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1 L’école des natifs numériques ou comment gérer l’arrivée de l’homo numericus dans les écoles! Luc Guay, PhD Didactique de l’histoire Professeur retraité de l’Université de Sherbrooke Est-ce que vous « bloguez »? Est-ce que vous « twittez »? Est-ce que vous « googlelisez »? Est-ce que vous « facebookez »? Êtes-vous web 1.0 ou 2.0? Si ces expressions ne vous disent rien, c’est que vous ne connaissez pas les « natifs numériques »! Chers Homo Sapiens, nous avons engendré une nouvelle espèce : l’homo numericus! À quoi ressemble cette nouvelle espèce? Voici un aperçu d’un groupe faisant partie de cette espèce (diapo).

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L’école des natifs numériques ou comment gérer l’arrivée

de l’homo numericus dans les écoles!

Luc Guay, PhDDidactique de l’histoireProfesseur retraité de l’Université de Sherbrooke

Est-ce que vous « bloguez »?

Est-ce que vous « twittez »?

Est-ce que vous « googlelisez »?

Est-ce que vous « facebookez »?

Êtes-vous web 1.0 ou 2.0?

Si ces expressions ne vous disent rien, c’est que vous ne connaissez pas les « natifs

numériques »!

Chers Homo Sapiens, nous avons engendré une nouvelle espèce : l’homo

numericus!

À quoi ressemble cette nouvelle espèce?

Voici un aperçu d’un groupe faisant partie de cette espèce (diapo).

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Comme vous le constatez, physiologiquement parlant, ils sont en tous points

comparables avec ceux et celles de la génération précédente! Ils ont les mêmes

besoins physiologiques et psychologiques…Ils sont ados! Ils sont fragiles

émotivement parlant et ouverts à la modernité…comme tous les ados qui les ont

précédés!

Mais en quoi l’homo numericus est-il différent des générations précédentes d’homo

sapiens, puisqu’apparamment rien n’y paraît?

Ce qui distingue homo numericus de ses prédécesseurs, c’est qu’il a baigné depuis

sa naissance dans un monde où les TIC étaient ominprésentes et il a développé un

rapport d’intérêt que n’ont pas vécu ses parents et …grands-parents, simples homo

sapiens! (diapo).

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Ce jeune et ses congénères, grâce au crédit et à la surconsommation qui a fait

baisser le prix des appareils et autres composantes informatiques, sont devenus des

utilisateurs « aguerris » des TIC et ne se sentent pas bousculer par leur utilisation :

bien au contraire, ils en redemandent!

Avez-vous déjà remarqué que lorsqu’un de ces « natifs numériques » met des

écouteurs dans ses oreilles pour écouter de la musique ou des baladodiffusions, ils

ne tombent jamais, ils restent collés aux oreilles comme s’ils en faisaient partie!

…qu’il pitonne avec seulement ses pouces son téléphone dit « intelligent », qu’il ne

quitte …presque jamais!

…qu’il envoie des messages ou clavarde à tout instant dans une langue qui nous

apparaît étrangère?

…qu’il télécharge à une vitesse grand V tout ce qu’il veut, musique, photos, textes,

vidéos…qu’il partage avec ses amis…aussitôt

…Homo numericus investit à ces multitâches, huit heures par jour…sur les 24 dont

il dispose!

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Considérons maintenant à quoi ressemblait l’environnement technologique de ses

parents quand ils avaient 15 ans…

2. Les parents de l’homo numericus

La génération des années 1985 disposait d’un ratio élèves/ordinateurs de 1 pour

125 (1982) à l’école, sans branchement, bien entendu au réseau de l’internet.

Imaginons maintenant les ados de 1985 consulter les 30 gros volumes de

l’encyclopédia universalis cherchant des infos pour un travail de recherche: le

passage d’un article sur l’homme de cro-magnon à celui de néolithique supposait

de retirer des rayons deux gros volumes et de les feuilletter et de les lire sur place;

encore fallait-il que les deux volumes soient disponibles pour consultation… Et

s’il fallait lire des articles se rapportant au paléolithique ou aux grottes de Lascaux,

c’était un défi de plus…

Nous, les homo sapiens, avons appris ce que nous savons grâce à nos capacités

intellectuelles : nous avons lu, beaucoup lu, et nous avons écrit, beaucoup écrit!

