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« Sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire. » (Lénine, 1902, Que faire ?) Les dossiers du PCMLM Seconde affirmation de la science L'accumulation du capital selon Karl Marx Février 2015 (1 re édition) Parti Communiste Marxiste-Léniniste-Maoïste de France

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« Sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire. »

(Lénine, 1902, Que faire ?)

Les dossiers du PCMLMSeconde affirmation de la science

L'accumulation du capital selon Karl Marx

Février 2015 (1re édition)

Parti Communiste Marxiste-Léniniste-Maoïste de France

Les dossiers du PCMLM

Table des matières1. « Identité de deux termes opposés en apparence ».................................................................................22. Plus de productivité, moins de prolétaires, plus de prolétaires..............................................................33. Le paupérisme comme loi générale.........................................................................................................44. La base de l'accumulation primitive.......................................................................................................65. Le fermier capitaliste..............................................................................................................................86. Du capital commercial et usuraire au capitaliste en tant que tel...........................................................97. Production et moyens de production....................................................................................................118. L'erreur de Rosa Luxembourg..............................................................................................................12

1. « Identité de deux termesopposés en apparence »

Comment le capitalisme a-t-il commencé ?C'est là une question essentielle, qui détermineégalement comment il fait pour grandir, pours'élargir, pour s'approfondir, pour s'intensifierou, plus précisément sans doute, pour se dilater.Cette question, c'est celle de l'accumulation ducapital. Le problème évident étant ici que si onpeut comprendre que le capital s'accumule unefois qu'il est lancé, comment a-t-il fait justementpour se lancer ? Comment quelque chose de noncapitaliste a-t-il pu donner naissance aucapital ? Et si c'est le cas, pourquoi ne paspenser, comme le fit Rosa Luxembourg dans sonouvrage L'accumulation du capital, que lecapital a besoin pour grandir de zones noncapitalistes à intégrer ?

De fait, si une grande figure comme RosaLuxembourg a pu se tromper de manièredécisive à ce sujet, on comprend la difficulté dela question. Aussi a-t-il lieu d'avoir un aperçuprécis dès le départ, et pour cela il faut saisir lasubstance de la question. Ce qu'on appelle« accumulation du capital » est un aspect d'unechose, dont l'autre aspect est le renforcement duprolétariat. Sans prolétaires, pas de profit, doncle capital ne peut que s'accumuler que s'ilintègre toujours plus de prolétaires.

La question ne peut se saisir qu'à travers cesdeux aspects. Karl Marx nous dit ainsi :

« Les circonstances plus ou moinsfavorables au milieu desquelles la classeouvrière se reproduit et se multiplie nechangent rien au caractère fondamental dela reproduction capitaliste.De même que la reproduction simpleramène constamment le même rapportsocial - capitalisme et salariat ainsil'accumulation ne fait que reproduire cerapport sur une échelle égalementprogressive, avec plus de capitalistes (oude plus gros capitalistes) d'un côté, plusde salariés de l'autre.La reproduction du capital renferme cellede son grand instrument de mise envaleur, la force de travail. Accumulationdu capital est donc en même tempsaccroissement du prolétariat.Cette identité - de deux termes opposés enapparence Adam Smith, Ricardo et autresl'ont si bien saisie, que pour euxl'accumulation du capital n'est mêmeautre chose que la consommation par destravailleurs productifs de toute la partiecapitalisée du produit net, ou ce quirevient au même, sa conversion en unsupplément de prolétaires. »

Ainsi, on a une contradiction, avec ses deuxaspects, qui sont identiques dans le capitalismemais tendent bien entendu à se diviser. Lecapitalisme produit son propre fossoyeur, et plusil grandit, plus il renforce sa propre mise àmort.

L'une des conceptions idéalistes qu'onretrouve ici est de faire « sauter » la variable

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L'accumulation du capital selon Karl Marx

des salaires afin de provoquer la révolution. Eneffet, les salaires augmentent si l'accumulationdu capital connaît un cycle de croissance rapide,et inversement baisse dans le cas inverse.

Voici ce que dit Karl Marx :

« Si le quantum de travail gratuit que laclasse ouvrière rend, et que la classecapitaliste accumule, s'accroît assezrapidement pour que sa conversion encapital additionnel nécessite unsupplément extraordinaire de travail payé,le salaire monte et, toutes autrescirconstances restant les mêmes, le travailgratuit diminue proportionnellement.Mais, dès que cette diminution touche aupoint où le surtravail, qui nourrit lecapital, ne paraît plus offert en quantiténormale, une réaction survient, unemoindre partie du revenu se capitalise,l'accumulation se ralentit et le mouvementascendant du salaire subit un contrecoup.Le prix du travail ne peut donc jamaiss'élever qu'entre des limites qui laissentintactes les bases du système capitaliste eten assurent la reproduction sur une échelleprogressive. »

Par conséquent, si on arrive à découpler lessalaires de ces cycles – pensent les idéalistes –alors le capitalisme ne peut plus suivre et leprolétariat exigeant ses salaires est obligé de sesdébarrasser des bourgeois. C'est le point de vuede Léon Trotsky dans son Programme detransition ou bien de Toni Negri avec sonmouvement italien des années 1970 appelée« Autonomie ouvrière ».

C'est une vision simpliste, de type

syndicaliste, où un seul bourgeois fait face à unseul prolétaire, et non plus des classes socialesau sein d'un mode de production. Il y a uneincompréhension fondamentale du processusd'accumulation du capital.

Mais qu'est-ce donc précisément quel'accumulation du capital ?

2. Plus de productivité, moins deprolétaires, plus de prolétaires

Pour comprendre l'accumulation du capital,il faut se rappeler que le capital est du travailaccumulé. Ainsi, si le capital s'accumule, alorsles forces de production s'accumulent également– pas seulement le prolétariat, les forcesproductives aussi.

C'est précisément ce que ne voient pas lesidéalistes raisonnant seulement en termes desalaires (et par conséquent Léon Trotsky, dansle Programme de transition, était obligé deprétexter que les forces productives auraientcessé de croître, afin de justifier sa propreposition).

