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L’ARBRE DE LA VIE 1 Extrait de la publication

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L’ARBRE DE LA VIE 1

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2 LÉGENDES AUTOCHTONES

LÉGENDES AUTOCHTONES

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L’ARBRE DE LA VIE 3

Collection PATRIMOINE

MARC SCOTT

LÉGENDES AUTOCHTONES

Le Chardon Bleu

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4 LÉGENDES AUTOCHTONES

Tous droits réservés. Toute reproduction, par quelque moyen que ce soit, est interdite, sans l’autorisation préalable écrite de l’éditeur.

Données de catalogage avant publication (Canada) Scott, Marc, 1952- Légendes autochtones / Marc Scott (Collection Patrimoine) Comprend des références bibliographiques ISBN-13 978-2-923953-02-1 (PDF) I. Titre. II. Collection: Collection Patrimoine

Cet ouvrage est le vingt-huitième titre des éditions du Chardon Bleu

et le septième de la collection PATRIMOINE.

Page de couverture : Une peinture de Rita Iriarte (voir page 6), intitulée «Soleil dansant / Dancing Sun».

Mise en page : Pierre Arvisais

DIFFUSION

Les Éditions du Chardon Bleu Courriel : [email protected]

Internet : www.chardonbleu.ca

ISBN-13 978-2-923953-02-1 (PDF) © LES ÉDITIONS DU CHARDON BLEU, 2011

Dépôt légal, Bibliothèque nationale du Canada Dépôt légal, Bibliothèque nationale du Québec

Nous tenons à remercier l’étude de Maître Stéphane Lalonde, avocat et notaire, qui a contribué à la publication de cet ouvrage grâce à une commandite généreuse (voir page 6). La recherche et l’écriture de ce livre ont par ailleurs été possibles grâce à une subvention à l’écriture remise à l’auteur par le Conseil des Arts du Canada.

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L’ARBRE DE LA VIE 5

À mes parents, ma mère Jeannine et mon père Jean-Jules...

merci pour l’amour, pour les soins passés et pour votre présence constante.

À ma grand-mère Mabel,

qui a partagé nos vies pendant plus de 14 années, grâce surtout à l’amour et à l’indulgence

de papa et de maman.

À mes enfants, Alexandre et Sandrine,

que j’aime plus que tout et qui me le rendent tout autant.

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6 LÉGENDES AUTOCHTONES

Rita Iriate est née au Vénézuela. Elle a immigré au Canada et est une artiste-peintre autodidacte, qui a touché à plusieurs médiums : les acryliques, les aquarelles, les toiles multi-médias, les faux vitraux, le satin, l’encre, les reliefs à motifs. Depuis plusieurs années, elle demeure à la frontière du Québec et de l’Ontario, dans la petite bourgade de Pointe-Fortune. Ses toiles sont souvent très colorées et ses sujets sont à la fois tirés de la nature (faune et flore) et de personnages représentatifs de ses préoccupations. Pour en connaître davantage sur cette artiste, visitez le site internet www.pinecone.on.ca/ ritairiARTE. La peinture de la page de couverture fait partie d’une collection privée. Nous remercions Rita et la propriétaire de la peinture originale pour la possiblité d’utiliser cette œuvre. Maître Stéphane C. Lalonde, B.A., L.L. B., est né à St-Isidore, dans l’Est ontarien. Il a fait ses études à l’école élémentaire de St-Isidore, à l’école secondaire de Plantagenet et à l’Université d’Ottawa. Avocat et notaire, il a maintenant son étude au 941, rue Notre-Dame, suite 1, à Embrun, toujours dans l’Est ontarien. Stéphane a gracieusement contribué à la publication de cet ouvrage et nous en sommes reconnaissants. Visitez son site au www.stephanelalonde.ca. Nous vous prions d’encourager nos commanditaires qui font œuvre de mécènes dans le monde des arts.

