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Sociologie du travail 54 (2012) 217–232 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com L’« agent économique dormant » : enquête sur la capitalisation professionnelle de signalements communautaires “Sleeper agents”: A survey on the professional capitalization of community particulars Cédric Calvignac CERTOP, université Toulouse II Le Mirail, 5, allées Antonio-Machado, 31058 Toulouse cedex 9, France Résumé Dans cet article, nous montrons que la participation bénévole et désintéressée à des communautés d’innovation n’est pas incompatible avec la poursuite d’objectifs professionnels. Ces deux démarches vont, au contraire, bien souvent de pair. En d’autres termes, nous mettons en évidence le fait que les contributeurs aux projets informatiques libres sont tout à la fois des acteurs communautaires diligents et des agents éco- nomiques dormants. En effet, en sus d’une position assumée d’activiste dévoué à la cause, le développeur amateur se positionne professionnellement, met en place des signalements attestant de sa formation commu- nautaire. S’il se définit avant tout comme le défenseur d’un modèle libre et citoyen, il sait aussi s’infiltrer habilement dans les canaux du marché de l’emploi afin d’asseoir son image professionnelle et d’afficher ses prétentions à une mobilité sociale ascendante. © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Innovation ; Logiciel libre ; Communauté ; Professionnel-amateur ; Motivations ; Carrière Abstract Volunteer, disinterested participation in open source communities of innovation is shown to be compatible with the pursuit of professional goals; indeed, the two often go together. Those who contribute to open source software are both conscientious stakeholders in a community and economic “sleepers”. Besides assuming the position of an activist devoted to the “cause”, amateur developers stake out an occupational position and send signals attesting their participation in the community. Although they define themselves mainly as Adresse e-mail : [email protected] 0038-0296/$ see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.soctra.2012.03.019

L’« agent économique dormant » : enquête sur la capitalisation professionnelle de signalements communautaires

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Sociologie du travail 54 (2012) 217–232

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

L’« agent économique dormant » : enquête sur lacapitalisation professionnelle de signalements

communautaires

“Sleeper agents”: A survey on the professional capitalization ofcommunity particulars

Cédric CalvignacCERTOP, université Toulouse II Le Mirail, 5, allées Antonio-Machado, 31058 Toulouse cedex 9, France

Résumé

Dans cet article, nous montrons que la participation bénévole et désintéressée à des communautésd’innovation n’est pas incompatible avec la poursuite d’objectifs professionnels. Ces deux démarches vont,au contraire, bien souvent de pair. En d’autres termes, nous mettons en évidence le fait que les contributeursaux projets informatiques libres sont tout à la fois des acteurs communautaires diligents et des agents éco-nomiques dormants. En effet, en sus d’une position assumée d’activiste dévoué à la cause, le développeuramateur se positionne professionnellement, met en place des signalements attestant de sa formation commu-nautaire. S’il se définit avant tout comme le défenseur d’un modèle libre et citoyen, il sait aussi s’infiltrerhabilement dans les canaux du marché de l’emploi afin d’asseoir son image professionnelle et d’afficher sesprétentions à une mobilité sociale ascendante.© 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Innovation ; Logiciel libre ; Communauté ; Professionnel-amateur ; Motivations ; Carrière

Abstract

Volunteer, disinterested participation in open source communities of innovation is shown to be compatiblewith the pursuit of professional goals; indeed, the two often go together. Those who contribute to open sourcesoftware are both conscientious stakeholders in a community and economic “sleepers”. Besides assumingthe position of an activist devoted to the “cause”, amateur developers stake out an occupational positionand send signals attesting their participation in the community. Although they define themselves mainly as

Adresse e-mail : [email protected]

0038-0296/$ – see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.soctra.2012.03.019

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champions of a “free” model of citizenship, they also subtly infiltrate channels of employment in the labormarket so as to build up their professional image and lay claim to upward social mobility.© 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Keywords: Innovation; Freeware; Open source community; Professional/amateur; Motivations; Career

Dans le domaine informatique, de nombreux amateurs s’engagent bénévolement dans la pro-duction de services innovants. Mettant à la disposition de tous leurs propres contributions, ilsconcourent à la promotion collective de solutions techniques accessibles et ouvertes. Ce faisant,ils s’extraient d’une logique propriétaire de rémunération immédiate pour suivre une logique delibre circulation des données et de gratuité du service rendu (Stallman, 1985, 2001). Bien que cesdéveloppeurs amateurs se détournent des sentiers battus de la privatisation de leurs découvertes(système de brevets), ils ne rejettent absolument pas l’idée de mettre leurs innovations à profit.Il faut, par conséquent, se garder de croire que de telles pratiques communautaires se déroulenthors du marché ou en opposition à la commercialisation de l’activité innovante. En effet, rienn’empêche les porteurs de projets amateurs de créer des richesses, de générer des bénéfices grâceà la valorisation ex post de leurs solutions libres1. Rien ne les empêche de saisir au cœur de l’espacecommunautaire les opportunités professionnelles et marchandes qui se présentent à eux ou qu’ilsprovoquent. Il est donc tout indiqué de rendre à l’espace de développement communautaire saqualité de place économique où mûrissent des projets d’entreprise et où chacun a la possibilité dese signaler professionnellement parlant.

Dans cet article, nous montrons que la participation bénévole et désintéressée à descommunautés d’innovation n’est pas incompatible avec la poursuite d’objectifs professionnels.Ces deux démarches vont, au contraire, bien souvent de pair. En d’autres termes, nous mettonsen évidence le fait que les contributeurs aux projets libres sont tout à la fois des acteurs commu-nautaires diligents et des agents économiques dormants. En effet, en sus d’une position assuméed’activiste dévoué à la cause, le développeur amateur se positionne professionnellement, met enplace des signalements attestant de sa formation communautaire. S’il se définit avant tout commele défenseur d’un modèle libre et citoyen, il sait aussi s’infiltrer habilement dans les canaux dumarché de l’emploi afin d’asseoir son image professionnelle et d’afficher ses prétentions à unemobilité sociale ascendante.

Cette thèse de l’agent économique dormant sera ici étayée à l’aide de matériaux de premièreet de seconde main. Tout d’abord, nous introduirons notre propos par la convocation de récentesrecherches dont les résultats corroborent nos assertions sans que leurs auteurs partagent pourautant l’ensemble de nos analyses. Nous montrerons que les auteurs cités, s’ils ont effectuéun remarquable travail de recherche, ont quelque peu sous-estimé l’importance des motivations« carriéristes » qui orientent le parcours des développeurs amateurs. Fort de ce premier enseigne-ment, nous irons plus avant dans l’appréhension du phénomène en présentant nos propres résultats.Ces résultats sont issus d’une enquête quantitative questionnant les membres d’une communautéinnovante sur la possible exploitation professionnelle et marchande de leurs activités amatrices.Les matériaux recueillis — de nature déclarative — permettent de prendre en considération les

1 Nombreux sont les prestataires de services qui assurent l’assemblage, l’installation et la mise à jour de solutions libresauprès de leur clientèle. Cette commercialisation de solutions libres est à l’origine de nombreuses créations d’emploisdans le secteur informatique.

