L'ADOLESCENT D'AUJOURD'HUI ENTRE SON PASSÉ ET UN AVENIR

L ' A d o l e s c e n t d ' A u j o u r d ' h u i Entre son passé et un Avenir

Colloque organisé par l'Association des psychologues cliniciens de l'Université Charles de Gaulle - Lille III et l'Institut régional de

Travail Social

L'ADOLESCENT D'AUJOURD'HUI ENTRE SON PASSÉ ET UN AVENIR

Textes recueillis par Denise Osson

Ouvrage publié avec le concours du Conseil Scientifique de l'Université Charles de Gaulle/Lille III

Collection UL3

coordonnée par le Conseil Scientifique de l'Université Charles de Gaulle/Lille III

PRESSES UNIVERSITAIRES DE LILLE

© UNIVERSITÉ CHARLES D E GAULLE/LILLE III ISBN 2-86531-039-6

Livre imprimé en France

I N T R O D U C T I O N

Il n'est guère de psychologue clinicien qui, un jour ou l'autre, n'ait à rencontrer des adolescents, parmi lesquels il devient coutumier de ranger les pré-adolescents et les jeunes adultes ; avant les facteurs économiques, la précocité plus fréquente de la puberté et l'avancement de la majorité légale ont bousculé les limites d'une tranche d'âge dont l'étude psychologique scientifique n'a pris son véritable essor qu'au lendemain de la seconde guerre mondiale. Pondérant, sans la renier, l'exaltation littéraire de l'aurore adolescente et ses promesses, cette étude en a retenu la complexité, les confusions, les obscurités qui se font, semble-t-il, plus incisives aujourd'hui.

Les adolescents, le psychologue clinicien les rencontre directement quand son terrain d'activités est celui des institutions, relevant de la Santé ou de la Justice, spécialisées dans leur accueil. Il les rencontre indirectement quand il lui revient d'écouter des adultes ; leurs propres difficultés psychologiques peuvent naître de leurs désarrois face aux jeunes dont ils sont parents, éducateurs, enseignants, tuteurs à quel titre que ce soit.

Dans l'abondante littérature psychologique sur l'adolescence qui a vu le jour, les adultes peuvent-ils trouver un étai pour leurs tâches parentales ou éducatives ? Offre-t-elle des concepts et notions adéquats d'une compréhension des jeunes d'aujourd'hui ?

Ils sont les plus directement affrontés aux mutations culturelles contemporaines. Que peut-être la transition adolescente, qui fait de la fin de l'enfance un commencement, dans un contexte de métamorphoses sociales, dans un monde que la technique emporte dans d'incessants remaniements ? Le passé personnel peut-il être une assise quand le passé social, culturel, éthique, paraît s'effriter ? L'adolescence peut-elle encore être promesse d'un Devenir ?

Les conditions sociologiques modèlent les mentalités en même temps qu'elles "cadrent" les actions éducatives. En présence des adolescents d'aujourd'hui, le psychologue ne peut se contenter de son seul savoir conceptuel. S'il veut que ses interventions soient aide individuelle parce qu'elles s'ancrent dans la réalité commune, il se doit de découvrir leur image concrète imprégnée d'actuel. Moins que d 'élaborer une nouvelle

problématique de l'adolescence, il s'agit de discerner l'empreinte de l'époque présente et vivante sur le profil psychologique des adolescents et de l'adolescence.

Pour ce faire, importent autant, le constat de faits, et une réflexion théorique, si elle déborde le champ de la psychologie clinique. L'un et l'autre sont l'objet des travaux présentés ici. Ils sont le fruit d'échanges interdisciplinaires initiés par l'Association des psychologues cliniciens de Lille III, à laquelle s'est joint l'Institut Régional de Travail Social. Leurs membres ont apporté des faits d'observation individuelle à partir de "RENCONTRES D'ADOLESCENTS". Le concours de pédagogues, sociologues, psychiatres, a permis d'esquisser une toile de fond repérée par des "INDICES CULTURELS" propres aux adolescents d'aujourd'hui. Les participations d'un économiste, et d'un philosophe ont situé le problème de l'adolescence "DE L'AUJOURD'HUI A L'AVENIR".

Sans vouloir anticiper sur les conclusions qu'appelle l'ensemble de ces travaux, puis-je dire que leur lecture me paraît donner des raisons de courage et d'espoir, pour tous ceux qui sont responsables des adolescents d'aujourd'hui.

