l’Abbé Augustin Lémann - Le Christ rejeté

Embed Size (px)

Citation preview

  • 7/27/2019 lAbb Augustin Lmann - Le Christ rejet

    1/17

    1

    LE CHRIST REJETRPONSE M.HAVET DE LINSTITUT DE FRANCE

    SUR SON ARTICLE DE LA REVUE DESDEUXMONDES:CRITIQUES DES RCITS SUR LA VIE DE JSUS

    par labb AUGUSTIN LMANNDOCTEUR EN THOLOGIEPROFESSEUR DCRITURE SAINTE ET DHBREU AUX FACULTS CATHOLIQUES DE LYON

    Librairie Victor Lecoffre, 90 rue Bonaparte, 1881.

    LOCCASION DE CET CRITUn article a paru, dans la Revue des Deux Mondes1, qui a soulev le dgot des catholiques et le ddain de la vraie

    science.Il se trouve toutefois, dans cet article, une objection spcieuse qui a pu jeter le trouble dans quelques esprits. M. Ha-

    vet la dveloppe, dans la page o il sempare des dfenses faites par Jsus de dire quil ft le Messie, pour en conclurequil ne ltait pas.

    Cest cette page que nous allons rpondre.Prtre de Jsus-Christ, selon la grce, et fils dAbraham, selon la nature, voil trente ans que jtudie Celui que

    M. Havet a os qualifier dhallucin. Le professeur au Collge de France ne refusera pas de reconnatre que nousavons un double droit de prendre en main la cause de linsult; puisque, cet insult, nous ladorons comme Dieuet le tenons comme lhonneur de notre nation !

    Lorsque la haine amoncelle les tnbres, nest-ce pas le devoir de lamour dindiquer les rayons ?Lyon, le 8 mai 1881,En la fte de lapparition de saint Michel.

    LE CHRIST REJET

    CHAPITRE I - LOBJECTION DE M.HAVET.IL Y EST RPONDU EN METTANT EN LUMIRE LCONOMIE DE LA MANIFESTATION DE JSUS COMME MESSIE.

    Quest-ce que Jsus ?Toute lglise chrtienne, tenant en main les deux Testaments, rpond : Jsus, cest le Christ, cest--dire le Messie.Mais M. Havet ne le croit pas ; et, pour le prouver, fait le raisonnement suivant :

    Il y a des passages dans lvangile o Jsus se laisse donner le nom de Christ et o Il se dsigne ainsi Lui-mme. Mais il y en a dautres o Il dfend svrement Ses aptres de sexpliquer l-dessus avec personne. Il faitla mme dfense aux dmons, qui parlaient par la bouche des possds.

    Or, une semblable dfense est inconciliable avec les versets o Jsus parle en Christ et se laisse donner le

    nom de Christ. Car sIl dfendait de dire quIl tait le Christ, Il et t absurde quIl trahit lui-mme cet incognito.Il faut donc conclure que Jsus na jamais pris le nom de Christ, quIl ne sest jamais donn pour tre le Christ.Et si plus tard cette croyance est devenue la foi de toute une glise, cest quon a suppos que la rvlation de cegrand mystre lui tait quelquefois chappe pendant la vie. De l les passages que nous lisons aujourdhui dansles vangiles. (p. 590-593)

    Telle est lobjection. Voici la rponse :Nous la formulerons selon la mthode de lcole, cest--dire en commenant par bien prciser les points sur lesquels

    nous sommes en dsaccord.Il y a des passages, dans lEvangile, o Jsus affirme quIl est le Christ ; mais, par contre, il y en a dautres o Il d-

    fend svrement, soit aux aptres, soit aux dmons, de le proclamer, de sexpliquer l dessus avec personne. - Cestvrai.

    Or, laffirmation de Jsus, par rapport Lui-mme, ne saurait se concilier avec la svre dfense faite, soit aux ap-

    tres, soit aux dmons. Nous nions cette seconde proposition.Donc laffirmation na pas eu lieu ; donc Jsus ne sest jamais donn pour le Messie. Nous nions galement cetteconclusion : laffirmation a eu lieu aussi bien que la dfense, et elles ne sont pas inconciliables.

    Cest l le point quil faut prouver.Pour affirmer quil tait le Messie, Jsus pouvait user de trois moyens diffrents :1Le dire en TERMES CLAIRS ET FORMELS, ainsi quIl le fit dans son entretien avec la Samaritaine : Moi qui te parle, Je

    suis le Messie(Jean., IV, 26).2Lindiquer par des phrases et des CIRCONLOCUTIONS QUI LEXPRIMAIENT, sans pourtant dsigner directement Sa per-sonne, par exemple : Le Royaume de Dieu est venu ; le Royaume des cieux est arriv. Car ces expressions, le Royaumede Dieu et le Royaume des cieux, taient communes parmi les juifs, pour signifier le temps auquel le Messie paratraitdans le monde.

    3 Le prouver par lclat des MIRACLES et LEXCELLENCEDE SA DOCTRINE : Les uvres que Jaccomplis rendenttmoignage de Moi(Jean, X, 25). Jamais homme na parl comme cet homme(Ibid., VII, 46).

    Il semble que, de ces trois moyens, le plus naturel et le plus propre convaincre les juifs devait tre le premier, cest-1 tudes dhistoire religieuse. Critique des rcits sur la vie de Jsus, par M. Ernest Haret, de lInstitut de France. ( Revue des DeuxMondes, 1er avril 1881).

  • 7/27/2019 lAbb Augustin Lmann - Le Christ rejet

    2/17

    2

    -dire lemploi de termes clairs et formels, les affirmations catgoriques.Quon se dtrompe ! Ce nest pas brusquement que Jsus a dclar quIl tait le Messie. Il a commenc par le dire,

    soit par la grande voix de Sa doctrine et de Ses miracles, soit par des circonlocutions quivalentes ; et, ce nest que peu peu, par degrs, quemployant les termes clairs et formels, il a dclar nettement quil tait le Messie.

    Pourquoi cette manire de procder, si particulire ? Pour deux raisons.

    CHAPITRE II-CETTE BELLE CONOMIE, EN RAPPORT AVEC LINTRT DES MES.

    Dieu, qui respecte la libert, saccommode, dans Ses uvres, aux dispositions de la crature. Cest l une des mer-veilles du plan divin.

    Or, quel tait ltat des esprits lorsque Jsus parut ?Tous les Juifs, except un trs petit nombre, nentendaient plus le vrai sens des critures, et notamment les

    prophties messianiques. Tandis que les critures annoncent un double avnement du Messie : lun, pour le milieu destemps, dans la pauvret, lhumilit et les souffrances ; lautre, pour la fin des temps, dans la puissance et la gloire : la plu-part des juifs, au dernier sicle de leur histoire, staient attachs uniquement aux prophties de gloire. pris des biensdu temps, ils ne rvaient quun Messie triomphant, bien dcids nen pas accepter dautre. Les prophties qui avaienttrait aux abaissements du premier avnement, avaient t jetes de ct, et la seule ide quon se faisait alors du Mes-sie, tait celle de Salomon dans sa magnificence1 ou dun Machabe triomphateur. Lesprit dorgueil, trs accentuchez la race juive2, et la pente vers les choses de la terre avaient t les premires causes de cette erreur. Mais ltatde servitude o se trouvait, en ce temps-l, toute la Jude, navait pas peu contribu la dvelopper. Le peuple hbreuavait perdu, sous le joug des Romains, les restes de son antique nationalit ; la haine de Rome y tait au comble, et,chaque jour, les dserts et les montagnes de la Jude voyaient se former des bandes libratrices, sous le commande-ment de quelque patriote pourvu de hardiesse ou de considration. On souffrait donc impatiemment le joug de la

    conqute romaine ; lorgueil national tait froiss3.Le Messie quon attendait, et on lattendait avec ardeur, devait, disait-on, mettre fin cet tat de choses. Et cest pour-

    quoi on le voulait capable de brandir une pe, capable de refouler les lgions de Rome. On le dsirait, on linvoquait,on le demandait. Dj on le voyait descendre arm de foudres et de tonnerres, sur les nues du ciel.

    Tel tait ltat des esprits.Les esprances politiques lemportaient videmment sur les esprances religieuses, dans la masse de la na-

    tion4.Quelle tait la consquence de cet tat de choses ?Cest que le Messie des critures navait la chance dtre accept quautant quil arriverait orn du prestige de

    la puissance.Or, voici que Jsus, loin de faire son entre en Jude par larc de triomphe des grandeurs humaines, se prsente, se-

    lon les prophties relatives au premier avnement, avec les humbles livres de la pauvret et de la souffrance. On at-tendait un conqurant superbe, un prince dominateur des nations, et Jsus est le fils dun artisan, un pauvre n dans

    une table et qui va passer sa vie avec les pauvres.Eh bien ! que ftil advenu si cet trange Messie stait, sans tenir compte des prjugs, brusquement propos la

    reconnaissance et lacceptation de la foule ? Il et certainement provoqu une invitable et immdiate contradiction dela part dun peuple universellement dispos Le mconnatre. Aucun des Juifs, pas mme Ses disciples, heurts dansleur attente, nauraient pu Le souffrir. Car qui ne connat ou na entendu parler de la puissance des prjugs ? Elles sont

    1 Le chapitre X du 3 livre des Rois, qui dpeint les magnificences de la cour de Salomon, a toujours t pour le peuple juif lidal durgne messianique.2 Patrem habemus Abraham.3 La prise de Jrusalem par Pompe marque le vritable terme de lindpendance juive, bien que la Jude ait conserv encore pen-dant soixante-dix ans une apparence de libert politique. Les sentiments de haine contre ltranger, joints la tradition de la gloire r-serve Isral prirent alors un dveloppement inconnu. 4 Nous connaissons dans quel sens, au temps de Jsus, le peuple juif attendait un librateur, par les restes de la littrature hbraquedu dernier sicle avant J.-C. et du premier sicle aprs son avnement. Ces restes sont principalement :Les paraphrases chaldaques dOnkelos et de Jonathan-ben-Uziel ; Le Psautier de Salomon ; Le livre dnoch ; Le 4 livre dEsdras :Le livre des Jubils ; Les oracles sibyllins.Pour ne citer que deux passages, voici comme sexpriment, sur la venue du Messie, le livre dEnoch et les oracles sibyllins : En ces

    jours, il y aura un grand changement pour les lus. La lumire du jour brillera pour eux, sans nuit ; toute majest, tout honneur leur ap-partiendra. En ces jours, la terre leur rendra les trsors quelle renferme; le royaume de la mort, lenfer mme, tout ce qui leur a tconfi... Les lus btiront leur demeure sur une terre de dlices ; un nouveau temple sy lvera pour le grand Roi, plus vaste, plus no-ble que le premier, et toutes les brebis du monde y afflueront pour les sacrifices.- Le peuple du grand Dieu nagera dans des flots dor et dargent ; ses vtements seront de pourpre ; la terre et les mers verseront leurstrsors ses pieds, et les saints rgneront dans des dlices sans fin. Le tigre patra prs du chevreau ; lolivier se couronnera de fruitsincorruptibles ; un lait blanc comme la neige coulera des fontaines et lenfant jouera sans crainte arec laspic et le serpent. (Liv.dEnoch , XC, XCI. Orac. Sibyl., 537 et 39)Mais lhistoire est l aussi pour prouver cette attente fivreuse dun Messie conqurant ; car, comme la trs bien fait sentir Josphelui-mme (De bello Jud., V, 5, 4), on ne sexpliquerait pas les audacieux soulvements des Juifs contre la domination romaine, si on ne

    les savait enflamms par un oracle qui leur prdisait lempire de la terre. Ils se reprsentaient donc le royaume du Messie commeun empire, semblable celui des Csars, qui aurait Jrusalem pour capitale, et pour monarque le Fils de David, homme de Dieucomme son aeul, et comme lui un hros.Il y a galement lpisode tragique des faux messies. On ne courait aprs eux que parce quils sannonaient comme des librateurs.

  • 7/27/2019 lAbb Augustin Lmann - Le Christ rejet

    3/17

    3

    rares, les personnes capables de passer subitement de lerreur la vrit ; et ce trsorier de la reine dthiopie, qui neutbesoin que dun seul entretien avec le diacre Philippe pour arriver la foi, restera toujours comme un exemple part, quiatteste lefficacit de la grce divine, bien plus encore que la docilit dun esprit droit et loyal.

