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L A R E V U E Trimestriel – Avril-Juin 2017 Numéro 117 – Prix : 7 L’EUROPE C’EST NOUS Dans ce numéro, Michel Barnier, Laurent Berger, Olivier Guersent, Catherine Lalumière, Alain Lamassoure, Philippe Maystadt, Mario Monti, Odile Quintin, Luca Visentini... évoquent l’avenir de l’Europe. CONFRONTATIONS A 25 ANS, L’EUROPE 60

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L A R E V U ETr imestr ie l – Avr i l -Ju in 2017 Numéro 1 17 – Pr ix : 7 €

L’EUROPE C’EST NOUS

Dans ce numéro, Michel Barnier, Laurent Berger, Olivier Guersent, Catherine Lalumière, Alain Lamassoure, Philippe Maystadt, Mario Monti, Odile Quintin, Luca Visentini... évoquent l’avenir de l’Europe.

CONFRONTATIONS A 25 ANS, L’EUROPE 60

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o Confrontations Europe La Revue (4 numéros par an) ..................................................................................................................................................................................................................................... 28 €

Bulletin à envoyer avec votre règlement à l’ordre de Confrontations Europe à l’adresse suivante : Confrontations Europe, 227, boulevard Saint-Germain, F-75007 Paris

Bulletin d’abonnement

L A R E V U E

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En1992, paraissait le premier numéro de la RevueConfrontations Europe. La même année étaitsigné le traité de Maastricht instituant l’Unioneuropéenne. Nous étions alors au lendemain del’effondrement de l’Union soviétique et l’Europe

s’unifiait à grande vitesse, en se dotant notamment d’unemonnaie commune. Vingt-cinq ans plus tard, nous pouvonsêtre fiers du chemin parcouru : l’Union s’est élargie auxdimensions d’un continent connaissant une période depaix et de prospérité sans précédent. Les défis ne sonttoutefois pas moins grands et, si nous n’y prenons garde,ils pourraient mettre à bas un édifice pour lequel noussommes nombreux, particulièrement autour de cette revue,à nous être engagés.

Ces défis sont géopolitiques : les affrontements en Ukraine, la guerre en Syrie, lafragilité des États du Maghreb, la diffusion du terrorisme islamiste et le repli stratégiqueaméricain mettent définitivement fin à l’ère de stabilité dont a pu, un temps, bénéficierl’Union. Ils sont économiques et sociaux : l’Union ne s’est pas complètement remisede la crise de 2008, comme l’attestent les niveaux de la dette publique de nombreuxÉtats membres ainsi que la permanence d’un chômage important en leur sein. Ilssont également politiques : les partis eurosceptiques ou anti-européens sont certesaussi vieux que l’Union elle-même, ils n’ont pourtant jamais paru si proches desportes du pouvoir, aux Pays-Bas, en Italie mais aussi en France.

La conjonction de ces crises, à laquelle il faudrait ajouter l’afflux migratoireauquel l’Union peine à faire face, explique en partie le vote d’une majorité decitoyens britanniques pour le Brexit. Ce vote, nous devons le regarder en face, sansconfondre populisme et sentiment populaire.

Il est de notre devoir d’apporter des réponses à ce dernier. Ceci suppose deretrouver les fondements de l’économie sociale de marché dont nous nous sommesprogressivement éloignés et de faire, à nouveau, de l’Union notre meilleure protectionface à un monde injuste, incertain et fragile. Dans ce monde, nous devrons renforcernos outils en matière de sécurité et de défense : c’est le sens des propositions émisesrécemment par Federica Mogherini en faveur d’une défense européenne industrielleet opérationnelle. Nous devrons également investir davantage dans notre avenircommun, en relevant nos ambitions en matière d’innovation, de recherche et d’édu-cation. Plus que jamais, nous avons besoin de projets mutuels rassemblant les Étatsmembres autour d’efforts communs, sans chercher à mettre fin aux souverainetéset aux singularités de chacun. C’est l’ambition et la raison du plan Juncker.

Tel est l’esprit qui anime la Commission européenne, au lendemain de la publi-cation d’un Livre blanc proposant aux chefs d’État et de gouvernement des cheminspour demain et à la veille du Sommet de Rome, qui célébrera les 60 ans de laconstruction européenne. Formons le vœu que ces commémorations nous condui-sent à renouer avec l’audace, l’ambition et la vision qui forment, depuis l’origine,le socle de notre Union. Un tel anniversaire ne peut être marqué par la nostalgie.Il doit être un nouveau départ ! Tout au long de cette nouvelle route, les institutionseuropéennes et leurs dirigeants auront bien besoin de la réflexion constructive etjamais complaisante de think tanks tels que Confrontations qui doit tant à PhilippeHerzog et à ses équipes. �

SOMMAIREÉDITORIAL

➧ CONFRONTATIONS ET L’EUROPE

p. 4 L’Europe des projets partagés,

par Marcel Grignard et Anne Macey

p. 6 L’ouverture au monde, pour que l’Europe

retrouve son projet, par Claude Fischer,

avec Marie-France Baud

p. 8 Construire l’affectio societatis,

par Jérôme Vignon

p. 9 Témoignages : Philippe Maystadt,

Odile Quintin, Olivier Guersent,

Catherine Lalumière, Dominique Riquet,

Arlene McCarthy, Mathieu Moreau,

Lucas Buthion, Hanna Yafimava Chtioui

➧ INTERVIEWS CROISÉES

p. 12 Se décentrer pour préparer une refondation,

rencontre avec Antoine Guggenheim

et Philippe Herzog

p. 14 « L’Europe sociale doit progresser »,

rencontre avec Laurent Berger

et Luca Visentini

➧ LES COMBATS DE CONFRONTATIONS

p. 16 Vers un nouveau système de financement de l’UE,

par Mario Monti

p. 18 Le budget : la peau du chagrin européen,

par Alain Lamassoure

p. 20 Pour une finance régulée au service du long terme,

par Marie-France Baud

p. 21 La mer, domaine d’intérêt stratégique européen,

par Damien Périssé

p. 22 Jeunes et Européens ! par Katarina Cirodde

p. 23 Investir dans les compétences, par Garance Pineau

p. 23 Mobilité des apprentis, encore un effort,

par Laure Coudret-Laut

p. 24 Le tsunami numérique souffle à Confrontations,

par Carole Ulmer

p. 25 Numérique : l’enjeu des données,

rencontre avec Aymeril Hoang

p. 26 L’énergie comme projet fédérateur européen,

par Michel Cruciani

p. 27 Une révolution énergétique mais aussi sociétale,

par Jean-Claude Perraudin

➧ CE QU’EN DISENT LES ADHÉRENTS

p. 28 Témoignages : Jean-Louis Bancel,

Marie-France van der Valk, Matthias Seewald,

Olivier Fréget, Michel Matheu

➧ POSTFACE

p. 30 Europe : relever le défi démocratique,

par Marcel Grignard

L A R E V U ECONFRONTATIONS EUROPEFondée par Philippe Herzog et Claude Fischer. Directeurs de la

publi cation : Marcel Grignard et Anne Macey • Rédactrice en chef :

Clotilde Warin • Iconographie : Alexis Couette • Comité de rédaction :

Marie-France Baud, Irina Boulin-Ghica, Katarina Cirodde, Olivier Fréget, Marcel Grignard, Philippe Herzog, Hervé Jouanjean, Anne Macey, Thierry Philipponnat, Carole Ulmer, Jérôme Vignon, Clotilde Warin • Adresse :

227, bd Saint-Germain, F-75007 Paris. Tél. : 00 33 (0) 1 43 17 32 83.Fax : 00 33 (0) 1 45 56 18 86. Courriel : [email protected]. Internet : confrontations.org • Commission paritaire n° 0419 P 11 196.N° ISSN : 1955-7337 • Réa lisation : C.A.G., Paris. Imprimé en France. Illustration de couverture : © Thomas Lohnes/Getty Images, AFP.

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Michel BarnierAncien ministre,chef de la négociationpour l’Union européenneavec le Royaume-Uni

NOUVEAU DÉPART

CONFRONTATIONS EUROPE LA REVUE Numéro 117 – Avril-Juin 2017

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CONFRONTATIONS EUROPE LA REVUE Numéro 117 – Avril-Juin 2017

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CONFRONTATIONS ET L’EUROPE

L’EUROPE DES PROJETS PARTAGÉSL’Europe célèbre, en ce printemps, ses 60 ans. Confrontations en aura 25 à l’aube de l’été. À Confrontations, nous sommes

persuadés qu’il nous faut continuer à débattre, combattre, défendre des idées pour que l’Europe réponde aux enjeux actuels.

Avec la conviction qu’il vaut mieuxconfronter les idées autour d’unetable que sur un champ de bataille,Confrontations Europe est né il ya 25 ans. C’est aujourd’hui un

réseau de 30 000 acteurs : représentants d’en-treprises, syndicats, territoires, citoyens dedifférents pays d’Europe, en dialogue avecles décideurs européens. Plus que jamais,nous cherchons à être un pont entre la sociétécivile et les institutions européennes. Nousvoulons contribuer à tisser le fil d’une Europequi permette aux Européens d’assumerleur destin commun dans un monde enmutations.

Pourquoi l’Europe ? Les raisonsde notre engagementMondialisation, mutations numérique, éner-gétique et écologique, enjeux démogra-phiques, sécurité : ces défis, communs auxEuropéens, nous ne pourrons les releverengoncés dans les limites de nos États nations.Le repli signifierait des reculs dans de mul-tiples domaines et nous mettrait à la mercides choix des puissances dominantes dansle monde.

Or, la perception d’une destinée communefait défaut. Et les peuples européens ont beau-coup à apprendre les uns des autres pour pouvoir se rapprocher dans une Europe dif fé renciée. Nous prenons en pleine figurenos carences d’édu -cation à l’Europe etd’expériences d’autrui.Confrontations Europes’est toujours efforcéede contribuer à faireconnaître ces réalités ainsi que celles du fonc-tionnement de l’Union européenne, com-mode bouc-émissaire d’États nations quin’assument pas leur responsabilité de déci-deurs européens et peinent à dépasser leursintérêts nationaux.

C’est dans un contexte de profondes muta-tions de nos sociétés que nous poursuivons

notre action. Il nous faut reprendre notredestin en mains. Nos modes de développe-ment ont permis des progrès formidables.Mais ils épuisent nos ressources naturelles,

dégradent la biodiver-sité, accroissent les iné-galités. Nos sociétésoccidentales ne saventplus organiser le vivreensemble ; les idées de

repli et la haine d’autrui prospèrent. La muta-tion à laquelle nous sommes confrontésest inédite, les défis à relever gigantesques,les solutions d’hier inopérantes. L’Europedoit nous aider à relever les défis de notrefutur : à édifier un «  nous  » individuel et collectif à l’échelle de nos territoires, de l’Europe, de la planète.

Tandis que d’autres régions du monde s’im-posent, l’Europe est mise au défi de renoueravec le progrès. Or, c’est un autre type deproductivité qu’il faudrait inventer, en repla-çant au centre l’humain et l’environnement,le long terme… Il nous faut aussi construireles nouvelles solidarités, sortir d’un chômagemassif. Confrontations Europe poursuit ainsi,avec ses partenaires, son combat pour la valo-risation du travail, et le développement descapacités humaines de tous les Européens,en lien avec les besoins. Cela devrait doitêtre placé tout en haut de l’agenda européen.Et ce, encore plus quand il s’agit de jeunesayant moins d’opportunités. Nous sommesallés à leur rencontre à Sarcelles, Bondy, Lille,Roubaix, pour faire connaître les initiativesde Garantie Jeunesse, Erasmus de l’Appren-

L’Europe doit affirmerson autonomie stratégique

dans la mondialisation

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CONFRONTATIONS EUROPE LA REVUE Numéro 117 – Avril-Juin 2017

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CONFRONTATIONS ET L’EUROPE

tissage, Service volontaire européen, maisaussi les obstacles encore à lever (adminis-tratifs, réglementaires...). La constructiond’un marché paneuropéen du travail doitaccompagner et sécuriser les transitions pro-fessionnelles. L’échelon européen pourraitposer le principe degaranties (formationprofessionnelle tout aulong de la vie, chômage,maladie, retraite) atta-chées à la personne, etofferte à tout travailleur ; aux États membresd’en définir les modalités. L’Europe doit tirerparti de sa capacité unique de dialogue entrepartenaires sociaux, de son expérience de laparticipation des travailleurs, impliquer lesterritoires, les associations. Il y a là un poten-tiel d’innovation et de renouvellement ausein des entreprises amenées à se réinventer :comment les inciter à développer une dyna-mique de responsabilités élargies quant auximpacts de leur activité sur la société ? Latransformation numérique, le développementdurable, l’économie circulaire (mobilité dura-ble, bâtiment propre, déchets...), et l’économiecollaborative sont des leviers permettant deprendre en compte l’ensemble des partiesprenantes.

Confrontations Europe est depuis 9 ansengagé en faveur des investissements de longterme, sous l’impulsion de Philippe Herzoget tiendra la 3e édition de ses Assises euro-péennes du long terme en octobre 2017.Comment faire émerger des projets d’intérêtgénéral européen ? Quels obstacles existentdans les différents secteurs d’activité ? Com-ment parvenir à des signaux prix favorisantles investissements, réorienter l’épargne ? Cesquestionnements mettent en évidence l’ab-sence de véritable politique européenne dansdes domaines clés (énergie, numérique…)laissant s’accroître les divergences entre lesÉtats membres. Confrontations Europe sebat, avec ses partenaires, pour une stratégieindustrielle européenne, par laquelle l’Europedoit affirmer son autonomie stratégique dansla mondialisation, notamment en matière denumérique. Nous devons mutualiser lesinvestissements de long terme dont nousavons besoin en Europe pour aider chaquepays à monter en compétitivité. Le planJuncker, pour positif qu’il soit, n’est pas à la

hauteur des besoins massifs nécessaires à lapréparation de l’avenir : les investissementsdans les femmes et les hommes, les investis-sements paneuropéens ou transfrontières,dans la recherche et l’innovation, les secteursindustriels ou maillons stratégiques de

chaînes de valeur, laréciprocité et les inves-tissements directs àl’étranger... Le cadre derégulation financière,rendu nécessaire par la

crise qui a éclaté en 2008, a ainsi dû être réa-justé pour réorienter la finance vers l’écono-mie. Il demeure cependant indispensable deparachever l’Union bancaire par une garantiefédérale des dépôts, de défragmenter l’Uniondes marchés de capitaux pour financer nosentreprises innovantes et PME à forte crois-sance, responsables de l’essentiel des créationsnettes d’emplois, et de créer un cadre euro-péen pour déployer l’accès à la finance à ceuxqui en sont encore exclus. Dans un mondeà hauts risques, nous avons besoin d’un réseaude banques publiques de développement desterritoires, y compris les périphéries, et definanceurs privés, assureurs, fonds d’inves-tissement prêts à prendre et maîtriser lesrisques.

Refonder l’EuropeDans un contexte marqué par le Brexit, lavictoire de Trump, les provocations sécuri-taires de Poutine, le terrorisme de Daech, lamontée des replis nationaux dans d’autrespays de l’Union, réenchanter l’Europe ne sefera pas sans les Européens. L’impulsion nepourra émaner des seuls États membres. Unedélibération à l’échelle paneuropéenne estnécessaire et les sujets à mettre en débat sontnombreux : les biens communs européens(environnement, etc.) en font partie, les res-sources propres pour un véritable budget dela zone euro, pour permettre l’émergenced’une puissance publique européenne.

La future architecture de l’Union euro-péenne est un autre sujet crucial alors quel’actualité remet les coopérations renforcéesau premier plan. Confrontations Europe pro-pose de distinguer trois cercles : le voisinaged’abord avec lequel nos relations d’intérêtmutuel de long terme doivent être repenséesnotamment à travers l’octroi de statuts d’Étatsassociés ad hoc pour le Royaume-Uni, maisaussi la Turquie ou la Russie. Le deuxièmecercle recouvre l’Union européenne du mar-ché intérieur, avec un espace Schengen capa-ble de consolider ses frontières européennescommunes, mais qui manque encore des coo-pérations à la hauteur permettant de répondreaux enjeux du terrorisme ou de définir unepolitique migratoire véritable. Enfin, un troi-sième cercle : la zone euro enfin. Reste àréformer la gouvernance européenne. Il s’agitd’abord de répondre au défi démocratique :les peuples doivent s’accorder sur ce qu’ilsveulent partager comme grandes prioritésau sein de la zone euro, de l’UE. Il s’agit ausside trouver une meilleure articulation entreune Commission plus politique (qui doitse doter d’un ministre de l’Économie etdes Finances de la zone euro, d’un ministrede la Sécurité intérieure de l’Union...), le Parlement européen et son lien avec les parlements nationaux, et le rôle des Étatsmembres, libres de définir les modalités demise en œuvre dès lors qu’ils tiennent leursengagements.

Confrontations Europe porte ainsi une cer-taine vision de la construction européenne.Elle se fera non par les institutions d’abord,mais par les projets partagés, non en imposantsa vision nationale aux autres, mais en rap-prochant les peuples et les nations dans unrapport ouvert à l’autre, qui permette de par-tager des diagnostics et d’agir en commun. �

Marcel Grignard, président deConfrontations Europe et Anne Macey,

déléguée générale, Confrontations Europe

Confrontations Europe célébrera ses 25 ans16, rue Jean-Rey, 75015 Paris. L’AG annuelle se déroulera de 15 h à 16 h et sera suivie

d’une conférence sur l’avenir de l’Europe de 16 h 15 à 19 h, puis d’un cocktail dînatoire.

« Une délibérationà l’échelle paneuropéenne

est nécessaire »

SAVE THE DATE : 20 JUIN 2017

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CONFRONTATIONS EUROPE LA REVUE Numéro 117 – Avril-Juin 2017

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CONFRONTATIONS ET L’EUROPE

L’OUVERTURE AU MONDE, POURQUE L’EUROPE RETROUVE SON PROJET

Confrontations Europe s’est développée dans la rencontre et le débat entre différents peuples européens.Leurs différences ont nourri notre action et leur union. Face aux risques de repli des sociétés sur elles-mêmes,

il est urgent de revivifier le dialogue en Europe et avec les autres régions du monde.

Confrontations Europe est née fin1991, deux ans après la dislocationdes blocs en 1989, le temps quemûrisse le projet et que, autour dePhilippe Herzog, nous nous rassem-

blions et nous engagions dans cette associationoù nos différences nous unissaient et où lesconflits étaient rendus constructifs ! Un labo-ratoire de ce que nous rêvions pour une Franceclivée, puis un peu plus tard, pour l’Europe,avec le souhait d’accueillir les peuples de l’Estdans la « maison commune ».