Voici comment Karl Marx parle del'accroissement des moyens de production :

« Les uns, tels que machines, édifices,fourneaux, appareils de drainage, engraisminéraux, etc., sont augmentés en nombre,étendue, masse et efficacité, pour rendre letravail plus productif, tandis que lesautres, matières premières et auxiliaires,s'augmentent parce que le travail devenuplus productif en consomme davantagedans un temps donné. »

Ce que cela signifie, c'est que les prolétairesproduisent toujours davantage, profitant demoyens de production toujours plusperformants. C'est là bien entendu la missionhistorique du capitalisme : rassembler les êtreshumains pour travailler en commun et permettrel'avènement de grands moyens de production.

Plus le capital s'accumule, plus il accordeune partie significative aux moyens deproduction ; Karl Marx nous décrit ainsi que :

« Ces changements dans la compositiontechnique du capital se réfléchissent danssa composition-valeur, dans

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l'accroissement progressif de sa partieconstante aux dépens de sa partievariable, de manière que si, par exemple, àune époque arriérée de l'accumulation, ilse convertit cinquante pour cent de lavaleur-capital en moyens de production, etcinquante pour cent en travail, à uneépoque plus avancée il se dépenseraquatre-vingts pour cent de la valeur-capital en moyens de production et vingtpour cent seulement en travail.Ce n'est pas, bien entendu, le capital toutentier, mais seulement sa partie variable,qui s'échange contre la force ouvrière etforme le fonds à répartir entre lessalariés. »

On voit ici tout de suite la contradiction : siles moyens de production prennent une placetoujours plus prépondérante pour le capital,alors plus le prolétariat travaille, plus il affaiblitsa position dans le capital. C'est ce que Marxconstate en disant :

« En produisant l'accumulation ducapital, et à mesure qu'elle y réussit, laclasse salariée produit donc elle-même lesinstruments de sa mise en retraite ou desa métamorphose en surpopulationrelative.Voilà la loi de population qui distinguel'époque capitaliste et correspond à sonmode de production particulier. En effet,chacun des modes historiques de laproduction sociale a aussi sa loi depopulation propre, loi qui ne s'appliquequ'à lui, qui passe avec lui et n'a parconséquent qu'une valeur historique. »

On retombe alors sur une contradiction : plusle capital s'accumule, plus il emploie desprolétaires, mais plus il en emploie, plus la partdédiée aux moyens de production devientimportante, et moins il y a de prolétaires !

Cela semble contradictoire, et de plus KarlMarx en fait même une loi. Il parle ainsi deschômeurs comme d'une armée de réserveindustrielle :

« Si l'accumulation, le progrès de larichesse sur la base capitaliste, produitdonc nécessairement une surpopulationouvrière, celle-ci devient à son tour lelevier le plus puissant de l'accumulation,une condition d'existence de la productioncapitaliste dans son état dedéveloppement intégral.Elle forme une armée de réserveindustrielle qui appartient au capitald'une manière aussi absolue que s'il l'avaitélevée et disciplinée à ses propres frais.

Elle fournit à ses besoins de valorisationflottants, et, indépendamment del'accroissement naturel de la population,la matière humaine toujours exploitable ettoujours disponible.La présence de cette réserve industrielle,sa rentrée tantôt partielle, tantôt générale,dans le service actif, puis sa reconstitutionsur un cadre plus vaste, tout cela seretrouve au fond de la vie accidentée quetraverse l'industrie moderne. »

C'est à ne plus rien y comprendre. Où est-ceque Karl Marx veut en venir, comment a-t-ilcompris ce qui apparaît commeincompréhensible, voire franchementmystérieux ?

3. Le paupérisme comme loi générale

Tous les problèmes auxquels nous avons étéconfrontés pour comprendre l'accumulation ducapital disparaissent quand on a compris la loigénérale de l'accumulation capitaliste. Et cetteloi, qui permet de comprendre l'identité descontraires accumulation du capital /accumulation du prolétariat, c'est celle dupaupérisme.

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En fait, nous avons constaté descontradictions... mais il nous en manquait une.Nous avons en effet vu que, d'une certainemanière, on pouvait constater que plus lecapital s'accumule, plus il emploie desprolétaires, mais plus il en emploie, plus la partdédiée aux moyens de production devientimportante, et moins il y a de prolétaires !

Tout prend un sens si on comprend que lesprolétaires ne sont qu'une variable de laproduction, et que, qui plus est, il existe unformidable accroissement du rendementindividuel de chaque prolétaire, au fur et àmesure de l'accumulation du capital.

Ainsi, il y a moins de prolétaires dans lesproductions existant au préalable ; maisinversement l'accroissement des moyens deproduction permet d'ouvrir de nouvellesperspectives productives, qui se mettent àenglober des prolétaires.

Et le cycle recommence, avec à chaque fois demeilleurs moyens de production, ouvrant desproductions nouvelles, avec toujours plus deprolétaires. Et dans ce processus, les prolétairessont payés de moins en moins, devenanttoujours plus une simple variable d'ajustement àla production nécessaire, production ayantconsidérablement élevé ses moyens deproduction.

Une production nouvelle se lançant englobetoujours plus de prolétaires si elle trouve unmarché pour ses produits, puis passé un cap,tente de se passer toujours davantage deprolétaires au moyen des moyens de productionplus perfectionnés.

Karl Marx constate ainsi :

« La loi selon laquelle une masse toujoursplus grande des éléments constituants dela richesse peut, grâce au développementcontinu des pouvoirs collectifs du travail,être mise en œuvre avec une dépense deforce humaine toujours moindre, cette loiqui met l'homme social à même deproduire davantage avec moins de labeur,se tourne dans le milieu capitaliste - où cene sont pas les moyens de production quisont au service du travailleur, mais letravailleur qui est au service des moyens