    Que fit alors Jsus ?Il commena, avec une prudence vraiment divine, ne se rvler dabord, comme Messie, que par lclat de Ses

    miracles et lannonce du royaume de Dieu. Les aveugles recouvraient la vue ; les boiteux, lusage de leurs jambes ;les lpreux taient purifis ; les sourds retrouvaient loue ; les affams taient miraculeusement nourris ; les pauvresvangliss !(Matth. XI, 5). Et tandis que les mains de Jsus opraient ces prodiges, Ses lvres annonaient en mmetemps quIl tait lui-mme pain de vie ; ...quIl tait la lumire du monde ; .. quIl tait la rsurrection et la vie ; ...quIl don-nait la vie qui il Lui plaisait ; ...que les critures Lui rendaient tmoignage ; ...quAbraham avait souhait de voir Son

    jour1... A la vue de ces prodiges et laudition de ces annonces, voici que les foules de la Jude, dj mises en veil parles circonstances de la naissance de Jean-Baptiste, par les merveilles de la nuit de Nol, par la venue des rois mages Jrusalem, par le massacre des Innocents, par les tmoignages de Simon et dAnne la prophtesse, enfin et surtout,par la prdication et le ministre du Prcurseur, dont loffice spcial tait de dsigner le Messie, de le montrer du doigt,les foules de la Jude, impressionnes par ces souvenirs dun pass qui ntait pas loign, plus encore par les prodigeset ces annonces du prsent, se mettent courir la suite de Jsus ; elles se pressent sur les pas de cet homme extraor-dinaire ; elles Laccompagnent dans tous les lieux de Son plerinage : au bord des lacs, au haut des montagnes, dansles sentiers des valles, sous lombre des oliviers, dans le secret des dserts ; et, laccompagnant, elles se demandaient :Nest-ce pas l le Fils de David ? Le Messie, quand Il sera venu, fera-t-Il plus de miracles que celui-ci nen fait ? - Cest lvraiment le Prophte que nous attendons. - Jamais homme na parl comme cet homme. - Serait-ce Lui le Messie ?2

    Mais poser ces questions, ctait commencer revenir soi-mme de lerreur qui, depuis si longtemps, enchanait lesmes lide dun Messie conqurant.

    Ce fut alors, et alors seulement, le prjug national commenant sbranler dans les esprits, que Jsus commena,

    Lui aussi, ajouter peu peu, et toujours dune manire discrte, la preuve des miracles et lannonce du royaume deDieu, la preuve jusqualors rserve des affirmations nettes et catgoriques.

    Il commena donc affirmer de Lui-mme, en diverses circonstances, quIl tait le Messie attendu ; Il le pouvait, lgard de plusieurs, sans crainte de trop heurter leur me. Nous le voyons donc faire cette affirmation, ici, Nicodme,prince de la Synagogue : Dieu a tellement aim le monde, quIl a donn Son Fils unique, afin que tout homme qui croiten Lui ne prisse pas, mais quil ait la vie ternelle (Jean, III,16) ; l, la Samaritaine : Je suis le Messie, Moi qui teparle ( Jean, IV,26) ;un autre jour laveugle-n : Crois-tu au Fils de Dieu ?Laveugle guri rpondit : Qui est-Il, Sei-gneur, afin que je croie en Lui ?Jsus lui dit : Celui qui te parle, cest Lui-mme (Jean, IX,35-38); puis, Marthe : Jesuis la rsurrection et la vie ; celui qui croit en Moi, quand mme il serait mort, vivra. Crois-tu cela ? Elle lui dit : Oui, Sei-gneur, je crois que Vous tes le Messie, le Fils du Dieu vivant, qui tes venu en ce monde (Jean, XI,25-27); et encore dautres, ainsi que le marque lvangile.

    Ce ne sont, il est vrai, que des affirmations particulires et discrtes, en vue de lintrt des mes. Mais ces affirma-tions, mises en particulier, sont communiques par ceux qui ont eu le bonheur de les entendre. La rumeur publique sen

    empare ; elles sont divulgues sur les montagnes de Samarie, dans les valles de la Jude et jusquaux confins de la Pa-lestine.

    Le peuple est de plus en plus excit rechercher Jsus, Lexaminer, Ltudier, pntrer le secret de Sa per-sonne. Des discussions publiques stablissent Son sujet jusque sur les places de Jrusalem. Les uns disaient : Cestvraiment un prophte. Les autres rpondaient : Celui-ci est le Messie. Mais quelques uns objectaient : Est-ce de la Gali-le que le Messie peut venir ? LEcriture ne dit-elle pas que cest de la race de David, et du bourg de Bethlem que doitvenir le Messie ? (Jean, VII,40-43) Les membres du Sanhdrin sont informs de ces discussions. Ils font publier quequiconque osera mettre que Jsus est le Messie, sera immdiatement retranch de la Synagogue (Jean, IX,22). Alorson nose plus parler de Jsus quen secret, cause de la crainte des Juifs (Jean, VII,13) jusqu ce quenfin, au jour desRameaux, le peuple, laiss encore ses bons instincts, dchire lui-mme tous les voiles, et sacre Jsus de cette accla-mation : Hosanna au Fils de David ! Bni celui qui vient au nom du Seigneur ; bni le Rgne qui arrive de notre pre Da-vid ! Hosanna au plus haut des cieux! (Matth., XXI,9 ;Marc, XI,10)

    Cest ainsi que, dans lintrt des mes, Jsus na affirm que par degrs quIl tait le Messie.Pour peindre et exprimer la dlicatesse de cette manire dagir, jai en vain cherch un mot dans les langues humai-

    nes ; ce nest que dans lEcriture, mais sous une forme ravissante, que je lai rencontr. Lorsque Mose, avant que demourir, rsuma, au pied du Nbo, toutes les tendresses de Dieu lgard de Son peuple, voici les paroles quil fit enten-dre Isral, de la part du Seigneur : Comme un aigle, afin de provoquer ses petits voler, tend ses ailes et voltigedoucement sur eux : ainsi le Seigneur a tendu Ses ailes sur Son peuple (Deutron., XXXII,11) Cest de la mme ma-nire qua procd Jsus. Toutes Ses prcautions de lumire et damour ont eu pour but de provoquer Son peuple, unpeuple loign de Ses ailes, Le reconnatre : Jrusalem, Jrusalem, combien de fois Jai voulu rassembler tes enfants,comme une poule rassemble ses petits sous ses ailes ! Qui ne reconnatrait, dans les tendres avertissements rpandussur Jrusalem, les suaves accents entendus par les sommets du Nbo ? Ce sont, des deux cts, les mmes tendres-ses, les mmes procds, les mmes prcautions. La poule a agi comme laigle : elle a provoqu son peuple la recon-natre et revenir sous ses ailes !

    CHAPITRE III-CETTE BELLE CONOMIE EST GALEMENT EN RAPPORT AVEC LA RUSSITE DE LUVRE DE JSUS.

    1 Jean, VI, 35 ; VIII, 12 ; V, 21, 39 ; VIII, 50.2 Math., XII, 23. - .Jean , VU, 31 : VI, 15 ; VII, 46 ; iv, 29.

  • 7/27/2019 lAbb Augustin Lmann - Le Christ rejet

    4/17

    4

    Mais il y avait un second motif pour que Jsus ne dclart pas brusquement quIl tait le Messie, ctait lintrt deSon uvre.

    Nous disons lintrt de Son uvre, si lon peut parler ainsi dune uvre divine ; car quoiquil soit aussi ais un Dieutout-puissant de faire toutes choses par un acte immdiat de Son absolue volont, cependant Sa sagesse, selon la belleexpression de lcriture, agit toujours avec poids, nombre et mesure.

    Nous maintenons donc ce mot, lintrt de Son uvre.Quelle tait, en effet, luvre de Jsus ?Ctait de ramener le monde de lerreur la vrit, et du vice la vertu, en lui prchant les principes de la vraie

    doctrine, et en lui donnant le spectacle dune vie dont lhumilit, la douceur, le support de la pauvret et des souffrancesfussent le principal ornement.

    Telle tait son uvre : uvre dvanglisation par la parole et par lexemple.Or, que ft-il advenu si, ds le dbut, Jsus avait dclar, en termes clairs et manifestes, quIl tait le Messie ? Non

    seulement Il et soulev contre Lui les prjugs de la foule, comme cela a t montr plus haut; mais immdiatement,tout le Sanhdrin, compos, en majeure partie, dhommes vicieux et indignes, let fait arrter pour Lui ter la vie etentraver ainsi lexcution du plan providentiel. Nous avons rvl, dans un rcent ouvrage1, ce qutait la valeur moraledes hommes qui composaient le Sanhdrin, au temps de Jsus. Nous avons fait sortir ces hommes des recoins de lhis-toire, o ils se cachaient depuis des sicles, pour les produire tels quils taient, cest--dire prtres dgnrs et intri-gants, scribes infatus deux-mmes, sadducens corrompus, contents de jouir des biens de cette vie, et ne sesouciant ni de lme, ni de Dieu, ni de la rsurrection.

    Le Talmud lui-mme, qui, dordinaire, ne tarit point en loges sur les gens de notre nation, prenant partie lesgrands prtres, principaux chefs du Sanhdrin, au temps de Jsus, na pu sempcher de les stigmatiser : Quel flau,scrie-t-il, que la famille de Simon Bothus ; malheur leurs lances ! Quel flau que la famille dAnne ; malheur leurssifflements de vipre ! Quel flau que la famille de Canthre ; malheur leurs plumes ! Quel flau que la famille dIsmal

    ben Phabi ; malheur leurs poings ! Ils sont grands prtres eux-mmes, leurs fils sont trsoriers, leurs gendres comman-dants, et leurs serviteurs frappent le peuple de leurs btons !2 Et le Talmud continue : Le parvis du sanctuaire poussaquatre cris ; dabord : Sortez dici, descendants dli, vous souillez le temple de lternel ! Puis : Sortez dici, Issachar deKefar Barka, qui ne respectez que vous-mme et profanez les victimes consacres au ciel ! Un troisime cri retentit duparvis : largissez-vous, portes du sanctuaire, laissez entrer Ismal ben Phabi, le disciple des capricieux, pour quil rem-plisse les fonctions du pontificat ! On entendit encore un cri du parvis : largissez-vous, portes, laissez entrer Ananieben Nbeda, le disciple des gourmands, pour quil se gorge des victimes3.

    Devant de pareilles murs, avoues par les recueils les moins suspects de notre nation, peut-on hsiter conclureque si Jsus avait, ds le dbut de Son ministre, publi hautement et publiquement quIl ft le Messie, immdiatementtous ces hommes, qui Lpiaient pour Le surprendre dans Ses paroles(Luc, XX, 20 ; VI, 7 ; XIV, 1 ; Marc, III, 2), leussentdclar criminel et digne de mort. Ds lors, le ministre de Jsus se trouvait travers ; luvre dvanglisation quIl ve-nait accomplir restait imparfaite.

    La prudence de Jsus obvia ce danger.

    En ne se rvlant, dans le dbut, devant les foules, que par la grande voix des miracles et lannonce de la venue duRoyaume de Dieu, et, en nmettant quen particulier, et par degrs, les affirmations nettes et catgoriques, Il djoua tou-tes les embches du Sanhdrin. En mme temps que cette manire de procder tait approprie ltat des mes, etprovoquait suffisamment leur attention, leurs rflexions et leur lan, dautre part, elle ne fournissait aucun prtexte Sesennemis. Ce nest pas que ceux-ci ne comprissent parfaitement que Jsus se prsentait comme Messie ; mais les mira-cles et les circonlocutions dont Il se servait ne pouvaient suffire constituer un vrai corps de dlit. Ce quils cherchaient surprendre, ctaient des paroles claires et directes, quelque affirmation capable de prsenter un rel sujet daccusation ;mais ces paroles, ces affirmations, Jsus les prononait loin deux. En sorte que cette manire dagir renouvelait merveil-leusement, par rapport Sa personne, ce quavait t autrefois le voile sur le front de Mose, lorsque, la descente delHoreb, le lgislateur des Hbreux le plaa devant son visage, sur la demande de tout Isral. Le voile temprait lclatdes rayons. Mais le voile ntait pas si pais quil ne laisst transpercer des lueurs.