Dès les années 2000, nous allons à la rencontredes peuples d’Allemagne de l’Est, de Hongrieet de Pologne. Nous prenons des « bols d’air »auprès d’hommes et de femmes qui – alors queles peuples de l’Ouest étaient déjà repliés sureux-mêmes et s’inquiétaient de l’élargissement– veulent nous rejoindre, heureux de sortir desdictatures et d’entrer dans la démocratie pourparticiper à l’écriture d’une nouvelle constitutionpour l’Europe de demain. Nous rencontronsl’envie et la foi en un avenir européen. Au seinmême de Confrontations, nous travaillons avecdes stagiaires polonais, hongrois, et nous « rajeu-nissons ». En 2004, nous saluons et fêtons l’entréedes pays de l’Est, « des retrouvailles », clameVaclav Havel. Parallèlement, la Roumanie et laBulgarie se préparent et les peuples des Balkansespèrent qu’on ne les oublie pas.

Un an plus tard, la honte nous submerge : le« non » de la France et des Français au référen-dum pour une Constitution européenne  nousramène en arrière ! Nous nous interrogeons surle « non » de gauche qui, voulant se différencierdes anti-Européens, dénonce un texte abscons,et se réclame d’une Europe sociale. Mais quivoulait véritablement construire une Europesociale ? Et sur quel modèle ? Pour beaucoup,le social relève de la souveraineté nationale : çane se partage pas ! Il est au fondement de lademande de protection qui empêche de nouer

CONSTRUCTION EUROPÉENNELES ÉTAPES :

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CONFRONTATIONS EUROPE LA REVUE Numéro 117 – Avril-Juin 2017

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CONFRONTATIONS ET L’EUROPE

des solidarités entre Européens. Nos amis socia-listes portugais – qui avaient combattu la dic-tature et rejoint l’Europe – s’interrogent avecnous... Que faire ? La crise européenne étaitouverte, on n’allait pas en sortir.

La rencontre organisée à Sarajevo en Bosnie-Herzégovine en 2005, entre Bosniens,Croates et Serbes, est un choc émotionnel.Elle sera prolongée quelques années plus tardpar un tour des Balkans, mais l’échec est patent.Les divisions règnent, et personne n’a enviede les accueillir (il faudra attendre 2013 pourl’entrée de la Croatie).

Relancer l’envie d’EuropeNous engageons un « Tour d’Europe », pournous excuser, aller vérifier auprès de nos amiseuropéens leur volonté de continuer avec nouset (ré)ouvrir des options(1). En neuf mois, nousnous rendons dans neuf capitales : Bruxelles,Berlin, Budapest, Londres, Varsovie, Madrid,Prague, Athènes et Sofia. Nous organisons desconférences sur les enjeux socio-économiqueset culturels du projet, sur les politiques indus-trielles et de services àbâtir, sur la démocratieet la gouvernance del’Europe. Nous visitonsles villes et leurs envi-rons, projetons desfilms donnant à voir et à comprendre nos his-toires. Nous nouons des liens d’amitié avecceux qui font l’Europe, et qui viendront témoi-gner à Paris – pour les 15 ans de Confrontationset les 50 ans de l’Europe – lors d’une fête quirassemblera tous les mouvements européensde France. Nous rassemblons plus de 2 000personnes pendant cette période, mais noussommes trop peu nombreux pour inverser latendance. Nous créons alors un nouveaugroupe de travail sur « l’Europe en devenir(s) »,avec le souci de continuer le dialogue.

Quand on refait le chemin à l’envers, on prendencore plus conscience que nous portions lacrise en nous-mêmes, et qu’en 2005 ce sont nosdivisions qui minaient notre union, nous empê-chaient de créer les solidarités et les biens publicssur le marché intérieur. Celles-ci se sont aggra-vées lors des débats pour le droit à la mobilitédes travailleurs, pour des services d’intérêt géné-ral européens, ou pour une politique énergétiquecommune, pour ne citer que quelques exemples.Paradoxalement, la crise de 2008 a ressoudé les

pays européens quand l’Europe a consolidé sonUnion économique et monétaire pour y faireface, mais tout reste fragile car nous n’avons passu redéfinir notre projet. Celui-ci est né après-guerre avec une promesse de prospérité de paixet de réconciliation, mais la prospérité n’est pasau rendez-vous pour tous, la réconciliation n’estpas achevée et la paix est de nouveau menacée.

Mieux nous retrouver Aujourd’hui, chacun sait qu’il faut refonderl’Europe si nous ne voulons pas qu’elle explose.Les Anglais ont voté leur sortie et les autress’interrogent sur leur devenir commun. Lespeuples sont restés nationaux, ils ne sont pasdevenus européens. On a tendance aujourd’huià montrer du doigt les pays comme la Hongrieou la Pologne qui se détournent. Mais il fautentendre Kryzstof Zanussi, cet immense réa-lisateur européen, qui explique combien lesPolonais ont été déçus, voire humiliés, par l’ac-cueil qui leur a été réservé. Et quelles leçonspeut-on donner quand la crise démocratiqueest partout, avec la remontée, comme en France,

des partis d’extrêmedroite ? C’est la nationqui soude les peuplesautour de droits quipuisent dans son passéet dans sa culture et des

valeurs qui n’ont rien d’universel, mais qui,comme le rappelle Philippe Herzog citant EdgarMorin, « expriment nos besoins »(2).

La diversité des nations n’est pas le cimentde notre unité, et l’Europe ne fait pas société…Dans le monde en pleine mutation, elle nejoue plus son rôle de grande puissance, contrai-rement aux États-Unis, à la Chine ou à la Russie... Quant à la paix, elle n’a jamais étéacquise. Elle a sévi dans les Balkans et se déve-loppe depuis quatre ans à nos portes en Syrie...Et le terrorisme – qui se nourrit des exclusionset des différences – est une guerre mondialed’un type nouveau qui se propage au cœurmême de notre Europe.

La refondation de notre Union ne pourrase faire qu’en rapprochant les nations et lespeuples pour qu’ils se connaissent et acceptentleurs différences : pour cela, il faut qu’ils s’ou-vrent et sachent ce qu’ils ont envie de partager,ce qui suppose de multiplier les rencontres,créer des espaces publics de débat où les jeunesseront associés, et développer des projets en

coopération. Philippe Herzog parle de confé-dération où le cœur reste l’Union à 27, qu’ilfaut solidariser et élargir à la Serbie et la Bos-nie-Herzégovine. Celui-ci ne pourra battreque si d’un côté, les États s’appuient sur unezone monétaire consolidée, et de l’autre, s’ilsdéveloppent leurs relations avec les pays voi-sins, coopèrent dans une vision partagée del’avenir de l’Europe. Ce troisième cercle pour-rait associer des pays comme l’Ukraine, laGéorgie, ceux d’Afrique du Nord dont laLibye(3). La Turquie ou la Russie devront-ellesl’intégrer ? Elles ne le souhaitent pas. Maisl’arrêt des négociations d’adhésion avec la Tur-quie, les politiques de sanctions vis-à-vis dela Russie risquent de se retourner contre l’Eu-rope et contre les États de l’Union qui refusentqu’elle s’ingère dans leurs relations extérieures,menaçant un peu plus l’Europe de dislocation.Il faudrait impérativement renouer le dialogueavec ces grandes puissances, entrées dans desjeux complexes de recomposition d’alliances(4).

C’est par ses relations extérieures et sonouverture au monde que l’Europe pourraretrouver son projet et sa cohésion, mais sonabsence de stratégie ne lui permet pas d’êtreà l’offensive. C’est vrai aussi pour l’Afriqueavec qui pourtant nous partageons une longuehistoire commune. Comment renouveler nosrelations commerciales, bâtir des coopérationset des projets de développement sur ce conti-nent qui émerge dans la mondialisation ?L’Afrique n’attendra pas(5). Elle s’ouvre aumonde, les jeunes aspirent aux changementséconomiques et politiques en cours, et il nefaudrait pas que faute d’une véritable stratégiede développement, les peuples européens sereplient et affaiblissent l’Europe qui plus quejamais doit devenir un acteur mondial. �

Claude Fischer Herzog, directrice d’ASCPE, Les Entretiens Européens & Eurafricainsavec Marie-France Baud, directrice du

Bureau de Bruxelles de Confrontations Europe

1) Le Tour d’Europe. Dialogues et découvertes pour partager un destin.L’Europe après l’Europe, éditions Le Manuscrit.2) Identité et valeurs : quel combat ? L’Europe après l’Europe, éditionsLe Manuscrit, Paris, 2015.3) Philippe Herzog, «  L’identité de l’Europe. Vers une refondation », essaipour King’s College London, ASCPE, mai 2016.4) Cf. Les Entretiens Européens animés par ASCPE : « Sécurité énergétiqueen Europe. Repenser nos interdépendances », avril 2016.5) Cf. Les Entretiens Eurafricains animés par ASCPE : « Le défi de l’émergencede l’Afrique de l’Ouest. Politiques publiques et régulation pour favoriserl’investissement », mars 2017.

Il nous faut refonderl’Europe si nous ne voulons

pas qu’elle explose

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CONFRONTATIONS EUROPE LA REVUE Numéro 117 – Avril-Juin 2017

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CONFRONTATIONS ET L’EUROPE

De quoi l’Union euro-péenne manque-t-ellele plus aujour d’hui ?Cer tainement pasde raisons objectives

pour resserrer les rangs faceà toutes les menaces qui s’ac-cumulent. Sans doute pas nonplus de projets mobilisateurs.Peut-être avant toute chose dece que Jacques Delors nom -mait volontiers l’affectio socie-tatis ( 1 ) et qu’en ces tempsd’approfondissement du« récit républicain », j’aimeraisappeler esprit de fraternité.

Nous sommes devant unparadoxe en cet anniversairedu Traité de Rome. Ce dernier ne consacrait-il pas la promesse d’une « Union toujours plusétroite entre les peuples  » ? Beaucoup ontvoulu voir dans cette expression une référencevoilée à la perspective fédérale honnie par leRoyaume-Uni. Aujourd’hui, l’enjeu ne semblepas être celui du modèle fédéral ou de sonrejet. Il relève plutôt de la symbolique contenuedans la promesse initiale. La renaissance desnationalismes, la difficulté de leur opposer lelangage de la confiance entre les peuplesparaissent bien être le signe d’un inachèvementdu Traité de Rome. Pourquoi les « solidaritésde fait » invoquées par Robert Schuman, misesen œuvre, par exemple, au travers des outilsde la cohésion sociale et territoriale et via lesFonds structurels européens, n’ont-elles pasconstruit une véritable affectio societatis ? Au-delà de l’opacité des processus européens, au-delà des attitudes platement démagogiquesdes responsables livrant l’UE à la vindictepopulaire, il me semble que l’on peut trouverdes lacunes dans la façon de « faire l’Europe ».Elles ont contribué à éloigner les peuples lesuns des autres plutôt qu’à les rapprocher.

La stratégie « Europe 2020 »(2) et le Semestreeuropéen, combinant la définition de critèresà respecter avec un monitoring centralisé, ont

fait de chaque pays de l’UE, et donc de chaquepeuple, une entité isolée confrontée à desrègles abstraites. Ces processus verticaux sontsans doute nécessaires pour établir des disci-plines. Mais ils comportent le risque, lorsqu’ilsdeviennent à ce point exclusifs de transformerl’UE en une simple classe de bons et mauvaisélèves. Cela rend populaires les chahuteurs.

Coopérations horizontales entre les peuplesDe même, la prééminence des relations ver-ticales avec l’exécutif européen pour l’appli-cation des règles et la mise en œuvrebudgétaire des programmes renforcent unevision centralisatrice, malgré les très nom-breuses garanties et les possibilités de recoursdont cette application est entourée. À l’inverse,les coopérations horizontales entre les nations,entre les régions et entités territoriales, ouentre des acteurs économiques demeurentrares, à l’exception de la très discrète politiqueeuropéenne de la recherche.

Je n’oublie pas, dans cette liste autocritique,la société civile, si fortement implantée àBruxelles et qui fournit une expertise indis-pensable, mais qui n’atteint pas les acteurs natio-naux. Contrairement à ce qui avait été espéré,

notamment dans un Livreblanc sur la gouvernanceeuropéenne(3), la sociétécivile, et en particulier lespartenaires sociaux euro-péens, ont rarement pu sefaire promoteurs d’unepédagogie de l’autre, aidantà connaître et donc à com-prendre les motivationsapparemment divergentesdes peuples ayant un autrepassé que le nôtre et pour-tant la même histoire.

Tout ceci est dit sansamertume et sans regretaucun. Car dans chacunede ces dimensions s’offre,

à mon sens, l’opportunité d’une auto-inter -rogation sur les manières de faire et de parlerdes acteurs de l’Europe pour que se déploieen parallèle du mouvement espéré d’un renou-veau du processus européen, un développe-ment des relations horizontales entre lespeuples, dans la perspective d’une Europe fra-ternelle, fût-elle à géométrie variable. N’est-cepas justement l’exemple que nous a donnéConfrontations Europe, ancré à Paris et àBruxelles certes, mais en même temps pro-moteur infatigable du dialogue entre les peuplesd’Europe ? En ce 25e anniversaire, on souhaiteque cette culture du « voyage européen », chèreà Philippe Herzog, transmette son style à lamanière de «  faire Europe » aujourd’hui. �

Jérôme Vignon, président de l’Observatoirenational de la pauvreté et de l’exclusion sociale

1) En droit des affaires, l’affectio societatis est invoquée là où s’observeune collaboration volontaire, active, intéressée et souvent entre égaux.Elle est au fondement de la création d’une société. 2) Le Livre blanc sur la gouvernance européenne, adopté en juillet 2001par la Commission européenne, a pour but d’établir des formes plusdémocratiques de gouvernance à tous les niveaux : global, européen,national, régional et local.3) L’Union européenne s’est fixé cinq objectifs à atteindre en dix ans enmatière d’emploi, d’innovation, d’éducation, d’inclusion sociale et d’énergie(et de lutte contre le changement climatique).

CONSTRUIRE L’AFFECTIO SOCIETATISL’Europe ne manque ni de raison de s’unir, ni de projets. Mais fédérer les peuples

autour du projet européen exige de faire preuve d’esprit de fraternité.

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TÉMOIGNAGES

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Philippe MaystadtMinistre d’État, président honoraire de la banque européenne d’investissement

“« Voilà l’autre Philippe, lui aussi conseillerspécial de Michel Barnier. » C’est ainsi quel’on m’a présenté Philippe Herzog et, très vite,ce dernier m’a parlé de ConfrontationsEurope. Je n’ai eu aucune peine à y adhérercar j’ai découvert qu’il s’agissait d’un groupequi n’avait rien de sectaire mais qui était aucontraire très ouvert et dont les participants,venus de divers horizons, avec des expériencesprofessionnelles et des conceptions politiquesdifférentes, partageaient une volonté com-mune, celle de trouver des réponses auxgrands défis que l’Europe doit relever en cestemps difficiles. Une illustration parmi d’au-tres : un débat sur le financement à longterme de l’investissement – un thème surlequel Confrontations a beaucoup travaillé.Philippe Herzog m’avait demandé de présiderun panel dans lequel figuraient MichelAglietta et Olivier Guersent, le brillant

économiste et le solide technocrate, deux personnalités très différentes mais qui ne pratiquent, ni l’une ni l’autre, la langue debois. Ce débat d’idées, la « confrontation » d’arguments, nous a permis d’enrichir nospropositions sur cette thématique et de faireavancer l’idée d’un plan d’investissementspour l’Europe.Des (r)évolutions importantes, géopolitiqueset technologiques, sont en cours, avec desconséquences parfois dramatiques sur l’éco-nomie, la sécurité et le «  vivre ensemble  »en Europe. Il est donc indispensable de redé-finir une vision de l’Europe dans ce mondechangeant et de développer des politiquescommunes dans quelques domaines-clés(numérique, transition énergétique, fiscalitédes sociétés, terrorisme, défense, flux migra-toires). Confrontations Europe peut et doity contribuer. �

Ma coopération avec Confrontations estancienne : elle a été informelle – j’ai beaucoupéchangé avec Philippe Herzog – et formelle,puisque j’ai notamment contribué au finan-cement de Confrontations à travers le pro-gramme Citoyenneté que je coordonnais à laCommission. J’ai trouvé très intéressant d’associer chefs d’en-treprise, syndicalistes, politiques. Je me sou-viens entre autres d’une rencontre en 2000 surun thème très prégnant avec des acteurs aussidivers que Claude Cheysson et Jean Gandois :comment combiner compétitivité et modèlesocial européen vis-à-vis des pays-tiers ?