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LA NAISSANCE DU MONDE 13

La naissance du monde2

Légende ojibwée

L’univers baignait dans l’harmonie, bien avant les êtres humains, bien avant les continents, bien avant ce que nous appelons le Ciel et la Terre.

Il y avait un endroit dans l’Au-Delà, où vivait le Grand Frère, ses enfants, sa famille. Le Grand Frère veillait sur le Monde, un monde aquatique rempli de bêtes dociles, généreuses et toujours très reconnaissantes des bontés de leur Créateur. La vie dans ce monde était paisible, glauque par son absence de lumière, mais fertile : les fonds marins produisaient suffisamment de végétaux pour nourrir la population de plus en plus florissante qui nageait dans cet océan sans bornes. Les poissons, les reptiles, les mammifères, tous partageaient l’espace et vivaient sous le regard bienveillant de ce Grand Frère.

On y trouvait des tortues, des loutres, des dauphins, des méduses, des crocodiles, des phoques, des éléphants de mer, des morses moustachus et des baleines petites et grandes, des grenouilles, des requins, des marsupiaux, des castors, des rats musqués, des morues, des thons, des bancs de poissons qui nageaient en virevoltant, comme plus tard les cerfs-volants chinois. Et des êtres plus petits encore…

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14 LÉGENDES AUTOCHTONES

Un jour, Fée blanche, la fille cadette de Grand Frère, s’approcha d’un arbre d’où sortait une lumière mystérieuse. Elle se mit à creuser de ses mains douces la terre meuble au pied de l’énorme saule qui grandissait dans l’Au-Delà, par curiosité, pour voir si elle y trouverait un trésor, une surprise que son père s’amusait à cacher pour son épouse et ses enfants. Il était si généreux et magnanime que jamais Fée blanche n’aurait pu soupçonner un danger quelconque. Elle creusa donc, le sourire aux lèvres, jusqu’à ce qu’elle trouve l’abîme, une noirceur abyssale qui l’attira tant et si bien qu’elle ne put s’empêcher d’y sombrer.

Elle cria et son cri se fit entendre dans les deux mondes, celui de l’Au-Delà, celui d’Au-Dessous. Son père accourut tout près du trou et constata qu’il ne pouvait rien pour elle, sinon ralentir sa chute, en soule-vant des courants de vents qui la soutiendraient un temps.

Puis, Grand Frère se tourna vers ses amis du Monde aquatique et les pria de faire en sorte que sa fille arrive doucement à bon port. Il ne leur demanda pas directement, puisque les animaux d’en dessous n’avaient pas l’esprit ni la connaissance. Non, il pleura sa peine, sa crainte de voir sa fille cadette mourir. Et ce sont ses pleurs qui tombèrent, drus, dans l’océan et qui abreuvèrent les animaux de sagesse, de volonté et d’amour.

Pendant que Fée blanche battait de ses maigres ailes filiformes et transparentes, tous les animaux s’organisèrent. C’est Tortue qui prit les commandes. Deux fois centenaire et plus grande que la plus immense des baleines, elle conçut que Fée blanche devait tomber sur sa carapace. La fillette ne savait sans doute pas nager et mourrait dans les eaux

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LA NAISSANCE DU MONDE 15

froides de ce monde nocturne. Mais Fée blanche se fracasserait les os si elle arrivait

directement sur la dure carapace de Tortue. Aussi les autres comprirent-ils qu’il fallait créer un coussin, bâtir un lit plus sûr et plus confortable pour la fille de Grand Frère. Les loutres, les phoques, les mammifères de tout acabit plongèrent jusqu’aux fonds marins et revinrent à la surface avec de la terre, de la mousse, des algues qu’ils placèrent doucement sur le dos énorme de Tortue. D’autres pêchèrent du krill et du plancton doux et soyeux qu’ils ajoutèrent sur la surface bombée et lisse de Tortue. Plus le temps passait, plus les animaux s’activaient, plus les poissons nageaient en couple pour produire une quantité faramineuse d’œufs, ces petites gélules douces et compactes qui serviraient à amortir le choc de l’atterrissage de Fée blanche.

