-régionale d’Afrique. Unmarché commun et une union douanièredu Maghreb devaient entrer en vigueur

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dès 1995. Les progrès ont été plutôt lentset plusieurs barrières tarifaires et non tari-faires s’opposent toujours au commerce.Ainsi, on constate des divergences sur leplan des modèles économiques et l’ab-sence de coordination des décisions poli-tiques, comme ce fut le cas, par exemple,lors de la guerre du Golfe. Les pays de lasous-région importent leur pétrole desEmirats arabes unis, plutôt que d’Algérieou de la Jamahiriya arabe libyenne quiproduisent environ les trois quarts des be-soins en pétrole de la région.

Le commerce sous-régional entre lesEtats d’Afrique centrale reste réduit austrict minimum. Le traité établissantl’Union douanière des Etats de l’Afriquecentrale (UDEAC) a été signé en 1964. LaCommunauté économique des Etats del’Afrique centrale (CEEAC), dont le siègeest à Libreville, et l’UDEAC ont toutesdeux entamé, de manière distincte, une co-opération dans les domaines de l’alimen-tation et de l’agriculture, de l’industrie, destransports et des communications. Le troi-sième groupement économique – la Com-munauté économique des pays des GrandsLacs (CEPGL) – qui rassemble le Rwanda,le Burundi et la République démocratiquedu Congo, ne déploie aucune activité.

Acquis et contraintes des effortsd’intégration

L’existence de ces groupements régionauxn’empêche pas l’Afrique de rester confron-tée à la faiblesse des liens économiquestransfrontaliers. Les efforts d’intégrationrégionale ont en effet donné des résultatspour le moins mitigés. Des améliorationsont certes été apportées aux flux commer-ciaux à l’intérieur de la région, mais leschoses n’ont guère évolué vers un déve-loppement intégré des infrastructures,malgré les avantages potentiellement éle-vés d’une telle démarche.

De multiples problèmes ont continuéd’entraver l’avancement de l’intégrationrégionale en Afrique. Les structures deproduction de la plupart des pays africainssont les mêmes, de sorte que les produits

exportables ont tendance à entrer enconcurrence, plutôt que d’être complé-mentaires. Des moyens de transport et decommunication inadaptés contribuent enpartie au morcellement des économiesafricaines et limitent gravement la circula-tion des marchandises, des personnes etdes capitaux. Du reste, le manque deconvertibilité entre les monnaies, l’exis-tence permanente de barrières tarifaires etnon tarifaires, la crainte de perdre du ter-rain face à des Etats membres plus déve-loppés au sein d’un groupement régional,ainsi que les divergences entre les diri-geants politiques constituent autant d’obs-tacles qui subsistent sur la voie d’une in-tégration plus poussée sur l’ensemble ducontinent.

Intégration régionale et structuressyndicales

Les structures syndicales vont presque tou-jours de pair avec la création des différentesformes d’intégration régionale en Afrique.Pour l’Afrique australe, le Conseil de co-ordination syndicale d’Afrique australe(SATUCC) a été mis sur pied en mars 1993lors de son congrès inaugural tenu à Gabo-rone, Botswana. Avec ses 12 organisationsaffiliées, le SATUCC milite en faveur du dé-veloppement de centrales syndicales natio-nales fortes, indépendantes et autosuffi-santes dans la sous-région.

En novembre 1991, le SATUCC aadopté une charte sociale des droits fon-damentaux des travailleurs en Afriqueaustrale, qui constitue une déclaration so-lennelle et énonce les grands principesd’une législation du travail modèle pourl’Afrique australe. Elle décrit, d’une ma-nière plus générale, la place du travailleurau sein de la société. Le Conseil du travaild’Afrique australe (SALC), une structuretripartite, a adopté la charte sociale enmars 1992.

En Afrique de l’Est, le Conseil syndi-cal d’Afrique de l’Est (EATUC) est une or-ganisation qui chapeaute les centrales syn-dicales nationales au sein des Etatsmembres de la Communauté d’Afrique de

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l’Est: Kenya, Ouganda et République-Uniede Tanzanie. L’EATUC a été fondé en 1988et se compose actuellement de l’Organi-sation centrale des syndicats (COTU,Kenya), de l’Organisation nationale dessyndicats (NOTU, Ouganda), et de la Fé-dération tanzanienne des syndicats libres(TFFTU). L’objectif général de l’EATUCconsiste à intégrer les intérêts et les effortsdes travailleurs d’Afrique de l’Est, de ma-nière à élaborer une approche communed’un développement de la justice socialeet économique, par le biais d’une partici-pation des organisations de travailleurs àtous les échelons de l’intégration régio-nale. L’organisation vise en outre à pro-mouvoir la coopération entre les tra-vailleurs d’Afrique de l’Est au moyen dela conception commune de programmesd’éducation des travailleurs, d’activités derecherche et d’une intégration des ques-tions d’égalité entre hommes et femmesdans le travail des syndicats.

En qualité d’organisme régional destravailleurs, l’EATUC veille à ce que laCommunauté d’Afrique de l’Est impliqueles travailleurs dans toutes les questionsliées à l’intégration régionale, instaure letripartisme comme méthode de travail etencourage la ratification des normes inter-nationales du travail par les Etatsmembres, l’harmonisation des lois et despolitiques du travail en Afrique de l’Est, etla notion de libre circulation des facteursde production dans la région. L’EATUC a,par ailleurs, adopté une longue liste d’ob-jectifs tels que l’élimination de la faim parla sécurité alimentaire, la création d’em-plois productifs et la résolution des diffé-rends en Afrique de l’Est.

Aucune activité digne de ce nom ne sedéroule en Afrique de l’Ouest, malgré larevitalisation, en 1999, de l’Organisationdes syndicats d’Afrique de l’Ouest(OTUWA).

En Afrique centrale, il reste un longchemin à parcourir à l’organisme syndicalsous-régional, l’Organisation des tra-vailleurs de l’Afrique centrale (OTAC). EnAfrique du Nord, l’Union des syndicatsdes travailleurs du Maghreb arabe(USTMA) rassemble les fédérations syndi-

cales de la sous-région. Le 1er mai 1991,l’USTMA a publié une charte des droits so-ciaux fondamentaux des travailleurs auMaghreb. Celle-ci salue la création del’UMA et met en exergue la nécessité devoir les différents aspects sociaux ancrésdans les efforts d’intégration. On retiendrapar ailleurs la Confédération internationaledes syndicats arabes (CISA), qui rassembleles centrales syndicales du monde arabe.

Réactions syndicales aux processusd’intégration

A l’instar de ce qui se passe dans d’autresrégions du monde, de nombreux paysd’Afrique s’intéressent davantage à l’inté-gration économique régionale et ont ins-tauré des programmes visant à défendrecette cause. Les organisations de tra-vailleurs, de leur côté, ne sont pas en resteet soutiennent l’émergence et le renforce-ment d’une intégration régionale. En fait,il s’est avéré que les syndicats ont demandéaux gouvernements d’accentuer leurs ef-forts pour garantir une intégration écono-mique régionale plus rapide. Les syndicatsreprésentent des partenaires actifs pour di-verses activités liées aux aspects écono-miques et sociaux de l’intégration.

L’une des préoccupations des organisa-tions syndicales est que les accords régio-naux d’intégration résultant de ces proces-sus se sont avant tout concentrés sur unemobilisation du capital et des ressourcesnaturelles et ont eu tendance à négliger lerôle capital de la mobilisation des res-sources humaines et les autres aspects so-ciaux. Les syndicats ont réaffirmé que,pour que l’intégration soit réussie, les par-ties concernées, dont les travailleurs etleurs organisations constituent un élémentimportant, doivent participer au processusde conception, aux mécanismes décision-nels et à la mise en œuvre de l’ensembledes programmes et des activités de projet.Des aspects sociaux tels que l’éradicationde la pauvreté, les droits humains et syn-dicaux, la création d’emplois décents et lerespect des normes internationales du tra-vail doivent figurer en tête des priorités.

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Le fait que, dans la plupart des pays,les systèmes modernes de relations de tra-vail aient d’abord privilégié la scène natio-nale constitue un défi pour les structuressyndicales régionales confrontées à des lé-gislations promulguées par les Etats na-tionaux et à des réglementations en ma-tière d’emploi qui plongent leurs racinesdans des accords entre les organisationssyndicales et patronales nationales.

La libéralisation des échanges interna-tionaux, la mondialisation des marchés fi-nanciers et l’importance croissante des so-ciétés multinationales semblent d’ailleursmenacer de tels systèmes nationaux.L’émergence de marchés régionaux du tra-vail (la Communauté d’Afrique de l’Est,par exemple) signifie que des décisionsimportantes, qui touchent les marchés na-tionaux du travail, sont désormais prisesen dehors du pays concerné. Par ailleurs,une comparaison des coûts de main-d’œuvre entre les différents pays peutnuire à la compétitivité nationale alorsqu’elle détermine les décisions d’investis-sement des entreprises. Cette situationmet en péril la tenue d’une négociation col-lective nationale. De plus, la stabilité desmonnaies nationales semble exiger desgouvernements qu’ils adoptent des poli-tiques économiques déflationnistes quivont souvent à l’encontre des intérêts destravailleurs.

Les pessimistes prétendent que l’inter-nationalisation menace totalement le bonfonctionnement des syndicats. Des ana-lystes plus circonspects suggèrent que,pour le moins, leur marge de manœuvres’est fortement resserrée par rapport à lasituation passée.

En conséquence, les syndicats sont ap-pelés à assumer un rôle plus actif en ga-rantissant le volet social de la mondialisa-tion et de l’intégration régionale. En plusde militer pour leur droit à être consultés,ils doivent instaurer des mécanismes des-tinés à renforcer les organisations sous-régionales de travailleurs par l’intermé-diaire desquelles ils peuvent présenterleur vision des choses. La rédaction dechartes sociales des droits fondamentauxdes travailleurs, leur intégration et leur

adoption par les différents groupementsrégionaux concernés, impliquent que desmesures supplémentaires soient prisespour garantir la sauvegarde et le respectdes droits humains et syndicaux.

Pour les syndicats, les efforts actuelspour encourager la coopération économi-que et l’intégration régionale sont voués àl’échec s’ils continuent de se limiter au do-maine étroit du commerce international etde l’union douanière. Bien que les sys-tèmes d’intégration régionale déjà en placetraitent de questions plus vastes, commela mobilisation des ressources, ils mettenten général trop l’accent sur la mobilisationdu capital et des ressources naturelles ettendent à négliger le rôle de la mobilisa-tion des ressources humaines.

Conclusions: maîtriser l’intégration

Malgré les contraintes qui pèsent sur uneintégration régionale efficace, de nom-breux observateurs et chercheurs enAfrique laissent entendre qu’il existe tou-jours un besoin pour ce type d’intégrationet qu’il est peut-être encore plus pressantaujourd’hui. En effet, la fragmentation dumarché – qui demeure un problème enAfrique – est en voie d’élimination dansd’autres régions du monde et le capital estde plus en plus mobile. Il est importantd’insister sur le fait que l’intégration ré-gionale ne peut aboutir si les personnes lesplus touchées au sein de la communautéde pays envisagée ne nourrissent pas unsentiment d’appartenance et d’identitévis-à-vis de celle-ci.

Pour que les syndicats puissent faireprofiter les travailleurs et travailleuses del’intégration économique régionale, ilsdoivent accroître leur rôle, notamment:

� en participant aux phases de concep-tion des efforts d’intégration régionaleet en exigeant de leurs gouvernementsle droit de participer à toute discussionet d’être consultés sur les questionsd’intérêt régional;

� en plaçant les problèmes sociaux aucentre des préoccupations, dans la me-

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sure où aucun développement écono-mique ne peut être dénué d’une di-mension sociale;

� en formant ou en revitalisant les orga-nisations syndicales sous-régionalesqui sont les pendants des groupementséconomiques sous-régionaux, afin demobiliser leurs membres et d’exercerdes pressions efficaces;

� en promouvant l’élaboration par lesstructures syndicales sous-régionalesde chartes sociales, à l’instar de cellesdu SATUCC et de l’USTMA, et en fai-sant campagne pour leur adoption parle groupement économique auquel ilsappartiennent;

� en organisant, aux côtés des autres ac-teurs, des programmes d’éducation ci-vique autour de l’intégration régionale,de manière à encourager une partici-pation active de la société dans ces pro-cessus; et

� en attirant, sans relâche, l’attention surles cas de violation des droits humainset syndicaux.

L’intégration régionale n’est pas unequestion purement économique: il s’agitd’un processus de construction d’unecommunauté ou de construction socialequi ne se limite pas à l’élargissement ducommerce régional. Elle nécessite une ap-proche holistique et multidimensionnelle,doit acquérir une certaine crédibilité etdonner lieu à une identité d’objectifs. Lerôle des syndicats est donc essentiel à lafois pour doter ces processus d’un voletsocial et pour leur apporter la légitimité.Ces deux ingrédients font actuellementcruellement défaut.

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Conséquence directe de la mondialisa-tion, l’expansion de l’économie infor-

melle nous surprend aujourd’hui par l’am-pleur qu’elle a pu prendre en Afrique.L’économie informelle, issue de cette «éco-nomie» parallèle et multiforme, s’est déve-loppée à côté des secteurs classiques del’économie en s’y juxtaposant comme le né-gatif du secteur moderne. Ce secteur in-formel a toujours existé par tradition dansles pays africains, surtout au niveau rural,il suffit de penser aux travailleurs saison-niers. C’est à partir de la mise en œuvredes programmes d’ajustement structurel(PAS), lors de la crise des années soixante-dix et quatre-vingt, que le phénomène vagagner les villes et subir une augmentationexponentielle. Dès ce moment, la mondia-lisation et le développement du capitalvont reposer sur des politiques de libérali-sation et de déréglementation. D’une part,ces politiques chercheront à démanteler lesmécanismes gouvernementaux qui ser-vaient à lutter contre les crises (les poli-tiques anticycliques) et, d’autre part, ellestransféreront au marché, sous prétexted’une plus grande efficacité, l’essentiel dupouvoir économique, social, culturel etmême politique. Le marché n’étant paségalitaire, cette politique va favoriser prin-cipalement la différenciation des termes del’échange entre les pays développés et ceuxen voie de développement.

Des régions entières sont aujourd’huiexclues du jeu économique (Afrique sub-saharienne, Asie du Sud, Proche-Orient,Afrique du Nord...). Les flux de capitauxse concentrent sur la triade: les Etats-Unis,l’Union européenne et le Japon. Les consé-quences de la mondialisation sur l’écono-mie et surtout sur l’emploi sont catastro-phiques pour la majorité des pays du Sud.La recherche effrénée de la compétitivitéentraîne des licenciements et des baissesde plus en plus fortes des salaires, et letissu économique qui compose le secteurformel de l’économie, qu’il soit privé oupublic, se détériore dangereusement. Lescrises financières et économiques se suc-cèdent à un rythme accéléré depuis les an-nées soixante-dix, aggravant davantage lasituation de l’emploi et précipitant ungrand nombre de travailleurs dans l’éco-nomie informelle. Les crises politiques in-ternationales que nous connaissons au-jourd’hui accentuent cette tendance etprovoquent un ralentissement de l’écono-mie mondiale et un repli des grandes puis-sances sur elles-mêmes.

Explosion du secteur informelen Afrique subsaharienne

En Afrique subsaharienne, l’économie in-formelle a pris une ampleur considérable.

Le défi de l’économie informelleLa croissance exponentielle de l’économie informelle en Afrique sub-saharienne constitue à la fois un défi pour les syndicats et une occa-sion favorable à leur renouveau. Un projet soutenu par le Bureau in-ternational du Travail a montré que l’organisation syndicale destravailleurs de ce secteur est réalisable.

Emile DelvauxConseiller technique principal

Projet «syndicats et secteur informel»Bureau des activités pour les travailleurs

BIT

Elle a littéralement explosé pendant ladernière décennie. Les réformes écono-miques engagées par les gouvernementsde cette région pour faire face à une doublecrise d’endettement extérieur et de déficitsbudgétaires comprenaient alors des me-sures de rationalisation des dépenses pu-bliques, de restriction des subventions del’Etat aux entreprises publiques et de pri-vatisation. Cela a provoqué une baissedramatique des emplois salariés, tant dansle secteur public que dans le secteur privé.Par exemple, au Burkina Faso, les effectifsde la fonction publique sont passés de 54pour cent des emplois du secteur moderneen 1975, à 33 pour cent en 1985, et à 24 pourcent en 1993, et la situation continue de sedégrader.

En dehors de ces causes directes de lacrise de l’emploi dans le secteur formel,existent également des causes plus loin-taines liées à la stagnation du secteur privéet à la faiblesse des capacités entrepreneu-riales dans les pays (erreurs de gestion desgrandes unités de production, absence desoutien aux petites et moyennes entre-prises, trop grande dépendance écono-mique par rapport aux pays développés,retards technologiques, faibles niveaux devie et de consommation, étroitesse du mar-ché domestique, etc.). Sans oublier l’insuf-fisance de la qualification technique et pro-fessionnelle de la main-d’œuvre qui arésulté de la dégradation de l’offre d’en-seignement. Tout cela a empêché le déve-loppement rapide d’un secteur privé com-pétitif capable de suppléer le secteurpublic dans son rôle de créateur d’emploismodernes.

En même temps que l’on constatait unediminution des capacités d’emploi dansles secteurs privés et publics, on assistait,surtout dans les villes, à l’arrivée sur lemarché du travail d’un nombre accru dejeunes, conséquence de l’exode rural et dela croissance démographique. L’émer-gence d’une économie informelle a aussipour origine des causes structurelles tellesque la défaillance de la logistique com-merciale «officielle», en particulier dans ladistribution ou la faible capacité d’impor-tation des produits les plus récents pour

lesquels existe une forte demande. A cela,il faut ajouter la corruption et l’action decertains «décideurs» qui n’ont pas hésité àsaboter des projets industriels locaux pourprivilégier, dans des contextes persistantsde guerres civiles et de déstabilisationgouvernementale, des importations infor-melles bien plus rémunératrices.

L’économie informelle a donc connuune explosion dans la plupart des paysd’Afrique subsaharienne. Elle occupe au-jourd’hui près de 80 pour cent des actifs ur-bains au Burkina Faso. Au Niger, elle re-présente entre 70 et 80 pour cent du produitintérieur brut marchand et fournissait, en1988, près de 60 pour cent de l’emploi nonagricole. Dans ce pays, la contribution del’économie informelle au PIB a été multi-pliée par trois entre 1960 et 1997, alors quecelle du secteur moderne a été divisée parprès de deux au cours de la même période.