Aujourd’hui l’Europe reste à reconquérir.Les entreprises ne la soutiennent plus avecautant de force et sont de plus divisées entregrandes et petites entreprises. Le monde syndical est déçu par l’Europe.Et enfin, le monde des intellectuels apparaîtdans sa majorité antieuropéen, surtouten France. Il faudrait réussir à associer penseurs, éco-nomistes, chercheurs, mondes de la culture,du privé et du public alors que bien desacteurs se déconnectent de l’Europe. Il fautbâtir des alliances avec d’autres structurespour redonner vie à l’Europe. �

Olivier GuersentDirecteur général, DG Stabilitéfinancière, services financierset Union des marchés decapitaux, Commission européenne

Odile QuintinAncienne directrice générale de la DG Éducation, Jeunesse, Culture et Citoyenneté, Commission européenne

J’ai connu Confrontations Europe il y a plusde vingt ans alors que je préparais pour laCommission une Communication sur les ser-vices publics en Europe. J’ai consulté notam-ment Philippe Herzog sur cette question etd’emblée est née une forte complicité intellec-tuelle qui a crû avec les années.Confrontations apportait une touche nouvelledans le monde des think tanks, parfois ron-ronnant, en refusant le consensus mou, enconfrontant de manière productive des idéesdifférentes, en réunissant des patrons, des syndicalistes, des pro-Européens et d’autresvoix plus critiques… Si je devais résumer laméthode de Confrontations, je dirais que c’estle concept pour l’action. Je garde en mémoire un souvenir très fort.C’était en 2010. Michel Barnier, alors Com-missaire, souhaitait relancer le marché intérieur.J’avais beaucoup échangé sur ce sujet avec Phi-lippe Herzog et les équipes de Confrontationsavaient beaucoup travaillé le sujet, jusqu’aumoment où un très grave accident de motome conduisit à l’hôpital pour de longs mois. Ce document fondateur s’échafaude alors sansmoi, jusqu’à ce que Michel Barnier, à l’été 2010,nous demande à Philippe (qui était son Conseil-ler Spécial) et à moi, de reprendre le texte.J’étais alors à l’hôpital en fauteuil roulant. Phi-lippe Herzog venait me voir fréquemment.Et nous avons, tous deux, réécrit le projet… àla cafétéria de l’hôpital. À l’automne 2010, leLivre vert Vers un Acte pour le marché unique,fruit de ce travail commun, était adopté !Aujourd’hui, alors que l’Europe est en crise,il est vital de continuer à faire ce que Confron-tations fait le mieux : forger des concepts fortsau service d’une action déterminée en vued’une refondation. �

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CONFRONTATIONS ET L’EUROPE

TÉMOIGNAGES

Catherine LalumièrePrésidente de la Maison de l’Europe de Paris

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Dominique RiquetDéputé européen Groupe Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe

Arlene McCarthyConsultante auprès de chefs d’entreprise sur les enjeuxde climat, de propriété intellectuelle, députée européennebritannique de 1994 à 2004

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J’ai connu Philippe Herzog lorsque j’ai rejointle Parlement européen en 1994. Je le connais-sais en tant qu’économiste communiste maisje me suis alors aperçue que ses conceptionsn’étaient pas éloignées des miennes. Nousnous sommes rapprochés. La raison principale de mon intérêt pourConfrontations réside, en définitive, dansce qu’exprime sa dénomination : être unlieu de confrontations, de débats… Les ques-tions européennes sont complexes ; l’unani-mité n’existe pratiquement jamais. Si l’onveut construire l’Europe, il faut qu’onconfronte les points de vue, qu’on négociedes avancées et finalement qu’on aboutisseà des compromis. Ce qui me plaît chez Confrontations, c’est qu’onne se spécialise pas dans un domaine précis :on y parle d’économie, de questions monétairesmais aussi de culture et des valeurs qui struc-turent la société européenne. Le projet européen est construit sur un soclede philosophie politique à base d’humanismeet de démocratie, sans oublier évidemmentl’économie. Et je retrouve dans Confrontationsces deux domaines complémentaires.Aujourd’hui, l’une des raisons du désamourdes citoyens européens pour l’Europe deBruxelles, c’est qu’elle a sacrifié la dimensionspirituelle et humaniste pour ne présenter leprojet que sous l’angle matérialiste. On seretrouve face à une « Europe frigide », pourreprendre l’expression de l’historien, Elie Bar-navi. Les artisans de l’Europe ont appauvrile projet européen, l’ont déshumanisé. Or,plus que jamais, la dimension humaniste etsociale de l’Europe doit être prise en compte,comme le fait Confrontations. Comme le rap-pelait Jacques Delors : « Personne ne tombeamoureux d’un taux de TVA ». �

J’ai connu Philippe Herzog au Parlementeuropéen il y a plus de vingt ans et j’ai tou-jours apprécié ses qualités d’homme politiqueet de penseur. J’ai fréquemment participé àdes conférences organisées par ConfrontationsEurope et garde un grand souvenir, notam-ment, d’une conférence sur la politique indus-trielle qui s’est tenue à Bruxelles en 1999. Rassembler des acteurs de secteurs très diversafin de suivre une question, comme le faitConfrontations, est tout à fait essentiel alorsque nous évoluons dans un environnementaux mutations rapides. Grâce à cetteméthode dynamique, Confrontations a traitéde thèmes aussi divers que le futur de l’Eu-

rope, les migrations, les finances ou encorel’identité. Or le problème est que les insti-tutions européennes ne suscitent plus l’adhé-sion des citoyens. Si je prends l’exemple del’enjeu climatique que je connais bien, nousdevons en discuter avec les villes, les acteursrégionaux pour répondre à l’urgence clima-tique. La nouvelle initiative menée conjoin-tement par l’UE et les Nations-Unies,intitulée Global Covenant of Mayors forClimate and Energy, représente la voie àsuivre dans un monde plus complexe et plusfragile. Les problèmes sont bien trop globauxpour pouvoir être résolus individuellementpar les États membres. �

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”J’ai connu Confrontations Europe lors de lacampagne électorale européenne de 2014 puisqueCarole Ulmer, directrice des études du thinktank, était numéro 2 de ma liste. Pour moi, laméthode de Confrontations, qui choisit deconfronter les points de vue dans un délai court,en temps réel, et de façon dynamique est bienplus riche qu’un travail documentaire et permetplus facilement d’atteindre un consensus. Ainsi, par exemple, début 2015, Confronta-tions a, dès le lancement du plan Juncker,organisé à Bruxelles une réunion rassemblantdes banquiers, des assureurs, des députés,des membres de la Commission mais aussides clients potentiels. Et a ainsi pu d’embléesoulever des réflexions qui se sont révéléespertinentes et constructives par la suite.

L’orientation du think tank est intelligente,constructive et sans prérequis politique par-tisan mais pas assez, selon moi, en lien avecles citoyens. Confrontations Europe a unimpact fort sur des cibles européennes spé-cifiques, et c’est une bonne chose. Mais il fau-drait que Confrontations diffuse plus ses idéesdans les médias généralistes, les réseauxsociaux, et devienne plus grand public. �

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CONFRONTATIONS ET L’EUROPE

TÉMOIGNAGES

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Mathieu MoreauAncien VIE (Volontaire international en entreprise)à Confrontations, aujourd’hui à la DG Growth à la Commission européenne

“J’ai connu Confrontations Europe lorsquej’étais en Master 2 à l’IEP de Grenoble et queje cherchais à effectuer un stage sur l’influencedes think tanks à Bruxelles. J’ai été pris enstage en mai 2011 puis engagé en tant queVIE jusqu’en novembre 2013. Pour moi, la méthode de Confrontations esthyper pertinente et elle se distingue de celled’autres think tanks organisant le plus sou-vent des conférences aux audiences assezconvenues. À Confrontations, on parlede sujets qui fâchent, on ne craint pas de cliver. Cette méthode permet de trouverdes outils clairs afin d’appréhender les pro-blématiques en jeu.

Une réunion organisée par Confrontations,en mars 2012, m’a particulièrement marqué :le directeur scientifique du CEA était venuy exposer les résultats d’un rapport sur lacompétitivité industrielle européenne et évo-quait les technologies clés génériques, les KET(nanotechnologies, robotique, biotechnolo-gies…). Cela a influencé le reste de ma car-rière et, en mars 2014, c’est pour travaillersur ce sujet enthousiasmant que j’ai étéembauché à la Commission européenne. Il faudrait plus de think tanks spécialisés,ouverts, comme l’est Confrontations, sur unmaximum d’acteurs possibles et notammentd’acteurs industriels. �

Alors que j’étais président des Jeunes Européensà Toulouse, j’ai eu envie d’effectuer un stageà Confrontations Europe entre ma 4e et ma5e année de l’IEP de Toulouse. Lors de monpassage à Confrontations, j’ai travaillé sur lesquestions de politiques régionales. J’ai aussiparticipé à l’organisation des Entretiens éco-nomiques européens de Bologne. Et j’ai eu lachance de participer à un Tour des Balkans(Croatie, Bosnie, Serbie) sur les perspectivesde l’élargissement. J’ai été impressionné par la forte rigueur intel-lectuelle de Philippe Herzog, alors conseillerspécial de Michel Barnier, qui tirait toutel’équipe vers le haut. J’ai apprécié la capacitéde Confrontations Europe à confronter col-lectivement des acteurs de tous horizons, du

monde de l’entreprise comme de la sociétécivile sur des problématiques cruciales pourl’avenir de l’UE à long terme, comme la poli-tique industrielle.Cette expérience a renforcé mon envie de tra-vailler au sein de l’industrie, ce que je faismaintenant au bureau d’Eurospace. Je suispersuadé que dans un contexte de plus en plusmondialisé mais difficile, nous allons plus quejamais avoir besoin de laboratoires d’idées,comme Confrontations, capables d’insufflerdes débats que la classe politique ne s’est pasencore appropriée et de relayer ces thématiquesauprès de la société civile. Il faut absolumentsortir de l’entre soi du milieu pro-européencar il n’est plus possible de construire l’Europedans l’indifférence, voire l’hostilité. �

Hanna Yafimava ChtiouiAnalyste Senior Pétrole,Gaz et Mines au cabinetde conseil M PRIME Energy

Lucas ButhionDirecteur du bureau d’Eurospace, associationprofessionnelle de l’industrie spatiale manufacturière(Bruxelles). En stage à Confrontations Europe en 2012

En 2008, je recherchais un stage de find’études alors que j’étais en Master Affaireseuropéennes à Paris 3 Sorbonne Nouvelle.J’ai présenté mon projet professionnel àClaude Fischer, présidente de ConfrontationsEurope, et c’est ainsi que j’ai pu effectuer unstage de 12 mois au sein de Confrontations,en travaillant sur l’élargissement de l’Unioneuropéenne et les relations avec les pays del’Europe orientale. Très vite, je me suis inté-ressée aux problématiques de l’énergie car laquestion énergétique était le maillon centraldes relations avec la Russie, et ce d’autantque je suis d’origine biélorusse et parle cou-ramment russe.Après avoir effectué ce stage, j’ai continuédans cette voie puisque j’ai été embauchéeen tant qu’analyste de marché gazier au seinde la Direction de la Stratégie et de la Pros-pective du groupe GDF Suez dans le cadred’un contrat CIFRE (Conventions indus-trielles de formation par la recherche). Mathèse de doctorat portait sur la stratégie d’ex-portation de Gazprom et s’inscrivait dans leprojet global de l’entreprise visant à déve-lopper les activités du groupe en Russie. J’ai été frappée à Confrontations par la capa-cité du think tank à rassembler un grandnombre d’acteurs publics et privés pour discuter de sujets globaux. Pour moi,Confrontations devrait continuer à jouer cerôle d’intermédiaire entre les institutions etla société civile alors que les institutions sem-blent si éloignées de la population, que lesextrémismes prennent de l’ampleur et que lerisque de désintégration de l’Union euro-péenne existe. �

Témoignages recueillis par Clotilde Warin,rédactrice en chef, Confrontations Europe

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INTERVIEWS CROISÉES

SE DÉCENTRER POURPRÉPARER UNE REFONDATION

Confrontations Europe a 25 ans, l’Union européenne 60. Critiquée, mal aimée, délaissée, l’Europe institutionnellene parvient pas à fédérer. Jugée néolibérale, l’Europe doit être réinvestie, réincarnée par ses citoyens.

Comment y parvenir ? Rencontre avec Antoine Guggenheim et Philippe Herzog.

Former société en Europe, c’était là le vœuformulé par Confrontations Europe, lors dela célébration de ses 20 ans. Où en est-oncinq années plus tard ? Comment créer uneaffectio societatis, donner envie d’Europe ?

Philippe Herzog. Nous ressentons l’urgence d’ungrand changement dans l’Union européennecar les sociétés décrochent. La gouvernancepolitique actuelle de l’Union ne fait pas appelà l’implication des citoyens et l’on ne crée pasune affectio societatis par les règles. Mais il fautcomprendre que la crise est en nous-mêmes,dans chaque nation, une crise de la culture etde la démocratie. Nos sociétés ne portent plusdes valeurs et des projets politiques nourrispar une utopie, par l’ambition d’un futur à réa-liser. Elles sont étouffées par l’individualisme,le présentisme et le relativisme, chacune danssa légende nationale. Désunies, elles sont autantcritiques de leur système politique nationalque de l’Union. Le problème n’est pas en soila communauté européenne.

On doit régénérer la conscience et faire appelaux potentiels d’engagement qui sont nombreux.Alors que la mondialisation et la révolutiontechnologique s’accélèrent, refonder l’Unionpour les maîtriser est indispensable. L’Unioneuropéenne n’a été acceptée que parce qu’ellea été source d’une paix durable. Mais elle a étébâtie par des élites et, sauf exceptions, dans lesprojets de vie quotidienne, le rapport à l’Europeest très minoritaire. Une solidarité durable n’apas été construite entre nos peuples. Ceux del’Ouest et du Nord méconnaissent leurs voisins.Ils dénigrent souvent ceux d’Europe orientale,les plus grandes victimes de l’histoire et les plusfragiles, alors que les inclure dans l’Union estune priorité quand on se targue de justice.

Confrontations a été créée en 1992 à l’ini-tiative de communistes qui voulaient « rentreren société ». Aussitôt, nous avons trouvé des

partenaires qui nous ont tendu la main. Nousvoulions prendre de l’oxygène alors que leparti communiste se repliait dans la peur etl’introversion, et commençait à se désintégrer.J’avais adhéré pour la participation et la réap-propriation de l’économie par les travailleurs.Mais en créant Confrontations, nous avonsvoulu rompre avec l’antagonisme des classeset poursuivre ces objectifs autrement, encontribuant à unir la société autour de choixcollectifs partagés. Nous avons voulu rendrela conflictualité ouverte, viable et créative.Notre première grande initiative, juste avantle référendum sur le traité de Maastricht, aréuni 500 personnes. Nous avons fait sermentde vouloir construire ensemble l’Europe par-delà les « oui » et les « non ». Nous ne voulonspas im poser une cause, mais partager desvaleurs et des projets en faisant richesse dela diversité. Plus que jamais aujourd’hui,« faire société en Europe » est un impératif.

Antoine Guggenheim. Et pour faire surgir uneconscience européenne, il faut qu’il y ait uneconfrontation de points de vue. L’Europe estpeut-être le continent qui se définit dans laconfrontation. Comme la Chine, l’Europe n’apas un enracinement religieux, mais philoso-phique, sur lequel des religions diverses peu-vent se greffer.

Pour moi, aujourd’hui, la plupart des Fran-çais n’ont pas de conscience européenne maisdes consciences bilatérales, liées souvent àleur profession. S’ils sont producteurs delégumes, ils ont la conscience de la relationfranco-espagnole. S’ils sont dans la machine-outil ou dans la finance, ils nouent une relationbilatérale avec l’Allemagne ou l’Angleterre. 

C’est dans les années quatre-vingt que touta dérapé. C’est alors la naissance du néo -libéralisme avec l’École de Chicago. Autreraté, la réunification de l’Europe qui a étémenée comme si nous représentions l’Europeet qui a plutôt pris la forme d’un élargisse-ment. Le geste symbolique de l’automne 1989de donner 100 marks aux Allemands de l’Estpour qu’ils puissent faire des achats à Ber-lin-Ouest est d’une grande violence. On leura dit : « Vous avez perdu la confrontation éco-nomique, politique, culturelle. Laissez-vouscoloniser par nous ». On n’a pas joué l’échangede don, pour reprendre une expression deJean-Paul II. Dernier événement majeur, cesannées voient l’avènement en Iran de l’aya-

tollah Khomeiny et àRome de Jean-Paul II.Le religieux, commeacteur mondial, refaitalors surface en pro-posant deux optionstrès différentes : unrenouveau par ouver-ture au monde ; ou, aucontraire, le religieux

ANTOINE GUGGENHEIMPrêtre du diocèse de Paris,fondateur et ancien directeurdu Pôle de recherchedu Collège des Bernardins,cofondateur de la plateformeinternationale “UnitedPersons for Humanness”.

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INTERVIEWS CROISÉES

se définit comme un élément identitaire,révolutionnaire. À partir de 1989, s’appuyersur les valeurs de 1945 ne suff it pluspuisqu’elles ne valaient que tant qu’il y avaitla guerre froide et la division en blocs.

P. H. À rebours de tous ceux qui n’ont passaisi la portée historique de la réunification,Confrontations est allée à la rencontre despeuples des Balkans et d’Europe orientale,accomplissant un Tour d’Europe pour lesaccueillir comme des frères. Faire société enEurope, c’est dépasser l’optique « centre-péri-phéries ». Je rejette la tentation du noyau dur.C’est avec tous les Européens qu’il faut renou-veler la promesse de paix et de prospérité. Lemonde de Trump, des puissances et des ter-roristes est très dangereux. Il faut repenserles alliances de l’Europe pour préserver lapaix. La promesse de prospérité était fondéesur l’édification d’un marché ; il a été diluédans le marché mondial sans que l’Union n’aitles attributs d’une puissance publique. Le néo-libéralisme et le libéralisme-social ont faitbon ménage ! Nous devons construire desbiens publics européens pour réussir à trans-former le capitalisme.

Comment, dans ce contexte marqué par lenéolibéralisme, serait-il possible de réen-chanter l’Europe ? Comment retrouver ladimension spirituelle de l’Europe ?

A. G. Il ne peut y avoir de « réenchantement »de l’Europe que dans la mesure où les Euro-péens, et, en premier lieu, les jeunes, sontinvités à prendre en main cette question. Aufond, le cœur du réenchantement c’est que lapersonne elle-même soit respectée dans sadignité d’individu libre, responsable, ayantson opinion, pouvant éduquer sa conscience.Je suis en faveur de l’organisation dans tousles pays d’Europe d’universités populaires surdes questions européennes. Organisées dansla durée, ces semaines produiront de la matière,des idées nouvelles à même d’être utilisées parles instances de l’ordre politique, économique,culturel. Si on le fait bien, on change tout.

P. H. Tout à fait d’accord. Et, de fait, les uni-versités populaires, nous les organisions déjàà l’époque du communisme ! L’Union euro-péenne doit se construire partout, dans les

entreprises et sur les terri-toires, et il faut renverserses priorités – d’abord l’édu-cation, les mobilités de for-mation et d’emploi –  ; etdoter l’Union d’une stratégie de compétitivitéindustrielle.

Quel projet politique pour l’Europe ? Quellerefondation esquisser ?

P. H.  L’Europe n’est plus qu’une province dumonde, et nos États sont enveloppés parl’Union. Mais l’idée des États-Unis d’Europeappartient au passé. Je ne retiens pas la notionde fédération d’États nations car il ne s’agitpas de fédérer des États mais des peuples. Jedéfends l’idée d’une Confédération européennepour respecter les nations mais aussi organiserleurs solidarités. Il faut aller vers une Unionpolitique différenciée (ce qui ne veut pas direà plusieurs vitesses) ; elle sera organiséeen trois cercles : les pays du voisinage, quiseront associés, l’Union des 27, et le cercle de l’Eurozone, qu’il faut consolider.

A. G. C’est de la périphérie qu’il faut repartiret c’est en ceci que le Pape François n’est nidu côté de la théologie conservatrice ni ducôté de la théologie de la Libération, lui quicherche à incarner, dans des idées, les manièresde faire du peuple. Au niveau européen, ondemande à ce que nos représentants politiquesne soient pas seulement nationaux, mais aussisensibles à la communauté européenne. L’exé-cutif doit être en charge de l’intérêt commun.En Europe, on est déchiré. Comment faire ?