de production - en loi contraire, c'est-à-dire que, plus le travail gagne enressources et en puissance, plus il y apression des travailleurs sur leurs moyensd'emploi, plus la condition d'existence dusalarié, la vente de sa force, devientprécaire.L'accroissement des ressorts matériels etdes forces collectives du travail, plusrapide que celui de la population,s'exprime donc en la formule contraire,savoir : la population productive croittoujours en raison plus rapide que lebesoin que le capital peut en avoir.L'analyse de la plus-value relative nous aconduit à ce résultat : dans le systèmecapitaliste toutes les méthodes pourmultiplier les puissances du travailcollectif s'exécutent aux dépens dutravailleur individuel; tous les moyenspour développer la production setransforment en moyens de dominer etd'exploiter le producteur : ils font de luiun homme tronqué, fragmentaire, oul'appendice d'une machine; ils luiopposent comme autant de pouvoirshostiles les puissances scientifiques de laproduction-, ils substituent au travailattrayant le travail forcé; ils rendent lesconditions dans lesquelles le travail se faitde plus en plus anormales et soumettentl'ouvrier durant son service à undespotisme aussi illimité que mesquin; ilstransforment sa vie entière en temps detravail et jettent sa femme et ses enfantssous les roues du Jagernaut capitaliste.Mais toutes les méthodes qui aident à laproduction de la plus-value favorisentégalement l'accumulation, et touteextension de celle-ci appelle à son tourcelles-là. Il en résulte que, quel que soit letaux des salaires, haut ou bas, lacondition du travailleur doit empirer àmesure que le capital s'accumule.Enfin la loi, qui toujours équilibre leprogrès de l'accumulation et celui de lasurpopulation relative, rive le travailleurau capital plus solidement que les coins deVulcain ne rivaient Prométhée à sonrocher.C'est cette loi qui établit une corrélationfatale entre l'accumulation du capital etl'accumulation de la misère, de telle sortequ'accumulation de richesse à un pôle,c'est égale accumulation de pauvreté, desouffrance, d'ignorance, d'abrutissement,de dégradation morale, d'esclavage, aupôle opposé, du côté de la classe quiproduit le capital même.Ce caractère antagoniste de la productioncapitaliste a frappé même deséconomistes, lesquels d'ailleurs confondentsouvent les phénomènes par lesquels il semanifeste avec des phénomènes analogues,mais appartenant à des ordres de

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production sociale antérieurs. »

Le « caractère antagoniste » : voilà lasolution. Nous avons deux contraires qui, demanière dialectique, sont identiques pour lemoment, dans le capitalisme : accumulation ducapital et accumulation des prolétaires.

Mais les prolétaires prennent une parttoujours moins grande dans les investissementsdu capital : c'est là précisément le « problème »de l'accumulation du capital. Et nous pouvonsainsi enfin définir ce dont il s'agit, et déjà d'oùil vient.

4. La base de l'accumulation primitive

La compréhension de la nature du rapportentre les deux contraires accumulation ducapital et accumulation des prolétaires – ayantcomme contradiction interne le paupérisme -permet de saisir d'où vient l'accumulation ducapital.

En effet, pour qu'il y ait capital, il faut desprolétaires, et donc tout doit venir de là. Or,d'où viennent les prolétaires ? Ils viennent descampagnes. Or, s'ils n'y sont pas restés, c'estqu'ils ont été obligés de partir, et d'être dans unstatut où ils pouvaient passer sous la coupe ducapital.

Voici ce que nous dit Karl Marx à ce sujet :

« Au fond du système capitaliste il y adope la séparation radicale du producteurd'avec les moyens de production. Cetteséparation se reproduit sur une échelleprogressive dès que le système capitalistes'est une fois établi; mais comme celle-làforme la base de celui-ci, il ne sauraits'établir sans elle.Pour qu'il vienne au monde, il faut doncque, partiellement au moins, les moyens deproduction aient déjà été arrachés sansphrase aux producteurs, qui lesemployaient à réaliser leur propre travail,et qu'ils se trouvent déjà détenus par desproducteurs marchands, qui eux lesemploient à spéculer sur le travaild'autrui. Le mouvement historique qui faitdivorcer le travail d'avec ses conditionsextérieures, voilà donc le fin mot del'accumulation appelée « primitive » parcequ'elle appartient à l'âge préhistorique dumonde bourgeois.

L'ordre économique capitaliste est sortides entrailles de l'ordre économiqueféodal. La dissolution de l'un a dégagé leséléments constitutifs de l'autre.Quant au travailleur, au producteurimmédiat, pour pouvoir disposer de sapropre personne, il lui fallait d’abordcesser d'être attaché à la glèbe ou d'êtreinféodé à une autre personne; il nepouvait non plus devenir libre vendeur detravail, apportant sa marchandise partoutoù elle trouve un marché, sans avoiréchappé au régime des corporations, avecleurs maîtrises, leurs jurandes, leurs loisd'apprentissage, etc.Le mouvement historique qui convertit lesproducteurs en salariés se présente donccomme leur affranchissement du servage etde la hiérarchie industrielle. De l'autrecôté, ces affranchis ne deviennent vendeursd'eux-mêmes qu'après avoir été dépouillésde tous leurs moyens de production et detoutes les garanties d'existence offertespar l'ancien ordre des choses.L'histoire de leur expropriation n'est pasmatière à conjecture - elle est écrite dansles annales de l'humanité en lettres desang et de feu indélébiles.Quant aux capitalistes entrepreneurs, cesnouveaux potentats avaient non seulementà déplacer les maîtres des métiers, maisaussi les détenteurs féodaux des sources dela richesse.Leur avènement se présente de ce côté-làcomme le résultat d'une lutte victorieusecontre le pouvoir seigneurial, avec sesprérogatives révoltantes, et contre lerégime corporatif avec les entraves qu'ilmettait au libre développement de laproduction et à la libre exploitation del'homme par l'homme. Mais les chevaliersd'industrie n'ont supplanté les chevaliersd'épée qu'en exploitant des événementsqui n'étaient pas de leur propre fait. Ilssont arrivés par des moyens aussi vils queceux dont se servit l'affranchi romain pourdevenir le maître de son patron.L'ensemble du développement, embrassantà la fois le genèse du salarié et celle ducapitaliste, a pour point de départ laservitude des travailleurs; le progrès qu'ilaccomplit consiste à changer la forme del'asservissement, à amener lamétamorphose de l'exploitation féodale enexploitation capitaliste. Pour en fairecomprendre la marche, il ne nous faut pasremonter trop haut.Bien que les premières ébauches de laproduction capitaliste aient été faites debonne heure dans quelques villes de laMéditerranée, l'ère capitaliste ne date quedu XVIe siècle. Partout où elle éclot,l'abolition du servage est depuislongtemps un fait accompli, et le régimedes villes souveraines, cette gloire du

