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L’ÉCONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE À L’HEURE DU TRAVAIL DÉCENT

L’ÉCONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE · sociale et du Travail Décent, en tant que droits universels, la mise en place de mutuelles de santé pour assurer la cou-verture santé universelle,

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L’ÉCONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIREÀ L’HEURE DU TRAVAIL DÉCENT

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02 INTRODUCTION03 Un partenariat pour des alternatives solidaires

04 TRANSVERSALES05 Émancipatrice, l’économie sociale et solidaire ?07 Créer un rapport de force10 Redéfinirlarichesse,l’économieetlepolitique12 Économiesociale:Pourquoietcomment«fairemouvement»?

15 PAROLES DU SUD16 Bolivie : Les visages contradictoires d’une « révolution »18 Lechangement:entredéclarationsetréalisations20 Transformer l’économie : partir des femmes et des travailleuses21 Solidaritéaveclespluspauvres,l’environnementetlesgénérationsfutures

22 Burkina Faso : De l’alternance à l’alternative24 Un accès à la santé pour tous25 Tensionsentrepolitiquesécuritaireetprioritéssociales27 Rendre opérationnelle la protection sociale

28 Burundi : Sortir de l’impasse30 LessyndicatsaudéfiduTravailDécent31 Enjeuxetdéfisdelarestructurationdelafilièrecafé34 Ledroitàlasantéàlacroiséedeschemins

36 Colombie : À la recherche d’une paix juste et digne39 Le syndicalisme au temps de la violence 41 Un syndicalisme sous menace42 Reconstruire la paix et la démocratie dans les territoires43 Une autre économie pour une autre Colombie

44 Maroc : Un pays à deux vitesses46 Désenclaverlavisionéconomique47 Desfemmesaucœurdelaluttepourladignité48 Pain,femmesetdignité49 La démonstration par la solidarité 50 Une autre manière de (se) manifester

52 Palestine : Une jeunesse en quête d’avenir55 Une jeunesse occupée

58 République démocratique du Congo : L’espoir d’une véritable alternance ?61 «Letoutn’estpasd’avoirdesdroits,maisqu’ilssoientappliqués»62 «Uneéconomiederésistancecontredespolitiquesetdesloisinjustes»

66 Sénégal : Le pari d’une protection sociale émergente68 Ledoubledéfidel’emploietdelaprotectionsociale70 Enjeuxetdéfisdel’accèsàlasanté72 Un pari sur la jeunesse et l’environnement

73 SYNTHÈSE DU PROGRAMME SOLSOC74 Despartenairescommelevierdechangement

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UN PARTENARIAT POUR DES ALTERNATIVES SOLIDAIRESVERONIQUE WEMAERE,DIRECTRICEDESOLSOC

Issu d’un mouvement de solidarité avec les combattants répu-blicains espagnols et leurs familles, lors de la Guerre d’Es-pagne(1936-1939),80ansplustard, l’OrganisationNonGou-vernementale(ONG)Solsocpoursuitsonactionetsaréflexionpourladéfensedesdroitséconomiques,sociaux,culturelsetpolitiques.Pourcefaire,enpartenariataveclesorganisationsquireprésententetfontentendrelesvoixdespopulationslesplus vulnérables, privées de leurs droits au Sud, mais aussi au Nord,ellemetenœuvredesprogrammesquiluttentcontrelesexclusionsetaméliorentl’accèsauxservicessociauxdebase.

Solsocsoutientdesluttespourlerespectdesdroitshumainset du droit international,mais également des initiatives enfaveurdelaréductiondesinégalitéssociales,économiques,environnementalesetdegenre.Sonactions’organiseautourdel’agendadu«TravailDécent»del’OrganisationInternatio-nale du Travail (OIT). Celui-ci s’articule autour de 4 piliers:promouvoir l’emploi,garantir lesdroitsautravail,étendre laprotectionsocialeetencouragerledialoguesocial.Ilss’ins-crivent dans le Programme de développement durable à l’horizon 2030 desNationsunies.

« L’éducation populaire, le partenariat en réseau et le renforcement des capacités sont au cœur de la stratégie de Solsoc et de ses partenaires »

EnBelgique,Solsoc,mèneuntravaild’interpellationdesdéci-deurspolitiquesetdemobilisationdelabasesocialedel’ac-tioncommunesocialiste.Ellebénéficiede l’appuifinancier1, techniqueetpolitiquedusyndicatFGTB(Fédérationgénéraledu travail de Belgique) et des mutuelles socialistes UNMS(Union Nationale des Mutualités Socialistes). De concertavecdeuxorganisationsenracinéescommeelledansl’actioncommune socialiste belge, FOS (Fonds voor Ontwikkelings-Samenwerking)etIFSI/ISVI(InstitutdeFormationSyndicaleInternationale de la FGTB), elle a participé à la création duCadreStratégiqueCommunpourleTravailDécent.

Lacollaborationentrecestroisorganisationss’appuiesurunsocle de valeurs communes : le combat pour de meilleures conditions de travail et de salaires pour les travailleurs et tra-vailleuses,ainsiquedemeilleuresconditionsdevieetdesser-vices sociaux à travers la solidarité internationale. Ensemble, ellesontélaboréunprogrammed’actionpermettantdevalo-riser la complémentarité des expériences et expertises, avec pour ambition de construire des alternatives solidaires, poli-tiques,socialesetéconomiques,viablesetdurablesàlamon-dialisationdumodèledecompétitionéconomique,enrenfor-çantlesmouvementssociaux.

L’éducation populaire, le partenariat en réseau et le renforce-mentdescapacités sont au cœurde la stratégiedeSolsocetdesespartenaires.Encouragésàtouslesniveaux,ilsper-mettent, l’émancipation et l’action individuelle et collective ainsiquelaparticipationdesacteursetpopulationsauxdéci-sionsqui lesconcernent.LeprogrammedeSolsocestainsilargement l’expression de l’action de ses partenaires. Il faitle lien entre la défense de la reconnaissance de la protection sociale et du Travail Décent, en tant que droits universels,la mise en place de mutuelles de santé pour assurer la cou-verturesantéuniverselle,et,enfin, l’extensionde l’économiesocialeetsolidairecommealternativeéconomiqueaumodèledel’économieconventionnelle.

C’est parce qu’elle croit à son pouvoir de transformationplus profonde de l’économie, et de donner un sens émanci-pateuràladimension«travail»,queSolsocamisl’économiesocialeetsolidaireaucœurdesesstratégiesd’interventionetdesaconceptionduTravailDécent.Cettepublication,endonnantlaparoleàdesacteursauquotidiendecettetrans-formation,seveutuneplaidoirieencesens.Nousespéronsqu’ellevousconvaincra!

1 Solsocbénéficieaussidel’appuifinancierdesassurancesP&V,deMultipharma,desgroupesparlementairessocialistes,dugouvernementbelge, delafédérationWallonieBruxelles,delarégionBruxellescapitale,d’Actiris,duCNCD11.11.11…

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ÉMANCIPATRICE, L’ÉCONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE ?AURÉLIE LEROY,CHARGÉED’ÉTUDEAUCENTRETRICONTINENTAL–CETRI

L’économie sociale et solidaire (ESS) a le vent en poupe sur tous lescontinents.Elleagagnéenattraitetenvisibilitéàmesuredel’enfoncementdespaysdansdescriseséconomiquesauxeffetsbrutaux.L’abondancedes textes législatifs,politiquespubliquesetpratiquessocialesinnovantestémoignedel’en-gouementpour«faire de l’économie autrement».

Danssaformelaplusaboutie,elleestvuecommeporteusede changements, comme bousculant les perspectives ensortant l’économie de sa prétendue indépendance, en la «ré-encastrant» dans l’ensemble des relations– sociales etpolitiques–quifondentunesociété.L’économienesetrouvedèslorsplusauservicedel’intérêtindividuelet«égoïste»dusujetmarchand,maisdel’humaindansuneoptiquedejusticesociale,d’égalitéetdedémocratie.

Des critiques se sont toutefois élevées pour démystifier cesinitiatives,préférantlesdécrirecommedesstratégiesd’adap-tation à un contexte défavorable, des mesures destinées à com-penseruneréductiondesdépensespubliques.Uneformuleaufinal (soi-disant)payante «pour les pauvres méritants», et sur-toutgagnantepourdesÉtatsdésinvestis.

En réalité, l’ESSparticipeà la foisd’unedynamiquede rési-lience, d’adaptation et de transformation, et se confronte au dilemme autonomie-instrumentalisation. Cela n’invalide pasladémarche,mais réfuteunevisionsimplisteselon laquelleelleagiraitmécaniquementenfaveurd’unidéald’émancipa-tiondesfemmesetdeshommes.

GENRE : OPPORTUNITÉS ET RISQUESLa force de frappe des initiatives solidaires est posée avec plusd’acuitéencoreenmatièred’égalitédegenre.Lesfemmessontsurreprésentéesnumériquementdansunsecteur,décritpar Isabelle Guérin comme «féminin», mais pas nécessaire-ment«féministe».L’ESSdisposeindéniablementd’unpotentielémancipateur,mais les pratiques de ce secteur ne sont pas«neutres»auregarddeladivisionsexuelledutravail,delavalo-risation différenciée du travail féminin et masculin, et de l’es-sentialisation de certaines valeurs, comme la solidarité, l’empa-thieouledondesoi,socialementattribuéesauxfemmes.

DesorganisationsdefemmesduSudinscritesdansdesprojetsd’agricultureorganiqueàMindanaoauxPhilippines,etd’autresactives dans des comités de marchés urbains à Bukavu enRépubliqueDémocratiqueduCongotémoignentdecetteambi-valence.L’objectifénoncéparcesgroupesestprincipalementde renforcer lepouvoiréconomiquepoursécuriser lescondi-tions d’existence desménages dans des contextes hostiles.L’augmentationdesrevenusoudelaproductionestaucœurdel’implicationdesfemmesdanscesprojetscollectifs.

La perspective d’autonomie financière, aussi légitime etcentrale soit-elle, ne permet toutefois que partiellement derépondreaudéfide l’émancipation.Aucroisementde l’édu-cation populaire et du féminisme, la notion d’empowerment a été traduite commeun processus d’acquisition de pouvoirs àdeuxniveaux:individueletcollectif.Ensefocalisantexclu-sivement sur la responsabilisation libératrice personnelle et laseulecapacitéd’agirdesactrices,ces initiatives risquentdemobiliseraufinal lesmêmesprincipeséconomiquesquele marché. Et donc de déresponsabiliser les acteurs éco-nomiques et politiques, tout en reproduisant des logiquespatriarcalesetinégalitaires.

L’approche utilitariste et instrumentale de stratégies «pro-femmes» (microfinance, «smart economies», programmesde transferts de fonds conditionnels, etc.) est courante enmatière de développement, y compris dans le secteur de l’ESS. Elle conduit à une surcharge de travail, à une hyperresponsabilisationdesfemmesetàleurépuisement.L’inves-tissement supplémentaire dans des activités économiques(productives) ne se traduit en effet que trop peu dans unepriseenchargeéquivalentedeshommesdansdesactivitésdomestiquesetdesoinsauxenfants(activitésreproductives),mettantenpérillepotentieltransformateur–toutautantquelapérennité–decesinitiatives.

En dépit de ce constat à première vue amer, il est indéniable quel’ESSoffreaussidesmargesdemanœuvrepourpromou-voirl’égalité.Lesexemplesphilippinsetcongolaisdémontrentque les femmes«utilisent»etsesaisissentdecesespacespourêtrereconnues,résisteretréclamerjustice.

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ÀBukavu,lesfemmesrencontréesestimentavoirun«intérêt»à s’investir dans ce type d’activités. Outre le renforcementde leur capacité entrepreneuriale, elles mutualisent ainsi lesrisques,maisaussilesmoyensetlesrésultatsauregarddesdéficiencesprofondesenmatièredeprotectionsociale. L’ancrage local– dans leur territoire de vie– et la proximitéentre les acteurs et les actrices créent aussi du lien, suscitent despratiquesd’entraideetdonnentunsensàleurengagement.

Lavisibilisationdans lasphère«publique»d’expériencesetde savoirs traditionnellement détenus par les femmes dans la sphère«privée»permetégalementundécloisonnement,unerequalification, dans le sensd’une revalorisationde «leurs»espacesetde«leurs»rôles.Ellesgagnentainsiconfianceenelles,etpar-làmêmelareconnaissancedeshommesetdesautres membres de la communauté ; conditions indispen-sablespourfaireévoluerfavorablementlesrelationsdegenre.

Dans ce processus de consolidation, personnel et collectif,ellescréentenfindesalliancesavecdesmouvementssociaux,notammentdefemmes,avecquiellespartagentdespréoccu-pations. Derrière la recherche prioritaire d’amélioration desconditionsdevie,cetteconvergencepermetdes’attaqueràdes centres de pouvoirs et défendre les droits des plus vul-nérables,donnantainsiàl’ESSunedimensionpolitiquepluslargeàsoncombat.

PORTE D’ENTRÉELa recherche d’un revenu ou d’un emploi est la porte d’en-trée des femmes dans l’ESS.Mais elle ne constitue pas leressortuniquedeleurémancipation.Lespratiquesderésis-tanceélaboréesàtraverscesespaces(contredespolitiquesnéolibérales, des normes patriarcales, des discriminations raciales,etc.)leurontpermis–plusquedansd’autreslieuxpublics,officiels,masculinisés–d’augmenter leurcapacitéd’initiatives,leurpouvoird’actionetdedécision.Grâceàcesespaces, elles se sentent mieux reconnues et davantage «àl’abri»desintempériesdel’existence.

« L’ESS participe à la fois d’une dynamique de résilience, d’adaptation et de transformation »

Les initiativessolidairesouvrent lechampdespossiblesentermessocio-économiquesetpolitiques.Ellesinnovent,expé-rimentent, revitalisent. Elles croisent les registres d’actions–collaboration,confrontation,formalisation–avecdespar-tenairessociauxetpolitiquesenvironnants.Lesopportunitéssontréelles,maisfragilestantlapréservationdesvaleursetprincipesfondateursconstitueundéfipermanent.

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CRÉER UN RAPPORT DE FORCEENTRETIENAVEC TANGUI CORNU,CO-PRÉSIDENTDELAFGTBHORVAL

Quels sont les principaux enjeux pour la FGTB Horval et la lutte syndicale en Belgique ?

Tangui Cornu : Je ne sais pas si Horval a des enjeux différents des autres centrales [syndicales]. Pendant 4 ans, les syndi-catsontexpliquéqu’ilyavaitunproblèmedepouvoird’achat.Il a fallu que desgilets jaunes [mouvement social de l’hiver2018]bloquentlesautoroutes,lesraffineries,etc.pourqu’onsedisequec’étaitpeut-êtrevrai;qu’ilyavaitbienunproblèmedepouvoird’achat!

Ilsuffitd’allerdansungrandmagasin,voircommentlesgensremplissentleurspaniers,pourtoutdesuitecomprendrequiest qui. Au travers de la consommation, on peut identifiervisuellementlesgensquiontdesfinsdemoisdifficiles,etlesautres,pourquilescoursessontunsimpleélémentdelavie.Cegouvernementafaitensortequelasociétébelgesoitàlafoisplusinégalitaireetplusfractionnée,entrelesplusaisésetlesautres.Etceuxquisontentrelesdeuxglissentd’uncôtéoudel’autre.Et,engénéral,ilsglissentducôtédéfavorable…

Donc, lesenjeuxsontceuxdupouvoird’achat.Etcelui-ciseretrouve dans tous les autres enjeux. Quand j’ai débutémacarrière, on commençait avec unCDI [contrat à durée indé-terminée]à tempsplein.Aujourd’hui, iln’yaquasimentplusaucun jeune qui ne commence sa carrière sans passer parl’intérim.Pendantdesmois,voiredesannées.Etdurantcettepériode,ilsn’ontpasdestabilité;nijuridiquenifinancière.Ilsnepeuventpasseconstruireunavenir.Enplus,alorsqu’ona construit pendant des décennies un système qui permetd’arrêter de travailler à un âgeoùonpeut profiter de la vie,aujourd’hui,onreportel’âgedelaretraite,enenlevantpresquetouteslespossibilitésdepauses-carrièresetdeprépensions.

Cesontdoncdesenjeuxfinanciers,maisceux-ciseretrouventau traversde tous lesenjeuxqualitatifs. Jemetsentre3et4 heures par jour pour venir travailler à Bruxelles; si c’estvrai pourmoi, c’est vrai pour beaucoupd’autrespersonnes.Cetemps,c’estdutempsperdu,quientraînedustress,etcestresssetraduitàtraversdesmaladies.Àcôtédurythmeetde l’ambiance du travail, il y a donc toute une série d’éléments quitouchenttrèsclairementàlasantédestravailleurs.

Vous venez de manifester contre le gouvernement belge, que vous présentez comme allié du patronat. Mais n’est-ce pas le modèle tripartite lui-même qui est en crise ?

D’abord,iln’yapasdemodèletripartite,maisunmodèlebipar-tite entre les partenaires sociaux, avec un troisième acteur, l’État, qui peut intervenir comme arbitre ou en mettant del’huiledanslesrouages.Celas’estfait.Pastoujoursdemanièrefacile…Etcelanevoulaitpasdirequ’onavaitforcémentlacapa-citédemodifierdeslois,maisonavaituneécoute.

Maintenant,onaungouvernementdedroite,quiarepristouslespointsquelaFEB[FédérationdesentreprisesdeBelgique;l’organedesemployeurs]avaitdanssonmémorandum.Celanousfaitdirequ’onestfaceàungouvernementdirigéparlepatronat.Ungouvernementquiconsidèreque,parcequ’ilestélu,ilpeutfairecequ’ilveut,etquetouslesautresn’ontqu’às’aligner;c’estunevisionautoritairedelasociété.

« Et un syndicat, c’est quoi ? C’est un organisme qui est capable de créer des rapports de force »

A-t-onréellementencoreintérêtàsemettreautourdelatablepour dégager un consensus? Soit on est d’accord avec laFEB, soit il n’y a pas d’accord.On a passé quatre ans dansun jeubiaisé,où,si lesgensse réunissaient,c’étaitdepureforme.Donc:1.iln’yapasdetripartite;2.aveclapolitiquequiexiste,enBelgique,aujourd’hui, iln’yamêmeplusdebipar-tite,puisquel’unedesparties,laFEB,adécidédedéplacerleslieuxdeconcertationdirectementauniveaugouvernemental.

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Les trois syndicats belges se retrouvent au sein de la Confédération syndicale internationale (CSI). Est-ce qu’on ne perd pas en combattivité ce qu’on gagne en unité ?

Tous les pays européens se sont trouvés confrontés à des politiques d’austérité, avec pour épicentre la communautéeuropéenne. Si on veut avoir un syndicat au niveau euro-péen, il faut avoir un syndicat qui fédère les syndicats. Et un syndicat, c’est quoi? C’est un organisme qui estcapabledecréerdesrapportsdeforce.Mais,lamajoritédesstructures européennes et même mondiales, se comportent souventcommedeslobbies.Or,onn’ajamaisfaitbougerleslignesavecunelogiquedelobby;saufsionestuneONGetqu’ons’adresseauxconsommateurs.Celaveutdirequ’onauneactivitémilitanterelativementlimitée.Onestdansuneréflexionpourchangercela.

« Il y a un lien entre la qualité des produits et la manière dont ils sont produits »

Pourquoi et comment êtes-vous engagés au niveau international ? Comment coopérez-vous avec des pays où l’économie informelle est dominante et la syndicalisation marginale ?

QuandontermineuncongrèsdelaFGTBoudanslesorganessocialistes,onchantel’Internationale.Donc,ilfautcroirequ’ons’est renducompte, il ya très longtempsdéjà,que lesgensdevaientseregrouperpourêtreplusforts.Lecombat,cen’estpasseulementceluiquisefaitdansuneentreprise;lecombatsyndical, c’est d’abord et avant tout un combat pour un type desociétéquin’exploitepasl’hommeparl’hommeoùquecesoitdanslemonde.

On a des projets en Amérique latine, en Afrique, où seretrouvent des entreprises belges. Or, selon qu’elles soientenBelgiqueoudansunautrepays,cesentreprisesn’ontpaslamême politique sociale. Quand un syndicaliste est licen-cié,accusédeterrorismeouattaqué,onledéfend,etonfaiten sorte de donner une ampleur à cette défense à travers lesmédias sociaux. Et on pousse à ce que nos partenairessoient des interlocuteurs incontournables des directions d’en-treprises.Bref,onessaiedemettreenplaceunsoutienà ladémocratiesocialeetpolitique.

La sous-question, c’est comment fait-on quand on a unemajoritédetravailleursquisontdanslesecteurinformel?Onessaie,àpartirduformel–onprendtoujourslesecteurfor-melcommebasearrière–,de travailleravec les travailleursde l’informel,de lesameneràseregrouper,secteurparsec-teur,àavoiruneréflexionsurlaprotectionsociale–c’estcequimanqueleplus–,pourleurpermettreaussid’êtremalade,d’être vieux, et de ne pas, pour autant, se trouver sans moyens desubsistance.Or,lasolutionquelestravailleursonttrouvépour ça, c’est la sécurité sociale, c’est se mettre ensemble, entrerdansunedynamiquecollective,créerdesmouvementssociaux;c’estdecréerunrapportdeforce.

Ce rapport de force que vous essayez de construire en nouant le national et l’international, lie aussi ce que vous évoquiez tout à l’heure ; le pouvoir d’achat et les enjeux qualitatifs ?

Pour créer un rapport de force, il faut d’abord que les tra-vailleurs comprennent que leur patron n’est qu’un rouagede la politique, et qu’ils prennent conscience de leur situa-tion; ils nemaîtrisent rien de leur économie, les décisionsseprennentàunautreniveau.Sionveutpesersur lapoli-tiquedel’entreprise,iln’yapasd’autresmoyensquedecréerdesdynamiquesauniveauglobal.Ilfautdoncsefédérerauniveauinternational.

Ilyaun lienentre laqualitédesproduitset lamanièredontils sont produits. Voir l’assiette des gens, c’est voir ce quesontlesgens.C’estunénormeraccourci,mais…Quand,ilyaénormémentdesous-traitance,ilyagénéralementunepoli-tiquedel’entreprisequijoueaussisurlaqualitédesproduits.Par exemple dans les abattoirs, où on a très régulièrementdesproblèmes,lestravailleursneréagissentpasdelamêmemanière. Le travail n’est pas effectué de la même manièreselonqu’onsoitdel’entrepriseouqu’onsoitextérieuràl’entre-prise.Siuneentreprisen’apasderespectpoursesproduits,elle n’a pas de respect pour ses travailleurs, car c’est la même logique:ontirelescoûtsverslebaspoursefaireunmaximumd’argent,auméprisdesproduitsetdestravailleurs.

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LE SECTEUR INFORMEL

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REDÉFINIR LA RICHESSE, L’ÉCONOMIE ET LE POLITIQUEENTRETIENAVECISABELLE GUÉRIN,DIRECTRICEDERECHERCHEÀL’INSTITUTDERECHERCHE POURLEDÉVELOPPEMENT(IRD)

Qu’est-ce que l’économie féministe ?

Isabelle Guérin : C’estuneéconomiequi remetaucœurdesespréoccupationslaquestiondela«reproductionsociale»,définieausenslargecommel’ensembledesactivitésnéces-saires au maintien de la vie, à commencer par les activités desoinetdelien.

Unelargepartiedesinégalitésfemme-homme,maisaussidesincohérencesdumodèlecapitalistedanslequelnousvivonsviennentdubiais«productif»denosmanièresdecomptabili-serlarichesse:seuleslesactivitéssusceptiblesd’êtreéchan-géessurunmarchéparticiperaientde lacréationdevaleur.Cettevisionadesconséquencesdramatiques.Elleinvisibilise les activités de soin et de lien, pourtant absolument essen-tielles aux activités dites productives (les travailleurs ne viennentpasaumonde«toutfaits»,commedisaitMarx),etcefaisantelledénigrelerôleessentieldesfemmes,puisquecesontellesqui,quelsquesoientlespays,sontmajoritairementenchargedesactivitésdesoin.

Cettevisionparticipedesociétésatomisées,hyperindividua-listesetmatérialistes,oùl’épanouissementet lalibertéindi-viduelle se mesurent en termes de capacité à posséder et à consommer.Enfin,cettevisionmenacel’existencemêmedelavieetdelaplanète,puisquelesoininclutaussilapréserva-tionetl’entretiendesressourcesnaturelles.

Vous remettez en question l’idée que l’économie sociale et solidaire (ESS) serait « naturellement » un espace d’émancipation des femmes ?

Lesstatistiques fontdéfaut,mais il estévidentqu’ungrandnombre d’initiatives d’ESS sont initiées et animées par des femmeset/oudestinéesàdesfemmes.EnFranceparexemple,rarepaysoùl’ondisposededonnéeschiffrées,onsaitquelesdeuxtiersdessalarié.esdel’ESSsontdesfemmes.Àl’échelleglobale,sil’onregardedeplusprèscertainssecteurs,onvoitqu’ilssonttrèsfortementféminisés.C’estlecasparexempledes services collectifs de restauration, d’assainissement et derécupérationdesdéchets,certainesformesdecommerceéquitable,lesmutuellesdesantéetd’épargne-crédit,lesclubsde troc et les monnaies sociales, ou encore les initiatives novatricesdeprotectionsociale.

Maisqu’ilyaitunemajoritédefemmesnenousditabsolumentriensurlamanièredontcesespacesredressentlesinégalitésfemme-homme.Celapeuttoutaussibienêtreuneéconomiedesecondezone,sous-payée,etsechargeantd’assureràbasprixcequel’Étatoulemarchénesontpasenmesuredefaire.Unepartiedel’ESS,hélas,estdéjàtombéedanscepiège.

« Un levier pour dépasser cette fausse distinction entre “production” et “reproduction” »

La question de l’articulation entre « production » et « reproduction » est-elle (suffisamment) prise en compte par l’ESS ?

Malheureusement, la question de la «reproduction» restel’anglemortdel’ESS,notammentlorsquecelle-cis’institution-naliseetdevientl’objetdepolitiquespubliques.Unbiais«pro-ductif» l’emporte. Ce constat s’observe dans de nombreuxpays,ycomprislorsquedesmouvementsféministesontportél’ESSàcesdébutscommeauQuébec.Etpourtant,l’ESSpour-rait précisément agir comme un levier pour dépasser cettefaussedistinctionentre«production»et«reproduction».

À l’échelle micro-locale, un certain nombre d’initiativesd’ESSpoursuiventprécisémentcecombat.Elles imaginentdesmanières innovantesdemutualiser les tâchesditesdereproduction(préparationdesrepas,garded’enfants,travaildomestique, récupérationdesdéchets,etc.),maisaussideles valoriser et de les faire reconnaître à leur juste valeur.Cetterevalorisations’appuiesurdestechniquesmultiplesetsefaitàdeséchellesmultiples,àcommencerparlesfemmeselles-mêmes,leurentouragefémininetmasculin,jusqu’auxdécideurspolitiquesafind’obtenirunejusterémunérationdecesactivitésquirelèventdel’intérêtcollectifetgénéral.

Cecombatpouruneredéfinitiondelarichesse,àpartird’ac-tions locales, est essentiel. Il est sinueux, chaotiqueet trèslentcariltoucheauxfondementsmêmesdenossystèmesdereprésentations.Maisilestlaseulemanièrederompreaveclebiaisproductivistequiminenossociétés.

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L’économie féministe et l’ESS participent d’une même réinvention de la politique. Cette autre manière de faire politique est-elle comprise et valorisée ?

Effectivement, les initiatives d’ESS inventent ou réinventent desmodesalternatifsd’actionpolitiqueetd’agirdémocratique,basées sur la délibération, le dialogue (qui inclut aussi leconflit),cequin’empêchepas,parfois,desformesd’oppositionradicale.Cesdélibérationssontessentiellesàmaintségards.Elles permettent l’adaptation aux réalités et contraintes locales : les personnes, localement, décident elles-mêmes des prioritésetdesréponsespossibles.

Ilestd’ailleursrareque lesfemmesdécidentderenverser lesystèmecapitalisteoupatriarcal.Ellesoptentplutôtpourdesapprochespragmatiques,maisquiontnéanmoinslepotentiel,surlelongterme,decontribueràdesluttesradicalesparleurcapacité de modifier nos systèmes de représentation. C’estd’ailleurs la seconde vertu des délibérations. Modifier desnormes ne s’impose pas et ne se décrète pas, mais en débattre et en discuter peut y contribuer. Les délibérations sontégalementessentiellesentrelesinitiativesd’ESSetlemondequi les entoure, par unemise en débat public de questionsconsidéréesjusque-làcommerelevantdel’espaceprivé.