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intentions des interviewés et de se faire une idée de leurs futures réactions en situation. Ils donnentdes indications précieuses sur le sens de leur démarche, sur les projections professionnelles qu’ilsfont ou se refusent de faire. Enfin, ces données nous offrent l’opportunité de mettre au jour les dif-férents modes de capitalisation professionnelle des mentions et références amatrices (curriculumvitæ [CV], entretien d’embauche, montage d’entreprise).

Notre enquête a débuté, en janvier 2008, par la conception et la mise en ligne d’un questionnaires’adressant aux adhérents des communautés wifi européennes et nord-américaines2 (communau-tés libres de développement informatique). Elle s’est prolongée quatre mois durant pour laisser ànos destinataires le temps de répondre et de transmettre notre invitation à leurs propres contacts.Notre échantillon — il est important de le préciser — se compose essentiellement de responsables,membres fondateurs ou membres actifs des communautés étudiées3. Les porteurs de projet y sontsurreprésentés puisque près de la moitié des personnes interrogées assument des responsabilitésau sein de leur communauté (46 %). Les répondants sont donc des personnes très impliquées dansle projet. Leur implication s’accompagne d’un volume de travail, de conception et de réalisationélevé, sans doute majoré par rapport à celui de la population dans son ensemble. Gardons bienprésent à l’esprit cet état de fait.

1. La motivation carriériste, une motivation sous-estimée

En sciences économiques et sociales, la littérature portant sur le thème des développementsamateurs est devenue, en l’espace de quelques années, très abondante. Différents chercheurs ontapporté leur éclairage sur la question des mobiles des contributeurs bénévoles. D’importantesrecherches sur les communautés open source ont été dirigées dans le but de mettre en évidence lefonctionnement interne de tels projets et de saisir le système de récompenses ayant cours en leursein (Riggs et von Hippel, 1994 ; Flichy, 1995 ; Raymond, 1999 ; Gensollen, 1999 ; Niedner et al.,2000 ; Beuscart, 2002 ; Lakhani et Wolf, 2002 ; Lerner et Tirole, 2002 ; Demazière et al., 2005 ;Hertel et al., 2003 ; Lakhani et von Hippel, 2003, Auray, 2005 ; Auray et Vicente, 2006 ; Aurayet Kaminsky, 2007). Ces différents travaux s’accordent sur un point : deux types de motivationsprésident aux engagements communautaires. Les développeurs amateurs sont à la fois guidéspar des « motivations intrinsèques » inhérentes à l’activité innovante, et par des « motivationsextrinsèques » reposant sur la reconnaissance par autrui des efforts entrepris.

Pour nombre d’auteurs, la prédominance des motivations intrinsèques dans la participationamatrice est certaine. Comme est certaine l’importance des rétributions immédiates dont le déve-

2 Les participants à l’enquête ont été contactés via des courriers personnalisés, des messages postés sur des forums et listesde diffusion spécialisés. Le choix des associations et communautés sollicitées s’est effectué à l’aide d’un référencementendogène : ce sont les sites des communautés et associations connues qui nous ont renvoyé vers de nouveaux liens. Nousnous sommes également appuyés sur des listes mondiales de recensement de projets, listes mises à jour par les wifisteseux-mêmes. Un texte de présentation de notre enquête comportant un lien vers notre questionnaire en ligne a été diffuséà 271 reprises. Soixante-quinze courriers ont été envoyés à des responsables associatifs ou à des associations (adressese-mail de type [email protected] ou [email protected]), 143 courriers nominatifs ont été envoyés à deswifistes s’étant fait personnellement connaître. Nous nous sommes inscrits sur 32 listes de diffusion et 21 forums surlesquels nous avons posté notre message. Sur l’ensemble des envois, nous avons été confrontés à quelques problèmes demauvais adressage. Une trentaine de courriers nous sont revenus sans que nous ayons atteint nos destinataires. Au termede l’enquête, nous sommes parvenus à recueillir 208 questionnaires. Notre échantillon se compose donc de 208 membresde communautés wifi : 147 européens et 43 nord-américains.

3 Étant dans l’incapacité de joindre l’ensemble des personnes du réseau, nous nous sommes appuyés sur ces personnes-relais pour transmettre l’information auprès de leur communauté. Si certains ont pleinement joué le jeu en transmettantnotre demande à l’ensemble de leurs adhérents, d’autres n’en n’ont pas pris le temps.

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loppeur amateur bénéficie au cours de sa pratique ou dans son prolongement immédiat. Selon eux,les savoirs et savoir-faire acquis, le plaisir ressenti lors de la conception du service (Ryan et Deci,2000 ; Lakhani et Wolf, 2002) ou encore la satisfaction de répondre à ses propres besoins (vonHippel, 2002, 2005 ; Cardon, 2005, 2006) occuperaient une place centrale dans la déterminationde nos amateurs. Ceux-ci seraient donc principalement motivés par les retombées imminentes ettangibles de leur action. Nous donnons bien sûr crédit à cette analyse qui considère avec justesseque, sans un minimum de satisfaction à court-terme, l’engagement bénévole devient fragile etvolatil.

Dans la suite de leurs développements, ces mêmes auteurs précisent que l’exaltation propreà la recherche individuelle de solutions adaptées se double du sentiment mobilisateur de fairegroupe autour d’un projet. La nature même du projet, la définition collective d’un faire-ensembleaident à fidéliser les contributeurs. Ainsi, la motivation du développeur amateur peut avoir trait à unfonctionnement collectif qui lui sied et qu’il veut préserver et garantir (Raymond, 1999). Tout parti-cipant porte en lui, à des degrés différents, la volonté de faire vivre le projet, et pour cela, il contribueau bon fonctionnement d’ensemble, à l’évolution collective et unifiée des développements4.Apporter sa pierre à l’édifice, huiler la machinerie communautaire pour allonger son espérancede vie et gonfler son potentiel, tel est ce vers quoi tendent de nombreux participants. Ce der-nier critère inspire Siegwart Lindenberg (2001) qui décrit deux formes distinctes de motivations« intrinsèques » : « (1) enjoyment-based intrinsic motivation ; (2) obligation/community basedmotivation ». Siegwart Lindenberg range parmi les motivations relatives aux obligations commu-nautaires, l’entretien d’un mode d’entraide collectif et la volonté d’être reconnu par ses pairs.Selon nous, cette dernière intention relève plutôt d’une motivation « extrinsèque » dépendante dela réaction d’autrui et par-là même aléatoire.