P. H. Pour bâtir une démocratie transnationale,l’Union doit créer les conditions de la parti-cipation des masses. Pour cela les dirigeantsdevront faire appel à la multiplication des por-teurs de projets transfrontières dans tous lesdomaines d’intérêt commun. Les réformesinstitutionnelles devront offrir des incitations ;et bien entendu il faut réhabiliter les électionseuropéennes.

Comment inscrire cette refondation euro-péenne dans son rapport au monde ?

A. G. L’Europe intéresse le monde à cause de sastructure : si l’Europe existe à partir des pays,

elle n’existe pas sans eux. Il y a là peut-êtrel’idée « catholique » que le tout existe à partirdes parties et en elles. L’Europe sans la Grèce,ce n’est plus l’Europe. La France ne serait pasla France sans l’Europe.

Avec la Révolution française, nous sommesde venus des citoyens nationaux libres et égauxen droit, et non plus de simples sujets. Com-ment réaliser cela au niveau de l’Europe ?Sans doute en envisageant le rôle de l’Europedans le monde. Dans les faits, des conflitsne manqueront pas de survenir. Contraire-ment à ce qu’écrivait Fukuyama, l’histoiren’est pas finie.

P. H. Dans la crise de civilisation que nousconnaissons, l’Europe doit se demander com-ment elle peut continuer à intéresser lemonde. Notre devoir et notre intérêt sont deressourcer notre héritage et notre commu-nauté dans un tout nouveau contexte. Pourne pas entrer dans un recul profond, l’Europedoit apporter sa contribution à une civilisa-tion mondiale.

Il ne s’agit pas seulement de renouer avecune vocation spirituelle, c’est aussi une ques-tion d’intérêt. Si nous ne parvenons pas àretisser nos liens avec nos voisins et avectoutes les autres régions du monde, nousserons très pauvres très vite. �

Propos recueillis par Clotilde Warin et Anne Macey

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PHILIPPE HERZOGPrésident fondateur de Confrontations Europe

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INTERVIEWS CROISÉES

« L’EUROPE SOCIALE DOIT PROGRESSER »L’Europe «  passe  » mal tout d’abord parce qu’on en parle mal. Parce qu’on la représente mal. Confrontations Europe a choiside donner la parole à deux dirigeants syndicaux pour parler Europe, défis, avenir : Laurent Berger, secrétaire général de laCFDT (Confédération française démocratique du travail) et l’Italien Luca Visentini, secrétaire général de la Confédérationeuropéenne des syndicats (CES) à Bruxelles qui réunit près de 90 organisations syndicales de 39 pays européens.

des citoyens dans 26 États européens, mêmesi l’Europe est aussi attaquée là-dessus, cequi est assez paradoxal. Et puis il y a l’euro,véritable outil de performance dans lemonde.

Luca Visentini. Pour moi, les trois acquismajeurs de l’Europe sont, tout d’abord,l’« économie sociale de marché », un termedéfini par Jacques Delors,maintenant inscrit dans lesTraités, et qui assure unéquilibre entre compétiti-vité économique et inclu-sion, cohésion, droitssociaux. Ensuite, l’acquissocial européen qui repose sur près de 70dispositifs législatifs traitant de questionssociales auxquels s’ajoute la charte des droitssociaux et, en troisième lieu, le dialoguesocial, animé par 44 comités de dialoguesectoriel européens. Donc on ne peut pasdire que l’Union européenne n’a pas légiférésur les questions sociales même s’il est vraique les huit années de crise ont conduitl’Union à une gouvernance plus économique.

Pourquoi passe-t-on sous silence ces avancées sociales ?

L. V. En fait, l’Union européenne est toujoursdésignée comme responsable des politiques

d’austérité. Mais la vérité est que ce sontles États membres qui les ont imposées.

C’était là une mauvaise réponse et quin’a pas permis de résoudre la crise

puisque nous sommes toujours enstagnation et que les chiffres du

chômage sont toujours très élevés. La plupartdes leaders politiques n’ont aucune solutionet ne cherchent pas des voies alternatives. Ilsse contentent de rejeter la responsabilité deleur échec sur des boucs émissaires : parmilesquels l’UE, ou encore les trop hauts salaires,les systèmes de protection sociale difficile-ment tenables, les migrants… Très peu d’entreeux tentent de cibler les vrais problèmes que

sont le chômage, les iné-galités, la pauvreté…

L. B. Il est vrai qu’on necapitalise jamais sur lesrésultats obtenus. Et queles politiques s’expriment

d’abord au nom de leur pays. Pour moi, ilssont coupables de ne pas être capables deporter une parole européenne. L’Europe aun problème de dirigeants, et de mythifica-tion du poids de chacun des pays européens.Or, le seul espace territorial dans le mondequi puisse penser son modèle économique,son modèle social et aussi le devenir de laplanète, c’est l’Europe. Mais, comment l’ex-pliquer aux citoyens ?

En effet, comment ? L’Europe est-elle la mieuxà même de répondre à la mondialisation,aux mutations profondes en cours dans lesdomaines du numérique, de la transitionénergétique, à l’enjeu démographique ?

L. V. Oui, elle l’est mais seulement si ellemène une politique macro-économiqueconjuguée à une véritable politique socialede création d’emplois de qualité. Nous-mêmes, à la CES, nous défendons une stra-tégie européenne fondée sur quatre piliers :il s’agit, en premier lieu, de promouvoir l’in-vestissement. Nous sommes, notamment,pour la mise en place d’un Trésor qui pour-rait d’emblée être doté des 300 milliards

LUCA VISENTINISecrétaire général de la Confédérationeuropéenne des syndicats (CES).

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Étendre à tousles travailleurs l’accès

aux systèmesde protection sociale

L’Europe est rejetée par une frange de plusen plus large des opinions publiques et peineà être vue comme une Europe sociale, au ser-vice des citoyens. Pourtant, n’y a-t-il pas eudes acquis européens au niveau social ?

Laurent Berger. Il y en a beaucoup. Le pre-mier acquis de l’Europe est de garantir lapaix entre les États de l’Union et cela nesemble pas totalement anodin lorsque l’onvoit les tensions qui se font jour aux fron-tières de l’Europe. Le deuxième acquis, c’estun certain modèle social. Cet aspect est peuvisible car l’Europe sociale doit encore pro-gresser, mais il est réel en terme de santé etde sécurité au travail, de lutte contre les dis-criminations, d’égalité hommes-femmes. Ilfaut aussi mentionner la libre circulation

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INTERVIEWS CROISÉES

d’euros disponibles du Mécanisme européende stabilité (MES). En deuxième lieu, il fautaugmenter les salaires en lien avec la pro-ductivité. Troisième point : consolider lesocle social, en s’assurant, par exemple, queles outils législatifs déjà en place soient bienutilisés par les États membres, ou encoreen soutenant la directive en faveur de l’accèsuniversel aux systèmes de protection sociale,ou encore la révision de la directive sur lestravailleurs détachés… Enfin, le quatrièmepilier porte sur la nécessaire prise en comptede la crise migratoire qui nous permet certesde combler le déficit démographique enEurope mais qui est aussi un enjeu de droitsde l’homme.

L. B. L’Europe sera capable de répondre auxdéfis actuels si, comme le dit Luca, elle seprojette dans le modèle de demain, en inves-tissant massivement dans les transitionsénergétique et écologique, en développantdavantage l’économie de la connaissance,en renforçant notre industrie. L’Europe acette difficulté à passer dans le monde duXXIe siècle. Elle devrait être stratège au niveauindustriel.

Pour appuyer cette démarche, quel devrait être le rôle des syndicats ?

L. B. Le syndicalisme doit avoir un rôle dedéconstruction des discours europhobes etdire qu’il faut que l’Europe soit aussiun espace de dialogue social. Je rêve qu’unjour les dirigeants syndicaux de plusieurspays soient invités à un vaste round de dialogue social avec les patrons afin de définir ensemble les défis de demain.Qu’on refasse ce qui a été fait sous la pré-sidence de Jacques Delors. Cette méthodedonnait envie.

L. V. En tant que syndicats, nous nous trou-vons confrontés à deux problèmes. Le pre-mier est que nous n’avons pas été capablesd’avoir une influence pour inverser les mau-vaises politiques mises en place par l’Union.Nous n’avons pas réussi à gérer la mondia-lisation. Nous devons montrer à nos mem-bres que nous pouvons faire la différenceet leur offrir de meilleures conditions, demeilleures chances, droits, emplois…Nous

devons avoir de bonnes propositions et êtreen capacité de bien les négocier.

Autre point crucial : nous sommesencore bien trop peu au contact avec les nou-velles formes de travail(économie numérique,économie verte, auto -entrepreneurs…). Pen-dant longtemps lessyn dicats ont pensé qu’ilsn’étaient pas des travail-leurs comme les autres. Nous devons nousassurer que le système traditionnel de pro-tection sociale leur soit étendu.

Mais, dans le même temps, comment répon-dre au climat de défiance qui touche aussiles organisations syndicales ?

L. B. Par l’utilité, la proximité. Si le syndicalismeveut retrouver du poids au niveau européen,il doit se renforcer dans l’entreprise. Il fautque l’Europe remette des porteurs d’intérêtgénéral autour de la table, que l’on ait l’Europecombative. C’est le compromis qui nous feraavancer en Europe, mais le compromis positif,débattu, confronté, arraché au sens d’un rap-port de force normal entre avis divergents.

L. V. Il faut des faits. Il faut que nous soyonsen mesure de démontrer que la seule façon

de défendre l’emploi, c’est de pré-server la taille des multinationalesmais, face à des restructurations,d’y adjoindre des outils de protec-tion des travailleurs élaborés à

l’échelle européenne pour faciliter les trajec-toires professionnelles, permettre des requa-lif ications, le tout dans un mode degouvernance local et en assurant une solidaritéà travers les frontières. Cela apparaîtra alorscomme des faits. Si nous sommes à même deparler de résultats concrets, il sera facile deconvaincre les gens que Donald Trump ouMarine Le Pen ne promettent que des rêves…

Si on tourne notre regard vers le futur, quellesinitiatives portez-vous en faveur d’un vraiprojet collectif européen ?

L. B. Avec Luca, notamment, nous portonsun certain nombre d’ambitions  concrètes :l’instauration d’un salaire minimum danschacun des pays, d’une assurance chômageeuropéenne qui ait à la fois du sens en termesbudgétaire et au niveau social… mais celane suffira pas si l’on ne porte pas la vision

d’un projet global. Ilfaut refaire sens. Il fautcréer cet horizon com-mun, définir des pro-cessus qui soient plusc o m m u n a u t a i r e squ’intergouvernemen-

taux. Il faut un Eurogroupe social qui per-mettrait de montrer qu’on est plus fortsensemble que chacun de notre côté.

L. V. Nous sommes aussi en faveur d’un Euro-groupe social. Nous enjoignons les ministresdu Travail et des Affaires sociales européensà le mettre en place. Mais le problème estqu’au sein de l’Union européenne, les ministresdes Finances n’écoutent pas les ministres duTravail. Et le président de l’Eurogroupe actuel,Jeroen Dijsselbloem, qui est pourtant social-démocrate, se révèle dans les faits le pire néo-libéral qu’on puisse imaginer. Donc oui à unEurogroupe social mais d’abord faisons ensorte que s’établisse une vraie connexion entreministres du Travail et des Finances. �

Propos recueillis par Clotilde Warin, rédactrice en chef

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« Je rêve d’un vasteround de dialogue socialentre patrons et syndicats

de plusieurs pays »

LAURENT BERGERSecrétaire général de la Confédérationfrançaise démocratiquedu travail (CFDT).

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LES COMBATS DE CONFRONTATIONS

VERS UN NOUVEAU SYSTÈMEDE FINANCEMENT DE L’UE

Le budget de l’Union a besoin de réforme — à la fois de ses dépenses et de ses recettes —afin de répondre aux énormes défis actuels et de faire la preuve de son utilité auprès des citoyens européens.

C’est la principale conclusion du rapport rédigé par le groupe à haut niveau sur les ressources propresprésidé par Mario Monti et présenté au Parlement européen, le 12 janvier dernier.

Les questions budgétaires ont toujoursété un terrain d’affrontement entre desvisions différentes de l’Europe, et biensûr entre des intérêts nationaux parfoiscontradictoires. Or, si l’on parle souvent

de la Politique agricole commune (PAC), dela politique régionale ou encore de la rechercheeuropéenne, la façon dont l’Union européennefinance ses politiques reste bien souvent unmystère pour les citoyens européens. Riend’étonnant à cela, puisque plus de 75 % dufinancement provient de contributions natio-nales qui n’ont pas de lien direct avec eux.

Ces contributions font partie du systèmedes ressources propres de l’Union, c’est-à-dire

des ressources que les États membres attri-buent au budget européen. Cette décisiond’attribution n’est pas anodine, elle exige unaccord à l’unanimité, puis la ratification danschaque État membre, en général par l’assem-blée législative. En France, c’est l’Assembléenationale qui la ratifie, en tant que gardiennede la souveraineté fiscale.

Valeur ajoutée européenneLe système actuellement en vigueur n’a pasbeaucoup changé depuis les années 1980, eta conduit à la situation actuelle absurde oùle budget de l’Union est perçu comme un jeuà somme nulle, avec des « bénéficiaires » et

des « contributeurs » qui s’affrontent au coursde négociations pluriannuelles où l’on parlepeu d’objectifs communs, mais beaucoup deretours sur sa mise et de rabais divers et variés.Le plus grave, selon cette perception, c’estqu’il n’existe pas de valeur ajoutée européenne,ou de bénéfice européen. Il n’y a que des coûtsnationaux. Ainsi un euro dépensé pour lebénéfice de tous, par exemple pour sécuriserles frontières extérieures de l’Union ou répon-dre à la crise migratoire, est immédiatementconsidéré comme étant au bénéfice du paysdans lequel il est dépensé (Grèce, Italie, etc.),et un coût pour tous les autres. Ceci est nonseulement désastreux pour l’image de l’Union,

LES NEUF RECOMMANDATIONS DU RAPPORT

1. Le budget de l’UE doit être réformé à la fois du côté des dépenses et desrecettes afin de répondre aux nouvelles priorités de l’UE et relever les défisde notre temps, qu’ils soient économiques, géopolitiques, sociaux ou culturels.2. Le budget de l’UE doit se concentrer sur les domaines à forte valeurajoutée européenne, pour lesquels l’action de l’Union n’est pas seulement appro-priée mais indispensable. La réforme du financement de l’Union ne doit pasconduire à alourdir la charge fiscale pour les citoyens, mais doit permettre detrouver des synergies entre les finances publiques nationales et européennes.3. Certains éléments du système actuel fonctionnent bien et devraient êtreconservés, notamment la nécessité d’un budget en équilibre, les ressourcespropres traditionnelles (droits de douane) et la ressource fondée sur le revenunational brut (RNB) en tant que ressource résiduelle.4. Les nouvelles ressources propres les plus intéressantes remplaçant enpartie la ressource fondée sur le revenu national brut (RNB) n’ont passeulement pour objectif de financer le budget de l’UE, mais également decontribuer aux politiques de l’UE. Elles doivent améliorer le fonctionnement dumarché intérieur et la coordination fiscale, faciliter la décarbonisation de l’économieet la lutte contre le changement climatique, contribuer aux politiques d’investis-sement, de transport ou de l’énergie. De nouvelles ressources propres créées àpartir d’une TVA réformée, d’un impôt sur les sociétés harmonisé, d’une taxe surles activités financières, d’un prélèvement sur le CO2, ou de la taxation surl’électricité ou le fuel contribueraient à ces objectifs.

5. Ce que l’on appelle les « autres revenus » devraient aussi être explorés.Les amendes « concurrence » en sont l’exemple le plus connu : ce ne sont pasdes ressources propres, et leur montant est très variable d’une année à l’autre,mais elles sont rendues aux États membres par le biais d’une diminution de lacontribution RNB à l’occasion d’un budget rectificatif. Or, ces amendes résultentdirectement d’une politique de l’Union et pourraient être utilisées différemment,de même que les recettes qui pourraient provenir du contrôle des frontièresextérieures de l’Union, du marché unique numérique, la protection de l’environ-nement ou de l’efficacité énergétique. Elles pourraient par exemple financer lebudget général, alimenter une réserve ou financer le secteur concerné. 6. Les coûts et avantages de l’appartenance à l’UE devraient être mieuxpris en compte. Les indicateurs actuels, essentiellement des soldes nets, ignorentla valeur ajoutée des politiques de l’UE et de la participation au plus grand marchéau monde. 7. Tous les mécanismes de correction (« rabais ») devraient être supprimés. 8. La cohérence du budget de l’UE et des budgets nationaux dans le cadredu Semestre européen devrait être revue. Les contributions nationales aubudget de l’UE dans les budgets nationaux devraient être harmonisées de manièreà ce qu’elles soient comprises et anticipées. 9. Une certaine géométrie variable pourrait être accordée lorsque certainsÉtats membres veulent aller de l’avant, notamment pour le développementultérieur de la zone euro ou d’autres politiques en coopération renforcée.

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TÉMOIGNAGE

Mario MontiPrésident de l’Université Bocconi,ancien Premier ministre d’Italie(2011-2013), ancien Commissaireeuropéen (1995-2004)

LES COMBATS DE CONFRONTATIONS

mais cela ne correspond pas non plus à laréalité, et n’encourage pas les réformes ducôté des dépenses où chacun essaye de pré-server son pré carré. L’unanimité sert le statuquo plutôt que le changement.

Notre groupe a donc présenté neuf recom-mandations pour rendre le système actuel plustransparent, plus simple, plus juste et bénéfi-ciant d’un meilleur contrôle démocratique,selon les termes de notremandat. Ces recomman-dations ont été adoptéesde façon consensuellepar les membres dugroupe, qui, bien qu’ilsaient participé aux tra-vaux en leur nom propre, ont été désignés parle Parlement européen, par le Conseil ou parla Commission européenne.

Tordre le cou à certains préjugésLe rapport plaide pour une réforme en pro-fondeur des dépenses afin de se recentrer surles défis communs. Les crises récentes ontexercé une forte pression sur le budget. Ellesont aussi montré là où l’action au niveau euro-péen est la plus appropriée et la plus efficace :la sécurité intérieure et extérieure, la luttecontre le changement climatique et la décar-bonisation de l’économie, les investissementsde moyen et long terme en faveur de la crois-sance et de l’emploi. Les gros postes de dépenses

du budget européen ne sont traditionnellementpas dans ces domaines, pour de multiples rai-sons, et l’UE a éprouvé de grandes difficultéspour réorienter sa capacité d’action au coursdes dernières années. Mais si l’on veut recon-quérir la confiance des citoyens et asseoir lalégitimité de nos politiques européennes, lebudget européen doit pouvoir montrer un pro-grès sur ces grands défis actuels.