Les livres étaient et sont des guides fort précieux, car sans eux, nous n’aurions pu

atteindre les niveaux que nous avons atteints! Nos livres étaient et sont encore

imprimés sur du papier. Les textes étaient et sont rédigés dans une forme linéaire

selon un raisonnement séquentiel : les auteurs nous proposent un argumentaire que

nous suivons, que nous critiquons à l’occasion, mais que nous suivons page par

page; et pour connaître la liste des chapitres à consulter, il nous faut consulter la

table des matières, et pour comprendre le sens de concepts, il nous faut feuilleter un

peu partout dans l’ouvrage. Et cela a fait de nous des homo sapiens brillants!

Mais qu’en est-il de nos rejetons? En fait, des vôtres ?

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La nouvelle génération est en train de bousculer plusieurs de nos façons de vivre :

pour conserver leur lectorat, les grands journaux de la planète se sont mis au…web!

pour conserver leur lectorat, les grandes maisons d’édition anglo-saxonne surtout,

se sont mis au…web : par exemple, la maison d’édition Amazone a annoncé cette

année qu’elle avait vendu autant de livres virtuels qu’imprimés! Il en est de même

pour les grandes entreprises et même les gouvernements de la planète!

Si les grands journaux, les grandes maisons d’édition, les grandes entreprises et les

gouvernements ont eu le réflexe de se tourner vers le web pour attirer leur clientèle,

qu’en est-il de l’école?

3. Et qu’en est-il à l’école?

Si homo numericus ne se sent pas bousculé par l’utilisation des TIC, il l’est

toutefois par les moyens retenus par plusieurs de ses professeurs pour enseigner,

moyens qu’il qualifie d’archaïques puisqu’ils n’ont pas changé, selon lui, depuis

des siècles…Les manuels qu’on lui présente, sont, comme à l’époque de Comenius

au 17e siècle, - le premier à s’intéresser à moderniser les manuels scolaires - des

manuels imprimés, coûteux, lourds et qui présentent l’information de façon

séquentielle et linéaire sans disposer bien entendu de moteurs de recherche rapides.

Mais, alors, comment motiver ces « natifs numériques » à apprendre l’histoire en ce

21e siècle?

La question n’est pas nouvelle…car motiver les ados à apprendre l’histoire est une

opération que l’on discute depuis belle lurette!!! Rappelons d’ailleurs deux études

menées dans les années 1990, (soit à une époque antérieure à celle de homo

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numericus) l’une américaine1, l’autre québécoise2 , qui ont montré que la discipline

qui était considérée par les élèves comme étant la moins intéressante à étudier

était…l’histoire! Et les facteurs que les auteurs de ces études ont identifiés en

établissant ce constat, se rapportaient aux outils didactiques et aux démarches

pédagogiques utilisés par les enseignants, outils et démarches qui tuent l’intérêt des

élèves à apprendre l’histoire! Ces démarches se limitant (à cette époque…) à

transmettre oralement des informations historiques que les élèves devaient retenir

lors d’une évaluation, et les outils se limitant au manuel et à son pendant, le cahier

d’exercice…

J’ai poussé l’analyse un peu plus loin en m’interrogeant sur la discipline qui causait

le plus de difficultés en termes d’apprentissage aux élèves, et faut-il s’étonner que

l’histoire soit cette discipline où les élèves affichent les résultats les plus bas? 3

Le moment ne serait-il pas venu d’offrir aux « natifs numériques » l’occasion

d’apprendre l’histoire avec des outils…différents, et comme je l’ai souligné il y a

quelques années, il se pourrait aussi que l’utilisation de ces nouveaux outils

transforment certaines de nos démarches pédagogiques, en favorisant une approche

plus socioconstructiviste4, mieux adaptée au rythme d’apprentissage des élèves.

1 Downey, Matthew T. et Linda S. Levstik. « Teaching and Learning History ». Dans James P.Shaver, Handbook of Research on Social Studies. Teaching and Learning. New York,Macmillan, 1991, p. 400-410.2 Martineau, Robert. L’échec de l’apprentissage de la pensée historique à l’école secondaire.Contribution à l’élaboration de fondements didactiques pour enseigner l’histoire. Thèse dedoctorat, Université Laval, 1997, 348 p.3 Guay, Luc. Conception et mise à l’épreuve d’un manuel électronique d’histoire générale visantle développement de la pensée historique à l’aide d’une démarche constructiviste. Thèse dedoctorat, Université Laval, 2002, 250 p.4 Guay, Luc, (2007). « Transformation of Teaching Methods by Information and CommunicationTechnologies (ICT) », Journal of the Association for History and Computing, (JAHC), vol X, no1. [http://mcel.pacificu.edu/jahc/2007/issue1/guay.php ].