Si la prédominance de l’économie in-formelle dans les économies et l’emploi estune caractéristique commune au BurkinaFaso, au Mali, au Niger et au Sénégal, cesecteur présente cependant des distinc-tions selon les pays. Au Mali, les femmesy sont majoritaires (59 pour cent). En re-vanche, au Niger, les femmes ne représen-tent que 27,6 pour cent de la main-d’œuvrede l’économie informelle. En 1991, au Sé-négal, l’économie informelle couvrait58,7 pour cent de la population active ur-baine contre 17,8 pour cent pour le secteurmoderne, et trois entreprises de l’écono-mie informelle sur cinq n’y ont qu’un seulemployé.

Vers une catastrophe sociale?

Malgré la pénurie de données statistiquesfiables, on estime que l’économie infor-melle absorbe environ 60 pour cent de lamain-d’œuvre urbaine en Afrique subsa-harienne. Selon une étude du BIT, 93 pourcent des emplois urbains qui seront créésau cours de la présente décennie relève-ront du secteur non structuré. Tel qu’il sepoursuit actuellement, le processus demondialisation ne devrait pas permettred’inverser cette tendance.

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Pourtant, les mérites tant vantés del’économie informelle, notamment sonrôle prétendument «stabilisateur», sont deplus en plus remis en cause. D’aucuns s’in-terrogent même sur sa viabilité à longterme.

D’après les estimations de la Banquemondiale, l’emploi dans les micro-entre-prises en Afrique subsaharienne devraitaugmenter en moyenne de 6 à 7,50 pourcent par an au cours des vingt prochainesannées. Pendant la même période, lacontribution de l’économie informelle auproduit national brut des pays concernésdevrait atteindre 35 pour cent, alors que lahausse annuelle de la productivité du tra-vail de ce secteur stagnerait à 1,5 pour cent.

Une telle perspective soulève une sériede problèmes urgents sur les plans écono-mique, social et politique, dans la mesureoù l’augmentation prévisible du chômageet de la pauvreté constituent une menacesérieuse pour la démocratie et la stabilitééconomique future des pays concernés.En réalité, on se dirige tout droit vers unecatastrophe économique et sociale. La dé-gradation de l’emploi risque, en effet, d’af-faiblir la productivité et d’amplifier tragi-quement les écarts qui existent en matièrede rémunération entre les secteurs formelet informel. Par ailleurs, la précarité del’emploi, les conditions de travail défavo-rables, l’absence et la méconnaissance desmesures de protection sociale et de soinsde santé, et le manque d’organisation col-lective de la main-d’œuvre sont autant defacteurs qui entravent la croissance et lacompétitivité de l’économie informelle etqui pourraient favoriser la persistanced’abus et de politiques discriminatoires àl’encontre des travailleurs de ce secteur.

Enfin, les pressions politiques, reli-gieuses ou idéologiques sur des popula-tions économiquement et socialement fra-gilisées peuvent entraîner des situationsde crise humanitaire et de guerres civiles.

Depuis 1972, le Bureau internationaldu Travail (BIT) a eu à intervenir dans lespays de la région pour apporter assistanceet conseils en matière de politiques et d’ac-tions visant à accroître les performances etl’organisation de l’économie informelle.

Plusieurs projets ont été menés, parexemple, en faveur des artisans dans plu-sieurs pays d’Afrique francophone et an-glophone.

Mais, à défaut d’un environnementmacroéconomique favorable, toutes cesactions demeurent limitées. A l’occasionde la 78e session de la Conférence interna-tionale du Travail, en 1991, le BIT avait déjàinsisté sur la nécessité d’intégrer l’écono-mie informelle dans les économies natio-nales. La mise en œuvre d’une telle straté-gie passe nécessairement par l’adoptionou le renforcement de politiques écono-miques, fiscales et sociales, favorables àl’évolution du secteur informel. L’un desmeilleurs moyens pour atteindre cet ob-jectif est de doter les travailleurs de l’éco-nomie informelle d’un cadre organisation-nel et institutionnel leur permettant dedevenir des interlocuteurs crédibles au-près des décideurs.

De par leur vocation, les syndicats ap-paraissent comme des partenaires idéauxpour aider à la définition et à la construc-tion d’un tel cadre. Cela augmenterait ju-dicieusement la force d’impact institution-nel, économique et social à la fois desorganisations syndicales et des travailleurset travailleuses de l’économie informelle.

C’est dans ce contexte, et avec ces ob-jectifs principaux, que le projet «syndicatset secteur informel» a été formulé par leBureau des activités pour les travailleursdu BIT (ACTRAV) et la coopération da-noise (Danida). Mis en œuvre de juin 1998à août 2001, ce projet s’adressait à quatrepays francophones d’Afrique de l’Ouest:le Burkina Faso, le Mali, le Niger et le Sé-négal.

Ace jour, force est cependant de consta-ter que, dans ces quatre pays, les organi-sations syndicales ne disposent pas encoredes capacités institutionnelles leur per-mettant d’assurer la défense des intérêtsdes travailleurs de l’économie informelle.Cela s’explique, en partie, par des raisonshistoriques, les syndicats de ces pays ayanttraditionnellement fait des travailleurs etdes fonctionnaires du secteur moderne lacible privilégiée et exclusive de toute leuraction.

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Toutefois, certaines centrales syndi-cales travaillaient déjà avec certains mé-tiers de l’économie informelle depuisquelques années et pouvaient approcherces travailleurs. Elles défendaient cepen-dant rarement les intérêts spécifiques dece type de travailleurs qu’elles incluaientdans les revendications et conventions gé-nérales du secteur moderne. Mais ces ex-périences ont pu démontrer que l’orga-nisation syndicale des travailleurs del’économie informelle est un objectif réali-sable, qui s’accompagne de bénéfices mu-tuels pour les travailleurs et pour les syn-dicats. Cela permet aux uns d’améliorerleurs conditions de vie et de travail et leurprotection sociale, et aux autres de renfor-cer leur pouvoir de négociation en tant queforce véritablement représentative des in-térêts de tous les travailleurs et tra-vailleuses au niveau national. Une telleapproche implique la transformation or-ganisationnelle et structurelle des syndi-cats ainsi qu’une volonté politique de s’ou-vrir aux différents métiers de l’économieinformelle. En fait, il s’agit de revenir auxpremières formes d’organisations ou-vrières et de trouver la possibilité de fairecohabiter, dans les mêmes organisations,les travailleurs de l’économie informelle etceux du secteur moderne, en sortant ducorporatisme et en abandonnant certainesattitudes protectionnistes qui, sinon, me-nacent de scléroser les organisations syn-dicales face à l’explosion de l’économie in-formelle. L’ouverture à un «syndicalismeféminin» est également une condition sinequa non de l’évolution structurelle syndi-cale, les femmes étant majoritaires dansl’économie informelle.

Etant donné la diversité syndicale dansles pays concernés, le projet «syndicats etsecteur informel» visait à soutenir l’effortde 14 organisations syndicales nationales:quatre au Burkina Faso, deux au Mali,deux au Niger et six au Sénégal.

Deux défis s’imposaient au projet.D’abord, celui visant à promouvoir la so-lidarité et l’organisation des travailleurs ettravailleuses de l’économie informelle afinqu’ils puissent constituer des institutionsefficaces pour la défense collective de leurs

intérêts et se faire reconnaître comme in-terlocuteurs valables par les décideurs.Ensuite, celui visant à encourager les or-ganisations syndicales à renforcer leursmoyens opérationnels et à former leurscadres techniques au diagnostic des pro-blèmes et des besoins des acteurs de l’éco-nomie informelle. Pour atteindre ces deuxobjectifs, l’approche participative a étéprivilégiée.

Afin de limiter l’action du projet à sespropres moyens humains et financiers,cinq professions ou métiers dans quatrerégions ont été retenus par pays pour leprojet pilote (il existe dans l’économie in-formelle de ces pays près de 250 métiersdifférents). Plus de deux mille animateurs,dont une majorité d’animatrices, ont étéformés par des syndicalistes au cours duprojet.

Ces animateurs syndicaux se sonttransformés en véritables agents de déve-loppement sur le terrain. Ils ont ainsicontribué à la constitution d’associationsprofessionnelles, à la création de mu-tuelles et de coopératives, et à la mise surpied de caisses de microcrédits. En tout,43 structures professionnelles nouvellesont été créées au Burkina Faso, 14 fédéra-tions syndicales et des caisses de crédit auMali, 18 nouvelles structures syndicales demétiers fédérées au Niger, 4 coopérativeset 4 mutuelles de santé au Sénégal.

Le recrutement et l’organisation des tra-vailleurs et travailleuses de l’économie in-formelle ont été soutenus par une cam-pagne de sensibilisation à la protection dela santé au travail et à la prévention des ac-cidents. Une campagne parallèle d’infor-mation sur les maladies sexuellementtransmissibles et le VIH/SIDAa égalementété menée. Pendant ce temps, la majoritédes organisations syndicales se restructu-raient pour accueillir les travailleurs et tra-vailleuses de l’économie informelle selonleur profession et leur région. Un effortparticulier a été fait pour donner auxfemmes une place représentative dans cesnouvelles structures.

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Conclusions

Le projet pilote initié par ACTRAV et Da-nida ne pouvait pas englober toute la réa-lité et l’immensité de l’économie infor-melle dans les quatre pays concernés, maisil a permis d’enregistrer de nombreux pro-grès parmi lesquels:� la prise de conscience par les organisa-

tions syndicales des pays couverts parle projet de la nécessité d’organiser etde syndiquer les travailleurs de l’éco-nomie informelle;

� l’engagement des organisations syndi-cales à prendre désormais en compteles préoccupations de ces travailleurs,en créant, au sein de leurs structures,des secrétariats et/ou des départe-ments chargés des questions de l’éco-nomie informelle;

� l’amélioration des relations entre orga-nisations syndicales d’un même pays;

� le renforcement des capacités et descompétences des organisations syndi-cales grâce à la formation des anima-teurs;

� l’éveil de conscience et l’enthousiasmedes travailleurs et travailleuses del’économie informelle sur leurs droitset libertés, sur leur capacité à exploiterles potentialités qu’offre l’économie in-formelle;

� la création de syndicats et d’associa-tions des travailleurs de l’économie in-formelle et la mise en place de mu-tuelles de santé, d’institutions deprévoyance sociale, d’épargne et decrédit, et le lancement de coopérativesdiverses gérées et animées par les tra-vailleurs de l’économie informelle;

� l’élargissement des structures du mou-vement syndical dans les pays couvertspar le projet et l’entrée des femmesdans les structures syndicales de l’éco-nomie informelle; et

� le changement d’attitude et de menta-lité des autorités publiques qui s’enga-gent désormais dans plusieurs pays àexaminer avec bienveillance les préoc-

cupations des travailleurs de l’économieinformelle, portées à leur connaissancetant par les organisations syndicales quepar les nouvelles structures syndicalesde l’économie informelle.

Ces acquis enregistrés, au cours de laphase pilote, s’inscrivent largement dansles objectifs que s’était fixés le projet, à sa-voir, assister et aider les travailleurs del’économie informelle à s’organiser enstructures représentatives capables de dé-fendre leurs intérêts matériels et morauxen assurant de meilleures conditions devie et de travail dans leur secteur d’acti-vités.

Force est cependant de reconnaître queles syndicats et les structures nouvelle-ment créées dans l’économie informellen’ont, pour l’instant, ni l’envergure ni lesmoyens suffisants de prendre en charge defaçon conséquente les intérêts matériels etmoraux de leurs membres. Des mesures derenforcement, d’extension et de finance-ment doivent encore être prises pour pé-renniser et développer ces organisationstrès fragiles de l’économie informelle.

Toutefois, ces quelques insuffisancesne doivent pas faire perdre de vue l’exis-tence réelle de ces syndicats et associationsde l’économie informelle, qui est un acquiscapital et constitue tout un cadre de soli-darité et d’entraide au service des tra-vailleurs de l’économie informelle. Celaconstitue aussi une certitude de renou-veau pour le mouvement syndical dans lesquatre pays concernés. L’érosion des ef-fectifs des syndicats et leur difficulté à re-présenter l’ensemble des forces produc-tives nationales peuvent être inverséesgrâce à l’apport décisif des travailleurs ettravailleuses de l’économie informelle.

Cela va bouleverser le paysage syndi-cal de ces pays, redynamiser les valeursdémocratiques et relancer la concertationsociale grâce au renouveau potentiel dusyndicalisme. Les preuves en ont déjà étédonnées par les mutations internes qui in-terviennent dans les organisations syndi-cales, la transformation d’associationsprofessionnelles de l’économie informelleen syndicats, et la volonté retrouvée des

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gouvernements de se pencher sur la réa-lité de l’économie informelle.

Le 1er mai 2001 à Ouagadougou (Bur-kina Faso), toutes les associations del’économie informelle ont défilé avec lessyndicats et envoyé un message revendi-

catif commun au gouvernement, preuvede la prise de conscience réciproque parles travailleurs du secteur moderne etceux de l’économie informelle de leur in-térêt commun face à la mondialisation del’économie.

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Au cours de la première décennie qui asuivi leur indépendance politique,

beaucoup de pays africains ont affiché desindicateurs économiques relativement im-pressionnants. Toutefois, le «choc pétro-lier» de 1973, qui a vu le prix de l’or noirquadrupler, a mis fin à l’euphorie. Entraî-nant un déficit courant anormalementélevé et un recul du taux de croissance duproduit intérieur brut (PIB), la crise pétro-lière a imposé à l’Afrique la nécessité d’unajustement structurel et des mesures destabilisation économique. Aux yeux denombreux analystes, cette crise était de na-ture structurelle, même si de multiplescauses (tant internes qu’externes) ontcontribué à cette situation. Les facteurs ex-ternes, y compris les sécheresses à répéti-tion, la dégradation des conditions com-merciales et le poids grandissant de ladette ont eu d’importantes répercussions.Des facteurs internes découlant de poli-tiques inadaptées, de faiblesses institu-tionnelles, d’erreurs administratives etd’une instabilité politique ont égalementjoué un rôle considérable.

Que sont les programmesd’ajustement structurel (PAS)?

Les programmes d’ajustement structurel(PAS) se composent de politiques de ré-formes qui associent des mesures de sta-bilisation à court terme et des mesuresd’ajustement à plus long terme. L’endroitet le mode de mise en œuvre de ces poli-tiques dépendent de la façon dont sontperçus les problèmes d’ajustement struc-turel d’un pays en particulier. La mise enœuvre peut être séquentielle ou simulta-née. Dans la plupart des économies, cetajustement était nécessaire. Les dépensesexcessives, l’administration démesurée,une fonction publique pléthorique étaientla règle plutôt que l’exception et la pape-rasserie administrative s’accumulait defaçon inutile. En général, les premièresétapes ont consisté à «stabiliser» l’écono-mie par le biais de politiques fiscales, mo-nétaires et salariales. A la suite de difficul-tés persistantes, la plupart des paysafricains ont été contraints de chercher lesoutien des institutions de Bretton Woods,qui ont concocté les programmes d’ajuste-ment structurel. Les PAS impliquent desupprimer toutes les «distorsions» quis’opposent au marché et donc de laisser le

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Une nouvelle conception de l’ajustementL’Afrique fait son entrée dans le XXIe siècle en comptant dans sesrangs certains des pays parmi les plus pauvres de la planète. Le re-venu moyen par habitant est inférieur à ce qu’il était à la fin des an-nées soixante, de sorte que l’on constate une pauvreté aussi pro-fonde que généralisée. En Afrique subsaharienne, 52 pour cent de lapopulation survit avec moins d’un dollar américain par jour. Les ré-formes structurelles, appliquées depuis vingt ans, n’ont guère amé-lioré les choses. Il convient de renverser cette situation si l’on veutque l’Afrique prenne le chemin de la croissance et du développement.

Lawrence EguluEconomiste principal

Organisation régionale africaineConfédération internationale des syndicats libres

champ libre au jeu de l’offre et de la de-mande. Le diagnostic des problèmes struc-turels d’un pays laissait généralement pa-raître les faiblesses des paramètresmacroéconomiques, et plus particulière-ment des déficits de la balance des paie-ments, une inflation élevée et des taux decroissance faibles ou négatifs. Les mesuresde stabilisation étaient, dans ce contexte,présentées comme une panacée. L’aspectsocial a presque toujours été ignoré,puisque l’on estimait qu’à partir du mo-ment où la stabilité était assurée, les autresfacteurs s’adapteraient automatiquement.

Les PAS impliquaient: la restriction dela croissance du déficit budgétaire du gou-vernement à des niveaux susceptiblesd’être maintenus par des financementsétrangers et nationaux non inflationnistes;une rationalisation des budgets par unecompression de l’emploi dans le secteurpublic; une libéralisation des marchés dutravail, financiers et des capitaux; et lemaintien d’une politique de taux dechange adaptée. Normalement, ces objec-tifs imposaient une réforme des prix, unesuppression des subventions, une libérali-sation des changes et du commerce inté-rieur et extérieur, l’adoption d’un «partagedes coûts» pour les services offerts par legouvernement, la privatisation, la restruc-turation des institutions gouvernemen-tales, ainsi que des réformes juridiques vi-sant à promouvoir un «environnementéconomique favorable».

Les effets des politiques d’ajustement

Dans bien des pays, l’expérience des PASdans les années quatre-vingt s’est révéléemitigée. La mise en œuvre des PAS danscertains pays d’Afrique a mis en lumièredivers problèmes importants qui n’avaientpas été correctement abordés au début desprogrammes. Même si, dans certains pays,ces programmes ont permis une crois-sance économique positive, des questionsimportantes relatives aux aspects sociauxde l’ajustement ont suscité des inquié-tudes quant aux «véritables» bénéfices desPAS pour le bien-être de la majorité des po-

pulations. Par exemple, en Zambie, en1987, et en Algérie, en 1988, l’applicationdes politiques d’ajustement et de libérali-sation a donné lieu à des troubles poli-tiques.