Denise OSSON

QUELQUES INDICES CULTURELS

L ' A D O L E S C E N T D ' H I E R E T D ' A U J O U R D ' H U I

Sans avoir l' ambition de résoudre les difficultés rencontrées sur le terrain, mon étude voudrait simplement profiler une perspective. Je vais prendre un peu d'élan dans l'histoire, pour sauter l'obstacle actuel. Comment, à mes yeux, se pose de nos jours la question de l'Adolescence ? j'évoquerai rapidement pour finir quelques problèmes de théorie et de pratique.

Je ne puis ici me lancer dans un long historique, ni refaire certaines analyses sémantiques usuelles sur les termes d'adolescent et d'adolescence. Pour avoir personnellement beaucoup étudié les conceptions du passé, j'ai la conviction que notre régime moderne de pensée sur la question révèle, depuis deux siècles, une permanence, régulièrement enrichie d'affleurements thématiques conjoncturels, en liaison avec les évolutions sociales. Ainsi peut-on déjà trouver, dans cet Evangile de l'Education Nouvelle qu'a été rétrospectivement l' Emile de Rousseau, une problématique de la "seconde naissance" axée sur la sexualité post-pubertaire et sur une socialisation adulte, cette dernière acquise à travers la dimension économique (un travail produc- tif) et politique (la citoyenneté démocratique). On a donc le sentiment, dès l'époque des Lumières que la variabilité des conditions sociales transforme l'aventure individuelle de l'entrée dans l'union conjugale et du choix d'un métier. C'était une remise en cause des processus intégrateurs régissant majo- ritairement l'accès à l 'état adulte dans les organisations sociales traditionnelles. Se marque alors une rupture qui a permis le surgissement, entre le grand enfant et le jeune adulte, d'une pensée de l'adolescence. Si, comme a pu le dire Michel Foucault : "il n'y a de psychologie que du patholo- gique", vous voyez s'originer d'une même crise et l'intérêt pour les changements sociaux, et l'intérêt pour les difficultés individuelles de maturation.

Au dix-neuvième siècle, les discours les plus voyants sur la question ont d'abord concerné "la jeunesse des Ecoles" (entendez les jeunes bourgeois étudiants) considérée comme un ferment révolutionnaire. Puis lorsque la scolarisation obligatoire a repoussé jusqu'à treize ans au moins la mise au travail, le problème des apprentis a fait surface ; qui patronnerait cette jeune main-d'oeuvre contrainte d'apprendre un métier hors du toit familial, et dans la précarité des conditions de vie faite aux travailleurs de l'époque ? Pour la psychologie naissante, l'adolescence n'est devenue que plus tard un objet de réflexion théorique, et d'abord sur le modèle de la jeunesse scolarisée dans l'enseignement secondaire. Il y a donc eu - si je puis dire - des adolescents avant des adolescentes, et des adolescents bourgeois avant des adolescents prolétaires, lesquels n'étaient que de jeunes travailleurs. A vous de juger le sens de mon histoire idéologique.

Mais déjà, entre patronage et psychologie pédagogique, la "guidance" n'était pas inconnue dans les pays anglo-saxons, comme bientôt le traitement des "jeunes à l'abandon" par suite des conflits guerriers. (Vous aurez reconnu une allusion à Aichhorn, et nous pourrions parler, à propos des problèmes sexuels de la jeunesse ouvrière, des travaux de Wilhelm Reich). Il me semble enfin, pour rester en France, et en venir à des pratiques spécifiques qui ont elles-mêmes évolué, que du côté de l'orientation professionnelle - qui ne fut pas toujours scolaire - et des premiers Centres Psycho-pédagogiques - pour lycéens à l'origine - on trouverait la double racine d'activités à versant psychologique, concernant, hors de tout handicap physique ou mental, ceux qui étaient de plus en plus nombreux à être pensés comme adolescents.

Si naturelle pour nos regards civilisés, et pourtant si culturelle qu'elle n'est sans doute pas universelle, l'adolescence est donc produite et socialement déterminée, nous en sommes bien persuadés. En parler "aujourd'hui" c'est prendre le risque d'une histoire au présent, curieuse des modifications les plus récentes... Nous avons assisté, me semble-t-il, au rassemblement composite des éléments épars relevés dans le précédent survol historique. Cette totalisation dans la théorie correspondrait même à une érosion, dans les faits, de différences induites par d'autres variables (de classe sociale, de sexe, de culture, etc...) avec comme résultat d'enrichir la notion dominante de génération adolescente, essentiellement définie par son âge, et par un univers propre de représentations. Phénomène social et historique pour la pensée savante, l'adolescence est devenue une réalité collective dans les faits, et dans la conscience des intéressés. Telle serait la nouveauté.