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L'accumulation du capital selon Karl Marx

moyen âge, est déjà en pleine décadence.Dans l'histoire de l'accumulationprimitive, toutes les révolutions quiservent de levier à l'avancement de laclasse capitaliste en voie de formation fontépoque, celles, surtout qui, dépouillant degrandes masses de leurs moyens deproduction et d'existence traditionnels, leslancent à l'improviste sur le marché dutravail. Mais la base de toute cetteévolution, c'est l'expropriation descultivateurs.Elle ne s'est encore accomplie d'unemanière radicale qu'en Angleterre (…). Laspoliation des biens d'église, l'aliénationfrauduleuse des domaines de l'État, lepillage des terrains communaux, latransformation usurpatrice et terroriste dela propriété féodale ou même patriarcaleen propriété moderne privée, la guerre auxchaumières, voilà les procédés idylliquesde l'accumulation primitive. Ils ontconquis la terre à l'agriculture capitaliste,incorporé le sol au capital et livré àl'industrie des villes les bras dociles d'unprolétariat sans feu ni lieu. »

En brisant l'économie traditionnelle descampagnes, en s'appropriant les terres, lescapitalistes ont forcé – par la violence étatiquede la monarchie absolue - toute une partie de lapopulation à se placer dans une situation dedépendance dans les villes.

Ce processus est lent et contradictoire, car leféodalisme est encore puissant, aussi y eut-il desmeurtres en masse, afin de liquider la« surpopulation ». Karl Marx constate ainsi :

« La création du prolétariat sans feu nilieu - licenciés des grands seigneursféodaux et cultivateurs victimes

d'expropriations violentes et répétées -allait nécessairement plus vite que sonabsorption par les manufacturesnaissantes.D'autre part, ces hommes brusquementarrachés à leurs conditions de viehabituelles ne pouvaient se faire aussisubitement à la discipline du nouvel ordresocial. Il en sortit donc une masse demendiants, de voleurs, de vagabonds. Delà, vers la fin du XV° siècle et pendanttout le XVI°, dans l'ouest de l'Europe,une législation sanguinaire contre levagabondage. »

Et Karl Marx de raconter cette histoireterrible, constatant entre autres :

« Elisabeth, 1572. - Les mendiants sanspermis et âgés de plus de quatorze ansdevront être sévèrement fouettés etmarqués au fer rouge à l'oreille gauche, sipersonne ne veut les prendre en servicependant deux ans. En cas de récidive,ceux âgés de plus de dix-huit ans doiventêtre exécutés si personne ne veut lesemployer pendant deux années. Mais, prisune troisième fois, ils doivent être mis amort sans miséricorde comme félons (…).En France, où vers la moitié du XVII°siècle les truands avaient établi leurroyaume et fait de Paris leur capitale, ontrouve des lois semblables. Jusqu'aucommencement du règne de Louis XVI(ordonnance (lu 13 juillet 1777), touthomme sain et bien constitué, âgé de seizeà soixante ans et trouvé sans moyensd'existence et sans profession, devait êtreenvoyé aux galères. Il en est de même dustatut de Charles-Quint pour les Pays-Bas, du mois d'octobre 1537, du premierédit des états et des villes de Hollande, du19 mars 1614, de celui des Provinces-Unies, du 25 juin 1649, etc.C'est ainsi que la population descampagnes, violemment expropriée etréduite au vagabondage, a été rompue à ladiscipline qu'exige le système du salariatpar des lois d'un terrorisme grotesque, parle fouet, la marque au fer rouge, la tortureet l'esclavage (…).Dès le début de la tourmenterévolutionnaire, la bourgeoisie françaiseosa dépouiller la classe ouvrière du droitd'association que celle-ci venait à peine deconquérir. Par une loi organique du 14juin 1791, tout concert entre lestravailleurs pour la défense de leursintérêts communs fut stigmatisé d'attentat« contre la liberté et la déclaration desdroits de l'homme », punissable d'uneamende de 500 livres, jointe à la privationpendant un an des droits de citoyen actif.Ce décret qui, à l'aide du code pénal et dela police, trace à la concurrence entre le

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capital et le travail des limites agréablesaux capitalistes, a survécu aux révolutionset aux changements de dynasties. Lerégime de la Terreur lui-même n'y a pastouché. Ce n'est que tout récemment qu'Ila été effacé du code pénal, et encore avecquel luxe de ménagements ! »

Telle est la base nécessaire à l'accumulationcapitaliste.

5. Le fermier capitaliste

Nous avons vu quelle a été la base del'accumulation primitive : le fait que despaysans aient été chassés de leur ancien modede vie, et ainsi rendus disponibles pour lecapital. Mais cela ne suffit pas ; comme KarlMarx le constate :

« Après avoir considéré la créationviolente d'un prolétariat sans feu ni lieu,la discipline sanguinaire qui le transformeen classe salariée, l'intervention honteusede l'État, favorisant l'exploitation dutravail - et, partant, l'accumulation ducapital - du renfort de sa police, nous nesavons pas encore d'où viennent,originairement, les capitalistes. Car il estclair que l'expropriation de la populationdes campagnes n'engendre directementque de grands propriétaires fonciers. »

Or, les grands propriétaires fonciers sont desféodaux, pas des capitalistes. Cependant, cespropriétaires fonciers vont en Angleterre utiliserd'anciens serfs comme « fermiers » devant gérerles terres, et pour cela employant destravailleurs journaliers. Très vite, il devientindépendant, payant un loyer au propriétaire.

Il faut bien noter ici qu'il existait déjà, lorsde la féodalité développée, des gens aux statutsintermédiaires. Karl Marx note ainsi :

« Entre le seigneur féodal et sesdépendants à tous les degrés de vassalité,il y avait un agent intermédiaire quidevint bientôt homme d'affaires, et dont laméthode d'accumulation primitive, demême que celle des hommes de financeplacés entre le trésor publie et la boursedes contribuables, consistait enconcussions, malversations et escroqueriesde toute sorte.Ce personnage, administrateur etpercepteur des droits, redevances, renteset produits quelconques dus au seigneur,s'appela en Angleterre, Steward, enFrance régisseur. Ce régisseur était parfoislui-même un grand seigneur. On lit, par

exemple, dans un manuscrit originalpublié par Monteil : « C'est le compte quemessire Jacques de Thoraine, chevalierchastelain sor Bezançon rent ès seigneur,tenant les comptes à Dijon pourmonseigneur le duc et conte de Bourgognedes rentes appartenant à laditechastellenie depuis le XXV° jour dedécembre MCCCLX jusqu'au XXVIII°jour de décembre MCCCLX, etc. » (AlexisMonteil : Traité des matériaux manuscritsde divers genres d'histoire, p. 234.)