Certes, un récent rapport intitulé CanAfrica Claim the 21st Century? (L’Afriquepeut-elle prétendre au XXIe siècle?) laisseentendre que, là où certains pays, commele Mozambique et le Ghana, ont procédé àdes réformes économiques clés – libérali-sation des marchés et du commerce, amé-lioration de la gestion économique et pro-motion des activités du secteur privé – ona constaté un développement de la crois-sance et des revenus personnels et un reculde la pauvreté. L’Ouganda, la République-Unie de Tanzanie, Maurice, la Côted’Ivoire et le Mali sont, eux aussi, citéspour certains aspects positifs de leurs po-litiques.

Il reste que les PAS ont conduit bien despays dans le piège de la dette. Une dettequi continue à tirer à elle la majeure partiedes budgets des pays les moins dévelop-pés et provoque une hémorragie de flux fi-nanciers des pays les plus pauvres vers lespays les plus riches. Exsangues, les paysles plus pauvres n’ont eu d’autre choix qued’adhérer aux conditionnalités accompa-gnant l’aide des institutions de BrettonWoods. Ce qui n’a pas arrangé les choses.Les dettes énormes ont provoqué une crisefiscale qui a eu des répercussions néga-tives sur la croissance économique ducontinent et a, par là, menacé le caractèredurable des réformes. Elles ont aussi freinéles investisseurs potentiels, encouragé lafuite des capitaux, et touché l’emploi deplein fouet.

Par ailleurs, l’approche paternalisteadoptée par les institutions financières in-ternationales (IFI), qui ont choisi de traiteravec les banques centrales, les chefs d’Etatet les hauts fonctionnaires des ministèresresponsables des finances, a marginalisétoute une série de partenaires dont l’hos-tilité envers les PAS s’est accrue au fil desans. Le but premier des conditionnalitésn’étant pas de s’attaquer à la pauvreté – entout cas au moment de leur conception – ,il n’est pas étonnant de constater que de

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nombreux gouvernements africains ontété incapables de les satisfaire et encoremoins d’atteindre les objectifs macroéco-nomiques fixés par les deux institutions,la Banque mondiale et le Fonds monétaireinternational (FMI). Ainsi, trois pro-grammes sur quatre de facilité d’ajuste-ment structurel renforcée (FASR) ontéchoué au cours des dernières années. Cesprogrammes, aux conditions trop strictes,négligeaient dans une large mesure desparamètres importants permettant de me-surer leur efficacité, notamment le nombred’emplois créés, la qualité de la gestion desaffaires publiques, leurs effets sur la luttecontre la corruption ou sur le respect desdroits humains fondamentaux.

Sur ce dernier point, il convient de rap-peler que les pays en développement ontsubi des pressions de plus en plus fortespour offrir des mesures d’encouragementdestinées à attirer les investisseurs. Cela aabouti, dans bien des cas, à un relâchementdes normes de travail et à un nivellementpar le bas des conditions de travail. Leszones franches d’exportation en Afriqueconstituent, à cet égard, une illustrationdésolante de cette évolution. En fin decompte, cette approche n’a profité qu’auxinvestisseurs étrangers, compromettantencore plus la souveraineté nationale despays africains. L’accès insuffisant aux mar-chés internationaux et la dépendance ac-crue par rapport aux fluctuations descours des matières premières – leursuniques sources d’exportation – ont fragi-lisé les économies africaines plus qu’ellesne les ont renforcées. Les politiques d’ou-verture des marchés n’ont ainsi eu que desrépercussions négatives dans la plupartdes pays du continent.

Une approche syndicalede l’ajustement

Dégradation des niveaux de vie, pertesd’emplois et récession économique ontprovoqué une érosion sans précédent deseffectifs syndicaux et ont rendu la tâchedes organisations syndicales particulière-ment difficile. La dévaluation massive des

monnaies nationales, la réduction des dé-penses publiques et l’augmentation desremboursements de la dette extérieuren’ont fait qu’aggraver les choses. Certainsgouvernements, estimant que les ajuste-ments sociaux devaient passer par unmarché du travail flexible, n’ont pas hésitéà revoir à la baisse les législations du tra-vail. Dans plusieurs pays, il a même été re-connu que la Banque mondiale avait prêtéson concours à la révision des codes du tra-vail, sans consultations préalables avecl’Organisation internationale du Travail niavec les ministères compétents pour lesquestions d’emploi, de dialogue social oude développement humain.

Selon la Confédération internationaledes syndicats libres (CISL), l’impact des ré-formes économiques va au-delà des fac-teurs macroéconomiques. Dans une publi-cation récente, la CISL résume ainsi leclimat actuel: «Non seulement les institu-tions de Bretton Woods sont-elles respon-sables de leur incapacité à remplir leurmission de réduction de la pauvreté, depromotion de développement humain oude garantie de la stabilité financière inter-nationale, mais encore elles ne peuventprétendre en aucun cas à quelque réussiteque ce soit en matière de réalisation d’unsystème de justice économique auquell’ensemble de la communauté mondialepourrait prendre part». En fait, pour êtreefficaces, les réformes économiques de-vraient ancrer la démocratie et l’équité aucœur de l’ajustement et du développe-ment. Il est, dès lors, important que les syn-dicats participent au processus d’élabora-tion et de mise en œuvre des PAS, demanière à intégrer les aspects de dévelop-pement social de l’ajustement et à faire ensorte que les acquis économiques à courtterme ne soient pas considérés commeplus importants qu’un développement so-cial et économique durable à long terme.

La CISL a pour politique de veiller à ceque les institutions financières internatio-nales et les gouvernements africains écou-tent les avis des syndicats. C’est dans cecontexte qu’elle a tenu des réunions avecla Banque mondiale et le FMI, tant sur lascène internationale que nationale. Plu-

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sieurs secrétariats professionnels interna-tionaux (SPI) et syndicats africains affiliésà la CISL ont participé à ces réunions. LeRapport sur le développement dans le mondede 1995 de la Banque mondiale rappelaitque «les syndicats libres constituent lapierre angulaire de tout système efficace derelations de travail (…) ils peuvent aider àaccroître la productivité sur les lieux de tra-vail et à y réduire la discrimination (…) ilscontribuent au développement politiquede leur pays…» Le Fonds monétaire inter-national (FMI) s’est lui aussi inquiété del’aspect social des PAS et a témoigné de savolonté de rencontrer les syndicats et dediscuter avec eux de ses politiques.

La CISL estime que le dialogue consti-tue la meilleure option pour apporter deschangements aux politiques des institu-tions de Bretton Woods. Pour aider les syn-dicats à y contribuer, plusieurs conférenceset réunions régionales et nationales sur lethème des réformes économiques ont étéorganisées. Ces forums ont eu de profondesconséquences sur le plan national et inter-national dans la mesure où ils ont permisd’exposer aux gouvernements, au FMI et àla Banque mondiale la nécessité d’ajouterun volet social à leurs programmes.

Un développement tourné vers lesgens: le fondement de tout ajustement

Les objectifs et les moyens d’action du dé-veloppement national social et écono-mique doivent reposer sur un largeconsensus au sein de la société et le dia-logue social constitue dès lors un élémentessentiel de toute politique. Des appels ontété lancés en faveur d’une institutionnali-sation des structures de participation na-tionales où sont débattues les grandesquestions de politiques économiques etsociales et où sont prises des décisions. Detelles structures pourraient, par ailleurs,s’avérer utiles, entre autres, pour contrô-ler l’attribution des marchés publics etcombattre la corruption et le népotisme.L’expérience du Conseil national du déve-loppement économique et de la main-d’œuvre (NEDLAC) d’Afrique du Sud

pourrait, à cet égard, servir d’exemple.(Voir aussi l’article de Omano Edigheji etKarl Gostner dans Education ouvrière2000/3, no 120.)

Le développement social doit se pour-suivre en parallèle avec la croissance éco-nomique. Des politiques macroécono-miques solides sont essentielles pourmaintenir des taux de croissance élevéspar habitant, car elles permettraient d’aug-menter aussi les taux nationaux d’épargneet d’investissement, d’abaisser les tauxd’inflation et, donc, de promouvoir la sta-bilité financière. Si la croissance écono-mique constitue une condition préalableimportante à tout développement, elle nepeut se réaliser – comme cela a trop sou-vent été le cas – au moyen de programmesd’austérité aussi brutaux qu’inefficacessur le long terme. Les pays qui obtiendrontles meilleurs résultats seront ceux dont lesinstitutions sont capables d’équilibrer etde rééquilibrer en permanence les pres-sions du marché en faveur de la flexibilitéet du dynamisme et les pressions socialesen faveur de la sécurité et de la dignité. LaDéclaration de Copenhague sur le déve-loppement social et le Programme d’actiondu Sommet mondial pour le développe-ment social, offrent, à cet égard, une for-mule qui a le mérite de se fonder sur unnouveau consensus. La mise en œuvre deces instruments permettrait d’éradiquer lapauvreté, de promouvoir un plein emploiproductif et d’encourager l’intégration so-ciale pour aboutir à des sociétés stables,sûres et justes.

Les efforts visant à bâtir une capacitéde production dans les pays africains doi-vent être soutenus par des politiquesfermes en matière d’emploi et de marchédu travail, incluant des investissementsdans les secteurs à forte densité de main-d’œuvre, comme l’agriculture et le déve-loppement d’infrastructures, ainsi que desmesures de soutien au développement desentreprises. Le développement des infra-structures est essentiel pour moderniserles biens de production, étendre les mar-chés et attirer les investissements étran-gers directs (IED). Une économie structu-rellement diversifiée constitue un élément

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important, car elle génère des revenus plusélevés et sera mieux à même de supporterles chocs extérieurs, comme les séche-resses, les inondations ou les changementsau niveau des conditions commerciales.En d’autres termes, cela permet de rompreavec le cycle de la pauvreté.

La communauté internationale doit,pour sa part, avoir la volonté politiqued’annuler ou de réduire de façon substan-tielle la dette extérieure des pays en déve-loppement. L’initiative en faveur des payspauvres très endettés (PPTE) devrait êtrecomplètement revue dans le but de ga-rantir rapidement un allégement de ladette et d’accroître le nombre de pays sus-ceptibles d’en bénéficier. Ainsi, les condi-tions de principes macroéconomiquesqu’exigent les institutions de BrettonWoods dans le cadre de l’initiative sur lesPPTE doivent être assouplies si l’on veutatteindre l’objectif de réduction de la pau-vreté. Une mobilisation efficace des res-sources nationales est, elle aussi, néces-saire à la croissance économique et à laréduction de la pauvreté. L’objectif quiconsiste à combler le fossé de l’épargne né-cessite tout un éventail d’actions, y com-pris des mesures pour endiguer la fuitedes capitaux et pour rapatrier l’épargneafricaine détenue à l’étranger, ce qui im-plique des réformes pour accroître le ren-dement et réduire les risques des investis-sements nationaux.

La croissance doit être assortie d’une re-distribution équitable des richesses pro-duites. Le développement ne requiert pasuniquement une activité économique,mais également une diminution des inéga-lités et une répartition plus efficace desavantages de la croissance économique ausein des nations et entre celles-ci. Il faudradonc consacrer davantage de ressourcesaux dépenses sociales comme l’éducation,la santé, l’approvisionnement en eau et lelogement. Le développement de l’infra-structure à long terme, à l’instar des routeset des installations téléphoniques, repré-sente un autre objectif positif. Les dépensesmilitaires doivent être réduites au mini-mum, tandis que dans un même temps, lacommunauté internationale doit participer

à la résolution pacifique des nombreuxconflits nationaux et internationaux.

Le VIH/SIDA est désormais considérécomme «le défi le plus formidable de notreépoque en matière de développement». Lamaladie s’est propagée à toutes les régionsdu monde, mais c’est en Afrique subsaha-rienne qu’elle fait le plus de dégâts.L’Afrique abrite 70 pour cent des adulteset 80 pour cent des enfants vivant avec leVIH et trois quarts des personnes qui sontmortes du SIDA de par le monde depuisle début de l’épidémie sont des Africains.En l’an 2000, on estime que 3,8 millions depersonnes ont contracté le VIH en Afriquesubsaharienne et que 2,4 millions de ma-lades en sont morts. Ce qui caractérise leVIH/SIDA, c’est son impact sur le déve-loppement. Il menace en effet cinq des fon-dements du développement, à savoir lacroissance économique, la bonne gestiondes affaires publiques, le développementdu capital humain, le climat d’investisse-ment et la productivité de la main-d’œuvre. Il importe de mener des actionsdélibérées pour organiser des campagnesde sensibilisation visant à éradiquer la ma-ladie; lutter contre la culture de négationdu VIH/SIDA; militer en faveur de médi-caments vitaux bon marché; et établir descontacts avec des institutions des NationsUnies comme l’OIT, l’OMC, l’OMPI etl’ONUSIDA, afin de les exhorter à affecterdavantage de ressources aux programmesliés à la lutte contre le VIH/SIDA (lire l’ar-ticle de Jacky Delorme, p. 32).

Les pays africains doivent s’appuyerautant que possible sur l’intégration éco-nomique régionale pour échapper à l’iso-lement économique, étendre leurs mar-chés et soutenir le développement desexportations. L’intégration régionaleconstitue une manière d’aider ces pays àdiversifier leurs économies et à inverser latendance à la désindustrialisation et à lamarginalisation. L’intégration régionaleimplique en outre des liens réciproques etcontribue de ce fait à accroître la valeurajoutée de la région. Plus important en-core, l’intégration régionale encourage ladiversification et les exportations sur lesmarchés régionaux, ce qui permet d’ac-

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quérir une expérience avant d’entrer surles marchés mondiaux. Un marché intégréfournirait également aux pays africains uncadre de coopération pour le développe-ment d’une infrastructure commune, parexemple dans les services financiers, lestransports et les communications, ainsi quepour des mécanismes d’exploitation com-mune des ressources naturelles. La taillerestreinte du marché de la plupart des paysafricains signifie que ceux-ci pourraientavoir de bien meilleures perspectives decroissance grâce à un commerce régionalaccru. L’accès aux marchés du Nord doitêtre garanti, mais il est tout aussi impor-tant de disposer de mécanismes interna-tionaux efficaces pour stabiliser les prix etindemniser les pays africains en cas dechute brutale de la valeur des exportations.

Le maintien de la paix et de la sécuritéau sein des nations et entre celles-ci, la dé-mocratie, l’Etat de droit, la promotion et laprotection de tous les droits humains et deslibertés fondamentales, y compris les droitsau développement, une gestion efficace,transparente et responsable des affaires pu-bliques, l’égalité entre hommes et femmes,le respect total des principes et droits fon-damentaux au travail et des droits des tra-vailleurs migrants sont quelques-uns deséléments essentiels à la réalisation d’un dé-veloppement social axé sur les personnes.L’Afrique doit prendre des mesures dras-tiques pour éliminer le capitalisme de co-pinage, la corruption, les monopoles et lesinvestissements non durables.

Conclusions

Le «consensus de Washington» doit êtrerevisité si l’on veut que l’Afrique s’engagesur la voie de la croissance et du dévelop-pement. Les programmes d’ajustement

structurel doivent intégrer les principes detransparence, de participation, de niveauadapté pour les dépenses sociales, debonne gestion des affaires publiques et degestion financière responsable. Ainsi, il estnécessaire, en premier lieu, d’assurer laparticipation active de la société civile, ence compris les syndicats, dans l’élabora-tion, la mise en œuvre et l’évaluation depolitiques davantage tournées vers le so-cial et le long terme. De telles politiquesdevront reprendre des programmes delutte contre la pauvreté et régler des ques-tions telles que l’enseignement primaire etles soins de santé, l’égalité entre hommeset femmes, la protection sociale, le pleinemploi, des relations de travail solides etle respect des normes fondamentales dutravail.

Idéalement, les Africains doivent ima-giner leurs propres solutions à leurs pro-blèmes. Ces dernières années, un consen-sus s’est dégagé autour des élémentsnécessaires pour accentuer la croissance etl’assortir de politiques qui cherchent defaçon spécifique à réduire la pauvreté. Denos jours, en Afrique, l’accélération desperformances économiques impose unemeilleure utilisation des ressources exis-tantes et un développement des investisse-ments. Ainsi, les réformes macroécono-miques doivent se poursuivre, et plusparticulièrement les efforts visant à re-structurer les finances publiques et à ouvrirles économies au commerce et aux inves-tissements privés. Néanmoins, la crois-sance ne pourra pas se maintenir si ellen’est pas sous-tendue par des investisse-ments dans l’infrastructure humaine et so-ciale, notamment dans les régions rurales,en prenant en considération les besoins desfemmes d’Afrique. Il convient d’accroîtrela capacité des gouvernements africains àgérer efficacement leur économie.

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Tout le monde doit être convaincu quesans démocratie véritable, respect des

droits de l’homme, paix et bonne gouver-nance, il n’y a pas de développement pos-sible.» Tel est le credo énoncé par les sixchefs d’Etat promoteurs de la «Nouvelleinitiative africaine», qui affichent égale-ment leur volonté de faire en sorte que lecontinent participe «activement» à l’éco-nomie et à la vie politique mondiales. Maisl’observation des faits amène à émettre desréserves sur la corrélation entre la démo-cratisation, le développement économiqueet la mondialisation...

Incontestablement, les pays africainsqualifiés de meilleurs risques pour les in-vestisseurs sont des pays dotés d’institu-tions démocratiques: le Botswana, Mau-rice et l’Afrique du Sud figurent en tête dupeloton continental (voir encadré). Ce sontdes pays qui se caractérisent par une ou-verture accrue sur le reste de l’économiemondiale, avec notamment la signature,en 1996, d’un accord de partenariat et delibre-échange entre Pretoria et l’Union eu-ropéenne (UE). De plus, au cours des deuxdernières années, dans plusieurs paysd’Afrique subsaharienne, la qualité de ladémocratisation s’est améliorée, en ce sensqu’à la liberté d’expression et d’opinion,est venue s’ajouter l’alternance politique.Pour le Sénégal et le Ghana, ce fut une pre-mière plutôt heureuse. Ainsi, la consolida-tion de la démocratie sénégalaise, combi-née à une plus grande ouverture du

marché et aux progrès du programme deprivatisation, a contribué à l’améliorationde la cote de ce pays auprès des investis-seurs par les analystes de la lettre spécia-lisée française Nord-Sud Export (Groupe LeMonde). N’eût été la mise hors jeu de l’undes principaux acteurs du jeu politique, enl’occurrence, le nordiste et musulmanAlassane Ouattara, et les émeutes qu’ellea provoquées, la Côte d’Ivoire aurait pufaire partie du lot.