Mais ici encore, ces formes d’agir politiques, enmarge desmodeshabituelsdedémocratiereprésentativeoudecontesta-tion, suscitent peu d’intérêt et sont souvent méprisés, y com-prispardenombreuxmouvementsféministesquiconsidèrentqueseul l’emploisalariéet/oularadicalitéaurontraisondesinégalitésfemme-homme.

Comment faire ressortir le potentiel de changement de ces initiatives ?

Reconnaître ces initiatives à leur juste valeur est essentiel. Le biais productiviste contribue à leur invisibilité. Parcequ’ellessontsouventdepetitetaille,ancréesàl’échellelocale,faibles économiquement, ellesn’auraient aucunpotentiel dechangement. Il ne faut surtoutpasplaider pour le «change-ment d’échelle», mot d’ordre de la plupart des décideurs. C’est précisément parce qu’elles sont ancrées dans des ter-ritoires qui leur donnent naissance et sens que ces initia-tives peuvent répondre demanière adéquate à des besoinsconcrets.Etc’estprécisémentparcequeleurhorizonestindé-terminé, car issu de discussions et délibérations permanentes, quecesinitiativespeuventêtrepotentiellesdechangement.

« Ces formes d’agir politiques, en marge des modes habituels de démocratie représentative ou de contestation, suscitent peu d’intérêt et sont souvent méprisés »

Lesenfermerdansdes«bonnespratiques»qu’il suffiraitderépliqueràgrandeéchelleestdoncvouéàl’échec.Ilfautquedécideurs,mouvementssociauxetchercheur.euse.ssortentdecebiaisproductiviste.Cesinitiativesparticipentd’unvastecombatderedéfinitiondelarichesse,del’économiqueetdupolitique. Il sera long,mais la survie de nos sociétés et denotreplanèteendépend.

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ÉCONOMIE SOCIALE : POURQUOI ET COMMENT « FAIRE MOUVEMENT » ?QUENTIN MORTIER ET FRÉDÉRIQUE KONSTANTATOS,COORDINATEURETCOORDINATRICEDESAW-B

Lesentreprisessocialesmettentenœuvreladélibérationaucœurde l’acteproductif, traduisent lemilitantismepolitiqueen actions pragmatiques, et approfondissent la démocratiepar la participation active des citoyens aux décisions poli-tiques et, par extension, aux questions économiques. Ainsidéfinie, l’économie sociale apparaît comme un mouvementcitoyenenconstitution.Celasupposed’élargir labaseetdedévelopper des alliances, d’une part, d’approfondir les liens entre valeurs et pratiques des entreprises sociales, d’autrepart.Soit,àl’heuredelamultiplicationdescrises,«faire mou-vement»et«faire économie autrement».

DU COMMUNQu’est-ce qui potentiellement unit cet ensemble diversifiéd’acteurs de l’économie sociale ? Trois dimensions nous semblent particulièrement importantes : donner du sens au travail ; démocratiser l’entreprise et l’économie ; produire et consommer autrement. La première ressort avec d’autantplus de force au regard du développement, ces dernièresdécennies,delasouffranceautravail.Ils’agitd’interrogerlesensdutravail,cequirenvoieauxquestionsdedroits:droitautravail,àlasécuritésociale,àl’alimentation,etc.

La succession des crises économiques ces dernières annéesremetenquestionladeuxièmedimension.Nousentendonslierlaquestiondeladémocratiedansl’entrepriseàcelledel’entre-prisedansladémocratie.C’estnonseulementl’entreprise,maisaussi l’économieet lasociétéquidoiventêtredémocratisées. Lamise enœuvre de pratiques participatives dans certainesentreprises sociales peut être apparentée à la transformation du lieudetravailenunlieupolitique,potentiellementdémocratique.

Les modes de production et de consommation inventés et imposés par l’Occident au reste du monde ne sont pastenables, et leurs conséquences sont alarmantes. Face auxinégalités sociales croissantes, à la surconsommation desunsetàl’extrêmepauvretédesautres,àl’augmentationdesproblèmesdesantéetenvironnementaux,nouscroyonsqu’ilestpossibledeproduire,distribueretconsommerautrement.Ensebasantsurlemot«respect»–desclients,destravail-leurs,desfournisseurs,del’environnement,etc.–etnonpas«profit», l’économiesocialeentend répondreauxbesoinsetaspirationssocialesduplusgrandnombre.

Encetteannée2019, l’Organisation InternationaleduTravail(OIT) fêtesescentans.Lesobjectifsqu’ellepoursuit–pro-motionetmiseenœuvreduTravailDécent,de laprotectionsocialepour tous,etc.– résonnentavec lesperspectivesetdéfis de l’économie sociale. (Nous utilisons habituellementles termesd’«économiesocialeetd’entreprisesociale»,quiseretrouventdanslescadreslégauxactuelsenBelgiquefran-cophone, et rarement celui d’économie sociale et solidaire;surtout issu du contexte français, et de plus en plus repris par lemondeacadémique).

Lesens,laqualitéetfinalementlaréinventiondutravailsonten effet un des enjeux portés par les acteurs de l’économie sociale.Enassumantunpointdevuenécessairementpartielet partial, celui de SAW-B, soit une fédération d’entreprisesd’économie sociale en Belgique francophone, nous voulonsproposerunrapidetourd’horizondecesenjeux.

UNE VISION PARTICULIÈREBien sûr, SAW-Bs’appuie sur lesprincipes éthiques inscritsdans le décretwallonde2008sur l’économie sociale, et sereconnaît dans les indicateurs du Réseau de chercheurseuropéensautourdel’entreprisesociale,EMES.Maisl’essen-tielestpeut-êtreailleurs.Celatientànotrevisiond’uneéco-nomiesocialequivabienau-delàd’unsimplerôlederépara-tionsocialedesdégâtsducapitalisme.Pournous,l’économiesocialeestunvecteurdetransformationsociale.Encesens,elleconstitueunidéalutopiqued’unesociétéàvenir,fondéesurdespratiquesetdesdispositifsdéjàlà.

Les racines d’un tel projet peuvent se trouver dans le projet associationiste,cetensembledepratiquesouvrièresdudébutduXIXesiècle,quiontjouéunrôlepionnierdanslaconstruc-tiond’unesociétéjusteetsolidaire.Ceprojetliaitentreeuxlescoopératives,lesassociations,lesmutuellesetlessyndicats.De la sorte, il alliait intimement les sphères économiques,sociales et politiques pour une émancipation collective.Aujourd’hui, l’undesenjeuxestd’éviter, danscettenouvellephaseducapitalisme,l’instrumentalisation,labanalisationetlarécupérationparl’Étatetlemarché,etdepesersurleschoixde société, en se ressaisissant et en renforçant le potentiel émancipateurdel’économiesociale.

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Lavolontédefairemouvementimpliqueundoubleposition-nement;ambitieuxetcritique.Unsautquantitatifetqualitatifs’impose par rapport à la situation actuelle, pour transformer à la fois la société, l’économie sociale et nous-même.Maiscelaappelleégalementuntravailincessant,incontournable,àmeneravecl’ensembledesespartiesprenantes,dequestion-nement, d’analyse critique (déconstruction), de redéfinition,d’expérimentationetdeproposition(construction).

CHERCHER, ANCRER, TRANSFORMERDepuisplusieursannées,laquestiondel’évaluationdel’impactdel’économiesocialeaémergéavecforce.Acceptertelsquelsl’exigenceet lesoutilsd’évaluation issusdumondefinanciercapitalisterevientàs’assujettiràdesnormesexternes.Ilfautimpérativement revendiquerqu’aucunoutil nesoit imposéetqueladémarchesoitco-construite.Nousavonscontribuéàlacréationd’unespacecollectifdequestionnement,derechercheetd’expérimentation.Letravailainsiréaliséouvreaujourd’huidesperspectivesentermesd’essaimageetdeplaidoyer.

Sur base de plusieurs projets en cours, une autre questiona surgi: celle de la territorialisation de l’économie sociale. Une récente recherche-action menée auprès d’un nombreimportantd’entreprisessociales indiqueque l’unedesparti-cularités de l’économie sociale est sa reterritorialisation 1.

Ainsi,desexpériencescommecellesdesceinturesalimen-taires (il en existe maintenant plusieurs en Belgique fran-cophone), qui reposentsur ledéveloppementd’unecoopé-ration forte entre de multiples acteurs auparavant isolés (agriculteurs, associations, commerçants, transformateurs,artisans, citoyens, consommateurs, élus locaux, etc.) envuede donner accès à une alimentation bio aux habitantsd’unterritoire.Cesexpériencespermettentderelocaliserlaproduction et la consommation de biens alimentaires, mais aussi de retisser des liens de proximité, sans pour autant tomberdanslereplisursoi.

« Transformer à la fois la société, l’économie sociale et nous-même »

La question du «comment» l’ensemble hétéroclite desacteurs de l’économie sociale devrait faire mouvement est évidement loind’être résolue…Dans lecontexted’aggrava-tion des crises environnementales et sociales, la questiondevient aussi celle des grands types de transformationsociale. L’économie sociale oscille entre deux approches,pourreprendrelatypologied’ErikOlinWright:latentativededomestiquerlecapitalisme;etcellequichercheàéroderet à fissurerlesystèmedel’intérieur.

L’approchedéveloppée ici tendàpasserdupremier typeausecond.Resteunetroisièmeapprocheparrapportàlaquelleilfautnouspositionner.Quepouvons-nousproposeràcellesetceuxquidescendentdeplusenplusdanslesrues,pourposernotammentlaquestion–quinousestchère–del’approfon-dissementdeladémocratie,etquiappellentàune«transfor-mation par la rupture»?

1 CharlotteMoreauetQuentinMortier,L’économie sociale en pratiques, Projet SECOIA : pratiques spécifiques aux entreprises d’économie sociale et analyse des impacts générés, 2017, www.ces.uliege.be/wp-content/uploads/2018/04/rapport_secoia_web.pdf.

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LES VISAGES CONTRADICTOIRES D’UNE « RÉVOLUTION »D’uncôté,laréductiondesinégalitésetdelapauvreté,laréaf-firmation,surlascèneinternationale,delasouverainetéetducaractèremultiethnique(«plurinational»)dupays–avec,àsatête,EvoMorales,unprésidentd’origineindienne–,etlaréali-sationdeprogrammessociauxd’envergure.Letout,enmettantenavantunestratégieoriginale,baséesurunealternativeaudéveloppement,quinourritunsouffleutopique:leBuen Vivír.

De l’autre, en contradiction avec ses prétentions écologiques,une surexploitation des ressources naturelles, le taux de pau-vretéleplusélevéducontinent,ladépendanceenverslemarchéinternational, en général, et les importations chinoises (uncinquièmedutotal),lacooptationoucaptationdesorganisa-tionssocialesparl’État,etunhommeaupouvoirdepuis2006,quientendseprésenter,pourlatroisièmefois,auxélectionsde 2019, allant ainsi à l’encontre du résultat du référendum de 2016etdelaConstitution.

Tels sont les deux visages que se dispute la Bolivie, et quidivisentl’opinionpublique,aussibiennationalequ’internatio-nale.SiEvoMoralesrestetrèspopulaire,safaçondegouverneretsapermanenceaupouvoirinquiètent,tantellesrappellentlafiguretraditionnelledu«caudillo»,leadercharismatiqueauquelle pouvoir des institutions doit être subordonné. Surtout, sapopularité est d’abord fonction de la stabilité et des bons résul-tatssocio-économiquesdesonrégime.Or,depuis2015,lapau-vretéstagneouaugmente(etdemeureprèsdedeuxfoisplusélevéeenmilieururalquedanslesvilles),etlafinduboomdesmatièrespremièrescommenceàsefairesentir…

Quantà latransitionvers leBuen Vivír, le respect de la Terre Mère et l’économie plurielle – qui institue la diversité desformes organisationnelles de l’économie: communautaire,étatique,privée,socialeetcoopérative–,misesenavantparl’État bolivien, il semble demeurer au niveau des déclarations, voire servir d’écran à des politiques économiques et à unestratégiededéveloppementbienplus«classique»,baséessurl’exportationderessourcesnaturelles(gaz,pétrole,mineraisetsojaessentiellement),peuoupastransformées.

Enconséquence,lestensionssocio-environnementalessontvivesetlafrontièreagricolenecessedes’étendre,provoquantladéforestationàunrythmede270.000ha/an,selonlaCom-mission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes(CEPAL).Laproductiondesoja(transgénique)enestleprin-cipalmoteur.Entre2005et2015,lasurfaceconsacréeàcettemonocultureaaugmentédeprèsde40%selonl’InstitutNatio-naldeStatistiques.Or,cetteexpansionvadepairavecl’utili-sationexponentielled’engraischimiques (dont le tristementfameuxglyphosate).

Àl’heureactuelle,forceestdeconstaterquel’oppositionpoli-tiquedivisée,nedisposed’aucunprojetalternatifcrédible,etquelesmouvementssociaux–quiontportéaupouvoirEvoMorales en 2006 –, sont fragmentés, polarisés entre oppo-santsetpartisansdu régime.Ledéfiestbiendepouvoirserenforcerets’unirsurunebaseautonome.

Le programme de Solsoc, en collaboration avec FOS et avec l’appui de la FGTB-Horval, est centré sur le Travail Décent et la protection sociale, en intégrant l’équité des genres et le respect de l’environnement. Il est mis en œuvre par les quatre organisations partenaires boliviennes : le Réseau bolivien de femmes transformant l’économie (REMTE), la Fondation développement pour le sud (FUNDDASUR), l’Association civile (AYNI) et la Fondation Participation et Durabilité (PASOS). Le programme vise à renforcer leurs capacités, à faciliter la création d’alliances, le travail de plaidoyer et la transformation de ces organisations en véritables acteurs de changement, à même de mettre en place des conditions de travail et de vie dignes pour les travailleurs et producteurs, en particulier les jeunes et les femmes.

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LE CHANGEMENT : ENTRE DÉCLARATIONS ET RÉALISATIONSENTRETIENAVECJUAN CARLOS BAPTISTA,DIRECTEURDEPROGRAMMESAUSEIN DEFUNDDASUR(FONDATIONDEDÉVELOPPEMENTPOURLESUD)

Guelle est la situation des travailleurs qu’accompagne Funddasur ? Celle-ci s’est-elle améliorée sous les treize ans de gouvernement d’Evo Morales ?

Juan Carlos Baptista:Nousaccompagnonsdes travailleurs,tant dans les milieux urbains que ruraux. Enmilieu urbain,nous appuyons deux syndicats de travailleurs du secteur de l’alimentation et de l’hôtellerie, et enmilieu rural, des orga-nisations de petits producteurs ruraux. Avec les premiers,nousnouscentronssurlethèmeduTravailDécent,aveclesseconds,surl’économiesocialeetsolidaire(ESS).Cespetitsproducteurs sont des travailleurs de l’économie informelle, c’est-à-direqu’ilssont,entreguillemets,en-dehorsdesloisdutravailetdetoutcequecelaimplique.Jen’aipasunchiffreexact,maisjepeuxm’avanceràdireque80%destravailleurssontdanslesecteurinformel.Undespointslesplusfaiblesduprogrammedel’actuellepré-sidenceetquialemoinschangéaucoursdetoutcetempsestlaquestiondel’emploi.Ilyaunprogrammegouvernemental,«Monpremier emploi», destiné aux jeunes, à qui le gouver-nementpaieunepartiedeleurssalaires.Maisc’esttroppeuimportantpourpouvoirchangervraimentleschoses.Autourde2012,ilyaeuunebaisseimportanteduchômage,maisàpartirde2015-2016,celui-ciaaugmentédenouveau.Celaren-voieévidemmentà ladécélérationdel’économie,aveclafinduboomdesmatièrespremières.Celaaeuunimpactdirectsur les investissements publics et donc sur les conditions de viedestravailleurs.

Pourquoi l’emploi est-il l’un des points faibles de la politique actuelle ?

Legouvernementprenddenombreusesmesures‘politiques’.Il fait des lois pour renforcer les travailleurs, promouvoir le TravailDécent,etc.Mais, justement,celarestedeslois,celanesetraduitpasenrèglementsd’applicationetencoremoinsauniveauopérationnel.

Par exemple, le doublement de la prime [«doble aguinaldo»]pour les travailleurs des secteurs privé et public, lorsque laBolivie connaît une croissance annuelle d’au moins 4,5%– ce qui serait le cas pour 2018. Cela affecte durement lesmoyennesetpetitesentreprises,parcequelacroissancedupays n’est pas en lien direct avec les revenus de celles-ci.Dèslors,nombred’entreellesfontfaillite,carellesn’ontpaslesmoyensderemplirleursobligationslégales,demettreenœuvrecettemesureetdepayerlaprime.

« Mais, c’est une logique de bourses et non de politiques sociales ! »

Où en est la protection sociale en Bolivie ?

La politique de protection sociale est inscrite dans le Plande développement [2016-2020] du gouvernement et dans sastratégiedeBolivie digne, avec des objectifs comme l’éradica-tionde lapauvreté,de l’exclusion,de lamarginalisation,etc. Danssalogiquederedistributiondelarichesse,legouverne-ment a mené des actions, en créant des bourses, notamment pour les écoliers pour qu’ils n’arrêtent pas l’école, pour lesfemmesenceintes,pourleshandicapés,etc.Ilyaaussil’assu-rancesantépourlesenfantsdemoinsdedouzeans.Toutcelaparticipeduparapluiedelaprotectionsociale.Mais,c’estunelogiquedeboursesetnondepolitiquessociales!Hier, laChambreaapprouvél’assuranceuniverselledesanté.Enthéorie,àpartirdecetteannée,cesystèmevacommenceràsemettreenplace.Toutlemondesoutientquec’estuneatti-tudepoliticienne,envuedelacampagneélectorale.Legouver-nementditqu’ilinvestira200millionsdebolivianos [25 millions d’euros],mais les experts s’accordent pour dire qu’il faudraitinvestir2milliards!Celamontrequelesystèmeactueldesantéesthautementdéficient.Alors,sionélargitlacouverturesansenavoir lesmoyens,ondonneradessoinsde faiblequalité…mêmesi,entermesthéoriques,l’idéedel’assuranceuniversellede santé pour les populations pauvres ou celles en milieu rural quin’ontpasaccèsàlasanté,estcommeunrêve!

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Les inégalités ont-elles diminué ces dernières années ?

Lapopulationurbainene cessed’augmenter, en raisonde lasituationdifficileenmilieurural.L’accèsauxservicesdebase,à l’eau, à l’électricité a augmenté et s’est amélioré, mais labrècheentremilieuxurbainet ruralpersiste,voireaugmente.Ladifficultéestaussiquelemilieuurbainn’apaslacapacitédefairefaceàlamigrationetd’offrirdesservicesàtoutescesper-sonnesquiquittentlacampagnepourvenirs’installerenville.Quantauxrelationsentreleshommesetlesfemmes,ellesontunpeuévolué,ainsiquel’accèsdesfemmesauxservices,leurniveaudeparticipation,etc.Toutcelas’estamélioré,maisleniveaudeviolencerestetrèsélevé.

Quelle est la situation des syndicats en Bolivie ?

Les syndicats ont été cooptés politiquement. La CentraleOuvrièreBolivienne,parexemple,nereprésentepluslesnéces-sitésetdemandesdusecteurdutravail.Elleestcomplètementalignéesur legouvernement.Desdirigeantsouex-dirigeantssyndicauxaccèdentàdespostesauseindesgouvernements…Parexemple,l’actuelministredutravailestunanciendirigeantsyndical.Leprincipaldéfiestledésalignementetquelessyndi-catsreviennentàcepourquoiilsontétécréés.

Quelle est la réalité de l’économie plurielle, en général, et de l’économie sociale et coopérative en particulier ?

LaConstitutionadéfiniquatretypesd’économies,ycomprisl’économiecommunautaire.Maiscelle-ci,danssonessence,n’a pas d’éléments importants de l’ESS, même si, dans le milieu rural, elle recouvre des pratiques importantes de solidarité(la minga par exemple [travail collectif à des fins sociales]). Maisiln’yapasdepropositionclaireetcohérentedelapartdugouvernementpourappuyerpratiquementcetyped’économie.Ilyaeu,principalementdanslesecteurminieroùellessonttrèsprésentes,unedistorsiondescoopératives,quirelèventmainte-nantplusdelagestiondesentreprises,avecunestructurever-ticale,etquisecamouflentsouslemasquedelacoopérative.

Audébut,lorsqu’EvoMoralesestarrivéaupouvoir,legouver-nement a fait de l’économie sociale, de l’économie commu-nautaireundrapeau.Etilyaeuunmouvementfortd’appuiàl’ESS,aucommerceéquitable,etc.,maisavecletemps,ils’estdiluéetaperdudesaforce.Nous,noustentonsdevisibiliserles éléments de l’ESS, de l’économie communautaire, de mon-trer leurs piliers, par exemple la production et la commerciali-sationassociatives,lecommercejuste…Lesorganisationsauseindeceséconomiesontcependantuncapitalsocialetcommunautairevraiment important.Lespolitiques gouvernementales n’arrivent pas jusqu’à elles.Leurs uniquesmoyens d’aller de l’avant, c’est demettre enœuvre leurs pratiques. Et cequ’ils ont, ils l’ont grâceà leurorganisation,à leur travail collectif.Deplus, ellesapportentàl’économienationaleetsoutiennentunegrandepartiedelaproductionagricole,del’économierurale.

« L’idée de l’assurance universelle de santé pour les populations pauvres ou celles en milieu rural qui n’ont pas accès à la santé, est comme un rêve ! »

2019 est une année électorale. Evo Morales se représente. Existe-t-il, du côté de l’opposition, un projet alternatif crédible ?

Ilyatroisélémentsimportants.1.Surlefond,iln’yapasdeprojetcrédiblepourlequellapopu-lationpuissevoter.Lamajoritéaditnonlorsduréférendumsurlapossibilitéd’unenouvellecandidaturedeMorales.Celaagénéréuneconsciencesociale.Commeleprésidentrevient,ilsvoterontcontre.Maispaspourunprojetalternatifouinté-ressantd’uncandidat;justepouréviterlacontinuité.2. Systématiquement, à l’approche des élections, il y a unepolarisation des organisations selon qu’elles soient pro oucontrelegouvernement.3. L’opposition reste fragmentée, sans projet politique com-munquipourraitregrouper.Laseulechosequilesregroupe,c’estl’oppositionàlaréélectiondeMorales.

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TRANSFORMER L’ÉCONOMIE : PARTIR DES FEMMES ET DES TRAVAILLEUSES ENTRETIENAVECGRACIELA RAQUEL LOPEZ QUINTEROS,COORDINATRICETECHNIQUE DEREMTE(RÉSEAUBOLIVIENDEFEMMESQUITRANSFORMENTL’ECONOMIE)

Que signifie être syndicaliste et femme – une femme syndicaliste – aujourd’hui en Bolivie ?

Graciela Raquel : Être femme et syndicaliste, n’est pas une tâchefacile!Cesontdeschampsdebataillecontrelecapital,lecolonialisme,lepatriarcat.EnBolivie,malgrélesavancéeslégalesetnotreapportàl’économiedupays,lamajoritédesfemmes continuent de travailler dans les emplois les plus pré-caires,lesmoinsproductifs,avecdegrandesdifférencessala-riales, des droits fragilisés et la permanence des violences,commeleharcèlementautravailetsexuel.Le secteur informel concentreplusde70%des femmesquitravaillent. En Bolivie, il y a un tissu organisationnel à touslesniveaux,etl’informelasespropresformesd’organisation.Mais ilmanque une plateforme qui puisse représenter tousces travailleurs. C’est pour ça que nous avons demandéuncodedutravail,qui intègreégalementlestravailleursdel’in-formel,touslestravailleursettravailleusesboliviennes,plutôtqu’uneloidutravail,quineconcernequelessalarié-e-s.Maisnousn’avonspasobtenugaindecausejusqu’àprésent.Pour les travailleuses, le syndicat est un espace de défense deleursdroitsetdeleursintérêts,maisaussiunlieuoùsereproduisentlesrelationsdepouvoirmachistesdeladirec-tionmasculine.

Y a-t-il eu des avancées majeures pour les travailleuses sous les gouvernements Morales ?

Depuis2009,noustravaillonsàlamodificationdelaLoigéné-raledutravail,quiestunetrèsvieille loi,maismalheureuse-ment, nous ne sommes pas arrivées à avoir des avancées significativespouryinclurelesdroitsdestravailleuses.C’estdûàlacomplexitéjuridique,aveclamultiplicationdelois,derévisionsetdemodifications,maisilyaaussiunproblèmepolitique,devolontépolitique.Leprincipaldéfiaujourd’huiestquel’Étatfasseappliquerleslois.

Les formes d’économies solidaires en Bolivie ont-elles une importance spécifique pour les femmes ?

Les économies alternatives (économies féministes, com-munautaire, solidaire…),baséessurdes lienséthiquesetderéciprocité, rassemblent un nombre important de femmes.L’économie communautaire constitue le socle de ce parapluie d’alternatives.Mais le grandproblème est que le gouverne-ment ne s’intéresse pas vraiment à ces espaces, n’émet pas deloispourlesrenforcer,pourreconnaîtrelesdroitsdestra-vailleursetdesfemmesquis’ytrouventetquimanquentdetouteprotectionsociale.Celanousposequestion:quelleestlaperspectivedenotregouvernement?Les économies alternatives sont un espace toujours en construction, créé par les personnes elles-mêmes, mais sans quecespersonnesnepensentàleursdroits.Celanousposeaussiquestion.Parexemple, nousaccompagnonsdespro-ductricesagroécologiques.Nousleurdisons:«c’est très bien, vous avez amélioré l’alimentation. Vous offrez une nourriture saine et de qualité. Mais vous ? Avez-vous une pension, avez-vous plus de droits ? Avez-vous dépassé la pauvreté, amélioré vos conditions de vie et de travail?».

Le nom de votre syndicat, REMTE, renvoie à une transformation de l’économie par les femmes. Pourquoi ?

Pourquoi transformer l’économie? Il suffit de regarder laconjonctureactuelledusystèmecapitaliste!Lesmouvementsféministes, à partir de réflexions théoriques et des formesorganisationnelles des économies paysannes, indigènes etcommunautaires du Sud, ont renouvelé la critique de l’éco-nomiecapitaliste.Actuellement,lesmouvementsdefemmesserenforcentauniveaumondialetmarquentlapossibilitédeluttesanticapitalistes,anticolonialesetanti-patriarcales.

« Pour les travailleuses, le syndicat est un espace de défense de leurs droits et de leurs intérêts, mais aussi un lieu où se reproduisent les relations de pouvoir machistes de la direction masculine »

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« Les associations se sont mises d’accord sur l’usage d’engrais naturel et sur le contrôle des cultures. Il y a une préoccupation par rapport aux ressources naturelles ; surtout l’eau, qui est le plus important pour l’agriculture et l’élevage et qui, ces dernières années, est menacée par la pollution des activités minières et de la ville »

SOLIDARITÉ AVEC LES PLUS PAUVRES, L’ENVIRONNEMENT ET LES GÉNÉRATIONS FUTURESENTRETIENAVECADELA PALACIOS,RESPONSABLEDEPROJETSDELAZONEDERIOCHICO,PASOS

Quel rôle les femmes jouent-elles au sein des initiatives d’économie solidaires avec lesquelles vous travaillez ? Occupent-elles une place particulière ?

Adela Palacios : Lesorganisationsavec lesquellesnous tra-vaillonsontdesstatutsquireconnaissentlesmêmesdroitsetobligationsauxhommesetauxfemmes.Laparticipationdesfemmes aux postes de direction est variable ; souvent, elles n’ontpasd’expérienceetéprouventdesdifficultéspourfairelagestion.Nouslesappuyons,lesaccompagnonsetleurdon-nonsdesformationsdeleadershipetdegestionentrepreneu-riale,pourrenforcerleurparticipationetleursorganisations.Traditionnellement,dansl’agriculture,lesfemmess’occupentprincipalement de la culture, des activités post-cultures et de lacommercialisation.Cesontellesquiparticipentauxfoires.Par exemple, une fois par semaine, elles descendent à la ville de Sucre vendre leur production directement aux consomma-teurs.Ilfautaussisoulignerlerôlequ’ellesjouentdanslanégo-ciationdesprixdanslesmarchésentantqu’intermédiaires.

Qu’est-ce qui fait qu’une initiative réussisse et dure ?

Onavuquelesorganisationsoùlesfemmesetlesjeunessontbienintégrésont,engénéral,plusdechancededurerdansletemps.Uneautreconditionestquel’activité,«l’affaire»choi-siefonctionneetsoitrentablerapidement.Sanscela,lespro-blèmes qui viennent après sontmoins supportables. Il fautaussiquelesapportspropresdechaqueassocié/esoitclair,demêmequesesobligationsetdevoirs.Enfin,lagestiondesressources,leleadershipetlesrelationsauseindel’organisa-tionont,c’estsûr,uneinfluence.