    De l les soupons des pharisiens, leurs instances auprs de Jsus pour Lobliger se dcouvrir, se dclarer dunemanire catgorique. Jusqu quand, lui criaient-ils, en faisant cercle autour de lui, tiendrez-Vous notre me en suspens?Si Vous tes le Messie, dites-le ouvertement (Jean, X,24). Jsus leur rpondait : Je vous parle, et vous ne Me croyezpas ; pourtant les uvres que Jai accomplies au Nom de Mon Pre rendent tmoignage de Moi... (Jean, X,25) Mon Preet Moi nous ne sommes quUn(Jean, X,31). Ctait leur dire : Mes actions sont encore plus claires que des paroles ; Jedis ce que Je suis, mais Je le dis par des miracles. Une telle preuve, en effet, ntait pas sujette quivoque. Ils deman-dent o est le Christ, scrie Pascal.... Les miracles le montrent et sont comme un clair. Mais les clairs taient insuffi-sants pour constituer un corps de dlit. De l le dpit des pharisiens et des scribes. Ils sen allaient, la rage au cur, d-sappoints de navoir pu surprendre Jsus; ou bien encore, ils ramassaient des pierres pour Le lapider ; mais le Fils delhomme leur chappait.

    Le lendemain, ils revenaient la charge. Et Jsus de leur rpondre : Scrutez les critures ; ce sont elles qui rendenttmoignage de Moi. Car si vous croyiez Mose, vous croiriez sans doute Moi aussi, car cest de Moi quil a crit. Maissi vous ne croyez point ses crits, comment croiriez-vous Mes paroles ?(Jean, V, 39, 46, 47. Voy. encore VIII, 23, 25-27 ; 56, 59). Encore une fois, les ennemis de Jsus taient dbouts.

    Cependant les membres du Sanhdrin ntaient pas seuls sefforcer darracher le voile de dessus le front de Jsus.

    1Valeur de lAssemble qui pronona la peine de mort contre Jsus-Christ. Paris, librairie Lecoffre, 3 dit. 1881.2 Talmud, trait Pesachimou de la fte de Pque, fol. 57, verso.3 Ibid., traits Kerithouthou des pchs qui ferment lentre de la vie venir, fol. 28, verso ; et Pesachim, fol. 57, verso.

  • 7/27/2019 lAbb Augustin Lmann - Le Christ rejet

    5/17

    5

    Satan, dbout, lui aussi, dans le dsert de la Tentation, avait devin le plan divin et stait promis de le traverser.Lvangile lindique clairement, en ces paroles : Les dmons sortaient par lordre de Jsus du corps des possds, criantet disant : Vous tes le Messie, le Fils de Dieu. Mais Il les menaait, et les empchait de dire quIl tait le Messie(Luc, IV,41). Et encore : Jsus chassa plusieurs dmons ; mais Il ne leur permettait pas de parler, parce quils savaient qui Il tait(Marc, 1, 34. Voy. encore III, 12).

    Il ressort de ces textes que la tactique de Satan tait celle-ci :Comme il avait compris que Jsus, dans lintrt des mes et dans lintrt de Son uvre, procdait, pour se faire re-

    connatre, dune manire progressive et rserve, Satan, afin de traverser ce plan, criait tue-tte, par la bouche despossds : Vous tes le Messie... Je sais qui Vous tes ; Vous tes le Saint de Dieu !(Marc, I, 23-25 ; Luc, IV, 33-35).

    Mais Jsus touffait ces clameurs, leur commandant avec autorit.

    M. Havet se trouve maintenant renseign sur les dfenses faites aux dmons. Il peut apprcier que, loin dtre in-conciliables avec les affirmations de Jsus, par rapport lui-mme, ces dfenses ont eu pour fin de faire disparatre lesobstacles dresss contre les affirmations, et, partant, de les faire mieux accepter. Encore un peu de patience, et lemembre de lInstitut de France connatra les motifs des mmes dfenses, qui furent faites galement aux aptres.

    Pendant ce temps, luvre dvanglisation marchait. Le Sanhdrin, aux aguets, eut certainement connaissance desaffirmations catgoriques de Jsus, lorsquelles eurent lieu. La Samaritaine avait entran toute la ville de Sichem re-connatre le Messie, qui stait nomm elle, au puits de Jacob ; laveugle-n, guri, publiait partout le Messie, son bien-faiteur. Mais comme ces affirmations ntaient connues du Sanhdrin que par ou-dire et que, dautre part, les amis deJsus avaient t seuls les entendre, il sensuivait quelles ne pouvaient servir de prtexte une arrestation lgale. Et,dailleurs, les scribes et les pharisiens conservaient toujours lespoir dobtenir mieux, et attendaient le moment propice.

    Aprs trois ans de cette manire dagir, se leva enfin le jour des Rameaux.Nous avons dj dit llan du peuple, lagitation des palmes et les cris denthousiasme qui salurent Jsus de Son vrai

    titre. Ce fut alors que les pharisiens, furieux et mal laise, interpellrent Jsus, sur le parcours du triomphe, Lui criantavec aigreur : Matre, faites donc taire Vos disciples. On sait la rponse : Si ceux-ci se taisaient, les pierres elles-mmescrieraient(Luc, XIX,39-40).Ctait leur faire connatre eux-mmes, sur un ton de triomphe, ce qutait lHomme accla-m !

    Et, comme les pharisiens insistaient cause des bonds de joie et des cris des enfants, qui leur taient plus particuli-rement dsagrables : Entendez-vous ce quils disent ? - Oui, leur rpondit Jsus; mais navez-vous jamais lu cette pa-role : Vous avez tir la louange la plus parfaite de la bouche des petits enfants(Matth., XXI,15-16) - Pauvres enfants !aujourdhui, en France, on sefforce dtouffer leurs cris et leur amour, comme on le tentait autrefois dans les rues de J-rusalem !

    Puisque luvre dvanglisation touchait son terme, Jsus pouvait, en face du Sanhdrin, commencer souleverle voile. Aussi voyons-nous qu partir du jour des Rameaux jusqu lheure de la trahison, Il fait connatre encore plusouvertement qui Il est. Durant les quatre jours quIl passa alors Jrusalem1, on Le vit chaque matin se rendre rguli-rement au Temple. L, dans des discours publics, entour dune foule immense, on Lentendit affirmer nettement Sa mis-

    sion de Librateur, et la ncessit de croire en Sa Personne pour tre sauv. La seule prcaution quIl prit, ce fut de nerien dire et de ne rien faire qui pt fournir Ses ennemis un sujet de Laccuser et de Le rendre criminel auprs du gou-verneur romain2.

    Le lundi saint, marquant davance de quelle manire Il devait mourir, Il dit la foule : Quand Jaurai t lev de laterre, Jattirerai tout Moi. Le peuple lui rpondit : Nous avons appris par la loi que le Messie demeure ternellement;comment donc dites-vous quil faut que le Fils de lhomme soit lev ? Qui est ce fils de lhomme ? Jsus leur dit donc :Pour un peu de temps encore la lumire est avec vous. Marchez pendant que vous avez la lumire, afin que les tnbresne vous surprennent pas. Pendant que vous avez la lumire, croyez en la lumire, afin que vous soyez des enfants delumire(Jean, XII,32-36).

    Ce jour-l encore, il ne fit pas seulement entendre, mais il cria ces autres paroles (cest la remarque de lvangliste),Jsus autem clamavit: Moi, la lumire, Je suis venu dans le monde, afin que quiconque croit en Moi, ne soit point dansles tnbres. Celui qui Me mprise et ne garde pas Mes paroles, a qui le juge. La parole que Jai annonce sera elle-mme son juge au dernier jour : parce que je nai point parl de Moi-mme, mais Mon Pre qui Ma envoy, Lui-mmeMa prescrit ce que Je dois dire(Jean, XII,45-49).

    Le mardi saint, il reprocha aux pharisiens leur obstination ne pas croire, en leur dveloppant la parabole desinvi-ts au festin des noces, et celle desvignerons homicides. Les pharisiens comprirent trs bien que ctaient eux-mmes qui se trouvaient viss par ces comparaisons ; car, lorsque Jsus termina par ces paroles : Le matre de la vigneviendra, Il perdra ces vignerons et donnera Sa vigne dautres, ils scrirent tous : A Dieu ne plaise ! Mais Jsus, lesregardant, prcisa la prdiction : En vrit, Je vous le dis, le royaume de Dieu vous sera t, et sera donn un peuplequi en produira les fruits(Math., XXI, XXII).

    Ce fut aprs cette prdication, et le soir du mme jour, que Jsus, en prsence dun grand nombre de pharisiens, describes et danciens, laissa tomber sur eux et sur Jrusalem ce sanglot dineffable amour : Jrusalem, Jrusalem, toi quitues les Prophtes et lapides ceux qui te sont envoys, combien de fois ai-Je voulu rassembler tes enfants comme unepoule rassemble ses petits sous ses ailes ; et tu ne las pas voulu ! Le temps approche o votre demeure sera dserte.

    1 A partir du jour de Son entre triomphale Jrusalem, Jsus ne passa plus la nuit dans lintrieur de la ville ; Il vitait les embchesdes sanhdrites, qui nauraient pas os mettre la main sur Lui tandis quils Le voyaient entour dune foule de peuple qui Laimait. II re-tournait donc chaque soir Bthanie ou dans les environs de Jrusalem.2 Ce fut dans lintervalle de ces quatre jours que les pharisiens, pour surprendre de nouveau Jsus, Lui proposrent la question dutribut Csar. (Math., XXII, Marc. XII ; Luc. XX)

  • 7/27/2019 lAbb Augustin Lmann - Le Christ rejet

    6/17

    6

    Car Je vous le dis, vous ne Me verrez plus dsormais, jusqu ce que vous disiez : Bni soit Celui qui vient au nom duSeigneur !(Matth., XXIII,37-39).

    Le mercredi saint, la fin du premier avnement approchant de plus en plus, Jsus, pour tablir que le second av-nement aurait aussi son jour, annona et dcrivit davance de quelle manire il se produira : Quand le Fils de lhommeviendra dans Sa majest, accompagn de tous Ses anges, Il sassira sur le trne de Sa gloire. Alors toutes les nationstant assembles devant Lui, Il sparera les uns davec les autres, comme le pasteur spara les brebis davec les boucs ;Il placera les brebis Sa droite et les boucs Sa gauche. Puis le Roi de gloire dira ceux qui seront Sa droite : Venez,les bnis de Mon Pre ; possdez le Royaume qui vous est prpar depuis le commencement du monde... Il dira ensuite ceux qui seront Sa gauche : Retirez-vous de Moi, maudits ; allez au feu ternel qui a t prpar au dmon et sesanges !(Matth., XXV,31-46).

    A entendre de si solennels avertissements, le doute ntait plus possible. Atterrs, mais obstins, les membres duSanhdrin taient contraints de savouer que ctait bien le Messie qui se dressait devant eux !

    Il faut lire, dans leur entier, tous ces avertissements, tous ces discours. Lhomme seul na pu parler de la sorte. Aussisont-ils, dans leur magnifique ensemble, par rapport la personne de Jsus, ce quest pour une glise, la constructionune fois acheve, cette croix de bois quon place au plus haut de ldifice : leve entre le ciel et la terre, elle achve dedire aux anges et aux hommes ce quest le temple !

    Cependant une dernire affirmation, entirement catgorique et aussi plus majestueuse, devait encore sortir des l-vres de Jsus, en prsence du Sanhdrin.

    Nous la dirons plus loin.

    CHAPITRE IV - MANIFESTATION PLUS EXPLICITE DE JSUS LGARD DES APTRES ;MAIS RSERVE ET SILENCE QUI LEUR SONT IMPOSS.

    Si Jsus dut procder avec prcaution et gradation dans lemploi des affirmations catgoriques, afin de ne pas heurterles prjugs de la foule et de ne pas tomber Lui-mme dans les embches du Sanhdrin, il neut pas observer daussiexactes prcautions lgard des aptres.

    Aussi ne tarda-t-il pas leur dire clairement qui Il tait.Dj Sa manire de vivre et Ses miracles leur avaient donn sujet de le conclure.Andr avait dit Simon : Nous avons trouv le Messie(Jean, I,40); et il lavait conduit Jsus.Un autre aptre, Philippe, avait dit aussi Nathanal : Nous avons trouv Celui de qui Mose a crit dans la Loi, et

    que les prophtes ont prdit, Jsus de Nazareth, fils de Joseph. Dabord Nathanal nen voulut rien croire ; mais ds queJsus lui eut parl, il en fut convaincu, ce quil fit connatre par ces paroles : Matre, Vous tes le Fils de Dieu, Vous tesle Roi dIsral(Jean, I,43-51).