Nous avons aussi voulu tordre le cou à cer-tains préjugés. Le rapport explique clairement,par exemple, que de nouvelles ressources pro-pres ne viendront pas augmenter le budget,mais diminueront la ressource RNB(1). Levolume du budget, lui, dépend du cadre finan-cier pluriannuel adopté par les chefs d’État etde gouvernement à l’unanimité, pas de la struc-ture des recettes. Le rapport montre aussi queles ressources propres ne sont pas des taxeseuropéennes, puisque le pouvoir fiscal est auniveau national. Ce point est d’une importancemajeure car il implique qu’une réforme ambi-tieuse du budget peut se faire à traité constant,sans modification des compétences respectivesdes différents acteurs institutionnels.

Nos recommandations sont compatibles avecles traités européens actuels et pourraient êtremises en œuvre dans le prochain cadre financierpluriannuel. La balle est donc maintenant dansle camp de la Commission, qui devra prendre

l’initiative de présenter despropositions à la fois surles dépenses et sur lesrecettes pour la futurepériode budgétaire. Il nousfaudra également suivre deprès les travaux du Parle-

ment européen qui a toujours porté ce sujetavec force et qui a déjà annoncé son intentionde se positionner politiquement sur le futurfinancement de l’UE avant les propositions for-melles de la Commission. �

Mario Monti, président de l’Université Bocconi, ancien Premier ministre d’Italie,

ancien Commissaire européen

❱❱❱ Pour plus d’informations sur le groupe

à haut niveau sur les ressources propres :

http://ec.europa.eu/budget/mff/hlgor/index_en.cfm

1) La ressource RNB est un prélèvement sur le revenu national brut (RNB)de chaque État membre d’un pourcentage fixé annuellement par le budgetde l’Union. Cette ressource, qui ne devait être perçue que si les autresressources propres étaient insuffisantes pour couvrir les dépenses, repré-sente aujourd’hui la principale source de revenus de l’UE. ”

Lorsque j’étais membre de la Commissioneuropéenne, j’ai rencontré Philippe Herzogà de nombreuses occasions. Dès nos pre-miers échanges j’avais été sensible aucharme de cet intellectuel, économiste,dirigeant du Parti Communiste, Européenpassionné. J’ai été souvent étonné par lafacilité de dialogue entre lui et moi, malgréma formation plutôt libérale, fondée surla doctrine de l’économie sociale de mar-ché et proche de l’Ordoliberalismus d’ori-gine allemande.Un sujet des plus complexes au niveauthéorique et des plus controversés pourles conséquences politiques et sociales étaitcelui des services d’intérêt économiquegénéral. Grâce au rapport Herzog, l’en-semble des débats, parfois difficiles, quicaractérisaient ce domaine sensible, ontpu bénéficier d’une plus grande clarté.Ce qui me frappait le plus était l’extra -ordinaire capacité de Philippe Herzog etde Confrontations Europe à mobiliser l’expérience, la compétence et les intérêtslégitimes des plus divers acteurs de l’éco-nomie et de la société, ce qui rendait ceséchanges très fructueux en vue de per-mettre aux institutions de mieux décideret aux autres stakeholders de participerà l’ intégration d’une manière plusconsciente et clairvoyante. �

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Une réforme enprofondeur des dépenses

afin de se recentrersur les défis communs

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LE BUDGET : LA PEAU DU CHAGRIN EUROPÉENL’Europe est souvent présentée comme une bureaucratie coûteuse. C’est là une idée fausse alors que le budget européen ne représenteque 1 % de toute la richesse annuelle produite dans l’Union. Ne serait-il pas temps d’appliquer au budget le principe de subsidiarité ?

La solidarité n’est pas une notion abstraite.Elle se mesure. Cela s’appelle un budget.À cette aune, la France est une commu-nauté fortement solidaire : la Républiqueredistribue 57 % du revenu national. En

revanche, le budget européen ne représenteque 1 % de toute la richesse annuelle produitedans l’Union. Pire : ce montant est en baissede 20 % depuis vingt ans, alors qu’entre-tempstrois traités ont accru les compétences euro-péennes et que nous ont rejoints treize paysgros consommateurs de fonds de cohésion.Funeste paradoxe : depuis que l’Union s’estdotée d’une monnaie commune, la solidaritéentre ses membres s’est réduite !

Ce paradoxe demeure inconnu du grandpublic et méconnu des dirigeants nationaux :le budget est le trou noir du débat politiqueeuropéen. On se bat sur les compétences à

donner à l’Union, mais pas sur les moyensfinanciers de les exercer. Il faut dire que lesdirigeants nationaux en gardent des souvenirscuisants. En 1967, la première évocation duproblème de principe a suscité l’ire du généralde Gaulle et six mois de « chaise vide » de laFrance à Bruxelles. En 1984, Margaret That-cher a introduit la pilule empoisonnée duprincipe du « juste retour » : désormais financépar des contributions des budgets nationaux,le budget communautaire est prisonnier deségoïsmes des grands argentiers des États mem-bres. Chacun cherche à minimiser sa contri-bution nationale et à maximiser les retoursde la cassette commune en faveur de ses natio-naux. Pour éviter des négociations annuellespénibles avec le Parlement, le budget annuelest encadré par un accord septennal qui fixeles plafonds financiers des grandes politiques.

Ce cadre est adopté à l’unanimité par les gou-vernements, le Parlement n’ayant la facultéque d’approuver ou de rejeter en bloc.

Un tel dispositif a plusieurs inconvénientsmajeurs. Il est, tout d’abord, d’une rigiditéextrême dans un monde imprévisible, quiexige au contraire une réactivité maximum.Il dévoie, en outre, l’esprit de solidarité. Deuxcatégories de pays s’opposent en permanence :les bénéficiaires nets, accusés de tendreconstamment la main, et les contributeursnets, parmi lesquels les parlements nationaux,se lassent de plus en plus de financer ce qu’ilsjugent être le gaspillage des autres. Autre pointnoir du dispositif : le maintien des prioritésd’hier au détriment des politiques nouvelles :près de 40 % des dépenses continuent d’êtreallouées à la politique agricole, et un montantcomparable à la politique de cohésion régio-

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nale, alors que la recherche ne reçoit que 10 %,et les autres politiques quelques miettes. LeParlement a livré une bataille titanesque pourtripler les crédits de l’agence Frontex, préfi-guration du corps européen de garde-fron-tières et de garde-côtes : les 500 M€ ainsiobtenus sont à comparer aux 32 milliards $dont bénéficie son homologue américain.

Il faut aussi reconnaître que ce systèmeconduit à l’irresponsabilité généralisée. D’au-tant que ce septennat budgétaire ne corresponden rien au calendrier politique des mandatsde la Commission, du Parlement et du Prési-dent du Conseil européen. Arrivé aux manettesà la fin 2014, Jean-Claude Juncker a découvertque la camisole budgétaire adoptée l’annéeprécédente le paralyserait pour la totalité deson mandat ! Enfin, de manière plus perni-cieuse, on assiste au rapatriement progressifde compétences de l’Union au niveau national.Car, face à l’urgence extrême, faute de trouverla moindre marge de manœuvre au sein dubudget commun, les dirigeants nationaux ontmultiplié la création de fonds satellites dédiésà des tâches précises : Fonds Juncker, aide auxréfugiés du Liban et de Jordanie, aide à laréadmission de réfugiés en Turquie, fondseurafricain de La Valette dont le but seraitd’endiguer la crise migratoire, aide à l’appli-cation des accords de Paris sur le réchauffe-ment climatique dans les pays endéve lop pement, etc. Financés par des contri-butions nationales proportionnelles au PIBdes États membres, ces fonds sont mis en placeet gérés par des décisions à l’unanimité. Ilséchappent généralement à tout contrôle par-lementaire : le Parlement de Strasbourg esthors-jeu par définition, et les Parlements natio-naux n’ont guère la possibilité politique deremettre en cause les engagements interna-tionaux pris par leurs chefs de gouvernement.

Les trois pistes exploréesSous l’impulsion personnelle de Philippe Her-zog, Confrontations a été l’un des très raresthink tanks à accompagner nos efforts au Par-lement pour sortir de cette impasse. Troispistes ont été explorées simultanément.1. La recherche de nouvelles ressources pro-pres, susceptibles d’alimenter directement lebudget européen en remplaçant progressi-vement les contributions nationales. L’alliancedu Parlement et de la Commission a permis

en 2013 d’imposer aux ministres des financesla création du groupe à haut niveau présidépar Mario Monti(1), ainsi qu’un accord de prin-cipe pour mettre en œuvre une réforme à partirde 2020 : construire l’Europe exige une patienceque je n’hésite pas à qualifier de géologique...2. La création d’un budget d’investissementde l’Union. Les travaux de Confrontations surle financement des investissements à long termeont pavé la voie de l’élaboration du plan Juncker.Au-delà, le plus simple serait évidemment detransformer progressivement l’énorme fondsd’aide aux États de la zone euro en difficulté(bizarrement nommé Mécanisme européen destabilité) en fonds de prêts aux investissementsd’avenir : infrastructures, recherche, innovation. 3. La mise en place d’un budget propre à lazone euro, dont le principe est plus facilementadmis par les États « austères » de l’Europedu nord. Comme l’a montré le rapport Monti,des ressources comme le droit de seigneuriagede la Banque centrale, ou une taxe sur lestransactions financières, peuvent alimenterplus légitimement un budget de la zone euro.

Le moment est venu de lancer un nou -

veau chantier : la dimension budgétaire du prin-cipe de subsidiarité. Curieusement, cet aspectessentiel n’a jamais intéressé personne. Chaquefois qu’est proposée une dépense supplémentaireà Bruxelles, des voix indignées s’élèvent pouraccuser l’Union de donner le mauvais exempleet de « coûter trop cher ». Or, si le principe desubsidiarité est pleinement respecté, on ne doitsolliciter l’Union que si elle apporte une efficacitéaccrue pour un coût identique, ou un coûtmoindre pour une efficacité égale : la preuvedoit être apportée qu’un euro de plus dépenséà Bruxelles permet d’économiser plus d’un euroau niveau national. Le calcul n’a jamais été faitlorsqu’on a créé la trentaine d’agences commu-nautaires ou le service d’action extérieure del’Union. Il doit devenir systématique si l’on veutconvaincre les citoyens que « plus d’Europe,c’est moins d’impôts ». Un beau défi de péda-gogie politique ! Quel candidat à l’élection pré-sidentielle serait-il prêt à s’y risquer ?

Alain Lamassoure, député européen

1) Pour plus de précision sur le rapport du groupe à haut niveau sur les res-sources propres, lire l’article de Mario Monti dans ce même numéro, p. 16- 17.

”“

Ma complicité avec Confronta-tions a débuté en 1999 alors quePhilippe, député européen, a euen charge l’écriture d’un rapportsur les services publics euro-péens. Bien que Philippe ait étéélu sur une liste de gauche, il aréussi à obtenir, au Parlement,une très large majorité et ce rap-port a défini les « services d’in-térêt économique général », citésdans le Traité de Lisbonne.Je suis assez vite devenu trèsproche de Confron tations quiétait, à l’époque, le seul thinktank capable d’organiser des

débats d’idées entre Européensvenant de pays différents et defamilles politiques différentes.J’ai été vice-président du thinktank jusqu’à une date récente.Pour moi, il est rare de voir unthink tank financé par quelquesgrandes entreprises du CAC 40et où bien des auditeurs appar-tiennent à la gauche française.C’est là un mariage heureux. Il faut apporter une réponseeuropéenne aux grands enjeuxactuels (terrorisme, Brexit,vagues migratoires...) et aussiaux opportunités offertes, par

exemple, par l’économie digi-tale. Ce dont nous avonsbesoin, c’est d’une réflexion surla possible organisation de l’Eu-rope en trois cercles : le cercledu voisinage (Ukraine, Russie,Turquie, Grande-Bretagne...) ;le cercle des « colocataires » del’Union européenne et, enfin,« le cercle de famille » que l’ondoit bâtir ensemble, sans l’aidedes Traités, afin de déterminerdes coopérations renforcéesdans les domaines monétaire,de politique digitale, d’espaceSchengen... �

TÉMOIGNAGE

Alain LamassoureGroupe PPE, député européen, ancien ministredélégué aux Affaires européennes (1993-1995),ancien ministre délégué au Budget (1995-1997)©

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LES COMBATS DE CONFRONTATIONS

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LES COMBATS DE CONFRONTATIONS

POUR UNE FINANCE RÉGULÉEAU SERVICE DU LONG TERME

Depuis dix ans, Confrontations Europe œuvre pour que la finance soit un moyenau service d’une véritable stratégie européenne d’investissement.

Ces dernières années, la finance auraété au cœur de l’actualité et du travailde Confrontations Europe qui anourri quelques propositions pharesà l’intention des décideurs politiques.

Confrontations a très vite acquis la convictionde l’urgence et de l’importance de la régle-mentation financière, compte tenu de l’accé-lération des crises financières depuis 1997.Philippe Herzog, alors vice-président de lacommission ECON au Parlement européen,avait soutenu le rapport de sa collègue néer-landaise Ieke van den Burg (Alliance progres-siste des Socialistes et Démocrates – S&D)qui, dès 2002, demandait un débat public surune supervision européenne.

Quelques années plus tard, l’actualité s’em-ballait avec la crise des subprimes américainsqui a emporté les marchés financiers dans unedes plus graves crises qu’ils aient connues. Nouspressentions à Confrontations Europe qu’il s’agis-sait bien plus que d’une crise immobilière « clas-

sique » ayant pour théâtre d’opérations les États-Unis, mais d’un véritable dérèglement du systèmefinancier. Nous avons contribué aux réflexionssur les réformes du secteur financier et sur l’ar-chitecture future de la supervision européenne,suite à la proposition de la Commission sur labase du rapport de Larosière(1), en lien avec lesautorités nationales. Nous avons travaillé sur lerenforcement des capi-taux propres et ratios d’endettement, sur le ren-flouement des établisse-ments financiers, sur lagenèse d’une Union ban-caire, sur la gestion et larésolution des crises bancaires, sur les effets per-vers de la « fair market value », sur la régulationdes assurances et des fonds de pension... Autantde dossiers et d’initiatives prises par la Com-mission pour réguler le secteur financier afinde lui permettre de recouvrer stabilité et in fineretrouver sa raison d’être, le financement de l’éco-nomie avec la confiance des utilisateurs.

Revitalisation de l’investissementCar pour nous, la stabilité financière n’aura pasété notre seul objectif : nous l’avons liée auxconditions d’une reprise d’une croissance à lafois soutenue et soutenable. Dès 2010, Confron-tations visait particulièrement la nécessité d’unepromotion des investissements de long termematériels et immatériels en Europe : face à unsystème financier court-termiste, il fallait veillerà ce que la régulation n’entrave pas la financepatiente tant les besoins sont énormes, qu’ils’agisse d’infrastructures, d’énergie décarbonée,d’économie numérique, des mutations desbesoins ruraux et urbains, de formation.

Confrontations s’est engagée dès 2009, auxcôtés du Club des investisseurs de long terme,dans un combat décisif pour l’avenir de l’Eu-rope, la revitalisation de l’investissement. Nousavons entamé une réflexion sur la valorisation

et le financement des projets d’investissementdans un cadre européen favorable au longterme et à la cohésion.

Le débat aura été difficile à installer sur laplace européenne, nous y avons pris une partactive et, en mars 2013, un livre vert sur l’inves-tissement de long terme a été publié. Ce livrevert aura été une opportunité de transformer la

stratégie UE 2020 en véri-table stratégie de crois-sance avec au centrel’impératif industriel etcomme moyen la finance.Dans notre réponse à laconsultation, nous insis-

tions sur l’importance de mettre en cohérencel’articulation des initiatives de régulation finan-cière en nous posant ces deux questions : lefinancement à long terme, pour quellesfinalités et comment ? Et face à la menace destagnation durable, nous avons alors décidé decréer, dès 2014 à Bruxelles, les Assises euro-péennes du long terme de ConfrontationsEurope. Nous entendions ici, avec tous lesacteurs concernés des secteurs public et privé,économique et financier, proposer aux dirigeantspolitiques européens les domaines prioritaireset les réformes, notamment fiscales et de super-vision à conduire. Le plan d’investissement euro-péen, dit « plan Juncker », est une premièreétape, bienvenue, vers une conscience politiquecommune mais il ne constitue pas une stratégieeuropéenne commune pour l’investissement.Le combat continue... �

Marie-France Baud, responsable du groupe Finances à Confrontations Europe

et directrice du bureau de Bruxelles

1) En octobre 2008, au cours de la présidence française du Conseil del’Union européenne, Jacques de Larosière s’est vu confier pour missionde réfléchir aux moyens de lutter contre les défaillances du système euro-péen de surveillance et de gestion des crises. Les recommandations durapport ont été reprises lors du Conseil européen extraordinaire de juin 2010.

Le plan Juncker est une première étape

vers une consciencepolitique commune

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LES COMBATS DE CONFRONTATIONS

LA MER, DOMAINE D’INTÉRÊTSTRATÉGIQUE EUROPÉEN

En écho à l’appel de Confrontations Europe pour une stratégie industrielle européenne, le leadership européenen matière d’industries maritimes et notamment énergétiques passe par des coopérations avec les régions.

Dans sa position de mars2017 « Les Mers et lesOcéans, sujet d’avenirpour l’Union euro-péenne », la Conférence

des régions périphériques mari-times (CRPM) appelle l’Europeà amplifier son soutien au déve-loppement des industries mari-times. Cette position fait écho àl’appel lancé par ConfrontationsEurope en 2012 pour une stra-tégie européenne de compétitivitéindustrielle intégrée et solidaire.

Les mers et les océans repré-sentent de fait un gigantesquepotentiel de croissance et d’em-plois. Le rapport « Ocean Economy in 2030 »de l’OCDE, publié en avril 2016, indique qu’en2010, l’économie de la mer représentait1 500 milliards de dollars, soit 2,5 % de larichesse mondiale en 2010. Cette part augmenterapidement et pourrait doubler d’ici 2030. Cettedynamique concerne directement l’Europe où,selon la Commission européenne, l’économiede la mer représente un nombre croissant d’em-ploi, aujourd’hui estimé à 5 millions.

Avec d’autres composantes des industriesmaritimes, les énergies marines contribuentpour une large part à cet élan. Leur dévelop-pement contribuera à atteindre les objectifseuropéens d’indépendance énergétique, derecours aux énergies renouvelables, et de luttecontre le réchauffement climatique.