On remarquera que dans toutes lessphères de la vie sociale, la part du lionéchoit régulièrement à l'intermédiaire.Dans le domaine économique, parexemple, financiers, gens de bourse,banquiers, négociants, marchands, etc.,écrèment les affaires; en matière civile,l'avocat plume les parties sans les fairecrier; en politique, le représentantl'emporte sur son commettant, le ministresur le souverain, etc.; en religion, lemédiateur éclipse Dieu pour être à sontour supplanté par les prêtres,intermédiaires obligés entre le bon pasteuret ses ouailles.En France, de même qu'en Angleterre, lesgrands domaines féodaux étaient divisésen un nombre infini de parcelles, maisdans des conditions bien plus défavorablesaux cultivateurs. L'origine des fermes outerriers y remonte au XIV° siècle.Ils allèrent en s'accroissant et leur chiffrefinit par dépasser cent mille. lis payaienten nature ou en argent une rente foncière

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variant de la douzième à la cinquièmepartie du produit. Les terriers, fiefs,arrière-fiefs, etc., suivant la valeur etl'étendue du domaine, ne comprenaientparfois que quelques arpents de terre.Ils possédaient tous un droit de juridictionqui était de quatre degrés. L'oppressiondu peuple, assujetti à tant de petitstyrans, était naturellement affreuse.D'après Monteil, il y avait alors en Francecent soixante mille justices féodales, là oùaujourd'hui quatre mille tribunaux oujustices de paix suffisent. »

Il en résulta une croissance de la productionagricole, parallèle à l'émigration des ancienspaysans dans les villes, pouvant et devantdésormais travailler pour le capitalistes pouracheter leur nourriture.

Cette perte d'autonomie, d'indépendanceindividuelle paysanne, forma bien entendu labase du romantisme ; c'est un grand argumentdu proudhonisme que de regretter cette période.De plus, le processus fut long et nécessita pourun temps l'existence de petits laboureurs. Voicicomment Karl Marx décrit ce processus :

« Les événements qui transforment lescultivateurs en salariés, et leurs moyens desubsistance et de travail en élémentsmatériels du capital, créent à celui-ci sonmarché intérieur. Jadis la même famillepaysanne façonnait d'abord, puisconsommait directement - du moins engrande partie - les vivres et les matièresbrutes, fruits de son travail.Devenus maintenant marchandises, ils sontvendus en gros par le fermier, auquel lesmanufactures fournissent le marché.D'autre part, les ouvrages tels que fils,toiles, laineries ordinaires, etc., - dont lesmatériaux communs se trouvaient à laportée de toute famille de paysans -jusque-là produits à la campagne, seconvertissent dorénavant en articles demanufacture auxquels la campagne sert dedébouché, tandis que la multitude dechalands dispersés, dontl'approvisionnement local se tirait endétail de nombreux petits producteurstravaillant tous à leur compte, seconcentre dès lors et ne forme plus qu'ungrand marché pour le capital industriel.C'est ainsi que l'expropriation despaysans, leur transformation en salariés,amène l'anéantissement de l'industriedomestique des campagnes, le divorce del'agriculture d'avec toute sorte demanufacture. Et, en effet, cetanéantissement de l'industrie domestiquedu paysan peut seul donner au marché

intérieur d'un pays l'étendue et laconstitution qu'exigent les besoins de laproduction capitaliste.Pourtant la période manufacturièreproprement dite ne parvient point àrendre cette révolution radicale. Nousavons vu qu'elle ne s'empare de l'industrienationale que d'une manière fragmentaire,sporadique, ayant toujours pour baseprincipale les métiers des villes etl'industrie domestique des campagnes.Si elle détruit celle-ci sous certainesformes, dans certaines branchesparticulières et sur certains points, elle lafait naître sur d'autres, car elle ne sauraits'en passer pour la première façon desmatières brutes.Elle donne ainsi lieu à la formation d'unenouvelle classe de petits laboureurs pourlesquels la culture du sol devientl'accessoire, et le travail industriel, dontl'ouvrage se vend aux manufactures, soitdirectement, soit par l'intermédiaire ducommerçant, l'occupation principale. Il enfut ainsi, par exemple, de la culture du linsur la fin du règne d'Elisabeth.C'est là une des circonstances quidéconcertent lorsqu'on étudie de prèsl'histoire de l'Angleterre. En effet, dès ledernier tiers du XV° siècle, les plaintescontré l'extension croissante del'agriculture capitaliste et la destructionprogressive des paysans indépendants necessent d'y retentir que pendant de courtsintervalles, et en même temps on retrouveconstamment ces paysans, quoique ennombre toujours moindre et dans desconditions de plus en plus empirées. »

Le fermier capitaliste permet ainsihistoriquement la production agricole nécessaireà l'apparition des prolétaires.

6. Du capital commercial et usuraireau capitaliste en tant que tel

Le fermier capitaliste ne suffit pas à donnerle véritable élan au capitalisme, il fautl'industriel capitaliste. Il faut davantage demoyens, et ceux-ci ne pouvaient être fournis quepar la société passée, aussi faut-il regarder dansla féodalité où est-ce qu'on trouve du capital,c'est-à-dire du travail accumulé.

Karl Marx constate ainsi que :

« Le moyen-âge avait transmis deuxespèces de capital, qui poussent sous lesrégimes d'économie sociale les plus divers,et même qui, avant l'ère moderne,monopolisent à eux seuls le rang de

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capital. C'est le capital usuraire et lecapital commercial. »

Que se passe-t-il alors ? Les banquiers et lesmarchands sont utiles aux rois, qui lessoutiennent ; inversement, les féodaux et lescorporations s'opposent à eux. Mais par lamontée en puissance de la monarchie absolue,des découvertes scientifiques et territoriales, lasituation change.