    Pierre, galement, avait dj rendu Jsus un magnifique tmoignage, le jour o avait t faite la premire annoncede lEucharistie. Comme plusieurs disciples, se scandalisant, se retiraient de la suite de Jsus, celui-ci, sadressant auxaptres, leur avait dit : Et vous, voulez-vous aussi vous en aller ? Mais Pierre avait rpondu pour tous : Seigneur, o

    irions-nous ? Vous avec les paroles de la vie ternelle. Nous croyons, nous savons que Vous tes le Saint de Dieu1.Jsus avait accept tous ces tmoignages. Cette acceptation tait, dans Ses desseins, comme une prparation la

    solennelle ouverture quIl se proposait de leur faire.Un jour donc quIl cheminait avec eux prs de Csare de Philippe, non loin de la premire source du Jourdain, Il les

    interroge de cette manire : Quest-ce que les hommes disent quest le Fils de lhomme ?Mais, rpondent-ils, Jean-Baptiste, ou bien Jrmie, ou bien Elie, ou bien lun des prophtes. - Et vous, reprend J-

    sus, que dites-vous que Je sois ?Alors Simon-Pierre lui dit : Vous tes le Messie, Fils du Dieu vivant !Jsus, loin de re-pousser cette parole comme un blasphme, laccepte comme une vrit qui Le ravit, et Il rpond Pierre : Tu es bien-heureux, Simon fils de Jean, car ce nest pas la chair ni le sang qui te la rvl, mais Mon Pre qui est aux cieux. Et ilajoute aussitt comme rcompense de la foi de Son disciple : Je te dis, mon tour, que tu es Pierre, et sur cette pierre Jebtirai Mon Eglise, et les portes de lenfer ne prvaudront pas contre elle(Matth., XVI,13-18).

    La demande avait t faite pour provoquer, dans la lumire de Dieu, la confession de Pierre. Mais la confession dePierre, son tour, remarque Cornlius Jansnius, fournit Jsus loccasion dmettre de Lui-mme le tmoignage le plusdcisif : Toi, qui es homme, tu viens de dire de Moi que Je suis le Messie, Fils de Dieu. Eh bien ! Moi, le Messie, Fils deDieu, Je te rends la pareille, et Je te dis, toi, que tu es Pierre. Mon Royaume est celui des cieux, et Je ten donne lesclefs2. Pierre et le collge apostolique apprenaient, dun coup, tout ce que Jsus tait : Fils de Dieu dans lternit, Mes-sie dans le temps !

    A partir de ce jour, Jsus, connu authentiquement de tous Ses disciples, comme le Messie annonc et venu, aima,plus dune fois, leur rappeler ce Nom, si hautement proclam par Pierre : Quiconque vous donnera un verre deau enMon Nom, parce que vous tes au Messie, ne restera pas sans rcompense(Marc, IX,40). Ce fut alors quIl commenagalement leur dcouvrir quIl Lui fallait aller Jrusalem ; que, l, Il aurait beaucoup souffrir de la part des anciens,des prtres et des scribes ; quIl serait mis mort, mais quIl ressusciterait le troisime jour (Matth., XVI,21). Toutes cesannonces venaient bien leur heure. Jsus avait commenc par faire des aptres, les tmoins de Sa vie et de Ses mi-racles. Il leur avait ensuite rvl, comme des amis, tout ce quIl tait. Dsormais, il tait convenable quIl les habitutgalement, comme cooprateurs, lembrassement des souffrances et lide de Son sacrifice.

    Mais notre but, dans ce prsent travail, nest point dtudier, dans la totalit de sa trame, bien que trs attrayante, la

    1 Ibid., VI,69, 70. La Vulgate et les versions syriaques portent : Vous tes le Messie, Fils de Dieu. Mais cette variante ne se ren-contre pas dans les plus anciens manuscrits, ceux du Sina et du Vatican, o on lit : le saint de Dieu.2 Corn. Jansnius, Tetrateuch. sive commentar. in S. Evangel. Plt Dieu que cette plume net rien crit que de semblable !

  • 7/27/2019 lAbb Augustin Lmann - Le Christ rejet

    7/17

    7

    conduite de Jsus lgard des aptres.Nous avons le devoir de nous arrter, en compagnie de M. Havet, devant la singulire dfense qui suivit la confession

    de Pierre.Trois vanglistes, en effet, saint Matthieu, saint Marc et saint Luc, rapportent quaprs avoir fait connatre ouverte-

    ment Ses Aptres qui Il tait, Jsus leur dfendit expressment de publier quIl fut le Messie : Alors, Il dfendit Sesdisciples de dire personne quIl ft Lui-mme Jsus le Messie(Matth., XVI,20). Il leur dfendit avec menaces de ledire personne(Marc, VIII,30). Il leur dfendit trs expressment de parler de cela personne(Luc, IX,21)

    Ces dfenses paraissent M. Havet inconciliables avec les versets dans lesquels Jsus parle en Christ.Nous avions promis au perspicace professeur de le tirer dembarras.Il va ltre.

    Pourquoi donc cette prohibition si rigoureuse ? Pour trois raisons :Dabord, parce que le ministre dannoncer la venue du Messie et de le dsigner, devait tre et a t loffice spcial de

    Jean-Baptiste. La fin que Dieu stait propose dans lancien Testament, avait t de prparer les hommes la venuedu Messie. Pour cela, la Loi et les Prophtes Lavaient figur et Lavaient montr de loin. Mais aux approches de cegrand bienfait, et dans les jours qui allaient prcder immdiatement la venue du Messie, Il tait digne de la sagesse deDieu de renouveler avec plus de force et de rsumer, pour ainsi dire, toutes les annonces prcdentes. Cest pour cedessein que fut suscit Jean-Baptiste. Ce saint Prcurseur, en effet, neut pas, comme la Loi et les Prophtes, montrerle Messie seulement de loin ; il est venu pour Le montrer du doigt : Voil lAgneau de Dieu, voil Celui qui te les p-chs du monde !(Jean, I,29)

    Tel a t le ministre rserv Jean-Baptiste : Il fut la voix et le doigt qui ont dsign le Messie : Je suis la voix...Voil lAgneau1 !

    Les Aptres, au contraire, nont d prcher et faire connatre la personne du Messie quaprs laccomplissement entierdes mystres de la mort et de la rsurrection de Jsus. Sils leussent fait de Son vivant, on aurait pu croire une entente

    pralable, secrte, de Jsus et des Aptres. Tandis que la dclaration de Jean-Baptiste, qui navait jamais frquent J-sus, qui ne Lavait mme pas vu, devenait un tmoignage irrfragable : Moi, je ne Le connaissais pas ; mais cest pourquIl soit reconnu dans Isral que je suis venu baptiser dans leau(Jean, I,31).

    La dernire raison, cest que les Aptres, gens pauvres et ignorants, manquaient encore des lumires ncessairespour publier convenablement la personne du Messie.

    Ils ntaient pas suffisamment instruits du mystre de lHomme-Dieu, des souffrances par lesquelles Il devait passer,de Son rgne purement spirituel, durant les sicles qui continueraient le premier avnement. Lvangile ne marque-t-ilpas expressment que Pierre lui-mme, immdiatement aprs sa confession auprs de Csare de Philippe, se troublaen entendant Jsus annoncer les souffrances et la croix qui Lattendaient Jrusalem ? Prenant alors Jsus part, lebon Pierre se mit en devoir de Le raisonner pour Le dissuader de ce voyage : A Dieu ne plaise, Seigneur, lui disait-Il ;non, cela ne Vous arrivera pas ! Il fallut que Jsus le reprit avec svrit par ces paroles : Retire-toi de Moi, Satan ; tuMes un scandale, parce que tu nentends pas ce qui est de Dieu, mais ce qui est des hommes(Matth., XVI, 21-23 ; Marc,VIII, 32, 33). Quel changement ! Aprs les loges, aprs les magnifiques promesses faites Pierre pour sa gnreuse

    profession de foi, qui se serait attendu de si svres reproches ? Mais limportance de la matire lexigeait. Pierre nesavait pas que, sans la passion et la mort du Messie, il ny avait aucun espoir de rdemption. Et, par rapport auxautres aptres, le livre des Actes ne signale-t-il pas que, tout en reconnaissant Jsus pour le Messie, ils ne se dpouill-rent que peu peu des fausses ides de leur temps ? Ils espraient toujours que Jsus, de Son vivant, tablirait dj,pour Lui et pour les Siens, un certain rgne temporel sur la terre : Seigneur, sera-ce en ce temps que vous rtablirez leroyaume dIsral ? (Actes, I,6) En cela, ils retenaient, leur insu, une partie de lerreur juive.

    De semblables dispositions, dues labsence de lumires suffisantes, commandaient videmment Jsus la dfensequIl fit aux aptres. Avant que de leur permettre dannoncer ouvertement quIl ft le Messie, il fallait complter la sommedes vrits quIl Lui restait leur faire connatre ; il fallait aussi que la venue de lEsprit-Saint gravt ineffaablement cesvrits dans leur cur, et leur communiqut, avec labondance des lumires, llan et la force de les expliquer. Alors seu-lement les aptres devenaient capables dannoncer, dune manire complte, ce qutait Jsus le Messie. Ils pouvaientaffronter, sans crainte, les objections et les tentatives que cette annonce devait immanquablement leur attirer de la partdes Juifs.

    Un troisime motif occasionna la dfense : la sauvegarde du plan de Jsus.Il y avait redouter que, dans un zle trop ardent, les aptres ne brusquassent la mthode que la sagesse du Matre

    avait adopte. Cette mthode, nous lavons prouv, cadrait merveilleusement avec ltat des esprits et tait exige pourla russite de luvre. Trop de prcipitation, trop dlan chez lun des Douze pouvait compromettre Jsus aux yeux duSanhdrin et crer des difficults. Celui qui enseignait tre simple comme des colombes, mais prudent comme des ser-pents, coupa court toutes les imprudences, en portant la dfense de dire qui Il tait.

    Eu gard ces trois motifs, Jsus enjoignit donc Ses aptres de ne point publier quIl ft le Messie.Aussi, lorsque pour prparer Sa venue dans les bourgs et les villages o Il devait se rendre, Il les envoie en mission,

    deux deux, travers les plaines et sur les collines de la Palestine, Il les charge uniquement dannoncer que leRoyaume de Dieu tait proche : Allez et prchez, disant : Le Royaume de Dieu est proche !Mais en mme temps quIldtermine ainsi le cadre de leur prdication, Il leur confre galement tous puissance sur les dmons, le pouvoir de

    1 Cet office spcial du saint Prcurseur avait t annonc par Malachie le dernier des Prophtes : Je vais vous envoyer Mon ange, quiprparera Ma voie devant Ma face ; et aussitt le dominateur que vous cherchez, et lAnge de lalliance, si dsir de vous, viendradans son temple. Le voici qui vient... (Malach., III, 1). Malachie, qui, dun ct, termine la chane des prophtes en remontant jusquJacob, jusqu Abraham, jusqu Dieu, se penche de lautre, comme pour donner la main, travers quatre sicles dattente silen-cieuse, Jean-Baptiste, le montreur du Messie.

  • 7/27/2019 lAbb Augustin Lmann - Le Christ rejet

    8/17

    8

    chasser les esprits impurs, la vertu de gurir toute infirmit, toute maladie : Gurisses les malades, ressuscitez les morts,purifiez les lpreux, chassez les dmons; vous avez reu gratuitement, donnez gratuitement (Matth., X, 1-8 ; Marc. VI ;Luc, IX, 1-2). Ctait les associer,on le voit, Sa mthode de procder.

    De son vivant, il ne leur fut pas permis de sortir de ces limites. Elles avaient t celles de Jsus, dans les dbuts deSon ministre. De mme que, dans lintrt des mes, Il avait surtout employ la preuve des miracles et lannonce de lavenue du royaume de Dieu, lorsquensuite Il sassocia les aptres et les appliqua Son uvre, Il les maintint dans ceslimites. En dehors du ministre exceptionnel de Jean-Baptiste, Il stait rserv, pour Lui seul, lheure et le choix des af-firmations catgoriques.

    Ce mode de procder quIl prescrivit aux aptres, Il lenjoignit galement aux soixante-douze disciples quIl leur don-na, peu aprs, comme cooprateurs. Il leur disait donc : La moisson est grande, mais il y a peu douvriers... Allez, et en

    quelque ville que vous entriez, et o vous serez reus, gurissez les malades, qui sy trouvent, et dites-leur : Le Royaumede Dieu sest approch de vous(Luc, X,1-12).