Parce qu’il était clair maintenant qu’il s’agissait bien d’un atterrissage, puisque le dos de Tortue ressemblait de plus en plus à un continent, à une Terre d’accueil, à une île aussi gigantesque que Tortue elle-même.

Oui, les êtres vivants avaient bien répondu à l’appel du Grand Frère et ils voulaient sauver à tout prix la fille de leur bienfaiteur. Voilà pourquoi ils lui édifièrent un monde nouveau, plus semblable à celui qu’elle avait quitté inopinément, plus vert, plus solide, plus chaud aussi. Et les araignées d’eau montèrent à la surface, avec, entre leurs pattes, des morceaux de firmament qu’elles avaient été les seules à cueillir dans les grandes profondeurs de la mer. Elles les lancèrent au-dessus de la Tortue et en firent des nuages ouatés pour amortir les derniers mètres de chute de cette Fée blanche.

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16 LÉGENDES AUTOCHTONES

Les vents, les nuages et la force du Grand Frère permirent à sa fille d’arriver doucement sur le dos maintenant spongieux de la Grande Tortue. Elle fut agréablement surprise par l’accueil de toutes ces bêtes polymorphes et les remercia de son large sourire.

Mais, ce n’était que le début. Son souffle puissant créa des montagnes et des vallées sur le dos de la Tortue; ses larmes de joie donnèrent naissance aux criques, aux rivières, aux fleuves et aux lacs qui se remplirent d’eau claire et pure et propre à assouvir la soif de tout un chacun.

Puis, de ses trois seins, elle sortit le maïs, la courge et le haricot, les trois graines qui nourriraient les êtres vivants durant des générations à venir, car ils lui avaient sauvé la vie.

Fée Blanche irradiait de joie et de plaisir depuis son arrivée, ce qui faisait cligner des yeux aux êtres qui n’avaient connu que les ténèbres, l’obscurité et l’eau froide et salée. Ses compagnons s’habituaient rapidement à cette nouvelle chaleur, à cette vie sur le dos de Grande Tortue et aux bienfaits que leur avait offerts la nouvelle venue.

Lorsqu’elle leur dit qu’elle devait retourner chez elle, auprès de son Grand Frère et de ses sœurs, il y eut une onde de peur, d’angoisse de se retrouver à nouveau dans le noir. Les êtres connaissaient maintenant les ténèbres et la lumière, la froideur et la chaleur, le vide et le monde à perte de vue. Ils ne voulaient plus retourner en arrière, d’autant que la conscience grandissait en eux...

C’est le moment que choisit Petite Tortue pour offrir son aide. Elle s’approcha lentement de Fée blanche et lui demanda une parcelle de sa lumière qu’elle tendit dans le

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firmament. Et ce fut le Soleil. Après le départ de la fée, les animaux constatèrent

que le soleil brillait toujours et les empêchait de dormir. Ils tinrent un conseil et il fut décidé que Petite Tortue devait trouver une solution à cette chaleur intense et assez incommodante.

Grâce à son bec acéré, la Tortue perfora la toile du firmament, à deux endroits, à l’Est et à l’Ouest, et tapa fermement sur le soleil pour lui donner un air d’aller, ce qui lui permit de tourner autour de leur nouveau monde. Lorsque le soleil sortait à l’Ouest, la Grande Tortue et la mer qui l’entourait retrouvaient enfin l’obscurité. Quand le soleil revenait par l’orifice à l’Est, le jour se levait et la lumière revenait. Et c’était bien.