Voici comment Karl Marx décrit ceprocessus :

« La constitution féodale des campagneset l'organisation corporative des villesempêchaient le capital-argent, formé parla double voie de l'usure et du commerce,de se convertir en capital industriel.Ces barrières tombèrent avec lelicenciement des suites seigneuriales, avecl'expropriation et l'expulsion partielle descultivateurs, mais on peut juger de larésistance que rencontrèrent lesmarchands, sur le point de se transformeren producteurs marchands, par le fait queles petits fabricants de draps de Leedsenvoyèrent, encore en 1794, unedéputation au Parlement pour demanderune loi qui interdit à tout marchand dedevenir fabricant.Aussi les manufactures nouvelless'établirent-elles de préférence dans lesports de mer, centres d'exportation, ouaux endroits de l'intérieur situés hors ducontrôle du régime municipal et de sescorps de métiers. De là, en Angleterre,lutte acharnée entre les vieilles villesprivilégiées (Corporate towns) et cesnouvelles pépinières d'industrie. Dansd'autres pays, en France, par exemple,celles-ci furent placées sous la protectionspéciale des rois.La découverte des contrées aurifères etargentifères de l'Amérique, la réductiondes indigènes en esclavage, leurenfouissement dans les mines ou leurextermination, les commencements deconquête et de pillage aux Indesorientales, la transformation de l'Afriqueen une sorte de garenne commerciale pourla chasse aux peaux noires, voilà lesprocédés idylliques d'accumulationprimitive qui signalent l'ère capitaliste àson aurore.Aussitôt après, éclate la guerre mercantile;elle a le globe entier pour théâtre.S'ouvrant par la révolte de la Hollandecontre l'Espagne, elle prend desproportions gigantesques dans la croisadede l'Angleterre contre la Révolutionfrançaise et se prolonge, jusqu'à nos jours,en expéditions de pirates, comme les

fameuses guerres d'opium contre la Chine.Les différentes méthodes d'accumulationprimitive que l'ère capitaliste fait éclore separtagent d'abord, par ordre plus oumoins chronologique, le Portugal,l'Espagne, la Hollande, la France etl'Angleterre, jusqu'à ce que celle-ci lescombine toutes, au dernier tiers du XVIIesiècle, dans un ensemble systématique,embrassant à la fois le régime colonial, lecrédit public, la finance moderne et lesystème protectionniste.Quelques-unes de ces méthodes reposentsur l'emploi de la force brutale, maistoutes sans exception exploitent le pouvoirde l'État, la force concentrée et organiséede la société, afin de précipiterviolemment le passage de l'ordreéconomique féodal à l'ordre économiquecapitaliste et d'abréger les phases detransition. Et, en effet, la force estl'accoucheuse de toute vieille société entravail. La force est un agentéconomique. »La révolte de la Hollande contre l'Espagnemarque un tournant historique dans lalibération des forces capitalistes parrapport à la monarchie absolue elle-même ; Karl Marx pouvait ainsi constaterque « la Hollande était au XVII° siècle lanation capitaliste par excellence ».

Il faut bien comprendre ici que c'est leprocessus du commerce qui permit d'accumulerdu capital pour l'industrie, et non pas lecontraire. Ce sont les marchands qui,accumulant des richesses et profitant ducolonialisme, avec le soutien de l’État de lamonarchie absolue profitant de cela, seconstituèrent en nouvelle classe bourgeoise.

Karl Marx nous enseigne ainsi :

« Le régime colonial donna un grand essorà la navigation et au commerce. Il enfantales sociétés mercantiles, dotées par lesgouvernements de monopoles et deprivilèges et servant de puissants leviers àla concentration des capitaux. Il assuraitdes débouchés aux manufacturesnaissantes, dont la facilité d'accumulationredoubla, grâce au monopole du marchécolonial.Les trésors directement extorqués hors del'Europe par le travail forcé des indigènesréduits en esclavage, par la concussion, lepillage et le meurtre refluaient à la mèrepatrie pour y fonctionner comme capital.La vraie initiatrice du régime colonial, laHollande, avait déjà, en 1648, atteintl'apogée de sa grandeur.Elle était en possession presque exclusivedu commerce des Indes orientales et des

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L'accumulation du capital selon Karl Marx

communications entre le sud-ouest et lenord-est de l'Europe. Ses pêcheries, samarine, ses manufactures dépassaientcelles des autres pays. Les capitaux de laRépublique étaient peut-être plusimportants que tous ceux du reste del'Europe pris ensemble.

De nos jours, la suprématie industrielleimplique la suprématie commerciale, maisà l'époque manufacturière proprementdite, c'est la suprématie commerciale quidonne la suprématie industrielle. De là lerôle prépondérant que joua alors le régimecolonial (…).Avec les dettes publiques naquit unsystème de crédit international qui cachesouvent une des sources de l'accumulationprimitive chez tel ou tel peuple. C'estainsi, par exemple, que les rapines et lesviolences vénitiennes forment une desbases de la richesse en capital de laHollande, à qui Venise en décadenceprêtait des sommes considérables.A son tour, la Hollande, déchue vers la findu XVII° siècle de sa suprématieindustrielle et commerciale, se vitcontrainte à faire valoir des capitauxénormes en les prêtant à l'étranger et, de1701 à 1776, spécialement à l'Angleterre,sa rivale victorieuse. Et il en est de mêmeà présent de l'Angleterre et des États-Unis.

Maint capital qui fait aujourd'hui sonapparition aux États-Unis sans extrait denaissance n'est que du sang d'enfants defabrique capitalisé hier en Angleterre. »

7. Production etmoyens de production

L'une des caractéristiques del'anticapitalisme romantique est de penser quele capital financier « triomphant » dans lecapitalisme revient à un capital usurairemédiéval. C'est là une très lourde erreur. Eneffet, le profit ne peut venir que del'exploitation des prolétaires. Par conséquent, lecapital financier n'existe pas de manièreautonome au capital industriel, l'impérialismeest justement la fusion de l'un et de l'autre.

Nous avons vu comment le capitalismenaissait, mais pour s'agrandir, comment fait-il ?Sur le plan de l'accumulation du capital une foisle capitalisme élancé, que nous dit Karl Marx ?