Il convient pourtant d’apporter plu-sieurs bémols. En effet, les corrélationsentre démocratisation et investissementssont loin d’être automatiques. Quels quesoient les efforts accomplis dans un certainnombre de pays, les dividendes de la dé-mocratisation et des éventuels progrèsréalisés en matière de bonne gestion desaffaires publiques ou de consolidation del’Etat de droit ne se sont pas nécessaire-ment soldés par un afflux immédiat de ca-pitaux étrangers. Le potentiel des marchésafricains a été entamé par l’instabilité destermes de l’échange. A titre d’exemple, lecours du café robusta qui se situait auxalentours de 470 dollars américains (US$)la tonne en septembre 2001, ne représen-tait plus alors que le huitième du coursqu’il avait atteint sept ans auparavant! Quiplus est, une étude récente de la Banquemondiale relève que, au cours des vingtdernières années, on a assisté à un trans-fert net de ressources de l’Afrique subsa-harienne vers le reste du monde. Quant

Mondialisation, démocratisationet conditionnalités à géométrie variable

Force est de reconnaître que la manière dont s’applique, en Afrique,la conditionnalité de l’aide internationale semble obéir davantageaux intérêts économiques et stratégiques des bailleurs de fondsqu’aux critères de démocratisation, de droits de l’homme ou de bonnegouvernance.

François MisserJournaliste

«

aux investissements étrangers directs, ilsont fondu de 13 pour cent au cours de laseule année 2000, et ne représentent plusque 0,4 pour cent des flux mondiauxcontre 1 pour cent durant la période 1989-1994.

En outre, il faut admettre que la Tuni-sie, considérée comme l’un des meilleurs«risques-pays» du continent (voir enca-dré), et dont le degré d’ouverture com-merciale s’est accru avec la signature d’unaccord de partenariat et de libre-échangeavec l’Union européenne, combine unecroissance remarquable et un appui finan-cier occidental presque sans failles à desviolations répétées des droits humains.L’un des champions du libéralisme deséchanges et de la croissance en Afrique del’Est est l’Ouganda, qui jouit d’une indé-niable liberté d’expression, limitée, cepen-dant, au droit à la critique. Pour le reste, le«no-party system» ougandais laisse peude chances aux opposants du présidentYoweri Museveni qui s’est imposé, nonsans qu’aient été dénoncées des irrégula-rités, lors du récent scrutin présidentiel quile mettait aux prises avec son adversaireKizza Besigye.

A l’inverse, le peloton des pays où lesindicateurs du développement humainsont les plus faibles comprend des Etatsmal gouvernés par des régimes autori-taires, souvent en guerre, et qui, refusanttout dialogue, ont vu grossir les rangsd’une opposition armée, pour le plusgrand profit des nomenklaturas de paysprédateurs. En République démocratiquedu Congo (RDC) – où l’effondrement del’Etat, mal géré par une élite corrompueavait été la cause première de la défaite durégime Mobutu face à ses adversaires sou-tenus par le Rwanda et l’Ouganda en1997 – les libertés ont sérieusement ré-gressé sous le régime Kabila. Le laxismeavec lequel la communauté internationalea laissé des armées étrangères (rwandaise,ougandaise et angolaise), venir épaulerdes dirigeants rebelles choisis à la va-vite,leur permettre de s’incruster dans ce payset piétiner les libertés, a créé un dangereuxsentiment d’impunité et une politiqued’exclusion qui a, elle-même, alimenté les

appétits d’autres candidats dictateurs,tout aussi enclins à s’appuyer sur des pré-dateurs étrangers, et souhaitant devenircalifes à la place du calife.

Mais, là encore, les corrélations ne sontpas automatiques. Il suffit de considérer lecas de l’Angola, lui aussi en guerre, maisdont les principaux produits d’exporta-tion, le pétrole et les diamants, étaient in-tégrés aux rouages de l’économie interna-tionale, bien avant que le terme demondialisation ne soit devenu à la mode.Risque désastreux pour nombre d’inves-tisseurs désireux d’entreprendre dans lessecteurs manufacturiers ou agricoles,l’Angola, avec cette autre éponge à or noirqu’est le Nigéria, absorbe près de la moi-tié des investissements étrangers destinésà l’Afrique subsaharienne. Hélas! unebonne partie de cette manne reprend la di-rection des pays industrialisés, sous laforme d’achats d’armement et de place-ments occultes dans des paradis fiscaux,dans l’indifférence générale. Et sans qu’iln’en découle un minimum de bien-êtresupplémentaire pour sa population.

Déficit de démocratisation+ mondialisation = danger

Il est aussi des cas où le déficit de démo-cratisation ou de dialogue favorise les ef-fets pervers de la mondialisation. Ainsi, lamanière dont les organismes génétique-ment modifiés (OGM) sont en train d’êtredisséminés sur le continent laisse, c’est lemoins qu’on puisse dire, fortement à dési-rer. «Au moment où la société civile est mo-bilisée en Europe, en Amérique et en Asiepour faire de la question des OGM et desdroits de propriété intellectuelle un débatcitoyen, en Afrique on observe le contraire:aucune participation du public aux prisesde décision», déplorait, dans ses conclu-sions, un atelier panafricain sur les OGMtenu à Yaoundé (Cameroun) en octobre1999. Au Kenya, «l’inamovible présidentMoi laisse peu d’espace à l’opinion pu-blique. En 1999, des mouvements locauxavaient tenté de s’opposer, sans succès, àl’envoi par les Etats-Unis et le Canada de

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maïs génétiquement modifié comme aidealimentaire au pays alors frappé par la fa-mine», rappelle la revue française Politis 1.Car, si les biotechnologies recèlent un po-tentiel important, la façon dont on les in-troduit – qui comprend l’interdiction deressemer les récoltes – , mais aussi les pers-pectives de multiplication de la culture deplantes comportant de nouveaux gènes(colzas transgéniques), peuvent se traduirepar un effondrement du marché de certainsproduits tropicaux, l’huile de palme no-tamment. La crainte est aussi de voir lesagricultures du Nord, rendues plus pro-ductives grâce aux OGM, accentuer leursexportations vers l’Afrique et fragiliser lesagricultures paysannes locales.

Un autre type de danger, dans un payscomme le Zimbabwe, est que les abus depouvoir, qui se sont multipliés à mesureque l’économie du pays piquait du nez (in-vasions sauvages de terres par des com-mandos du parti du président Mugabe,persécution des opposants, guerre rui-neuse en RDC supportée largement par lecontribuable, etc.), ne se combinent à despratiques préjudiciables aux finances pu-

bliques. C’est notamment le cas pour lapassation des marchés publics. L’une desmultiples raisons du tarissement de l’aidefinancière internationale à ce pays tientaux passe-droits accordés à des entreprisesmalaysiennes les dispensant de soumis-sionner de façon transparente pour l’ob-tention de participations dans le secteur del’énergie et des télécommunications.

Au Nigéria, pourvu depuis 1999 d’unprésident et d’un parlement élus, la mon-dialisation contribue à fragiliser la stabi-lité économique et sociale. L’incapacité del’industrie locale à faire face à la concur-rence des produits importés a conduit lachambre des représentants à mandater, enseptembre 2001, un comité spécial pourévaluer les effets de l’appartenance dupays à l’Organisation mondiale du com-merce (OMC). Avec à la clé, le risque devoir le Nigéria se retirer de l’OMC, ce quiaurait pour effet de détourner des inves-tisseurs potentiels désireux de s’implanterdans le pays, et d’accroître encore l’arméedes chômeurs. Or le pays est déjà en proieà la violence chronique déclenchée, d’unepart, par des mafias sans scrupules qui uti-

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Classement des «risques-pays»pour les investissements de 35 pays africains

Le classement suivant est établi en fonction de quatre paramètres (environnement des affaires,risques politiques, risques de marché et risques souverains). Le risque est considéré comme prohi-bitif, au-dessous de 160 pts, très élevé au-dessous de la barre des 270 pts, élevé sous les 320 pts,assez élevé sous les 380 pts, modéré au-dessus de 430 pts et faible à partir de 540 pts. A titre indi-catif, le meilleur risque pour les investisseurs dans les pays émergents est celui de Singapour (608pts) et le plus mauvais est celui du Yémen (103 pts). L’Afghanistan, ainsi que nombre de petits mar-chés comme la Gambie, ne sont pas cotés dans cet exercice qui intéresse 100 pays.

Source: classement des marchés émergents (Nord-Sud Export) 2001-2002.

Botswana 514Maurice 511Afrique du Sud 427Maroc 426Tunisie 426Namibie 421Burkina Faso 407Egypte 406Sénégal 401Gabon 398Ghana 397Cameroun 397Mali 390

Bénin 380Togo 376Kenya 361Ouganda 333Madagascar 330Mozambique 323Niger 319Côte d’Ivoire 319Tchad 313Algérie 312République-Unie

de Tanzanie 305Mauritanie 298

Jamahiriya arabelibyenne 298

Zambie 288Zimbabwe 284Congo 282Ethiopie 275Nigéria 269Guinée 250Soudan 189Angola 156République démocratique

du Congo 105

lisent la religion musulmane à des fins po-liticiennes, en imposant la sharia dans 13Etats du pays, et, d’autre part, par les sa-botages tout aussi chroniques des installa-tions pétrolières par des activistes autono-mistes dans la région du Delta.

D’une façon plus générale, la prise deconscience que la mondialisation n’a mal-heureusement pas entraîné l’améliorationde la situation des droits humains est lar-gement à l’origine du tournant doctrinaladopté par Amnesty International (AI).A Dakar, en août 2001, l’organisation hu-manitaire a, en effet, décidé d’intégrer lesdroits économiques, culturels et sociauxdans son mandat. Car la mondialisation«s’est traduite par un enrichissement pourquelques-uns et par la déchéance et ledésespoir pour le plus grand nombre»,constate l’ancien secrétaire général séné-galais d’AI, Pierre Sané2. Ces propos onttrouvé écho dans la bouche du ministrefrançais de la Coopération, Charles Josse-lin, qui, dans un discours sur «le dévelop-pement de la Zone franc et l’Afrique», évo-quait, le 25 septembre 2001, «l’inégalité dumonde que la mondialisation, loin de ré-duire, semble au contraire amplifier…»

De l’usage incohérent de la carotteet du bâton

Les Européens, comme les membres duG8 (le groupe des pays les plus industria-lisés et la Russie) ou les institutions deBretton Woods, affichent, depuis des an-nées, une doctrine tendant à privilégier,dans leurs soutiens économiques et com-merciaux, les pays qui satisfont le mieuxaux critères de respect des droits humains,de l’Etat de droit et de la bonne gestion desaffaires publiques. C’est ainsi que, pourcause de violations répétées des libertéspolitiques et syndicales, un pays commele Swaziland s’est vu refuser le bénéficedu Système généralisé de préférences oude l’African Growth Opportunity Act, quiouvre le marché américain aux produc-teurs africains.

Dans une interview qu’il nous a accor-dée, le président sénégalais, Abdoulaye

Wade, l’un des promoteurs de la Nouvelleinitiative africaine, émet clairement l’opi-nion que les dispositions relatives à la dé-mocratie dans l’accord de partenariat deCotonou entre l’Union européenne et lespays d’Afrique, des Caraïbes et du Paci-fique, «devraient être renforcées» et que«les pays qui ne respectent pas certainesnormes démocratiques ne devraient pasêtre éligibles». M. Wade se dit, en effet, ab-solument partisan de la «conditionnalitédémocratique», au risque de ne pas se fairebeaucoup d’amis dans ce qu’on a appelé«le syndicat» des chefs d’Etat africains. De-vant le Congrès américain et le présidentfrançais Jacques Chirac, le président Wadea notamment appelé à une surveillanceplus sérieuse des processus électoraux.«Le fait d’envoyer des observateurs laveille d’un scrutin, c’est une vaste blague,je suis désolé. J’en ai été victime. J’ai été lepremier à appeler des observateurs exté-rieurs. Le président Diouf m’a pris au mot.Il a appelé des observateurs étrangers. Ilsarrivent le samedi. Ils visitent deux outrois bureaux de vote. Ils voient les gensvoter et après ils disent: ‘il n’y a pas demorts, tout s’est très bien passé’. Ce n’estpas cela des élections. Cela se prépare unan avant: les inscriptions sur les listes élec-torales, l’impression des cartes d’électeurs,l’expression libre. Moi aujourd’hui, je mebats pour l’observation d’élections, pasd’un scrutin! (…) Si l’absence de morts oude blessés devient un critère de bonnesélections, alors où allons-nous? En 1993,j’avais la naïveté de croire que l’Afriquefranchirait la barrière de l’an 2000 avecdes régimes démocratiques. Je l’ai espéréen organisant la conférence des partispolitiques en 1993. Malheureusement, nousn’en sommes pas là bien que nous ayonsfait des progrès. Il y a quand même enAfrique plusieurs régimes démocratiquesoù les leaders ont été élus sans contesta-tion. Mais malheureusement, ça n’est pasencore la majorité.»

Exigeant, M. Wade l’est aussi sur leplan commercial: le monde développé nedoit pas ériger de fausses barrières aux ex-portations de son pays en utilisant defaçon abusive des normes sanitaires pour

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entraver l’importation d’arachides ou duphosphate sénégalais.

Mais, force est de reconnaître que lamanière dont s’applique, en Afrique, laconditionnalité liée à la démocratisation,aux droits de l’homme ou à la bonne gou-vernance, est, pour le moins, déconcer-tante et semble obéir à d’autres para-mètres. La cohérence de la politiqueeuropéenne est particulièrement difficile àsaisir. Le Togo, par exemple, demeure soussanctions depuis des années, pour fraudeélectorale et répression de l’opposition.Mais tel n’est pas le cas de la Guinée, quia embastillé pendant plus de deux ans,Alpha Condé, le rival du président Lan-sana Konté aux élections de décembre1998. En Afrique centrale, la Banque mon-diale et l’Union européenne ont partielle-ment rouvert les vannes de leurs finance-ments à la RDC, alors que le palmarès durégime, en matière de violations des droitsde l’homme et de liberté d’expression, estsans commune mesure avec celui du gou-vernement de Kengo wa Dondo qui a étéPremier ministre du Zaïre de 1994 à 1997.Nombre de partis politiques sont interditset les exécutions sommaires, ordonnéespar la Cour d’ordre militaire sans possibi-lité d’appel, sont monnaie courante. De lamême manière, c’est en vain que depuisdes années, le FMI tente d’imposer augouvernement de Luanda un contrôle descomptes de la compagnie paraétatique So-nangol pour faire cesser le pillage des re-cettes pétrolières, happées dans le «tri-angle des Bermudes», quelque part entrecette société, le Futungo (le palais prési-dentiel) et le Banco Nacional de Angola,pour aboutir dans des comptes offshore...Il est de notoriété publique, comme l’a dé-montré le scandale de l’Angolagate enFrance (qui évoque les livraisons d’armesà l’Angola en guerre), que cette manne estrecyclée en chars ou en bombes au phos-phore. Mais, ni l’UE ni ses Etats membresou d’autres bailleurs de fonds n’ont pour-tant cessé leur aide au gouvernement deLuanda. Or, dans ce cas, comme dans celuid’autres pays de la région, l’Ouganda oule Rwanda, il est clair que, dans lameilleure des hypothèses – comme le sou-

lignait, avec une remarquable lucidité, leministre français de la Coopération –,l’aide internationale permet à ces régimesde libérer des fonds à des fins militaires.

Récemment, la communauté internatio-nale s’est donné pour mission d’attaquer lemal de la guerre à la racine, en décrétantdes embargos sur les livraisons d’armes etde carburant et sur les exportations de dia-mants des rebelles de l’UNITA et du Revo-lutionary United Front sierra-léonien.Mais, après trois ans de cet exercice infruc-tueux, les experts de l’ONU chargés dusuivi de ces sanctions ont dû admettre, enoctobre 2001, qu’elles étaient inefficaces.On remarquera toutefois que l’exercice aporté sur un bien non stratégique dans lamesure où, pour ses applications indus-trielles, le monde peut se passer du dia-mant africain «d’origine douteuse». Deplus, l’embargo, antithèse absolue de la li-béralisation des échanges, bénéficie indis-cutablement aux productions alternativesde l’Afrique australe, largement sous lacoupe du géant sud-africain De Beers, et duGrand Nord canadien, où le «cartel» a mas-sivement investi, et s’est servi de l’arme dessanctions pour promouvoir ses gemmes«politiquement correctes». On signaleraenfin que l’embargo a été décrété, sans lamoindre concertation avec la société civileangolaise, qui la juge inutile et prône, pouren finir avec la guerre, des négociations,même si elle éprouve le plus grand mal àse faire entendre.

Curieusement, l’arme des sanctionss’émousse dès lors que les Etats belligé-rants ou coupables de violations des droitsde l’homme recèlent des gisements im-portants de pétrole. Jamais il n’a été ques-tion du moindre embargo sur le pétrole del’Angola qui pourvoit, à raison de 8 pourcent, aux importations américaines de brutet qui relève, de ce fait, de l’intérêt natio-nal des Etats-Unis. Pour le même motif, lerégime du général Sani Abacha au Nigé-ria n’a jamais eu à craindre une telle me-sure. Vis-à-vis du Soudan, dont l’arméecontinue à bombarder les populations ci-viles du sud, mais qui s’impose comme unproducteur d’or noir de premier plan, leConseil de sécurité adoucit ses positions,

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au point d’aboutir en octobre à la levée dessanctions contre ce pays, initialement dé-crétées dans la foulée de la tentative d’as-sassinat visant le président égyptien HosniMubarak en 1996, en Ethiopie. Il faut direque le Soudan n’a pas ménagé ses effortspour amener Washington à une attitudeplus compréhensive. Khartoum a ainsi faitappel aux talents de lobbyiste d’un anciende la CIA, Milton Bearden, qui a reçu plusde 200 000 dollars pour obtenir la levée dessanctions contre le Soudan et rétablir debonnes relations avec les Etats-Unis3.Selon une enquête de Al-Ahram Hebdo(Egypte), d’autres pays pétroliers du golfede Guinée, l’Angola et le Gabon, se sontmontrés plus généreux encore, versant res-pectivement 2 millions et 1 million de dol-lars par an à des agences de relations pu-bliques ou de lobbying.