La nuit des temps était terminée. Mais le jour créa la peur de la nuit chez les êtres, car ils la trouvaient soudain trop noire, trop bruyante, trop dangereuse. Et Petite Tortue apporta à nouveau sa contribution en créant la Lune, ce cercle gigantesque qui veillait sur les êtres lorsque le Soleil se couchait. Et les compagnons étaient contents.

Petite Tortue n’avait pas prévu que le soleil et la lune se rencontreraient parfois, parce qu’ils n’avaient pas le même cycle ni la même vitesse. C’était tant mieux; l’amour grandit entre ces deux astres et ils peuplèrent le ciel de leur progéniture, les charmantes étoiles, de doux diamants célestes pour illuminer la nuit et réaliser les souhaits de ceux et celles qui les regardaient.

Petit à petit, certains types d’êtres, après avoir gravi les côtes de la Grande Tortue, souhaitèrent s’envoler : et les étoiles accédèrent à leurs vœux. Ainsi naquirent les

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oiseaux, les papillons, les insectes, et même quelques espèces transcendantes, comme les chauves-souris et les écureuils volants, sans parler des araignées sauteuses qui s’élançaient souvent d’un arbre à l’autre.

Eh oui! Les arbres que seuls les êtres de l’Au-Delà avaient connus poussaient maintenant sur la terre de la Grande Tortue. Ainsi que les roseaux, les arbustes, les bosquets aussi et, évidemment, les trois sœurs qu’avait offertes Fée blanche avant son départ : la courge, le maïs et le haricot.

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LA GRENOUILLE QUI VOULAIT EN FAIRE TROP 19

La grenouille qui voulait en faire trop3

Légende salish

Le monde était serein : les animaux vivaient en harmonie, jour et nuit, depuis que Grand Frère veillait sur eux. Ils avaient sauvé Fée blanche et Manitout leur était redevable.

Pour ce, il lui arrivait de quitter son monde pour descendre au sommet de la montagne sacrée. Du haut de son autel, il gâtait les animaux de fruits exotiques, de chairs cuites à poing, d’insectes ragoûtants et, évidemment, il s’assurait de faire pousser les trois sœurs à longueur d’année.

Akis, une belle grenouille vert et mauve, était si reconnaissante de la bonté et de la générosité du Grand Frère qu’elle s’égosillait à chanter dès qu’elle voyait la lueur briller au sommet de la montagne sacrée. Jour et nuit, elle lui chantait des ritournelles, des ballades, des symphonies de sons toutes plus jolies les unes que les autres. Et elle sentait bien que Manitout appréciait.

Toutefois, lorsqu’elle voyait les autres animaux travailler autour d’elle et offrir au Grand Frère le fruit de leurs labeurs, elle ne pouvait que s’interroger sur la valeur de son offrande. Était-ce suffisant de chanter pour Lui? L’écoutait-il seulement? Était-il ennuyé par ses sonates? Elle ne pouvait en être certaine et cela la chagrinait au plus

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haut point. Que pouvait-elle faire? Il faut dire que la grenouille Akis ne ressemblait en

rien aux grenouilles communes qui vivent maintenant, indolentes, sur la terre et dans l’eau. Akis, comme ses congénères, avait une longue queue effilée, quatre petites pattes palmées et un corps élancé vert et mauve. On ne l’aurait pas distinguée aujourd’hui d’une salamandre ou d’un geiko, si ce n’était de sa couleur et de son chant harmonieux. Elle faisait partie des amphibiens que Mère Nature avait créés, grâce à l’imagination de Grand Frère. Pendant que les autres lézards et batraciens s’activaient à dévorer le trop-plein d’insectes qui piquaient et suçaient les animaux du monde d’Au-Dessous, Akis, elle, se contentait de chanter.

Son chant se fit triste et mélancolique, parce qu’elle ne savait plus s’il était suffisant. Après tout, Grand Frère leur avait donné la vie, puis l’harmonie et les victuailles. Elle se demandait ce qu’elle pouvait faire d’autre pour plaire à son maître.