    Et nous constatons, en explorant lvangile, que les uns1 et les autres2 ont suivi exactement cette ligne de conduite.Ils ne dvirent en rien, suivant exactement le cadre trac, et se bornant annoncer que le Royaume de Dieu tait pro-che, que le Royaume de Dieu tait arriv, sans faire connatre plus explicitement que leur matre tait le Messie.

    Cest cette cole que les Aptres dabord, et les Pasteurs de lglise ensuite, ont appris cette conduite pleine de sa-gesse et de bont qui prpare les esprits aux vrits plus sublimes et plus recherches, en commenant par leur distiller,goutte goutte, celles qui sont plus simples et plus claires. Saint Paul en a formul la rgle, dans sa premire ptre auxCorinthiens, pour le compte du Messie, son matre : Donner du lait aux enfants nouvellement ns, et ne passer unenourriture plus solide que lorsquils en sont devenus capablesI (I Cor., III,2).

    Ce sera seulement aprs la mort de Jsus que les Aptres seront eux-mmes chargs de distribuer cette nourritureplus solide. Alors, luvre dvanglisation tant pleinement prpare, la dfense sera leve. Jsus aura peu peu ame-n les mes reconnatre qui Il tait ; et les Aptres, reprenant Ses affirmations catgoriques, publieront partout quIl est

    le Messie.Cest ainsi quagiront les Aptres. Autant, du vivant de Jsus, ils devront se montrer discrets et rservs ; autant,

    aprs Sa mort, ils devront tre zls et explicites. Alors, en effet, sous les portiques du Temple, saint Pierre criera, de-vant une foule de trois mille Juifs : Que toute la maison dIsral sache que Dieu a fait Seigneur et Messie ce Jsus quevous avez crucifi ! (Actes, II,36,41) - Et tous les Aptres ne cesseront, tous les jours, denseigner et de prciser auTemple et de maison en maison que Jsus tait le Messie (Actes, V,42).

    Mais, prsentement, tant que durera le ministre public de Jsus, il leur est enjoint de se tenir sur la rserve et dob-server la dfense prescrite. Car Jsus, cest le Matre ; eux, ne sont que disciples ; et le Matre ne les associe quen se-cond au dveloppement progressif de Son uvre !

    Voil, par rapport aux Aptres, les motifs de la dfense que leur fit Jsus de ne pas publier quil ft le Messie.Voil aussi, dans son ensemble, le plan que Jsus crut devoir adopter, pour amener plus srement les fils de son

    peuple Le reconnatre.

    M. Havet se dclarera-t-il satisfait ? Voudra-t-il admettre que les dfenses de Jsus, loin dtre inconciliables avec lesaffirmations, devaient au contraire leur frayer la voie, contribuer les mieux faire accepter. Et lcrivain, qui a une prf-rence avoue pour saint Marc, refusera-t-il de souscrire lloge rapport par cet vangliste ; loge prononc, ce sem-ble, pour conclure la matire prsente : Bene omnia fecit, Jsus a bien fait toutes choses !

    Cependant il y a une objection.

    CHAPITRE V - Lobjection de M. Havet agrandie :Do vient que les aptres ont pu dire de Jsus que les Juifs, Ses perscuteurs, Lavaient ignor.

    Si Jsus a procd dune manire si intelligente , et si, dans le cours de son ministre, il a rellement dit quil ft leMessie, comment se fait-il que saint Pierre et saint Paul, prchant aux Juifs, aient pu leur dire : Quils Lavaient livr lamort, NE LAYANT PAS CONNU ?

    Car, dans sa seconde prdication, saint Pierre sest exprim de la sorte : Fils dIsral, le Dieu dIsaac et le Dieu de Ja-cob, le Dieu de nos pres a glorifi Son Fils Jsus, que vous avez livr et reni devant Pilate, qui avait jug quIl devaittre renvoy absous. Vous avez renonc le Saint et le Juste; vous avez demand quon vous accordt la grce dun ho-micide ; et vous avez fait mourir lauteur de la vie. Mais Dieu La ressuscit dentre les morts ; et nous sommes tmoinsde Sa rsurrection. Cependant, mes frres, je sais que vousAVEZ AGI EN CELA PAR IGNORANCE, AUSSI BIEN QUE VOS CHEFS...Faites donc pnitence et convertissez-vous, afin que vos pchs soient effacs(Actes, III,13-19)

    Pareillement, au cours dun sermon prononc dans la synagogue dAntioche de Pisidie, saint Paul dit son tour :Cest vous, mes frres, qui tes les enfants dAbraham, et ceux dentre vous qui craignent Dieu, que le Verbe du saluta t envoy. CarLES HABITANTS DE JRUSALEM ET LEURS CHEFS,LAYANT IGNOR, et nayant point entendu les paroles desprophtes, qui se lisent chaque jour de sabbat, ils les ont accomplies, en Le condamnant. Et, quoiquils ne trouvassentrien en Lui qui ft digne de mort, ils demandrent Pilate quil Le fit mourir. (Actes, XIII,26-28).

    Puis, dans sa premire Epitre aux Corinthiens, le mme aptre ajoute encore : Nous prchons la sagesse de Dieuque nul des princes de ce monde na connue. CAR SILS EUSSENT CONNU LE SEIGNEUR DE GLOIRE, ILS NE LAURAIENT PASCRUCIFIE (I Cor., II,7-8).

    Enfin, Jsus Lui-mme, attach la croix, scrie dans une touchante prire : Mon Pre, pardonnez-leur, CAR ILS NE

    1 Pour les Aptres, voy. Marc, VI, 12, 13, 30, 31 ; Luc, IX, 6, 10.2 Pour les 72 disciples, voy., Luc, X, 17-20.

  • 7/27/2019 lAbb Augustin Lmann - Le Christ rejet

    9/17

    9

    SAVENT CE QUILS FONT. (Luc, XXIII,34)Ne semble-t-il pas, daprs ces textes, que le peuple juif, nonobstant tous les efforts de Jsus, ne La pas connu ?

    Do il faudrait conclure que Sa prdication aurait t vaine ; Ses contemporains et compatriotes ayant ignor quIl ft leMessie.

    M. Havet, de son ct, a ignor cette difficult, autrement srieuse que toutes les objections quil amoncelle dans qua-rante pages de la Revue des Deux Mondes. Il la ignore, peut-tre, parce que, dans ces sortes de questions, il lui man-que, selon son propre aveu et la remarque impartiale de M. Edmond Schrer, les conditions dune parfaite comptence 1.

    Pour nous, nous nhsitons pas la lui faire connatre loyalement.Nous ne redoutons pas, non plus, de la placer sous les yeux de nos lecteurs, estimant, avec eux, que, dans les ques-

    tions srieuses, il ne faut pas craindre daller jusquau fond.

    Entrons donc rsolument dans lexamen de cette difficult.Et dabord, prcisons-la bien.En rapprochant les textes prcits, elle peut se rduire cette question : Aprs tous Ses efforts, Jsus a-t-Il t, oui

    ou non, connu des Juifs, Ses compatriotes et Ses perscuteurs, pour tre le Messie ? Et sIl en a t connu effective-ment, comment les Aptres ont-ils pu invoquer lignorance, en parlant de ceux qui lavaient mis mort ?

    Pour rpondre cette question dune manire complte et satisfaisante, il importe de faire une distinction : il faut dis-tinguer, parmi les compatriotes de Jsus, tmoins de Ses miracles et auditeurs de Ses discours, entre les hom-mes du peuple et les chefs du peuple, cest - dire entre la foule et le Sanhdrin.

    CHAPITRE VI-LE PEUPLE TROMP.

    Parmi les hommes du peuple, plusieurs ont su et cru pleinement que Jsus tait le Messie, et ils Lui sont demeurs fi-dles. On peut nommer : Lazare, Zache, Marthe, Marie, les saintes femmes de Galile, laveuglen, le centurion de

    Capharnam et toute sa maison, le lpreux reconnaissant, bon nombre de Samaritains, laveugle de Jricho, beaucoupde malades guris, soit en leur corps, soit en leur me.

    Mais le gros de la foule, compose de gens simples et ignorants, qui ne connaissaient pas les mystres des critures,na jamais pleinement su que Jsus ft le Messie. Elle sen est doute dans plusieurs circonstances, blouie quelle taitpar la doctrine sublime de Jsus et par la multitude de Ses miracles. A la spontanit de linstinct, venait sadjoindre, pourlaccrotre, la rumeur des affirmations catgoriques de Jsus, divulgues, ici, par laveugle-n, l, par les gens de Sama-rie, exempts, les uns et les autres, de lobligation du silence impose aux Aptres. Laisse ses bons instincts, la fouletait donc entrane par la pente du cur, voir, reconnatre, en Jsus, le Messie quelle attendait. Les acclamationsdu jour des Rameaux en font foi. Mais comme, dautre part, ces pauvres gens ntaient pas clairs, ils se sentaient enmme temps tenus en suspens par les menaces du Sanhdrin, par lopposition quil faisait Jsus, et les calomnies quilrpandait sur Sa personne ; en sorte quils se demandaient, avec hsitation : Nest- ce pas celui-l quils cherchent fairemourir ? Cependant, le voil qui parle devant tout le monde sans quils lui disent rien. Nos chefs auraient-ils donc reconnuquil est vritablement le Messie ?(Jean, VII,25-26).

    Dans une telle perplexit, on comprend quil ne fut pas difficile aux scribes et aux pharisiens de faire revenir le peuplede son bon mouvement.

    A partir du jour des Rameaux, non seulement toutes les menaces, prcdemment fulmines contre quiconque oseraitprononcer que Jsus tait le Messie, sont de nouveau dictes ; mais, nous voyons encore les membres du Sanhdrinsemparer de la foule, agiter les esprits pour amoindrir le grand effet que produisaient les derniers discours de Jsus,dans le Temple ou sous ses portiques.

    Lantique erreur nationale, lendroit du Messie conqurant, pour stre affaiblie, ntait pas teinte. Les noms magi-ques des Machabes, dEzchias, de David et de Salomon, prononcs avec adresse et propos, rappelaient de trop s-duisants souvenirs.

    Salomon avait tendu les frontires juives jusqu la mer Rouge et lEuphrate ; ...et, sous ce Jsus, qui se portaitcomme le grand Prophte, la Jude, plus que jamais, gmissait captive !

    Salomon ne paraissait en public qutincelant de pourpre et de pierreries ; ...et le Nazaren avait pour tout vtementune tunique ; une corde pour ceinture ; il navait pas mme une tanire comme les renards de la fort. (Matth., VIII,20)

    Salomon avait fait affluer de si grandes richesses Jrusalem que, de son temps, lor et largent y taient communscomme les pierres (I Paralip., I,15) ... Et son trne divoire avec les douze lions de marbre qui en gardaient les degrs, etses palais de bois de cdre, et sa vaisselle dor, et ses curies, et ses chevaux, et les prsents des peuples !... :allezdonc lui comparer le fils de Joseph, n, on se le rappelle, dans une table, sur de la paille, parce que lobscur charpen-tier, son pre, navait pu mme tre reu dans la dernire htellerie!

    Et tandis que, de la sorte, on amoindrissait directement la personne du Messie; dautre part, on achevait dteindre leprestige de Ses miracles, en les attribuant soit Belzbub (Marc, III, 22 ; Math., IX, 34), soit des pratiques de magie2.

    1 Voici, daprs le journal le Temps(27 dcembre 1879), lapprciation de M. Schrer sur un prcdent ouvrage de M. Edmond Havet,intitul : Le Judasme. Cette partie de louvrage traite du judasme, cest--dire dun sujet tranger aux tudes habituelles de lcrivain,et pour lequel, dans tous les cas, ainsi quil le reconnat avec ingnuit, il lui manquait les conditions dune parfaite comptence. M.Havet, ne sachant ni lhbreu ni lallemand, ne pouvait ni tudier lAncien Testament dans le texte original, ni consulter les travaux sinombreux et si importants qui ont clairci lhistoire et la littrature religieuses des Isralites. Ainsi born dans ses moyens dinvestiga-tion, M. Havet, a hasard sur la date et lorigine des livres sacrs des Juifs, des opinions qui tmoignent assurment dune certaineforce critique, mais en mme temps dune singulire inexprience des problmes auxquels il sattaquait. Javoue que jai de la peine comprendre comment un esprit aussi avis que M. Havet, comment un savant aussi familier avec la mthode des recherches ruditesa pu saventurer en de pareilles rgions, et surtout comment, sy tant aventur, il a pu arriver de pareils rsultats. 2 Pour affaiblir la porte des miracles de Jsus, les rabbins les ont encore attribus la vertu du nom ineffable de Jhova dont Jsus

  • 7/27/2019 lAbb Augustin Lmann - Le Christ rejet

    10/17

    10

    Il nen fallait pas tant pour rveiller, dans lme du peuple, et y ressusciter lantique erreur. Elle reparut donc plus forte,plus vivante, plus exigeante que jamais. Il ne lui manquait quune dernire secousse, une occasion de se produire. Cetteoccasion lui fut donne le jour du Vendredi-Saint.