Les conditions des femmes se sont-elles améliorées sous la présidence d’Evo Morales ?

Le gouvernement amis en place des programmes nationauxd’appuiauxorganisationsproductives.Cependant, lesaspectsdegenresontrarementprisencompte.Ilexistequelquesprojetsspécifiquespourlesorganisationsdefemmes,avecdesrésul-tatsvariables.Laformationestengénéralerareetdemauvaisequalité,l’accompagnementduprojetn’existepratiquementpas.

Vous parlez d’une économie solidaire et « propre » ; pourquoi ?

Laprincipaleactivitééconomiquedelazoneestlaproductiondefruitsetdelégumes.Ellesefaitavecdestechniquesdepro-ductionpropre,c’est-à-direquelesassociationssesontmisesd’accord sur l’usage d’engrais naturel et sur le contrôle descultures.Ilyaunepréoccupationparrapportauxressourcesnaturelles;surtoutl’eau,quiestleplusimportantpourl’agricul-tureetl’élevageetqui,cesdernièresannées,estmenacéeparlapollutiondesactivitésminièresetdelaville.UnComitédedéfensedesressourcesnaturelless’estd’ailleursmisenplace.Ilmobiliseplusieurscommunautésetesttrèsdynamique.Laproductionpropreestunequalitéreconnuedelaproduc-tionlocalesurlemarché,etellebénéficieauxconsommateursdelaville.C’estleuruniquesourced’alimentssains.Lasoli-darité se manifeste ainsi entre producteurs et consomma-teurs,maisaussi,àl’intérieurdesorganisations,endonnantlaprioritéauxfamilles lespluspauvres,etenencourageantl’appuimutueletlestravauxcollectifs.Enfin,lasolidaritétientaussi compte de l’environnement, des bonnes conditions pourl’agricultureetl’élevage,etdesgénérationsfutures.Lesfamillesveulentque lesgénérations futuresbénéficientdesressourcesetconditionsdeproductionsqu’ellesont.

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DE L’ALTERNANCE À L’ALTERNATIVE

ASMADE, l’Union des mutuelles de santé de la région du centre (UMUSAC) et l’Union des Chauffeurs Routiers du Burkina Faso (UCRB), travaillent de concert pour étendre la protection sociale et promouvoir le Travail Décent, plus particulièrement pour les jeunes et les femmes. Le programme Solsoc les accompagne, facilite la convergence et mise en réseau des acteurs, et les renforce, de façon à ce qu’ils représentent une véritable force de mobilisation et de revendication de leurs droits sociaux, politiques et économiques.

Finoctobre2014,BlaiseCompaore, à la têtede l’État depuis1987, était chassédupouvoir par une insurrectionpopulaire,composéemajoritairementdejeunes.La«générationSankara»–dunomdeThomasSankara,surnomméle«CheGuevaraafri-cain»,leprésidentassassinévingt-septansplustôt–semblaittournerlapagedel’autoritarisme,etouvrirunenouvellevoieàl’espoir.Aprèsleprintempsarabe,leprintempsburkinabé?

Cinqansplustard,forceestdereconnaîtrel’amertumedelapopulation.L’alternancen’apasdonné lieuà l’alternative,etlasituationsociale restedramatique.L’undespays lespluspauvresaumonde,occupantlebasduclassementdel’Indicededéveloppementhumain(IDH)–183esur198–,leBurkinaFasoestà lafoisdépendantdumarché internationaletvul-nérableauxchocséconomiquesaussibienqueclimatiques.

L’agriculture–plusde70%delapopulationrésideenmilieurural–esttrèslargementtributairedelapluviosité.Or,celle-citendàsedéréglersouslapressionduchangementclimatique–alorsmêmeque lespopulationsduSahelsontdéjàparmilesplusexposées–,aggravantainsil’insécuritéalimentaire.De plus, cette vulnérabilité est aussi économique, du fait desaconcentrationsurquelquesproduits:lepétrole,lecotonetsurtout,l’or.

Lecotonetl’orreprésententprèsde85%detoutcequelepaysexporte,etlepétrole,enmoyenne,unquartdesesimportations.Maisl’Étatburkinabén’exerceaucuncontrôlesurlesprixdecesmatièrespremières,d’unegrandevolatilité.Prisdanslecyclevicieux d’une économie non diversifiée ni transformatrice,asservie à l’importation de biens industrialisés, à la rente de l’or etducoton,etauxfluctuationsdescoursdupétrole, lepayss’endette…obligéalorsdesetournerversleFondsmonétaireinternational(FMI),quiimposesesconditions.

En outre, depuis 2015, le Burkina Faso est confronté à desattaques terroristes djihadistes de plus en plus fréquentes,meurtrièresetétenduessursonterritoire.Lesdépensesmili-tairesaugmentent,demêmequelestensionsentrecommu-nautésethniques,audétrimentdepolitiquessocialesmieuxà même, à terme, d’assurer durablement la sécurité des biens etdespersonnes.Deplus,lamiseenœuvred’unecouverturesanitairedebasepour tous lesBurkinabés,enjeuembléma-tiquedelaconstructiond’uneprotectionsociale,risqued’êtremiseàmal,reléguéeausecondplan,fautedemoyensetdevolontépolitique.

Lemécontentement social gronde contre la «vie chère», lemanqued’accèsà lasantéetauxservicessociauxdebase–quenecessedecreuserlapoursuited’unepolitiquelibérale–,etcontre l’incapacitédugouvernementàparer lesattaquesterroristes. Un tissu social fragilisé, la menace sécuritaire,unesituationdégradée…leBurkinaFasoconnaîtdesheuressombres.Mais,comme lechantait le rappeurSmockey, trèsengagé politiquement et co-fondateur du Balai citoyen, enoctobre2014:«On passe à l’attaque, on passe à l’action. Aussi longue est la nuit, le jour fera son apparition».

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UN ACCÈS À LA SANTÉ POUR TOUSENTRETIENAVECINOUSSA OUEDRAOGO,COORDINATEURDEL’UNION DESMUTUELLESDESANTÉDELARÉGIONDUCENTRE(UMUSAC)

Quelle est la situation de l’emploi pour les jeunes, qui sont la majorité de la population ?

Inoussa Ouedraogo:Cequiestévident, c’estque legouver-nementnepourrapasdonnerdel’emploiàtouscesjeunes. Afin d’absorber unmaximum de personnes, l’État amis enœuvreuncertainnombredemesures,notammentlessoclesde protection sociale ; c’est-à-dire un certain nombre de stra-tégiesafindegarantirunminimumdeprotectionsociale,enattendantunecouverturevraimenttrèsétendueettrèslarge.

Il y a une politique de formalisation de l’emploi ? Les syndicats y participent-ils ?

Lessyndicats?Chaquejourquipasse,ilyenaquisecréent!Actuellement,ilyatouteunebatailleparcequel’administrationestentraindeformaliserdesentreprisesprivées.Maisellesneveulentpas,parcequ’une fois formalisées,ondoitpayerdestaxes,desimpôts,etc.Nonseulementtuesrépertoriédanslesfichiersdel’État,maistu dois être «réglo»; payer, par exemple, les travailleurs ausalaireminimum–mêmesicen’estpasgrand-chose,ici,auBurkinaFaso–33.000francsCFA[autourde50€].Enretour,l’Étatfournitunpeudemoyenspourévoluer.Maisbeaucouppréfèrentresterdanslaclandestinitépouropérer.

« À terme, cela devrait permettre à 16 millions de Burkinabés de se soigner à moindre coût »

Quels sont les enjeux de la campagne pour la Couverture Maladie Universelle ?

À terme, celadevrait permettreà16millionsdeBurkinabésdesesoigneràmoindrecoût.Maintenant,c’estlelancementquenousattendons,parcequ’ilyaunedifficulté.Pourqu’ilyaitvéritablementunsuccès,ilfautquetouteslescommunessoientcouvertespardesmutuelles.Sur360etquelquescom-munesauBurkinaFaso,unpeuplusde200sontcouvertes.

Quel est le principal obstacle ?Leprincipalobstacleestfinancier.LaBanqueMondiale,quiaccompagneceprocessus,ditqu’iln’yaplusd’argenttantquenousnelanceronspaslaphased’opérationnalisation.Mais une chose est de défendre le programme, une autreestdel’appliquer!AuBurkinaFaso,ilyalachertédelavie.D’uncôté,l’Étatestobligédepréleverdes taxes. Leprix ducarburant vientdegrimperencoreetamislesgensdanslarue.Del’autre,ilfautpayer les fonctionnaires…Mais, actuellement, le problèmeprincipalpourlepartiaupouvoir,comptetenudesattaquesterroristes,c’estlasécurité.Ducoup,cequiétaitprévupourfinancer la sécurité sociale risque d’être réaffecté dans lacaissesécuritaire…

Comment votre organisation travaille-t-elle dans cette campagne ?

Notre mission, c’est de promouvoir une assurance maladiecommunautaire, quipermetteà lapopulationd’accéderauxsoinsdesantéàmoindrecoûts.Cequenouscontribuonsàfaire,c’estd’éviterquedesgens,qui,dansletemps,avaientvenduleursboucs,leurschèvres,pour pouvoir être pris en charge dans les centres de santé,refassent encore cela. Beaucoup payent leurs frais d’ins-cription à la mutuelle la première année, l’année suivante, et, après,ilsn’arriventpasàhonorerleursfrais.Pasparcequ’ilsn’ontpasenvie,pasparcequ’ilsneconnaissentpasl’impor-tance de la mutuelle de santé, mais parce qu’ils n’arriventpasàtenirfinancièrement.Nousavonsdoncmisenplaceunfond rotatifpourque,avec lesbénéfices, ilspuissentverserleurcotisation;etqu’ilscomprennentqu’ilspeuventcotiseràl’avance,avantquelamaladienesurvienne.Etsolidairement.

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TENSIONS ENTRE POLITIQUE SÉCURITAIRE ET PRIORITÉS SOCIALESENTRETIENAVEC DOUSSA DRAMANE,SECRÉTAIREPERMANENT DEL’UNIONDESCHAUFFEURSROUTIERSDUBURKINAFASO(UCRB)

Qu’est-ce que l’UCRB et que fait-elle ?

Doussa Dramane:L’UCRB,c’est l’UniondesChauffeursRou-tiersduBurkinaFaso,quiregroupel’ensembledeschauffeursroutiersdupays.Nousavonslachanced’avoirunseulsyndi-catpour leschauffeursroutiers.Nousdéfendons leurs inté-rêtsmorauxetmatériels.Noussommesaffiliésàunecentrale,laConfédérationSyndi-caleBurkinabé(CSB).C’estaveccettemêmecentralesyndi-calequenousmenonsnosactionsdeplaidoyer.Pasplustardquelasemainedernière,nousavonsintroduitunerequêtederévision de notre convention de 2011, pour réviser les volets salarial et indemnitaire. Leschauffeursont jugéquec’était,comptetenuducoûtdelavieactuelle,assezbas,etqu’ilfal-lait révisercelaà lahausse.Noussommessurceplaidoyeractuellement.Ondoitentamerbientôtlesnégociationsd’ac-cordaveclepatronat.

« Le problème majeur reste toujours la sécurité sociale »

Quelle est la situation des chauffeurs routiers au Burkina Faso ?

Çavaplusoumoins.Ilyaeuunmomentoùlesecteurétaitbeaucoup dans l’informel. Le premier problème auquel leschauffeursroutiersontétéconfrontés,c’étaitunmanquedebaselégalequirégissaitlesrelationsdestravailleursavecnosemployeurs.En2011,nousavonspuobteniruneconventioncollective.Nousavonségalementrenforcélalutte,avecbeau-coupdeplaidoyerauprèsdesautorités.Nousétionsconfron-tésàdesproblèmessalariaux,desproblèmesdesécurité.Maintenant,çacommenceàs’améliorer,àseformaliseraufuret àmesure.Nousavons la naissancede sociétés, structu-rées, formelles, au vrai sens du terme, avec des travailleurs bénéficiant du salaireminimum, de la sécurité sociale, etc. Le problème majeur reste toujours la sécurité sociale. Beaucoup de chauffeurs travaillent sans.Mais je crois quec’estentraindeserésoudre.Donc,çacommenceàaller.

Quelles sont les causes de la fronde sociale actuelle au Burkina Faso ?

Lescausessontassezprofondes.Nousvenonsdesortir,en2014,del’insurrectionauBurkina,quiavulachuted’unrégimede27ans,considérécommecorrompu.Avec lesoutiendessyndicatsetdelajeunesse,onapumenercetteinsurrection.Vous savez, après 27 ans de pouvoir, les pratiques étaienttellement ancrées dans le quotidien que les gens étaienthabituésàunecertainefacilité…Etmaintenant,aveclenou-veaurégime,noussommespassésàunetransitiond’abord.Ensuite,nousavonsélunotreprésident,quiavraimentbeau-coupdedifficultésàgouverner.Le vrai problème, actuellement au Burkina Faso, reste leproblème sécuritaire. Nous sommes attaqués de toutepart, notamment auNord et à l’Est, par des terroristes quiattaquentchaquejourdesfamilles.Donc,c’estvraimentunproblèmeassezprofond.

Le problème sécuritaire prend le pas sur les problèmes sociaux ?

Je crois que le problème sécuritaire, aujourd’hui, reste lapriorité du gouvernement. La population, les travailleurs (àtraverslessyndicats)ontorganisébeaucoupdemarches,demeetings…Mais,lorsdesondernierdiscours,notrepré-sidentademandéàtoutelapopulationdefaireunfrontuni.C’est comme si on avait fait un pacte, avec les syndicats, defaireunetrêve,pourqu’onpuissesepenchersurlevoletdelasécurité,quiprendvraimentdel’ampleur.Aveccepen-dant, certaines réclamations de syndicats, par-ci, par-là, par rapport aux conditions de reclassement, aux conditions detravail,auxconditionsdevie…Maisjecroisquelessyn-dicats ont compris que la sécurité était vraiment primor-diale,parcequeçacommenceàdevenirinquiétant.

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RENDRE OPÉRATIONNELLE LA PROTECTION SOCIALEENTRETIENAVECJULIETTE COMPAORÉ,COORDINATRICE D’ASMADE(ASSOCIATIONSONGUIMANEGRÉ/AIDEAUDÉVELOPPEMENT)

ASMADE est une ONG ayant pour but l’amélioration des conditions de vie et de travail des populations au Burkina Faso. L’un des axes d’interventions d’ASMADE est l’environnement. Comment le travaillez-vous, et quel est l’enjeu ?

Juliette Compaoré : Cela s’inscrit en droite ligne dans nosobjectifs stratégiques de connaissance et de gestion desrisques liés au changement climatique, et d’accompagnerl’émergenced’unejeunesseresponsableetengagée.Danscecadre,notreONGamisenplaceunefermeagro-écologique,qui donnede l’espaceà la pratique,maisqui permet égale-mentdemenerdes réflexionssur lagestionde l’environne-ment,l’agriculture,l’élevage,etc.Pournous,c’estuntremplinpourpromouvoirdebonnespratiquesauniveaunationaldansledomaineagro-écologiqueetdanslagestiondeseffetsliésauchangementclimatique.

Le troisième Forum National de Protection Sociale s’est tenu en 2018. De quoi s’agit-il ?

Effectivement, ce forum a été organisé par le SecrétariatPermanent des ONG du Burkina, le SPONG, dont ASMADEassurelaprésidence.Ceforumavaitpourbutdefaireunbilanàmi-parcours de lamise enœuvre du plan opérationnel deprotectionsociale;voirquellesétaientlesavancées,lesdéfisfuturs pour rendre vraiment opérationnelle cette politique. IlfautrappelerqueleBurkina,sousl’impulsionetaveclaparti-cipationdelasociétécivile,a,en2012,formaliséunepolitiquenationaledeprotectionsociale.

Pour que se mette effectivement en place une politique de protection sociale, il faut une volonté de l’État et une force collective de la société civile. Est-ce que ces deux éléments sont présents ?

DanslecasduBurkina,cenesontpaslesdéfisquimanquentni les besoins de couverture en matière de protection sociale, parce que, comme on dit chez nous: «tout est prioritaire»!Nouspouvonsdireque l’engagement est làpuisque lapoli-tique a été adoptée, un plan opérationnel a été assorti, unsecrétariatpermanentmisenplace…Nouspensonsdoncqu’ilyaunengagementpolitiquefort,mêmesi,quandonvoit lamobilisationdesressources,leschoixprioritairesdel’alloca-tionbudgétaireenfonctiondesdifférentsdéfis,laprotectionsocialerestetoujoursleparentpauvre.Ilfautqu’ilyaitégalementuneactioncollectivedelasociétécivile.NouspensonsqueleSPONG,quiregroupe256ONG,nese limite pas à mobiliser ses membres seulement, mais serve comme passerelle, comme espace de mobilisation des autres acteursde lasociétécivile.Uneparticipationetuneactioncollectives sont indispensables. Il faut qu’on sache aussicequelecitoyen,concrètement,ressentautraversdecettepolitique.Nousavonségalementfaitdesétudesalternativespouramenerunautreregardqueceluidel’Étatsurlesacquis,pour concrètement nous rendre compte de l’effectivité ou nondecettepolitique.

« La protection sociale reste toujours le parent pauvre »

Jepensequ’ilyaunautretyped’acteurquelasociétécivileetl’État,quiparticipe:cesontlesdifférentspartenairestech-niques et financiers, qui accompagnent le Burkina dans lamiseenœuvredelapolitiquedeprotectionsociale.Donc, nous pensons que, globalement, le cadre est là, quetouslesacteurssontlàetqu’ilsontvulanécessitédecoor-donnerleursinterventions.Ilresteàrenforcerlessynergies,lacoordination.Etàaméliorer,mieuxutiliserlesoutilsdesuivimis en place pour capitaliser l’ensemble des interventions.Enfin,ilfautencoremettredesressourcesconséquentespouropérationnalisertouslespansdecettepolitique.

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29Lasituationactuelleobligeàuneéconomiede ladébrouilleet de la pénurie; pénurie qui se fait notamment ressentirdansl’accèsauxmédicaments.Le22août2018,legouverne-ment a lancé son Plan national de développement (PND) 2018-2027, qui vise la «transformation structurelle de l’économie à long terme».Outreque lediagnosticémis, largementpositif,poseproblème,lapleinemiseenœuvredecePlannécessite2,5milliardsdedollars…dontl’essentieldevraitprovenirdesbailleursinternationaux.

La santé et la protection sociale sont inscrites dans l’orien-tationstratégique2duPND: «développer le capital humain».Cependant, les mutuelles communautaires et l’économie solidairesontàpeinementionnées,etsansquenesoitdes-sinée une quelconque stratégie d’appui et de collaboration. Or, c’est d’autant plus problématique qu’au Burundi, l’assu-rancemaladiereposesurunejuxtapositiondelaCarted’As-sistanceMédicale (CAM)etdesmutuellescommunautairesdesanté,etquecettejuxtapositionconstitueunfreinaudéve-loppementdecesdernières.

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SORTIR DE L’IMPASSE

Le programme de Solsoc au Burundi est centré sur les quatre piliers du Travail Décent. Avec trois de ses partenaires, l’association Appui au Développement Intégral et la Solidarité sur les Collines (ADISCO), la Plateforme de concertation des Acteurs des Mutuelles de Santé (PAMUSAB) et la Confédération Nationale des Associations des Caféiculteurs du Burundi (CNAC), et avec l’appui de Solidaris Mons-Wallonie Picardie, Solsoc soutient 27 mutuelles de santé, ainsi que des coopératives. Elle renforce leurs capacités, la qualité de leurs services, leur autonomie et leurs activités de plaidoyer en faveur d’une meilleure protection sociale. En outre, en collaboration avec la FGTB-Horval, Solsoc accompagne la Fédération Burundaise des Travailleurs de l’alimentation (FEBUTRA), qui regroupe neuf syndicats du secteur agroalimentaire formel et informel.

L’un des États les plus pauvres aumonde (trois-quarts desBurundaissontsousleseuildepauvreté),oùl’espérancedevieestinférieureà58ans,cepetitpaysenclavéd’Afriquecen-traleconnaît,depuis ladécisionduprésidentPierreNkurun-ziza, en 2015, de briguer un troisièmemandat, et sa réélec-tion,unecrisepolitique,quiaencoreaggravélesconditionssocialesdelapopulation.

Situationd’autantplusdifficilequ’il s’enest suividessanc-tions internationales et un retrait des bailleurs et du sec-teurprivé,alorsque lepayseststructurellementdépendantdes importations et des aides financières internationales. LeBurundiatentédepaliercedéficitensetournantversl’Est–l’AsieetleMoyen-Orient–,afindechercherdesbailleursdesubstitution(l’Inde,laChineetlesÉmiratsarabesunisrepré-sentent autour d’un tiers de ses échanges commerciaux),maissansréussirpourautantàcompenserlaperte.

L’économieburundaise est basée essentiellement sur l’agri-culture,quiconstitue–etdeloin–laprincipalesourced’em-ploietd’alimentation.Ils’agitd’uneagriculturefamiliale,dontlesprincipalesculturesderentesontlecaféetlethé.Lesec-teuragricolenedisposantquede trèspeude ressourcesetd’infrastructure, est tributaire de la pluviométrie et vulnérable auxchocsclimatiques.D’oùsafaibleproductivité,sadépen-danceenverslesfluctuationsdesprixsurlemarchémondial,et l’ampleur de l’insécurité alimentaire (elle affecte 1,7 million deBurundais,etenviron56%desenfantssouffrentdemalnu-tritionselonl’ONU).

L’annonceparPierreNkurunzizaqu’ilneseraitpascandidataux élections de 2020 a contribué à apaiser les craintes de lapopulationetdesinstancesinternationales.Cependant,lesviolationsgravesetrépétéesdesdroitshumains,lestensionspolitiques, la résurgenceet l’instrumentalisationde laques-tionethniquesepoursuiventetrestentdessourcesdevivespréoccupations.Quoiqu’ilensoit, l’impassepolitiqueestuncatalyseurdesproblèmessociauxetéconomiques,etlaréso-lutiondeceux-cisupposeunchangementpolitique.

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LES SYNDICATS AU DÉFI DU TRAVAIL DÉCENTENTRETIENAVECTHARCISSE GAHUNGU,PRÉSIDENT DELAFÉDÉRATIONSYNDICALEDUSECTEURAGROALIMENTAIRE(FEBUTRA)

Quelles sont les conditions des hommes et des femmes qui travaillent dans l’informel ?

Tharcisse Gahungu : Ce sont des conditions très dures, carac-térisées par un emploi précaire, de faibles revenus, l’absence detouteprotectionsocialeetdemécanismededialoguesurlesconditionsdevieetdetravail.Lalégislationdutravailnelesreconnaitpas.Ilsn’ontpasaccèsàtouteunesériedeser-vicescommelemicrocrédit,etc.Lesprincipauxenjeuxpoureux sont liés à leurs conditions, et se résument aux problèmes durespectdesnormesminimalesduTravailDécent.

Comment les travailleurs et travailleuses sont-ils organisés au Burundi ?

Dansl’informel,quiconcernelaplupartdestravailleursetsur-toutdestravailleuses,ilssontpeuoupasdutoutorganisés.Certains ont constitué des associations ou des coopératives, mais ils sont peu nombreux. Très rares sont ceux qui sont affiliésàunsyndicat.Lestravailleursdusecteurformelsontorganisésensyndicatsmajoritairement structurés par entreprise et rarement par sec-teur. Il fautsignaler toutdemêmedes tentativesd’organiserdesfédérationssectoriellescommec’estlecasdelaFEBUTRA.

Quelles sont leurs principales revendications ?

Les travailleurs revendiquent d’abord le respect de la légis-lation qui leur reconnait le droit de s’organiser librement,de défendre leurs intérêts et de négocier collectivement. Les conventions 87 (sur la liberté syndicale) et 98 (sur le droit d’organisationetdenégociationcollective)del’OIT[Organisa-tionInternationaleduTravail]ontétératifiéesparleBurundi.Les revendications sont souvent relatives aux conditions de vie et de travail : les salaires, la sécurité sociale, la couverture desbesoinsfondamentaux,etc.À laFEBUTRA,nouscherchonsàrenforcer lescapacitésdenossyndicatsmembresdefaçonàpouvoirpeserdavantagesurlespolitiquesquiconcernentlesintérêtsetlesdroitsdestravailleursetquivontdanslesensd’unerépartitionéquitabledesrevenusdutravaildansladignité.

Comment se passe la concertation avec le gouvernement et les employeurs ?

Sur le plan syndical, la situation n’est pas facile, les employeurs exigent une flexibilité extrêmement forte. Il nous est arrivéd’êtrearrêtésetemprisonnéspouravoirorganiséuneassem-bléedupersonneldansuneplantationdethé.Paradoxalement,ça a été une bonne publicité pour notre syndicat, et cela a ren-forcélenombred’affiliésdusyndicat!Lesdéfissontimmenses.Malgrétout,nousarrivonsàtrouverun terrain d’échanges avec tous les partenaires sociaux auseinduComiténationaldedialoguesocial.Lesconcertationssont régulières.Dans ces instances, les travailleurs siègentde façon paritaire avec les employeurs et les représentants dugouvernement.Pourl’instant,onpeutqualifierlesrelationsentreleGouvernementetlessyndicatsdebonnes,maisnoussommesvigilants.

« Les revendications sont souvent relatives aux conditions de vie et de travail : les salaires, la sécurité sociale, la couverture des besoins fondamentaux, etc »

Que faire pour améliorer les conditions des travailleuses et travailleurs ?

Nousprivilégionsledialoguesocialetl’inclusiondetouslesacteurs pour aborder sereinement les problèmes, proposer des solutions consensuelles et avancer ainsi sur l’emploi et la protectionsociale.D’autrepart,l’économiesocialeetsolidaireestuncréneauàinvestir.Lescoopérativesetlesmutuellesdesantépeuventlargementcontribueràaméliorerlaprotectionsociale et l’accès au microcrédit pour les travailleuses et les travailleurs,surtoutdansl’informel.

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ENJEUX ET DÉFIS DE LA RESTRUCTURATION DE LA FILIÈRE CAFÉENTRETIENAVECMACAIRE NTIRANDEKURA,CHARGÉDEPLAIDOYERAUSEIN DELACONFÉDÉRATIONNATIONALEDESASSOCIATIONSDECAFÉICULTEURSDUBURUNDI(CNAC-MURIMAW’ISANGI)

Quelle est la place de l’économie sociale et solidaire (ESS) au Burundi ? Contribue-t-elle à changer la situation des gens ?

Macaire Ntirandekura : Le Burundi est assis sur l’économie capitalistequifaitquelesrichescontinuentàs’enrichiretlespauvresàs’appauvrir.Cecontextenefaitpasavancerlespopu-lationslespluspauvres.L’écosol[économiesolidaire]aétébienaccueillieparles90%delapopulationquivitdel’agriculture.

« Les caféiculteurs ne devraient pas être pauvres parce que c’est le café qui fait entrer des devises dans notre pays ! »

Sicequel’onfaitestpositif,commelepaysesttoutpetit,celafait tached’huile directement.On constate déjà l’impact auniveau de la population : créer une coopérative permet aux gensde«se venir en aide».Auniveaudenosorganisations,lesprincipesd’écosolsontétablis.Laplus-valuen’estpasencoreconsidérable, mais les gens sentent qu’il pourra y avoir unlégermieuxpourlesmembresdescoopératives…Certains principes de l’écosol étaient déjà en place dans le pays,enparticulier,lasolidarité.ADISCOetlaCNAC[Confé-dération Nationale des Associations des Caféiculteurs duBurundi] ont décelé dans le modèle de l’écosol une oppor-tunité pour le mouvement paysan, pour qu’il puisse avoirun pouvoir et porter sa propre voix. Les caféiculteurs nedevraient pas être pauvres parce que c’est le café qui faitentrerdesdevisesdansnotrepays!

Vous avez évoqué la CNAC. Pouvez-vous revenir un peu sur son histoire et celle de la privatisation de la filière du café ?