La conditionnalité des aides ou dessanctions semble parfois tributaire de rai-sons que feignent d’ignorer les nobles pro-fessions de foi des leaders politiques. Pre-

nons cependant augure des propos ducommissaire européen au développement,Poul Nielson, lors de la rencontre àBruxelles, le 10 octobre dernier, entre laprésidence de l’Union européenne et lespromoteurs de la Nouvelle initiative afri-caine. Pour M. Nielson, la volonté des pro-moteurs de la Nouvelle initiative africained’instituer un environnement favorableaux capitaux étrangers, en veillant auxrespects des normes de droit et de bonnegouvernance, permettrait de maximiserl’impact de la facilité d’investissement de4 milliards d’euros, prévue par l’accord deCotonou.

Notes

1 «Un mirage pour le tiers monde», Politis, 28 juin2001.

2 «Economie et droits de l’homme», Libération,23 août 2001.

3 «Lobby pour l’Afrique: folie ou nécessité?»,Al-Ahram Hebdo, 15-21 août 2001.

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Il n’est pas une guerre au monde qui soitplus importante.» Qu’on ne s’y trompe

pas, ces propos martiaux du secrétaired’Etat américain Colin Powell sont bienantérieurs aux ripostes militaires liées auxattentats terroristes du 11 septembre 2001.Ils datent du mois de mai quand le géné-ral américain pilotait une mission dansplusieurs pays africains et ils font réfé-rence à la lutte contre le VIH/SIDA qui ra-vage l’Afrique subsaharienne. Vu la criseinternationale actuelle, on se met à redou-ter que la petite phrase serve d’épitaphe àdes millions de victimes oubliées.

Les chiffres donnent le tournis. On n’apas encore eu le temps de s’habituer auxstatistiques fournies à la fin de l’année2000 – 36 millions de personnes contami-nées dans le monde, 25 millions rien qu’enAfrique; 5,3 millions de nouvelles infec-tions, 3 millions de morts, 22 millions de-puis le début de l’épidémie – que l’ONU-SIDA s’apprête à nous en fournir d’autresplus catastrophiques encore.

Pourtant, en se basant sur les deux évé-nements marquants de cette année, lesperspectives étaient plutôt encourageantes.D’une part, M. Kofi Annan, le Secrétairegénéral de l’Organisation des NationsUnies, annonçait en mai la création d’unfonds global de lutte contre le SIDA.D’autre part, le procès de Pretoria, quelquessemaines plus tôt, marquait la déroute desfirmes pharmaceutiques qui avaient in-tenté une action en justice contre le gou-vernement sud-africain pour non-respect

des brevets. Face à une opinion publiquede plus en plus hostile, elles allaient fina-lement retirer leur plainte.

Abaisser le prix des médicaments

Les brevets, nous y voilà. Tout commenceen 1994 avec la création de l’Organisationmondiale du commerce (OMC) et les ac-cords sur les aspects des droits de pro-priété intellectuelle relatifs au commerce(ADPIC) que tous ses pays membres s’en-gagent à respecter au plus tard pour 2006.Dans l’absolu, une bien belle chose que cesADPIC, sauf qu’ils sont à l’origine d’excèsen tous genres, comme le «brevetage» duvivant qui s’apparente souvent à unpillage éhonté des ressources du Sud pardes sociétés du Nord, et, bien sûr, en ce quiconcerne les médicaments, à l’accès renduencore plus difficile aux traitements du faitdes monopoles exercés par les grands la-boratoires et de l’interdiction des copiesgénériques.

Pourtant, l’OMC a prévu des accom-modements qui sont intégrés dans lesADPIC. En gros, un pays peut fabriquerdes copies génériques à moindre prix«dans des situations d’urgence nationaleou d’autres circonstances d’extrême ur-gence» (cf. article 31 des ADPIC). Plusieursgouvernements tentent de s’engouffrerdans la brèche, malgré la farouche oppo-sition des laboratoires pharmaceutiquesqui parlent de piratage. Deux logiques

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SIDA: prévention et trithérapies,pas de contre-indication pour le Sud

L’urgence de mener une action globale, multiforme et coopérativepour contenir la pandémie rend cruciales les initiatives de l’OIT enmatière de lutte contre le VIH/SIDA. Mais cette action doit inclure l’ac-cès aux traitements anti-SIDA.

Jacky DelormeJournaliste

«

s’opposent: celle de la maximalisation desprofits et celle du droit universel à la santé.Les Etats-Unis, où le lobby pharmaceu-tique est tout-puissant, menacent plu-sieurs pays de mesures de rétorsion éco-nomiques. L’escalade est aussi verbale –le laboratoire GlaxoSmithKline est, parexemple, rebaptisé «Global Serial Killer»par certains opposants – et judiciaire, avecles nombreuses plaintes déposées par leslaboratoires pour «infraction» aux ADPIC.

Où en est-on aujourd’hui? En Afriquedu Sud, les activistes de la lutte anti-SIDA,membres d’ONG internationales commeMédecins sans frontières ou Oxfam, d’as-sociations de personnes vivant avec leVIH/SIDA et de syndicats… déchantentrapidement. Dans la foulée du procès dePretoria, le gouvernement sud-africain an-nonce qu’il n’a pas les moyens financiersde recourir aux génériques à grandeéchelle pour soigner sa population conta-minée: près de 5 millions de personnes, unrecord mondial. Les initiatives seront doncdisparates. Dans les townships du Cap, Mé-decins sans frontières vient de lancer unprogramme anti-SIDA qui intègre les mul-tithérapies à partir de copies génériquesimportées. Le géant minier Anglo-Ameri-can annonce en mai qu’il négocie avec unfabricant indien la fourniture de copiesgénériques d’antirétroviraux pour soignerson personnel séropositif. Avec les mou-vements migratoires et le commerce dusexe que ceux-ci induisent, les cités mi-nières constituent d’importants foyersd’infection. Mais début octobre, la compa-gnie fait machine arrière. Elle déclare alorsne pas être en mesure de fournir des trai-tements anti-SIDA à l’ensemble de ses tra-vailleurs infectés, et devoir se limiter aupersonnel d’encadrement, une discrimina-tion qu’a aussitôt dénoncée le Syndicat na-tional des mineurs (National Union of Mi-neworkers) avec d’autant plus de vigueurque le management est majoritairementblanc.

De l’autre côté de l’Atlantique, le Bré-sil, pour lequel les épidémiologistes pré-disaient une hausse considérable dunombre de personnes infectées, est en traind’endiguer le fléau. En plus d’une poli-

tique agressive de prévention à tous les ni-veaux de la société, le gouvernement bré-silien a décidé, en 1998, de produire lesprincipales molécules efficaces contre leVIH/SIDA pour avoir les moyens de four-nir gratuitement un traitement de pointe àtous ceux qui en ont besoin. Le pays fa-brique aujourd’hui des traitements pour3 000 dollars américains (US$) par patientet par an et il est probable qu’il arrive d’icipeu à descendre sous la barre des 1 000 US$comme y parvient déjà un fabricant in-dien. On est très loin du coût des multi-thérapies dans les pays occidentaux: de10 000 US$ à 15 000 US$ par an et par pa-tient. Et le poids porté sur le système desécurité sociale reste tout à fait suppor-table: il y a moins de malades et moins demortalité liés au VIH/SIDA.

Que les multithérapies soient, ou non,prises en charge par les gouvernements depays du Sud, la fronde de ces derniers aquelque peu déstabilisé le lobby pharma-ceutique occidental. La concurrence descopies génériques a joué à plein sur les prixactuellement proposés par les grands labo-ratoires. Leur marketing humanitaire desannées quatre-vingt-dix, quand ils y al-laient de leur obole à chaque sommet sur leVIH/SIDA, ne trompe plus personne. Sansêtre équivalentes aux offres des fabricantsdu Sud, les ristournes qu’ils octroient ac-tuellement sont considérables. Elles don-nent une idée des marges bénéficiaires trèsimportantes de ce secteur industriel et ellescontredisent aussi l’argument des labora-toires selon lequel le maintien de prix éle-vés est nécessaire pour mener à bien leurscoûteux programmes de recherche et de dé-veloppement. Au passage, on souligneraque, dans la découverte de molécules effi-caces contre le VIH/SIDA, les laboratoirespublics ont assumé l’essentiel du travailavant de laisser le privé prendre le relais etbreveter ces juteuses découvertes.

Augmenter les ressources financières

Compte tenu de ces baisses de prix, la créa-tion d’un fonds international destiné à lut-ter contre le VIH/SIDA, la tuberculose et

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le paludisme doit être considérée commeun événement très important. L’initiativeémane de M. Kofi Annan, le Secrétaire gé-néral des Nations Unies, et le fonds auraitdû être opérationnel fin 2001. L’objectif estambitieux: 7 à 10 milliards de dollars doi-vent être rassemblés chaque année pour fi-nancer des programmes qui, en plus de laprévention, intégreront le traitement detoutes les personnes infectées et le renfor-cement de la recherche d’un vaccin. PourM. Kofi Annan, il doit s’agir d’un nouvelapport d’argent et non de ressources exis-tantes qui seraient détournées de leur ob-jectif initial. Les programmes nationaux se-ront les principaux bénéficiaires mais ilsdevront respecter des garanties de trans-parence de façon à se révéler efficaces.

Il n’y a plus de secret sur la manière defaire fonctionner ces programmes. Le prin-cipal enseignement de ces vingt dernièresannées est qu’il ne faut pas seulementconsidérer le SIDA comme une épidémie,mais comme un défi multidimensionnel,avec des enjeux sociaux, économiques, po-litiques et de respect des droits humains.Sans une réponse globale, il prolifère et de-vient «hors contrôle», comme c’est aujour-d’hui le cas dans plusieurs régions dumonde. Trop souvent, la lutte contre leSIDA reste fragmentée. Elle demande aucontraire une coordination aboutie entretous les intervenants. L’Afrique subsaha-rienne offre un spectre complet des diffé-rents niveaux de qualité des programmesde prévention mis en œuvre. Le Sénégalest le meilleur exemple d’un pays qui estparvenu à prévenir une épidémie majeurede VIH/SIDA par la seule force de lamobilisation de tous les acteurs sociaux:enseignants, employeurs, syndicalistes,chefs traditionnels, religieux, guérisseurs,etc. L’Ouganda est un autre pays souventcité dans les conférences internationalespour les remarquables résultats obtenus,mais malheureusement à un stade ulté-rieur, alors que l’épidémie était déjà soli-dement implantée. En revanche, au Swa-ziland, l’un des trois pays les plus touchésau monde, la volonté politique fait défaut.Il existe bien un programme national,comme partout ailleurs, mais les seules ac-

tions réellement efficaces émanent dequelques associations locales.

Dès lors, quand on se focalise sur lemonde du travail, on comprend mieuxl’importance de l’implication sans failledes partenaires sociaux et l’intérêt pourceux-ci d’avoir un outil de référencecomme le Recueil de directives pratiquesdu BIT sur le VIH/SIDA et le monde dutravail1. Travail décent, lutte contre les dis-criminations à l’égard des personnescontaminées, promotion de systèmes desécurité sociale, égalité entre les femmes etles hommes, protection des groupes àrisque comme les migrants, les travailleursdu sexe, etc., tout cela est au centre de lamobilisation contre le VIH/SIDA.

La prévention est prioritaire, elle estdéjà un outil extraordinairement efficace,mais elle n’est pas suffisante. Rien qu’enAfrique subsaharienne, près de la moitiédes gens vivent avec moins d’un dollar parjour. Pour eux, l’achat de préservatifs n’estpas une priorité. Pas plus que de changerleurs habitudes, parce qu’elles seraient «àrisque». Ils vivent dans la précarité. L’eaupotable, l’électricité et les ressources debase en éducation et santé ne leur sont pasaccessibles ou le sont difficilement. Il estillusoire d’envisager une mobilisation gé-nérale sans apporter un peu d’espoir auxpopulations défavorisées et il est cyniquede prétendre aider les populations tou-chées par le VIH/SIDA, si c’est pour lesempêcher d’avoir accès aux médicamentsdont elles ont un besoin vital.

La diminution du prix des traitementsanti-SIDA conjuguée à la création d’unfonds international doit permettre d’élabo-rer des stratégies qui combinent préven-tion et traitement. L’exemple brésilienmontre que l’argument ressassé par lesgrands laboratoires, selon lequel les multi-thérapies sont des traitements trop sophis-tiqués pour les systèmes de santé trop fra-giles des pays du Sud, peut être battu enbrèche. Il faut, bien sûr, pouvoir disposerde ces traitements à bas prix. A cet égard,le débat actuel à l’OMC sur une réformedes accords ADPIC revêt une importancefondamentale. Comme l’admet M. MikeMoore, le directeur général de l’OMC, en

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faisant référence aux exemptions, «…lespays doivent être assurés de pouvoir seprévaloir de cette flexibilité». Reste le nerfde la guerre: l’argent. Même avec des mé-dicaments génériques bon marché, l’équa-tion prévention-traitement demande desressources considérables. Sans l’aide inter-nationale, elle ne fonctionne pas. Et à cejour, le fonds international initié par M.Kofi Annan est encore très loin de rassem-bler les 7 à 10 milliards de dollars attendus.

Note

1 OIT: Recueil de directives pratiques du BIT sur leVIH/SIDA et le monde du travail (Genève, 2001). Letexte intégral de ce recueil est disponible sur le siteInternet du BIT: http://www.ilo.org/public/en-glish/protection/trav/aids/pdf/acodefr.pdf.

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En avril 2000, lors du Sommet du Sud,le président cubain Fidel Castro a usé

d’une métaphore pour décrire la réalité ac-tuelle de la mondialisation pour l’im-mense majorité des personnes: «La mon-dialisation est une réalité objective quisouligne le fait que nous sommes tous àbord d’un même navire, la planète sur la-quelle nous vivons». Cependant, a-t-ilajouté, les passagers «voyagent dans desconditions qui varient fortement». Selonlui, une petite minorité de gens «voyagentdans des cabines luxueuses, équipées del’Internet, de téléphones cellulaires et d’unaccès aux réseaux mondiaux de commu-nication. Ils jouissent d’un régime alimen-taire nourrissant, abondant et équilibré,ainsi que d’un approvisionnement en eaupotable. Ils ont accès à des soins médicauxmodernes et à la culture». En revanche,précise-t-il, «l’immense et triste majoritédes passagers voyagent dans des condi-tions proches de la terrible traite des es-claves depuis l’Afrique vers les Amé-riques, durant notre passé colonial». Ilpoursuit en déclarant que «85 pour centdes passagers de ce navire s’entassent, im-puissants, dans ses cales repoussantes desaleté, où ils connaissent la faim et la ma-ladie. Manifestement, ce navire transportetrop d’injustice pour ne pas sombrer et il

suit un trajet tellement irrationnel et dénuéde sens qu’il ne peut faire escale dansaucun port». Et de conclure sur le ton del’avertissement: «Ce navire semble appeléà heurter un iceberg. Si cela devait se pro-duire, nous coulerions tous avec lui».

Selon Mohamed et Vally (Kenton,1999), il est peu probable que la mondiali-sation permette le développement de lamajeure partie de l’Afrique, et ce, pour lesraisons suivantes:� La faiblesse des ressources et des reve-

nus d’Afrique. � Les cours mondiaux et la demande pour

les cultures commerciales africaines (lesprincipales sources de devises) ontchuté depuis les années soixante. Dureste, la concurrence d’agricultures ca-pitalistes intensives en Asie et en Amé-rique latine est encore venue aggraverle sort des fermiers africains.

� Les pays d’Afrique à revenus moyenstirent avant tout leurs richesses des ex-portations minérales, qui ont tendanceà profiter en premier lieu aux entre-prises transnationales et aux pays dé-veloppés qui transforment ces matièrespremières en biens de consommation.L’ironie veut qu’ils revendent ensuiteces produits aux pays en développe-

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L’impact de la mondialisation en Afriqueet la réponse des syndicats:le cas de l’Afrique du Sud

D’un point de vue syndical sud-africain, la mondialisation néolibéralen’a fait que renforcer les inégalités existant entre, et au sein, des ré-gions et des nations, entre les riches et les pauvres, plutôt que d’amé-liorer le sort de l’ensemble des citoyens de la planète. Il est essentielque les syndicats et la société civile s’engagent de façon critique dansle processus de mondialisation et combattent ses effets pervers.

Shermain MannahBureau de l’éducation

Syndicat démocratique des enseignantsd’Afrique du Sud (SADTU)

ment, en réalisant des bénéfices plan-tureux.

� La majorité des Africains vit dans deszones rurales où le cycle économiquedépend de conditions météorologiquesimprévisibles.

� L’augmentation de la population, qui vade pair avec des possibilités d’emploitrès réduites, entraîne une croissance ra-pide de la main-d’œuvre dépourvue deterre, qui survit en marge de l’économie.Cette tendance nourrit également lesflux migratoires vers des pays à revenusmoyens, comme l’Afrique du Sud.

� Malgré l’appel à une renaissance afri-caine, le capital mondial ne trouve quepeu d’occasions d’apporter de nou-veaux investissements sur le conti-nent – ce qui provient de l’instabilitépolitique et de l’image négative qu’enont les marchés.

� A l’ère de l’information, l’Afrique esten très mauvaise posture pour assurerune concurrence internationale, car ellesouffre d’un manque de technologiesnouvelles et d’une offre adaptée en ma-tière d’éducation.

Les auteurs concluent de la sorte: «Lepronostic est que le développement del’Afrique et la dynamique du capitalismemondial, ou du mondialisme en général,ne sont pas convergents et ne le seront pasdans un avenir prévisible».1

Un nouvel ennemi mortel traque dé-sormais l’Afrique: la propagation duVIH/SIDA. Aucun des défis que l’Afriquea dû relever auparavant n’a été plus dé-courageant ni plus catastrophique quecelui de la pandémie de SIDA. Cette ma-ladie se propage dans un contexte de pau-vreté, d’ignorance et de subordination desfemmes et des enfants. L’Afrique reste, engrande partie, paralysée par les fers de lapauvreté que lui a imposés son histoire decolonialisme, de mauvaise gestion et d’ex-ploitation incessante de la part des entre-prises multinationales, sous le couvert desgrandes institutions financières internatio-nales comme le Fonds monétaire interna-

tional (FMI) et l’Organisation mondiale ducommerce (OMC). Voici comment la mon-dialisation entrave la réaction des pays endéveloppement face à la pandémie deVIH/SIDA:� Les compagnies pharmaceutiques

multinationales conservent le contrôlesur la recherche, l’offre et la tarificationdes médicaments.