Rousseau avait titré la suite de son roman éducatif : Les Solitaires, ne diriez-vous pas aujourd'hui : "Les Solidaires" ?. Je ne parle pas des phénomènes de bandes, connus des psychologues depuis longtemps, même s'ils se renouvellent dans un kaleïdoscope aux bigarrures médiatiquement accentuées. Je ne parle pas non plus d'une marginalité aux déviances familières

à certains d'entre vous. Je veux parler de cette forme prise par l'insociable sociabilité humaine (comme disait Kant bien avant les dualismes freudiens) dans l'avènement d'une personnalité de base adolescente - dont les traits majeurs seraient à repérer.

Pour mesurer cette entreprise d'homogénéisation, songez à la Psycholologie différentielle de l'adolescence. Cet ouvrage de Madame Zazzo n'a guère plus de vingt ans ; elle y caractérisait respectivement l'apprenti ouvrier, le normalien futur instituteur et le lycéen. Aujourd'hui les instituteurs sortent des premiers cycles universitaires, et les lycées professionnels ont récemment fourni leurs contingents de manifestants aux côtés des étudiants. Ainsi donc la prolongation générale de la scolarisation, le mode de consommation que cible le commerce, l'évolution des moeurs sexuelles (etc...), mais aussi une conscience commune diffuse des risques dûs à la conjoncture économique alimentent une mentalité collective, plus frappante à considérer que les indéniables différences qui, naturellement et narcissiquement, subsistent.

Quatorze - vingt et un ans, selon les vieilles divisions septennales ? Il n'est pas jusqu'aux limites d'âge qui ne s'effacent. Le mariage ou l'indépendance économique, s'ils restaient des indicateurs sociologiques reculeraient l'état adulte, et inversement la fréquentation du collège abaisse l'entrée dans l'adolescence, quand vous lisez comme moi des études sur les valeurs de la jeunesse où sont interrogés des élèves de sixième... Tout conspire donc à massifier et à constituer en entité cette réalité jadis tenue pour particulièrement critique. Elle l'est encore, mais autrement. Toujours est-il que des facteurs "adolescentogènes" sont de plus en plus à l'oeuvre.

Semblant passer moins vite et durer plus longtemps, l'adolescence dissimule ses paradoxes - infantilisation et prématuration - derrière une temporalité. Il vaut de s'y arrêter.

L'aujourd'hui de l'adolescent est entre "son passé" et "un avenir. Tout le débat, s'il était abstrait, pourrait tourner autour de cette appropriation qui fait entrer en possession d'un passé, et de cette indétermination qui marque l'avenir d'un indéfini. Vous savez bien que le passé peut être destin plus qu'histoire, et que le futur peut être une absence d'avenir. "Entre" c'est le présent, fort, mais éphémère et donc bientôt faible. Je parlais des mouvements sociaux récents, et déjà oubliés. Combien d'entre nous se sont étonnés du corporatisme flamboyant de cette action, pour être bientôt surpris de l'inanité consécutive (en matière de syndicalisme étudiant, par exemple). Le collectif

que j'invoquais a par définition peu de mémoire ; les générations adolescentes durent moins d'une dizaine d'années. - Un philosophe disait : "De mémoire de rose on n'a jamais vu mourir un jardinier" ; je conviens que de mémoire de manifestant on a déjà vu un ministre démissionner, mais pour combien de temps ? Et quelle petite mémoire !

Rétro-déterminés par leurs enfances, extéro-déterminés par et avec leurs pairs, les adolescents évoluent sans cesse. Sur d'autres scènes que la politique, dans les familles, les institutions, les établissements scolaires, etc... parents, éducateurs, enseignants, animateurs sont au quotidien les ethnologues involontaires de ce peuple toujours changeant, mais qui parle. C'est pourquoi le psychologue est à son écoute.

Il me plait que "le retour de l'acteur", qu'on mit à la mode contre le déclin de certaines analyses structurales fasse retrouver la présence sur la scène de quelqu'un qui a quelque chose à dire. Le sujet parlant est familier au psychologue, qui au moins a toujours su que son objet était un sujet.

Je ne voudrais pas toutefois, avant de conclure, masquer quelques difficultés.