Le désir de reconnaissance joue assurément un rôle non négligeable dans l’engagement commu-nautaire. Il se décline sous deux formes distinctes : celle de la reconnaissance entre pairs et cellede la considération des professionnels du domaine. D’un côté, le développeur amateur se souciede l’estime que lui portent ses semblables ; de l’autre, il envisage en fin tacticien les possibilitésprofessionnelles que son gain réputationnel lui procure. Quelle importance ont ces deux détermi-nants dans l’investissement communautaire ? Sont-ils ou non des issues réellement convoitées oun’est-ce là que la conséquence heureuse d’un engagement d’une toute autre nature ?

Les travaux de Sven Niedner et ses collègues et ceux de Karim R. Lakhani et Robert Wolfsemblent indiquer que ces considérations carriéristes ne viennent qu’après-coup, qu’elles setrouvent à l’arrière-plan d’une participation qui se justifie d’abord et avant tout par des moti-vations intrinsèques (Niedner et al., 2000 ; Lakhani et Wolf, 2002). Afin de nous en convaincre,ces deux équipes de recherche présentent des résultats statistiques montrant que les avancementsprofessionnels et la reconnaissance des pairs ont un faible pouvoir incitatif, que ces bénéfices sontmodérément attendus puisque relativement peu cités par les acteurs eux-mêmes5. Cette interpré-tation nous paraît, à vrai dire, peu convaincante. En effet, il nous semble que mettre sur le même

4 L’exemple de l’assistance entre pairs est l’illustration même de l’instauration tacite d’un principe de réciprocité surlequel tout participant compte. La consultation des problèmes rencontrés par d’autres est non seulement instructive maiselle est une astreinte à laquelle on se plie volontiers pour le bon fonctionnement et la progression du projet. En effet,pour beaucoup, le fait d’aider ponctuellement un des participants au projet alimente et légitime le modèle communautairepromu (attachement à l’ethos du groupe). L’assistance entre pairs est un fonctionnement collectif d’entraide régi par unprincipe de « réciprocité généralisée » (Ekeh, 1974) où le « récipiendaire original de l’aide » ne doit pas nécessairementrendre la pareille à l’individu émetteur du message mais est invité à alimenter le mécanisme d’assistance collectif.

5 Sven Niedner et al. ont réalisé une enquête quantitative auprès des membres de la communauté Linux. Au cours decette enquête, ils ont demandé aux développeurs d’indiquer le type de gains que leur participation amatrice leur permettait

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plan motivations « intrinsèques » et « extrinsèques » constitue une erreur. Selon nous, il s’agit làde deux registres distincts qui obéissent à des principes d’énonciation hétérogènes. Ainsi, quandl’interviewé déclare sans hésitation pouvoir bénéficier de récompenses directes et immédiates(amélioration du dispositif, plaisir du travail en équipe), il manifeste une plus grande réserve quandil s’agit d’évoquer l’acquisition de récompenses indirectes et différées dans le temps (opportunitésde carrière, changement de statut au sein de la communauté). Les personnes interrogées déclarentainsi, dans leur grande majorité, ambitionner de simples gains immédiats relevant de leur seulevolonté plutôt que des gains dépendants de la volonté d’autrui, de la perception d’une audience. End’autres termes, elles classent ces différents gains par ordre probable de survenance. Dès lors, lesopportunités de carrière peuvent être largement espérées mais n’être qu’occasionnellement citéestant elles dépendent d’événements sur lesquels l’acteur n’a pas de prise. Incertitude et modestieconfinent donc les développeurs amateurs à la mesure, à l’euphémisation de leurs chances, à ladissimulation de leurs espérances réelles (auto-censure).

Compte tenu de cette dernière remarque, il nous paraît judicieux d’analyser séparément lesdeux formes d’incitations identifiées. Il suffit pour cela de distinguer les bénéfices directs dontla délivrance est automatique des bénéfices indirects (ou différés) dont la délivrance est condi-tionnée et incertaine. Une fois redistribuées selon ce principe dichotomique, les données issuesde nos études-témoins peuvent à nouveau être exploitées. En les parcourant pour la deuxièmefois, on s’apercoit alors que, parmi les seules motivations extrinsèques, la capitalisation profes-sionnelle des travaux amateurs est la plus fréquemment souhaitée. Elle devance sensiblement lareconnaissance des pairs (Raymond, 1999 ; Lerner et Tirole, 2002)6. Ce résultat corrigé donne àvoir combien les projections professionnelles ont une réelle valeur incitative pour beaucoup dedéveloppeurs amateurs.

Un dernier élément vient parfaitement épouser notre argumentaire. Il s’agit d’une mise en gardeformulée par Alvin W. Drake et ses co-auteurs (Drake et al., 1982). Ceux-ci nous rappellent que lesdonnées déclaratives mettent en scène des acteurs qui expriment des motivations conventionnelles,normées, « socialement » acceptables. Les répondants sont en effet enclins à répondre selon uneligne discursive reprenant les motivations célébrées par le groupe (principe normatif). Cette formede conformation à l’opinion collective participe, là encore, de la sous-évaluation des réponsesen faveur des gains économiques et professionnels. Il n’est donc pas forcément recommandéd’interroger de facon frontale un individu sur les motivations qui l’ont poussé à prendre partà l’aventure communautaire. Il est sans doute ici préférable de faire un pas de côté pour se

d’espérer et d’attribuer à chacun d’eux une note allant de 1 à 5 : du bénéfice le moins important au plus important. Voiciles résultats bruts de l’enquête : « “Facilitating my daily work due to better software” = 4.7 ; “Improving my programmingskills” and “Having fun programming” = 4.6; “Personal exchange with other software developers” = 4.2; “Career advan-tages due to experience gained in Linux projects” = 3.7; “Gaining a reputation as an experienced programmer insidethe Linux community” = 3.5. ». On retrouve bien, en haut du classement, les motivations « intrinsèques » dont le bénéficeimmédiat est systématiquement loué, et, en bas du classement, les motivations « extrinsèques » qui nécessitent du tempset le concours d’autrui pour être satisfaites. Les résultats de l’enquête de Karim R. Lakhani et Robert Wolf vont dansle même sens. Ici, les deux auteurs demandent aux répondants de révéler les trois premiers motifs de participation à lacommunauté. Ils obtiennent les résultats suivants : « Intellectually stimulating (44%); improves skills (41%); code shouldbe open (33%); obligation felt from own use of open source code (29%); work with team (20%); enhance professionalstatus (18%); increase reputation in the open source community (11%) and beat proprietary software (11%) ». On voitici que la valorisation professionnelle (career) est préférée – même si de peu – à la valorisation amatrice. La capitalisationprofessionnelle occupe une place centrale dans les gains médiats (différés) attendus de l’activité.