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4. Mais comment gérer notre enseignement en ce début de 21e siècle???

Considérons ce que l’un de nos prédécesseurs a réalisé en son temps de grand

renouveau : il s’agit de Coménius qui vivait en Tchéccoslovaquie à la fin de la

Renaissance, au 17e siècle, alors que l’imprimerie avait le vent dans les voiles.

Il avait résumé dans son ouvrage « La Grande Didactique » les principaux principes

sur lesquels il tablait pour faire des manuels, des outils efficaces pour mieux faire

apprendre : son idéal était d’enseigner tout à tous!!! Aussi, il proposait la

conception de livres illustrés qui devaient contenir les informations les plus variées

afin que l’élève puisse avoir accès aux documents tant figurés qu’écrits nécessaires

à ses apprentissages. Il souhaitait en fait que les manuels contiennent le plus

d’illustrations possibles afin de rendre concrets les concepts abordés qui sont, par

leur nature, abstraits, donc difficiles à aborder pour des jeunes du primaire et du

secondaire. Il souhaitait que les mots et les illustrations ,mis en relation, donnent

plus de sens aux élèves.

C’est ce que font nos manuels d’histoire, présentement.

Mais aujourd’hui, on peut aller encore un peu plus loin qu’on ne pouvait le faire au

17e siècle, soit en ajoutant des composantes audiovisuelles, stimulant ainsi

davantage l’intellect, mais aussi grâce à l’utilisation des hyperliens qui permettent à

l’apprenant de naviguer rapidement d’îlots d’information à d’autres îlots5 afin de

traquer les informations pertinentes se rapportant aux situations-problèmes à

l’étude. Sans compter l’utilisation d’outils de collaboration comme les wikis ou de

communication comme les blogues, les baladodiffusions…

5 5 Jacques Rhéaume, « Les hypertextes et les hypermédias », Éducatechnologiques, vol. 1, no 2,Québec, 1993, p. 3.

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S'il avait vécu au 21e siècle, Comenius aurait certainement saisi l'occasion

d'intégrer les TIC à ses outils d’apprentissage! Pourquoi? C’est que les TIC offrent

un accès quasi illimité à des informations tant écrites que figurées et audiovisuelles

et favorisent la réalisation de trois opérations intellectuelles se rapportant à la

gestion des connaissances, soit celles de traquer des informations pertinentes, celles

de traiter ces infos et enfin celles de partager les expertises, les expériences, les

ressources documentaires construites ou réalisées au cours des deux opérations

précédentes. L’utilisation des manuels électroniques permettent déjà d’entrevoir

comment ces opérations intellectuelles peuvent s’effectuer. Voyons comment :

5. Trois opérations intellectuelles se rapportant à la gestion des connaissances

5.1. Traquer des informations pertinentes

L’explosion des informations nous oblige de plus en plus à utiliser des moteurs de

recherche performants afin de retracer les données pertinentes aux situations-

problèmes que nous souhaitons résoudre. Il existe bien entendu des répertoires de

sites web se rapportant à des périodes ou des réalités historiques analysées par des

praticiens et des chercheurs reconnus, plusieurs ateliers en feront la démonstration

durant le congrès, mais il reste qu’on ne peut se priver des informations qui se

retrouvent dans les quelques 10 milliards de pages visibles du web (et que dire du

web invisible!)! Enfin, le manuel électronique ne se limite pas au web, mais peut

aussi épouser une facture plus « matérielle » comme celles des DVD qui permettent

d’emmagasiner près de 5 go de données : à titre d’exemple et comme je viens de le

souligner, les 30 gros volumes de l’Encyclopédie Universalis sont compris dans un

DVD qui contient, en plus, des milliers de séquences vidéo! Et si aujourd’hui nous

parlons de gigaoctets, ce terme deviendra désuet d’ici quelques années puisque sont

déjà apparus les disques contenant des teraoctets (mille gigaoctets) et même des

pétaoctets (un million de gigaoctets) et des zetaoctets (un milliards de gigaoctets)!!!