Investissement et formationL’Europe dispose d’un leadership mondial dansce domaine. Si elle souhaite le conserver, elledevra amplifier son action. À titre d’exemple,les objectifs de 27 % d’énergies renouvelablesen Europe en 2030 proposés par la Commis-sion sont insuffisants pour stimuler le déve-loppement industriel lié aux énergies marines.

Par ailleurs, soutenir ce développement indus-triel suppose d’assouplir le principe de neu-tralité technologique, proposé en novembre2016, dans le Paquet Énergie. Les États mem-bres qui le souhaitent doivent pouvoir mettreen place des conditions d’accès au marchéplus favorables à l’électricité produite par lesénergies marines.

L’efficacité de l’action de l’Europe supposeégalement un partenariat renforcé avec lesrégions. Les investissements et la formationsont deux domaines autour desquels ce par-tenariat peut se nouer.

Les régions investissent aujourd’hui for-tement dans les industries maritimes. Leursstratégies de spécialisation, qui oriententl’utilisation des fonds structurels, reflètentles priorités des entreprises et des territoires.L’Europe peut s’appuyer sur elles, notammentpour mettre en évidence des carences dansle soutien financier aux projets maritimesrisqués, et développer des dispositifs aptes ày remédier. Ces dispositifs peuvent être misen place dans le cadre des plateformes terri-toriales prévues par le plan Juncker. Les stra-tégies des régions soutiennent également un

ensemble d’investissements telsque les projets de test et dedémonstration de technologiesmaritimes, en complémentaritéde programmes européens telsque NER 300(1).

Les stratégies de spécialisationdes régions permettent aussid’orienter des collaborations àl’échelle des bassins maritimes etdu territoire européen. À titred’exemple, le projet InterregEurope CLIPPER(2), piloté par laRégion Pays de la Loire, rassem-ble sept régions d’Europe pourtravailler sur leurs politiques desoutien au PMEs des industries

maritimes. L’Europe peut s’inspirer de cescollaborations et des stratégies de bassin mari-times pour orienter ses programmes colla-boratifs, dont Horizon 2020.

Investir dans la formation doit égalementêtre une priorité. La Conférence des régionspériphériques maritimes (CRPM) est forte-ment engagée dans ce domaine à travers soninitiative « Vasco da Gama ». L’Europe doitdévelopper une dimension maritime de laStratégie pour les Compétences en Europe.Les initiatives « Blueprint maritime » et « Car-rières Bleues » sont des éléments positifs ence sens. Les industries maritimes représententune perspective positive dont l’Europe doitse saisir pleinement. �

Damien Périssé, directeur en charge des Affaires maritimes à la CRPM (Conférence

des Régions Périphériques Maritimes d’Europe)

1) Le programme NER 300 est conçu comme un catalyseur pour la démons-tration de la capture et du stockage du carbone (CSC) et des technologiesnovatrices d’énergie renouvelable à l’échelle commerciale au sein del’Union européenne.2) L’objectif affiché du projet européen CLIPPER (Creating a Leadershipfor Maritime industries – New opportunities in Europe) est d’améliorer lespolitiques publiques de soutien aux industries maritimes.

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LES COMBATS DE CONFRONTATIONS

JEUNES ET EUROPÉENS !Depuis 2006, Confrontations Europe a mis en place un programme mobilisant de jeunes Européens de différents horizons et

pays dans le but de décrypter le sentiment européen des jeunes et de rendre cette Europe plus à l’écoute et plus proche d’eux.

Haro aux idéesreçues ! Les jeuness’intéressent à lapolitique et àl’Europe. C’est ce

que Confrontations Europea constaté à travers lesprogrammes menés surles jeunes, qui au fil desannées ont pris différentesappellations : intitulé«  Cercle 009  » en 2006,i ls ont été rebaptisés«  Cercle des jeunes  » en2010, pour devenir « YES-EU !  » à partir de 2011.La démarche vise à ras -sembler des jeunes de moins de 35 ans –nou veaux arrivants à la Commission, assis-tants parlementaires, étudiants, jeunes actifs,salariés des représentations régionales, entre-preneurs et artistes – qui partagent uneenvie : celle de s’impliquer dans le débateuropéen, d’échanger avec les décideurs etde faire des propositions politiques. Implantéà Bruxelles, ce groupe s’est voulu résolumenteuropéen avec des jeunes venant d’au moinsquinze pays de l’Union et de pays candidats,et ouvert aux franges de la population noninitiées à l’Europe.

Le programme porte surl’insertion pro fessionnelle desjeunes, l’éducation et la for-mation professionnelle, lamobilité ainsi que sur la par-ticipation politique. Au-delà du suivi de l’ac-tualité européenne, les pilotes du groupe ontorganisé une soixantaine de rencontres avecdes représentants d’institutions communautaireset des acteurs socio-économiques pour décryp-ter les initiatives législatives et les bonnes pra-tiques en œuvre au sein des États membres.De ces discussions nourries sont remontéesdes idées fortes comme la nécessité d’un lienplus étroit entre les entreprises et le monde del’éducation, l’indispensable valorisation de l’ap-

prentissage et la démocratisation du programmeErasmus. Ce travail n’aurait pu être réalisé sansde riches partenariats avec l’AFEV, Think Young,les Jeunes Européens, Loupiote, Erasmus Stu-dent Network, le comité jeunes de la Confé-dération européenne des Syndicats…

L’initiative européenne pour l’emploi desjeunes et la Garantie pour la jeunesse adoptéespar l’UE en 2014 ont été l’opportunité pourConfrontations Europe de s’intéresser de plusprès aux questions d’accompagnement des jeunesdans leur insertion professionnelle, et plus par-

ticulièrement des plus éloignésdu marché du travail. Voulants’extraire de la bulle bruxelloise,le groupe a mené deux nou-veaux projets, en 2015 en Île-de-France et en 2016 en

Hauts-de-France, avec l’objectif d’aller rencontrerdes jeunes adultes non familiarisés aux questionseuropéennes et de suivre sur le terrain la miseen œuvre de ces deux initiatives européennes.Les nombreux échanges que nous avons eusavec les participants, que ce soit des jeunes suivispar des missions locales, des écoles de ladeuxième chance, des étudiants, des apprentis,ou encore avec les structures en charge de poli-tiques d’emploi, font ressortir le même constat :les initiatives menées par l’Union européenne

en direction des jeunes sont trop peu connues,la mobilité est perçue comme inaccessible et lavoix des jeunes ne semble pas être entendue.Cette démarche bottom-up a confirmé l’impor-tance d’ouvrir des espaces d’échanges entre jeuneset décideurs. Reste maintenant à aller confronterles perspectives et expériences de nos jeunesFrançais avec celles de Polonais, Italiens, Alle-mands… afin de faire émerger une consciencecollective en faveur du projet européen. �

Katarina Cirodde, chargée de mission,Confrontations Europe

L’ENGAGEMENT AU CŒURDU PROJET EUROPÉEN

Dans le contexte actuel, troublé en France et

en Europe, le volontariat et l’engagement euro-

péen sont des éléments structurants du parcours

des jeunes. Ils doivent le devenir pour tous.

L’ouverture des programmes européens de

mobilité à des publics fragilisés (jeunes venant

de zones rurales isolées, de zones urbaines

défavorisées, peu ou pas diplômés, etc.) est

une vraie nécessité. Pour ces jeunes, le volon-

tariat européen est un challenge mais est

surtout une opportunité pour entrer dans un

processus d’émancipation, de réflexion et d’ac-

tion. Les retombées sont multiples pour soi,

pour son pays et pour l’Union européenne.

L’Europe s’incarne à travers l’engagement des

jeunes : se sentir européen devient enfin une

réalité. La construction de l’Union européenne

doit émerger du bas, par ses citoyens et s’ap-

puyer sur sa jeunesse.

Le lancement du Corps Européen de Solidarité,

s’il s’inscrit dans cette logique, sera une oppor-

tunité d’amplifier le volontariat européen, de

multiplier de nouvelles opportunités d’enga-

gement et de mobilité à la jeunesse.

Djamel Benia, directeur de l’ADICE(Association pour le développement des

initiatives citoyennes et européennes)

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Ouvrir des espacesd’échanges entre

jeunes et décideurs

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LES COMBATS DE CONFRONTATIONS

L ’Union européenne fait face depuisplusieurs années à une situation paradoxale : un niveau de chômage

élevé, particulièrement chez les jeunes, enmême temps qu’une difficulté pour lesemployeurs à pourvoir les emplois dis -ponibles. On estime en effet à 2 millionsle nombre d’emplois non pourvus enEurope.

L’investissement dans les compétencesdoit être une priorité, parce que l’élévationdes niveaux de qualification impacte posi-tivement la valeur ajoutée des biens et ser-vices produits et prépare l’économie del’avenir, et parce qu’il est urgent de trouverdes réponses à l’inadéquation entre l’offredisponible d’éducation et de formation,les choix individuels des personnes ensituation de se former, et les besoins réelsdu marché du travail.

L’Agenda pour des compétences nou-velles pour l’Europe, présenté par la Com-mission européenne en juin 2016, va dansla bonne direction. Il envoie aux Étatsmembres un message politique fort sur lanécessité de mettre en place des dispositifs

d’acquisition des compétences de base,d’élévation des compétences numériques– la pénurie de compétences dans cedomaine est particulièrement forte – etde valorisation de l’apprentissage, voied’insertion des jeunes sur le marché dutravail particulièrement efficace.

Pour autant, moins de la moitié des élèvesdu secondaire enEurope étaient ins-crits en 2012 dansu n p r o g r a m m e d’e n s e i g n e m e ntprofes sionnel (avecd’importantes dis-parités entre les États membres, la fourchetteallant de 70 % en Autriche à 13 % à Chypre).Ceci tient largement au déficit d’image dontsouffre l’apprentissage, mais aussi dans cer-tains pays à une gouvernance des systèmesinefficace, notamment du fait de l’insuffi-sante coopération entre les pouvoirs publicset les entreprises. Dans ce contexte, il fautagir sur au moins deux leviers : l’orientationafin que chacun, quand il choisit une for-mation, ait accès au taux d’insertion dans

l’emploi des diplômes préparés et, en secondlieu, la coconstruction des programmesd’éducation et de formation, avec une impli-cation rapprochée des entreprises pourmieux répondre aux besoins des entreprises. Valoriser l’apprentissage, c’est aussi donneraux apprentis l’accès à la mobilité géogra-phique. Il faut aujourd’hui réunir l’ensem-

ble des acteurspertinents pourcomprendre lesfreins au dévelop-pement de la mo -bilité des apprentiset concevoir des

solutions permettant aux ap prentis euro-péens de partir dans un autre pays pourap prendre d’autres techniques, une autrelangue, appréhender une autre culture,en somme, gagner en compétences et enagilité. �

Garance Pineau, directeur adjoint des relations sociales, Medef et présidente

du comité Éducation et Formationde BusinessEurope

MOBILITÉ DES APPRENTIS, ENCORE UN EFFORT

En 2017, l’Agence Erasmus+ France/Éducation Formation célèbre les 30 ansdu programme Erasmus+ : 9,1 millions

de citoyens européens enont déjà bénéficié à traversles 33 pays participants.Dans cet ensemble, seuls1,3 million de jeunes del’enseignement et de laformation professionnelley ont eu accès. Ce résultat est positif, maisinsatisfaisant dans le contexte économiqueet social que nous connaissons. Harmoniser le programme Erasmus+ sur lemodèle Erasmus de l’enseignement supérieurest devenu nécessaire. Depuis 1995, en France,plus de 145 000 apprentis, élèves de la forma-tion professionnelle et demandeurs d’emploifrançais sont partis à l’étranger pour des

séjours de deux semaines à un an (3 à4 semaines en moyenne). En outre, plus de16 700 enseignants, formateurs et tuteurs de

la formation profession-nelle ont tiré parti d’unséjour pour échanger ouconstruire des projetsinnovants. Les Françaisbénéficiaires de ces mobi-lités ne s’y trompent pas :

90 % des apprentis sont satisfaits de leurmobilité ; 66 % considèrent qu’ils ont acquisdes compétences linguistiques réutilisableset que le séjour va améliorer leurs chancesde trouver un emploi.

Pourtant, les financements disponiblessont insuffisants pour satisfaire la demande :en 2016 en France, seuls 50 % des demandesde bourses Erasmus+ en formation profes-

sionnelle ont été accordées (35 167 demandespour 17 966 bourses financées). Disposer definancements à la hauteur de la demandepermettrait de dépasser le chiffre de 4 % d’ap-prentis mobiles observé dans les CFA les plusdynamiques en Europe. Il a été démontréque la mobilité contribue à la réussite desétudiants du supérieur : des stages plus longsdoivent donc être encouragés, y compris endehors des pays participants. La reconnais-sance des compétences en Europe serait accé-lérée par une inscription des périodes destage en Europe et à l’international au seindes cursus d’apprentissage. Cela permettraitde mieux répondre à la demande des entre-prises et d’attirer de nouveaux candidats. �

Laure Coudret-Laut, directrice de l’Agence Erasmus+ France/Éducation Formation

INVESTIR DANS LES COMPÉTENCES

Impliquer les entreprisesdans la coconstruction

des programmes d’éducationet de formation

15 % seulementdes jeunes Erasmusviennent de la filière

professionnelle

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LES COMBATS DE CONFRONTATIONS

LE TSUNAMI NUMÉRIQUESOUFFLE À CONFRONTATIONS

Confrontations Europe s’est saisi des questions numériques en 2013 et y consacre un groupe de travailcentré sur les enjeux industriels, sociaux et réglementaires du numérique en Europe.

Depuis le début de la décennie, diffi-cile de passer à côté du tsunamiqu’est la révolution numérique.Confrontations Europe en a saisi lamesure et a lancé un groupe de

travail dédié à ses enjeux, dès 2013, dans lacontinuité de sa réflexion sur la compétitivitéeuropéenne. « Tout est à réinventer » nousdisait déjà Michel Serres en 2013(1). Mutationséconomiques et sociales donc, mais mutations« dans les têtes » surtout : les nouvelles tech-nologies bouleversent l’éducation, la produc-tion, la consommation, mais aussi ladémocratie.

Allant au-delà des champs de réflexionplus traditionnels de la propriété intellectuelleet du marché des télécoms, ConfrontationsEurope a organisé, en 2013, une premièresérie de séminaires sur le rôle du numériquedans la transformation du modèle socialeuropéen passant en revue l’éducation, la for-mation, la santé et les services publics notam-ment. Le réexamen de la notion de bienscommuns était déjà au menu de nos travauxpour se poursuivre jusqu’à aujourd’hui, avecun colloque sur le rôle et la place des plate-formes coopératives dans l’économie colla-borative et les plateformes(2).

Face à l’ampleur de cette mutation majeurequ’est la révolution numérique, le champ deréflexion du groupe de travail s’est considé-rablement élargi dans les années suivantes.L’Internet des objets, l’impression 3D, l’in-telligence artificielle et le big data, les plate-formes et l’économie collaborativetransforment l’activité des entreprises. L’éco-nomie digitale porte en elle risques et oppor-tunités, perspectives d’inclusion commemenaces d’exclusion, potentialités pour ledéveloppement dans nos territoires et ombresde géants internationaux raflant la mise…Comment mieux appréhender ces muta-tions ? De quel progrès économique, social,

politique, le numérique est-il le moteur ?Face aux puissants acteurs américains et asia-tiques, il est temps de construire l’Europe dunumérique. Comment élaborer une politiqueindustrielle européenne 4.0 pour accompa-gner cette révolution et soutenir l’innovationsur nos territoires ? Comment faire jouer àla puissance publique – notamment eu -ropéenne – le rôle de régulateur éclairé ? Leg roup ede tra-vail a dé -roulé sesquestion-n e m e n t sautour desdimensionsindustrielle,so ciale et régle-mentaire dans lecontexte porteur de lapromotion d’un Marchéunique numérique promupar la Commission euro-péenne en 2015(3). Stratégiespubliques et privées en matière decybersécurité(4), transformation dusecteur assurantiel face aux modèles dis-ruptifs émergents et au rôle central dela donnée, mais aussi financementdes start-up ( 5 ) et analyse dudilemme innovation/protectionautour du rôle des données ontété des temps forts(6). La ques-tion du travail et de la forma-tion à l’ère digitale ontégalement fait partie intégrantede nos champs d’investigation(7)

en 2015. En 2016, plus de trente spea-

kers de huit pays membreset 250 participants ontainsi débattu de

l’Innovation à l’ère numérique lors d’un col-loque au Comité économique et social euro-péen : mutations du travail ; soutien à lacoopération entre grands groupes, start-up,pôles de recherche et territoires ; mutationsdes business models et accompagnement parles politiques publiques 4.0 ont concentré lesdiscussions. Plus de cinquante recomman-dations(8) ont ainsi pu être élaborées et adres-

sées auxp o u v o i r s

p u b l i c spour soute-

nir l’investis-sement dans

le capital hu -main, le déve-

l o p p e m e n td ’é c o s y s t è m e s

d’ innovat ion et lerenforcement de la com-

pétitivité européenne parla numérisation de l’indus-

trie. C’est aujourd’hui autourd’u n C lu b nu m é r i qu e qu e

Confrontations Europe poursuitses échanges autour de ce thème

passionnant. �

Carole Ulmer, directrice des études à Confrontations Europe

en charge du numérique

1) «  Petite Poucette, elle a tout à réinventer  »

La Revue de Confrontations Europe n° 101.

2) Conférence du 5 décembre 2016.

3) Colloque «  Décryptage de la Stratégie pour un

Marché unique numérique  », 27 mai 2015, Paris.

4) Séminaire 11 septembre 2015

5) Séminaire 29 avril 2015.

6) Séminaire 5 mai 2015.

7) Séminaire des 9 et 15 juillet 2015.

8) «  Innover à l’ère numérique », Inter-

face n° 105, juillet 2016.© Kitsana Baitoey / 123RF

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LES COMBATS DE CONFRONTATIONS

Rien n’échappe aujourd’hui au numérique.Comment faire jouer à la puissance publiquele rôle de régulateur d’une nouvelle ère ? Quepeut apporter l’échelon européen ?

Aymeril Hoang : Dans un monde reposant surle paradigme de croissance économique, laquestion de la contribution de la puissancepublique au privé se pose. Or la réalité opé-rationnelle d’une entreprise est souvent toutautre : elle avance activement sur ses projetssans nécessairement penser à chercher unsoutien public, sauf si elle rencontre des dif-ficultés économiques.