Avantlaprivatisation,touteslesactivitésliéesàlafilièrecaféétaientassuréesetencadréesparl’État.Lecaféiculteurrécol-taitsacerise[fruit,rougeouviolet,produitparlecaféier,etdontlenoyausecomposedegrainsdecafé],l’amenaitàlastationdelavageetattendaitqu’onlepaie,toutensachantquel’Étatdevaitleprotégerauniveauduprix.L’Étatsechargeaitensuitede la transformation et de la commercialisation à travers l’OSIBUquiétaituneentitéétatique.Tout change avec les politiques néolibérales d’ajustementstructureldanslesannées1990.Ilétaitquestionquelegou-vernementsedésengagedelafilièrecaféetsignelastratégiedeprivatisationpourobtenirunallègementdesadette.Beau-coupdefondsdugouvernementallaientdanslafilièrealorsque,d’après laBanquemondialeet leFMI[Fondsmonétaireinternational],lafilièrepouvaitsesuffire.En1995,undécretduprésidentdelaRépubliqueconsacraitlaprivatisationdelafilièrecafé.«Toute personne peut œuvrer dans la filière café depuis la production jusqu’à la commercialisa-tion».Laprivatisationadoncétéuneimposition.L’Étatavaitlesmainsliées.Àpartirdecemoment-là,onconstatequelescaféiculteurs(quiavantconsidéraientquel’Étatétaitproprié-taireducafé)doivents’organiserpouravoiruneplaceetuncadred’expressiondanslaprivatisation.C’estàcettepériode,en1997,quelespremièresassociationsdecaféiculteurssontcréées.LaCNACnaîten2004.Lavisiondesassociationsdeproducteursétaitque lespro-ducteursmettent lepied làoù l’État l’enlève,sedésengage.Aussi,danslesinstancesdedécisiondelafilièrecafé,ilfallaitquelescaféiculteurspuissentavoiruneplacepourdéfendreleursintérêts.Enfin,ilsdevaients’organiserpourcontrôlerlafilièredepuislaproductionjusqu’àl’exportation.

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Les caféiculteurs contrôlent-ils la filière ?

UnplaidoyeraétémenéàceniveauetlaCNACaeugaindecause en 2007, quand le président a déclaré publiquementque,désormais,lecaféappartenaitauxproducteurs,depuislaproductionjusqu’àl’exportation.Ettouslesautresacteursde la filière étaient des prestataires de service. La CNAC apris la situation enmain et bousculé les choses. Ceux quiachetaient lecaféauBurundin’ontpasétésatisfaits,maisles exportateurs, en réalité, c’étaient des commissionnaires pourlesmultinationales!LaCNACadémantelélesystèmedecommercialisationducafé.

« S’ils achetaient ces stations sans le consentement de la CNAC, ils subiraient le même sort : ils achèteraient le bâtiment, mais ils n’achèteraient pas le café des caféiculteurs »

LaSOGESTAL,unesociétémixte(l’Étatestactionnaire),n’étaitpaspropriétaireducafé.Toutlecafédevaitêtrecollectéetcom-mercialiséauniveaudel’OSIBU,etpersonnenepouvaitache-terducafésanspasserpar l’associationdes«exportateurs»,l’ABEC. Comme les caféiculteurs étaient désormais proprié-taires de leur café, nous avons mis en place une commission de commercialisation.Cesmultinationales,quisontenétroitecol-laborationaveclaBanquemondiale,étaientsurprisescarnullepartailleurslescaféiculteursn’arriventsurlemarché!

Dans cette lutte, l’enjeu des stations de lavage a été central, non ?

Oui.Laprivatisation,c’estlaventedesstationsdelavageetdesusinesdedéparchage [opérationconsistantà libérer legraindecafédesaparche,finepelliculequientourelegrain].Etlescaféiculteursmènentuncombatpouracheterdesstationsdelavage.Mais,pourenacheter,unedesconditionsducahierdeschargesétaitd’apporter1milliondedollars.Parmi lescaféi-culteurs, personne n’avait cette somme! La CNAC, soutenuepar ADISCO, INADES [INADES-formation, réseau panafricaind’associations],Solsoc, IRED [InnovationsetRéseauxpour leDéveloppement], etc. a fait un plaidoyer agressif auprès dugouvernementetdelaBanquemondialepoursupprimercettecondition.Etelleamissurpieddescoopérativesdecaféicul-teurs,quipourraientavoiruneactivitééconomiqueetacheterdesstationsdelavage.Une des premières sociétés privées qui avait acheté desstationsdelavages’appelaitWebcor(Suisse).Uneétudedel’OSIBUaétéfaitepourmettreenplaceunegrillederépar-titionquisoitefficaceetprofitableà tous lesacteursde lafilière.Cetteétudedisaitque72%duprixducafédevaitreve-nirauxcaféiculteursàlafindelacommercialisation,et les28%restantsdevaientêtrerépartisentrelesautresacteurs/prestatairesdeservices.

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Webcorn’apasrespectécetterépartition.Lapremièreannée,il y a eu un problème parce que dans les autres régions(non encore privatisées), les caféiculteurs avaient reçu un prix supérieur pour le café à ceux qui avaient vendu leurproductionàWebcor.IlsontdoncdécidédenepluslivrerlaceriseàWebcor,quiadûfermeretrevendrelesstationsdelavagequ’elleavaitachetées.À cemoment-là, la CNACa écrit à ceux qui étaient intéres-sésd’acheter lesstationsde lavage,en leurdisantques’ilsachetaient ces stations sans le consentement de la CNAC, ilssubiraientlemêmesort:ilsachèteraientlebâtiment,maisils n’achèteraient pas le café des caféiculteurs. Cela les adécouragés et a permis aux coopératives de caféiculteursd’acquérirleurspropresstationsdelavage.

Et aujourd’hui, quelle est la situation de la filière café et des caféiculteurs ?

Actuellement, 50 coopératives sont propriétaires d’une sta-tiondelavage,etcescoopérativesontcrééleconsortiumdescoopérativesdecaféiculteurs(COCOCA),quiaachetél’usinededéparchageHoramama.LeCOCOCAestaussichargédelacommercialisationducafé.Nousmaîtrisonsdonctoutelafilière aujourd’hui [pour la partie du café qui appartient auxcaféiculteursmembresdelaCNAC].Parrapportàlafixationduprixauproducteur:lecaférestelapropriétédescaféiculteurs,demanièreàcequ’à lafinde lacommercialisation, s’il y a des excédents, les membres des coopérativessepartagentcesbénéfices.Celacorrespondàl’undesprincipesdel’écosol.Nousespéronsaussimettresurpieduncentredequalitépourlescaféiculteurs.Nousavonstravaillésurlaqualitéducafédepuistoujourscar,pourobtenirdebonsprix,ilfautuncafédequalité.Maisauniveaudescoopératives, toutn’estpasparfait. Ilyades problèmes de gouvernance, de gestion, mais aussi derecherche de la qualité. Certains pensent qu’avoir de grosvolumesestplusintéressant.MaisleCOCOCAadesstandardsdequalitéetdescertifications(bio,fair trade-commerceéqui-table),cequipermetd’obtenirdesprixintéressants.

Où en est-on avec la politique de privatisation ? Et quels sont les défis qui demeurent ?

Nousavonseugaindecausepourlarévisiondelastratégiedeprivatisation.Laplateformenationaledeplaidoyerautourducaféaétécrééepourintégrertouslesacteursdelafilière,et des plateformes provinciales sont aussi en train d’être misessurpied.S’ilyaquelquechoseàaméliorerauniveaude lafilière,onsemetensemblepourélaborerdesproposi-tions,dessolutions.Parexemple,encemomentilestques-tiondevoircommentonpourraitchangerdestextesdeloiquisontdevenusobsolètes.

Maiscertainsdéfispersistent.Quandbienmême lastraté-gie de privatisation a été revue, elle n’est pas encoremiseenœuvre. Au niveau de la filière, il y a un flou sur la poli-tiquedugouvernementpourlesecteurcafé.Laprivatisationa été menée sur une partie du patrimoine de l’État, mais il resteuneautrepartie:77stationsdelavagequinesontpasencorevendues,etdontl’Étatestactionnaire.Celaposeunproblèmecarl’Étatnepeutpascontrôlerlafilièreetenmêmetempsenfairepartie!D’autrepart,ilyadessociétésprivéesquiontachetédessta-tionsdelavage,maisellesnesaventpastrèsbienoùsesituerdanslapolitiquedeprivatisation.Onnesaitpasencoresilegouvernementvarenationaliserlafilièreouacheverlapriva-tion.Enfin,tousnetravaillentpassurunmêmepiedd’égalitécardanslessociétésoùl’Étatadesparts,siunproblèmesur-git,ilpeutintervenirpourredresserlasituation,tandisquelesautressociétésdoiventsedébrouillersansl’aidedel’État.La grille de répartition qui prévoyait que 77% des recettesdel’exportationreviennentauxcaféiculteursaétéannulée.Maintenant,ilyauncadredefixationduprixauproducteur,maisleschiffresquel’onutilisedanscetableaun’ontpasdetransparence.Leprixestfixéaumoisdefévrier,aumomentoù le café est encore dans les champs, alors que la com-mercialisation se fait aux mois d’août-septembre-octobre. Noussommesdoncpayésauprixdefévrieralorsquelecoursfluctue; les prix peuvent augmenter ou diminuer. On n’estpasvraimentenmesuredecalculerunprixjusteetéquitablepour tous les acteurs. Enplus, beaucoupde commerçantsn’ont pas suivi l’avènement de nouvelles sociétés privées dans lafilière café, nesaventpascomment lemouvementassociatif a étémis enplace. Ils sont entrésdans lemou-vement coopératif pour chercher leurs intérêts personnelsavant tout. Ils n’ont pas la sensibilité dumouvement et neserventpasl’intérêtgénéral.Ilfautredynamiseretreconso-liderlemouvementassociatifàlabase.

Quelle place ont les femmes dans cette filière ?AuBurundi, ilexisteencoreunecultureasseztraditionnaliste.Unefemmenepeutreprésenterleménagesisonmariestpré-sent.Or,lecaféestuneculturefamiliale.Lesfemmescultiventbiensûr,maisonnelesvoitpasbeaucoupendehorsdesver-gers.D’unautrecôté,lesfemmesnesefontpasbeaucoupéliredans lesorganesdedécisions. Il fautaussi conscientiser leshommespourfaireavancerleschoses.Aujourd’hui,lemouvementassociatifdescaféiculteursencou-rageleshommesàdonnerunepartiedescaféiersàleurfemmepourqu’ellesaientaccèsaumarchéetàunecertainereprésen-tativitédanslesassociations.Celacommenceàsevoir,maisc’estundébut.Uneassociationdesfemmesquiproduisentleurproprecafé, lecafé «femmes», aétécréée.Celui-ci est isoléauniveaudesstationsde lavageetestcommercialiséàpartpourpromouvoirleurdémarche.Cecaféaunbonprixauniveauinternational.LaCNACtenteainsidepromouvoirleleadershipdesfemmesenmêmetempsqueladémocratie.

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LE DROIT À LA SANTÉ À LA CROISÉE DES CHEMINSENTRETIENAVECESPÉRANCE KANEZA,SECRÉTAIREEXÉCUTIVE DELAPLATEFORMEDESACTEURSDESMUTUELLESDESANTÉAUBURUNDI(PAMUSAB)

Quand et comment les mutuelles de santé ont-elles émergé au Burundi ?

Espérance Kaneza : Les mutuelles constituent un mouve-ment assez récent au Burundi. Les premières sont appa-ruesàlafindesannées90,àl’initiativedel’archidiocèsedeGitega. En 2008, de nouvelles initiatives mutualistes sontnées, parmi lesquelles celle, notable, des caféiculteurs dela CNAC (Confédération des associations de caféiculteursdu Burundi), qui avait l’objectif de faciliter l’accès de sesmembresauxsoinsdesanté.En 2010, les cinq principales dynamiques mutualistes dupays ont décidé de coordonner leurs efforts en créant la Plateforme des acteurs des mutuelles de santé au Burundi (PAMUSAB).Celanousapermisdeparlerd’uneseulevoixaveclesautorités,maisaussid’harmonisernotregestionetnosservicesauxaffiliés.

Que représentent les mutuelles aujourd’hui ?

Actuellement nos mutuelles de santé couvrent les 18 pro-vinces du pays et 91 communes sur 119. Cela veut direqu’elles garantissent l’accès aux soins d’un peu plus de18.000ménages,environ90.000personnes.Letauxdepéné-trationrestetoutefoisfaible,nousl’évaluonsà2,39%parrap-portànotregroupecible,àsavoirlesecteurruraletinformel.

Pourquoi le pourcentage d’adhérents est-il si faible ?

Parcequel’adhésionestvolontaireetqu’ilestdifficilepourlaplupartdesgensdepenseràuneprotectionsociale,demettrela main à la poche pour anticiper un risque imprévisible. Les revenus des familles sont à ce point faibles et incertains queleschoixdedépensessontguidésparlalogiquedesurvieaujour le jour.Etpuis ilya laconcurrencedelaCarted’As-sistanceMédicale,laCAM,géréeparleministèredelaSanté.

LaCAMaétéfortementdistribuéeen2017etcouvreungrosquartdelapopulationrurale.Elledonneàsontitulaireunaccèsaux soins moyennant un forfait de 3.000 francs burundais[1,50€]paranetunticketmodérateurde20%.Alorsquelacoti-sationannuelleauxmutuellescommunautaireaétéharmoni-séeà22.500francs[11€]pourunménagedesixpersonnes.

Mais alors, quelle est la plus-value par rapport à la CAM ?

D’abord, la qualité des soins et l’accès aux médicaments. Au contraire du bénéficiaire de la CAM, un membre d’unemutuellepeutfréquentern’importequelleformationsanitaireagréée,qu’ellesoitpubliqueouprivée.Lesmutualistesbéné-ficient d’unemeilleure attention et d’unmeilleur accès auxmédicaments, les formations sanitaires étant certaines de se fairerembourseràtempsparlesmutuelles,cequin’estpaslecasavecleministère,carlaCAMestinsuffisammentfinancée.Ensuite,ilyal’intermutualitéquipermetauxaffiliésdesefairesoignerlàoùilssetrouventdanslepays,etpasseulementsurleterritoiredelamutuelledontilssontmembres.Ilyaaussil’accès à des services connexes dans certaines mutuelles, commel’accèsàdesfondspourdesactivitésgénératricesderevenus. La qualité est aussi favorisée à travers les évalua-tionsdelasatisfactiondespatientsetdelaqualitédessoins.Lesmutuellesmènentégalementdesactivitésdeprévention,desensibilisationetd’éducationàlasanté.Unepersonneaffi-liée qui tombemalade se fait soigner immédiatement alorsqu’avant elle pouvait attendre plusieurs jours, ce qui entrai-naituneaggravationde lamaladieetducoûtdu traitement. Enfin,alorsquelesadhérentsàlaCAMneseréunissentjamais,lesmutuellescontribuentàlacohésionsociale,àlasolidarité,en faisant plusieurs activités qui réunissent les gens. Celarenforce les capacités de résistance et de résilience dans un contextesociopolitiquecompliqué.

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L’économie sociale et solidaire peut-elle favoriser le développement des mutuelles ?

Onconstatequelesmutuellesquisontadosséesàdescoo-pératives ou à des tontines ont une meilleure couverture et untauxderenouvellementdescotisationsplusélevé.C’estliéauxrevenusquelesmembrespeuvententirer,maispasseu-lement.Lesentimentd’appartenanceet le liensocial jouentunrôleimportant.Quandvousêtesmembresd’unemutuelle,il y a cette relation qui se crée entre les membres. Quandunmutualistetombemalade, ilatoujoursdesgensqui l’en-tourent,ilestsecouruenpremierlieu.C’est lamêmechosepour lescoopérateurs.Àpart l’activitéproprement dite de la coopérative, d’autres actions, comme lestontinesoularéhabilitationdesourcesd’eaupotable,sedéveloppent.C’esttouteunecommunautéquisemobilise.

Quel est le potentiel des mutuelles dans la mise en place d’une couverture maladie universelle ?

Le potentiel est important et réel, mais tout dépendra de la décisiondugouvernementsurl’intégrationdesmutuellesdanslesystèmedeCouvertureSanitaireUniverselle (CSU).L’effortdesynergiedanslecadredelaPAMUSABaétédéterminantetnousdonnebeaucoupd’espoir.

« Actuellement nos mutuelles de santé couvrent les 18 provinces du pays et 91 communes sur 119. Cela veut dire qu’elles garantissent l’accès aux soins d’un peu plus de 18.000 ménages, environ 90.000 personnes »

Justement, où en est le processus de la CSU ?

Lapolitiquenationaledeprotectionsocialeréserveuneplaceaux mutuelles. Nous avons participé à la révision du codede la protection sociale.Nousattendons l’adoptiondunou-veau code pour avancer dans la rédaction d’une loi sur les mutuelles. Nous collaborons étroitement avec le ministèredesDroitsdelapersonnehumaine,desAffairessocialesetduGenrepourdévelopperetmettreenplacelaprotectionsocialeavec laparticipationdesmutuelles.Nousessayonsde fairetoutnotrepossiblepournégocierlaplacedesmutuelles.C’estfacilesurcertainsdossiers,difficilessurd’autres,particulière-mentsurceluidelaCSU.

Qu’est-ce qui coince exactement ?

Plusieurs discussions sont en cours qui concernent l’archi-tecturede laCSU.Troispropositionssontsur la table,deuxfavorables aux mutuelles et une favorable à la CAM sansles mutuelles. Il y a donc une divergence entre ces deuxapproches. C’est un conflit entre lesministères de laSantéetceluienchargedelaProtectionsocialequisedisputentlepilotageduprojet.C’estunequestionpluspolitiquequetech-nique.LeministèredelaProtectionsocialeestfavorableauxmutuelles.MaisleministèredelaSanté,non.IlestfavorableàlaCAM,etcommec’esteuxquilagèrent,ilsneveulentpasqu’ellesoitdéléguéeauxmutuelles.Le problème avec la CAM, c’est sa population cible et sonfinancement.Aujourd’hui,toutlemondepeutacheterlaCAMetbénéficierde lagratuité,alorsqu’ilyadessecteursde lapopulationquinedevraientpasenbénéficier,maiss’assureràtraversunemutuelleparexemple.Lapolitiquedeprotectionsociale spécifie bien qu’on devra passer par un systèmedecatégorisation pour mettre en place la couverture maladieuniverselle. Comme le gouvernement traine les pieds, à laPAMUSABonaprislesdevants.Nouslançonsunprojetpilotedansunecommune,enimpliquantleministèreenchargedela protection sociale, consistant à mettre au point un modèle decatégoriesetdecritèresavecunsystèmedecouvertureadaptéàchaquestrateetquifaitladémonstrationdelaperti-nencedesmutuellesdanslagestiondel’assurancemaladie.

Les mutuelles ont noué des relations étroites avec des mouvements coopératifs et paysans. Qu’en est-il du mouvement syndical ?

En collaboration avec la Fédération syndicale du secteuragroalimentaire (FEBUTRA), nous avons déjà fait un dia-gnosticduTravailDécentetmisenplaceunréseaunatio-nalmultiacteurspourlaprotectionsocialequiregroupelaPAMUSABetdeuxorganisationssyndicales, laConfédéra-tiondessyndicatsduBurundi(COSYBU)etlaConfédérationsyndicale duBurundi (CSB).Nous élaborons un plan d’ac-tionpourélargirlesmutuellesauxmembresdecesconfédé-rations.D’autresorganisationsde l’économiesolidaireontmanifestéleurvolontéderejoindreleréseau.Grâceàcetra-vail d’alliance entre mutuelles, coopératives et syndicats, on espère bien réussir notre travail de plaidoyer et faire avancer concrètementlamiseenœuvred’uneCSUavecunrôleclépournosmutuellescommunautaires.

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À LA RECHERCHE D’UNE PAIX JUSTE ET DIGNELe24août2016, legouvernementcolombienet lesForcesarmées révolutionnaires de Colombie (FARC) signaient unaccord de paix, qui devait mettre fin au plus long conflitarmé de l’histoire du continent (52 ans).Mais la Colombieesttoujoursenguerre;uneguerrecontretousceuxettoutescellesquidéfendentunautremodèledesociété.Etle«post-conflit» se réduit à un argument de vente pour attirer lesinvestisseursétrangers.

Ainsi,selon laDefensoría del pueblo (institutionquiexerceuncontrôledesautoritéspubliquesetquiveilleplusparticulière-mentau respectdesdroitshumains),423dirigeantssociauxet défenseurs des droits humains ont été assassinés entrele 1er janvier2016et le30novembre2018.Deplus,d’après laConfédérationSyndicaleInternationale(CSI),laColombierestel’un des dix pires pays du monde pour les droits des travailleurs, etlepremierpaysquantaunombredesyndicalistestués.

Lepassépèsed’autant plus sur le présent que les comptesn’ontpasétésoldés.Aucoursduconflit,263.000personnesontététuées,45.000sontportéesdisparuesetprèsde7mil-lionsontétédéplacées.Or,lescauses–laconcentrationdesterres,quiestl’unedesplusélevéesaumonde–etlesacteurs–autourdestrois-quartsdesviolationsdesdroitshumainsontétécommisparlesparamilitaireset/oulesforcesarmées–decescrimesdemeurentinchangésettoujoursactifs.

La guerre a été – et continue d’être – le prix à payer d’unmodèlededéveloppement.Plusexactement, elle est leprixquelaclassedominante,quitiresonpouvoirdelaconcentra-tion des terres et des ressources naturelles, et de la captation de l’État, fait payer à la société colombienne pour ne pas réa-liserune réformeagraire,nepas toucheràsesprivilègesetnerienchangerauxinégalités.LasituationdesColombienneset Colombiens, au premier chef, les paysans, les indigèneset les travailleurs, estsombre.Et tendencoreàs’assombriravec l’accentuation du néolibéralisme et le mépris de l’accord signé,parlegouvernementDuque.

L’informalité, la précarité, les maladies et les accidents (on comptechaque jourautourde1.800accidentsde travail) etla libéralisation–principalementsous la formede l’externa-lisation(«tercerización» 1)–caractérisentlaréalitédutravail. Les deux-tiers des travailleurs manquent d’une protectionsocialedebase,etl’économieinformelle(prèsde56%del’em-ploiselonlaBanquemondiale)constitued’abordunealterna-tivedésespéréepournepastomberdansl’indigence.

Silaviolenceantisyndicaleaquelquepeudiminué,n’est-cepasaussicarlaguerreafaitsonœuvreetquelapeurdemeure?Maispasaupointdeparalyser l’ensembledesmouvementssociauxquicontinuentdelutterpourunepaixjusteetdigne.

1 Mécanismedeflexibilisationdutravailquiconsistepourunemployeuràtransféreràuntiersl’élaborationetlasignaturedecontratsdetravail,demanièreàcequ’iln’yaitpasdeliendirectentrel’entrepriseetlestravailleurs.

Par le biais de ces deux organisations partenaires, l’Association de Travail Interdisciplinaire (ATI) et l’Institut Populaire de Formation (IPC), Solsoc renforce les capacités de mobilisation et d’action des mouvements sociaux, afin qu’ils participent à la construction d’une nouvelle nation colombienne, respectueuse des droits humains et du droit international. En collaboration avec FOS, IFSI et la FGTB Horval, Solsoc participe également au renforcement de trois syndicats, Ustiam, Sintra 14 et Sinaltrainal, afin de créer des conditions de travail et de vie dignes pour les travailleurs et travailleuses de Colombie.

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LE SYNDICALISME EN COLOMBIE

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LE SYNDICALISME AU TEMPS DE LA VIOLENCEENTRETIENAVECCARLOS OLAYA,RESPONSABLEDELARECHERCHEETDELAFORMATION AUSEINDESINALTRAINAL(SYNDICATNATIONALDESTRAVAILLEURSDEL’INDUSTRIEALIMENTAIRE)

Quelle est globalement la situation des travailleurs aujourd’hui en Colombie ?

Carlos Olaya:Onestfaceàunesituationdifférenciéedestra-vailleurs.Danssonimmensemajorité,lanouvellegénérationdetravailleursn’aplusaccèsauxnégociationsetauxconventionscollectives,nedisposentquede«contratspoubelles»etdescontrats externalisés («tercerización»), avec des bas salaires(lesalaireminimumtourneautourde250euros).L’instabilité,lapauvretéetlasuppressiondesdroits–d’association,denégo-ciation,etc.–dressentunpanoramatrèssombre…

« Les travailleurs sont dans une situation de un contre deux, face à une alliance des employeurs et de l’État »

Vous semblez dire qu’il y avait plus de droits auparavant ?

Il y avait plus de droits parce que les syndicats étaientplus forts. Aujourd’hui, ils sont fragilisés et se sont mêmeaffaiblisdans lamesureoù ilsn’ontpaspucapter,oualorspartiellement et mal, cette nouvelle génération de travail-leurs. À cela, il faut ajouter la répression syndicale et lacampagne médiatique de dénigrement des syndicalistes. Ladétériorationdesdroitsestgénérale;ellen’affectepasseu-lement les travailleurs dans leurs lieux de travail, mais aussi dansleurslieuxdevieetdansleursdroitshumains.

Qu’en est-il de la situation des femmes ?

Ladiscriminationestplusforteencoreenverselles.Engéné-ral, comme partout dans le monde, les travailleuses colom-biennes–dontbeaucoupsontdesmèresdefamillesélevantseules leurs enfants– reçoivent un salaire inférieur à celuides hommes, sont affectées aux tâches les plus difficiles,les plus dégradantes et les moins qualifiées. Elles sont enoutre confrontées au harcèlement –moral et sexuel – despatrons,maisaussi,malheureusement,destravailleursmas-culins.Bref,ellessontpluspauvres,plusexploitées,etellesontmoinsdetempsetdedroits.Leuraccèsauxsyndicatsestdoncplusdifficile.

En Colombie, on est face à un double paradoxe : il y a plus de 5.000 syndicats, mais ils couvrent moins de 5% des travailleurs, alors que deux-tiers des travailleurs sont dans l’économie informelle…

Il faut clarifier. De ces 5.000 syndicats, autour de la moitién’existequesurpapier.Ensuite,cesquinzedernièresannées,ilyaeuuneexplosiondunombredesyndicats.DanslaseuleentrepriseCoca-ColaàBogota,ilya17syndicats…quineras-semblentque200travailleurs.C’estcequ’onappellele«carrou-selsyndical»;ilsnesontcréésquepourseprotégerdulicen-ciement.Enfin,lessyndicatssontinscritsdansuneculturequiremonte au 19esiècle,etquiestcelleducaciquisme–aveclechef«perpétuel»–etdel’interférencedesforcespolitiques,quicherchentàcontrôlerlesorganisationssociales.Latendancegénérale du syndicalisme est à l’atomisation et au «patro-nage». La situation des travailleurs informels est difficile. Ilsontunemploi,nonspécialisé,quin’estmêmepastemporaire,mais occasionnel. Ils travaillent bien souvent à leur proprecompteetgagnentbeaucoupmoinsquelesalaireminimum.Ilssontobligésd’alleràlarueetdefaireunpeutout;toutcequ’ilspeuventfaire,toutcequ’ilstrouventàfaire.Vuleurdispersion,l’absenced’horairesetdelieuxfixesdetravail,ilesttrèsdifficiledelesorganiser,maiscelaresteundéfiimportant.

Vous avez évoqué la répression syndicale ; comment se manifeste-t-elle ?

Elleadiversesexpressions. L’uned’entreellesest celledesparamilitairesetmilitaires,quiviseàéliminersystématique-mentlesdirectionssyndicales.Surtoutdanstroisdomaines:lesindustriesextractives(mines,pétrole,agrobusiness,etc.),les multinationales et le secteur public (télécommunications, enseignement,etc.).La deuxième expression la plus importante a été l’intimida-tion, lamenace.Engros,celarevientàtedire:«Te mueres o arreglas [tumeuresoutuarranges leschoses]».Etarrangerleschosesveutdirequetut’envas–dansuneautrevilleouenexil,maistusorsdel’entreprise–,ouquetutesoumets.Cetteviolencenesevoitpas,maiselleestmassive.Elleadis-persé lesorganisationset réduit leur résistance.C’est aussicela qui explique que les assassinats de syndicalistes ontbaissécesdernièresannées.

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C’estlemiroird’unrapportdeforce,oùlespatronsnesesententobligésniderecouriràlaviolenceextrêmenidenégocier.Lesconflitsdetravailserèglentdanslestribunauxàlafaveurdupatronat.Lestravailleurssontdansunesituationdeuncontredeux,faceàunealliancedesemployeursetdel’État…

Pouvez-vous nous dire un mot de la lutte que vous avez menée contre Nestlé et Coca-Cola ?

La violence, les assassinats ont accompagné l’escaladeparamilitaire;surtoutàpartirde1995.AuseindeCoca-Cola,lapersécutionaétébrutale:avec l’idéequ’il étaitpossibled’enfiniraveclesyndicat,derésoudrelesconflitsdutravailparlaforce.Ilyaeuaussiunepartiejuridiqueàcettestraté-gie,aveclelicenciementd’unequinzainededirigeantssyn-dicauxauseindeNestlé,etl’accusationdeterrorismeenversunedizained’autreschezCoca-Cola;ilsserontemprisonnésun an, avant qu’on prouve que c’était unmontage.Mais lemalétaitfait…Enfin,ilyaunestratégiededivisionsyndicale,delicenciementscollectifs(autourde10.000travailleursdeCoca-Cola), d’externalisation du travail et de satellisation de l’entreprise, en créant des succursales, des sous-traitants.Soituneguerretrès,trèsdure.