D'un point de vue théorique, la totalisation concrète dont je faisais état, réclame une nécessaire analyse qui distingue les causes. Crise de la société, conflits de générations, crise de la famille, conflit intra-psychique, et maintenant : crise économique... qui reflète quoi ? Dans le registre de la causalité psychique un accord n'est pas impossible, mais tranchera-t-il "en dernière instance" comme le faisaient si bien certaines axiomatiques que nous avons apprises ou que nous professons ? Psychologie sociale, inter-culturelle, différentielle, individuelle (normale et pathologique) autant de champs cadastrés qui aspirent peut-être au remembrement mais qui ménagent en attendant le confort du chacun chez soi.

Dans l'ordinaire de l'application la difficulté est toute autre. Ce n'est pas seulement que toute spécialisation renvoie à un travail d'équipe, ceci est entendu ; c'est que des paramètres comme le chômage des jeunes ou l'exclusion sociale renvoient à des causalités qui ne sont pas d'essence psychologique, et donc à des solutions véritables d'un autre ordre. Et pour ne parler que du secteur enseignement/formation, l'estime de soi chez les adolescents dépend de leurs résultats scolaires, leur vision de l'avenir est en relation avec le niveau de qualification espérée, autant de thèmes pour une psychologie sociale clinique (ou une psychologie clinique sociale ?).

Je ne m'autorise pas à répondre à ces interrogations difficiles. Je remarque simplement, dans mon champ, que les conseillers d'orientation doivent être de

bons informateurs, mais psychologues aussi et même économistes, que les conseillers d'éducation doivent être de bons administrateurs, mais animateurs et pédagogues. Selon sa fonction le psychologue est sans doute amené à connaître ces servitudes interdisciplinaires. Et s'agissant des adolescents qu'il écoute, il lui faudra aussi leur répondre quelque chose. Les jeunes sur leur planète n'ont pas besoin d'astronomes - lesquels, de loin ne peuvent les manipuler, mais font carrière... dans l'astronomie ! S'ils réclament quelque chose c'est de l'aide au développement, de l'aide dans leurs difficultés. Cette aide doit être négociée à partir de leur demande, et relever d'une sagesse que, faute de mieux, j'appellerai pédagogique, et qui reste à inventer.

Le dernier mot de ma part ne peut être que d'ordre éducatif : que les psychologues n'oublient pas, dans leur écoute et leurs réponses, que la planète des jeunes c'est la nôtre autant que la leur.

Bertrand LECHEVALlER Professeur de Sciences de l'Education à l'Université Charles de Gaulle - Lille III

U N P H É N O M È N E E X E M P L A I R E " L E R O C K "

Les jeunes sont les principaux consommateurs de produits musicaux et, indéniablement, le "Rock" s'est développé parce que s'est développée depuis trente ans une nouvelle force sociale : la jeunesse.

Face à ce constat deux lignes d'analyse sont communément proposées : - l'une voit dans l'engouement massif des jeunes pour le rock, le signe de l'emprise des "industries culturelles", industries de l'imaginaire, usines de rêve produisant pour un marché de masse les mots et les sons qui serviront de toile de fond aux activités de loisir ; elle peut justifier une crainte pour l'avenir de la culture quand les adolescents privilégient les produits de la culture médiatique. - l'autre voit dans cet engouement le signe de l'autonomie et même de la prise de pouvoir des adolescents qui imposeraient à travers les rythmes qu'ils aiment, leurs valeurs (individualisme, hédonisme, refus des contraintes traditionnelles). La jeunesse est un moment où s'expérimente une liberté, celle d'avant le mariage, d'avant le travail régulier, d'avant les obligations sociales, le Rock est la musique de cette période de liberté : elle propose des mots pour exprimer ce qu'on ressent, elle met en scène les rêves, elle fournit le fond sonore de toutes les activités de la sociabilité adolescente. Pourrait convenir au Rock, ce qu'Octavio Paz disait du romantisme : "le romantisme fut un mouvement littéraire, mais aussi bien une morale, une érotique et une politique s'il ne fut pas une religion il fut plus qu'une esthétique et une philosophie : une manière de penser, de sentir, d'être amoureux, de lutter, de parcourir le monde. Une manière de vivre et une manière de mour i r

Juger de sa valeur sociale, morale ou esthétique, demande de mettre en évidence les logiques qui ont rendu possible l'émergence du rock et l'ont

1 Point de convergence, Gallimard, p. 85

renoncement, qu'il participe à la difficulté d'être avant d'être lieu de désir et de plaisir.