A mon sens, il faudrait plutôt partir desbesoins d’intérêt général. La puissance publiquedevrait se demander ce que signifie être euro-péen aujourd’hui : est-ce œuvrer pour unaccueil décent des migrants, réduire les inéga-lités sociales, lutter contre le gaspillage alimen-taire, mieux éduquer nos enfants...? Lapuissance publique proposerait ainsi des pistesaux acteurs privés eux-mêmes pourvoyeursd’idées. Pôle Emploi a déjà amélioré l’accom-pagnement des personnes en recherche d’emploiavec Bayes Impact ou Bob Emploi. L’innovationprivée permet de résoudre des grands enjeuxd’intérêt général. Ce « solutionnisme » – trèsprégnant dans la Silicon Valley et parfois critiqué– imprègne les actions des pouvoirs publicsaméricains. Aujourd’hui, l’administrationpublique peut sembler trop intrusive en matièreéconomique, en ciblant son action directementsur ce qu’elle croit correspondre à des besoinséconomiques privés, alors qu’il n’en est rien.L’action du Programme des investissementsd’avenir en matière de cloud public avec leséchecs commerciaux de Numergy et Cloudwatt,en est un bon exemple.

Vous dites que certains chantiers clés devraientmalgré tout faire l’objet de l’attention des pou-voirs publics européens ou nationaux. Lesquels ?

A. H. : Le premier champ porte sur la questiondes compétences. Il y a des personnes très

qualifiées en Europe, mais beaucoup ne sontpas européennes. Savoir attirer et conserverces ta lents en Europe devrait faire l’objet detoute l’attention de nos pouvoirs publics. Celarejoint un deuxième sujet : celui de l’émer-gence de centres d’innovation de rayonne-ment international en Europe, commel’initiative French Tech le visait. Nous avonstout intérêt à avoir – au plus près de nosentreprises – des communautés rassemblantdes personnes de haut niveau sur un planacadémique et créatif. Nous en manquonsencore aujourd’hui. Je salue la création de laStation F à Paris qui sera sûrement un lieud’innovation pour la France et pour l’Europe,pour peu qu’elle réussisse à attirer des talentseuropéens mais aussi africains ou asiatiques.

Dans un autre registre, je pense que nousgagnerions beaucoup à mettre en place unSmall Business Act européen en place pourfavoriser l’accès de nos start-up innovantesaux grands défis ou marchés publics encoretrop souvent remportés par les grands groupes.Enfin, il faut absolument continuer à financerla recherche fondamentale en Europe, en par-ticulier sur le numérique.

Si vous aviez une priorité d’action à définirpour les mois à venir, laquelle serait-elle ?

A. H. : Je suis préoccupé par l’open data et laquestion de l’accès aux données publiques ouanonymes. Le numérique est une course audéveloppement d’algorithmes et d’interfacestoujours plus sophistiqués, grâce aux donnéesutilisées, et ce pour répondre aux requêtes deplus en plus complexes des utilisateurs. À l’èredu machine learning, la question centrale vaêtre : quel est le terrain de jeu équitable per-mettant à différentes entreprises et organisa-tions de développer de nouveaux algorithmes ?

Beaucoup d’acteurs collectent et stockent desquantités énormes de données : ils peuvent lefaire en interne, en collaboration avec des start-up, ou de très grands partenaires. Ce choix soulèveen premier lieu des enjeux de propriété indus-trielle et de souveraineté. Travailler avec de trèsgrands partenaires extra-européens dont les cen-tres de recherche et de décisions sont lointains,c’est prendre le risque pour une entreprise euro-péenne de prendre du retard dans la maîtrise dudéveloppement d’algorithmes pointus.

Il faut aussi se demander s’il est pertinentque les acteurs économiques soient les seuls àavoir accès à des données qu’ils ont collectéesmais qu’ils n’ont pas créées eux-mêmes. Uneentreprise peut légitimement tirer profit deson expertise ou de son savoir-faire en termesd’interface, mais elle devrait faire en sorte queles données collectées, une fois rendues tota-lement anonymes, puissent appartenir à toutle monde. Nous avons, à mon sens, tout intérêtà promouvoir collectivement la règle de l’opendata des données publiques et des donnéesanonymes. Il faut permettre à tout acteur capa-ble de développer des algorithmes innovantsd’accéder aux données. Les instances de régu-lation pourraient ainsi se pencher d’avantagesur les enjeux concurrentiels liés à l’accès auxdonnées et la maîtrise des algorithmes. �

Propos recueillis par Carole Ulmer, directrice des études à Confrontations Europe

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NUMÉRIQUE : L’ENJEU DES DONNÉESPoursuivant nos travaux « à la recherche de l’intérêt général européen », Confrontations Europe cherche à identifier les intérêtsstratégiques à promouvoir et défendre en Europe. Rencontre avec Aymeril Hoang, directeur de l’Innovation, à la Société Générale.

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LES COMBATS DE CONFRONTATIONS

L’ÉNERGIE COMMEPROJET FÉDÉRATEUR EUROPÉEN

Les dossiers concernant l’énergie sont devenus emblématiques de la méthode « Confrontations »par les sujets abordés, par les publics invités et par l’espace européen impliqué.

Face à l’urgence climatique, cette méthode reste pertinente pour définir les projets communs.

Le communisme, c’est les Soviets plus l’élec-tricité. » Pour paraphraser Lénine onpourrait dire : « Confrontations, c’est l’Eu-rope plus l’électricité ». L’acte de naissancedu think tank se confond en effet avec

la publication par la Commission Européenne,en janvier 1992, d’une proposition de réformedu marché du gaz et de l’électricité, visant à libé-raliser totalement une industrie organisée jusque-là, partout dans le monde, sur la base demonopoles. Et ce dossier a illustré de façonexemplaire la méthode appliquée par Confron-tations : organiser un débat entre des participantsqui n’ont pas l’habitude de traiter ensemble d’af-faires aussi lourdes. On a donc réuni des repré-sentants de divers pays, des industriels et dessyndicalistes, des experts et de simples citoyens,des hauts fonctionnaires et des chercheurs, etc.Grâce à une préparation très en amont de leursrencontres, aboutissant à sérier finement lessujets et formuler les questions précises, cesdiscussions ont dégagé des propositions, souventoriginales, toujours importantes, que Confron-tations a su diffuser largement à travers sesnombreuses publications. Pourne citer qu’un sujet sur lequelConfrontations a fait évoluer lesesprits et les textes, mentionnonsla notion de service d’intérêtgénéral : la rédaction finale destrois directives sur l’électricité,de 1996 à 2009, porte incon -testablement la marque desréflexions dont Philippe Herzoga nourri le Parlement européen. Dans le quart de siècle écoulé,l’énergie n’a jamais quitté le devantde la scène européenne. Outreles diverses étapes de la libérali-sation, toujours discutées ici, lespréoccupations relatives au climatont pris une place croissante dans

la législation européenne sur l’énergie, depuis leProtocole de Kyoto (1997) jusqu’à l’Accord deParis (2015), et donc dans les rencontres orga-nisées par Confrontations. Le think tank a éga-lement accordé une grande attention àl’intégration énergétique des nouveaux membresde l’UE, plaidant sans relâche pour un maillageplus étroit des réseaux afin d’atténuer la dépen-dance des pays d’Europe orientale vis-à-vis deleur fournisseur historique et créer de nouvellessolidarités. Combien de think tanks comptentautant de débats sur l’énergie, menés à Budapest,Prague ou Varsovie ? Combien d’entre eux peu-vent affirmer avoir travaillé à Bruxelles avec unpanel très large de partenaires sur des sujets cou-vrant tout le spectre qui va de l’énergie nucléaireaux biocarburants ?

En 2017, l’électricité figure à nouveau au centre de l’actualité. La Commission entrée enfonction en 2014 a fait de l’Union de l’Énergieun axe majeur de son programme, et le 25e

anniversaire de Confron tations Europe coïncideavec la publication de huit propositions légis-latives sur l’énergie. Ces textes présentent une

grande complexité, liée à leur technicité intrin-sèque et aux interactions entre eux. Le projetpolitique qui les sous-tend comporte, commeen 1992, à la fois des aspects attirants, avec desperspectives d’énergies modernes et d’intégrationéconomique, et des aspects inquiétants, avecune perte d’autonomie des acteurs nationauxet une vision très libérale d’un marché régi parles seuls prix à court terme.

Comme en 1992, un débat bien structuré peutesquisser les contours des améliorations à apporterà ces textes, mais en 2017, les échanges serontplus difficiles à structurer. En premier lieu parcequ’en 25 ans, la mondialisation a exacerbé lacompétition économique, les technologies numé-riques ont fait des pas de géant, le secteur financiera conquis une position de force : ces facteurspèsent sur notre avenir énergétique. En secondlieu parce qu’en 25 ans, l’état d’esprit a changé : lasuspicion à l’égard des institutions communau-taires s’est considérablement accrue, poussantcertains partis politiques, voire des gouvernementsentiers, à camper sur une ligne intransigeanteque l’on pourrait résumer par « mes intérêts immé-

diats d’abord », à l’image deDonald Trump et de son mot d’or-dre : « America first ». La respon-sabilité d’organisations commeConfrontations Europe est doncimmense puisqu’il faut expliquerles enjeux contenus dans des textesardus, mettre en regard les attentesdes diverses parties prenantes etformuler des conclusions suscep-tibles de rendre confiance en unprojet commun. À 25 ans, on al’âge de relever ce défi ! �

Michel Cruciani, conseillerÉnergie-Climat à Confrontations

Europe, chargé de missionà l’Université Paris-Dauphine

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LES COMBATS DE CONFRONTATIONS

Il est désormais acquis que les sociétésdu XXIe siècle se développeront sous l’impulsion et avec les contraintes destransitions énergétiques. Le terme ne faitpas consensus, et son interprétation varie

d’un pays à l’autre, mais la notion commenceà pénétrer les esprits et à façonner les écono-mies, et certains parlent déjà de révolutionsociétale.

Son origine reste floue. Des analystes lientson apparition aux craintes d’épuisement desressources fossiles des années 1970. Deuxtechnologies ignorant la contrainte de dis-ponibilité du combustible émergeaient alors :le nucléaire, l’uranium étant largement répartisur le globe, et les renouvelables dont la pro-duction cyclique peut néanmoins être anti-cipée. La France a choisi de faire confianceà un parc nucléaire puissant complété pardes barrages hydroélectriques, alors que l’Al-lemagne se reposait sur le charbon et le ligniteprésents dans son sous-sol, tout en dévelop-pant plus modestement le nucléaire. Plus dedeux décennies après la réunification, l’aban-don du nucléaire et une politique vigoureused’aides aux renouvelables sont toujours plé-biscités par l’opinion publique. En France,un processus de consultation approfondi aconduit à l’adoption en 2015 de la «  loi detransition énergétique pour une croissanceverte » qui dessine les contours du futur pay-sage énergétique.

Efficacité énergétiqueAu niveau européen, la stratégie repose surtrois principes : sécurité d’approvisionnement,compétitivité et préservation du climat. Aprèsle succès de la Conférence internationale deParis en décembre 2015, le “Clean EnergyPackage” de la Commission publié fin 2016s’intéresse aux possibles composantes d’uneunion européenne de l’énergie, à l’exceptiondes investissements de long terme, indispen-

sables à toute évo-lution de grandeampleur. L’eff icacitéénergétique est au centre du dispositif, sou-tenue par un parc faisant largement appelaux renouvelables. Leur intermittencene constitue pas à ce stade un handicapdu fait du maintien d’une base fiable, maiselle devra être prise en compte dans les stra-tégies à venir. Le nucléaire, non mentionnémais répondant à l’ensemble des critères,continuera à constituer une part importantedu mix européen.

L’expérience acquise, parfois aux dépensdu consommateur, permettra de mener aumieux la transformation des mix actuels.Tout en conservant la particularité de leurmix de production, la majorité des paysdevraient s’appuyer sur une réduction de laconsommation issue de l’efficacité énergé-

tique, sur une production flexible et fai-blement émettrice de CO2, sur des

réseaux capables de faire transitermassivement l’électricité du point

de production au point deconsommation, ainsi que sur la

régionalisation de ces points. Lestockage jouera aussi un rôledéterminant dans une phaseultérieure.

La régulation et la réglemen-tation seront moteurs pour la réa-

lisation de ces objectifs, mais ellesseront insuffisantes. Des technologies

innovantes seront indispensables pourobtenir des effets concrets. Beaucoup

sont connues alors que d’autres émergent,mais pour toutes, les défis et les enjeux impo-

sent des sauts technologiques majeurs. Dansce contexte, la recherche et l’innovation revê-tent un rôle déterminant. Toute la chaîneénergétique est concernée, que ce soit la pro-duction (nucléaire, photovoltaïque, carbu-rants de synthèse), la gestion de l’électricité(stockage, réseaux, digitalisation) et la maî-trise de la consommation (efficacité énergé-tique, compteurs intelligents...).

La société civile aura aussi un rôle à jouer :l’analyse qu’elle mène des besoins, descontraintes et des attentes permet de dégagerles orientations pertinentes et d’alerter surles voies moins en accord avec les besoins.La multiplication et la complémentarité desapproches sont nécessaires à une meilleureconvergence des solutions et à une meilleurecompréhension du mécanisme des transitionsénergétiques. La collaboration ancienne entrele CEA et Confrontations Europe participelargement à cette démarche. �

Jean-Claude Perraudin, conseiller Affaires publiqueseuropéennes au Commissariat à l’énergie atomique

et aux énergies alternatives (CEA) (CEA/DRI/DAE)

UNE RÉVOLUTION ÉNERGÉTIQUEMAIS AUSSI SOCIÉTALE

Une Europe de l’énergie adaptée aux besoins ne peut être uniforme. Une diversité d’approchesest nécessaire pour faire converger les transitions énergétiques nationales.

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CE QU’EN DISENT LES ADHÉRENTS

Jean-Louis BancelPrésident du groupe Crédit coopératif

Marie-France van der ValkDirectrice à la représentation permanente auprèsdes institutions européennes de Renault à Bruxelles

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TÉMOIGNAGES

Matthias SeewaldDirecteur des investissementschez Allianz France

Nous avons toujours eu des relations avec desparlementaires européens s’intéressant à l’éco-nomie sociale. Nous avons aussi travaillé avecPhilippe Herzog sur les services d’intérêt géné-ral en Europe. À mon arrivée au Crédit Coo-pératif, en 2005, j’étais à la recherche d’unforum plus large sur les questions européennes.J’ai rencontré Philippe et lui ai demandé dese saisir des questions de l’économie sociale etsolidaire alors que Confrontations Europe suivait presque exclusivement jusqu’alors lessujets industriels ou les questions d’énergie. Etil a accepté. Nous avons ultérieurement misNicole Alix, qui était directrice du développe-ment, à disposition de Confrontations pour

travailler sur l’économie sociale et solidaire. Pour moi, Confrontations est un lieu de « com-bat » démocratique. Ce qui est une bonnechose, car il est important de ne pas fabriquerdu consensus. À Confrontations existe lavolonté d’articuler de façon très cadrée unepensée collective. L’enjeu pour l’avenir de l’Europe est la trans-mission générationnelle. Si l’on ne met pas enplace la relève, je crains que cette grande aven-ture ne dise rien aux jeunes générations. Ilfaut donner à vivre l’Europe. Je mettrais bienà l’agenda : « Que pourrions-nous faire pourque l’Europe devienne un sujet sensible », c’est-à-dire qui ait du sens ? �

La collaboration avec Confrontations avaitcommencé avant que je prenne mes fonc-tions chez Allianz, avec Pierre Vaysse.Lorsque j’ai rencontré l’équipe de Confron-tations, à la fin 2012, les discussions ontporté sur la réforme réglementaire euro-péenne du monde de l’assurance, la DirectiveSolvabilité II. J’ai trouvé l’approche deConfrontations très originale, l’idée étantde ne pas se concentrer sur un seul thèmemais d’avoir une vision holistique des sujets.Cette démarche permet de traiter unegrande diversité de sujets de façon globaleet sans idée arrêtée a priori, ce qui n’est pasle cas de think tanks qui sont affiliés à unparti politique. J’ai beaucoup apprécié, par exemple, quelors de l’AG de l’an dernier, se retrouvent àl’estrade, Nikolaus Meyer-Landrut, l’am-bassadeur d’Allemagne à Paris et le prési-dent de BNP-Paribas, Jean Lemierre. J’aimecette combinaison entre monde politique etbusiness. Et je pense qu’il faut faire en sorte de comblerle fossé qui existe malheureusement entrecitoyens, hommes politiques et le monde del’entreprise, dont je fais partie et qui est par-fois coupé de la vraie vie. Des think tanks,comme Confrontations, permettent ce lienentre ces trois mondes et c’est un pont qu’ilfaut consolider. �

”Renault est en relation avec ConfrontationsEurope depuis le début des années 2000. Mais,pour ma part, c’est lorsque j’ai pris mon posteà Bruxelles, en 2010, que j’ai été contactée parClaude Fischer. Et j’ai été embarquée car il estquasi impossible de résister au tsunami fische-rien. Nous sommes toujours membres deConfrontations après toutes ces années car au-delà de la méthode certes intéressante, c’est sur-tout une question de personne, de leadershiphumain. Ce qui me plaît à Confrontations, c’estla volonté très marquée de convier tout le mondedans un projet européen constructif et fort. La question aujourd’hui est comment rendrel’Europe plus forte et pérenne. Une des réponsesest clairement « pas à partir de Bruxelles ». Lediscours des politiques est régulièrementconstruit en incriminant Bruxelles lorsque celane fonctionne pas, et de ne pas reconnaître ce

qui est livré grâce à Bruxelles. Bruxelles travaille,produit, mais les États devenus frileux, protec-tionnistes affaiblissent les institutions… C’estpourquoi Confrontations devrait continuer às’exprimer de Bruxelles mais devrait plus parleraux États et à tous les États. Confrontations aune vision de l’Europe solidaire, forte, et c’estcette vision dont nous avons besoin. �

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CE QU’EN DISENT LES ADHÉRENTS

Olivier FrégetAvocat, spécialiste du droit de la concurrence, cofondateur du cabinet Fréget-Tasso de Panafieu

Michel MatheuDirecteur du Pôle Stratégie Union européenne chez EDF©

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Témoignages recueillis par Clotilde Warin,rédactrice en chef, Confrontations Europe

LES PARTENARIATSDE CONFRONTATIONS

Au fil des années, Confrontations Europe a noué denombreux partenariats avec d’autres think tanksmobilisés sur l’Europe. ❱❱❱ Dans le cadre des « Entretiens Économiques Euro-péens », des travaux sur la compétitivité de l’Europeet le dialogue social ont été menés en collaborationavec des fondations allemande, la BertelsmannStiftung, et italienne, la Fondation Astrid.❱❱❱ Depuis dix ans, le Brussels Think Tank Dialogueest coorganisé par dix des think tanks les plusinfluents à Bruxelles (Bruegel, Bertelsmann, Centerfor European Policy Studies, Confrontations Europe,European Policy Centre, Friends of Europe, Mada-riaga…).❱❱❱ Lancé en 2015 avec l’appui des ministres desAffaires européennes allemand et français, MichaelRoth et Harlem Désir, le Think tanks Tandemrassemble les principaux think tanks allemands surl’Europe (Bertelsmann Stiftung, Friedrich Ebert Stiftung,Genshagen Stiftung, German Marshall Fund…) et cinqthink tanks français sur l’Europe (ConfrontationsEurope, la Fondation Robert Schuman, la FondationJean-Jaurès, l’Institut Jacques Delors et Terra Nova),La plateforme a organisé trois sessions en France eten Allemagne autour des enjeux de migrations, deterrorisme, de politique extérieure et de politiqueéconomique et monétaire de l’Union européenne. ❱❱❱ Le projet « Relations industrielles face auxdéfis de l’emploi » conduit sur six pays européenset un pays de l’accession a permis de consolider etde nouer des partenariats intellectuels avec les prin-cipaux partenaires sociaux, think tanks et régionsde ces différents pays : Allemagne (DGB, BDI/BDA,SHS Stiftung de Peter Hartz, Bertelsmann Stiftung),Italie (CGIL, la région Emilie-Romagne, la FondationAstrid), Pologne (Solidarnosc...), Suède (SvensktNaringsliv, LO, Göteborg Business Region), Turquie(Tusiad, Tisk, Disk...), sans oublier l’échelon européen(IndustriAll European Trade Union, Eurelectric, Insu-rance Europe, la Confédération européenne des syndi-cats, BusinessEurope, ETUI…) et de nombreusesentreprises européennes.❱❱❱ Confrontations Europe est membre des «  Euro -citoyens  », une plateforme rassemblant des orga-nisations de la société civile sensibilisées au projeteuropéen en France, créée en 2012, qui a mis enplace les États généraux de l’Europe, lieu de débatsouverts et accessibles à tous les citoyens sur lesenjeux européens.