Nous avons mené une campagne globale au niveau inter-national, quiaeudes répercussionsénormes.Nousavonsréussi à mettre en cause Coca-Cola ; pas seulement le pro-blème de la violence antisyndicale en Colombie, mais aussi la question de la politiquemême de l’entreprise. Nestlé etCoca-Cola ont accepté de venir à la table de négociation.Mais nous ne sommes pas parvenus à un accord général.Celanesignifiepasqu’iln’yaitplusdeconflits.Souslapres-sion mondiale, les formes les plus radicales de la violence ont été désactivées. Elles n’ont pas disparu pour autant–pasplusquelapeur;ellesrestent«enréserve».

Qu’est-ce qui a changé avec les Accords de paix ?

Toutcontinuedelamêmefaçon.Noussommesconfrontésàunpanoramadutravailquiévoluetrèsrapidement,àunepressiontrèsforte,quis’apparenteàduharcèlement,etàunesériedemesuresgouvernementales– réformesdes impôts,despen-sionsetdutravail–quiprécariseencorepluslestravailleurs.

Et par rapport à cette situation, quelle est votre stratégie ?

Noustravaillonsàcréercequ’onpourraitappelerunespacedeconvergence.L’idéeestdeconstituerunsyndicatinterprofes-sionnelfort,etunblocsocialautonome,quiimpliquelessyn-dicats,maisquiailleau-delà,etengagelapopulationsurdesproblèmesquilatouchenten-dehorsdesquestionsdetravail.Maiscelademandedutemps,etd’alleràcontre-courantdelaviolenceetdelacultureducaciquisme[lafiguretraditionnelledu caciquedésigneunnotableexerçantuncontrôledefaitsurlaviepolitiqueetsocialedelapopulationauniveaulocal].

Coupeur de canne à sucre membre du syndicat Sintracatorce, à Palmira dans le Valle del Cauca.

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UN SYNDICALISME SOUS MENACEENTRETIENAVECEFREN CUELLAR,SYNDICALISTEDESINALTRAINAL

Qu’est-ce qui est à l’origine de la création du syndicat au sein de La Colombina ?

Efren Cuellar : L’entreprise retenait sur les salaires la partie due aux travailleurs pour les incapacités médicales, alors qu’augmentaitlenombredepersonnesmalades.Etlesyndi-catpatronalnemettaitpasenœuvrelesmécanismesd’accèsausystèmedesanté,organisaitl’externalisationdesproces-susdeproduction.Pire,ilvolaitlestravailleurs:ilavaitlevéunfondsfunérairepour lestravailleurs,et ildétournait l’argent.Lestravailleursmaladesontalorsdécidédes’organiser.

À partir du moment où vous formez le syndicat, que se passe-t-il ?

L’entreprisenouspunit.Aujourd’hui,jen’aiplusledroitdetra-vailler.J’arrive,onm’enlèvemontéléphoneportable,etjedoisrester seul, dans une pièce vide, à ne rien faire toute la journée, avecunecamérafixéesurmoi.Sijemelèveetquejen’appa-raispasàlavidéotroplongtemps,ungardedelasécuritévientvoircequisepasse.Touslesjours,toutelajournée.Etonm’amenacé.Quatrefois.Lapremière,endéposantunelettreano-nymedansmaboîte…

« À l’intérieur de l’usine, on menace de vous virer, et dehors, on vous menace de mort »

Qu’est-ce qu’elle disait cette lettre ?

Arrêtelesyndicatoutuvasmourir.

Et les autres menaces ?

Uneautrelettre,desaccusationsetintimidationssurWhatsApp,etonm’amêmeabordédanslarue,pardeuxfois.Ladernièrefois,ilyaunmois.Deuxhommes,surunemoto,m’ontarrêtéenmedisantquej’allaismourir…

Vous avez signalé ces actes ?

Oui,auprèsdudépartementspécialisédelaFiscalía [Bureau du procureur] ; un département créé l’année passée suite justement à la recrudescence des violences envers les lea-ders sociaux. Les deux premières dénonciations ont étéarchivées,alorsqu’onavaitdonnélesnomsdespersonnesdel’organisationsyndicalepatronaleimpliquées,etqu’ellesavaientétéreconnues.Lesautresplaintesontétéprisesencompte.LaFiscalíaademandéquelapolicefasseunevisitedetempsentemps,unefoisparsemaineouparmois.

À part sa présence, la police est-elle d’un quelconque secours ?

Elle donne des conseils techniques de ce qu’on pourraitappeler «auto-préservation»; comme de regarder dans larueavantdesortir,dechangerrégulièrementdechemins,denepassortirseul,etc.

Vous avez peur ?

Oui,biensûr…

Comment fait-on au quotidien ?

C’esttrèsdifficile…Toutçaaaffectémasanté.J’aidespro-blèmesd’anxiété,j’aifaitdesdépressions…

Vous vous sentez soutenu par votre famille, vos amis, les compagnons du syndicat ?

Je vis seul avecmes enfantsmineurs, donc de ce côté-là…J’ailesoutiendescamarades,cartousontétémenacés.J’aiété voir lesmédecins du travail,mais ilsm’ont dit quemesproblèmes de santé n’avaient rien à voir avec lesmenaces.J’ai été voir la direction de l’entreprise, et sa réponse a été : ‘personnenevousademandéd’êtresyndicaliste’.Cenesontpasseulement lesmenaces; c’estaussi leharcèlement, lesintimidations, lapression.Àl’intérieurdel’usine,onmenacedevousvirer,etdehors,onvousmenacedemort.

1 EfrenCuellartravailledepuis1997danslafilialedeValledelCaucadugéantagroalimentaireLaColombina,commeopérateurdemachines. Enavril2017,ilestl’undesfondateursdusyndicatSinaltrainalauseindel’entreprise.

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RECONSTRUIRE LA PAIX ET LA DÉMOCRATIE DANS LES TERRITOIRESENTRETIENAVEC LUZ NELY OSORNO,VICE-PRÉSIDENTE DEL’INSTITUTPOPULAIREDEFORMATION(IPC)

IPC travaille à Medellín et Antioquia ; quelles sont les spécificités de ces régions ?

Luz Nely Osorno: Pour comprendreMedellín, il est néces-saire d’étendre le contexte territorial au département d’An-tioquia, dont Medellín est la capitale. Antioquia a été l’undesépicentresduconflitarmé interneenColombie, cequise reflète dans le nombre d’assassinats, de déplacementsforcés massifs, la spoliation des terres des paysannes et paysans…autantd’exactionsquienfontunedesrégionslesplusinégalitairesdupays.Deplus,avecleCauca,c’estledépartementaveclenombreleplusélevéd’assassinatsdepuislasignaturedesAccordsdepaix.Lespersonnesréclamant leursterres,défendant leursterritoires,etc.sontcellesquisontlesplusmenacées.MedellínadescaractéristiquessimilairesavecAntioquiaentermesd’inégalitésetd’insécurité,quienontfait longtempslavillelaplusviolentedeColombie,alorsmêmequ’elleaété«vendue»sur lascène internationalecomme laville laplusinnovante,grâceàsesinfrastructures.

Où en sont les Accords de paix aujourd’hui ?

IlyaeudiversengagementsdugouvernementSantospourgarantir lapaix.Touteunearchitecture institutionnelle(Juri-diction spéciale pour la paix, Commission de la vérité, Com-missionderecherchedespersonnesdisparues…)aétécréée.Cependant, lamise enœuvre de cette politiquemontre lesfaiblessesd’unÉtatcooptépardesacteurs,aussibienlégauxqu’illégaux,opposésauprocessusdepaix.

Sommes-nous vraiment dans une situation de post-conflit en Colombie ?

Non,etmêmes’ilexisteundébatàcesujetenColombie,nousnous sommes exprimés, avec d’autres acteurs, dès la signa-turedesAccordsdepaix,pourdirequeceux-cin’impliquaientpasnécessairementd’entrerdansuncontextedepost-conflit. Cequi commençait, c’était un scénario post-Accords, du faitquetoutcequialimenteleconflitenColombien’avaitpaséténégocié(lemodèlededéveloppement,l’industrieminière,etc.)etdel’autre,quelesAccordsn’ontpasétéfaitsavectouslesacteurs armés, dont l’ELN [l’Armée de LibérationNationale;l’autreguérillahistorique].

« L’ESS ouvre la possibilité à ce que les personnes qui reviennent sur leurs terres puissent y rester, créer des conditions de vie pour leurs familles, et avancer dans la construction de la paix territoriale »

Le point sur la Réforme Rurale Intégrale des Accords de paix se réfère à l’économie solidaire. Quelle est la relation entre économie solidaire et réforme agraire, et, au-delà, avec la paix ? Et comment l’IPC fait-il le lien entre eux dans son travail ?

L’impossibilitéd’accéderàlaterre,quecelasoitàcausedeladépossessionoupourd’autresraisons,empêchedemenerà terme des expériences de production alternative à petite etmoyenneéchelles. Leprocessusdepaixouvre lapossi-bilité de transformer le milieu rural et de potentialiser les initiativesd’économiesocialeetsolidaire(ESS).L’IPCdéve-loppesastratégiedepuisplusdeseizeansaveclapopula-tion urbaine défavorisée de certains quartiers deMedellín,caractérisésparleconflit,etaveclespaysannesetpaysanssans terre, et les victimesde dépossession dans la régiond’Uraba.L’ESSouvrelapossibilitéàcequelespersonnesquireviennent sur leurs terres puissent y rester, créer des condi-tions de vie pour leurs familles, et avancer dans la construc-tiondelapaixterritorialeC’estnotrestratégie:contribueràrétablirlesdroitsdecespersonnesetgénérerlesconditionsdedurabilitépourqu’ellespuissentvivreetdemeurerdansleursquartiersousurleursterres.

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UNE AUTRE ÉCONOMIE POUR UNE AUTRE COLOMBIEENTRETIENAVECJULIANA MILLÁN,CO-DIRECTRICE DEL’ASSOCIATIONDETRAVAILINTERDISCIPLINAIRE(ATI)

Comment et pourquoi ATI en est venu à intégrer l’économie sociale et solidaire ?

Juliana Millán: ATI, comme organisation, découvre l’ESSde façon structurelle, il y a plus de huit ans de cela, maisde manière intuitive, depuis bien avant, à partir de son tra-vail autour de la souveraineté et l’autonomie alimentaires.Nousaccompagnionsdescommunautésindigènesetpay-sannes, qui avaient réussi àmettre enœuvre des formesautonomes de production et de distribution alimentaires au seindeleurscommunautés.Maiscetteautonomieseper-daitenarrivantsurlemarché.

« Réinventer l’ESS, non seulement à partir des grandes théories académiques, mais aussi à partir des réflexions et luttes d’autres peuples et communautés »

Ilétaitnécessaired’apprendreetderéfléchiràlaconstructiond’unsystèmealternatifdurable.Celasupposaitd’affronterlanécessitéetledéfidetransformerlesrèglesetletissusocialauseinduquelfonctionnel’économie.Aucoursdecetravail,ATIdécouvreunhorizonderéflexionthéoriqueetpolitiquedel’ESSenAmériquelatine,ainsiquedespropositionspratiquesdeconstructiondecestissussociaux.Aussi,ilfallaitréinven-terl’ESS,nonseulementàpartirdesgrandesthéoriesacadé-miques,maisaussi àpartir des réflexionset luttesd’autrespeuplesetcommunautés,etdecequ’ilsétaienten traindefaireetdeproposer.

Quel est le contexte actuel de post-Accords de paix ?

Lesdésaccords et incohérencesdunouveaugouvernementparrapportàlamiseenœuvredesAccordsdepaixsont,detoutpointdevue,unerégression.Ilyaunchaospolitiqueetdesthèmescommeledéveloppementterritorial, lasubstitu-tiondesculturesd’usage illicite, la restitutiondes terresoulaconstructiondepolitiquespubliquesprioritairespourl’agri-culture familiale, paysanne et communautaire sont gelés. Et, actuellement, le parti d’extrême droite, le plus puissant au seindugouvernement,présenteauCongrèsuneréformepourdonner plus de pouvoir à l’exécutif au détriment des initiatives populairesetcitoyennes.

LedémantèlementdesAccordsetdeleurmiseenœuvresigni-fie le retourde lapeurcomme instrumentdepression,pourdésactiver la capacité des organisations sociales, pour per-mettreuneplusgrandeconcentrationencoredupouvoir,pourempêcherquesoitdémontréqu’ilestpossibledeconstruireunmondedifférent.

Le gouvernement colombien n’a pas voté favorablement la déclaration des droits des paysans et paysannes à l’ONU, alors même que la Colombie est un pays de tradition paysanne ? Comment vous positionnez-vous face à cela ?

L’élitequidétientactuellementlamajoritéauseindugouver-nement et du parlement tire son pouvoir de la concentration delaterre.Iln’yariendesurprenantàcequecetteélite,detendancepolitiquetrèsàdroite,nesoitpasintéresséeàrecon-naîtrelapaysanneriecommeuneoptiondevie,socialement,écologiquement,économiquement,intégraleetdurable.Notretâcheestdenepasperdrecequiaétéconquishistori-quementdans laconstructiondeprocessussociaux,quinefontpasquedessinerdesmondespossibles,maisquienfontune réalité, à travers des formes alternatives d’éduquer, desoigner,deproduire,derendrejusticeet,engénéral,devivre.Le pays a une dette envers les communautés paysannes ; dette qui passe par leur reconnaissance. Cela suppose lamiseenplaced’unepolitiquedifférenciéequigarantissenonseulement la vie, mais aussi leurs formes d’appropriation, de construction et de reproduction sociales. Une fois celaacquis,etconjointementaveclescommunautésindigènesetafro-descendantes,demeureledéfidefaireensortequecespolitiquess’appliquent réellementpar lebiaisd’une réformeruraleintégrale,quipassedetouteévidenceparuneréorga-nisation territoriale, permettant aux uns et aux autres de vivre dignementenmilieurural,sansdevoirs’affronterpourlaterreetlecontrôleduterritoire.

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UN PAYS À DEUX VITESSES

Paysstableettouristique,ayantété,àl’inversedesesvoisins,relativement épargnépar le terrorisme, leMaroc jouit d’uneimagepositive.Lapauvretérecule, lacroissanceestauren-dez-vousetl’accorddelibre-échangeavecl’Unioneuropéenne(UE)estcenséconsacrercecerclevertueux.Àyregarderdeplusprèscependant,sedessineunpaysbienpluscontrasté.L’emploiinformeldomine,lesinégalitésstagnent,etladémo-cratisationn’esttoujourspasàl’ordredujour.

L’arbre des indices macro-économiques cache la forêt desquestionssociales:l’accèsàl’eau,àl’électricité,auxservicespublics…Leschiffresofficielsnereflètentquepartiellementetpartialementlaviequotidiennedelamajoritédelapopulation.Entémoigneainsiledécalageentrelapauvretéressentie,sur-toutenmilieurural,quiaugmente–unepersonnesurdeuxseconsidèrecommepauvre!–etsonreculstatistique.

D’ailleurs,ledernierrapportduConseilEconomique,SocialetEnvironnementalmarocain(CESE),questionnaitlemodèlededéveloppement du pays et le caractère non inclusif de la crois-sance–dansunlangagecertesprudentetpolicé,évoquantautant de «dysfonctionnements» (allégeance au royaumeoblige). Alors que près d’unMarocain sur deux amoins de25ans, le tauxdechômagedes jeunes (26,5%en2017)estprès de trois fois plus élevé que la moyenne nationale, etdépasseles40%enmilieuurbain!

Lasituationestplusproblématiqueencorepourlesfemmes.Le rapport du CESE évoque «un phénomène d’éviction des femmes»surlemarchédetravailet,demanièregénérale,sou-ligne«l’absence d’une politique publique intégrée pour la réduc-tion des inégalités basées sur le genre».D’oùunediscriminationd’accèsaulogement,àlasanté,àl’éducation(letauxd’anal-phabétismedesfemmesestprèsdedeuxfoisplusélevéqueceluideshommes),etc.,etuneplusgrandepauvreté.

Malgré la progression de la couverture médicale de base(60%selonleministèredelaSanté),lesystèmedesantéestàdeuxvitessesetlesinégalitésd’accèsauxsoinsliéesauxfac-teurs socio-économiques ont même augmenté entre 2012 et2015selon l’évaluationde2017duRégimed’assistancemédi-cale(RAMED).Lafaiblepartdubudgetpublicaccordéeàlasanté(autourde6%),lesdisparitésterritorialesetlapénuriedeperson-nelreproduisentplutôtqu’ellesnecorrigentcesinégalités.

Forceestalorsdeconstaterlasous-utilisationdel’économiesociale et solidaire (ESS) et son instrumentalisation, au ser-viced’unestratégiededéveloppementnéolibéral.Ladisper-siondesactionsetinstitutionspubliques,ainsiquelemanquedemoyensetdecrédits,reflètentetrenforcentl’absencedevolontépolitique. Leprojet de loi-cadrede l’ESS, qui attenddepuis trois ans dans les tiroirs de l’État, en est l’une des mani-festationslespluséloquentes.

Au revers de l’image avantageuse que cherche à vendre lerégime, ces manques et ces inégalités nourrissent un Ya Basta, qui éclate ici ou là.Ainsi, leMarocaété secoué, cesdernièresannées, parun réveil socialmultiforme, augrédemobilisationspopulairesimportantes,notammentauRif,qui,par-delà leurs différences, ont en commun d’exprimer une mêmerevendicationdejusticesocialeetdedignité.

Quinze associations et vingt initiatives d’ESS de six quartiers populaires du Grand Casablanca, sont appuyées par le programme commun de Solsoc et de ses trois organisations partenaires marocaines : l’Action Femmes des Associations des Quartiers du Grand Casablanca (AFAQ), l’Action Jeunes des Associations des Quartiers de Casablanca (AJR) et l’Institut de Formation et d’Accompagnement des Associations de Proximité (IFAAP). Les projets mis en œuvre répondent aux besoins des personnes, en particulier les jeunes et les femmes, de ces quartiers, et constituent une base pour relayer leurs préoccupations vers les pouvoirs publics.

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DÉSENCLAVER LA VISION ÉCONOMIQUE ENTRETIENAVECABDALLAH SOUHAIR,PRÉSIDENTDUREMESS

Le Réseau Marocain de l’Economie Sociale et Solidaire (REMESS) existe depuis 2006. Quelle est son histoire ?

Abdallah Souhair :LeREMESSaétécrééparunensembledecoopératives, d’associations, de personnes ressources, qui,aucoursduForumSocialMondialdePortoAlegre,auBrésil,ont vu des expériences d’économie sociale et solidaire (ESS), et ont eu l’idée de former ce réseau, avec l’appui du Réseau Intercontinentalpour laPromotionde l’ÉconomieSocialeetSolidaire(RIPESS).Commetoutorganismedelasociétécivile,ilaeu,aucoursdecestreizeans,deshautsetdesbas.Jepeuxdiviserendeuxétapes cette période ; celle des fondements et de la construc-tion, où le REMESS a travaillé à l’échelon national, puisinternational,surtout,auniveauafricain.Durantcettephase,l’ancrageterritorialaétéunpeunégligé.Unenouvelleéquipe,à laquelle j’appartiens, est venue des régions, en 2015, pouressayer de travailler dans une vision territoriale, et de créer des pontsauniveaurégionalauMaroc.C’estladeuxièmeétape.Douze pôles, un pour chaque région du pays, ont été misenplace.Celaveutdirequ’onacréédouzeentitésREMESSrégionales. On a essayé d’associer à chaque fois les diffé-rentescomposantesdel’ESS.Onn’apasnégligépourautantla dimension internationale, mais on a zoomé sur l’aspect ter-ritorial,enessayantd’investirdanscettedynamique.

Le paysage institutionnel de l’ESS a-t-il changé au cours de ces 13 années ?

Ilyaeuuneappropriationetuneinstitutionnalisationdel’ESSdepuis le début des années 2000, avec des lois votées, des ins-titutions créées, notamment la constitution d’un secrétariat de l’économiesocialeen2011, l’organisationdesAssisesen2015,etc.Cesontdessignesquimontrentl’articulationentrel’Étatetlesacteursdelasociétécivile.Maisjepeuxdirequela société civile est très avancée sur les institutions, si on fait une comparaison en termes de dynamisme, d’approche, deproduits,etc.Lesinstitutionsenregistrenttoujoursunretard.

À quoi est dû ce retard ?

C’est l’appropriation et la conception même sur la base des-quellesonenvisagel’ESS.C’estunoutilpourremédieretcor-rigerlesfracturessociales,unoutildeluttecontrelapauvreté,l’exclusion sociale, contre toutes les fractures ; fractures provo-quéesparcesmêmespolitiquesdel’État.C’estunpansement.Denotrecôté,l’ESSestunsecteurquipeutcréerlarichesse,qui peut créer l’emploi; ce n’est pas une roue de secours!Mais, pour l’État, c’est un outil de dépannage, de bricolage. Etlesrésultatsreflètentcetteconception.Cequifaitlemal-heurdel’ESS,c’estcettevisionpolitique.Etmêmesicelle-cidiffèred’ungouvernementàunautre, iln’yapasdevolontépolitiquepourpromouvoircesecteur.

« L’ESS est un secteur qui peut créer la richesse, qui peut créer l’emploi ; ce n’est pas une roue de secours ! »

Le plaidoyer pour promouvoir ce secteur est l’un des principaux défis du REMESS ?

Oui,c’estunaxemajeur.Ils’agitdefairesortir leslois,maisaussiquecelles-ci reflètentvraiment lesvaleurset lesprin-cipesqu’ondéfend.Parexemple, la loi-cadresur l’économiesociale.Onadéjàproduitunprojetdeloien2016,avecl’appuidelaFAO(OrganisationdesNationsuniespourl’Alimentationet l’Agriculture).Maiselleestgeléedansles instancesde lalégislationmarocaine.Notremission,c’estdeplaiderpourquecetteloivoielejour.On plaide aussi pour la loi du commerce équitable, surtoutmaintenant que, avec la crise sociale et économique, sedéveloppentdesmouvementssociauxdansleRif,àZagora,ailleurs,ouaveclagrèvedespetitsépiciersàcausedelaloifinancière2019 (elle instaure l’obligationde tenirunecomp-tabilitéetunefacturationélectroniques, revoit leplafonddechiffred’affairespourbénéficierd’avantages,etc.).Notremis-sion, c’est d’être au niveau et à la mesure des mouvements sociaux, qui nous interpellent, car l’ESS peut être, parmid’autres,l’unedessolutionsdecesacteurs.

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DES FEMMES AU CŒUR DE LA LUTTE POUR LA DIGNITÉENTRETIENAVECKENZA CHAAIBY,COORDINATRICE DEL’ACTIONFEMMESDESASSOCIATIONSDESQUARTIERSDUGRANDCASABLANCA(AFAQ)

Vous travaillez avec les femmes des quartiers populaires de Casablanca. Quelle est leur situation ? Quelles sont leurs attentes et revendications ?

Kenza Chaaiby : Ces femmes vivent dans une situation de pau-vreté,demarginalisation,d’exclusionetdeviolence.Danscesquartiersetdans lesbidonvilles, lamentalitépatriarcaleesttoujoursdominante.Et lesfemmesdesquartiers industrielsde Casablanca sont exploitées comme travailleuses bon mar-ché,sansdroitsniprotectionsociale.Toutesces femmes revendiquent l’égalité, la liberté,uneviedigne,unTravailDécentetunrevenuquileurgarantissentladignité,ainsiqueledroitdeparticiperàlaviepubliqueetdeprendredesdécisionsconcernantlespolitiquespubliques.

« Une économie alternative qui doit jouer un rôle garantissant la justice sociale »

Vous avez mis en place un mécanisme de veille collectif et participatif sur les discriminations envers les femmes. De quoi s’agit-il ?

AFAQamisenœuvredixantennesde travaildans lesquar-tiers. Elles ont été constituées par des représentantes desassociations de quartier, des initiatives d’économie socialeet solidaire (ESS), des sections locales des syndicats et des associationsdedéveloppementetdedroitshumains.Leurrôleestdesuivreetd’évaluerlespolitiquespubliques,lesprojetsdedéveloppementauniveaulocal,ainsiquelesplansdedéve-loppementcommunal,envérifiantque leprinciped’équitéetd’égalité des chances, et l’approche genre soient respectés. Et de dénoncer les diverses formes de discrimination envers les femmes, en interpelant les responsables des partis poli-tiques,lesélus,etlespouvoirspublicssurcesactes.

Il existe des lois sur l’économie sociale et solidaire au Maroc. Répondent-elles à vos attentes ? Si non, comment vous positionnez-vous par rapport à celles-ci ?

Il faut reconnaître que leMaroc progresse au niveau de lapromulgationdestratégiesliéesàcettethématique.Notonsla loi sur les coopératives et le projet de loi sur l’économie socialeetsolidaire (ESS).Cesontdes loisambitieuses,quivisent à développer un cadre et à en définir le périmètre. Il y a aussi la stratégie nationale 2018-2028, qui chercheà accroître la contribution de l’ESS dans la création derichessesetdepostesdetravail.Notrestratégieconsisteàfairepressionsurlegouvernementpourqu’iltraitel’ESSnonseulemententantquesecteurcom-pensantlerôledel’Étatdanslacréationd’emploisetlapro-ductionderichesses,maiségalemententantqu’alternative;uneéconomiealternativequidoit jouerunrôlegarantissantla justice sociale, la répartition équitable des richesses, etcontribueràladémocratisationdel’Étatetdelasociété.

Le Maroc a signé un accord de libre-échange avec l’Union européenne ; cela favorise-t-il ou défavorise-t-il l’ESS ?

Lasignaturedecetaccord,en2000,visaitàattirerdesinves-tissements, à créer des emplois et à améliorer la compétiti-vité du tissu économique local. Mais les échanges inégali-tairesavecl’Unioneuropéennenefavorisentpasl’ESS.Etnepeuventlefairevulemanquedeprotectiondumarchélocalcontreledumpingdesproduitseuropéens,compétitifsetbonmarché,l’absencedetoutestratégievisantàaméliorerl’accèsdes produits des coopératives et des initiatives d’ESS maro-cainesaumarchéeuropéen,etenfin,vulafragilitémêmedesinstitutionsetacteursdel’ESS.

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PAIN, FEMMES ET DIGNITÉENTRETIENAVECMOUNIA LAMRANI,GÉRANTE DELACOOPÉRATIVECHHIWATEBLADI

Vous pouvez nous présenter votre coopérative et ses membres ?

Mounia Lamrani:Noussommesdix–ungroupedefemmes,avectroishommes–àtravaillerdanscettecoopérativedepâtisserie, boulangerie, traiteur, mais on travaillait avantcomme association. Cela fait un an qu’on a formé la coo-pérative.Lesfemmesicisontsouventensituationdifficile;veuves, divorcées, ou ni mariées ni divorcées… Pour lesfemmesquiviventseules, lasituationestplusdifficile: lesloyerssonttropchers, lesenfantsdoiventallerà l’école, letransportestcompliqué,etc.Il y a aussi deux Guinéens. On a une convention avec uneassociationquitravailleavecdesmigrants;onleurlivredesbuffets. Ils nous ont demandé pourquoi ne pas donner uneformationàcertainsdecesjeunesmigrants,pourquoinepasleurapprendrecequevousfaites?

Comment ces femmes ont-elles connu la coopérative ?

C’est le bouche-à-oreille dans le quartier; on est connudanslesecteur.J’aicomptéqu’ilyadéjàeuquatregénéra-tionsdefemmesensituationdifficile–veuves,divorcées–dansl’association.

Ce n’est pas difficile pour ces personnes en situation difficile de venir ici travailler ?

Non. Elles apprennent la cuisine, la restauration, et enmêmetemps, elles travaillent. Avec l’organisation d’une crèche pourgarderleursenfants.Etpuis,onfaitdesrencontres;oninvitedespsychologues,desmédecins,quisuiventcesfemmes.Onafaitune convention avec une association spécialisée, qui travailleavecdesfemmesensituationdifficile,etquiadesavocats.On essaie de travailler le social avec ces femmes, et de leurmontrercommentdire«oui»,commentdire«non».Avant,ellesnesavaientpas.Onfaitduplaidoyer,etavecl’aidedecespsy-chologues,decesavocats,onarriveàtrouverdessolutions.

Il y a deux Guinéens, une Berbère, des femmes en situation difficile… il n’y a pas de tension ?

Non,iln’yapasdutoutdetension.Vousvoyez,laBerbère,parexemple,neparlaitpasarabelorsqu’elleestvenue,maisavecles Guinéens, ils se comprennent très-très bien; ils parlentavec lesmains! On vient de faire une convention avec uneassociation qui travaille avec des handicapés; trois d’entreeux, en deuxième année d’hôtellerie, vont venir ici faire unstage,apprendreletravailengroupeetlesdémarchesàfairepourcréerunecoopérative.

Quel est le salaire ?