6 Ces deux motivations extrinsèques, que nous avons nommé carriéristes, sont décrites par Josh Lerner et Jean Tirolecomme appartenant à une même famille de motivations : les « motivations de signalement ». Ces auteurs reprennent ici lanotion de « signalement » exploitée en économie par Michael Spence (1973) et Bengt Holmström (1999).

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déplacer de l’étude des motivations des développeurs amateurs vers l’étude de leurs réactionsune fois confrontés à des situations d’ordre professionnel (rédaction d’un CV, préparation d’unentretien d’embauche ou montage d’une entreprise). Ce changement de perspectives consisteà appréhender les enjeux économiques de la participation communautaire, non pas de faconabstraite en interrogeant les développeurs amateurs sur les fondements de leur action (intentionsde départ), mais de facon concrète en les faisant réagir à des situations courantes de recherched’emploi (délibérations à l’arrivée). En suivant ce cheminement, nous verrons qu’il existe unvéritable hiatus entre les déclarations de principe de l’acteur communautaire et ses principesd’action. En effet, alors que l’acteur communautaire hésite à afficher au grand jour ses vœuxprofessionnels, il se montre résolu à tirer parti de ses références amatrices lors de ses rencontresprofessionnelles.

2. Perceptions de la qualité professionnelle du travail communautaire

Avant d’examiner les réactions des développeurs amateurs aux mises en situation profession-nelles précédemment évoquées, nous sommes tenus d’indiquer en quelques mots ce que sontles communautés wifi et qui sont leurs membres. Les communautés wifi sont des organisationscoopératives et citoyennes dont le dessein est de mettre sur pied des infrastructures informa-tiques libres (Open Infrastructure7). La démarche de ces communautés consiste à promouvoirla création de réseaux sans-fil autonomes, de services de connexion locaux, autogérés et peucoûteux. Cet objectif ambitieux ne peut se réaliser qu’avec le concours d’usagers aguerris (ou« usagers-innovateurs ») qui élaborent les briques logicielles et les éléments matériels adaptés àcette télétransmission de données entre pairs. Il est ainsi nécessaire, pour ces communautés, decompter dans leurs rangs des individus aux solides connaissances informatiques. C’est en effet lecas puisque 65 % des « wifistes » interrogés sont étudiants, diplômés ou salariés dans le domainede l’informatique et que 40 % d’entre eux travaillent spécifiquement sur les réseaux et technolo-gies sans-fil. Une part importante des participants au mouvement Open Infrastructure travaillentdonc, de facon indifférenciée, à l’amélioration des techniques de télétransmission dans et horsdu champ professionnel. Deux tiers des répondants peuvent en effet être dépeints sous les traitsdu « professionnel-amateur » : cet individu qui parvient à marier travail et passion, « vocationprofessionnelle » et « intérêt personnel » (Cardon, 2005).

Le professionnel-amateur a la particularité d’aller et venir entre les sphères de « l’innovationpar l’usager » et de l’innovation industrielle (Flichy, 2007, 2010 ; Calvignac, 2008). Au cours deces allées et venues, il établit des correspondances, des points de convergence entre des projetsde nature communautaire et marchande (Calvignac, 2010). Dans un contexte où la frontière està ce point ténue entre amateurisme et professionnalisme, l’activité communautaire peut s’avérerhautement qualifiante sur le marché de l’emploi. L’agent économique dormant ne peut d’ailleursse manifester — sortir de son état de veille — que dans ces situations singulières où l’expériencecommunautaire a des chances d’être créditée sur la scène marchande.

L’usager-innovateur a d’autant moins de difficulté à passer d’un espace de développement infor-matique à l’autre qu’il se représente ses travaux communautaires comme pouvant rivaliser avecleurs équivalents professionnels. En effet, comme nous le découvrons au travers des Fig. 1 et 2, les

7 Le mouvement Open Infrastructure s’inscrit dans le prolongement du mouvement Open Source. Après la libérationde la partie logicielle des équipements informatiques, les militants s’attaquent à la libération de la partie matérielle,infrastructurelle de ceux-ci.

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Fig. 1. Qualification par les wifistes de leurs activités amatrices.

Fig. 2. Professionnalisme des travaux versus professionnalisme des individus.

personnes interrogées insistent dans le même temps sur l’amateurisme caractérisant leur positionet sur le professionnalisme se dégageant de leurs ouvrages communautaires.

Près de trois quarts des personnes interrogées disent de leurs travaux qu’ils sont « faits pardes amateurs » (72 %). Au travers de cette affirmation, les répondants soulignent — non pas leurinexpérience ou leur incompétence — mais le caractère peu contraignant de l’exercice commu-nautaire. Ils font ici référence à une charge de travail modérée (eu égard aux exigences du mondede l’entreprise) pouvant être répartie dans le temps selon leur convenance. Ils rappellent égale-ment que les efforts qu’ils consentent ne leur octroient aucune forme de rémunération directe et,qu’à ce titre, il serait inapproprié de les assimiler à des professionnels. Sous de nombreux rap-ports (temps investi, rémunération, officialisation du statut), ce rapprochement entre amateurs etprofessionnels ne tient effectivement pas. Finalement, seul un dénominateur commun semble enla matière pouvoir être avancé : les développements communautaires et industriels seraient, selonles interviewés, d’une qualité et d’une sophistication comparables. En effet, 71 % des répondantspensent que les travaux amateurs sont effectués avec tant de sérieux et de minutie que le résultatfinal est digne d’une offre marchande. Or, qui dit qualité professionnelle des réalisations amatricesdit haut niveau de compétences des contributeurs bénévoles. Ainsi, l’amateurisme, s’il se lit autravers des cadences chaloupées propres au développement libre, s’il traduit un réel désintéresse-ment (financier) des contributeurs, n’en demeure pas moins absent des faits et gestes des wifistesqui, au cœur de l’action, ne cessent de faire la démonstration de leur professionnalisme (Postigo,2003)8.

Le statut amateur des contributeurs doit ainsi être mis en perspective avec la stature profession-nelle émanant de leurs prouesses techniques. C’est en effet la richesse des travaux communautairesqui ouvre les perspectives de l’amateur sur des possibles applications ou capitalisations mar-chandes. Si les objets innovants produits sont à la hauteur des attentes d’éventuels employeurs,

8 Hector Postigo parle d’une « foule enthousiaste d’amateurs compétents » (“enthusiastic crowd of skilled hobbyists”).

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s’ils sont estimables sur un plan professionnel, les usagers-innovateurs ont tout intérêt à en fairevaloir la paternité au cœur du marché de l’emploi.

Ne reste maintenant qu’à savoir si l’acteur communautaire diligent autorisera ou non l’agentéconomique dormant à se manifester. Afin de le découvrir, nous avons confronté nos wifistes àl’éventualité d’une accréditation professionnelle de leur parcours amateur. Nous les avons notam-ment interrogés sur les comportements (effectifs ou présumés) qu’ils ont (ou auraient) adoptésface aux réalités du marché de l’emploi.