    Lorsque Jrusalem, tout entire, se trouvait masse au pied du tribunal de Pilate, il y eut un moment o le gouverneurromain, entirement convaincu de la parfaite innocence de Jsus, haletait defforts pour Le sauver. Tout coup, unclair dopportunisme passa dans son me : le parallle entre Jsus et Barabbas ! ...

    Sadressant donc la foule : Cest la coutume parmi vous que je vous dlivre un criminel la Pque : lequel voulez-vous que je vous dlivre, Barabbas ou Jsus quon appelle le Messie ? (Jean., XVIII 39 ; Matth., XXVII, 17).

    Il y eut un instant de solennel silence.Le peuple navait que peu de temps pour faire son choix et se prononcer entre les deux ; mais ce temps suffit aux

    pharisiens et aux autres membres du Sanhdrin pour semparer de tous les esprits. On les vit, comme des serpentsdenfer, courir travers limmense foule. Bientt chacun de ceux qui la composaient fut atteint de leur venin...

    Deux cris retentirent :Otez, tez celui -ci....Dlivrez-nous Barabbas !Ctait fini... Lerreur nationale avait si puissamment repris son empire, qu dfaut de Salomon, le peuple se dcidait

    accepter, pour Messie, un chef de bandes, pourvu qu sa main appart et brillt un glaive1.Cest ainsi que le Sanhdrin, Assemble nationale de la Jude, a tromp et dvoy les tribus dIsral, les fils de Ja-

    cob, nos pauvres frres ! Grand enseignement pour les nations qui confient leurs destines des assembles repr-sentatives ! lavenir, cest--dire la Religion et la Patrie dpendent des hommes quon choisit pour aller siger.

    Le peuple juif, dans ses esprances messianiques, a donc t tromp et perverti par ses chefs.Lorsquon rapproche le Vendredi-Saint du jour des Rameaux, lesprit demeure stupfait et confondu. Cest l certai-

    nement, parmi les revirements populaires, lun des plus tranges, des plus subits, des plus inous. Cependant en France,

    mieux que partout ailleurs, nous sommes mme de le comprendre et de ladmettre. Car ce nest pas seulement Jru-salem quil y a eu des hommes fconds en artifices, qui ont trouv le moyen de sduire et de pervertir le peuple!

    Notre pauvre peuple fut tellement retourn dans ses ides, qu lheure o il renia Jsus, toutes ses lueurs, tous sespressentiments, tous ses bons mouvements dautrefois avaient compltement disparu : cette heure de la ngation, il necroyait pas que Jsus ft le Messie.

    La foule juive, trompe par ses chefs, a donc mconnu le Messie par ignorance. Elle se persuada que Jsus ntaitpas le Messie et elle na pas su quIl tait le Fils de Dieu. Et cest pourquoi, saint Pierre a pu lui dire : Je sais, mes frres,quen cela vous avez agi par ignorance... ; et Jsus, sur la croix : Mon Pre, pardonnez-leur, car ils ne savent ce quilsfont !

    Cependant la foule, ainsi prcipite dans lignorance par les manuvres du Sanhdrin, na pas t exempte de p-ch. Elle est reste responsable de sa ngation et de la mort du Messie.

    Elle est reste responsable ; car, pour quelle pt suppler la connaissance des critures, et rsister aux piges etaux entranements du Sanhdrin, la Providence, toujours attentive au salut des mes, lui avait mnag de nombreux et

    trs puissants secours.Elle avait eu, sa disposition, les traditions orales, constates, reconnues par M. Havet lui-mme : On a cr que J-

    sus avait fait des miracles parce quon a cru que Jsus tait le Christ, et quon croyait que le Christ devait faire des mira-cles (Revue des Deux Mondes, p. 587).

    Elle avait eu, devant ses yeux, la dmarche solennelle et non suspecte des rois Mages, puis toutes les fidlits quirestrent religieusement attaches la personne et aux enseignements de Jsus !

    Elle avait eu, au milieu delle, la grande mission de Jean-Baptiste dont la voix, semblable celle dun lion, avait bran-l toutes les collines, et jusquaux dserts de la Jude !

    aurait su drober la vritable prononciation, en pntrant secrtement dans le Saint des Saints, ouvert au seul grand Prtre, une foislan. Ceci se lit dans le livre Tholedot-Yeschu (Histoire de Jsus), en hbreu-rabbinique, ouvrage le plus blasphmatoire qui ait tcrit sur Jsus-Christ.1

    Chose trs singulire ! Barabbas, ainsi prfr Jsus, est devenu, par une permission divine, comme le type des faux Messies surles pas desquels les Juifs, haletants, accabls de fatigues et de dceptions, devaient courir durant tant de sicles. Presque tous cesfaux Messies ont t des chefs de bandes. Ils sont au nombre de vingt-cinq. En voici les noms1. Theudas, en Palestine, lan 45.2. Simon le Magicien, en Palestine, de lan 34 lan 37.3. Mnandre, mme poque.4. Dosite, en Palestine, de lan 50 lan 60.5. Bar-Kochbas, en Palestine, lan 138.6. Mose, dans lle de Crte, lan 434.7. Julien, en Palestine, lan 530.8. Un Syrien, sous le rgne de Lon lIsaurien, lan 721.9. Srnus, en Espagne, lan 724.10. Un autre, en France, lan 1137.11. Un autre, en Perse, lanne suivante.12. Un autre, Cordoue, lan 1157.13. Un autre, dix ans plus tard, Fez, lan 1167.

    14. Vers la mme poque, un autre en Arabie, 1167.15. Peu aprs, un autre, vers lEuphrate.16. Un autre, en Perse, lan 1175.17. David Almusser, en Moravie, lan 1176.18. Un autre, durant la vie du R. Sal.Adrath, lan 1280.19. David-Eldavid, en Perse, ian 1199 ou 1200.20. Ismal-Sophi, en Msopotamie, lan 1497.21. Le rabbin Lemlen, en Autriche, lan 1500.22. Un autre, en Espagne, lan 1534.23. Un autre, dans les Indes-Orientales, lan 1615.24. Un autre en Hollande, lan 1624.25. Zabatha Tzvi, en Turquie, lan 1666.

    Le dernier de ces faux messies, Zabatha Tzvi, est enterr Dulcigno, la ville qui a failli mettre le feu aux quatre coins de lEurope, il ya quelques mois. Il y, fut intern par le gouvernement ottoman, pour mettre fin aux agitations quil provoquait parmi les Juifs. Son tom-beau sy voit encore. Longtemps aprs sa mort, la secte des Zabathiens propagea ses doctrines et continua le reconnatre commemessie. (Arch. Isral, 1881).

  • 7/27/2019 lAbb Augustin Lmann - Le Christ rejet

    11/17

    11

    Elle avait eu, durant trois ans, tous les discours de Jsus, tous Ses voyages, toutes Ses fatigues, toutes Ses prires,toutes Ses larmes, Sa vie surhumaine, les nombreux bienfaits qui avaient marqu chacun de Ses pas !

    Elle avait eu, en maintes occasions, Ses paroles tonnantes contre les pharisiens et les scribes ; Ses avertissements,si souvent rpts, de se tenir en garde contre leur levain !

    Elle avait eu, devant le prtoire, les aveux et les efforts de Pilate qui, par trois fois, lui avait dclar quil ne trouvaitrien de rprhensible en cet homme !

    Elle avait eu aussi la voix des Anges, au-dessus du berceau de Bethlem ; la voix de Dieu Lui-mme, prs des bordsdu Jourdain, au dbut du ministre de Jsus ; en pleine Jrusalem, aux derniers jours de ce ministre !

    Elle avait eu enfin, et surtout, les blouissants miracles de Jsus Lui-mme : miracles sur la nature, miracles sur lamaladie, miracles sur la mort. Jsus les avait multiplis, parce que les miracles ont toujours t une preuve dcisive, en

    faveur du pauvre peuple qui ne sait pas les mystres des critures... Aprs la mort de Bar-Kochbas, fils du mensonge, ilparut clairement, a crit Maimonide, quil ntait point le Messie ; mais pour le reconnatre, les sages navaient exig ni si-gnes ni miracles1. Ces mots terribles contre nos rabbins ont certainement chapp Maimonide... Mais ces signes et cesmiracles, Jsus, sans quon les Lui demandt, les avait donns !

    Aprs tout cela, aprs tous ces secours et tous ces signes, la poule, mprise et renie, pouvait bien dire, en repliantses ailes : Mon peuple, Mon peuple, nai-je pas tout fait pour te rassembler ?

    La faute o le peuple juif sest trouv engag par les menes du Sanhdrin, lui reste donc imputable : A loppos destnbres amonceles par les hommes de mal, il y avait trop de clarts, trop de lueurs mnages du ct du Ciel !

    Cette faute, la plus grave dans son genre, parmi toutes les fautes dici-bas, elle porte un nom part. Ce nest ni unhomicide, ni un fratricide, ni un parricide, ni un rgicide : parce quelle a atteint dans Sa Personne, Celui qui, Messie dansle temps, est Fils de Dieu dans lternit..., elle se nomme le Dicide !

    Encore une fois, voil dans quel abme de malheurs, le Sanhdrin, cette mauvaise Assemble, a prcipit la nationjuive, prcipit notre pauvre peuple !

    Cependant cette faute, si norme soit-elle, il y a eu toujours devant Dieu, et il y aura toujours devant Dieu, en faveurdu peuple, une circonstance attnuante : lignorance, quoique vincible, cause par le Sanhdrin. Cest cette ignoranceque Jsus, sur la croix, a jete, comme une clameur de misricorde, du ct du ciel : Mon Pre, pardonnez-leur, car ilsne savent ce quils font !Cest delle, aussi, que sest empar saint Pierre, lorsque, excitant nos pres la pnitence, ilseffora de rendre leurs curs, baisss et inclins vers la terre, la confiance quils avaient perdue : Mes Frres, je saisquen cela vous avez agi par ignorance... Faites donc pnitence, afin que vos pchs soient effacs !

    CHAPITRE VII - LE SANHDRIN OU LASSEMBLE DE TNBRES.

    Aprs tout ce que nous venons de dire, le lecteur a dj pu conclure que si la foule a ignor que Jsus ft le Messie,le Sanhdrin, lui, ne la pas ignor.

    Non, il ne la pas ignor. Il la su, il la bien su !Instruits, en effet, de la Loi et des critures, les membres du Sanhdrin, prtres, scribes et anciens, tous ont vu sac-

    complir, en Jsus, chacun des signes annoncs par les prophtes, lgard du Messie.Depuis le jour o, mis en moi par larrive et les questions des rois Mages, ils avaient, eux-mmes, indiqu Be-

    thlem, comme le lieu prophtis de la naissance du Messie, ils navaient plus cess de suivre toutes les dmarches deJsus, pour se rendre compte de Sa personne, de Ses actes et de Ses paroles.

    Ils taient si pleinement persuads de laccomplissement des temps marqus pour la venue du Messie, quun ins-tant, lapparition de Jean-Baptiste, ils pensrent que celui-ci pouvait bien tre le Messie. Ils lui avaient donc envoy deJrusalem des prtres et des lvites pour lui demander : Qui es-tu ? afin que nous donnions une rponse ceux qui nousont envoys. Mais Jean-Baptiste avait confess la vrit, et il avait dit : Ce nest pas moi qui suis le Messie(Jean, I,19,22).

    Forcs par la rponse du Prcurseur de reporter leurs regards sur Jsus, ils se virent donc obligs de constater,bon gr, mal gr, en Sa Personne, laccomplissement successif, parfait, intgral, de tous les signes indiqus parles prophtes :

    Avec Miche (v, 2), que la patrie du Messie devait tre Bethlem... Et Jsus tait n Bethlem (Matth., II, 6 ; Jean.VII, 42) !