� En faisant leur la doctrine néolibérale,les gouvernements hésitent à assumerl’entière responsabilité de la santé pu-blique. Cela se manifeste de plus enplus clairement en Afrique du Sud, l’undes pays d’Afrique les mieux dotés enressources.

� La faiblesse des ressources et des reve-nus nationaux et le manque d’infra-structures – autant de conséquencesd’années de colonialisme et de sous-dé-veloppement – limitent la capacitéd’action des gouvernements.

Il importe dès lors que la société civileet les syndicats prennent les devants enexerçant des pressions sur les gouverne-ments, afin qu’ils répondent, de toute ur-gence, à cette pandémie (lire l’article deJacky Delorme, p. 32).

Education et mondialisation

Au moment de définir notre vision del’éducation en Afrique, nous devons nousinspirer des conventions et principes sui-vants:

� Le droit à l’éducation est inscrit dans laDéclaration universelle des droits del’homme.

� Le principe de justice sociale, qui estétroitement lié aux objectifs de l’éduca-tion.

� L’enseignement est censé compenserles inégalités de naissance et de condi-tion sociale.

� Un système d’éducation et de forma-tion ne peut être considéré commeéquitable que s’il est ouvert à tous.

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Cependant, le manque de moyens etl’actuelle politique économique néolibé-rale ont empêché la mise en œuvre de cesprincipes dans l’enseignement. Les statis-tiques générales relatives à l’offre en ma-tière d’enseignement dans la région sub-saharienne, telles que les présente DavidJohnson dans l’hebdomadaire sud-afri-cain Mail and Guardian mettent en évi-dence le défi gigantesque que doit releverle monde en développement:

� «Onze pour cent de la population mon-diale vit en Afrique subsaharienne,mais ne reçoit que 1 pour cent des dé-penses mondiales d’éducation, tandisque 21 pour cent de la population mon-diale qui vit dans les pays développésen reçoit 84 pour cent.

� Quarante millions d’enfants en âged’aller à l’école ne sont pas scolarisésen Afrique subsaharienne, moins d’untiers des enfants vont jusqu’à un ensei-gnement secondaire et seuls 3 pourcent reçoivent l’une ou l’autre formed’enseignement supérieur. A titre com-paratif, l’obligation scolaire dans lespays en développement va jusqu’à 15,voire 17 ans, près de 100 pour cent desenfants de ces pays suivent un ensei-gnement secondaire et plus de 50 pourcent un enseignement supérieur.

� Un enfant d’Afrique subsahariennepeut, en moyenne, compter sur 49 dol-lars américains pour son instruction,tandis que dans les pays industrialisés,les dépenses d’éducation sont enmoyenne de 4 636 dollars par enfant.

� Depuis 1994, l’aide occidentale àl’Afrique subsaharienne a reculé de3,7 milliards de dollars et les gouver-nements africains ont transféré quatrefois plus d’argent vers leurs créanciersdu Nord pour rembourser leurs dettesqu’ils n’en ont affecté à la santé et àl’éducation.»2

Les programmes d’ajustement structu-rel (PAS) que le Fonds monétaire interna-tional et la Banque mondiale ont appliquésaux pays africains ont contribué à consti-

tuer cette dette écrasante. Par ailleurs, destaux d’intérêt élevés et une hausse descours du pétrole continuent d’aggraver lasituation et de paralyser le développe-ment. Cela entrave gravement la capacitéd’offrir des services sociaux et une ins-truction publique pour tous en Afrique.

La mondialisation a vu l’ascension dela théorie économique néolibérale, qui en-globe la notion d’un rôle restreint de l’Etatet d’une diminution des dépenses pu-bliques. Cette doctrine s’appuie sur l’argu-ment selon lequel les dépenses publiques«prennent la place» de l’initiative privée etque l’offre privée est plus rentable. Cela dé-bouche néanmoins sur un transfert de plusen plus prononcé de la responsabilité du fi-nancement de l’enseignement public del’Etat vers les personnes. Dans le contexteafricain, où la majorité des communautéssont désespérément pauvres, cela entraînela stagnation ou le quasi-effondrement del’instruction publique.

L’extension des règles de l’Organisa-tion mondiale du commerce (OMC) et del’Accord général sur le commerce des ser-vices (AGCS) aux questions liées à la pro-priété intellectuelle et aux services d’édu-cation menace encore plus l’éducationpublique, en particulier dans les pays endéveloppement. Il existe un risque réel devoir l’offre publique d’enseignement, etplus particulièrement d’enseignement su-périeur et professionnel, tomber auxmains de prestataires privés. Cela auraitnotamment pour implications une homo-généisation et une commercialisation del’enseignement, une déstabilisation descultures et des langues nationales et lo-cales, et le chômage des enseignants dansles secteurs touchés.

Afrique du Sud

L’Afrique du Sud présente un certainnombre de différences par rapport au restede l’Afrique subsaharienne. Ainsi, l’éco-nomie sud-africaine est plus diversifiée,opère à un niveau plus élevé d’industria-lisation et assume un rôle plus importantau sein de l’économie mondiale que le

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reste du continent. C’est dans ce contextequ’un gouvernement démocratiquementélu en Afrique du Sud accepte l’hypothèsed’une «intégration de l’Afrique dans le ca-pitalisme mondial en vertu de conditionsnouvelles et plus favorables, par le biaisd’un lien sud-africain».

L’acceptation par le gouvernementsud-africain de la politique macroécono-mique néolibérale sous la forme de laGEAR (politique de croissance, d’emploiet de redistribution), qui est tournée versle marché et soutient une politique d’ex-portation concurrentielle, s’apparente àune sorte d’ajustement structurel auto-im-posé. A cet égard, l’Afrique du Sud affiched’importantes similitudes avec les payssubsahariens qui ont adopté des politiquesd’ajustement structurel dans les annéesquatre-vingt. Ce fait est clairement mis enévidence par les pressions financières quele secteur public subit depuis 1994.

La GEAR encourage la commercialisa-tion de l’enseignement, les partenariatspublic/privé, l’austérité fiscale, les rigidi-tés budgétaires, la maîtrise des coûts et lescoupes claires dans l’éducation. Au niveaude la scolarité, les différences apparaissentmoins entre les «races» qu’entre les«classes», en raison d’un système de droitsd’inscription et de concurrence entre lesécoles. Les parents supportent désormaisune part importante des coûts de l’éduca-tion et l’Etat semble abandonner ses res-ponsabilités en matière d’offre d’éduca-tion pour les céder aux organes dedirection des écoles, de sorte que les pa-rents doivent payer davantage. La stratifi-cation scolaire en Afrique du Sud reproduitles schémas au niveau de l’enseignement àl’échelon mondial. L’Afrique du Sud apour politique de considérer l’éducation etla formation comme des facteurs détermi-nants des performances économiquesà long terme et de la redistribution desrevenus. Toutefois, le gouvernementcherche à atteindre ces objectifs dans lecontexte de sa politique économique néo-libérale, de sorte que l’éducation, plutôtque d’être considérée comme un bien com-mun, s’apparente de plus en plus à unemarchandise.

Les budgets d’éducation ont connu unebaisse réelle entre 1996 et 2000, pour abou-tir à un budget de maintien qui ne prévoitplus rien pour une véritable transforma-tion. L’Afrique du Sud, qui vient de se li-bérer de l’apartheid, n’est pas en mesurede supprimer les inégalités les plus gravesqui continuent de peser sur son systèmed’éducation publique. En effet, après septans de démocratie, l’Afrique du Sud de-meure, après le Brésil, l’une des sociétésles plus inégalitaires de la planète.

Parmi les autres conséquences de laGEAR pour l’éducation, il convient deciter:

� La rationalisation des établissementsd’enseignement supérieur qui a en-traîné des compressions de personnelet des rétrogradations.

� De nouvelles menaces de licenciementvisant le personnel enseignant et auxi-liaire dans tous les secteurs de l’éduca-tion.

� Des propositions visant à employer dupersonnel non qualifié pour enseigner.Cette mesure a déjà été mise en œuvredans d’autres régions d’Afrique,comme au Sénégal.

� La volonté de réduire les droits de né-gociation collective, et des propositionsde décentralisation et de fragmentationdes unités de négociation dans le ser-vice public.

� Une piètre infrastructure dans lesécoles publiques, allant de pair avec unmanque de matériel pédagogique et deressources d’enseignement.

� L’imposition de droits d’inscription quitend à marginaliser davantage lespauvres et à servir d’outil d’exclusionpour maintenir les personnes défavo-risées en dehors des écoles bien entre-tenues dans les quartiers habités par laclasse moyenne.

� Le recours à la sous-traitance par lesuniversités en raison des pressions fi-nancières qui pèsent sur l’enseigne-ment supérieur et des encouragementsdu gouvernement en faveur de parte-

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nariats avec le secteur privé. Cela en-traîne inévitablement un assouplisse-ment des normes de travail et une in-sécurité d’emploi, et rend ceux-ci plusprécaires. Le même processus a été pro-posé pour les services d’appui dans lesystème éducatif public.

� L’augmentation des droits d’inscrip-tion dans l’enseignement supérieur faitque les étudiants s’endettent et que lesplus défavorisés sont exclus du sys-tème.

Il existe une crise dans l’éducation quidécoule du fait que les attentes nées de ladémocratisation en 1994 n’ont pas été sa-tisfaites. Cela se traduit par une désillu-sion et des conflits au sein de l’alliance tri-partite (entre le Congrès national africain –l’ANC au pouvoir –, le Parti communisteet le Congrès des syndicats sud-africains).Une fois encore, les syndicats et lesmembres de la société civile mènent descampagnes pour obliger le gouvernementà rendre des comptes et pour exiger, entreautres, une amélioration de l’éducation etdes prestations sociales.

Le rôle tenu par les syndicats

Sur le plan international, les syndicats del’éducation qui se sont réunis lors du3e Congrès mondial de l’internationale del’éducation (IE, Thaïlande, 2001) se sontfermement et clairement prononcés contrel’instauration de mécanismes de marchédans l’éducation, déclarant que «nosécoles sont trop importantes pour être lais-sées au marché». L’IE a lancé une cam-pagne contre l’AGCS destinée à empêcherl’OMC d’ajouter l’éducation à une longueliste de services devant être ouverts à laconcurrence du marché et à la commercia-lisation. L’IE met en commun sa capacitéde recherche avec celle d’autres organisa-tions, comme l’Internationale des servicespublics (ISP), afin de surveiller et de dé-noncer la privatisation dans le secteur del’éducation.

Des licenciements massifs et le recoursà la sous-traitance ont mis un terme aux

fortes concentrations d’emplois sur les-quelles les syndicats traditionnels s’ap-puyaient et d’où ils tiraient leur puissance.La mondialisation a pour conséquence defragmenter la résistance, de considérer lestravailleurs et les communautés commedes consommateurs ou des individus –ignorant totalement leur expression col-lective. Dès lors, l’une des manières lesplus efficaces pour s’attaquer à la mon-dialisation consiste, pour les syndicats, àtisser des liens avec d’autres acteurs de lasociété civile, de manière à forger des al-liances solides. Ce mouvement est ana-logue au syndicalisme social des annéesquatre-vingt. A cette époque, le Congrèsdes syndicats sud-africains (COSATU) re-présentait l’exemple parfait de ce typed’approche privilégiant les coalitions. Ils’était fondé sur une alliance entre les tra-vailleurs, les communautés, les étudiantset les organisations politiques avec un pro-gramme qui dépassait le cadre tradition-nel des questions syndicales, de manière àenglober la démocratisation et la transfor-mation radicale de la société.

Des alliances sont désormais en trainde voir le jour dans l’Afrique du Sud del’après-apartheid. A titre d’exemple, nouspouvons citer la campagne du COSATUcontre la privatisation. Dans un élan de so-lidarité, des organisations non gouverne-mentales (ONG), d’autres acteurs de la so-ciété civile et des travailleurs de tous lessecteurs viennent de se croiser les brasdans le cadre d’une protestation de deuxjours contre les propositions du gouver-nement visant à privatiser les entreprisessemi-publiques et certaines branches de lafonction publique. Les campagnes d’op-position à la privatisation s’intègrent dansle cadre d’un mouvement international desyndicats et d’acteurs de la société civilequi s’oppose résolument à la privatisationde services publics tels que l’éducation, lasanté, les télécommunications et la distri-bution d’eau et d’électricité. La privatisa-tion de ces services essentiels est le fruit dela doctrine néolibérale et des politiques del’OMC et du FMI.

Nous pouvons citer un autre exemplede réponse syndicale aux pressions dé-

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coulant de la théorie économique néolibé-rale. Ainsi, SANGOCO (la coalition desONG sud-africaines), les Eglises et le CO-SATU se sont associés cette année pour unprogramme visant à rédiger un «budgetdes peuples» qui accorderait la prioritéaux besoins sociaux, comme l’éducationpublique. Ce processus budgétaire alter-natif recommencera chaque année pourcoïncider avec la publication du budgetannuel du gouvernement.

Au début de cette année, l’ONG Treat-ment Action Campaign (TAC) a forgé unecoalition puissante avec le COSATU et desorganisations internationales telles queMédecins sans frontières (MSF) et Oxfam,afin de s’attaquer aux géants multinatio-naux du secteur pharmaceutique. Cettedémarche a contraint l’association des la-boratoires pharmaceutiques à abandonnerses poursuites contre la loi sur le contrôledes médicaments et des substances pro-mulguées en 1997 par le gouvernementsud-africain. Les militants de la TAC et labase du COSATU ont dépassé l’objectifd’une simple démonstration de puissancenumérique, pour intégrer des campagnesde sensibilisation et une éducation desparticipants de la base.

La campagne TAC/COSATU constitueune étude de cas intéressante, car elle s’ap-puie sur des secteurs clés de la société ci-vile pour remettre en cause le pouvoir etles intérêts énormes d’entreprises de por-tée mondiale qui disposent de ressourcesconsidérables. Cela prouve qu’il est pos-sible d’isoler les aspects de la mondialisa-tion jugés néfastes et de s’y attaquer. En cequi concerne le procès, l’alliance comptaitaussi sur le soutien d’organisations gou-vernementales et internationales. La TACvient d’être rejointe par certaines Eglisespour lancer un appel commun au gouver-nement, afin qu’il déclare le VIH/SIDAcomme un cas d’urgence nationale etconsacre les ressources nécessaires pourgarantir l’accès au traitement aux per-sonnes vivant avec le SIDA et aux victimesde viols.

La lutte contre le VIH/SIDA est un pro-blème qui touche la classe ouvrière et dé-pend du combat contre la mondialisation

du capital. A l’avenir, le VIH/SIDA ferapartie des négociations menées par les syn-dicats et constituera un test politique fon-damental pour tout soutien syndical auprogramme d’un parti politique. EnAfrique du Sud, le COSATU est devenul’un des principaux acteurs de la luttecontre ce fléau. Lors de son dernierCongrès national (2000), le syndicat aconnu les premières grandes divergencesau sein de l’alliance tripartite, dans la me-sure où il a contesté la remise en question,par le président de l’Etat, du lien entre leVIH et le SIDA. Les militants anti-SIDAconsidèrent que cette réflexion menace lesprogrammes d’éducation et de prévention.

Les négociations avec le patronat en-globent désormais les points suivants re-latifs à la lutte contre le VIH/SIDA:� antidiscrimination;� droit à la vie privée;� accès à l’aide médicale et à une caisse

de prévoyance; � indemnités en cas de décès; et � augmentation des sommes allouées

aux recherches et aux traitementscontre le VIH/SIDA.

Du point de vue de l’éducation, leVIH/SIDA influe sur la capacité du paysà offrir un enseignement public de qualitéen provoquant:� la diminution de l’offre d’enseignants

expérimentés;� une augmentation du nombre d’or-

phelins dus au SIDA;� une hausse du nombre d’adolescents

infectés par le virus;� un absentéisme chronique parmi les

enseignants et les étudiants, notam-ment lorsque ces derniers doivent ces-ser d’aller à l’école pour s’occuper demembres de leur famille infectés oupour devenir soutien de famille; et

� un taux d’abandon élevé là où les fa-milles ne peuvent se permettre depayer les droits d’inscription en raisond’une baisse des revenus du ménageaprès la mort du soutien de famille.

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Cet impact négatif menace les objectifsfondamentaux du cadre de l’éducationpour tous – à savoir, l’ouverture de l’en-seignement à tous. En Afrique du Sud, leSyndicat démocratique des enseignantsd’Afrique du Sud (South African Democra-tic Teachers Union, SADTU) assume un rôlecrucial auprès du gouvernement et desautres parties prenantes pour élaborer etmettre en œuvre une politique de luttecontre la discrimination à l’encontre desétudiants et des enseignants dans lecontexte du VIH/SIDA. Le SADTU a fran-chi une étape supplémentaire en menantune étude sur l’impact de la pandémie surses membres, dont les conclusions orien-teront sa réaction à la pandémie dans lesecteur de l’éducation.

Les contraintes imposées par la mon-dialisation et le néolibéralisme nécessitentla mobilisation d’une approche multisec-torielle s’appuyant sur des stratégies va-riées pour lutter effectivement contre leVIH/SIDA. Dans la région de la SADC(Communauté économique d’Afriqueaustrale), l’IE, en collaboration avecd’autres partenaires internationaux, a in-cité les syndicats d’enseignants ainsi queles ministères de la Santé et de l’Educationà élaborer des projets de collaborationpour mettre en œuvre les résolutions et lesrecommandations prises par le Congrèsmondial de l’IE et celles émanant de laConférence mondiale sur la santé. Ainsi,en Afrique du Sud, le SADTU constitue lefer de lance du projet de collaborationIE/OMS en association avec les ministèresde la Santé et de l’Education.

L’un des aspects positifs de la mondia-lisation a été d’encourager la démocratisa-tion et la transparence des gouverne-ments. En Afrique, et plus spécialement enAfrique australe, les syndicats assumentun rôle important pour préserver cet as-pect. A l’heure actuelle, les syndicats duSwaziland et du Zimbabwe sont aux pre-mières loges des manifestations prodémo-cratiques. Dans un passé récent, les syndi-cats de Zambie et d’Afrique du Sud ont étéles moteurs de la démocratie.