Un jour, elle rencontra Petite Poule d’Eau qui revenait du sommet de la montagne sacrée. Elle lui demanda comment était Grand Frère, ce qu’il faisait de ses journées là-haut, ce qui semblait lui plaire…

-Il nous regarde avec un sourire rempli d’amour et il fume sa pipe.

-Il fume sa pipe? -Oui, oui! Il met un objet assez curieux entre ses

lèvres, l’allume avec un tison et en tire des bouffées de fumée qu’il exhale lentement. Je lui ai demandé ce que c’était et Il m’a répondu qu’il s’agissait d’une pipe, taillée à

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TOUR DE BABEL 39

Tour de Babel5

Légende onontaguée-sénéca

Manitout avait bien fait son travail et les peuples des hommes se multiplièrent et vécurent en harmonie et en paix sur le dos de la Grande Tortue. Il y avait un village tout près du grand fleuve où le chef était une femme, nommée Godasiyo, une femme sage qui savait aimer les siens et être juste avec chacun d’eux. Sa réputation était si grande que plusieurs personnes choisirent de venir s’installer dans le village qui grandit en nombre, tellement que la rive sur laquelle il était né n’avait plus de place.

Que faire? demanda-t-on à la sage femme. Elle n’hésita pas et fit construire un pont pour relier les deux rives : le village s’étendit donc au nord et au sud du grand fleuve et tout le monde était content.

Un jour, de nulle part, vint un chien blanc comme la première neige d’hiver. Il était sans doute sorti de la forêt et s’était approchée de Godasiyo : elle l’avait flatté, il lui avait léché les doigts, elle l’avait adopté et il la suivait partout, même dans les réunions du conseil de bande.

Godasiyo avait gardé ses quartiers sur la rive sud du fleuve. Les représentants du nord devaient donc traverser le pont chaque fois qu’ils assistaient à une réunion. Ils

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devaient aussi endurer le chien blanc qui grognait et jappait dès qu’il les voyait approcher de la terre du sud.

Un jour, lors des palabres habituelles, un représentant du nord demanda qu’on se débarrasse du chien blanc comme la première neige d’hiver, ce qui fit rire les représentants du sud; et la sage femme elle-même eut du mal à concilier les idées et à éviter les querelles. Elle répondit enfin qu’elle songerait à leur demande.

Une fois la réunion terminée, la cheffe de tribu comprit que le chien était un objet de discorde et qu’il n’y avait pas de solutions valables : si elle tuait le chien, les gens du nord seraient contents, mais ceux du sud se sentiraient trahis; si elle gardait le chien, les gens du nord se sentiraient ridiculisés et ceux du sud croiraient avoir plus de pouvoir sur elle. Elle décida donc de ne rien faire, de garder le statu quo pour le moment, sans en parler à qui que ce soit. Le malentendu disparaîtrait peut-être de lui-même avec le temps.

C’était sans compter sur la rancœur grandissante des gens de la rive nord. Ils ont attendu la réponse, mais elle n’est pas venue. Ils ont donc décidé de brûler le pont qui reliait les deux rives et de se séparer de la tribu qui ne respectait plus leurs doléances, leur faisant même l’affront de ne pas répondre. Certains d’entre eux, plus en colère que les autres, lancèrent des flèches de feu au-dessus de la rivière, pour incendier la salle du conseil. Godasiyo comprit que le temps était venu de partir. Elle réunit tout son monde et leur expliqua le dilemme :

-Si nous restons ici, je crois que les villageois de la rive nord ne tarderont pas à nous attaquer et ce sera la

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guerre pour l’amour d’un chien blanc. Pour éviter un tel affrontement, je propose que nous partions tous en canots sur la grande rivière, vers l’ouest, où nous pourrons repartir à neuf, refaire un nouveau village qui grandira en paix loin des autres. Ceux et celles qui ne désirent pas partir peuvent aller demander l’hospitalité aux gens du nord.