3. L’amateurisme qualifié : accréditations professionnelles du parcours amateur

De facon générale, on constate que, confrontés à une situation de recrutement ou de conver-sion professionnelle, les wifistes n’hésitent pas à capitaliser leur expérience communautaire,à s’appuyer sur elle pour gagner en considération ou consolider leur projet professionnel. Dela rédaction d’un CV à la création d’une entreprise en passant par la passation d’un entretiend’embauche, on enregistre une même constante : les ressources et capitaux communautaires sontfréquemment mobilisés sur le marché du travail.

À la question : « s’il vous fallait rédiger un CV, y feriez-vous figurer votre participation àla communauté wifi ? », 83 % des personnes interrogées répondent par l’affirmative. Majoritairessont donc ceux qui feraient connaître leur attachement à un projet informatique extraprofessionnel.Signaler son parcours communautaire, c’est pour le candidat une facon de se montrer enthousiastevis-à-vis du développement de solutions informatiques, de placer sur le registre de la passionl’activité professionnelle offerte. Pour l’employeur, c’est l’assurance de recruter un individu auxsources d’informations multiples (canaux professionnels et amateurs), autonome car familiariséavec le port de projet innovant. Le monde amateur s’invite dès lors fréquemment sur la feuille duCV.

Pour qui a eu l’occasion de feuilleter des CV d’informaticiens, il est frappant de voirsystématiquement apparaître, généralement en bas de page, une rubrique listant les systèmesd’exploitation et autres logiciels maîtrisés. La personne examinant cette rubrique n’a aucunmoyen de savoir dans quel cadre l’apprentissage du maniement de l’outil s’est effectué. Cetterubrique n’est pas sourcée, on ne sait pas si l’apprentissage en question s’est déroulé sur lesbancs de la faculté, en entreprise ou à la maison. Il y a donc, pour tout candidat, la possibilitéd’inclure des expériences communautaires et autodidactes — par essence non certifiées — dansla présentation de ses compétences. Les professionnels-amateurs ont alors toute latitude pourmêler savoirs et savoir-faire académiques, professionnels et domestiques.

Après avoir confectionné son CV, arrive le moment pour le candidat de solliciter une entrevueprofessionnelle. À nouveau, l’appartenance à une communauté de développement amateur peutêtre ou non mentionnée. Si l’on porte notre attention sur les antécédents des wifistes en la matière,on s’apercoit que 53 % d’entre eux n’ont pas fait valoir leur expérience amatrice au cours desentretiens d’embauche auxquels ils se sont présentés. Ils ont sans doute préféré mettre d’autreséléments biographiques en avant. Devons-nous en conclure que les « états de services communau-taires » du candidat sont percus, par le candidat lui-même, comme étant nuls et non avenus dansle cadre formel de l’entretien d’embauche ? Devons-nous penser les références communautairescomme étant inopportunes en pareille situation ?

Pour en savoir davantage, nous avons demandé aux répondants ayant choisi de taire leursexpériences communautaires, quelles étaient les raisons de leur choix : 45 % d’entre eux ontrépondu que le domaine dans lequel ils travaillaient n’avait aucun lien avec le wifi, 41 % ontdéclaré ne pas encore avoir passé d’entretien d’embauche, 8 % ont expliqué qu’ils n’avaient pas

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suffisamment participé à la communauté pour en faire état et enfin seulement 6 % ont affirméqu’ils ne pensaient pas que cela soit valorisable sur un plan professionnel. Si on rapporte cechiffre à la population totale, on s’apercoit que seulement 3 % des répondants pensent qu’évoquerleur carrière amatrice n’est pas une bonne chose lors d’un entretien professionnel. Ainsi donc, cedeuxième indicateur vient confirmer le fait que les candidats abattent sans sourciller leurs cartesamatrices sur le marché de l’emploi. Des cartes abattues afin de faire la démonstration de leurshabiletés, d’accroître l’attrait de leur CV ou de convaincre lors d’un entretien d’embauche quel’on maîtrise telle ou telle dimension du métier.

On le voit, l’agent économique dormant marche dans les pas de l’acteur communautairediligent. La pratique amatrice est instantanément traduite en termes de signalements profession-nels. Elle peut, lorsque le besoin s’en fait sentir, être mobilisée pour mieux étoffer le tableaudes compétences du contributeur. L’agent économique dormant peut également prendre le passur l’acteur communautaire diligent et entamer une révolution qui le conduira à se défaire duprojet amateur pour mieux assouvir ses ambitions professionnelles. Un nombre considérable decontributeurs bénévoles ne voient d’ailleurs aucune objection à revêtir le costume d’entrepreneur,à s’inspirer du contenu communautaire de facon à nourrir leur projet d’entreprise. En effet,travailler à son compte est un désir largement partagé au sein des communautés wifi : 50 % desrépondants l’éprouvent9. La moitié des personnes interrogées envisagent donc, dans un avenirplus ou moins proche, de créer une entreprise en lien avec le wifi. Ce chiffre tout à fait considérableillustre parfaitement la volonté des participants d’aller de l’avant, de « tenter des coups », de créeret développer leur solution et d’en tirer profit. Cet appel du large marchand est souvent lointainet tenu secret mais, pour certains, il peut se faire plus insistant et finir par se concrétiser.

Pour les trois situations examinées (CV, entretien d’embauche et création d’entreprise), nousavons identifié une véritable volonté de la part des développeurs amateurs de tirer avantage de leurexpérience communautaire sur la scène professionnelle, de créer des équivalences et des points decomparaison entre les mondes communautaire et marchand. Néanmoins, cette volonté n’est paségalement distribuée au sein de la population wifiste. Son expression dépend des traits identitairesde chacun des participants, de la situation dans laquelle chacun se trouve.

4. Identités des amateurs et surbrillance des marqueurs de compétences

L’identité des contributeurs pèse de facon significative sur la facon d’être à la communautéainsi que sur la facon de se comporter vis-à-vis du marché du travail. Quand certaines sous-populations n’accordent qu’une faible importance aux « motivations de signalement » (Spence,1973 ; Holmström, 1999 ; Lerner et Tirole, 2002), d’autres en font une priorité.

4.1. Le port des signes extérieurs de participation communautaire

Le premier des traits identitaires véritablement discriminant au regard de la question poséeest celui de la profession exercée. En effet, on observe chez les informaticiens de formation oude métier un port exacerbé des signes extérieurs de participation communautaire. Cette sous-population qualifiée se montre extrêmement sensible aux gains réputationnels acquis durantl’exercice amateur, elle cherche par différents moyens à les formaliser pour mieux les rendre

9 L’intitulé exact de la question posée est : « Envisageriez-vous, un jour, de monter une entreprise en lien avec les réseauxwifi ? ».