Katarina Cirodde, chargée de mission à Confrontations Europe

TÉMOIGNAGES

”Lorsque j’ai rencontré Philippe Herzog, en2012, j’ai été séduit par son parcours intellec-tuel, qui l’a conduit à sortir du marxisme touten conservant son intuition d’origine en termesde recherche de cohésion d’une solidarité pos-sible. Après avoir dû, pour ma part, aban-donner toute activité politique dès 1990 pourme consacrer à mon activité d’avocat d’affaires,je cherchais alors un lieu où reprendre undébat intellectuel. J’ai fait le tour des thinktanks et j’ai aimé dans Confrontations le faitde retrouver des personnes qui m’opposent unecertaine résistance. On ne peut pas construirel’Europe sans gérer des visions différentes. Etl’approche participative est au cœur de l’Eu-rope. L’Europe est un lieu de confrontationspar essence.Pour tenter d’appréhender le réel forcémentcomplexe, rugueux, il ne suffit pas d’avoir des

idées. Il faut apporter de l’expertise dans unmonde qui malheureusement refuse les experts.Il faut surtout cesser de penser que l’on peutconvaincre en projetant son propre modèle.Et, pour reprendre les termes de Stanley Hoff-man, il ne faut pas oublier que l’Europe est le« continent de la vie interrogée ». Donc conti-nuons à réfléchir à la construction d’un systèmeouvert sans clef de voûte doctrinale. �

Dès mon arrivée au Pôle Stratégie UE d’EDF,en 2012, je suis entré en contact avec Confron-tations Europe, un think tank avec lequel EDFétait en relation depuis fort longtemps. J’ap-précie le fait que Confrontations soit à la foisà Paris et à Bruxelles. Car, influencer ce quise passe à Bruxelles ne fonctionne pas si onne peut expliquer ce qu’est l’Europe à Paris. Confrontations organise régulièrement des réu-nions sur les textes à l’agenda politique européen,et cette continuité est très importante. Elle l’estparticulièrement à un moment où nous sommesinquiets. En effet le départ du Royaume-Unisigne la sortie d’un pays qui partageait notrevision sur l’énergie : il faut décarboner au meil-

leur coût, en utilisant le nucléaire qui est uneénergie décarbonée comme les autres. L’année2017 va être difficile alors même que se négociele paquet Énergie propre. Il va falloir que noustravaillions avec d’autres États, comme certainspays nordiques ou d’Europe centrale. Nous comptons sur Confrontations pourappuyer nos efforts. Du reste je suis persuadéque les débats menés sur des options structu-rantes en amont du travail législatif sont encoreplus importants que le lobbying à la Commis-sion une fois le projet déposé. �

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POSTFACE

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Marcel GrignardPrésident de

Confrontations Europe

“Nos démocraties

nationales et l’UE doivent

redonner perspectives et

espérance en l’avenir.

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Nous Européens, que voulons-nous faire

ensemble pour construire notre avenircommun ? », cette interrogation queporte Confrontations va continuer àguider nos travaux futurs quant au

contenu des politiques à conduire. Mais, dans uneEurope confrontée à une crise de la démocratie,la question du «  comment » est essentielle.Comment éviter la dislocation de nos sociétés ?Comment construire les nouvelles solidarités indis-sociables au « vivre ensemble » ?

La crise dans les pays de l’UnionBeaucoup des pays de l’Union sont confrontés àune crise du politique et des institutions qui setraduit en particulier par la montée de partis popu-listes. Partout ils revendiquent le repli et alimententla détestation de ceux qui sont différents. Préten-dant incarner le peuple, dénonçant les élites, met-tant en cause les institutions indépendantes(médias, justice…) ils font de la sortie de l’Unioneuropéenne un objectif central et prioritaire. Ilspourraient aux Pays-Bas, en France et ailleursaccéder au pouvoir. Ils trouvent un écho grandis-sant auprès de citoyens européens inquiets pourleur avenir, auprès de ceux qui subissent les consé-quences d’une mondialisation peu régulée et d’unmodèle économique soumis au court terme de larentabilité financière. En France, la défiance descitoyens à l’égard des institutions et des respon-sables politiques s’accroît, l’idée qu’un régime auto-ritaire permettrait de faire face aux problèmes denos sociétés grandit.

Les partis politiques de gouvernement sont tra-versés par des contradictions fortes. Ils s’apparen-tent à des additions de chapelles consacrantbeaucoup d’énergie à la conquête du pouvoir dansà des logiques de parts de marché. Leur approchetrop nationale, dans un monde aux interdépen-dances croissantes, est de portée limitée. L’Europevue par ce prisme s’étiole. Leur tâche est arduetant les problèmes à traiter sont de plus en pluscomplexes, formaliser de compromis partagés serévèle difficile. L’individualisation de la société etl’appauvrissement des processus délibératifs contri-buent à un entre-soi qui ne forge pas un nouveau

vivre ensemble et ne permet pas de dépasser lesconflits d’intérêts. La crise de la démocratie poli-tique complique la tâche de la société civile orga-nisée (qui a aussi ses propres limites) alors mêmeque son interaction est de nature à redonner dela légitimité à la démocratie politique.

L’Union européenne est le réceptacle des crisespolitiques nationales. Il est illusoire d’imaginerune Europe en bonne santé rassemblant des Étatsnations en difficulté alors que rien d’importantne peut s’y faire sans le conseil des chefs de gou-vernements. Mais, comment pourraient-ils porterune dynamique européenne s’ils sont en difficultéchez eux et que la prochaine échéance électoraleoccupe une bonne place de leur horizon ?

Il nous paraît erroné de faire de l’UE la causede la crise des démocraties nationales. Mais seslimites ne sont pas sans incidence. La Commissionest un pouvoir politiquement faible qui n’a pas lesmoyens de piloter une administration trop tech-nocratique, trop éloignée de la diversité des réalitésqui compose l’Union. Cette « diversité dansl’union » est mise à mal quand l’Europe se construitselon une règle descendante plus ou moins bienciblée et incapable de tenir compte d’histoires etde pratiques différentes, mise à mal aussi lorsquela latitude laissée aux États membres est utiliséepar ceux-ci pour limiter la portée d’orientationsthéoriquement partagées. Le Parlement européentraite sérieusement les problèmes de l’Union, maisles familles politiques qui le composent sont hété-rogènes et additionnent les points de vue nationauxplus qu’ils ne les fédèrent. La césure problématiqueentre les représentations européenne et nationaleconsacre la rupture entre enjeux nationaux etenjeux européens.

Le besoin de refonder nos institutionsNos démocraties nationales et l’Union euro-péenne doivent redonner perspectives et espé-rance en l’avenir. La tâche est redoutable. Il nes’agit pas de proposer un projet aux composantestechniques et politiques ficelées. Le monde quenous devons construire n’est pas le prolongementde nos sociétés d’hier. Cela n’interdit pas de sedonner des perspectives, bâtir une société du

EUROPE : RELEVERLE DÉFI DÉMOCRATIQUE

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POSTFACE

“vivre ensemble, reconnaissant les diversités etles considérant comme une richesse, n’ignorantpas les conflits mais cherchant à les dépasser parla confrontation des points de vue et la construc-tion de compromis par le dialogue. Il faut releverles défis économiques, sociaux, sociétaux, envi-ronnementaux en privilégiant la place des indi-vidus, en faisant vivre les valeurs de solidarité,de démocratie et de paix. Et faire de l’Europe unespace ouvert sur le monde à même de concilierdroits individuels et communauté de destin àl’échelle de la planète.

La communauté européenne, il y a soixanteans, réunissait un nombre limité de pays de l’Ouestportés par la parenthèse économique des TrenteGlorieuses au sein d’une Europe coupée en deuxpar le rideau de fer. Nous sommes évidemmentdans une tout autre époque qui nous oblige àrepenser nos politiques et modes de gouvernance.Ainsi, la politique commerciale ne peut se résumerà la négociation des droits de douane. Dans cemonde ouvert dans lequel l’Europe risque d’êtremarginalisée, elle doit couvrir des enjeux bien plusvastes : la détermination de normes sociales, envi-ronnementales, la protection des données person-nelles, la fiscalité des multinationales, le cadre desinvestissements de long terme...

La mobilisation de la société civileNos modes de gouvernance doivent devenir plushorizontaux et participatifs. Confrontations faitdepuis longtemps de la participation des acteursun enjeu central. Participer ne signifie pas seule-ment donner son point de vue, mais agir pourpeser sur notre destin et prendre sa part de res-ponsabilité dans la construction de l’intérêt com-mun, qu’il s’agisse de l’entreprise, de la vie de lacité, de la construction des politiques européennes.C’est ce qui nous conduit à faire de la mobilisationde la société civile le facteur majeur de la redyna-misation de la démocratie. L’implication des tra-vailleurs est facteur de compétitivité, celle descitoyens de qualité du vivre ensemble. L’entrepriseavec l’ensemble de ses parties prenantes, le territoiresont chacun à leur manière des lieux de projetscollectifs et de proximité où se construit laconfiance par le « faire ensemble » alors que nossociétés sont rongées par la défiance.

La refondation européenne, doit s’inscrire dansune subsidiarité construite en partie de manièreascendante. Continuer à croire qu’on réconcilieral’Europe en partant du haut et en enjambant lesnations est illusoire. A contrario, une conception

de l’Europe se limitant à régler les problèmesnationaux c’est renoncer à agir en faveur d’undestin commun aux Européens.

Comment aller de l’avant ? Certainement pasen entrant par la voie des réformes institutionnelles.Non qu’elles soient inutiles, mais elles doiventconcrétiser un projet politique partagé par les peu-ples européens. Nous en sommes encore loin. Dèsmaintenant les élus politiques et les responsablesdes institutions peuvent modifier profondémentles modes de gouvernance, c’est-à-dire la manièredont ils gèrent leurs responsabilités, rendentcompte, associent dans des processus délibératifs.Chaque État membre doit mettre sur la table lesenjeux, la nature des désaccords, expliquer le pointde vue des autres Européens, les propositions decompromis en amont des Conseils. Ces derniersne peuvent plus être des lieux de simple ajustementde compromis élaborés dans la méconnaissanceet l’indifférence générale. La relation entre les Par-lements nationaux et le Parlement européen doitêtre articulée.

Je partage avec Philippe Herzog l’idée qu’ilfaut déconnecter le pouvoir politique du collègedes Commissaires de celui de l’administrationeuropéenne. Les Commissaires doivent, dansune logique prospective, proposer des politiquesaudacieuses porteuses de l’intérêt commun euro-péen, reposant sur une bonne connaissance descultures nationales tout en étant vraiment affran-chis des intérêts de leurs pays d’origine. Le rôleet l’articulation des trois piliers est à repenser.Plus on avance dans des souverainetés partagéeset dans de nouvelles politiques communes, plusla question du mode de prise des décisions estcruciale.

Nous n’avons pas solution à tout. Comme d’au-tres nous proposons quelques lignes directricesafin d’alimenter les réflexions. ConfrontationsEurope a 25 ans, 25 ans à penser, élaborer, pro-poser, «  faire  » l’Europe grâce au travail menéavec les acteurs de la société, les responsablespolitiques, les institutions… C’est la tâche quenous allons poursuivre alors que nos sociétésvivent une profonde mutation porteuse de risqueset de fractures entre ceux qui en tirent profit etceux qui en paient le prix. Mais cette mutationoffre aussi des opportunités, celles de mutualiserles risques, bâtir de nouvelles solidarités, faireprogresser les valeurs sur lesquelles s’est bâtiel’Europe au lendemain d’épisodes douloureux denotre histoire commune. C’est cette voie que nousentendons suivre. �

“Continuer à croire

qu’on réconciliera

l’Europe en partant

du haut est illusoire.

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POSTFACE

“vivre ensemble, reconnaissant les diversités et lesconsidérant comme une richesse, n’ignorant pasles conflits mais cherchant à les dépasser par laconfrontation des points de vue et la construc-tion de compromis par le dialogue. Il faut releverles défis économiques, sociaux, sociétaux, envi-ronnementaux en privilégiant la place des indi-vidus, en faisant vivre les valeurs de solidarité,de démocratie et de paix. Et faire de l’Europe unespace ouvert sur le monde à même de concilierdroits individuels et communauté de destin àl’échelle de la planète.

La communauté européenne, il y a soixanteans, réunissait un nombre limité de pays del’Ouest portés par la parenthèse économique desTrente Glorieuses au sein d’une Europe coupée endeux par le rideau de fer. Nous sommes évidem-ment dans une tout autre époque qui nous obligeà repenser nos politiques et modes de gouver-nance. Ainsi, la politique commerciale ne peut serésumer à la négociation des droits de douane.Dans ce monde ouvert dans lequel l’Europe risqued’être marginalisée, elle doit couvrir des enjeuxbien plus vastes : la détermination de normes so-ciales, environnementales, la protection des don-nées personnelles, la fiscalité des multinationales,le cadre des investissements de long terme...

La mobilisation de la société civileNos modes de gouvernance doivent devenir plushorizontaux et participatifs. Confrontations faitdepuis longtemps de la participation des acteursun enjeu central. Participer ne signifie pas seule-ment donner son point de vue, mais agir pourpeser sur notre destin et prendre sa part de res-ponsabilité dans la construction de l’intérêt com-mun, qu’il s’agisse de l’entreprise, de la vie de lacité, de la construction des politiques euro-péennes. C’est ce qui nous conduit à faire de lamobilisation de la société civile le facteur majeurde la redynamisation de la démocratie. L’implica-tion des travailleurs est facteur de compétitivité,celle des citoyens de qualité du vivre ensemble.L’entreprise avec l’ensemble de ses parties pre-nantes, le territoire sont chacun à leur manière deslieux de projets collectifs et de proximité où seconstruit la confiance par le « faire ensemble »alors que nos sociétés sont rongées par la défiance.

La refondation européenne, doit s’inscriredans une subsidiarité construite en partie de ma-nière ascendante. Continuer à croire qu’on récon-ciliera l’Europe en partant du haut et enenjambant les nations est illusoire. A contrario,

une conception de l’Europe se limitant à réglerles problèmes nationaux c’est renoncer à agir enfaveur d’un destin commun aux Européens.

Comment aller de l’avant ? Certainement pasen entrant par la voie des réformes institution-nelles. Non qu’elles soient inutiles, mais elles doi-vent concrétiser un projet politique partagé parles peuples européens. Nous en sommes encoreloin. Dès maintenant les élus politiques et les res-ponsables des institutions peuvent modifier pro-fondément les modes de gouvernance, c’est-à-direla manière dont ils gèrent leurs responsabilités,rendent compte, associent dans des processus dé-libératifs. Chaque État membre doit mettre sur latable les enjeux, la nature des désaccords, expli-quer le point de vue des autres Européens, les pro-positions de compromis en amont des Conseils.Ces derniers ne peuvent plus être des lieux desimple ajustement de compromis élaborés dans laméconnaissance et l’indifférence générale. La re-lation entre les Parlements nationaux et le Parle-ment européen doit être articulée.

Je partage avec Philippe Herzog l’idée qu’ilfaut déconnecter le pouvoir politique du collègedes Commissaires de celui de l’administrationeuropéenne. Les Commissaires doivent, dansune logique prospective, proposer des politiquesaudacieuses porteuses de l’intérêt commun eu-ropéen, reposant sur une bonne connaissancedes cultures nationales tout en étant vraimentaffranchis des intérêts de leurs pays d’origine. Lerôle et l’articulation des trois piliers est à repen-ser. Plus on avance dans des souverainetés partagées et dans de nouvelles politiques com-munes, plus la question du mode de prise desdécisions est cruciale.

Nous n’avons pas solution à tout. Comme d’au-tres nous proposons quelques lignes directricesafin d’alimenter les réflexions. ConfrontationsEurope a 25 ans, 25 ans à penser, élaborer, pro-poser, «  faire » l’Europe grâce au travail menéavec les acteurs de la société, les responsables po-litiques, les institutions… C’est la tâche que nousallons poursuivre alors que nos sociétés viventune profonde mutation porteuse de risques et defractures entre ceux qui en tirent profit et ceuxqui en paient le prix. Mais cette mutation offreaussi des opportunités, celles de mutualiser lesrisques, bâtir de nouvelles solidarités, faire pro-gresser les valeurs sur lesquelles s’est bâtie l’Eu-rope au lendemain d’épisodes douloureux denotre histoire commune. C’est cette voie que nousentendons suivre. �

“Continuer à croire

qu’on réconciliera

l’Europe en partant

du haut est illusoire.

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Page 33: L’EUROPE C’EST NOUS - Confrontations Europeconfrontations.org/wp-content/uploads/2017/03/... · n1992, paraissait le premier numéro de la Revue Confrontations Europe. La même