Difficulté d'être, mal-être parfois aggravé par les dissonances entre cultures (Jacques Debiève), qui poussent les jeunes à foncer (Daniel Bailly), à se défoncer, à rocker (Patrick Mignon), à jêuner, à prier (Régis Dericquebourg), à mourir, impossibles Werther contemporains qu'a évoqués Catherine Terninck.

L'adolescence, réalité collective tendant à la massification (Bertrand Lechevalier), fruit de l'invention culturelle, crée aussi sa culture. Le rock (Patrick Mignon), comme véhicule de la dissension de l'adolescent vis-à-vis de la société adulte, y a tenue une place importance avant de s'affadir.

Mais le rock, même s'il n'est pas hard, a toujours quelque chose de secouant, d'intense et l'adolescent semble trouver dans les sensations fortes une occasion de se sentir vibrer (et donc de vivre) au-dedans, tout en s'endurcissant au dehors. Les actes dangereux ou délinquants servent souvent une fin identique, tandis que dans le sens inverse mais dans un même but, se développent l'ascèse et l'attrait pour la mort, alors sublime plus que terrifiante.

Cherchant ses marques, testant les limites, escomptant un fil d'Ariane, une vérité structurante, l'adolescent va tantôt provoquer la confrontation au juge dont on a pu percevoir la tâche difficile et qui, bon gré mal gré - et malgré M. A. Bajeux - est le symbole de quelque chose, tantôt s'insérer dans une secte religieuse dispensatrice de vérité apaisante, tantôt s'emplir de l'oubli de la drogue, tantôt forcer l'intervention sociale et/ou médicale (Daniel Bailly et Jean-Pierre Gremillet).

La société qui produit l'adolescence, la complique, la protège, la juge, fonde aussi des institutions qui la prennent en charge, institutions dont J. Gremillet a éloquemment montré les problèmes, nous apprenant dans la foulée, que le dur des années 60 est devenu le paumé des années 80, qu'aujourd'hui, on ne cavale plus, on zone.

Et il est essentiel de ne pas perdre de vue ce rôle de la société car le risque est grand d'attribuer à des propriétés individuelles génétiquement déterminées, des conduites adolescentes dérangeantes. L'illustration en est donnée par ces beurs (J. Debiève) qui, tiraillés entre la culture maghrébine et la culture française, ne présentent pourtant pas plus de troubles psychopathologiques que la population autochtone de même niveau : ce sont leurs comportements qui sont socialement déviants. De se rappeler cela écarte des tentations racistes et des solutions aussi simplistes que fausses.

Dans ce mouvement extensif de dépliement, déploiement du corps, du moi, lors de l'adolescence, les plis s'ouvrent, révélant les mal-façons ; les déchirures s'élargissent ; les distorsions grossissent. Et ce sont bien ces blessures, cette dévastation de l'image du corps devenu prison que découvrent Eric Callens et Véronique Smelten au travers des dessins que leur livrent des adolescents

handicapés moteurs. Quant aux handicapés sensoriels, A. Demeersman et M. Nevejans ont mis en évidence que la nature du handicap modifie non seulement la perception, au sens strict, du monde mais encore la conception de la vie. Si l'on ose dire, l'amblyope ne "voit" pas la différence par rapport aux autres et le sourd pense qu'entre sourds, on s'"entend mieux".

Enfin, Paul Liévens, rendant justice aux cliniciens européens, a attiré l'attention sur le syndrome de dysfonctionnement cérébral minimum, syndrome dont la méconnaissance risque de fourvoyer le thérapeute vers des interprétations inutiles et des mesures curatives inadéquates.

Toutes les réflexions ont surtout porté, aujourd'hui, sur l'état souffrant vulnérable, difficile qu'est l'état d'adolescence.

Les propos de Philippe Macquet, relatifs à la santé plutôt qu'à la maladie, ouvrent à un domaine étrangement délaissé. En effet, et avec les meilleures raisons, nous étudions les problèmes, les pathologies ; au bout de nos recherches, nous pouvons, du moins idéalement, comprendre le comment et le pourquoi de ces troubles. Mais la santé n'est pas en plein ce que la maladie est en creux. Dès lors, que savons-nous de ce qui fait que des adolescents ne volent pas, ne fuguent pas, ne se droguent pas, ne se dépriment pas ? Il est des adolescents heureux et il serait sans doute bien utile de comprendre comment ils s'y prennent pour l'être.

Christian MORMONT Psychologue (Université de Liège) Chargé de cours à l'Université Charles de Gaulle - Lille III