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visibles. On compte par exemple, au sein de la population informaticienne, 86 % d’individus quisouhaitent inscrire leurs performances communautaires sur leur CV, 56 % qui ont défendu leursatouts amateurs lors d’entretiens d’embauche et 58 % qui envisageraient de monter une entrepriseen lien avec le wifi. Ces pourcentages sont nettement supérieurs à ceux enregistrés pour le restede la population (78 % ; 31 % ; 37 %).

Ainsi, les informaticiens ont une plus forte propension à rehausser leur profil professionneld’accentuations amatrices. Cela leur est à la fois plus facile et plus utile. Plus facile, car les attributsacadémiques, professionnels et communautaires de l’informaticien-wifiste entrent spontanémenten résonance les uns avec les autres. Plus utile, car les opérations amatrices effectuées (déve-loppement technique, gestion de l’infrastructure) suscitent l’intérêt d’éventuels employeurs et/ouaident au lancement d’une solution d’entreprise.

Un grand nombre d’informaticiens se déclarent donc prêts à quérir, au sein de leur communauté,des signalements à visée professionnelle, des opportunités marchandes. La place qu’occupent cespréoccupations carriéristes dans leur esprit est plus importante qu’elle ne l’est chez des participantsayant une relation extraprofessionnelle à l’informatique. En nous concentrant sur cette sous-population d’informaticiens-wifistes, nous accentuons donc nos chances de voir se manifester lafigure de l’agent économique dormant, figure qui intervient puissamment dans le cheminementdes professionnels-amateurs. Nous choisissons donc, à ce stade de l’enquête, de limiter notreinvestigation à la seule population des informaticiens de métier ou de formation.

Au sein de cette sous-population, nous constatons tout d’abord que les « motivations designalement » sont plus présentes chez les jeunes informaticiens (Fig. 3).

Les individus en début de carrière ou dans l’attente d’un premier emploi aspirent davantage às’appuyer sur leurs expériences communautaires pour mettre leur candidature en valeur (66 %).Les professionnels plus aguerris — ayant entre 30 et 45 ans — mentionnent leurs contributionsamatrices avec moins de fréquence (51 %). Quant aux séniors et retraités, il va de soi que lanécessité de mettre en forme leur profil professionnel s’amenuise au fil des années et que, par

Fig. 3. Signalements amateurs lors d’un entretien d’embauche et générations d’informaticiens. �2 = 6,761 ; degré deliberté = 2 ; signification asymptotique = 0,034. Précisons que nous avons, pour des raisons de représentation statistique,écarté de l’échantillon deux répondants âgés de moins de 20 ans et trois autres âgés de plus de 60 ans.

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Tableau 1Type de formation et capitalisation des acquis communautaires.

Type de formation Avez-vous fait valoir votre expériencecommunautaire lors d’entretiens d’embauche ?

Oui (%) Non (%)

Formation universitaire L, M, D 49 51Formation professionnelle pré- et post-bac

(apprentissage, CAP/BEP ou BTS, IUT)79 21

Pour les types de formation, les équivalences de diplômes dans les pays européens et nord-américains ont bien évidemmentété respectées. �2 = 6,967 ; degré de liberté = 1 ; signification asymptotique = 0,008.

conséquent, la question de l’intégration d’éléments biographiques amateurs au cœur de l’échangene revêt plus autant de sens qu’autrefois (32 %).

Ce sont finalement ceux qui en éprouvent le plus le besoin qui se signalent, c’est-à-dire lesjeunes informaticiens qui ont encore tant à prouver et doivent notamment faire la démonstrationd’un véritable esprit d’initiative pour accéder à leur premier emploi. Des jeunes informaticiensdont le CV demande à être étoffé et qui percoivent les apports communautaires comme un complé-ment d’information pouvant jouer en leur faveur. La convocation d’indicateurs communautairesdans la sphère professionnelle dépend, nous venons de le voir, de l’âge des intéressés mais éga-lement du type de formation qu’ils ont suivi ou suivent. En effet, la fréquence des références auxapports communautaires est fonction du type de filière académique emprunté (Tableau 1).

L’exposé de ces résultats tend à montrer la forte dépendance qui existe entre parcours scolaire,filière suivie et propension à faire de son profil amateur une véritable vitrine de compétences.Il apparaît ici que l’exploitation professionnelle d’attributs communautaires est plus souventpratiquée par les individus issus de formations professionnelles (79 %) que par ceux issus deformations universitaires (49 %). À quoi peut-on donc attribuer cette différence significative entreces deux catégories d’acteurs ?

Cela est principalement dû à la teneur de la formation suivie. Lorsqu’un individu opte pour uneformation professionnelle, il fait le choix de mêler étroitement des apprentissages théoriques etappliqués. L’acquisition de savoir-faire en situation fait partie intégrante du contenu pédagogiqueproposé. Les stages en entreprise y sont primordiaux. L’apprentissage en alternance (CAP/BEP,BTS, IUT) met d’ailleurs particulièrement l’accent sur l’importance des heures passées dans lesconditions du futur exercice professionnel. Aussi, les diplômés sortant de ces filières vont, lorsde leur entretien d’embauche, miser tant sur la validation des enseignements suivis que sur lavalidation des expériences professionnelles acquises.

L’expérience amatrice, la participation au développement technique d’une infrastructure libre,rendent compte d’une forme d’apprentissage appliqué, certes non orthodoxe, mais qui sembleparfaitement entrer dans le cadre de la démonstration d’une maîtrise des tâches spécifiques quiseront confiées au futur employé. Cet apprentissage sur le tas pratiqué dans des conditions ama-trices est garant du maniement de certains logiciels et outils sur lesquels le titulaire du poste aura àtravailler. La mention de l’expérience communautaire peut donc être suivie d’effets positifs venantcréditer le parcours de candidats sélectionnés sur le critère du temps de pratique de l’activité.

Précisons que si certains des wifistes ayant suivi une formation professionnelle n’ont passignalé leur expérience communautaire lors de leur entretien d’embauche, aucun d’entre eux n’ajustifié cette omission par le fait que l’expérience communautaire acquise n’était pas valorisablesur un plan professionnel. Les diplômés de Licence, Master, Doctorat (LMD), au contraire, sont

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11 % à penser que ces indicateurs communautaires sont sans effet sur le jugement d’un éventuelemployeur.

Le comportement de chacun en matière d’instrumentalisation professionnelle de l’expériencecommunautaire varie en fonction du métier exercé, du type de formation recu, de l’âge et duplan de carrière du contributeur. Nous retiendrons que les contributeurs les plus susceptiblesd’afficher les marqueurs d’appartenance à une communauté innovante sont ceux issus des filièresprofessionnelles et ceux qui entament un début de carrière dans le domaine informatique.