Il constate déjà un paradoxe apparent. Si eneffet il faut mettre de l'argent de côté afin depouvoir investir plus tard, alors qui consomme ?Si les capitalistes sont les seuls à pouvoirconsommer, et s'ils mettent de côté pourinvestir, comment trouve-t-on uneconsommation suffisante des marchandisesproduites ?

Et si d'ailleurs, seuls les capitalistesconsomment réellement, d'où vient l'argentservant de plus-value, puisqu'en quelque sorte,les capitalistes n'ont affaire qu'à descapitalistes ?

Karl Marx nous dit la chose suivante :

« De l'argent est retiré de la circulation etaccumulé comme trésor par vente demarchandises, non suivie d'achat. Si l'onconçoit cette opération comme unepratique générale, il ne paraît pas possiblede prévoir d'où peuvent provenir lesacheteurs.Dans ce procès, en effet, qu'il fautconcevoir comme pratique généralepuisque tout capital individuel peut setrouver dans sa phase d'accumulation,chacun veut vendre, afin de thésauriser, etpersonne ne veut acheter. »

Il résout alors le problème en voyant quels

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sont les deux aspects dialectiques du processus :il y a d'un côté la production des moyens deproduction, de l'autre celle des moyens deconsommation.

L'oubli du premier aspect est précisément cequi est typiquement oublié par l'anticapitalismeromantique, depuis le fascisme jusqu'àl'anarcho-syndicalisme en passant par leproudhonisme.

Et la solution est alors simple : l'argentexistait avant l'émergence du mode deproduction capitaliste. Il a permis, lors d'unecertaine accumulation, précisément cesinvestissements qui, avec le développementtechnique et l'apparition du travailleur « libre »,amènent le capitalisme.

Dès lors, lorsque le prolétaire travaille, il nepermet pas que le profit pour le capitaliste : unepart de son sur-travail est intégré dans laformation des moyens de production. Cesmoyens de production ne sont pasnécessairement achetés sous forme demarchandises ; ils peuvent provenir directementdu sur-travail des prolétaires d'un capitalistedonné.

Or, cela change tout, car cela permetd'élargir la reproduction du capital, enmodernisant l'appareil productif, enagrandissant les forces productives.L'anticapitalisme romantique ne voit pas cela, ilréduit tout à une vision de petite entreprise, depetite coopération, ou d'entreprise localeautogérée.

Il ne voit pas qu'aucune production ne peutexister indépendamment du reste de laproduction, toutes les forces productives étantreliées. Le mode de production capitaliste est,dans sa nature même, une généralisation desforces productives, avec leur agrandissement,leur renforcement, leur généralisation.

C'est ce processus en lui-même qui permetl'accumulation, par du travail accumulé toujoursplus grand.

8. L'erreur de Rosa Luxembourg

Cette question de l'accumulation estindéniablement difficile et il est facile de setromper. Rosa Luxembourg est dans ce cas ; sonmonument qu'est L'accumulation du capitalconsiste justement en la critique de la positionde Karl Marx sur l'accumulation.

Aux yeux de Rosa Luxembourg, cequ'explique Karl Marx est insuffisant. Larichesse ne peut pas provenir du capitalisme lui-même. Ne voyant pas l’élévation des forcesproductives, le progrès qualitatif, elle vachercher un progrès quantitatif.

Sa position est alors celle qui sera du tiers-mondisme par la suite : le capitalisme ne peutexister que de l'exploitation du tiers-monde. Aulieu de voir que le capital est bien plus présent,plus développé, dans les pays capitalistes, avecune donc une exploitation bien plus grande, letiers-mondisme considère que la richesse ne peutprovenir que des pays « exploités », en réalitésemi-coloniaux semi-féodaux.

C'est une vision romantique qui considèreque l'ouvrier français, allemand ou américain

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présent dans une usine d'automobiles utilisantdes robots est moins exploité que l'ouvrier dutextile du Bangladesh, du Vietnam ou Mexique,alors qu'en réalité, sur le plan du capital mis enœuvre, c'est le contraire.

Rosa Luxembourg est proche de ce point devue, en fait elle l'a anticipé. Elle considère queles capitalistes sont les seuls détenteurs de larichesse – elle ne prend pas en compte les forcesproductives grandissantes, pas plus que ne lefera le trotskysme par ailleurs – et que donc,puisque les travailleurs n'ont rien, il fautrechercher dans les zones « non capitalistes »(qui justement selon Lénine n'existent plus, etsont devenus semi-coloniales semi-féodales).

Voici ce qu'elle dit dans L'accumulation ducapital, afin de poser le problème :

« Le problème se pose ainsi : comments'effectue la reproduction sociale si l'onpose le fait que la plus-value n'est pastout entière consommée par lescapitalistes, mais qu'une part croissanteen est réservée à l'extension de laproduction ?Dans ces conditions, ce qui reste duproduit social, déduction faite de la partiedestinée au renouvellement du capitalconstant, ne peut a priori être entièrementconsommé par les ouvriers et par lescapitalistes ; et ce fait est la donnéeessentielle du problème. Il est donc excluque les ouvriers et les capitalistes puissentréaliser le produit total eux-mêmes.Ils ne peuvent réaliser que le capitalvariable, la partie usée du capital constantet la partie consommée de la plus-value ;ce faisant ils recréent seulement lesconditions nécessaires à la continuation dela reproduction à la même échelle.Mais ni les ouvriers ni les capitalistes nepeuvent réaliser eux-mêmes la partie de laplus-value destinée à la capitalisation. Laréalisation de la plus-value aux finsd'accumulation se révèle comme une tâcheimpossible dans une société composéeexclusivement d'ouvriers et decapitalistes. »

Voici comment elle pense le résoudre :

« Ce qui est certain, c'est que la plus-value ne peut être réalisée ni par lessalariés, ni par les capitalistes, maisseulement par des couches sociales ou dessociétés à mode de productionprécapitaliste.On peut imaginer ici deux possibilités

différentes de réalisation : l'industriecapitaliste peut produire un excédent demoyens de consommation au-delà de sespropres besoins (ceux des ouvriers et descapitalistes), elle vendra cet excédent àdes couches sociales ou à des pays noncapitalistes (…). On peut égalementenvisager le cas inverse. La productioncapitaliste peut fournir des moyens deproduction excédant ses propres besoins,et trouver des acheteurs dans des paysextra-capitalistes. »