La dette, héritage d’une relation com-merciale déséquilibrée et du colonialisme,

continue d’épuiser les économies afri-caines. Dans le cas de l’Afrique du Sud, ils’agit d’une dette contractée par le régimeraciste et oppresseur de l’apartheid, qu’ilconvient désormais d’honorer au détri-ment des pauvres du pays. Les cam-pagnes internationales en faveur d’un al-légement de la dette, à l’instar de Jubilé2000, bénéficient désormais de l’appui dela Confédération internationale des syn-dicats libres (CISL). La résolution finalede la Conférence mondiale contre le ra-cisme de septembre 2001 insiste sur unemeilleure compréhension, sur l’accepta-tion des origines de la dette et du sous-développement et sur la nécessité de voirla communauté mondiale régler ces pro-blèmes.

Au Forum mondial de l’éducation del’UNESCO organisé en 1990 à Jomtien(Thaïlande), les participants avaient fixéplusieurs objectifs en matière d’offre édu-cative de base. Ces objectifs n’ont pas étéatteints. Lors de la deuxième conférencetenue à Dakar l’année dernière, les objec-tifs suivants ont été définis:

� Il sera demandé à tous les Etats d’éla-borer ou de consolider les plans natio-naux existants pour 2002.

� Eliminer les écarts entre filles et gar-çons dans l’enseignement primaire etsecondaire pour 2005, et parvenir à uneégalité entre les sexes dans l’éducationpour 2015.

� Pour 2015, tous les enfants, et plus par-ticulièrement ceux à risque, doiventavoir accès à une instruction primairegratuite et obligatoire de qualité, et ar-river à son terme.

� Pour 2015, il faudra avoir apporté uneamélioration de 50 pour cent du tauxd’alphabétisation des adultes et assuréun accès équitable à un enseignementde base et continu pour les adultes.

Pour éviter que se répète le manque derésultats des gouvernements, une cam-pagne mondiale pour l’éducation a été lan-cée sous la forme d’une alliance straté-gique entre l’IE, Oxfam International,

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Action-Aid, l’ISP et bien d’autres encore.Son objectif principal est d’amener les gou-vernements à rendre des comptes pour lesengagements qu’ils ont pris à Jomtien et àDakar, et à faire en sorte qu’en 2015 cha-cun puisse accéder à une éducation pu-blique de qualité.

La mondialisation pose également desquestions liées à l’égalité entre hommes etfemmes. Pour pouvoir pleinement appré-hender la relation entre la mondialisationet ces problèmes d’égalité, il convientd’avoir une connaissance approfondie desliens entre la situation économique desfemmes, l’oppression liée au sexe et le nou-vel ordre économique mondial. Il est cru-cial que les syndicats intègrent dans leurtravail une dimension d’égalité entrehommes et femmes.

Par exemple, les pays, principalementdu Sud, qui tirent toujours un avantageconcurrentiel d’une main-d’œuvre bonmarché, tentent encore d’attirer les entre-prises étrangères en leur proposant deslois laxistes en matière d’environnementet de santé. Cela s’est révélé encore plusvrai ces vingt dernières années dans leszones franches d’exportation (ZFE), où lesfemmes représentent jusqu’à 80 pour centde la main-d’œuvre. L’avantage concur-rentiel de ces pays se fonde essentielle-ment sur un préjudice socioéconomique etpolitique à l’encontre des femmes. Celapose la question de la qualité des liens quenouent les syndicats avec des segments dela population comme les travailleurs desZFE, les travailleurs et les vendeurs dusecteur informel, les travailleurs occasion-nels, les travailleurs à domicile, les tra-vailleurs domestiques et les travailleursagricoles. Il importe de relever ces défis enmatière de syndicalisation pour que lessyndicats restent des forces viables au seinde la société.

Conclusion

L’Afrique ne parvient pas à faire face aunouvel ordre mondial. L’Afrique du Suds’efforce d’intégrer ce nouvel ordre en tantque puissance sous-régionale, mais, làencore, les résultats n’ont guère étéconcluants. Entre-temps, les rêves de trans-formation et d’extension des services so-ciaux et d’enseignement sont au pointmort, dans la mesure où les budgets par-viennent à peine à maintenir les niveauxactuels. Cette situation entraîne une scis-sion de plus en plus marquée entre le gou-vernement et les privilégiés, d’une part, etla classe ouvrière et la foule grandissantedes chômeurs et des personnes marginali-sées, de l’autre. Cela se traduit, parexemple, par des occupations de terres, desmanifestations contre la suppressiond’équipements collectifs et la résurgenced’un militantisme syndical. Dans cecontexte, les syndicats et les membres de lasociété civile se sont associés pour résisterà la politique néolibérale et pour exercerdes pressions sur le gouvernement, afinqu’il tienne ses promesses de 1994. Dans cegenre de situation, qui se reproduit partoutdans le monde, et plus spécialement dansles pays en développement, les syndicatset les organisations progressistes doiventappréhender de nouvelles technologies decommunications et d’information pourtirer profit de leurs expériences mutuelleset coordonner des programmes internatio-naux pour combattre les aspects les pluspervers de la mondialisation.

Notes

1 Mahomed, N.; Vally, S.: Education and Globaliza-tion (Education et mondialisation), discours d’ouver-ture (Kenton 1999).

2 Johnson, D.: «Lessons from Africa» (Leçonsd’Afrique), Mail and Guardian (Johannesburg), du 21au 27 septembre 2001, p. 7.

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Les titres s’empilent dans les kiosquesimprovisés de Bamako ou de Dar es-

Salaam. A voir cette profusion de jour-naux, on oublierait vite que tout au longdes décennies qui ont suivi les indépen-dances, la presse africaine a été marquée,à de rares, mais notables et intermittentesexceptions – le Nigéria, l’Afrique du Sud,le Kenya et le Sénégal –, par une soumis-sion presque totale à l’Etat. Au nom d’uneconception malencontreuse du «journa-lisme de développement», la presse écriteet la presse audiovisuelle pratiquaientalors essentiellement le «griotisme», la cé-lébration des «œuvres» du chef de l’Etat,et passaient sous silence la corruption, l’ar-bitraire et la violence.

L’information sur l’Afrique provenaitde la presse internationale, qui avait placéses rares correspondants dans les villes pi-vots de Dakar, Abidjan, Nairobi et Johan-nesburg, et qui faisait régulièrement cir-culer ses envoyés spéciaux dans la région,le plus souvent en reproduisant les fluxtraditionnels de l’histoire coloniale. Lapresse confessionnelle fournissait égale-ment un réseau qui faisait de ses bulletinsspécialisés une source précieuse d’infor-

Presse africaine et mondialisation:une mue inachevée

L’émergence d’une presse indépendante a indiscutablement contri-bué au processus de démocratisation en Afrique. Mais la vulnérabi-lité économique, la répression visant les journalistes, la persistancede l’analphabétisme et la fracture numérique sont autant d’obstaclesà son développement.

Jean-Paul Marthoz*Directeur européen de l’information

Human Rights Watch

* Jean-Paul Marthoz est l’auteur du livre sur lejournalisme global, Et maintenant le monde en bref (Edi-tions Complexe, 1999) et l’ancien directeur du pro-gramme Médias pour la démocratie en Afrique, de laFédération internationale des journalistes.

mations et d’analyses. Cette soumission dela presse africaine explique également lerôle phare assumé alors par les magazinespubliés dans les anciennes métropoles,Jeune Afrique ou Afrique Asie à Paris ou en-core New African à Londres. Les radios in-ternationales – BBC, RFI, Deutsche Welle,Voix de l’Amérique – venaient compléterce système médiatique «africain», en ser-vant le plus souvent de source d’informa-tion de substitution, voire d’opposition, endirection des audiences africaines.

A la fin des années quatre-vingt, le ventde liberté qui soufflait sur les pays com-munistes s’est aussi étendu à l’Afrique eta, peu à peu, permis l’éclosion de journaux,et plus tard de radios, indépendants dupouvoir. La conférence de Windhoek, or-ganisée en 1991 à l’initiative de l’UNESCO,a consacré et validé ce changement de pa-radigme. Sa déclaration finale, proclamantle rôle d’une presse «indépendante, plura-liste et libre» dans le progrès de la démo-cratie et du développement, devint la réfé-rence pour toutes les nouvelles aventuresde presse dans le continent.

En Afrique de l’Ouest, constatait en1994 l’Institut Panos à Paris, «la formi-dable explosion d’une presse écrite indé-pendante a joué un rôle décisif dans l’avè-nement d’un pluralisme politique. Lapresse d’Etat, piquée, s’est quelque peu li-béralisée elle aussi. Les consultations élec-torales achevées, ces journaux ont conti-

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nué à entretenir un débat public, inédit,permanent et pluraliste»1. Au même mo-ment, en Afrique du Sud, la lutte contrel’apartheid était portée par la presse alter-native – Weekly Mail, New Vision – tandisque les pays francophones de l’Afrique del’Ouest connaissaient une prolifération detitres «impertinents», du Cafard Libéré auSénégal au Messager au Cameroun. Dansles pays anglophones, les avatars dela presse reflétaient la nature des transi-tions – douce au Ghana et en République-Unie de Tanzanie, compliquée au Nigériaet au Kenya. Dans d’autres pays encore,certains nouveaux médias se laissaient en-traîner dans la surenchère ethnique etidentitaire, débouchant sur ce phénomènemortifère des «médias de la haine», dontla Radio Télévision des Mille Collines, auRwanda, devint, lors du génocide de 1994,l’effrayant symbole.

Dix ans après la déclaration de Wind-hoek, le bilan de la libération de la presseafricaine est vivement contrasté. «Dans laplupart des pays, elle a indiscutablementconstitué un nouvel espace public et unnouveau contre-pouvoir», signale Marie-Soleil Frère, spécialiste du rôle de la presseafricaine dans les transitions politiques. «Lapresse a légitimé la dénonciation et aidé lapopulation à avoir moins peur de dire cequ’elle pense. La législation a été réforméeet les structures professionnelles ont étérenforcées par la mise sur pied de maisonsde la presse, comme au Ghana ou au Bur-kina Faso ou d’observatoires de la libertéde la presse comme en Côte d’Ivoire.»2

Au niveau international, la presse afri-caine s’est aussi insérée dans de multiplesréseaux de coopération et de solidariténon gouvernementaux, de l’UJAO/WAJA(Union des journalistes de l’Afrique del’Ouest) au MISA (Media Institute of Sou-thern Africa). Elle a aussi bénéficié d’unappui soutenu de multiples bailleurs defonds occidentaux, américains et euro-péens, soucieux de promouvoir l’idée quela liberté de la presse est aussi le levier dudéveloppement équitable.

La presse africaine est toutefois loind’avoir terminé sa mue. La presse écrite,tout d’abord, reste un phénomène essen-

tiellement urbain et limité aux secteurs dela population les plus aisés, en raison deson prix de vente et de son recours, le plussouvent, aux langues nationales (français,anglais, portugais) héritées de la colonisa-tion. Dans beaucoup de pays également,la libéralisation s’est arrêtée devant lesportes des instituts de radio-télévision.Malgré l’accès aux télévisions satellites etaux radios internationales, certains gou-vernements africains tentent encore acti-vement, mais avec de moins en moins desuccès, de préserver leur contrôle sur laradio, le seul «mass media» africain, et es-saient encore plus fébrilement de mettreau pas la télévision.

A l’exception de pôles très profession-nalisés, autour du Nation Group auKenya, de quelques groupes de presse àLagos et Johannesburg, et du groupe Sudà Dakar ou Fraternité-Matin en Côted’Ivoire, la presse écrite africaine reste ex-trêmement fragile. La plupart des titressouffrent de multiples maux: manque detransparence du financement, focalisationautour du directeur/rédacteur en chef, ab-sence de spécialisation des tâches, fai-blesse de la formation, politisation autourde personnalités locales, etc.

La presse africaine souffre surtout d’uncontexte économique difficile. Le manqued’investissements et d’équipements, les li-mitations du marché publicitaire, la per-sistance de l’analphabétisme, créent unegrande précarité des titres et expliquent la«corruptibilité» de journalistes, très malpayés, et la fréquente soumission des édi-teurs à des groupes politiques ou à des in-térêts financiers.

Dans la plupart des Etats, la pressesouffre aussi de la répression. Un recours«liberticide» à l’arme de la loi intimideconstamment les rédactions les plus re-muantes. Les anciennes législations colo-niales sur les délits de sédition ou d’insulteau chef de l’Etat, les lois très dures sur ladiffamation ou le secret, conduisent régu-lièrement des journalistes devant les tri-bunaux ou derrière les barreaux. Ainsi,entre 1991 et 1996, en Zambie, le Post a étéla cible de plus de cent actions en justicepour diffamation.

«A la limite», lançait Robert Ménard,directeur de Reporters sans frontières, «lenombre d’emprisonnements est un bonsigne. S’il y a aujourd’hui en Afrique beau-coup plus de journalistes en prison qu’il ya dix ou vingt ans, c’est parce qu’il y a desjournalistes à emprisonner, qui font leurboulot... Il y a quinze ans, dans certainspays africains, il n’y avait personne à em-prisonner, parce qu’il y avait un journalunique, une agence de presse unique, uneradio unique et une télé unique»3.

Dans les pays en guerre, la situation desjournalistes est encore plus précaire. Som-més de choisir leur camp entre forces gou-vernementales et rébellions, ils sont dansl’incapacité, le plus souvent, d’exercer leurmétier. L’assassinat est l’arme ultime de lacensure: au cours des dernières années,des pays africains comme l’Algérie, leRwanda et la Sierra Leone ont fourni leplus lourd contingent des journalistes as-sassinés dans les listes publiées par les or-ganisations internationales de défense dela liberté d’expression.

Ces situations de conflits compliquentaussi l’exercice même de la mission d’in-former: «La presse congolaise qui auraitpu être le témoin privilégié est totalementabsente du théâtre de la guerre», indiquaitl’organisation congolaise Journalistes endanger dans l’introduction de son Rapport2000 sur la liberté de la presse en RDC.«Elle se contente des communiqués offi-ciels ou des informations de seconde main.Certes, la presse congolaise n’a pas beau-coup de moyens pour se rendre sur leslieux des opérations mais on lui a surtoutinculqué la peur. On lui interdit de voir cequi se passe et même d’en parler. Souventau détriment du pays. Cela est vrai à l’estcomme à l’ouest. Quand elle ose, elle esttaxée (…) de trahison.»

L’Afrique et le monde

L’existence de médias indépendants etd’une génération de journalistes attachésà une pratique professionnelle du métier acertainement contribué à une meilleurequalité de la couverture internationale du

continent. Aujourd’hui, des textes desjournaux les plus indépendants du conti-nent apparaissent régulièrement dans desmagazines internationaux comme Le Cour-rier International ou World Press Review.

On est loin de la presse aux ordres desannées de parti unique et donc de l’opa-cité du pouvoir. Mais le «décodage» del’information reste difficile. «Ceux qui vi-vent en dehors de l’Afrique, relevait l’afri-caniste Stephen Ellis, peuvent trouverd’abondantes informations dans la presseafricaine, mais, comme la presse de tousles autres pays, elle ne peut être lue quedans le contexte de la culture dominantesi l’on veut en retirer le maximum d’infor-mations.»4

La presse africaine est, elle-même, vic-time de ses propres contraintes et limitespolitiques, culturelles ou financières. Mal-gré la vivacité d’une presse, que l’on qua-lifiera de privée à défaut d’être toujours in-dépendante, des événements cruciauxcontinuent d’être couverts d’abord par lapresse internationale pour être ensuite re-pris par la presse africaine. Ce fut le cas,par exemple, lors de l’intervention de l’ar-mée sénégalaise en Guinée-Bissau5 oucelui de la presse tanzanienne lors du gé-nocide au Rwanda en 1994.

Les nouvelles technologies de l’infor-mation et de la communication (l’Internetet surtout le téléphone mobile) ont aussichangé la donne, non seulement en four-nissant aux journalistes africains dessources d’information globales mais aussien permettant une appropriation de l’in-formation par des associations non gou-vernementales et des citoyens. Elles per-mettent également aux journaux africainsde sortir de leur territoire et d’atteindredes publics de diaspora ou des chercheurset des décideurs. Ainsi, selon le départe-ment des études africaines de l’UniversitéColumbia à New York, plus de 120 jour-naux et magazines africains sont acces-sibles sur le Web6.

Malgré le développement plus rapideque prévu de l’Internet en Afrique, leschiffres restent modestes toutefois par rap-port aux pays du Nord. En 2001, on ycomptait seulement 5 millions d’inter-

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nautes (pour une population totale de780 millions), en raison principalement dumanque de lignes téléphoniques, du faibletaux d’électrification et du coût élevé quereprésente l’achat d’un ordinateur7. (Voiraussi l’article de Marc Bélanger, p. 36.)

Une certaine inégalité marque l’Afriquesur le terrain de l’information. Il y a plu-sieurs Afriques. Il y a surtout le déséqui-libre entre la République sud-africaine et lereste du continent. Les capitaux sud-afri-cains ont investi massivement dans les sec-teurs des télécommunications et de la télé-vision du continent, à l’instar de M-Net, lapremière chaîne panafricaine. L’Afriquedu Sud compte plus de deux tiers des in-ternautes africains et même si la fin de lalutte contre l’apartheid a diminué l’intérêtpour l’Afrique du Sud, Johannesburg restel’une des principales capitales journalis-tiques du continent, surtout pour la presseanglo-saxonne. Ace déséquilibre continen-tal s’ajoutent des différences sous-régio-nales, comme en Afrique de l’Ouest, avecle rôle particulier joué par le Sénégal et laCôte d’Ivoire pour les informations fran-cophones.

Au niveau global, les radios internatio-nales se distinguent nettement des chaînesde télévision globales. Ces dernières par-lent relativement peu de l’Afrique et ellesen parlent le plus souvent de manière dra-matique (guerre et SIDA) ou officialiste(une information proche des organisationshumanitaires ou parrainée par elles). Lesradios, en revanche, font une informationsuivie qui répond à des critères journalis-tiques pertinents de proximité. Même sielles sont concurrencées dans un nombrecroissant de pays par des radios localesprivées, les «internationales» bénéficientencore d’un poids déterminant auprès despopulations les plus éduquées car elles va-lident, de l’étranger, des informations ob-tenues localement.