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5. 2. Traiter les informations retenues

Le manuel électronique ne donne pas uniquement accès à des informations, mais

contient également des outils de traitement de l’information qui permettent

d’effectuer, à partir d’une base de données, la compilation d’informations

pertinentes qui peuvent être regroupées, puis comparées et organisées dans des

tableaux, des schémas conceptuels et des lignes du temps qui permettent

d’organiser les informations retenues afin de construire les connaissances

recherchées.

5.3. Partager les connaissances construites

Le manuel électronique dispose aussi d’une panoplie de logiciels de

communication qui favorisent d’autant plus le partage d’expertises, d’expériences

et de nouvelles données. Les forum et les wiki permettent ces échanges, tandis que

les logiciels de clavardage et de blogues favorisent la socialisation si importante

dans la constitution de communautés de pratiques et d’apprentissage. De plus, les

tableaux électroniques permettent la présentation de données partagées par les

pairs; enfin, les caméra web (les « web cam ») jouent un rôle important afin de

briser l’effet d’isolement que ressentent certains utilisateurs qui souhaitent des

contacts « humains » plus visibles!

6. Une nécessaire période d’adaptation pour tout le monde

Ouais, mais, intégrer les TIC à nos démarches d’enseignement, ça suppose qu’on

doive s’adapter à de nouveaux outils? C’est aussi ça le problème! Pour l’homo

numericus, il n’y a pas de problème à intégrer les TIC, mais pour le simple homo

sapiens que nous sommes, c’est une autre histoire!!!

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Bon, il faut aussi savoir qu’on ne part pas de zéro! Il y a parmi nous des

« enthousiastes », des « indécis » et des « résistants ».

Les « enthousiastes » croient que ces nouveaux supports TIC constituent de

puissants outils pour faire apprendre : ils intègrent les TIC tant dans leur vie

personnelle que professionnelle et ils constatent qu’elles constituent de puissants

outils facilitant les interventions qu’ils sont appelés à entreprendre.

Si les « enthousiastes » sont nombreux6, et même, de plus en plus nombreux, les

« résistants » constituent une part encore importante dans la société7, et refusent de

s’en remettre à ces nouveaux « gadgets » pour gérer leur vie : ils constatent que les

TIC ont pris trop de place dans nos façons de vivre, et ne souhaitent pas en devenir

esclaves.

Entre les « enthousiastes » et les « résistants », on retrouve les « indécis », c’est-à-

dire ceux et celles qui ne sont pas réfractaires à utiliser de tels outils, mais qui

n’osent pas s’aventurer trop avant pour des raisons d’inconfort face à la nouveauté :

ils veulent les apprivoiser lentement, en comptant sur l’aide de quelqu’un.

Mais pendant que les « enthousiastes » et les « résistants » s’évertuent à clamer

leurs points de vue sur l’utilisation des outils informatiques, pendant que les

« indécis » s’approprient peu à peu, lentement, à leur rythme, certaines

composantes de ces nouveaux supports, des enfants naissent … et nous les

qualifions de « natifs numériques » (« digital natives ») comme il est maintenant de

mise de les nommer, ou homo numericus...

Posons maintenant la question à savoir qui doit s’adapter à qui? 6 Selon la dernière enquête du CEFRIO (2007), 71% des adultes québécois utilisent Internet, uneaugmentation de 10% par rapport à 2006.7 Selon l’enquête du CEFRIO (2007), 24% des adultes québécois ne sont pas branchés surInternet.

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Là encore, ce n’est pas facile à répondre…

Comme dans ma vie professionnelle j’ai adopté le paradigme qui stipule

qu’enseigner c’est faire apprendre, j’accepte que c’est l’autre qui apprend, avec ce

qu’il est. Cela m’oblige à modifier mes pratiques enseignantes en vue de favoriser

les apprentissages de ces nouveaux apprenants qui disposent d’un autre rapport au

savoir. Cela consiste donc, pour paraphraser Meirieu, qu’il me faut

continuellement réinventer mes façons de faire parce que c’est l’autre qui apprend :