4.2. Les marqueurs communautaires les plus valorisants

Les wifistes occupent différentes positions et responsabilités au sein de leurs communautésrespectives, celles-ci correspondent à des titres qui sont présentés sur le marché de l’emploi avecune occurrence et une conviction variables. Des adhérents aux fondateurs en passant par les tech-niciens émérites, différentes catégories de contributeurs peuvent être recensées. Ces différentesfigures de l’organisation communautaire manifestent une ambition plus ou moins soutenue enmatière de valorisation professionnelle des acquis communautaires.

L’un des titres les plus appréciés par les développeurs amateurs est celui de pionnier ou de fon-dateur. Il s’agit d’un titre prestigieux célébrant l’intuition et l’esprit d’initiative des plus précoces.Ce titre reflète également l’occupation d’une position idéale dans la chaîne des développementscommunautaires, une position qui permet de diffuser sa solution avant les autres et de la voir êtrepar la suite maintes fois citée, reprise et augmentée. Imposer de la sorte une forme de « patron »technique à ses propres successeurs permet de prolonger et intensifier les signaux de paternité del’innovation. Ainsi, les pionniers sont à l’origine d’un projet aux multiples ramifications, ce quiaccroît leurs chances d’être salué pour leur ouvrage communautaire.

Les fondateurs et pionniers bénéficient de références distinctives qu’il est très avantageux deconsigner sur un CV ou d’énoncer au cours d’un entretien d’embauche. Ainsi, quand 91 % despionniers souhaitent inscrire sur leur CV une mention communautaire, 76 % des nouveaux venusdéclarent vouloir en faire autant. Quand 65 % des précurseurs ont fait valoir leur expériencecommunautaire lors d’entretiens d’embauche, seulement 42 % des nouveaux venus y ont faitallusion. Aussi, la confiance acquise avec ce titre et l’expérience accumulée depuis l’entame duprojet donnent une certaine assurance aux pionniers qui envisagent, plus sereinement que le restede la population, la perspective d’une création d’entreprise de services informatiques (65 % despionniers contre 47 % des suiveurs).

Outre l’antériorité de l’engagement amateur, il faut prendre en considération l’importance durôle joué au sein de la communauté. En effet, il apparaît que les responsables communautaires(ceux qui assument des postes d’administrateurs au sein des associations étudiées10) mentionnentplus fréquemment leur participation au mouvement amateur lorsqu’ils candidatent à une offred’emploi. Les dirigeants des réseaux wifi pensent que leur statut peut faire la différence sur lemarché du travail. Il est évident qu’aviser d’éventuels recruteurs d’une simple participation à unecommunauté innovante n’a pas le même poids que d’en annoncer la présidence ou la gestion.En effet, les marqueurs classiques de « président », « trésorier », « secrétaire » ou « gestionnaire »attirent à eux des gains indirects plus nombreux, notamment des gains en termes de possibilités

10 La plupart des communautés wifi étudiées se sont structurées autour d’une association. Les adhérents des associationscréées ont été amenés à désigner quels seraient les membres du bureau de direction (président, trésorier, secrétaire).Quant aux communautés n’ayant pas fait cette démarche institutionnelle, elles désignent souvent des responsablescommunautaires qui recoivent les titres de porte-parole, administrateur ou gestionnaire.

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de carrière. Il est donc avantageux de les faire siens lorsqu’on caresse le dessein d’une promotionou d’une reconversion professionnelle. Ainsi, le titre de dirigeant enjoint ses possesseurs à fairepart de leur engagement communautaire : 95 % des responsables associatifs notifieraient leurtitre communautaire par écrit (sous forme de CV), 62 % l’ont mis en balance lors de précédentsentretiens d’embauche. Les simples adhérents sont quant à eux bien moins nombreux à rapporterleur parcours amateur, que ce soit par écrit (75 %) ou à l’oral (46 %).

Parmi les développeurs amateurs, il en est certains qui s’engagent simultanément dans plusieursprojets communautaires. Cette multi-appartenance est une véritable chance pour eux de varierleurs compétences amatrices et de se démarquer de leurs compagnons d’aventure. C’est aussi unefacon d’embrasser différentes innovations prometteuses, d’être de toutes les expéditions porteusesd’espoir. Les wifistes pluri-engagés reportent plus fréquemment leurs expériences amatrices surleur CV que ne le font les wifistes mono-engagés (95 % contre 79 %). Ils sont plus nombreux àavoir évoqué leurs engagements extraprofessionnels lors d’entretiens d’embauche (64 % contre49 %). Leur faculté à explorer différentes voies communautaires leur donne, de plus, une meilleurevision des possibles créations d’entreprise qu’ils pourraient initier (67 % contre 50 %).

Fondateurs, pionniers, présidents, gestionnaires, secrétaires ou trésoriers sont clairement dis-posés à mettre en lumière leurs titres communautaires sur le marché du travail. Les pluri-engagésle sont tout autant, eux qui cumulent les mandats et enrichissent leurs profils de marqueurs commu-nautaires variés. Ces différentes sous-populations informaticiennes sont résolument en prise avecle processus de valorisation professionnelle de leurs expériences amatrices. Leur comportementatteste d’un élargissement du champ d’influence et d’action de l’agent économique dormant.

Les membres de ces sous-populations informaticiennes investissent beaucoup de temps dans lacommunauté, ils passent de nombreuses heures à maintenir et améliorer le système technique pourle bénéfice de leurs adhérents. Ils sont assurément guidés par la volonté de faire vivre et progresserle collectif non-marchand qu’ils supportent ou dirigent. Ils sont des acteurs communautairesdiligents travaillant pour l’intérêt général. Mais ce qui est intéressant ici, c’est de voir que plusces participants hors classe s’investissent dans le projet amateur et le font progresser, plus ilsgagnent à se faire connaître sur le marché du travail et à initier des projets personnels sur lascène marchande. Dès lors, plus les développeurs amateurs s’impliquent, plus il est nécessaired’évoquer l’influence de l’agent économique dormant sur l’acteur communautaire diligent.

Il y a donc une progression parallèle de l’investissement communautaire, du nombre destitres et signalements amateurs glanés et de la mobilisation de ces cautions amatrices sur lemarché du travail. Cette progression confirme l’influence de deux forces opposées, l’une centripètequi attache le contributeur à l’aventure collective, l’autre centrifuge qui l’autorise à sortir de lacommunauté par le haut en présentant des équivalences professionnelles à un futur employeur.Chez chacun des contributeurs, on retrouve une ferme résolution à attiser le feu communautaireet une réelle inclination à y battre le fer de son profil professionnel. Cohabitent donc le souhaitd’apporter son tribut à l’ouvrage collaboratif et celui d’acquérir de nouvelles compétences dansune optique de gestion de carrière et de formation tout au long de la vie. Les grades et distinctionscommunautaires remplissent ainsi deux rôles : ils sont l’illustration de la reconnaissance des pairs(signes méritoires portés avec fierté) mais ils sont également, lorsqu’on les mobilise en ce sens,des instruments de négociation pour un emploi, une chance à saisir en termes de choix de carrière.