Pour Rosa Luxembourg, ce sont les pays« non capitalistes » qui permettentl'accumulation :

« Par ailleurs il n'est pas évident que lesmoyens de production et de consommationnécessaires soient tous nécessairementd'origine capitaliste. Cette hypothèse, queMarx a mis à la base de son schéma del'accumulation, ne correspond ni à lapratique journalière ni à l'histoire ducapital ni au caractère spécifique de cemode de production (…).L'accroissement du capital variable estdirectement attribué et à la seulereproduction naturelle de la classeouvrière, déjà dominée par le capital.Cette explication est conforme au schémade la reproduction élargie qui, selonl'hypothèse de Marx, n'admet que deuxclasses sociales, la classe capitaliste et laclasse ouvrière, et considère le capitalismecomme le mode unique et absolu deproduction.A partir de ces prémisses, la reproductionnaturelle de la classe ouvrière est en effetla seule source de l'augmentation desforces de travail mobilisées par le capital.Cependant cette conception contredit leslois qui régissent les mouvements del'accumulation (…).Il [Marx] ne tient pas compte de la sourcela plus importante du recrutement de ceprolétariat en Europe : la prolétarisationcontinue des couches moyennes dans lesvilles et à la campagne, la ruine del'économie paysanne et du petit artisanat,c'est-à-dire le processus constant dedestruction et de désagrégation des modesde production non capitalistes, maisprécapitalistes, aboutissant au massageconstant des forces de travail d'unesituation non capitaliste à une situationcapitaliste.Nous faisons allusion non seulement à ladécomposition de l'économie paysanne etde l'artisanat en Europe, mais aussi à ladécomposition des formes de production etde sociétés primitives dans des pays extra-européens (…).Nous constatons pourtant que lecapitalisme, même dans sa phase de

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maturité, est lié à tous les égards àl'existence de couches et de sociétés noncapitalistes. Il ne s'agit pas seulementdans cette dépendance du problème desdébouchés pour les « produitsexcédentaires » comme l'ont cru Sismondiainsi que plus tard les critiques et lessceptiques de l'accumulation.

L'accumulation est liée quant à sacomposition matérielle et ses rapports devaleur et dans tous ses éléments : capitalconstant, capital variable et plus-value, àdes formes de production non capitalistes.Ces dernières constituent le milieuhistorique donné de ce processus. Nonseulement l'accumulation ne peut êtreexpliquée à partir de l'hypothèse de ladomination générale et absolue de laproduction capitaliste, mais elle est mêmetout simplement inconcevable à touségards sans le milieu non capitaliste (…).Il en est autrement de la réalisation de laplus-value. Celle-ci est liée de prime abordà des producteurs et à des consommateursnon capitalistes comme tels. L'existenced'acheteurs non capitalistes de la plus-value est une condition vitale pour lecapital et pour l'accumulation, en ce senselle est décisive dans le problème del'accumulation du capital. Quoi qu'il ensoit, pratiquement l'accumulation ducapital comme processus historiquedépend à tous les égards des couchessociales et des formes de sociétés noncapitalistes. »

Cette vision idéaliste consiste à dire que lecapitalisme ne pouvait pas s'agrandir sans qu'ily ait de riches oisifs das le tiers-monde pouracheter les marchandises ; le capitalisme d'unpays ne pourrait pas grandir, par exemple en

2015, sans les riches émirs des pays pétrolifèrespour « apporter » des richesses depuis hors lecapitalisme.

C'est une vision totalement idéaliste, qui sefonde sur un capitalisme « qui pense » etdébouche sur un capitalisme « choisissant » lemilitarisme comme solution de facilité pourl'accumulation :

« Le militarisme a encore une autrefonction importante. D'un point de vuepurement économique, il est pour lecapital un moyen privilégié de réaliser laplus-value, en d'autres termes il est pourlui un champ d'accumulation (…).Le pouvoir d'achat des énormes masses deconsommateurs, concentré sous la formede commandes de matériel de guerre faitespar l'État, sera soustrait à l'arbitraire,aux oscillations subjectives de laconsommation individuelle ; l'industrie desarmements sera douée d'une régularitépresque automatique, d'une croissancerythmique.C'est le capital lui-même qui contrôle cemouvement automatique et rythmique dela production pour le militarisme, grâce àl'appareil de la législation parlementaire età la presse, qui a pour tâche de fairel'opinion publique.C'est pourquoi ce champ spécifique del'accumulation capitaliste semble aupremier abord être doué d'une capacitéd'expansion illimitée. Tandis que touteextension des débouchés et des basesd'opération du capital est liée dans unelarge mesure à des facteurs historiques,sociaux et politiques indépendants de lavolonté du capital, la production pour lemilitarisme constitue un domaine dontl'élargissement régulier et par bondsparaît dépendre en première ligne de lavolonté du capital lui-même.Les nécessités historiques de laconcurrence toujours plus acharnée ducapital en quête de nouvelles régionsd'accumulation dans le monde setransforme ainsi, pour le capital lui-même,en un champ d'accumulation privilégié.Le capital use toujours plusénergiquement du militarisme pours'assimiler, par le moyen du colonialismeet de la politique mondiale, les moyens deproduction et les forces de travail des paysou des couches non capitalistes.En même temps, dans les payscapitalistes, ce même militarisme travailleà priver toujours davantage les couchesnon capitalistes, c'est-à-dire lesreprésentants de la production marchandesimple ainsi que la classe ouvrière, d'une

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partie de leur pouvoir d'achat ; ildépouille progressivement les premiers deleur force productive et restreint le niveaude vie des seconds, pour accélérerpuissamment l'accumulation aux dépensde ces deux couches sociales. »

C'est la vision traditionnelle de l'idéalisme del'anticapitalisme romantique, qui voit en lecapitalisme un « donneur d'ordres » venantarracher les richesses et n'existant que demanière « militaire ».

Première publication : février 2015

Illustrations : Photos de grandes entreprises françaisesPremière page : Renaultp3 : PSA Peugeot Citroënp4 : Duralexp7 : Duralexp8 : La Ferme des Mille Vachesp11 : Une ferme dans le Lot et Garonnep12 : Sanofp15 :Sanof

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