Peu de gens allèrent habiter sur la rive nord. On aimait trop la sage femme et le chien blanc pour les abandonner. Les familles préparèrent donc leurs canots d’écorce de bouleau blanc où ils entassèrent leurs maigres possessions. Deux jeunes hommes, qui n’avaient pas de famille, proposèrent de bâtir une plate-forme pour Godasiyo et son chien. Ils construisirent deux grands canots et montèrent une plate-forme ancrée aux deux embarcations. Puis, ils installèrent un fauteuil pour la dame et un panier tressé pour son animal. Ils firent un coffre de cèdre où la sage femme put déposer ses robes, ses mocassins, ses tenues quotidiennes, ses amulettes et tout le reste.

Les préparatifs durèrent une semaine. À l’aube du huitième jour, tout le monde mit son canot à l’eau, derrière la grosse embarcation de leur cheffe. Les jeunes hommes fringants sautèrent dans les canots jouxtant la plate-forme et se mirent à pagayer à contre-courant vers l’ouest. Les autres canots suivirent en silence. Ils pagayèrent de nombreux jours et ne s’arrêtèrent que tard les soirs pour reprendre leur route avant même le lever du soleil.

Un jour, en fin d’après-midi, les canots arrivèrent à une fourche dans la rivière. Godasiyo demanda à ses deux rameurs de s’arrêter et elle attendit que les autres

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embarcations se groupent autour de la sienne. Elle demanda au conseil des sages, qui avait l’habitude de se réunir pour palabrer, quelle direction il fallait prendre. À son étonnement, certains dirent de prendre vers le nord, tandis que d’autres insistèrent pour aller vers le sud. Le ton monta rapidement, contrairement à ce qui se passait lors des réunions dans l’ancien village. Des voix s’élevèrent parmi les autres villageois, des gens qui ne s’exprimaient pas habituellement, laissant les sages prendre les décisions. La cheffe leva les bras pour imposer le silence, et le silence se fit. Elle regarda tout un chacun dans les yeux longuement, puis elle prit la parole :

-Nous avons quitté le village de nos ancêtres parce que nous voulions éviter les querelles avec les gens de l’autre rive. Nous sommes partis parce que nous voulions trouver une terre d’accueil plus pacifique, plus sereine, où nous pourrions élever nos enfants dans l’harmonie et la joie. Et, à la première occasion, tout ce que j’entends, ce sont des mots de discorde, des voix pleines de rancœur et de haine. Je croyais voir en vous l’amitié, le compromis, les paroles sensées et respectueuses. Que nous arrive-t-il?

Elle se tut. Le chien blanc comme la première neige s’approcha d’elle, elle se pencha et le caressa. Puis, les deux clans reprirent leurs harangues, leurs invectives et la sage femme comprit qu’il n’y avait plus d’entente possible. Elle reprit place sur son fauteuil et fit signe aux rameurs d’avancer.

Certains prirent la direction de la rivière qui descendait du nord; d’autres choisirent de prendre l’autre branche de la fourche. Ainsi, le peuple se séparait à

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nouveau. Cette fois-ci, la division se faisait dans les cris et les insultes : les uns tentaient de convaincre les autres de les suivre; les autres promettaient qu’ils ne pouvaient plus souffrir la présence de ceux-là.

Le pire se produisit lorsque Godasiyo fit signe à ses deux pagayeurs d’avancer. L’un des jeunes tira son canot vers la rivière du nord, tandis que l’autre décida de diriger le sien vers le sud. Les deux guerriers fringants ramaient de toutes leurs forces, dirigeant leur canot d’écorce en sens opposés. Et le malheur se produisit : la plate-forme ancrée sur les deux canots se détacha et glissa dans les flots. Le coffre de cèdre vola dans les airs et heurta la tête de la cheffe qui coula à pic avec toutes ses possessions.