Le salaire est presque lemême pour tout lemonde, car ilstravaillent pratiquement lemême nombre d’heures, de 8h à16h-16h30;2500dirhamparmois[230euros].Onespèrepro-chainementmonterà3.000dirham-Inch’Allah.Etcetteannée,pour la première fois, on a pu payer l’assurance [maladie, acci-dent,etc.]detouslestravailleurs!

Quel regard les habitants du quartier portent sur vous ?

Très positif. Le quartier sait très bien qu’on a un très bonproduit, une trèsbonnehygièneetun trèsbonservice.Ona changé leur regard sur les Guinéens, sur les Africains…Parfois,desgensviennentacheterdupain,voientqu’il yades Guinéens, et posent des questions. On les fait rentrerdans l’atelier. Ils voient comment travaillent ces femmeset ces jeunes, et ils disent «bravo»! On a eu la visite sur-prise du service d’hygiène de la préfecture, qui faisait latournée de tout le quartier. C’était la première fois pournous. Et vous savez cequ’ils nousont dit?Qu’on était lesmeilleurs, et ils nous ont donné un dix sur dix! Tout estpropre. Tout le monde ici, dans le quartier, connaît cetavantage. Et le bouche-à-oreille fait que d’autres clientsviennentdeloin.Onnetravaillepasseulementpourvendre,c’est notre santé, et c’est notre quartier, notre famille, nosenfantsetnosamisquimangent.Etnousaussi,nousman-geons!Vousne trouverez ici aucuncafard, aucunesouris; c’estcommeàlamaison.

« On ne travaille pas seulement pour vendre, c’est notre santé, et c’est notre quartier, notre famille, nos enfants et nos amis qui mangent »

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LA DÉMONSTRATION PAR LA SOLIDARITÉENTRETIENAVECHASSAN DAFIR,COORDINATEURDEL’IFAAP (INSTITUTDEFORMATIONETD’ACCOMPAGNEMENTDESASSOCIATIONSDEPROXIMITÉ)

La majorité de l’emploi au Maroc est informel. L’économie sociale et solidaire (ESS) est-elle une réponse à cette situation, un pont vers la formalisation ?

Hassan Dafir:Danslesquartierspopulaires,ilyaunmanqueetilyadesproblèmes.Ilyabeaucoupdechômage.Ontravaillesur la formation professionnelle et la création d’entreprises, quitiennent larouteéconomiquementetquirespectentdesprincipes.Ondémontrequ’ilya,réellement, lapossibilitédeservir la dynamique associative, de résoudre certains pro-blèmes, comme l’emploi, la protection sociale, et de répondre auxintérêts.Or,l’intérêtdespersonnes,c’esttrèsimportant,carc’estlaported’entréepourlamobilisation.C’est un cadre de propositions concrètes, à partir duquel,onfaitunplaidoyer,pourdireàl’Étatqu’ilfautintégrercettedimension comme une autre voie pour résoudre le problème de l’emploi, et ne pas rester coincé dans la logique «patro-nariale»,dans l’espritentrepreneurial,où laseulepossibilitéc’estdeformaliserl’informel.

Ce travail de démonstration auprès de l’État porte-t-il ses fruits ? Est-il plus réceptif ?

Il y a la volonté de renforcer l’ESS pour résoudre l’emploides groupes vulnérables, avec des objectifs: augmenter lacontributiondel’ESSauPIB,multiplierlesacteurs,etc.C’estlediscours,mais la réalité, c’estautrechose.Lesecrétariatd’État chargé de l’ESS est lié auministère du Tourisme, duTransportaérienetdel’Artisanat.Danslapratique,lechampd’action de l’ESS est canalisé dans le secteur du tourisme ; promouvoir l’artisanat,présenterdesproduitsduterroir,etc. C’est réduire l’ESS à organiser certaines tâches complé-mentaires des grandes entreprises. Par exemple, l’État adonnélestatutd’autoentrepreneursàdesmarchandsambu-lants,organisésenassociationscrééesparlapréfecture,enles ramenant surunmarché, dansunespacede venteplusserré.Ilssontdansuneactivitécomplémentaireauxgrandesfamilles,quiontlemarché,quiontlesmagasinsMarjane, les grandessurfaces,etchezquilesgensfontl’essentieldeleurscourses;ilsrestentenfermésdanslacomplémentarité.Onn’apastransformélemarché,onnelesapasaidésàs’organiseret à se transformer en coopérative, pour leur permettre d’aller plusloinqued’avoirunpeud’argentaujour-le-jour.

Comment développer alors l’ESS pour qu’elle soit institutionnalisée sans être instrumentalisée ?

Onfaituntravaildeplaidoyerpourque la loi-cadrede l’ESSsoitadoptéeetquel’ESSdevienneunepolitiqued’État.C’estàl’Étatdecréerdel’emploi.Notrerôle,c’estentravaillantdansla proximité sur les liens sociaux et de solidarité, de répondre àcertainsbesoinsdans lesquartiers,etainsi,dediversifierlesmanièresqu’ont lespolitiquespubliquesderésoudre lesproblèmes,dontceluidel’emploi.

Les chiffres et discours officiels donnent une image très positive du Maroc. Le pays a changé vers un mieux ?

Lechangement,oui,ilestlà.Auniveaudel’infrastructure,ilyaunenetteamélioration.Mais,cetteaméliorationellesertqui?Parexemple,ilyaungrandchantierpourtransformerCasa-blancaenunevilledeservicesetd’affaires.Quiapriscettedécision?Nilesélusnilapopulation.Etavecquelsmoyens?Surtout,quivaenbénéficier?Leshabitantsdebidonvillessontrejetésenpériphérie,lestra-vailleurspartentpourse rapprocherdesusines, repousséesplusloin.Et,danslaville,onremplacecesindustriespardesactivitésdeservices,quin’offrentpasautantnilemêmetyped’emplois.Celachangeautomatiquementlasociologiedelapopulation.Quis’installeàCasablanca?Ceuxquiontlesqua-lificationspourcesemploisetlesmoyenspoursepayerdesloyerspluschers.C’estunMarocàdeuxvitesses.

« C’est réduire l’ESS à organiser certaines tâches complémentaires des grandes entreprises »

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UNE AUTRE MANIÈRE DE (SE) MANIFESTERENTRETIENAVECAMINA ZAIR,PRÉSIDENTE DEL’ACTIONFEMMESDESASSOCIATIONSDESQUARTIERSDUGRANDCASABLANCA(AFAQ)

La vie de tous les jours d’une femme dans les quartiers populaires de Casablanca, c’est quoi ?

Amina Zair: D’abord, avec un regard d’ensemble, on peutvoir l’inégalité totale d’une façon géographique, dans ladistributiondelarichesse,etdansl’exercicedespolitiquespubliques.Situzoomessurlesquartierspopulaires,tuvoislapauvreté, lamarginalité, l’analphabétisme.Iln’yapasdejardin, pas d’espace public pour les femmes et les enfants, pasde transport, pasdeclubsdesport, le ramassagedesdéchetssefaitmal,etc.Etsituzoomesencoreplus,tuvoisqu’ilyaplusieurscatégo-riesdefemmes;celleaufoyerquipensequ’ellenesait rienet qu’ellen’est rien; cellequi travaille dans l’industrie; cellequitravailledansuneinitiativeéconomique…Maispourtoutesces femmes, il n’y a pas de bonnes conditions de travail ni de respectdeleursdroitsfondamentaux.Ettoutessontvictimesdeharcèlement,deviolences,quecesoitverbalouphysique.

« Et toutes sont victimes de harcèlement, de violences, que ce soit verbal ou physique »

L’économie sociale et solidaire (ESS) répond-t-elle plus spécifiquement aux besoins de ces femmes ?

Oui, le besoin prioritaire de ces femmes, c’est d’avoir unrevenu, un rendement stable. C’est pour cela qu’AFAQ lesaccompagnepourlesformer,lesregrouperdansuneinitiativeéconomique,renforcerleurscapacitésdegestion,trouverdesmoyensetdesoutilssolidaires,pourrépondreàleursbesoins.Ilyauneévolution.LesfemmesaveclesquellestravailleAFAQont maintenant un rendement stable, une vie, entre guille-mets,plusfavorable.Ilyaunchangementdecomportement,etellessontarrivéesàintégrerd’autresfemmes.Parcequ’onnevisepasseulementlerendementéconomique,maisaussil’intérêtgénéral,pouravoiruneinfluencedanslesquartiers.

Ces femmes ne sont pas confrontées à la résistance des familles, des hommes ?

Audépart,ilyavaitunerésistanceforteauniveaudespères,desmarisetmêmedesfrères.Mais,onmèneuntravailparal-lèleavecleshommes,pour lesintégrer,et leurdirequecelane touchera pas leur existence comme homme, pour qu’ilsacceptentet respectentque la femmesorte, travaille,aitunrevenupropre.Aucontraire,celavaaideràaméliorerlasitua-tion familiale, à donner à la famille une stabilité, au moins économique.Etelles,àtravers lesformations, leurfaçondediscuter,degérerlesconflits,desuivrelesenfantschangent.Toutcelasereflètesurlaviedelasociété.

Et la politique de l’État en matière d’ESS ?L’État a développé beaucoup de politiques, investi beau-coupd’argent,invitédesspécialistesinternationauxlorsdegrands événements, etc., mais sans stratégie, sans visionclaire, sans tenir compte du contexte marocain… et doncsansefficacité!Ilfaitdegrandesannonces,commecelledecréer500.000emploisdansl’économiesociale.Maisest-ceque la préoccupation de l’État, c’est juste d’absorber leschômeursoudecréerdesemploisdécents,avecdebonnesconditions de travail ?

Ces dernières années, le Maroc a été secoué par divers mouvements sociaux. L’ESS est-elle liée ou déconnectée à ceux-ci ?

Cenesontpasdeschosesséparées,carl’ESSestdanslebainsocial.Lesdécisionsprisesparlegouvernementmarquentunreculparrapportàdesacquis.Cesontdesdécisionscontrelescitoyens,quimenacentl’existencedespauvres.Ledernierexemple,c’estlaloidefinance,quiaffectelescoopératives.On peut dire qu’avec l’ESS, les femmes manifestent à leurfaçon.C’estune façondedireauxpoliticiensqu’onestarri-véesàaméliorerdeschoses,alorsqu’euxnesontmêmepasarrivésànousdonnerunespoir.Unemanièrededire:«nous, on est là, on vit et on a développé quelque chose, qui nous ras-semble et nous ressemble, et qui répond à nos besoins réels»!

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UNE JEUNESSE EN QUÊTE D’AVENIR

Laguerre(debasseetdehauteintensité)etlacolonisation;telle est la réalité quotidienne à laquelle font face, depuis50ans,lesPalestiniensetPalestiniennes.Leterritoireetlechamppolitiquesontdivisés,l’économieasphyxiéeetdépen-dante, la situation sociale et environnementale atrophiée. Leblocus,lecontrôleetlesincursionsmilitairesisraélienneshypothèquent toute perspective de développement, en cecomprisagricole.

LasituationestparticulièrementproblématiqueàGaza,bandecôtièrede42kmde long,quiconnaît,selon l’ONU, letauxdechômage le plus élevéaumonde (54%) et oùplusdesdeux-tiers des Palestiniens souffrent d’insécurité alimentaire. Etlesindicateurssocio-économiquesnecessentdeplonger,aupointquel’ONUavertissaiten2017queGazadeviendra«invi-vable»d’ici2020 1.Demanièregénérale,lesjeunes,majoritaires–deux-tiersdelapopulationontmoinsde29ans–,ensontlespremièresvictimes.Etleprincipalespoirdechangement.

Suite aux Accords d’Oslo, lamise en place d’une Autoriténationale palestinienne, en 1994, est venue assez vite buter sur l’autoritarisme et le clientélisme, la fracture entre le HamasetleFatah,et,surtout,lapoursuiteduprocessusdecolonisation israélienne. L’Intifada militarisé, les grandesmarchespacifiquesduMouvement du 15 mars[2011],quivou-laientfairesoufflerleventduprintempsarabesurlasociétépalestinienne,laguerremenéeparIsraëlcontrelabandedeGazaen2014,et lesMarches du retour en 2018 constituent les principales étapes du cycle de violence et de contesta-tiondecesdernièresannées.

Dans un contexte international demontée en puissance degouvernementsmarquéstrèsàdroite,enIsraëletauxÉtats-Unisaupremierchef,ladépendanceéconomiqueetpolitiquede l’Autorité palestinienne n’a de cesse de se creuser et dese tournercontre lapopulation.Viennents’ajouteràcela, lechômage(autourde30%;deuxfoisplusqu’enIsraël),lesvio-lationsrégulièresdesdroitset l’impassepolitique,semblanthypothéquertouteperspectived’avenir…

Faceauxdivisionsinternes(géographiques,politiques,cultu-relles), aux atteintes à la liberté de circulation, d’expression et d’association, et au double défide la répression israélienneetdelaconfiscationpolitiquepar leFatahet leHamas, l’es-poir de la jeunesse palestinienne réside avant tout dans ses propres capacités de mobilisations ; mobilisations à partir desquelles affirmer son autonomie, dégager des valeurspartagées,défendresesdroitset,enfin,générerdeschange-mentspolitiques,sociauxetéconomiques.

En ce sens, les Marches du retour, malgré la répression demasse–entrele30marsetle31juillet2018,164Palestiniensont été tués et 17.000 blessés par les forces israéliennes(dans le même temps, un soldat israélien a été tué et neuf autresblessés)–marquent,enmêmetempsqu’unrefusdela«ghettoïsation»,unrenouvellementdesmodalitésdelutte,ainsiqu’uneréaffirmationdel’autonomieetdel’initiativedesacteurssociauxen-dehorsdespartis.

1 Saufindicationscontraires,lesdonnéesproviennentduBureaudelacoordinationdesaffaireshumanitairesdesNationsunies(OCHA).

À travers l’appui à trois organisations partenaires, MA’AN Development Center, Popular Art Centre (PAC) et le principal syndicat palestinien, la PGFTU, Solsoc vise prioritairement à renforcer les capacités des jeunes et des femmes. En collaboration avec la FGTB Centrale générale, Solsoc accompagne les travailleuses et travailleurs des carrières et de l’industrie de la pierre, afin que, dans la perspective du Travail Décent, ils obtiennent de meilleures conditions de travail. De manière générale, le programme de Solsoc cherche à ce que les Palestiniens, en général, les jeunes et les femmes, en particulier, aient un meilleur accès à leurs droits sociaux, politiques, économiques et culturels, notamment par le travail de formation, de sensibilisation, de mise en réseau, d’alliance et de plaidoyer.

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LE CHÔMAGE CHEZ LES JEUNES EN PALESTINE

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UNE JEUNESSE OCCUPÉEENTRETIENAVEC GHADIR ZAINEH (MA’ANDEVELOPMENTCENTER), RAMI MASSAD(POPULARARTCENTRE(PAC))ET GHADA HASAN ALI ABU GHALYOUN(PGFTU,FÉDÉRATIONDESSYNDICATSDEPALESTINE)

Près d’un jeune Palestinien sur deux est sans emploi. Quelle est la réalité du chômage dans le pays ?

Ghadir Zaineh:D’abord, si onparleduchômageengénéral,letauxestde30%[44%àGaza].Maissionparledesjeunesayant fait des études supérieures, ce taux monte à 45%. Etlasituationestencorepirepourlesfemmes:seulement7%d’entrecellesquisortentdel’universitétravaillent.Ilyaaussides raisons culturelles à cela ; parfois, elles n’ont pas l’oppor-tunitédetravaillerdanstelouteldomaineentantquefemme.Mais,detoutefaçon,iln’yapasbeaucoupd’emploisetlemar-chédutravailestsaturé.

Beaucoup de jeunes étudient ? Quelle est la situation du système éducatif ?

Ghadir Zaineh :Nousavonsleniveaud’éducationleplusélevédespaysarabes.Laplupartdesjeunesvontàl’université.Ilyalà,parfois,unproblèmeouundécalage:beaucoupsuiventlesmêmesfilières.Chaqueannée,nousavonsungrandnombredejeunesquisortentdesuniversitéscommeingénieurs,éco-nomistes,médecins,etc.Lemarchéde travailestsaturédeces professions, et ces jeunes ne trouvent pas d’emploi ; d’au-tantplusquelaPalestineestunpetitmarchédutravail.C’estlaraisonpourlaquellenousdevonsnousconcentrersurlesformationsprofessionnellesettechniques,maisaussisurletravailagricole,pourencouragerlesjeunesàsuivrecesfor-mationsplutôtquetoujourslesmêmesfilières.C’estaussique,parfois,lesgensontunevisionétroite;ilsveulentêtrepatronsoufonctionnairesoutravaillerdansunegrandeentreprise,etilssedésintéressent, ignorentousous-estiment l’importancedel’agriculture,desemploisprofessionnelsettechniques.

Alors, ils travaillent où ?

Rami Massad:C’est lesecteurpublicquioffre leplusd’em-plois. Et puis, les gens préfèrent travailler dans le public. Le temps et les conditions de travail y sont meilleurs, et vous avezplusd’avantages.

Ghada Hasan Ali Abu Ghalyoun:Sinon,ilscherchentdespetitsboulotsouquelquechoseàfaire.Oualors,vulesdifficultéséco-nomiquesetlesproblèmes,ilspartenttravaillerenIsraëletdanslescolonies.Maismêmeceuxquitravaillentlà-baslefontdansdesconditionstrèsdifficiles,sansêtreprotégés,sansdroits…

Ghadir Zaineh:Ilstravaillentdelonguesheurespourdesbassalaires, dans des conditions très dures, sans assurance s’ils tombentmalades,seblessent…

Ghada Hasan Ali Abu Ghalyoun: Ilsdevraientêtreprotégéspar les droits du travail et les syndicats israéliens, mais ils nejouissentpasdecetteprotection.Ets’ilssontblessés,ilsseprécipitentverslecheckpointleplusprèspourrepasserlafrontière…

Pourquoi autant de Palestiniens et Palestiniennes doivent travailler en Israël et dans les colonies ?

Ghadir Zaineh: La raison pour laquelle tant de gens vonttravailler dans les colonies est le taux de chômage élevé,l’absenced’opportunitéssur lemarchéde travail, et lesbassalaires qui ne correspondent pas au coût élevé de la vieen Palestine. Alors, ils partent travailler dans les colonies. Et même s’il y a des risques, s’ils n’ont pas de protectionsociale, pas de droits, au moins, ils ont un salaire plus élevé quileurpermetdevivremieux.C’est là un des problèmes : en Palestine, nous avons du mal à trouver des travailleurs dans certains secteurs car la plu-partd’entreeuxtravaillentdanslescolonies.Là-bas,touslespostesnonqualifiéssontprispardesPalestiniens.

Ghada Hasan Ali Abu Ghalyoun : Soit ils travaillent en Pales-tine,dansunesituationdifficile,avecdesbassalaires,soitilstravaillentenIsraël,attiréspardessalairesplusélevés,maissansgarantie,sanssavoircequipeutsepasserd’un jouràl’autre, soit ils partent. Surtout les jeunes; ils émigrent, ilspartentchercherletravailqu’ilsnetrouventpasici.

Il y a un salaire minimum en Palestine ?

Rami Massad:Oui. Ilestde1.450shekels [unpeumoinsde350euros].C’estpresquetrois foismoinsqu’en Israël,alorsquelecoûtdelavieestsimilaire!Leproblème,c’estquenotreéconomieestconnectéeàl’économieisraélienne.Doncnousavonsdesbassalairesavecuncoûtélevédelavie.Entre40et60.000Palestinienstravaillentdans lescoloniesisraéliennes. Par rapport aux travailleurs israéliens, ils sontdiscriminés en termes de salaires, de sécurité sociale et de conditionsdetravail.

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Ghada Hasan Ali Abu Ghalyoun : Souvent, la rémunération est plusfaiblequeprévue,plusfaiblequecelleindiquéesurpapierouquecequileuravaitétédit.Etcesontsouventdestravail-leursàlajournée.Lessyndicatspalestiniensnepeuventpaslesdéfendrecarilsdépendentdelaloiisraélienne.

« Ne rejetez pas la faute sur les travailleurs ! »

Comment réagit l’Autorité palestinienne face à cette situation ?

Ghada Hasan Ali Abu Ghalyoun: Elle s’oppose à ce que les Palestiniens travaillent dans les colonies. Mais ils n’offrentaucunealternative,etlesPalestiniensn’yvontpasdegaietédecœur.Nerejetezpaslafautesurlestravailleurs!L’Autoritépalestinienneditqu’ellen’estpasd’accordquelesPalestiniens travaillent dans les colonies, qu’ils deviennentdestravailleurspour les Israéliens,etparticipentmêmeà laconstructiondescolonies.Mais,danslemêmetemps,quandles Palestiniens se tournent vers leur gouvernement, quevoient-ils? Il n’y a pas d’investissements dans des projetspoursoutenirlesemplois,lesjeunes,lesecteuragricole.Iln’ya pas un environnement propice à l’emploi, aux petits entre-preneurs;rienquiencouragelesgensàrester…

Rami Massad:Legouvernementpalestiniendépenddusou-tien international, et 60% de son budget dépend des taxes. C’est pour cela que les prix sont élevés, que tout est cher. Et on est dans une politique économique libérale et unlibre-marché; pas dans une économie productive. Dans lebudgetdugouvernement, ilyaseulement2%pour l’agricul-ture,alorsquelaPalestine,c’estuneterreagricole!Lasanté,l’éducation,etc.,c’estàchaquefoismoinsde6%dubudget.C’estçaleproblème:iln’yapasdepolitiquesociale,pasdepolitiqued’économiesociale.Plusdelamoitiédubudgetestconsacréàlasécurité.Suiteaux accords de paix, notre gouvernement est réduit à unrôlesécuritaire–sécuriserleterritoireetempêcherleterro-risme–etàunrôlefonctionnel:assurerdesservices(édu-catifsetautres).

Et les organisations sociales ?

Rami Massad : La situation n’est pas facile, mais il y a des mobilisationssociales.Notammentpouraugmenterlesalaireminimum à 2.450 shekels [autour de 580 euros]. Une autrecampagnedessyndicats,organisationssociales, etc., tourneautourdelaloidesécuritésociale.C’estnouveauenPalestine…

Ghadir Zaineh:Legouvernementveuts’inspirerdecequ’ilsepasse en Jordanie.Mais c’est un défi; onmanque d’étudespourvoirsic’estappropriéauxtravailleurspalestiniens.

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Rami Massad: C’est aussi un problème demise enœuvre. Par exemple, le salaire minimum, décidé en 2011, n’a pas été appliquéavant2015.C’estauministèreduTravaild’assurerlamiseenœuvre.Mais,leproblème,c’estquedansceministère,ilyaseulement80personnesenchargeducontrôle.Cen’estpas suffisant pour visiter toutes les entreprises et, de toutefaçon, ilsn’exercentpasd’autoritésurelles.Enplus, lestra-vailleursontpeurdeperdreleursjobs.

Pour vous, quelle serait une politique économique alternative ?

Ghadir Zaineh :C’estaugouvernementdecréerdel’emploi,eninvestissantdanslescommunautésetenaugmentantlebud-getdel’agriculture,delaprotectionsociale,ensoutenantdesprojetsetenencourageantlesgensàsuivredesformationsprofessionnelles,àalleràlaterreetàtravaillerdansl’agricul-ture.Laplupartdenosproduitssontimportésetnousn’expor-tonspas.Onimportelaplupartdenotrealimentation,cequinouscoûtebeaucoupd’argent.Legouvernementdoitinvestirdans les communautés et créer un environnement favorable auxinitiativesquiintéressentlesjeunes,commelescoopéra-tivesagricoles,lescoopérativesdefemmes…

Rami Massad: Il faut dire qu’il y a une crise économique. Leprincipalenjeuestdechangerlarépartitiondubudgetdugouvernement,etderenforcerlespolitiqueséconomiquesetsociales.C’estunenjeustratégique.Maisilfautvoirlasitua-tionenface.Celafaitquatreansquelegouvernementacesséd’engagerdenouveauxemployésdanslesecteurpublic.D’unautrecôté,40à45.000personnes travaillentdans lesONG.Maisilsdépendentdel’aideinternationale.Etlefinancementdel’aidechuteous’arrête.Nous avons 18.000 étudiants qui sortent chaque année del’université. Il n’y a pas d’emplois pour eux dans le secteurpublic, lesONGontcommencéàréduireleurpersonneletlesecteurprivénepeutlesabsorber.C’estpourcelaquenousavons parlé de la formation professionnelle et de l’économie sociale;ellepourraitêtrelasolution,créerdesemplois…

Face à la situation actuelle, y-a-t-il une réorientation du gouvernement vers l’économie sociale ?

Ghadir Zaineh :Non,pasjusqu’àprésent.Aucontrairemême.Une nouvelle loi pour les coopératives est en cours d’élabora-tion,parcequel’anciennedated’ilyaplusdecinquanteans.Legouvernementn’encouragepaslesgensàtravaillerdanslescoopérativesetl’économiesociale;ilrendleschosespluscompliquées,plusdifficiles,avecplusdefraisetplusdetaxes.

Rami Massad:C’estunenjeufinancier:legouvernementveutdel’argent,plusd’argent,doncplusdetaxes,pourcompenserla perte de l’aide internationale. Ils veulent un pourcentageplusélevésurlesbénéfices;celadétruiraitleprocessusplu-tôtquedeleréorienter.

Des élections pourraient-elles être l’occasion d’un changement de politique ?

Rami Massad: Cela fait plus de dix ans qu’il n’y a plus eud’élections.EtàcausedeladivisionpalestinienneàGaza,leFatahetleHamasontcessédetravaillerensemble.Touteslesloissontsignéesmaintenantparleprésident,etilenasignéplusde130cestroisdernièresannées.LadivisionentreleFatahetleHamasconcernel’occupation:pasl’économiesociale.L’économiesocialenefaitpaspartiedeleurprogramme.Cesontdespartisdedroite, libéraux.Et lespartisdegauchesontsifaibles…enréalité,lesorganisationsdelasociétécivilesontplusfortsquecespartispolitiques.

« Le gouvernement doit investir dans les communautés et créer un environnement favorable aux initiatives qui intéressent les jeunes, comme les coopératives agricoles, les coopératives de femmes… »

Mais, dans ce contexte, l’aide internationale aide-t-elle vraiment ?

Ghada Hasan Ali Abu Ghalyoun : Tous ces donateurs ; cela nous estd’unegrandeaide.Maispastrèslongtemps.

Ghadir Zaineh: L’aide internationale a créé la dépendance.Le gouvernement palestinien est dépendant de cette aideinternationale.C’estcequenousvoyonsaujourd’hui.Quandilyadescoupesdanslefinancement,c’estlacrise.Etnousn’avons pas d’alternatives, nous n’avons pas un plan B et pas d’argentquiviennedePalestine.

Rami Massad : Une partie de ces bailleurs envoient de l’aide, de la nourriture, mais ce ne sont pas des investissements.C’estl’approchemajoritairedelacoopérationinternationale.OnfaitdelaPalestineunenjeuhumanitaireetnonpolitique;pasunenjeudeluttepourlaliberté,deluttepourlaterre.

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Creuseur artisanal dans le quartier de Kasulo à Kolwezi, ex-quartier résidentiel où les habitants creusaient dans leurs parcelles et maisons avant qu’il ne soit déclaré zone minière artisanale.

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L’ESPOIR D’UNE VÉRITABLE ALTERNANCE ?Lesrécentesélectionsprésidentiellesetlégislatives,réaliséesdans des conditions chaotiques et avec un retard de deuxannées,ontdonnélieuàunscénarioinattendu.Levainqueurdéclaré,FélixTshisekedidit«Fatshi»,n’estpaslecandidatdupouvoir sortant, qui semblait pourtant avoir tout verrouillé.Maisiln’estpasnonplusceluiqui,selontoutevraisemblance,aremportéleplusdesuffragesdanslesurnes.

Le plus étonnant est que, à l’exception du candidat spolié,toutes les parties – acteurs politiques, société civile, com-munautéinternationale–ontjetéunvoilepudiquesurlepro-cessus électoral et se sont satisfaites de la proclamation à la présidence du représentant du plus ancien parti d’opposi-tion,soulagéesqu’unealternanceseproduisesansviolences. Les apparences sont sauves. Et le pire est évité.Même lesjeunes de Lucha, un des mouvements d’opposition les plus actifs et radicaux, jouent le jeu en lançant la fatshimétrie, une stratégiedevigilancecitoyennequiconsisteàévaluerleres-pectdesesengagementsparlenouveauprésident.

Il faut dire que les défis sont énormes. La construction dela démocratie et d’un État de droit conditionne les enjeux sociaux et économiques. La République démocratique duCongo(RDC)estledeuxièmepaysducontinentparsatailleet le troisième par sa population (84 millions d’habitants).Personnen’ignore la richessedusol (80millionsd’hectaresdeterresarables)etdusous-solcongolais(1100minérauxetmétauxprécieux).Maiscommesouvent,labénédictiongéolo-giques’avèreenréalitéunemalédiction.