    Avec la Gense (XII, 3 ; XXII, 18 ; XXXVIII, 1 ; XLIX, 8-12), que les anctres du Messie devaient tre Abraham, Isaac etJacob Et Jsus tait authentiquement reconnu comme fils dAbraham, dIsaac et de Jacob (Matt., I, 2-6 ; Luc, III, 31-34)!

    Avec le testament de Jacob (Gen., XLIX, 8-12), que la tribu du Messie devait tre celle de Juda Et Jsus tait de latribu de Juda (Matth., I, 3-16 ; II, 1-8 ; Luc, I, 24 ; Heb. VII, 14) !

    Avec le prophte Nathan (II Rois, VII, 8-16), que la famille du Messie devait tre celle de David Et Jsus tait suiviet acclam comme fils de David (Matth., I, 1 ; IX, 27 ; XV, 22 ; Luc, XVIII, 38, 39) !

    Avec Isae2 (VII, 14), que la mre du Messie serait une vierge Et Jsus tait fils de Marie, la Vierge bnie (Matth., I,

    1 Maimonide, des Rois, cap. II, au mil.2 Il importe dobserver que la virginit de Marie, devenue Mre de Jsus par lopration de lEsprit-Saint, na pas t connue du Sanh-drin. Ce haut privilge de la Mre de Dieu ne fut connu gnralement quaprs quil eut t constat que Jsus, son Fils, tait bien leMessie. Alors, les affirmations inspires des vanglistes, rapproches de la fameuse prophtie dIsae : Ecce Virgo concipiet, servi-rent comme de phares de lumire pour clairer la vie humble et innocente de la Vierge, Mre de Dieu. Cest alors quon comprit, soitpar lenseignement des aptres, soit par la dfinition de lEglise, que saint Joseph, vritable et lgitime poux, tait rest le voile pro-tecteur de langlique Vierge, comme le palmier dhonneur charg de soutenir et dabriter la vigne vierge qui lui tait unie.Nous ne mentionnons donc, ici, la prophtie dIsae parmi la srie des prophties dont le Sanhdrin a vu, de ses yeux, laccomplisse-

  • 7/27/2019 lAbb Augustin Lmann - Le Christ rejet

    12/17

    12

    1825 ; Luc, I, 27-34)!Avec Daniel (II), que lpoque, o le Messie viendrait, serait celle o un royaume de fer aurait succd trois royau-

    mes dor, dargent et dairain Et la main de fer de Rome se trouvait, au temps de Jsus, place sur le monde entier(Luc, II,1- 4) !

    Avec Jacob (Genes., XLIX, 8-12), que le temps prochain de la venue du Messie serait celui o le sceptre serait sorti dela tribu de Juda Et Juda, comme les autres tribus, ntait plus, aux jours de Jsus, quune province de lempire romain,gouverne par un procurateur (Luc, II, 1-14 ; Jean, XIX, 15) !

    Avec Daniel (IX, 21 -27), que lheure de la venue du Messie serait marque par laccomplissement des soixante-dixsemaines dannes Et avec Jsus, ces soixante-dix semaines saccomplissaient mathmatiquement (Matth., XXIV, 15 ;Marc, XIII, 14) !

    Avec Agge (II, 1-10), que le Temple, construit par Zorobabel, verrait le Messie dans ses murs... Et, au temps de J-sus, le second Temple tait encore debout (Matth., XXIV, 1-2 ; Marc, XIII, 1) !

    Avec les Nombres (XXIV, 17), quune toile miraculeuse apparatrait la venue du Messie Et les Mages taient arri-vs Jrusalem, conduits par cette toile. Elle avait parcouru limmense espace qui spare lArabie de Bethlem (Matth.,II, 2, 7-10) !

    Avec Isae (LX, 3-5) et les Psaumes (XXI, 10, 11, 15), que des rois apporteraient au Messie des prsents dArabie Etles Mages, qui taient rois, avaient prsent Jsus lor, la myrrhe et lencens (Matth., II, 1-11)!

    Avec Isae (XL, 3-4) et Malachie (IV, 5), que le Messie aurait un Prcurseur Et Jsus avait t nomm, prch et d-sign par Jean-Baptiste (Luc, I, 5-25 ; 57-80 ; Matth., XIX, 1-10 ; Marc, I, 4)!

    Avec Ose (XI, 1), que le Messie serait contraint de sexiler en gypte Et Jsus, pour tre soustrait aux tentativesdHrode, avait t conduit dans la terre des pharaons par Joseph et Marie (Matth., II,15)!

    Avec Isae (IX, 1), que le Messie commencerait Sa prdication sur les confins de la terre de Nephtali et de ZabulonEt Jsus avait dbut, dans son uvre dvanglisation, par les tribus de Nephtali et de Zabulon (Matth., IV, 13-15) !

    Avec Isae (XXIX, 14) et Ezchiel (XLVII, 8, sq), que le Messie sentourerait dhommes simples et illettrs ...Et Jsusavait choisi Ses aptres parmi des pcheurs et des artisans (Matth., IV. 18-21 ; Marc, I, 16 ; Luc, V, 2-11) !

    Avec Isae (LIII, 2-3) et la Sagesse (II, 12-25) que le Messie serait humble, pauvre et mpris Et Jsus avait pratiquet prch lhumilit. Il navait pas une pierre pour reposer Sa tte. Il tait le mpris du Sanhdrin (Matth., XI, 29 ; XV, 37 ;Luc, XVI, 14 ; Jean, XV, 18) !

    Avec Isae (XXIX, 14 ; LXI, 1), que le Messie prcherait aux pauvres et aux petits, mais confondrait les sages Et J-sus tait lami des pauvres ; les foules le recherchaient avec avidit. Mais il avait confondu souvent lorgueil des phari-siens (Matth., XI, 5 ; I Cor., I, 28) !

    Avec Isae (LIII, 7 ; XVI, 1 ; XXXI, 1), que le Messie serait doux comme un agneau, mais, en mme temps, fort commeun lion Et Jean-Baptiste avait dit de Jsus : Voil lAgneau de Dieu !- Des lvres de cet Agneau, il ntait sorti que desparoles de misricorde et donction. Seuls, les pharisiens orgueilleux avaient eu supporter les tonnerres de Ses repro-ches (Jean, I, 29 ; XVI, 33 ; Apoc., V, 5) !

    Avec Isae (XXXV, 4-10), que le Messie devait gurir les aveugles, les estropis, les lpreux, les sourds-muets, toutes

    les infirmits de lme et du corps Et Jsus avait fait de si nombreux et si clatants miracles que Caphe avait tcontraint de scrier, en plein Sanhdrin : Cet homme fait beaucoup de miracles. Si nous Le laissons continuer, tous croi-ront en Lui(Jean, XI, 48 ; Matth., XI, 5) !

    Avec Zacharie (IX, 9), que le Messie devait faire une entre triomphale Jrusalem, ayant un ne pour monture EtJsus, au jour des Rameaux, mont comme les anciens prophtes, sur lhumble ne de Palestine, avait t acclam.(Matth., XXI, 4,5) !

    Voil ce que les membres du Sanhdrin avaient t contraints dapercevoir, de contempler, de constater.blouis par ces foyers de lumire, mais opinitres ainsi que lavaient t, aux origines de la cration, et galement au

    milieu de torrents de lumire, Lucifer et ses anges, ils ne purent se dcider reconnatre comme Messie un homme dontles dehors humilis contrariaient leurs rves dambition, et les vertus, les vices de leur vie. A leur ide, la mission duMessie ntait point de rgnrer le peuple dIsral et lhumanit. Elle devait consister uniquement centraliser dans J-rusalem tous les biens de ce monde, quapporteraient, comme dhumbles esclaves, les paens vaincus et humilis. Pre-nant donc le parti de dire ces lumires : Retirez-vous de nous !et repoussant toutes les prophties relatives au premieravnement, sauf celles qui annonaient le Messie comme fils dAbraham, parce que celles-l flattaient leur orgueil, ils sedcidrent se dbarrasser, dune manire ou de lautre, du vrai Messie, qui leur pesait.

    Dsormais, aveugls par la haine, ils allaient achever daccomplir, point par point, et sans sen rendre compte, lereste des prophties, celles qui avaient trait aux souffrances du Messie et Son crucifiement.

    Ce fut alors que, durant trois ans, fermenta, dans leur cur obstin et endurci, le plan infernal dtaill davance dansle livre de la Sagesse.

    Faisons tomber le Juste dans nos piges, parce quIl nous reproche les violations de la loi, et quIl nous amoindrit endnonant les fautes de notre conduite.

    Il assure quil a la science de Dieu. Il est devenu le censeur de nos penses mmes. Sa seule vue nous est insuppor-table, parce que Sa vie nest point semblable celle des autres, et quIl suit une voie diffrente de la leur. Il nous consi-dre comme des gens occups de choses vaines ; Il sabstient de notre manire de vivre, comme dune chose impure; ilprfre ce quattendent les justes, et Il se glorifie davoir Dieu pour pre.

    Voyons donc si Ses paroles sont vraies. prouvons ce qui Lui arrivera, et voyons ce que sera Sa fin. Car sIl est vrai-ment le Fils de Dieu, ce Dieu prendra Sa dfense, et Il Le dlivrera des mains de Ses ennemis.

    Interrogeons-Le par les outrages et par les tourments, afin que nous connaissions quelle est Sa douceur, et que nous

    ment, que pour indiquer, dune manire totale, ce que devait tre, daprs les prophtes, la gense du Messie.

  • 7/27/2019 lAbb Augustin Lmann - Le Christ rejet

    13/17

    13

    fassions lpreuve de Sa patience. CONDAMNONS-LE A LA MORT LA PLUS INFAME ; car si Ses paroles sont vritables, Dieuprendra soin de Lui.

    Cette description du complot ourdi par le Sanhdrin se termine, dans le livre de la Sagesse, par ce trait final :Voici ce quils ont machin, et ils ont err, parce que leur propre malice les a aveugls. (Sagesse, II,12-21)Cependant le Messie, ainsi mconnu et davance livr la mort, avait rsolu de tenter, dans un dernier effort damour,

    de les arracher cet aveuglement.Ce fut lheure mme de lexcution du complot quclata ce dernier effort de lamour.Nous arrivons au dnouement.Arrt dans le jardin de Gethsmani par la troupe quavait dirige lIscariote, Jsus, aprs avoir travers le torrent du

    Cdron, venait dtre amen et introduit dans la maison de Caphe.

    Le Sanhdrin, convoqu, sy trouvait runi.Il tait au grand complet, cest--dire avec les trois Chambres qui le constituaient : Chambre des grands prtres et

    prtres, Chambre des scribes, Chambre des anciens.Aprs un premier interrogatoire improductif de Jsus par Caphe, et aprs le soufflet donn la victime par un valet

    du grand prtre, comme Jsus avait protest avec douceur et dignit, en disant : Si Jai mal parl, rendez tmoignage dumal ; mais si Jai bien parl, pourquoi Me frappez-vous ?(Jean, XVIII,23) Il devenait impossible de Le condamner, si lonne produisait quelque tmoignage accusateur.

    Que fait alors le Sanhdrin ?Les princes des prtres et tout le conseil QUTAIENTun faux tmoignage contre Jsus pour le livrer la mort (Marc,

    XIV, 55 ; Matth., XXVI, 59-60) ;Cest--dire que le Sanhdrin dpche, parmi la foule, des satellites pour quter des tmoignages ; il ordonne mme

    que lon suborne des tmoins.Or, quarriva-t-il ?

    Beaucoup tmoignait faussement contre Jsus, et les tmoignages ne saccordaient pas (Marc. XVI, 56 ; Matth., XXV,59-60).

    L-dessus, apparition et triomphe de M. Havet, qui scrie : PuisquIl ne se trouvait pas deux tmoins qui vinssentdposer que Jsus stait donn pour tre le Christ, il me semble quil nen faut pas davantage pour conclure quen effetJsus na jamais dit quIl le ft (Revue des Deux Mondes, 1er avril 1881, p. 592).

    Inattendu professeur, votre intervention et vos paroles ne sont certainement pas la dcharge de laccus, puisquevotre but, bien avou, est damoindrir Jsus, en Le dpouillant de Sa mission, de Son caractre de Messie.