Ahuris, les deux jeunes pagayeurs crièrent aux autres de revenir pour les aider à secourir leur cheffe. Peu d’entre eux revinrent. Ceux qui le firent arrivèrent trop tard. Là où la plate-forme avait coulé, on ne voyait plus que de l’eau claire et des poissons qui nageaient comme si de rien n’était.

Les hommes se mirent à se crier des insultes, à se blâmer les uns les autres, à tenter de communiquer leur effroi et leur colère. Mais quelque chose s’était produit au moment où Godasiyo avait sombré dans les flots : ils parlaient, mais personne ne comprenait plus ce que les autres disaient. Leur langage avait changé au point où les membres de la tribu qui avaient choisi la rivière du nord ne comprenaient plus la langue de ceux qui étaient partis vers le sud.

Le chien blanc comme la première neige nagea jusqu’à la berge; il se secoua de toutes les gouttes d’eau

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froide qui avaient imprégné son poil; et, sans un regard vers la rivière, il entra dans le bois et disparut.

Et c’est ainsi que les Autochtones se divisèrent et formèrent de nombreuses tribus qui se sont essaimées partout sur la Grande Tortue : ils ont commencé à parler des dialectes différents et à ne plus comprendre ce que leurs semblables disaient.

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LÉGENDES AUTOCHTONES 331

Publications du même auteur

Le dauphin de Noémie (2009), roman jeunesse. Collection Chatons. Le Chardon Bleu

Contes et Récits de l’Outaouais. Tome 3 (2008).

Collection Patrimoine. Le Chardon Bleu.

Le petit chapeau de Mô (2008), roman jeunesse. Collection Chatons. Le Chardon Bleu.

Alexandre et Pharaon (2006), roman jeunesse.

Collection Chatons. Le Chardon Bleu.

Je déteste l’école! (2006), roman jeunesse. Collection Chatons. Le Chardon Bleu.

Contes et Récits de l’Outaouais. Tome 2 (2004).

Collection Patrimoine. Le Chardon Bleu.

J’aide mon enfant en difficulté (2003), guide pour parents et animateurs. Le Chardon Bleu et Parents partenaires en éducation.

Terreur dans l’église (1996), pièce de théâtre.

Collection Dire et Rire. CFORP.

La fille prodigue (1996), pièce de théâtre. Collection Dire et Rire. CFORP.

Les petits pois de Pierre Pommerleau (1996),

pièce de théâtre. Collection Dire et Rire. CFORP.

Contes et Récits de l’Outaouais (1996, revue et corrigée en 2004). Collection Patrimoine. Le Chardon Bleu.

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332 LÉGENDES AUTOCHTONES

COLLECTION PATRIMOINE

Marc Scott, appuyé de France Viau et Catherine Gagné Côté. Contes et Récits de l’Outaouais, 2004 (2e éd.), 184 pages.

Marc Scott. Contes et Récits de l’Outaouais, Tome 2,

2004, 176 pages.

Aurélien Dupuis. Les aventures d’Amédée Bonenfant, 2004, 144 pages.

Alice Michaud-Latrémouille. Déjà l’automne.

Chroniques villageoises, 2007, 112 pages.

Marc Scott. Contes et Récits de l’Outaouais, Tome 3, 2008, 208 pages.

Liliane L. Gratton. Un pas, un sentier, une vie,

2010, 318 pages.

Marc Scott. Légendes autochtones, 2011, 336 pages.

COLLECTION CHATONS (7 ans et plus)

Éric Girard. Le perroquet du père Hoquet, 2006, 64 pages.

Marc Scott. Je déteste l’école!, 2006, 64 pages.

Marc Scott. Alexandre et Pharaon, 2006, 64 pages.

Éric Girard. Le loup-garou du lac Noir, 2007, 64 pages.

Ben Xavier. La bille magique, 2008, 72 pages.

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LÉGENDES AUTOCHTONES 333

Marc Scott. Le petit chapeau de Mô, 2008, 88 pages.