L’effervescence minière est prédatrice pour l’environnement et les droits sociaux, y compris ceux des plus de 2 millions decreuseurs.Lacorruptionetlamauvaisegestion,lepillagedes ressourceset l’exportation illégale fontque lacontribu-tiondusecteurminieraubudgetdel’Étatresteendessousdecequ’ildevraitrapporter.Quantaupotentielagricole,ilattirela convoitise de l’agrobusiness qui accapare les terres pay-sannes.50millionsd’hectaresdeforêttropicalehumidesontcontrôléspardessociétéscommerciales,entreautrespourlaplantationdepalmiersàhuile.

Malgrécetterichesse,lesdépensespubliquesrestentstruc-turellement faibles. Elles n’ont jamais dépassé 16% du PIBau cours de la période 2011-2015 et cela en raison de l’insuf-fisance des recettes. Cela rend difficile le financement desdépenses nécessaires pour la fourniture des services publics à la population, et même pour le fonctionnement de l’adminis-tration.Parconséquent, lesménages,dont les revenuspro-viennentàplusde75%de l’économie informelle,continuentàsoutenirunegrandepartiedeladépensesociale,etontdesconditionsdevieextrêmementprécaires.

Plus de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté, etlaRDCestclasséeàla176eplacesur188paysselonl’Indi-cateurdeDéveloppementHumain(IDH).Lesfemmessontlesplustouchéesparlapauvreté(l’indiced’inégalitédesgenresestparmilesplusélevés)etsontégalementlespremièresvic-timesdesconflitsquiémaillentlepaysdepuislesannées90.

Améliorer les conditions de travail et lutter pour une meilleure protection sociale, en particulier pour les jeunes et les femmes, tels sont les objectifs des quatre organisations partenaires du programme : le Centre national d’appui au développement et à la participation populaire (CENADEP), le Comité de réveil et d’accompagnement des forces paysannes dans l’Équateur (CRAFOP), la Plateforme Diobass au Kivu, ainsi que le Réseau pour la promotion des droits économiques et sociaux (PRODDES). Appuyés par Solsoc, elles renforcent les capacités d’organisation, de mobilisation et de plaidoyer de mutuelles de santé, de mouvements de paysans et de jeunes, de comités de marché, pour ouvrir une voie à l’ESS, et les rendre à même de contrôler et d’influencer les politiques publiques.

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LE TRAVAIL EN RD CONGO

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« LE TOUT N’EST PAS D’AVOIR DES DROITS, MAIS QU’ILS SOIENT APPLIQUÉS »ENTRETIENAVECJEAN-PIERRE KIMBUYA,SECRÉTAIREGÉNÉRAL DUCONSEILSYNDICALDESSERVICESPUBLICSETPRIVÉS(COSSEP)

Quels sont les principaux enjeux liés aux conditions de travail des travailleurs congolais ?

Jean-Pierre Kimbuya:La listeest longuedesdroitsdes tra-vailleursquinesontpasrespectés.Jeretiendraideuxenjeuxprincipaux:lesrémunérationsetlaprotectionsociale.Lapré-caritédessalairesdans l’administrationpubliquenepermetpasàlaplupartdesfonctionnairesdenouerlesdeuxbouts.Beaucoup d’entreprises publiques (la SCPT [Société congo-laisedesposteset télécommunications], laSONAS [Sociéténationale d’assurances], la Gécamines [Générale des Car-rières et desMines]…) accumulent des retards de paiementdessalairesdeplusieursmois.Lesemployésde laposteetdestélécomsontencoredûfairegrèveencedébutd’annéepourexiger lepaiementdeplusde4moisdesalaires!Dansleprivé,maisaussidanscertainesentreprisespubliques, lesalaireminimumn’estpasappliqué.

« C’est le grand défi : obtenir les mesures d’application des textes sur la sécurité sociale et les allocations familiales »

La majorité des travailleurs ne jouissent pas d’une protection sociale, hormis les enseignants de Kinshasa, LubumbashietMbandaka qui ont unemutuelle de santé (MESP) et uneassurance maladie obligatoire. Certains fonctionnaires deKinshasapeuventaccéderà lamutuelledesantéLisungi et cotiservolontairementàuneassurancemaladiequipeinetou-tefoisà résister.Àpartcela,malgré lacréationde laCaissenationale de sécurité sociale des agents publics (CNSSAP),les fonctionnaires publics n’ont pas encore accès à la protec-tionsociale,àunecouverturemaladieouaudroitàlaretraite.C’est le grand défi: obtenir les mesures d’application destextessurlasécuritésocialeetlesallocationsfamiliales.Etlasituationestencoreplusdifficiledansl’économieinformelle,oùlafaiblesseetl’irrégularitédesrevenussontlarègleetoùaucuneassurancesocialen’existe.

Quel peut être le rôle du secteur de l’économie sociale et solidaire (ESS) ? Peut-elle contribuer au Travail Décent ?

Jean-Pierre Kimbuya:L’ESSjoueunrôledanslasociétécongo-laisedanslamesureoùellepermetauxcitoyensd’accéderàcertains services non offerts par l’économie formelle, notam-ment par la création des coopératives regroupant certainescatégoriesdemétiers.EllenepeutcontribuerauTravailDécentquesilestravailleursdusecteurinformels’organisentets’ar-ticulentaveclessyndicatsoud’autresorganisationsreprésen-tativess’intéressantà leurcause.Decette façon, ilspeuventparticiperetrenforcerl’actionetlanégociationcollectives.

Comment les travailleurs et travailleuses s’organisent-ils pour défendre leurs droits ?

Jean-PierreKimbuya:Dansleformel,ilss’organisentensyn-dicats ou en corporations professionnelles. Ceux de l’infor-mel s’organisent sporadiquement en associations, c’est lecas par exemple de l’Association des chauffeurs du Congo(ACCO). Les principales revendications tournent autour dusalaire minimum et de la sécurité sociale pour les entreprises publiquesetprivéesrégiesparlecodedutravailet,encequiconcernelesadministrationspubliques,autourdesbarèmessalariauxnégociésdanslescommissionsparitaires.

Comment se passe la concertation avec le gouvernement et les employeurs ?

Jean-Pierre Kimbuya : Pour le secteur privé et l’ensemble destravailleursrégisparlecodedutravail,çasepasseauniveauduConseilnationaldutravail(CNT),uneinstancetri-partiteregroupantlesemployeurs, lesorganisationsrepré-sentativesdestravailleursetlegouvernement(ministèredel’Emploi,duTravailetde laPrévoyancesociale).À lafonc-tion publique, c’est à travers des commissions paritairesgouvernement-syndicats.

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« UNE ÉCONOMIE DE RÉSISTANCE CONTRE DES POLITIQUES ET DES LOIS INJUSTES » ENTRETIENAVECMASUDI WAKILONGO KISALE,SECRÉTAIREPERMANENT DURÉSEAUDEPROMOTIONDELADÉMOCRATIEETDESDROITSÉCONOMIQUESETSOCIAUX(PRODDES)

Quels types d’initiatives économiques peut-on qualifier de sociales et solidaires en RDC ?

Masudi Wakilongo Kisale: Lasociétécongolaise regorgedetraditions solidaires dans le champ social et économique:autourdesévénementsheureuxoumalheureux,lorsdesnais-sances, des célébrationsdesmariages, en casdemaladiesoudécès, et des travauxchampêtres. Laplupart des socié-téslocalesontleurspratiquesdetravailcollectifetd’entraideentrepaysansouaubénéficedespersonnesensituationdefragilité (esaleenBembe,burhabaleenMashiauSud-Kivu),fondéessurlaculturedel’Ujamaa[termeswahilimisenavantpar l’ancien président tanzanien, Julius Nyerere, pour dési-gnerunevoieafricaineausocialisme,baséesurlesliensdel’individuàlasociétéetàlacommunauté].Peuaprèsl’indépendance,d’autresinitiativesontsurgicommeles moziki et likelemba du côté de Kinshasa. Les mozikiregroupent souvent des femmesqui exercent lemêmecom-merce, qui se réunissent et cotisent demanière à ce que, sil’une d’entre elles fait face à une dépense imprévue, elle puisse veniremprunterdanslacaissecommune.Leslikelembafonc-tionnentsurlemêmeprincipe,saufquelemontantrassembléàchaqueréunionestattribuéauxmembreschacunàsontour.Ces dynamiques de tontines se sont multipliées dansles années 1990, jusqu’à contribuer aux réflexions sur larèglementation des institutions de microfinance (IMF). AuSud-Kivu, les années 2000 ont vu le développement des Mutuelles de solidarité (MUSO) et des Associations villa-geoisesd’épargneetdecrédit(AVEC).C’estdanscecontexteques’inscritl’économiesocialeetsolidaire(ESS)auCongo.Toutes ces dynamiques, nées d’initiatives populaires derésistance,dansl’informel,sansbaselégaleni juridique,enconstituentleterreau.Elles ont été rejointes par toutes sortes d’autres activités économiques populaires: les coopératives agricoles – demaraîchage, d’élevage et de services –, les coopérativesartisanalesminières,lasynergiedesmareyeuses,lesquados (réparateurs de pneus sur le bord des routes), les ateliers de coupe et de couture, les salons de beauté, de coiffure et d’esthétique, les entreprises de fabrication de briques, lesmutuelles de santé, les techno–malewa, c’est-à-dire les res-taurants de fortune, les mutualités des ressortissants d’un quartierouvillage,lessyndicatsdestravailleursdel’hôtelle-rie,lescomitésurbainsdesmarchés,etc.

Ne risque-t-on pas de confondre économie informelle et ESS ? Qu’est-ce qui les différencie ?

Lasolidarité, le faitquedespersonnessemettentensemblepour résoudre un problème commun ou porter un projet collec-tif.Etqu’ellesonttouteslesmêmesdroitsetlesmêmesdevoirs,qu’elles tirent lemêmeprofitde l’activité.Voilà ladifférence. Encequinousconcerne,auPRODDES,aveclesorganisationsquenousaccompagnons,nousavonsélaboréunechartequifixelesprincipesdel’ESS:unpartageéquitabledesrevenus,unfonctionnementdémocratiqueettransparent,lasolidarité,l’au-tonomie,l’inscriptiondansunelogiquedemouvementsocial.Maintenant,ledéfic’estlaformalisation.Iln’yapasdecadrelégaldel’ESS.Pourserenforcer,pourtendreverslesprincipesdel’ESS,lesorganisationsdoiventseformaliser,intégrercesprincipes-là, donner un salaire minimum à leurs travailleurs, des conditions minimales comme un contrat de travail, une sécurisationdel’emploi,unebasedeprotectionsociale.Celapasseaussiparuneinscriptionauregistredecommerceetdecrédit immobiliers.Maisdans l’idéal, il nous fautobteniruncadrelégalapproprié.

« Toutes ces dynamiques, nées d’initiatives populaires de résistance, dans l’informel, sans base légale ni juridique, en constituent le terreau »

Ne craignez-vous pas que la formalisation n’étouffe finalement les initiatives d’ESS, par un excès de normes, une bureaucratisation, le paiement de taxes ou les « tracasseries » ?

C’estunsérieuxproblème.Quandilyaformalisation,onvousassigneunnumérod’impôt,vousêtes immédiatementobligédepayerl’impôt.Undeuxièmeproblème,c’estlamultiplicitéderégimesfiscaux:registreducommerce,patentedesPME,toutce que ça représente comme taxes journalières,mensuelles,quelesentrepreneursdoiventpayeràlamairie,àlacommune,àlaprovince,àl’État.Souvent,lesentrepreneurspréfèrentres-terdans l’informelou justepayer lapatenteplutôtquedeseformaliseretseretrouveraveclenumérod’impôtquilesexposeàbeaucoupdetracasseries[demandesd’argentdelapartdesagentspublicsetprivéspour«faciliter»lesactivités].

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Que faire alors ?

C’esttoutletravaildeplaidoyerquenousfaisonsauprèsdesmairies, des communes ou des assemblées provinciales, afin d’obtenir des facilités ou des incitants pour les initia-tivesd’ESS,pourqu’ellesnesoientpastraitéescommedesentrepriseslucratives.Fairevaloirquecesontdesgensquise sont mis ensemble avec de faibles revenus pour résoudre leurs problèmes de vie. Certaines autorités se montrentréceptives quand on a pu mener un plaidoyer en allianceavecd’autresorganisationsdelasociétécivile,trouverdescanaux appropriés pour toucher les responsables et leurarracherlabonnedécision.ParexempleàBukavu,lespoliciersposaientdesscelléssurles dépôts des Comités demarché urbains (CMU) aumotifqu’ilsnepayaientpascertainestaxes.LesCMUontengagédes démarches et sont arrivés à inscrire leur revendicationdanslecahierdeschargesdelasociétécivile.Ilsontétéreçusparlemaire.Ilsontréussiàdécrocherunedécisiondeman-dantauministèredel’Économiederespecterlesrèglesetdenepas«fabriquer»destaxes,etàlapolicedeneplusscellerlesdépôts.Depuis,ilsn’ontpluseudetracasseriespolicières.Plus largement,c’estunequestiondevisionpolitique.Nousn’avons pas beaucoup de responsables politiques qui ontune idéologie sociale et solidaire. Le changement de prési-dencenousdonnedesespoirsdanscesens-là,quel’ESSsoitinscritedans lapolitiquegouvernementale.Lenouveaupré-sidentetsonpartisontde tendanceprogressiste,c’estuneopportunitéquenousdevonssaisir.

L’ESS est-elle une alternative valable à l’économie informelle ?

Unemasseimportantedestransactionsd’affairesetd’argentcircule dans l’économie informelle qui touche près des troisquartsdelapopulation.Bienstructuré,cesecteurestporteurd’espoir.L’ESSestunevoieàprivilégierpourcela.Malheureu-sement,laplupartdecestransactionsnebénéficientpasd’uncadre légalquifavoriseetpromeuve,pardesmesures incita-tives (un fondsnationald’appui, uneassistance technique…),desfacilitésfiscales(unenomenclatureadaptée,desexonéra-tionsfaceaudumpingetàlaconcurrencedéloyaledesmultina-tionales), de manière à amener les entrepreneurs de ce secteur à se formaliser, conformément à la recommandation 204 de l’OITsurlatransitiondusecteurinformelverslesecteurformel.L’ESS donne un cadre pour cette formalisation à la condition de ladoterdesinstrumentslégauxappropriéspourcefaire.

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Comment l’ESS contribue-t-elle au travail digne/décent ?

L’ESS constitue incontestablement un levier d’inclusion sociale, économique et financière. Plusieurs entrepreneur·euse·s de l’ESS témoignent de ce que leurs activités leur ont permisd’acquérirunstatutsocial(delaconsidération),debénéficierd’uneassistancelorsd’unévènementfamilialheureuxoumal-heureux,des’acheterunterrain,defairecultiversonchampoudepayer son loyermensuel…Touteschosesquinesontpasgarantiesparuntravaildansl’économieformelle,traditionnel-lementcapitaliste,n’accordantquepeud’attentionauxtravail-leurs,àleursconditionsdetravailetdevie.Pourlesménagespopulaires, l’ESS est une économie de résistance contre des politiquesetdesloisinjustesetnonréalistes.Dans les entreprises d’ESS que nous accompagnons, nousveillons à plusieurs aspects du Travail Décent. Nous nousimpliquonsdansleprojetpolitiquedelacouverturesantéuni-verselle.Nousveillonsàcequelamoitiédumontantdelacoti-sation à une mutuelle de santé fasse partie de la rémunération destravailleursdel’ESS.Noustravaillonssurlesméthodesdegestionetdeproductiondefaçonàaméliorerlesconditionsde travail. Nous sommes en train d’élaborer des contrats-types de travail qui garantissent unminimumde droits auxtravailleursdel’ESS.L’ESScontribueainsiàlaconcrétisationdesconventionsde l’OIT relativesauTravailDécent: salaireminimum, sécurité au travail, extension du socle de protection socialeverslespersonneslesplusvulnérablesquitravaillentdansl’économieinformelle.

Quelle est la place des femmes dans l’ESS ?

Lesfemmes,quotidiennementàlarecherchedemoyenspourcompléterleurrevenuetceluiduménage,constituentlache-ville ouvrière de l’ESS. Dans plusieurs domaines comme lemaraîchage,latransformationalimentaireoul’accèsàl’éner-gie (bois et braise), elles se montrent très entreprenantes.L’extensionincessantedespériphériesdesvillesoffreunmar-chéporteuretenperpétueldéveloppementpourcesinitiatives.Danslesentreprisesd’ESS, lesfemmesjouentaussiunrôleimportant dans la gestion et la décision. Les règlementsinternesprévoientdanslaplupartdescasdesquotasgenrésdeparticipationdanslesinstances.Lerenforcementdurôle,dupouvoiretdescapacitésdesfemmes(empowerment)restetoutefoisuneprioritéfaceauxpesanteursculturelles.Outre les femmes, nous devons aussi souligner le rôle desjeunes– femmesethommes–dans l’ESS. Ils représententun vivier d’entrepreneurs en puissance par leur force et leur énergie.Ilsuffitqu’onmettedesmoyenssuffisantsàleurdis-position pour s’en rendre compte! Il existe des incubateursd’entreprises quimutualisent des fonds, de l’espace et descapacitéspourappuyerl’entrepreneuriatdesjeunes.

Comment les entreprises d’ESS s’organisent-elles ?

Ellessontorganiséesen fédérationsurbaineseten réseauxlocaux.Uneexpériencedemiseenrelationestencoursentreacteurs de l’ESS actifs dans la production agricole, dans latransformation alimentaire et dans le secteur de l’énergie. Auniveaunational,iln’yapasencoreunmouvementdel’ESSproprementdit.Nousytravaillonsaveclavulgarisationdelachartede l’ESSetàtravers lamiseenplaced’ungroupedetravail ad hoc auseindelasociétécivile.Nouscherchonslesarticulationsaveclessyndicats,lesONGetlesacteurssociauxquiportentunevisiondechangementsocial,quirésistentetfontmouvementpourtrouverdesréponsesauxnombreuses revendications de la société civile, dont la lutte contre le chômage des jeunes, l’amélioration des revenus, lacréationd’emploissolidaires,l’inclusionfinancièredesfemmes,l’accèsàdessoinsdesantédequalité,àl’énergie…

« L’ESS est une économie de résistance contre des politiques et des lois injustes et non réalistes »

Ces mouvements constituent-ils une force importante dans la société congolaise ?

LerôleetletravaildesOSCnesontplusàdémontrer!L’émer-gence et la convergence desmouvements citoyens consti-tuentunpointd’entréeessentiel.Nousavonsdéjàinterpelléle nouveau président sur l’amélioration des conditions de vie des Congolais, sur un nécessaire changement social. Nos principales revendications sont de deux ordres: d’unepart politique, pour une réelle alternance démocratique,gagedepolitiquessocialescourageusesetd’un renouveaucitoyen; et d’autre part socio-économique, pour l’améliora-tion des conditions sociales des Congolais. L’alliance desacteurs de la société civile, les mouvements citoyens, les organisationspaysannes,lessyndicats,lesassociations,lesONG,lesentreprisesdel’ESS…estlaclédecechangement.

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LE PARI D’UNE PROTECTION SOCIALE ÉMERGENTEL’Union africaine, ainsi que d’autres instances internatio-nales ont, ces dernières années, pris divers engagementspour la transformation socio-économique du continent,avec, pour point commun, l’extension et le renforcement de laprotectionsociale.Auseindecelle-ci, l’accèsà lasantéoccupeuneplacecentrale.Encesens,leparifaitparl’Étatsénégalaisestemblématique.

État leplusstablede l’Afriquede l’Ouest, oùsedéroulentàéchéance régulièredesélections, leSénégaln’hésiteplusàseprésentercommeunfuturpaysémergent.Maislapauvretédemeure importante, l’emploi dans le secteur formel rare (moinsde40%desemploisnonagricoles) 1, la poussée démo-graphique considérable (62% de la population a moins de25ans),lesinégalitésdegenremarquées(plusd’unefemmesurquatreasubidesviolencesphysiques,selon ladernièreenquêteDémographiqueetdeSantéContinue),etl’accèsauxdroitsentravés.Autantdedéfispourlamiseenœuvred’uneprotectionsocialepourtoutesettous.

En 2013, était lancé un ambitieux programme de mise enplacede laCouvertureMaladieUniverselle(CMU).L’objectifestdegarantir,àterme,l’accèsauxsoins,encecomprispourlesplusvulnérables, en leurpermettantdese fairesoignergratuitement.Pourcefaire, l’États’appuiesur lesorganisa-tions de la société civile et sur un vaste réseau de mutuelles desanté,censéss’harmoniserets’étendre,aupointdecou-vrirchaquecommunedupays.Sicepariréussit,ceseraitunerévolutionpour leSénégal.Etuneréférencepour lesautresgouvernementsdelarégion.

Leprogrammeprévoyaitqu’àl’horizon2017,75%delapopu-lation serait couverte. Mais à l’heure actuelle, c’est un peumoinsd’unSénégalaissurdeuxquibénéficied’uneassurancemaladie.Auxcontraintes inhérentesauprocessus, viennents’ajouter des problèmes structurels : le poids du secteur infor-mel,lesinégalitésterritoriales(Dakarquireprésente0,3%duterritoireconcentre80%desactivitéséconomiquesdupays),leslimitesdubudgetdel’État,déjàtrèsendetté,etc.Enoutre,ce programme de la CMUmet en lumière les décalages etcontradictionsdelastratégiededéveloppement.

Attirer les investissements, créer un climat favorable auxaffaires,gonflerlacroissance…autantd’objectifs,aucœurduPlan Sénégal Émergent,quiparticipentdesvieillesrecettesnéo-libérales,etquitendentàreproduireunepolitiqueéconomiquenoninclusive.Preuveenestl’accentmissurlesecteurminieretdeshydrocarbures.Or,sicelui-cireprésenteplusd’untiersdesexportations,ilnecouvreque0.3%del’emploitotal!Àcontra-rio,l’agriculturesénégalaiseausenslarge,essentiellementdetypefamilial,emploie60%delapopulationactive.

UneprotectionsocialepourtouslesSénégalaisesetSénéga-lais suppose de prendre à bras-le-corps les problèmes, non seulement de l’emploi et de la pauvreté, mais aussi ceux de l’insécurité alimentaire, de la dégradation des ressourcesnaturelles,desinégalités,deladépendancedupaysvis-à-visdumarchéinternational,et,enconséquence,demiserd’abordsurladynamique,lesrevendicationsetpropositionsdesorga-nisationsetmouvementssociaux.

De concert avec ces deux partenaires sénégalais, le Groupe de Recherche et d’Études Environnementales (GREEN) et le réseau de mutuelles de la région de Kaolack, Oyofal Paj, Solsoc travaille à étendre la protection sociale et à améliorer les droits des travailleurs, en particulier les jeunes et les femmes, de l’économie informelle et du monde rural. Pour ce faire, le programme vise à renforcer les mutuelles de santé, ainsi que leurs structurations régionales, des réseaux d’initiatives d’économie sociale et solidaire, et des mouvements de jeunes. L’enjeu étant qu’ils constituent une force de mobilisation représentative, à même de promouvoir et d’assurer l’extension de leurs droits sociaux, politiques et économiques.

1 Saufindicationscontraires,touteslesdonnéesproviennentdeRépubliqueduSénégal,PlanSénégalÉmergent,2014.

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LE DOUBLE DÉFI DE L’EMPLOI ET DE LA PROTECTION SOCIALEENTRETIENAVECIBRAHIMA FALL,RESPONSABLEDESPROGRAMMES DEGREENAUSÉNÉGAL

Quel est le panorama de l’emploi des jeunes et du secteur informel au Sénégal ?

Ibrahima Fall:L’emploidesjeunesestuneproblématiquecen-trale,àlaquellenoussommesconfrontésdepuisdesannées.Le politique n’a pas encore su trouver la parade nécessairepourcontrerceproblèmesocial.Touscesjeunesquiviennentchercherdel’emploi,etquin’entrouventpas,c’estpréoccu-pantpourl’État,pourlafamilleetpourlacité.Pour nous, l’emploi des jeunes aujourd’hui est une problé-matiquequiseposeà la foisauniveaude l’Étatcentral,dusecteurprivéetdesorganisationsd’appuicommelesnôtres.Jepenseque lesecteurprivé,auSénégal,n’apassuffisam-mentderessourcesnidedébouchéspourpouvoirprendreenchargeunebonnepartiedecettejeunesse.Ildoitêtreaccom-pagnédavantagepourgénérerplusd’emplois.Le secteur informel, lui, est caractérisé par sa précarité. Précarité dans le sensoù ce n’est pasbien structuré, orga-nisé.L’orientationdelapolitiquedevraitdavantageêtreaxéevers une meilleure formalisation des cadres de travail, une meilleurepriseenchargedesgensquisontdansledomaineinformel,unemeilleureprotectionsociale.Lesnouveauxpro-grammesquisontaxéssurlasanté,aveclaCouvertureMaladieUniverselle (CMU),auraientdûêtredavantage renforcésparrapport au secteur informel, afin que lamajeure partie desgensquis’ytrouventsoientbienprisencharge,aumoinsdupointdevuesanitaire. Il fautégalementqu’ilspuissentéco-nomiser ou épargner, de sorte qu’après la retraite, ils aientau moins un minimum pour survivre. Mais tout dépend ducadreenplace,etdesstratégiesdéveloppéesparlespouvoirspublics.Ilyadesprémicesentraind’êtremisesenplace…

Tu as un bilan positif de la politique de protection sociale jusqu’à présent ?

Oui, il y a une bonne politique de protection sociale,mais lamayonnaisetardeencoreàprendre,parceque leprogrammerencontre, encore aujourd’hui, quelques difficultés, et que,dupointdevuemonétaire,celaaunréelcoût.Maisilyaunebonne symbiose entre l’État central, les collectivités locales et lesorganisationsdelasociétécivile,parcequec’estunenjeudetaille,quiestressentipartouslesdifférentsacteurs.

Comment sont organisés les travailleurs et quelles sont leurs revendications ?

Au niveau des travailleurs, le modèle le plus diffusé, c’estlemodèle syndical. Ça c’est pour lemonde formel et, danscertains cas, pour des réseaux informels. Mais c’est unefrangeinfimeparrapportàlamasseglobaledestravailleurs. Les travailleurs de l’informel sont dans des associations, des regroupements,quinesontpasencorebienstructurés. Mais les centrales syndicales ont beaucoup plus de res-sources,sontbeaucoupplusstructurées,etontégalementundialoguedirectaveclespouvoirspublics.Lesrevendications,c’estd’abordl’améliorationducadredetravail.C’estaussil’ar-ticulationentre lesalaireet leniveaudevie.Avec l’inflationdescoûtsde la vie– le sucre, le lait, l’huileou le riz–,destransports,de l’habitat,etc., lesalairenepermetpasautra-vailleurdevivredefaçondécente.

« Le droit élémentaire, c’est l’autorité parentale. Et, en général, l’autorité parentale, c’est l’homme »

Qu’en est-il des inégalités entre hommes et femmes au Sénégal ?

Unhommequitravaillepeutprendreencharge,dupointdevuemédical,safemmeetsesenfants.Simonépouseestmalade,il yades facilitésaccordéespar les infrastructuresdesanté.Je peux l’amener pour une hospitalisation; elle sera prise encharge.Mais une femme ne peut pas le faire pour sonmari. Ces discriminations peuvent se répercuter sur les salaires, sur lesconditionsfamiliales…C’estencoreplusprononcéauniveaudesdroitsaveclecodedelafamille.Ledroitélémentaire,c’estl’autorité parentale. Et, en général, l’autorité parentale, c’estl’homme.Ilyaeubeaucoupdemanifestations,cesdernièresannées,pour revoir cecodede la famille,quidonneprioritéàl’homme.Maisilyabeaucoupdepesanteurs,d’ordresreli-gieux, social, etc., qui font que l’État rechigne à réformer lecodedelafamille…C’estvraiquedanslanouvelleConstitu-tion,ilyadenouveauxdroits.Maisladifférencesefaitdavan-tagesentirauniveauducodedelafamille,entermesdepriseencharge,dereprésentativité,denon-reconnaissanceetdelachargedetravailfamilialportéeparlafemme…

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Quels sont les principaux enjeux des élections de 2019 ? L’emploi ? La protection sociale ? D’autres thèmes ?