S’évertuer à inventer des procédés pédagogiques toujours plus

efficaces, créer des dispositifs didactiques, les plus sophistiqués qui

soient, prenant en compte tout ce que nous savons de

l’apprentissage…et accepter que ce soit toujours l’Autre qui apprend

de sa propre initiative, quand il le veut et jamais quand je le décide.8

Et si nous ne nous préoccupons pas de cet élément, nous pourrions nous retrouver

avec des problèmes de désintérêt de la part des élèves... et à perpétuer le

classement réalisé dans les années 1990 face à l’intérêt des élèves à apprendre

l’histoire…

7. Le congrès et des questions de réflexion

Durant le congrès, vous aurez l’occasion de participer à des ateliers dont la plupart

portent sur l’intégration des TIC en support à l’enseignement/l’apprentissage de

l’histoire, de la géographie, du monde contemporain et de l’éducation à la

citoyenneté. Vous aurez compris aussi que mes propos avaient pour objectif, non

pas de vous faire avaler des couleuvres, mais bien de vous aider à réfléchir sur

8 Meirieu, Philippe, L’envers du tableau : Quelle pédagogie pour quelle école?, Paris, ESF,1993, p. 73.

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votre posture pédagogique et aux moyens didactiques susceptibles de réaliser vos

objectifs professionnels. Je me permets de vous lancer cinq interrogations qui

pourraient vous guider durant ce congrès et que nous pourrions reprendre, en

conclusion, demain après midi :

- Et vous, dans quel « camp » logez-vous? Les « enthousiastes »? les

« résistants »? les « indécis »?

- Croyez-vous que l’on puisse s’appuyer sur de tels outils pour enseigner?

- Croyez-vous que les adolescents qui se trouvent à l’école en ce 21e siècle ont

développé des attitudes et des compétences face à la recherche et au

traitement de l’information différentes de celles de leurs prédécesseurs?

- Croyez-vous aux principes pédagogiques qu’enseigner c’est faire apprendre

et qu’apprendre dépend du bon vouloir de …l’apprenant?

- Faut-il sacrifier les grands principes pédagogiques et didactiques lorsqu’on

s’adresse aux « natifs numériques »?

8. Les futurs enseignants et enseignantes de 2016…

Dans six ans, une nouvelle cohorte d’étudiants en formation à l’enseignement va

entrer dans le réseau scolaire: ils seront nés avec l’internet et tous les outils

portables qui s’y rattachent, et en plus, ils seront issus du renouveau pédagogique!

Ces étudiants qui auront passé le tiers de leur vie à ces technologies portables (8

heures par jour), voudront, probablement, s’en servir lorsqu’ils seront en exercice

dans leurs propres classes. Mais faire partie des « natifs numériques » ne signifient

pas pour autant que l’on est compétent en recherche et en traitement de

l’information, ça ne signifie pas aussi que l’on aie développé des compétences en

esprit critique, ça ne signifie pas que l’on soit compétent à planifier, à enseigner, à

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évaluer…Ainsi, comme tous leurs prédécesseurs, ces nouveaux étudiants devront, à

leur tour, apprendre les différents aspects de l’acte d’enseigner en ayant en tête

1. qu’apprendre, c’est être capable de traquer, seul ou en équipe, des

informations pertinentes à la résolution d’une situation-problème;

2. qu’apprendre, c’est être capable de traiter, seul ou en équipe, les

informations retenues en les organisant, les regroupant, les recoupant afin de

leur donner plus de sens;

3. qu’apprendre, c’est être capable de partager les connaissances nouvellement

acquises afin de les faire valoir, les consolider et les mettre à l’épreuve

auprès d’une clientèle variée;

4. qu’apprendre, c’est mettre en œuvre son esprit critique en prenant en

considération des idées divergentes afin d’en arriver à une compréhension

plus grande des enjeux discutés;

5. que faire apprendre, c’est mettre en branle les moyens les plus efficaces pour

aider les apprenants à traquer et traiter les informations mises à leur

disposition et à partager les connaissances qu’ils ont construites.

Voilà bien des défis qui nous attendent, qui vous attendent. Mais sachez aussi que

chaque génération a connu des défis, et c’est avec ses « enthousiastes », ses

« indécis » et ses « résistants » qu’elles réussirent à les relever! Je nous souhaite

que vous releviez ces nouveaux défis avec les mêmes convictions que celles de vos

prédécesseurs afin de rendre l’homo numericus non moins…sapiens !

Merci de votre attention et bon congrès!