Éric Girard. Le lutin qui cherchait le père Noël, 2008, 64 pages.

Caroline Cudia. Parti pour la gloire, 2008, 72 pages.

Marc Scott. Le dauphin de Noémie, 2009, 88 pages.

Ben Xavier. Ariane, Mini et Courageux, 2009, 126 pages.

Hélène Quesnel-Sicotte. Le bac à surprises, 2010, 80 pages.

Éric Girard. Les dragons de mon père (à paraître en 2011).

COLLECTION DRAGONS (10 ans et plus)

Laurent Malek. Le jour où l’halloween a failli ne pas avoir lieu…, 2010, 112 pages.

Daphnée Dumouchel. Une aventure hors de l’ordinaire !,

2010, 96 pages.

Ben Xavier. Princesse Karine (à paraître en 2011).

COLLECTION VIPÈRES (15 ans et plus)

Sandrine Midopé Djengué. Tsibilis, 2009, 328 pages.

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334 LÉGENDES AUTOCHTONES

Table des matières Avant-propos …………………………………………….……….. 7

1. L’Arbre de la Vie …………………………………….….……... 9

2. La naissance du monde ………………………………..….…… 13

3. La grenouille qui voulait en faire trop ……………….….……. 19

4. Le corbeau blanc ....………….………………………..….…….. 31

5. La naissance d’un peuple ….…………………………...……. 35

6. Tour de Babel ….……………………………………….……... 39

7. Carcajou et filou ………….…………………………..……..... 45

8. Danse mohawk ………….……………………………………. 58

9. Les trois sœurs ………………………………………………. 59

10. Le grand lièvre et la grande tortue …...…………………….. 63

11. La légende d’Oushiguéaské ………………………………... 69

12. La légende ses sources …………………………………….... 83

13. Chanson populaire …………………………………………. 90

14. La légende du Lac des Fées ………………………….…….... 91

15. L’arbre des rêves ………………………………………….. 107

16. L’eau d’érable (1) ………………………………………… 115

17. L’eau d’érable (2) ………………………………………… 127

18. Berceuse inuite …………………………………………… 136

19. Les aurores boréales ……………………………………… 137

20. Danse abénaquise ………………………………………… 142

21. La femme-squelette ………………..…………………........ 143

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LÉGENDES AUTOCHTONES 335

22. Le capteur de rêves ……………………………………..… 153

23. Le chinook ………………………………………………... 161

24. La légende de Kaujjakjuk ………………………………… 169

25. La malédiction des Béothuks ……………………………... 179

26. Deux grandes oreilles dans la lune …………..……………. 191

27. Le voleur de bisons …………………..….………………... 197

28. Kitchikewana …………………………………………..…. 207

29. Glouseclappe et la bataille du temps ………………..…….. 211

30. Glouseclappe et l’adversaire invincible ………………....... 223

31. Comment l’ours a perdu sa queue ……………………..….. 227

32. Le loup blanc ………………………………………..…….. 229

33. Le rocher Siwash ………………………………..………… 235

34. Le rocher du Diable (Devil’s Rock) ………………………. 241

35. Comment sont nés les moustiques ……………………..… 249

36. Wendigo, le monstre au cœur de glace………………......... 253

37. Comment se débarrasser d’un wendigo …………………... 259

38. La femme-cannibale …………………………………..…... 267

39. Les chutes Niagara …..………………………..........………271

40. Le dernier sacrifice des chutes ………………..…………... 275

41. Les quatre vœux ………………………..…………………. 279

42. La vieille dame et le sasquatch ……..…………………….. 285

43. Les quatre chasseurs ……..……………………………….. 289

44. Grise Fjor …….…………………………………………… 293

Notes explicatives, bibliographie, publications …………......... 298

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336 LÉGENDES AUTOCHTONES

ISBN 978-2-923953-02-1 (PDF)

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