LesorganisationsdelasociétécivileontbeaucouptravailléàcequelapolitiquedelaCouvertureMaladieUniverselle(CMU)soitinstitutionnalisée.C’étaituneinitiativeduprésidentdelaRépublique,etonnesouhaitepasqu’unchangementderégimevienneremettreencausecetteorientation.Onveutquecesoitinstitutionnaliséparune loi,quiseravotée incessamment jepense.Çac’estunpremierpari:gagnerl’institutionnalisation.La CMU, c’est une politique qui est louée,mais qui est loind’êtreparfaite.Ilyabeaucoupdequestions,pourlarenforcerdavantage et pour pouvoir faire également les ajustementsnécessaires. Il faudraréfléchirsur lesvoiesetmoyenspourtrouverdescanauxadditionnelsdefinancementpourinjecterplusd’argentparexempledanslesmutuellesdesantécom-munautaires,pourlesrendredavantagefiables.

« Un premier pari : gagner l’institutionnalisation »

Les débats ne manquent pas en ce qui concerne les stra-tégies à développer pour accroître l’emploi des jeunes. Jepensequec’estunenjeu,auxcôtésdelaprotectiondel’en-vironnement, de lamaîtrise de l’inflation et de l’agriculture,quivacentraliser ledébat.Lesacteurspolitiquessontbienconscientsqu’ilyadeuxsegmentsimportantsdel’électorat:les jeuneset les femmes.Les jeunes, c’estplusde30%dela population, et plus de la moitié de la population sont des femmes.Doncquiconquiertces jeunesetces femmesestsûrdegagnerlesélections!

Quel type d’actions menez-vous autour de ces questions et de la campagne électorale ?

Ibrahima Fall: L’action que nous menons, en général, visedavantagelaformation,lasensibilisation,l’accompagnement,l’intégration des jeunes ou des femmes dans les espaces locaux de décision, pour que la position des organisationssoit entenduepar les décideurs locaux.Ça, c’est le premieraspect.Ledeuxièmeaspect,c’esttoutcequiestliéausuivide ces actions, parce que ce sont des actions qui ont pourfinalitéd’amenercesdécideursàprendredesengagements. Onveutpouvoirdévelopperdesstratégiespourunmeilleursuivide ces engagements et des politiques publiques, enmatièred’éducation,desanté,deprotectionsociale,d’agriculture.Au niveau de la région de Thiès, nous avons entamé desassisesdelasociétécivile,unprocessusquisefaitégale-ment au niveau national. Nous avons identifié des préoc-cupations,quenouspointonsdudoigt.Etlapremièrepré-occupation, c’est l’emploi des jeunes. La deuxième, c’esttout cequi concerne l’accèsdes femmesaux facteursdeproduction–quecesoitlaterre,lesengrais,lessemences,lesoutilsdetransformation…–,quipeuventpermettreunemeilleureémancipation.Cesassisesdelasociétécivilesontunprocessusquisefaitauxniveauxrégionaletnational.Touslesacteursdelasociétécivilesontréunisauniveaudechaquerégionpourplanifierletravailetdéfinirdesaxes.Dansnotrerégion,septaxespriori-taires ont été retenus : l’emploi, la prise en compte des besoins desfemmes,l’agriculture,l’environnement,lapêche,l’extrac-tion,lagestiondescarrièresetdesmines.Avantlesprésiden-tielles, lesorganisationsde lasociétécivileprésenterontundocumentglobal;ceseraleurcontributionauxélections.

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ENJEUX ET DÉFIS DE L’ACCÈS À LA SANTÉENTRETIENAVECLOBÉ CISSOKHO,COORDINATRICE DURÉSEAUOYOFALPAJDESMUTUELLESDESANTÉDELARÉGIONDEKAOLACK

Quelle est la situation de l’accès à la santé au Sénégal ?

Lobé Cissokho:Ilfautrappelerunpeulecontexte…80%delapopulationsénégalaiseestdanslesecteurinformeletrural.Et ces 80% ne disposaient d’aucune prise en chargemédi-cale,n’avaientpasdequoisepayerlesprestationsdesanté.Ilfallaits’organiserpourprendreenmainlesdépensessani-tairesdenospopulations.C’estlàquesontnéeslesmutuellesde santé, avec une participation contributive très faible.Aujourd’hui,unebonnepartiede lapopulationaadhéréauxmutuellesdesanté,cotiseet,grâceàcertainesvaleurs,lasoli-daritéetl’entraide,parvientàsesoigner.

« Dans le monde entier on dit que la santé est un droit. Où est ce droit ? Est-ce que ce droit est destiné aux riches et pas aux pauvres ? »

Mais,lapauvretéestunobstacle.Despersonnesveulentadhé-rer aux mutuelles de santé, mais elles n’ont pas les moyens ; surtoutdesfemmesetdesjeunes,danslemonderural.Ilyaaussilefacteursocio-culturel.Quandquelqu’unestmalade,onl’envoiechezleguérisseurouilfaitdel’automédication,parcequec’estmoinscher.Maisc’estaussi l’Étatquin’apas jouésonrôle.Danslemondeentieronditquelasantéestundroit. Oùestcedroit?Est-cequecedroitestdestinéauxrichesetpasaux pauvres ? Les mutuelles de santé apportent une réponse, maispasune réponse totale;une réponse timideenquelquesorte.L’Étatdoitprendreenchargelesecteurinformeletrural,offrirunecouverturevraimentcomplèteàcettepopulation.

Les mutuelles de santé sont-elles dispersées ou reliées entre elles ? Alignées sur les politiques publiques ?

Avant,lesmutuellesdesantéétaientnonalignées,etiln’yavaitpasunsystèmed’organisationetde fonctionnement trèseffi-cace.Mais,aujourd’hui,ellessontalignées,etilyaunevolontépolitiqueaffirméeauSénégald’équitéauxsoins,etd’assurerladécentralisation:lesmutualitéssontorganiséesetfonctionnentdelabase,danschaquecommune,jusqu’auniveaunational.

« Avec une volonté politique affirmée, avec l’engagement de l’État, avec la redistribution des ressources, on parvient vraiment à avoir une couverture généralisée »

Quel est le taux de pénétration de ces mutuelles de santé aujourd’hui ?

Avant,onparlaitde20%,maisaujourd’hui,letauxestde46%. Et si je prends l’exemple de notre région, Kaolack, noussommesà52%.Voilàdesbondsassezsignificatifs!Quandlespopulations sont informées, avec des mesures incitatives, elles peuventadhérer.L’Étatverse50%delacotisation.Etpourceuxquinepeuventpascotiser,l’Étatprendenchargelatotalitédel’adhésionetdelacotisation.Voilàcequiaboostél’augmen-tationdesmembresdesmutuellesdesanté.C’estpourquoijedisqu’avecunevolontépolitiqueaffirmée,avecl’engagementde l’État, avec la redistribution des ressources, on parvient vrai-mentàavoirunecouverturegénéralisée.

Quel bilan faites-vous ?

Pour éviter la mortalité maternelle et infantile, l’État a mis en placeunepolitiquedegratuitépourlesenfantsde0à5ans(aussi pour les personnes de plus de 60 ans ; les césariennes pour lesfemmes,etc.),quipermetàcesenfants,nonseule-ment d’avoir un extrait de naissance, d’être déclarés à l’état civil–c’estuneconditionpouravoiraccèsgratuitementauxsoins–,maisaussid’êtrevaccinés.Donc,voilàunpackagequipermetdedirequ’auSénégal,onarriveraàuneCMU(Couver-tureMaladieUniverselle)effective.Onpeutdoncdirequec’estunbilanpositif.Mais, ilyatoujoursun«mais»: lesmutuelless’engagent,mais elles doivent attendre un an pour que l’Étatleur verse la subvention, et la totalité du secteur informel n’a pas adhéréauxmutuellesdesanté.Ilyaunmanqued’information.Le personnel sanitaire devrait informer,mais il ne le fait pas.Quandlesgensarrivent,parcequ’ilsnedisposentpasd’uncer-tificatdenaissanceoudevaccination,aulieudeleurdirequ’ilyadescritèresbiendéfinispourpouvoirbénéficierdelagratuité,onleurditdepayer.Ilfautrenforcerlacommunication,pourquetoutelapopulationsoitinformée.

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UN PARI SUR LA JEUNESSE ET L’ENVIRONNEMENTENTRETIENAVECVORÉ GANA SECK,DIRECTRICEDEGREENSÉNÉGAL

Au Sénégal, quels défis particuliers soulève la population jeune ?

Voré Gana Seck: Sur les14millionsd’habitants, lamoitié amoinsde18ans.Chaqueannée,300.000jeunesarriventsurle marché de l’emploi. Souvent sans qualifications, ils fontde petits jobs. Ou alors, ils préfèrent partir pour l’Espagne,la Libye…Nousnoussommes renduscompteque, dans lesvillagesoùnoustravaillons,cesontsouventlesfemmesquirestent; les jeunespréfèrentmigrer vers lesvilles, être ven-deursàlasauvette,ouquitterlepays.Commentlesretenir?Lepremierdéfiestdoncceluidel’emploidesjeunes.Commentfaireensortequel’Étatsoutienneplusl’éducation?Ilafaitdeseffortsetmisenplacedegrandsprogrammes; ledernierendate, la Délégation à l’Emploi Rapide (DER). Mais notre réti-cenceestquec’esttroppolitisé;situesdansleparti,tuasplusdechancesd’yavoiraccès…Ilyaaussidesboursespourlesfamilles;donnerdel’argenttouslestroismois,c’estbien,maiscen’estpasunesolution.

« Un pays où les jeunes partent est un pays où l’espoir s’en va »

À Green Sénégal,onamisenplaceunprogramme«jeunes».Il s’agit d’abord de les former, de renforcer leurs capacités,enprioritésur lescréneauxporteurs: l’agriculture, lapêche,l’élevage, etc.Mais, pour nous, il ne s’agit plus de travaillerdans l’agricultureseulement3moisparan;ça,cen’estpasuncréneau.Ilfautinvestirdanslevolethydraulique,pourquelepaysanaitaccèsàl’eaupourcultivertoutel’année.Ilfautmaîtriser les facteursdeproduction– la terre, l’énergie, lesintrantset l’eau–,avoirdelavaleurajoutée,afinderéorien-ter les jeunesvers l’emploi, pourqu’ilspuissent trouverdesmétiersagricoles,etpasseulementdesactivitésagricoles.On pourrait investir dans ces créneaux porteurs. Le riz, parexemple.C’estunedenrée importée.Ona leprogrammequiprévoitl’autosuffisanceenriz.Maisest-cequenousavonslesinfrastructurespourpouvoirletraiter,pourpouvoirorganisertoute la filière?Non.On continue d’importer du riz de Thaï-landeoud’ailleurs,alorsqu’ilfaudraitvaloriserlerizlocal!

Dans ce contexte, quel rôle peut jouer l’économie sociale et solidaire ?

Pour nous, l’économie sociale et solidaire (ESS) a une impor-tance capitale car elle permet de lutter contre la pauvreté, et de fixerlesjeunes.Unpaysoùlesjeunespartentestunpaysoùl’espoirs’enva.Etnousvoulonsquelesjeunesrestent.Sinousvoulonsrenverserlatendance,ilfautmisersurlesjeunes.Mais l’ESSnepeutpas sedévelopper s’il y a ladésertifica-tion,unediminutiondelapluviométrie,etc.L’ESSnepeutêtrebaséequesurunenvironnementsain.Nousdevonsproduireet,pourcela, il fautquenossolssoientprotégéset fertiles. C’estpourçaquenousavonsoptédèsledébutpourl’agroéco-logie.Etquenousvoulonsquelesressourcesdessous-sols–parexemplelepétrole–reviennentaupeuple.Nous voulons investir dans l’agriculture; dans «l’économieverte» (la protection de l’environnement, la lutte contre leréchauffementclimatique, laproductionlocale,etc.)etdans«l’économiebleue»(lesmers,lapêche,lagestionintégréedulittoral, etc.). Nous avons opté pour l’environnement depuislongtemps.Audépart,onnousdisaitçac’estunehistoirede«Blancs»,alorsquel’environnement,c’estnotresurvie!

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DES PARTENAIRES COMME LEVIER DE CHANGEMENT À Solsoc, nous nous appuyons sur une stratégie de partenariat avec des acteurs de changement social qui partagent nos valeurs et notre vision. Au Nord comme au Sud, ce travail collectif avec nos partenaires vise à mieux défendre le respect des droits économiques, sociaux, culturels et politiques, en assurant l’accès aux services sociaux de base, la protection sociale et l’économie sociale et solidaire (ESS) comme l’une des alternatives possibles.

AU NORDSolsocs’estassociéeàdeuxorganisationsquipartagentlesmêmes valeurs: FOS (Fonds voor Ontwikkelingssamenwer-king), qui est l’homologue flamand de Solsoc, et IFSI/ISVI,l’Institut de Formation Syndicale Internationale de la FGTB(Fédération générale du travail de Belgique, syndicat belgeaffiliéàlamouvancesocialiste).

En outre, Solsoc travaille en partenariat avec Solidaris et l’en-sembleduréseaudesmutualitéssocialistes,afindepromou-voir une couverture maladie universelle et un accès à la santé pourtousdanslespayspartenairesdeSolsoc.Ellebénéficieégalementdanscespaysdel’appuietdel’engagementdelaFGTB,quisetraduitenstratégiesderenforcementd’organisa-tionssyndicalesetdepromotiondesdroitsdestravailleurs.

AU SUDSolsocdistingue2catégoriesdepartenairesSuddanssonpro-gramme:lespartenairesassociés,actuellementaunombrede24,appuyés directement au travers de financements, de travailcommunauniveauthématique,méthodologiqueetstratégique,etlespartenaireslimitrophesougroupesciblesduprogrammebénéficiantdel'appui,del'accompagnementetdesfinancementsduprogrammeparlespartenairesassociés.Lespartenaireslimi-trophessontdesassociations,desgroupements,descoopéra-tives,desréseauxdemutuelles,desyndicats,etc...identifiésparlespartenairesassociéscommeacteursdechangementsocial.Ensemble, lespartenairesassociés et limitrophessemobilise-rontautourdesthématiquesduprogramme.

Unetroisièmecatégoriedepartenaires, lespartenairesstra-tégiques,collaborentdanslecadreduprogrammeouenpar-tagentlesobjectifs

BOLIVIEAYNI (Association Civile) est une ONG oeuvrant pour l’amé-lioration de la situation des producteurs ruraux en Bolivie.AYNIchercheàrenforcerlescompétencesdescommunautéslocales, en intervenant au sein des communautés mêmes, notamment en mettant à disposition sa main d’oeuvre, du matériel, ou en participant à des événements de renforcement descapacitésetdesuivi.ayni.org.bo

FUNDDASUR (Fondation de Développement pour le Sud) apour but de renforcer de manière individuelle et collective les syndicatsdusecteurdel’alimentationetdel’hôtellerieetdesorganisations de producteurs ruraux, afin que ces dernierspuissent exercer pleinement leurs droits sociaux et écono-miques,bénéficierdemeilleuresconditionsdetravail,devieetd’accèsàlaprotectionsociale.

PASOS (FondationParticipationetDurabilité) estuneFonda-tion deDéveloppement Social élaborant des propositions dedéveloppementdurableetinclusifauxniveauxlocaletrégional.PASOSchercheainsiàfairefaceauxproblèmesdepauvreté,d’inégalité,dechangementclimatiqueetd’exercicedesdroitsdespopulationslesplusvulnérables.pasosbolivia.org

REMTE (RéseauBoliviendeFemmesquiTransforment l’Eco-nomie)estun réseauconstituéd’organisationssocialesquiluttentpourl’émancipationéconomiquedesfemmes(enpar-ticulier les plus exclues et défavorisées), visant ainsi l’appro-priation de certains secteurs de l’économie par des femmes et àlaconstructiond’alternativeséconomiquesplushumaines,équitablesetdurables.remte-bolivia.org

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BURKINA FASOASMADE (Association Songui Manegré/Aide au Développe-ment)estuneONGoeuvrantpourledéveloppementduBurkinaFaso. Elle semobilisepour la promotiondesdroits sociaux(santé,éducation,sécuritéalimentaire…)etaccompagne lesorganisations de base à traduire leurs initiatives en projetsconcrets.Elleintervientsurtoutdanslapromotiondelasanté,via la mise en place de mutuelles de santé, en matière de santéreproductiveetdeluttecontrelapauvretédesfemmes. ongasmade.org/new/index.php

UMUSAC (Union des Mutuelles de Santé de la Région duCentre)estunréseaudemutuellesdesantéquicontribue,àtraverssonappuitechnique,matérieletfinancier,audévelop-pementdesmutuellesetdeleursactionsdesensibilisation.

UCRB (UniondeschauffeursroutiersduBurkinaFaso)estunefédérationsyndicalequicontribueàlareconnaissanceetaurespectdesdroitsdeschauffeursroutiers,etquiluttecontrelatraitedesenfantsdanscesecteur.L’organisationtravailleégalementaveclesfédérationsdesboulangers,del’environ-nement,dutourismeetdel’hôtellerie,etdel’agroalimentaireafinde créer ensemble uneplateforme syndicale défendantactivementlesdroitsdestravailleursettravailleuses.

BURUNDIADISCO (AppuiauDéveloppementIntégraletlaSolidaritésurlesCollines)estuneONGburundaisedontlamissionestd’ac-compagner l’émergence et le développement d’un véritablemouvementsocialnationalauprofitdescouchesmodestesde la population. ADISCOmène ainsi des actions d’appui àl’autopromotion des paysans, aux mutuelles de santé, ou au renforcementdelasociétécivile.adisco.org/adisco/

CNAC-MURIMA W’ISANGI (Confédération Nationale des Asso-ciationsdeCaféiculteursduBurundi)estuneASBLburundaise,dont les membres sont des petits producteurs exploitant des plantationsallantde100à5000caféiers.LaCNACreprésente,plaideetdéfendlesintérêtsdescaféiculteurs.Elledéveloppeégalementlesrelationsdesolidarité,d’échangesetdetransfertdetechnologieentrelesassociationsdecaféiculteurs.

FEBUTRA(FédérationBurundaisedesTravailleursdel’Alimen-tation)estunefédérationdesyndicatsdusecteuragro-alimen-taireformeletinformelquisedonnepourmissiondedéfendreles intérêts des travailleurs et travailleuses du Burundi dans le secteurdel’agro-alimentaireetdesbranchesconnexes.

PAMUSAB (Plateforme des acteurs des mutuelles de santé auBurundi)rassembledesONGetmutuellesdesantéburun-daises.L’objectifdelaPAMUSABestlapromotion,laprofes-sionnalisation et la défense des mutuelles de santé au Burundi afinquetouteslescouchesdelapopulationaientaccèsàdessoinsdesantédequalité.pamusab.org

COLOMBIEATI(AssociationdeTravailInterdisciplinaire)estuneONGlut-tantpourlerespectdesdroitshumains,l’équitésocialeetlerenforcementdeladémocratie.L’ATItravaillenotammentsurlesthématiquesdesouverainetéetd’autonomiealimentaires,ledroità l’alimentationet l’ESSpour lesecteuragroalimen-taire,l’environnement,lesterritoiresetlesdroitshumains.ati.org.co

IPC (InstitutPopulairedeFormation)estuninstitutd’investiga-tionsurdesquestionsliéesauxdroitshumains,assurantl’ac-compagnementdesvictimesduconflit,offrantdesformationset une assistance juridique afin de permettre aux personnesvictimesdeviolationsdefairevaloirleursdroits.Elleréaliseenoutreun travail deplaidoyerpolitique important.Aujourd’hui,l’IPC recentresonactivitéautourducontextedepost-conflit,àtraverslesquestionsderespectdeladémocratie,desdroitshumainsetdumaintiendelapaix.ipc.org.co

Sinaltrainal (syndicat national des travailleurs de l'industriealimentaire) est un syndicat national opérant pour la défense desdroitséconomiques,sociaux,culturelsetdutravaildansle secteur agroalimentaire. Sinaltrainal est un «partenaire limitrophe»deSolsoc.

MAROCAFAQ (Action Femmes des Associations des Quartiers duGrand Casablanca) appuie et accompagne des structureslocalesetdesdynamiquesauseindesquartierspopulairesdeCasablanca.Elleorganiseauxniveauxrégional,nationaletinternationalleprocessusdeplaidoyerautourdesquestionsdegenreetdel’ESS.Ellesefixeainsipourmissiondecréerdesleadersfémininesdanslesquartiersetdesensibiliserlepublic,notammentàlaquestiondel’égalitédesgenres.

AJR (Action Jeunes Régionale des Associations des Quar-tiers)soutientetaccompagnedesorganisationslocalesetdejeunesappartenantàdessensibilitéspolitiquesprogressistesdiversesetrenforcerleursassociations.AJRlesaccompagneau sein de forums sociaux et participe aux espaces de débat delasociétécivileetauxinstancesdedialogueaveclespou-voirspublicsautourdesthématiquesenlienaveclajeunesse,lemouvementassociatifetl’économiesocialeetsolidaire.

Chhiwate Bladi est une coopérative alimentaire née du tra-vail de longue haleine et de la collaboration entre IFAAP etKhotwa(associationdequartierdeCasablanca).Ellepermetaux jeunes femmes dans le besoin d’être formées dans les domainesdelapâtisserie,restaurationetcommercialisationdesproduits traditionnelsmarocains.ChhiwateBladiestun«partenairelimitrophe».

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IFAAP(InstitutdeFormationetd’AccompagnementdesAsso-ciationsdeProximité)accompagneetformedescadresasso-ciatifs, ainsi que des associations de quartier du travail deproximitéàCasablancaetauMaroc.Elleassurelacoordina-tionentrelesdiverspartenairesduprogrammeMaroc.

REMESS (RéseauMarocaindel’ÉconomieSocialeetSolidaire)est le premier réseau marocain ouvert aux différentes compo-santes de l'ESS (coopératives, associations,mutuelles, fonda-tions,groupementsd'intérêtséconomiquesetsyndicatsprofes-sionnels).LeREMESSestun«partenairestratégique»deSolsoc.remess.ma

PALESTINEMA’AN Development Center estuneONGdedéveloppementetde formation. Elle agit dans les régions les plus pauvres etmarginalisées afin d’améliorer la qualité de vie des popula-tionsetderenforcerleurscapacitésàmaîtriserledéveloppe-mentdeleurcommunauté.MA’ANmetégalementenoeuvredenombreuxprojets enmatière d’agriculture et de sécuritéalimentaire, de renforcement des femmes et des jeunes, de développementcommunautaireetd’environnement.mann-ctr.org

PAC (PopularArtCenter) estuneONGcherchantàcréerunenvironnement culturel propice à la création d’un lien étroit entre l’art, la culture, d’une part, et la population palestinienne, d’autrepart.LePACchercheainsiàconsoliderlacitoyennetéetl’identitépalestinienneàtraversl’art.popularartcentre.org

PGFTUestleprincipalsyndicatdePalestine.Elleorganisedesateliersdesensibilisation/formationsur leCodedu travail etles mesures de santé et sécurité au travail, et forme des spé-cialistesdusecteur.Parailleurs,ellemènedesactionsàportéepolitiquepouraméliorerlerespectdesdroitsdestravailleurs.

RD CONGOCENADEP (CentreNational d’Appui auDéveloppement et à laParticipation Populaire) est une ONG de développement quiaccompagne l’organisation des populations les plus défavo-risées, dans lesmilieux populaires urbains et ruraux, afin derenforcer leur poids politique. CENADEP appuie des projetscommunautairesquipromeuventlechangementsocial,l’autopromotiondurableetréduisent lesdépendances,maiségale-mentladémocratieàtraverslaparticipationdecouchespluslargesdelapopulation.cenadepasbl.org

COSSEP (Conseil Syndical des Services Publics et Privés) est unecentralesyndicale, regroupantentreautres lessyndicatsdesenseignants, descadres, de lapresseetdesmagistrats,comptantplusde30.000membreseffectifs.COSSEPestunpartenaired’IFSI,etun«partenairestratégique»deSolsoc.

CRAFOP (ComitédeRéveiletd’AccompagnementdesForcesPaysannes)appuielescommunautésenvued'améliorerleursconditionsdevie. LeCRAFOPaccompagne lamiseenplaced'unemutuelledesantédontlesprincipauxbénéficiairessontlespaysansetlespopulationsdéshéritéesdesazoned'action.

DIOBASS (DémarchepouruneInteractionentreOrganisationsdeBaseetAutresSourcesdeSavoirs)estunréseaud’organi-sationspaysannes,degroupesderecherchecentréssur l’ac-tionpaysanne,decentresde recherche,d’ONG,d’institutionsd’enseignement et d’experts visant à renforcer la dynamiquesociale des milieux rural et urbain en créant des espaces citoyensd’échangesetenmenantdesactionsdeterrain.diobasskivu.org

PRODDES(RéseaupourlaPromotiondesDroitsEconomiquesetSociaux)viseàrenforcerlesorganisationsdelasociétécivile,afin de participer au changement social, politique et écono-miquedelaRDC.Enoutre,lePRODDESco-animel’ObservatoireCitoyende laGouvernanceetdesDroitsSocio-économiques. Il travaille en partenariat avec diverses organisations natio-nalesetinternationalessurlesquestionsdeprotectionsociale,de couverture maladie universelle et d’économie sociale et soli-daire.PRODDESestun«partenairelimitrophe»deSolsoc.

SÉNÉGALGreen Senegal estuneorganisationderechercheetdedéve-loppement,quiappuie lesorganisationspaysannescommu-nautaires de base dans le secteur de l’économie sociale et solidaireetdel’environnement.Sonobjectifestdecontribuerà la sécurité alimentaire et lutter contre la pauvreté à travers le renforcementd’initiativesd’économiesocialeetsolidaire.En outre, elle mène des actions de sensibilisation auprès des jeunesSénégalais.

Oyofal Paj estunréseaudemutuellessituéàKaolackregrou-pant plus d’une vingtaine de mutuelles communautaires,3unionsdépartementalesetl’UnionrégionaledeKaolack.

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Éditeur responsable VeroniqueWemaere,Solsoc Rue Coenraets, 68 1060 Bruxelles

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Impressionetdesign:Signelazer©Photos:Solsoc, © S. Irazoque, © Evrard Niyomwungere & © Bibbi Abruzzini©Illustrations:Studio Marmelade

Coordination : Alex Arnoldy (Solsoc), Frédéric Thomas(Cetri–Centretricontinental)Entretiens réalisés par Alex Arnoldy (Solsoc), Jacques Bastin(Cetri–Centretricontinental), Stéphanie Lecharlier (Solsoc) et Frédéric Thomas(Cetri–Centretricontinental).

AveclesoutiendelaDirectiongénéraleCoopérationaudéveloppementetAidehumanitaire(DGD) etdelaFédérationWallonie-Bruxelles(FW-B)–Éducationpermanente.

Solsoc tient à remercier ses différents partenaires, du Nord comme du Sud, pour leur participation à cette pubication. Solsoc remercie parti-culièrement FOS et IFSI, la FGTB et Solidaris pour le travail commun mené dans la promotion du Travail Décent. Leur soutien tant technique que politique s’avère à la fois une opportunité exceptionnelle et une nécessité, dans un monde toujours plus globalisé, financiarisé et libéralisé, où les acteurs sociaux et les travailleurs et travailleuses, peinent parfois à se faire entendre.

Solsoc remercie aussi ses partenaires palestiniens, sud-américains et africains ayant aidé, par leur participation, à la réalisation de cette publication. Qu’ils soient syndicalistes ou mutuellistes, qu’il s’agisse d’ONG ou d’association, qu’ils soient engagés dans la défense des tra-vailleurs, des droits humains, de l’égalité entre hommes et femmes, ou dans la promotion de l’accès universel à la santé, Solsoc tient à les remercier chacun pour leur engagement à ses côtés dans la promo-tion d’un monde plus juste, équitable, digne, un monde dans lequel chacun et chacune a droit à un Travail Décent.

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À l’heure du centième anniversaire de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), l’ONG belge Solsoc a voulu interroger l’économie sociale et solidaire (ESS), qui est au cœur de sa stratégie pour promouvoir le Travail Décent. En effet, de nombreuses études mettent en avant l’ESS comme le meilleur outil pour sa promotion. C’est le point de vue de l’OIT, pour laquelle « l’économie sociale et solidaire contribue aux quatre dimensions de l’objectif général de l’OIT qu’est le Travail Décent ».

Mais comment faire en sorte que l’ESS soit le moteur de la diffu-sion du Travail Décent et de ses quatre piliers, que sont la création d’emploi, le droit au travail, la protection sociale et le dialogue social. Comment peut-elle à la fois « faire mouvement » et se lier aux mou-vements sociaux, dont les syndicats et les mouvements de femmes ? À quelles conditions peut-elle non seulement contribuer à répondre aux besoins, mais aussi constituer un pouvoir de transformation et, au-delà, une alternative au modèle économique ?

Ces questions, stratégies et enjeux sont ici interrogés à partir d’ana-lyses, d’expertises et d’expériences du Sud, en donnant la parole à des organisations, mutuelles, syndicats, partenaires de Solsoc, qui sont autant d’acteurs au quotidien de cette transformation et de cette alternative.