    Si vous avez daign poursuivre avec quelque attention la lecture de ce travail, labsence de faux tmoins, qui vinssentdposer que Jsus stait donn pour le Messie ne peut plus vous surprendre, ni dsormais vous servir dargument. Au-cun faux tmoin ne pouvait accuser Jsus de stre donn pour le Messie parce que, toutes ses affirmations catgori-ques, Jsus, dans lintrt de luvre vanglique accomplir, les avait prononces loin du Sanhdrin et des oreilles deses suppts. Et le silence de tous les faux tmoins, en plein Sanhdrin, restera comme le plus haut tmoignage de lad-mirable prudence de Jsus, et la plus forte preuve du dessein heureusement conduit jusquau bout.

    Mais puisque nous sommes actuellement dans la salle du Sanhdrin, veuillez y prendre place au milieu des scribes :cette place, vos sentiments, lendroit de Jsus, vous lont bien mrite ! Cest de Sa propre bouche que vous allez en-tendre ce quIl tait.

    Les membres du Sanhdrin qutaient donc inutilement, mme auprs de faux tmoins, un semblant de motif qui ptautoriser une condamnation.

    Accabl depuis trop longtemps par le silence accusateur de lAgneau muet, car Jsus se taisait pendant la dpositiondes faux tmoins, Caphe, qui veut en finir, se lve, et dune voix solennelle, il dit Jsus : Je tadjure par le Dieu vivantde nous dire si Tu es le Messie, le Fils du Dieu bni ?(Matth., XXVI, 63-65).

    Et Jsus lui dit :Je le suis! tu las dit. De plus, Je vous le dis, vous verrez, un jour le Fils de lhomme assis la droite de la majest de

    Dieu, et venant dans les nues du ciel(Marc, XIV, 61-62).On sait ce qui advint, la suite de cette rponse : tous les membres du Sanhdrin se levrent, en criant : Il est digne

    de mort !(Matth., XXVI, 66).Mais M. Havet se lve en mme temps, et rclame la parole :Ce rcit, observe-t-il, est invraisemblable au plus haut degr. La question du grand prtre est absurde : il pouvait

    bien demander Jsus : Est-il vrai que tu prtends tre le Christ ? il na pas pu lui dire : Est-ce toi qui es le Christ?(Revue des Deux Mondes, p. 592).

    Que le nouveau membre du Sanhdrin veuille bien nous excuser si nous sommes oblig de le dmentir. Loin dtreinvraisemblable, le rcit se trouve vrai, au premier chef. M. Haret na qu sapprocher du bureau de lAssemble pourprendre connaissance du procs-verbal. Ce procs-verbal, rdig scrupuleusement par deux scribes1, tmoignait que laquestion avait t pose par le grand prtre, telle quelle est rapporte par les vanglistes. Si nous navons plus au-jourdhui le texte de ce procs-verbal, cest quil a disparu, avec toutes les archives, dans lincendie du Temple. Cepen-dant, transporte dans la tradition juive, la question pose par Caphe se retrouve, en sa substance, dans les crits desrabbins2.

    Et cette question du grand prtre nest pas absurde, ainsi que la qualifie M. Havet. Au contraire, cest cette uniquequestion que tout se rduit. Elle seule est srieuse, au jugement mme de Caphe. Toutes les autres accusations dis-

    1 Le sanhdrin tait dispos en demi-cercle. Et chacune des deux extrmits de ce demi-cercle tait plac un secrtaire. (Mischna,trait Sanhdrin, chap. IV, n 3.)2 Voir texte en annexe.

  • 7/27/2019 lAbb Augustin Lmann - Le Christ rejet

    14/17

    14

    paraissent. Il ne sagit plus ni de tmoins ni de crimes. Un seul point, mais qui est dune consquence infinie, est posdevant le grand Conseil : cest de lauguste qualit de Messie quil est appel juger.

    Et Jsus rpondit donc :Je le suis !... de plus, Je vous le dis : vous verrez un jour le:Fils de lhomme assis la droite de la majest de Dieu,

    et venant dans les nues du ciel.Rponse... pas moins extraordinaire! murmure M. Havet en retournant sa place ; jamais, dans aucun procs rel,

    un accuse na rpondu ses juges sur ce ton l. (Revue des Deux Mondes, 1er avril 1881, p. 592).Il est vrai. Je suis de votre avis : la rponse est extraordinaire ; jamais, dans aucun procs, un accus na rpondu

    ses juges sur ce ton-l.Car avez-vous pes, approfondi tout ce que renfermait cette rponse?

    coutez, voici tout ce quelle renferme :Je vous dis plus que vous ne me demandez et que vous ne voudriez entendre; mais puisque vous employez lau-

    guste Nom de Mon Pre pour Mobliger rompre le silence, Je parlerai, non comme il vous plat, mais comme Mon PreMe lordonne : car cest de Moi quIl est crit : Je me suis tu jusqu cette heure, Je suis demeur dans le silence, Jai euune patience toute preuve ; mais enfin Je me ferai entendre comme une femme qui est dans les douleurs de lenfan-tement. Tacui semper, silui, patiens fui ; sicut parturiens loquar(Isae, XLII,14)

    Vous avez abus de Mon silence et vous Me lavez reproch, comme si Je navais rien eu rpondre aux faussesdpositions des tmoins. Vous avez cru que Je cachais, par timidit, ce que Je suis, et vous vous tes servi du Nom deMon Pre pour Me contraindre vous le dire ; mais vous navez connu ni les raisons de Mon silence ni les motifs qui Mele font rompre. Je me suis tu comme un agneau, et Je parle maintenant avec le rugissement et la voix terrible dun lion.Lune de ces qualits nempche pas lautre, et Je veux que, dans ma plus profonde humiliation, Je sois Moi-mme leprophte de la plus grande gloire qui Mest rserve. Je vous dclare donc tous que non seulement Je suis le Messie,mais quun jour nous Me verrez comme votre Juge, sur les nues du ciel !

    A ce moment, le Messie faisait plus que de soulever le voile : pour le Sanhdrin et tous les chefs du peuple, le voiletombait !

    Les chefs du peuple ont donc pleinement connu que Jsus tait le Messie.Ce quils ont ignor, cest que Jsus, le Messie, tait galement le Fils de Dieu 1. Laptre saint Paul lindique manifes-

    tement, dans ces paroles : Sils eussent connu le Seigneur de gloire, ils ne Lauraient jamais crucifi.Toutefois, il importe dobserver que cette ignorance de la divinit du Messie ne saurait excuser les chefs du peuple, ne

    saurait excuser le Sanhdrin.En eux, en effet, cette ignorance ntait pas involontaire, absolue, compatible avec la bonne foi et avec la doctrine du

    cur. Non ! cette ignorance de la divinit du Messie, elle-mme tait coupable. Leurs yeux en avaient vu des preu-ves trop videntes : par exemple, la rsurrection de Lazare, quils songrent un moment faire mourir, parce que sa sor-tie du tombeau les accablait : ils en voulaient la mort davoir obi la voix de Jsus (Jean, XII,9-11). Leurs oreilles ga-lement avaient entendu, de la bouche mme de Jsus, des dclarations trop formelles : par exemple, lorsquIl leur avaitdit : Moi et Mon Pre nous sommes une mme chose. Ils avaient alors ramass des pierres pour Le lapider. Et comme

    Jsus ajoutait : Jai fait devant vous beaucoup duvres merveilleuses par la vertu de Mon Pre; pour laquelle de cesuvres Me lapidez-vous ?Les chefs du peuple Lui avaient rpondu : Ce nest pas pour une bonne uvre que nous telapidons, mais pour un blasphme, et parce que toi, tant homme, tu te fais Dieu. Ils avaient donc vu des miracles et en-tendu des dclarations qui attestaient la divinit de Jsus ; ils auraient pu la connatre. Mais comme dj ils ne voulaientpas de Lui pour Messie, bien quils sussent quIl ltait, puisquils ne pouvaient, les prophties en main, sempcher de Lereconnatre ; de parti pris, ils fermrent les yeux devant les preuves de Sa divinit ; et, de leurs doigts, se bouchrent lesoreilles contre Ses dclarations : en sorte quils ne voulurent pas mme examiner si Jsus, le Messie, pouvait tre le Filsde Dieu. Tous les rayons de la lumire vinrent se heurter des volets obstinment ferms. En un mot, par haine duMessie connu, ils se refusrent examiner si ce Messie connu pouvait tre le Fils de Dieu.

    Cest ce que, dans le langage prcis, on appelle lignorance affecte.Dans lacte du Dicide, il y a donc, la charge du Sanhdrin, une double faute : connaissance claire que lhomme

    quil clouait la croix tait le Messie; ignorance coupable quIl tait Dieu.Cependant, parce que les membres du Sanhdrin ont, de fait, ignor que Jsus ft le Fils de Dieu, bien que ce ft par

    leur faute ; nanmoins, cest de cette ignorance de fait que semparent Jsus, sur la croix, et les Aptres, dans leurs pr-dications, pour leur obtenir, eux aussi, piti et misricorde. Ne pouvant les excuser sur le chef du Messie rejetsciemment, ni mme sur le chef du Fils de Dieu inconnu par ignorance affecte, ils vont, dans leur tendre charit, cher-cher comme un semblant de circonstance attnuante dans lignorance de fait de ce Jsus Fils de Dieu; ce qui leur permetde les excuser, comme parle la thologie, non in toto, sed in tanto.

    Et cest pourquoi, rapprochant cette ignorance de fait, la seule excuse du Sanhdrin, de lignorance bien moins cou-pable, qui avait t celle de la foule, Jsus et les Aptres enveloppent les uns et les autres, peuple et chefs du peuple,foule et Sanhdrin, dune unique charit, dune unique commisration, dun unique amour; et, sans faire toutes les dis-tinctions auxquelles ce travail nous a oblig, ils scrient : Frres, cest par ignorance que vous avez agi aussi bien quevos magistrats Mon Pre, Mon Pre, pardonnez-leur !

    En rsum :La foule a ignor dune faon coupable, parce quelle tait vincible, cest--dire surmontable, que Jsus ft le

    Messie et le Fils de Dieu. Son excuse, cest quelle a t trompe et prcipite dans lignorance par le Sanhdrin.Le Sanhdrin, au contraire, a ignor dune faon trs coupable, que Jsus ft le Fils de Dieu ; et il a mconnu,

    de parti pris, Celui quil savait positivement tre le Messie.

    1 Il sagit ici du Fils de Dieu par nature, et non pas par adoption.

  • 7/27/2019 lAbb Augustin Lmann - Le Christ rejet

    15/17

    15

    Dans le pch du Dicide, cest donc le Sanhdrin qui est et reste le grand coupable. Il a t lassemble detnbres, la mauvaise Assemble !

    Cependant il peut y avoir, ici-bas, une culpabilit plus grande encore que celle du Sanhdrin, cest lnormitdun chrtien qui, aprs avoir cru que Jsus est le Messie, Fils de Dieu, perd ensuite la foi par sa faute, Le renieet Le combat!

    CONCLUSION - LA CULPABILIT DE M. HAVET

    Il ne mappartient point de juger la conscience de M. Havet.Elle ne relve que de Dieu, de lglise et de lui-mme.

    Mais si la conscience dun homme demeure plus inviolable que le Saint des saints de lancien Temple, les actes quecet homme livre lui-mme la publicit, tombent sous lapprciation et le jugement de tous.

    A ce titre, jai le droit de juger luvre crite et publie dans la Revue des Deux Mondes.Mon jugement sera court : un seul mot, celui que saint Jean a montr sur le front de la bte de lApocalypse 1 :

    BLASPHME !Luvre de M. Havet nest pas autre chose, et elle est tout cela : Blasphme !Aprs avoir rfut lunique objection valable qui se rencontre dans cette uvre, je me suis demand si javais r-

    pondre aux tristes pages consacres tablir que Jsus ne fut quun hallucin.Il ma sembl que je navais point le faire.Dabord, parce que cette locution blasphmatoire nest pas nouvelle. M. Havet na pas mme le mrite de linvention ;

    il est all la ramasser au milieu des rires et des orgies de la cour dHrode Antipas, lamant dHrodiade et le profanateurde la femme de son frre2.

    Ensuite, parce quun blasphme ne se rfute pas. On le dfre la justice de Dieu, et le blasphmateur Sa misri-

    corde !Toutefois, autour du blasphme de M. Havet, il y a dautres paroles, qui relvent de la svrit humaine. Ce sont cel-

    les-ci :La critique moderne voit dans les inspirs ou illumins des malades chez qui lintelligence est surexcite jusqu en

    tre trouble. Elle na pas craint