5. Conclusion

Au cœur des mouvements Open Source et Open Infrastructure, on assiste à un phénomène deconvergence entre les intérêts privés des développeurs amateurs et l’intérêt général des béné-

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ficiaires du service communautaire. En effet, quelle que soit la nature des motivations descontributeurs bénévoles, quelle que soit la finalité de leur engagement, leurs apports alimententle socle communautaire de connaissance et enrichissent le dispositif sociotechnique sans jamaisle mettre en danger. Ce point de l’immunité du dispositif sociotechnique et de l’immuabilité dela philosophie qui l’a vu naître est essentiel à la bonne compréhension des comportements ayantlieu au sein des projets libres. En effet, la force des mouvements libres réside dans le fait queleur devenir n’est pas soumis à l’inconstance des ambitions de leurs promoteurs. Leur force estde rendre indolore toute défection, de ne pas être fragilisés par l’expatriation professionnelle oumarchande de collaborateurs actifs. En définitive, la multiplicité des élans individuels, des butspoursuivis par chacun n’entame en rien la vitalité de la communauté ni n’entraîne la redéfinitiondu cap initialement fixé11.

Les projets libres accueillent donc des individus qui, une fois n’est pas coutume, éprouventune forme de « consonance cognitive » à suivre simultanément, et au cours d’un même projet, dessentiers communautaires — pavés d’amateurisme, d’altruisme et de mutualité — et des sentiersmarchands creusés dans la roche du professionnalisme, du calcul et de l’individualisme. Alorsqu’hors du monde libre, ces orientations opposées seraient irréconciliables, elles sont ici réuniesgrâce à une régulation communautaire qui favorise l’enrôlement d’individus aux perspectivesdiverses. Une telle « consonance cognitive » permet donc de voir cohabiter, chez un grand nombrede participants, deux figures ici complémentaires : celle de l’acteur communautaire diligent et cellede l’agent économique dormant.

Cette cohabitation singulière pèse, plus ou moins fortement, sur le parcours de chacun desparticipants. Un parcours jalonné de différents arbitrages entre des orientations strictementcommunautaires et d’autres plus ouvertement professionnelles. Ces arbitrages peuvent notam-ment se lire au travers de la répartition des tâches à effectuer au sein de la communauté. Eneffet, on sait que les tâches procurant un fort pouvoir de signalement attirent à elles une plusgrande proportion d’individus aux objectifs carriéristes (Lerner et Tirole, 2002)12. Les orienta-tions communautaires peuvent ainsi être prises, sans que cela soit clairement énoncé, en fonctiond’objectifs professionnels. Autrement dit, les contributeurs bénévoles échafaudent en coulissesun véritable plan de « carrière amateur » (Demazière et al., 2005)13 qui prend ou non en comptedes considérations marchandes.

Nous avons vu qu’il était extrêmement difficile de connaître la proportion de « plans decarrière amateurs » principalement ou partiellement élaborés sous l’empire de motivations pro-fessionnelles. Dans la première partie de notre article, nous avons démontré toutefois que lesétudes quantitatives portant sur ce thème sous-estimaient grandement la dimension carriériste del’engagement communautaire. Ces études se heurtaient au biais insoluble de l’euphémisation, par

11 Prenons le cas du plus incivil des participants pour qui la finalité professionnelle est l’unique levier motivationnel de sonengagement. Pareil participant incivil ne fait peser aucune menace sur le projet, ses efforts même s’ils sont entachés d’unutilitarisme féroce profitent au collectif. Et quand bien même lui prendrait l’idée de violer les conventions en délocalisantla solution communautaire sur un terrain marchand, il serait légalement empêché de mettre un tel plan à exécution. Eneffet, l’aliénation personnelle de moyens collectifs est ici clairement identifiable et est punie par la loi (copyleft).12 Ces deux auteurs montrent que les tâches telles la conception d’interfaces simplifiées (easy-to-use interfaces) ou le

support technique sont fort peu rémunératrices en termes de signalement et accueillent par conséquent des développeursfaisant peu de cas de la signaling incentive. Au contraire, ceux ouvertement intéressés par la signaling incentive dirigeraientleurs efforts en direction de tâches plus ardues et valorisantes telle l’écriture originale de lignes de codes.13 Didier Demazière et al. font référence à la notion beckerienne de « carrière » (Becker, 1963) pour analyser le fil

biographique d’un ensemble de développeurs amateurs et comprendre les différents niveaux d’engagement communautaire(ou paliers) que ces derniers franchissent.

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les personnes interviewées, de l’importance de leurs vœux professionnels sur leur engagementamateur. Nos propres données ne nous permettent pas de dépasser cet écueil, de neutraliser cebiais. Pour autant, elles nous donnent la possibilité de contourner le problème en nous éloignantdes déclarations de principe des développeurs amateurs (trop conformistes pour être prises ausérieux) pour mieux appréhender les principes d’action qu’ils mobilisent une fois confrontés auxréalités du marché de l’emploi. Notre travail de recherche ainsi orienté ne nous a pas permisd’identifier ceux qui font communauté pour mieux figurer sur le marché du travail (motivationoriginelle et surplombante) mais nous a fourni en contrepartie des informations sur la proportiond’individus qui capitalisent leurs expériences communautaires à l’occasion de rendez-vous pro-fessionnels. Il s’avère que cette proportion est très importante : la grande majorité des wifistestirent partie de leurs parcours amateur pour mieux accéder à une mobilité sociale ascendante.

Cet article a aussi clairement mis en évidence l’inégale diffusion des pratiques de capitalisationprofessionnelle au sein des différentes sous-populations isolées. Nous avons en effet découvertque les informaticiens de formation ou de métier sont plus susceptibles de mettre à profit leurexpérience amatrice sur le marché de l’emploi. Nous avons également vu que les individus ayantsuivi des filières professionnelles plutôt qu’universitaires intègrent plus facilement à leur profilprofessionnel des attributs communautaires. Enfin, nous avons remarqué que les cadres de lacommunauté, les plus engagés, les plus capés, font plus souvent référence à leurs expériences etréalisations amatrices lors des différentes phases d’un recrutement professionnel. Il nous sembleraisonnable de conclure que ces derniers, parce qu’ils ont été témoins du bon accueil que recoiventles indicateurs communautaires sur la scène marchande, ont pleinement conscience des gainsmédiats de leur engagement communautaire. Chez les développeurs amateurs les plus aguerris,le dialogue entre acteur communautaire diligent et agent économique dormant s’intensifie doncet pèse plus fortement sur les arbitrages rendus, sur le schéma actanciel adopté.

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