L’information sur l’Afrique dans lespays du Nord reste toutefois marquée parla place subalterne que ce continent occupedans les priorités rédactionnelles. La na-ture des sujets choisis est, elle aussi,conventionnelle: en dépit d’efforts occa-sionnels pour montrer que l’Afrique vit, se

débrouille, crée, la majorité des informa-tions touchent des sujets tragiques.Guerres, prédations, pandémies, réfugiés,constituent le menu récurrent de l’infor-mation africaine. De surcroît, malgré lesnouvelles technologies (le téléphone satel-lite, l’Internet), l’information sur de vastesrégions africaines reste parcellaire. L’accèsaux champs de bataille et aux zones frap-pées par les crises humanitaires est trèssouvent interdit par des milices ou desbandes. La qualité de l’information surl’Afrique est aussi limitée par l’absenced’une connaissance de la complexité histo-rique, culturelle, des sociétés africaines. Unphénomène qui aggrave le recours aux sté-réotypes et aux généralisations sur cecontinent retourné «au cœur des ténèbres».

Mondialisation et pluralisme

Malgré les progrès qu’elle a enregistrés aucours des dix dernières années dans le do-maine de l’information et des médias,l’Afrique reste marquée par «l’échange in-égal». La relance de l’agence de pressecontinentale, Panapress, participe de cettevolonté de réduire le déséquilibre et deconfier à des Africains la couverture deleur propre continent. Mais l’Afrique estaussi plus largement confrontée aux ré-percussions de la globalisation média-tique. «Les médias accélèrent la mon-dialisation des sociétés africaines enintroduisant les modes politiques, écono-miques, sociaux et même culturels despays industrialisés occidentaux», constateAndré-Jean Tudesq, spécialiste des médiasen Afrique. «Le triomphe de l’économie demarché (…) a coïncidé avec la remise encause des dirigeants dans beaucoupd’Etats africains et l’expression de nou-velles aspirations (…). Mais les médias –et c’est surtout vrai de la télévision – mon-trent aussi la vie de sociétés modernes etplus riches, suscitant des comparaisons,des frustrations et des revendicationsd’autant plus violentes que le niveau devie de nombreuses populations africainess’est dégradé avec les crises.»8 Comment,en effet, protéger la diversité culturelle

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africaine face à des médias occidentauxqui envahissent les grilles de programmesde télévisions le plus souvent pauvres etdénuées de capacités propres de produc-tion? «C’est avec des yeux occidentauxque les Africains voient le reste du monde,y compris les autres Etats africains»,conclut André-Jean Tudesq.

Notes

1 Institut Panos, Programme d’appui au pluralismede l’information en Afrique de l’Ouest, 1994-1997.

2 Frère, M.-S.: Presse et démocratie en Afrique fran-cophone (Paris, Karthala, 2000).

3 L’Autre Afrique, 13-19 janvier 1999, p.16.4 Ellis, S.: «Reporting Africa», Current History

(Philadelphie, mai 2000), pp. 221-226.5 Institut Panos: Médias et Conflits en Afrique

(Paris, Karthala, 2001).6 Jensen, M.: «Making the Connection: Africa and

the Internet», Current History (Philadelphie, mai2000), pp. 215-220.

7 Laporte, C.: Etat des lieux de l’Internet dans huitpays d’Afrique (Centre français du commerce exté-rieur, juillet 2000).

8 Tudesq, A.-.J.: Les médias en Afrique (Paris, El-lipses/Infocom, 1999), pp. 7-8.

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Entre 1960 et 1975, environ 1 800 Afri-cains hautement qualifiés quittaient

chaque année le continent. Ce nombre estpassé à 4 000 de 1975 à 1984, 12 000 par anen 1990 et 23 000 actuellement. Cela repré-sente, pour l’Afrique, à peu près un tiersdes ressources humaines de ce niveau»1,déclarait, l’an dernier, M. Rossi, représen-tant l’Organisation internationale pour lesmigrations (OIM), en précisant que ceschiffres n’incluent pas les étudiants qui nerentrent pas dans leur pays après leur for-mation. Ainsi, 2,7 pour cent des diplômésindiens vivent dans les pays de l’OCDE.C’est aussi le cas de 3 pour cent des diplô-més chinois, 7 pour cent pour l’Egypte,8 pour cent pour l’Afrique du Sud, 10 pourcent pour les Philippines, 15 pour centpour la République de Corée, 25 pour centpour l’Iran, et 26 pour cent pour le Ghana.Quant aux diplômés jamaïcains, ils sont77 pour cent à vivre dans les pays les plusindustrialisés2. «Ces flux sont suffisam-ment significatifs pour constituer une vé-ritable ‘fuite des cerveaux’.»3

L’exode ou la fuite des cerveaux se ma-nifeste essentiellement sous deux formes4.La première est l’attrait d’étudiants venusdes pays en développement dans descentres de formation situés dans les paysindustrialisés. L’intention déclarée estlouable: former des jeunes qui vont ensuitese mettre à la disposition de leur paysd’origine. La réalité est pourtant diffé-rente. Beaucoup de diplômés, rebutés par

les conditions de vie difficiles qui les at-tendent, ne rentreront pas, ou envisage-ront de rentrer le plus tard possible.

L’autre forme consiste à attirer dans lespays du Nord des techniciens de haut ni-veau, des chercheurs universitaires ou desintellectuels déjà formés. Très sélective,cette méthode repose sur la différence (lefossé?) entre les conditions de travail dansles sociétés de départ et de destination.Elle peut être l’œuvre de firmes privées,d’institutions internationales ou encored’universités, avec ou sans l’aide des Etatsdu nord de la planète.

Une marchandise…

Les organisations syndicales y verrontprincipalement une réduction de la main-d’œuvre à l’état de marchandises: «L’Alle-magne importera 30 000 informaticiens»,titrait le quotidien français Libération(28 février 2000), utilisant le même termeque pour des animaux ou des objets.D’autres s’intéresseront aux enjeux de dé-veloppement qu’un tel déplacement en-traîne: «En Afrique, les ressources hu-maines constituent le fondement de larichesse des nations. Ce continent a ungrand besoin de les garder et de créer lesconditions du retour des cerveaux qui ontémigré», constatait M. Rossi.

Dans le cas de l’Afrique, les migrationssuivent encore souvent la filière des an-

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Fuite des cerveaux:la tête n’est plus sur les épaules

Près d’un tiers des ressources intellectuelles de l’Afrique se trouveailleurs, alors que le continent en aurait bien besoin. C’est un défi liéà la fois aux stratégies de développement et aux politiques de l’em-ploi. Un retour s’impose, mais il ne suffit pas.

André LinardDirecteur de l’information

Confédération mondiale du travail

«

ciennes relations métropole/colonie. LaFrance, la Belgique, le Portugal, leRoyaume-Uni… continuent de recevoirdes migrants venant respectivementd’Afrique de l’Ouest, de la région desGrands Lacs, d’Angola, du Mozambiqueet d’autres territoires lusophones, ainsique d’Afrique orientale et australe. Maiscette répartition n’est plus aussi systéma-tique, notamment en raison, d’une part, dela création, en Europe, de la zone diteSchengen et, d’autre part, de l’augmenta-tion du nombre de migrants clandestinsqui, eux, passent par où ils peuvent. Sansoublier l’attrait qu’exerce l’Amérique duNord et, bien entendu, les migrationsintra-africaines.

Le phénomène de l’exode des cerveauxn’est pas nouveau. Il a connu ces dernièresannées deux évolutions différentes. D’unepart, on l’a vu, un accroissement quantita-tif. De l’autre, grâce au perfectionnementdes techniques de communication, unmouvement en sens inverse. Des activitésautrefois pratiquées dans les pays indus-trialisés à l’aide de main-d’œuvre immi-grée formée sont délocalisées vers les paysd’où cette main-d’œuvre provenait. Onconnaît les compétences en informatiquedes techniciens indiens; on sait moins queles appels téléphoniques à certaines «cen-trales d’appels», ou call-centres, sont auto-matiquement déviés vers des pays du Sudoù ces centrales sont installées, sans que lesclients s’en rendent compte. Les télépho-nistes y apprennent à parler sans accent etsont prié(e)s de suivre la météo ou les ré-sultats du football européens pour pouvoirrépondre à d’éventuelles remarques desclients à ce sujet. Mais cette seconde ten-dance concerne surtout la main-d’œuvrepeu ou moyennement formée.

Individus et sociétés

Comme l’ensemble du mouvement migra-toire, l’exode des cerveaux peut être vudans une perspective individuelle ou col-lective. En tant que personne, le chercheurou le technicien recruté par une entreprise,une institution ou une université d’un pays

industrialisé y trouvera très probablementune rémunération plus élevée, mais ausside meilleures conditions matérielles pourmettre ses capacités en valeur, obtenir desrésultats à ses recherches, etc. Comme dansle cas des autres travailleurs migrants, ilaura aussi, s’il le souhaite, l’occasion d’en-voyer des ressources aux membres de safamille restés au pays, contribuant ainsi àaméliorer leurs conditions de vie. Selonl’Institut de recherche des Nations Uniespour le développement social (UNRISD),«le volume mondial des salaires rapatriésserait passé de 2 à environ 70 milliards dedollars entre 1970 et 1995»5. Dans lesmeilleurs des cas, il y aura investissementdes ressources gagnées à l’étranger dansdes initiatives créatrices d’emplois.

Collectivement, pourtant, la migrationreprésente un gain à court terme et uneperte à long terme pour le pays de départ.C’est le cas de l’exode des cerveaux, maisaussi de l’ensemble des départs de tra-vailleurs migrants.

A court terme, la migration fournit desdevises grâce aux sommes envoyées parles migrants. Cette source de revenus amême parfois pris le dessus sur certainesrecettes d’exportation. Certains pays ontd’ailleurs tablé sur ce résultat. Ainsi, selonMario Cervantès, expert à l’OCDE, «dansles années soixante, l’Inde a fait le choix dedévelopper ses instituts supérieurs tech-nologiques plutôt que l’enseignement pri-maire. Une véritable industrie privée deformation pour l’exportation s’est consti-tuée, comme d’ailleurs aux Philippines.L’un des principaux demandeurs de visasaméricains de travailleurs hautement qua-lifiés est une agence indienne spécialiséedans l’émigration»6.

Mais fondamentalement, selon l’OIM,c’est une perte économique. «Les flux mi-gratoires organisés par les pays du Nordréduisent à néant les investissements enmatière de formation», indique l’organisa-tion.

En effet, d’une part, il y a les «cer-veaux», qui ont souvent longtemps bénéfi-cié des rares infrastructures en formationdisponibles dans les pays en développe-ment et qui, à l’heure de restituer à leur

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pays les bénéfices de cet investissement,vont mettre leurs capacités à profit ailleurs.De l’autre, il y a l’ensemble des migrationsqui, comme le constate la Confédérationmondiale du travail (CMT), «sont le fait desplus dynamiques, des plus jeunes et desmieux (ou moins mal) formés; elles repré-sentent dès lors une forte perte pour lespays de départ»7. Au point que le ministreindien des Technologies de l’informationse demande pourquoi un pays pauvrecomme le sien «subventionne le systèmeéducatif et l’économie des Etats-Unis».

Bon pour les entreprises

Pour les pays industrialisés aussi, la com-paraison avantages/inconvénients de lamigration est ambivalente. D’une part,dans la colonne «passif», l’opinion pu-blique est tentée d’inscrire, peut-être troprapidement, la présence «d’étrangers, desgens différents, qui n’ont pas notre cul-ture…». Elle oublie ainsi que toute l’his-toire de l’humanité est faite de migrations,de rencontres de cultures et de métissages.

Toujours dans la colonne «passif», onnotera aussi que l’appel à des migrantspeut servir à exercer une pression à labaisse sur les salaires et les conditions detravail. La simple application de la loi del’offre et de la demande devrait conduire àaugmenter les rémunérations lorsqu’unepénurie de travailleurs apparaît dans unsegment du marché du travail. En appe-lant des travailleurs étrangers, on cassecette dynamique et on introduit même unsurplus de main-d’œuvre qui risque d’ac-centuer la concurrence entre travailleurs.Il revient dès lors aux organisations syndi-cales de ne pas tomber dans ce piège et dese battre pour assurer à tous les tra-vailleurs, migrants ou non, le même statut.

Ce phénomène concerne l’ensemble desmigrants et indique clairement que si, in-dividuellement, ces travailleurs peuventbénéficier d’une amélioration de leursconditions de vie, globalement, les pays dedestination sont les principaux bénéfi-ciaires des migrations. En témoignent lesdébats sur la «nécessité», pour les pays in-

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Une taxe sur la fuitedes cerveaux?

Et si on taxait la fuite des cerveaux? Deuxconsultants de l’Institut McKinsey, à Wa-shington, voient dans une telle taxe, redistri-buée aux entreprises des pays de départ quiretiennent leurs «cerveaux» ou les font reve-nir, une manière de contrecarrer la perte pourles pays en développement. L’Inde perdrait àelle seule 2 milliards de US$ par an en raisonde la fuite de 100 000 experts en informatiquevers les Etats-Unis. Encore faut-il que lesconditions de travail et de recherche, ainsique les salaires offerts à ces personnes soientdissuasifs d’un départ. Selon le FinancialTimes, les auteurs de l’étude reconnaissenteux-mêmes que cette perspective a peu dechances de fonctionner. Il faudrait que la taxesoit perçue là où le «cerveau» se trouve, à sa-voir dans les pays industrialisés, mais ceux-cin’y ont aucun intérêt.

D’après InfoSud/Suisse

dustrialisés occidentaux, de rouvrir leursfrontières aux migrants pour faire face auvieillissement de leur population active8.La perspective d’appels très sélectifs à destravailleurs migrants correspondant auxbesoins et intérêts précis des pays de desti-nation, voire d’appels pour des périodes li-mitées, entre totalement dans cette logique.

La migration des «cerveaux» cadre par-faitement avec cette démarche, puisqu’ils’agit d’une sélection très ciblée, presqueindividuelle.

Parier sur le retour?

Faut-il dès lors promouvoir des politiquesvolontaristes de promotion du retour des«cerveaux» au pays? Cette démarche estprônée à la fois par des accords bilatérauxentre pays et par des institutions commel’Organisation internationale pour les mi-grations, qui a mis en place dans plusieurspays industrialisés des programmes de«retours volontaires». Mais avec quelle ef-ficacité?

A Madagascar, a expliqué à l’AgenceSyfia, Roland Ramamonjy, un ancien jour-

naliste de Radio Nederland, «on n’appré-cie pas les intellectuels à leur juste valeur,alors que les techniciens malgaches sontrecherchés ailleurs pour leur savoir-faire».Beaucoup cèdent à l’appel des devises,quelques-uns résistent, d’autres revien-nent. «J’ai pratiqué la fuite temporaire descerveaux en ne travaillant que trois à sixmois aux Pays-Bas, en France et au Ca-nada, ajoute Roland Ramamonjy, j’auraistrès bien pu y rester, mais le sentiment pa-triotique a été le plus fort.»

Parfois, le retour débouche sur la pro-motion sociale de l’ex-émigré. Parfois aussi,il est vu comme un échec: «Expulsés ou non,ceux qui retournent sont appelés les Pari-siens refoulés, et sont sujets de railleries etde moqueries sans fin. Le refoulé accepte-rait tout pour ne pas vivre cette honte (…).On dit alors de lui ‘abetela’, un jeu de motsignifiant c’est un homme fini.»9

La relation entre retour et développe-ment n’est pas automatique. Elle devraitêtre étudiée plus finement, ne serait-ce quepour vérifier si ces programmes de retourne constituent pas, finalement, un moyenutilisé par les pays industrialisés pour sedébarrasser de migrants devenus inutiles.La première condition de leur réussite estl’existence d’emplois disponibles dans lespays de départ. La deuxième est la réduc-tion de l’écart de salaires avec les pays in-dustrialisés, sans quoi la tentation de mi-grer persistera. L’Accord de libre-échanged’Amérique du Nord (ALENA) a favoriséles investissements au Mexique, mais n’apas réduit la migration vers le Nord, pré-cisément en raison de cet écart.

C’est donc dans le sens d’un dévelop-pement vu comme condition, et noncomme conséquence, d’un retour des cer-veaux que la problématique doit être en-visagée. Ce constat rejoint de nombreusesanalyses et revendications des organisa-tions syndicales, d’orienter les choix éco-nomiques vers le bien-être des popula-tions, d’en finir avec les programmesd’ajustement structurel qui réduisent lesmoyens d’action des Etats, et de concevoirl’insertion dans l’économie mondialecomme un moyen du développement, noncomme une fin en soi.

Contrairement aux conceptions desinstitutions de Bretton Woods, la luttecontre la pauvreté ne peut pas consister à«aider» les victimes de ce fléau par des«matelas sociaux» qui laisseraient intactsles mécanismes provoquant la pauvreté.Au contraire, c’est par des politiques d’em-ploi digne et généralisé, respectant doncles normes internationales du travail, queles causes de la pauvreté peuvent êtrecombattues.

En ce sens, la fuite des cerveaux relèveà la fois d’enjeux internationaux et de défisnationaux. Elle n’est pas sans lien avec laproblématique de la propriété intellec-tuelle, puisque la tendance actuelle à laconcentration des brevets dans les pays etentreprises du Nord privera plus encore lespays en développement de moyens de re-cherche. Par ces liens avec l’emploi et avecles politiques de développement social,cette problématique n’est pas non plusétrangère aux préoccupations syndicales.

Notes

1 Lors d’un colloque organisé par l’Agence Info-Sud, Bruxelles, 8 décembre 2000.

2 Carrington, W.; Detragiache, E.: dans Financeset Développement (Washington, FMI), juin 1999.

3 CMT: Les migrations et l’Afrique, Labor-Maga-zine, 97/4.

4 Il y aurait aussi, un jour, un article à écrire surla «fuite des pieds», à savoir les sportifs de haut ni-veau qui monnayent leurs talents à l’étranger, et fi-nissent parfois très mal lorsqu’ils ne sont plus per-formants. Mais c’est une autre histoire…

5 UNRISD: Mains visibles: assumer la responsabilitédu développement social, Genève, 2000.

6 Le Monde (Paris), supplément Economie, 6 mars2001.

7 CMT: Les travailleurs migrants, rapport annuelsur les droits des travailleurs, 1999. Voir aussi AndréLinard: Migrations et mondialisation: les nouveaux es-claves, CISL, 1998.

8 Ces débats se sont intensifiés depuis la publi-cation (controversée) d’un rapport de la Division dela population des Nations Unies sur les prévisionsdémographiques, en 2000: Replacement Migration: Isit a solution to declining and ageing population?

9 Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo: «Migrations Nord-Sud. Levier ou obstacle? Les Zaïrois en Belgique», Ca-hiers Africains, no 13, 1995, cité dans La Revue Nouvelle(Bruxelles) par J.-Cl. Willame.

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