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L’agroécologie, une solution pour l’agriculture au Nord et au Sud ? Rencontre régionale organisée par Loos N’Gourma en partenariat avec Lianes coopération le 23 mai 2011 à Loos en Gohelle

L'agroécologie, une solution pour l'agriculture au Nord et au Sud ?

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L’agroécologie, une solution pour l’agriculture

au Nord et au Sud ?Rencontre régionale organisée par Loos N’Gourma

en partenariat avec Lianes coopération le 23 mai 2011 à Loos en Gohelle

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AFrançoisdeRavignan,

Cecolloqueconsacréàl’agroécologiefaitsuiteauxrichesdiscussionsetéchangesépistolairesquenousavonspuentreteniravecFrançoisdeRavignanentre2005et2010.

FrançoisdeRavignannousaquittésenjuindecetteannéeetc’estavecbeaucoupd’émotionquenousluidédionslesactesdecetterencontre.

Agronome,ancienchercheuràl’Inra,trèsattachéaumondepaysanduNordetduSud,c’estungrandhumanistequis’estéteint.

Françoisétaittrèssoucieuxdudevenirdespetitspaysans,deleurautonomie,etprônaituneréorientationdesressourcesenfaveurdesproducteursetsystèmesalimentaireslocaux.Ilnousencourageaitàyréfléchirpournosterritoires,encomplémentdenosactionsavecnospartenairespaysansafricains.

Sinousregrettonsden’avoirpaséchangéplus,nouscélébronsaujourd’huicettejoiedel’avoirrencontréetdeprolongerhumblementparcettejournéeetnosactionssontravailauprèsdespetitspaysans,pourledevenirdenotreplanète.

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Sommaire

Remerciements

p.2

Introduction,BéatriceBouquet,présidentedeLoosN’Gourma

p.3

Introductionàlajournée,Jean-FrançoisCaron,MairedeLoos-en-Gohelle

p.4

LaProblématiquedel’agricultureauSahel(BurkinaFaso,Mali,Niger,Bénin),SylvainKorogo,présidentdel’Avapas

p.6

Différentestechniquesdel’agroécologieauBurkinaFaso(SampiérietKamboincé)

p.15

LesformationsagroécologiedispenséesàSampiéri

p.17

EchangeautourdufilmSampiéri,unchoix:l’agroécologie

p.18

Laplacedel’agriculturedanslesprojetsdeSolidaritéinternationale,tablerondeaniméeparFrançoisFreytet

p.23

Panoramadel’agroécologiedansleMonde.Quelleplacepourl’agroécologiedanslespaysduNord?SilviaPérez-Vitoria

p.31

AgroforesterieetagroécologiechezDidierFindinier,paysanàCampagne-les-Boulonnais

p.38

Ledevenirdel’agricultureauNordetauSud:enjeux,risquesetsolutions,tablerondeaniméeparBertrandSajaloli

p.39

ConclusiondelajournéeparMajdoulineSbaï,vice-présidenteduConseilrégionalenchargedelasolidaritéinternationale

p.49

Lesstructuresprésentées

p.49

Orientationsetressourcesdocumentaires

p.51

Lesparticipantsdelajournéedu23mai2011

p.52

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Remerciements

àLianesCoopérationpoursonengagementànoscôtés,poursacoopérationetlaconvergencedevuessurlessujetstraités,

àDenisOuobapouravoirprisdesontempspournousrendrevisitedepuislevillagedeSampiérietnousavoirfaitprofiterdesaprésence,desontémoignageetdesonsoutien,

àSilviaPérez-Vitoriapouravoiraccepténotreinvitation,

àBertrandSajalolipoursadisponibilitéetsestalentsd’animateurpourlatablerondedel’aprèsmidi,

àMajdoulineSbaïetJean-FrançoisCaron,

àPaulineCasalegno,MarieDécima,EvelyneDesmolins,OdileDufly,FrançoisCharlet,MickaëlPoillionetFrançoisThéry,

auConseilrégionalNord-Pas-de-Calaispoursonsoutienfinancier,auConseilgénéralduPas-de-Calaispourlapriseenchargedel’éditiondesactes,àlaVilledeLoos-en-Gohellepoursonaidefinancièreetsonappuilogistique,àlaFondationpourlaNatureetl’Hommepoursonsoutienmoral.

Nosremerciementsnevontpasauxservicesdel’EtatfrançaisquiontrefuséàSylvainKorogolevisané-cessairepourparticiperàcettejournéeetenrichirlesdébats.Ilfutmalgrétoutprésentgrâceautextedesoninterventionquesaprévoyanceluiavaitfaitrédiger.

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Introduction Béatrice Bouquet, présidente de Loos N’Gourma

Bonjour et bienvenue à tous pour cette rencontre consa-crée à l’agroécologie.

Je tiens d’abord à remercier l’ensemble des interve-nants dont certains sont partis tôt ce matin pour assister à cette journée.

Je suis heureuse d’accueillir Silvia Pérez-Vitoria que j’ai rencontrée en 2008 à Albi lors du colloque internatio-nal sur l’agroécologie. Silvia Perez Vitoria était une des organisatrices de cette rencontre ainsi que François de Ra-vignan que nous avions reçu ici à Loos en Gohelle lors de la Semaine de la Solidarité Internationale en 2005.

Je souhaite par ailleurs exprimer notre colère. Nous attendions parmi les intervenants l’un de nos partenaires du Burkina Faso, Sylvain Korogo. Malheureusement, il n’a pas pu obtenir son visa ; il a été convoqué au service de l’Ambassade trois heures avant le décollage de l’avion pour se voir refuser son visa. Ce refus a été motivé par le fait que dans les différents documents que nous avions remplis il était précisé que nous allions l’héberger, mais non que nous allions le nourrir… Je vous laisse imagi-ner comment il a dû se sentir humilié, puisque Sylvain s’était rendu avec ses bagages à l’Ambassade à l’heure fixée pour le rendez-vous. Il est donc rentré chez lui. Il nous a néanmoins transmis le texte de son intervention via Internet.

Nous regrettons beaucoup son absence, parce que nous nous réjouissions de pouvoir vous faire partager l’expé-rience de Sylvain Korogo. En effet, Sylvain est vraiment une personnalité remarquable tant dans le domaine de l’agroécologie que sur le plan humain.

Nous saluons la présence de Denis Ouoba, notre parte-

naire sur le terrain, coordinateur des projets dans le village de Sampiéri. Sampiéri est un village de l’Est du Burkina Faso, vous le découvrirez tout à l’heure au travers du film qui vous sera présenté.

Je remercie également Lianes Coopération pour le partenariat très fort, très efficace pour la préparation de cette rencontre. Celle-ci n’aurait pu se tenir sans leur ex-périence et leurs réseaux. Cette journée fait suite à un col-loque régional organisé en 2008 par Lianes Coopération sur le thème Développement rural et agriculture. Nous avions souhaité le prolonger par des interventions plus lo-cales, plus spécifiques, comme celle que nous organisons aujourd’hui.

Cette journée s’inscrit également dans le cadre du 30e anniversaire de l’association Loos N’Gourma. Cet anni-versaire a été marqué hier par une journée spéciale qui a été l’occasion de faire la fête mais aussi de sensibiliser le public. Aujourd’hui, ce colloque sera davantage consacré aux projets et actions de solidarité internationale au Bur-kina Faso de Loos N’Gourma. Son thème principal sera l’agriculture et l’agroécologie. Soutenir un programme de développement agricole au Sud demande que nous por-tions un regard sur nos pratiques ici au Nord, ce sera le thème des discussions de l’après-midi. Nous connaissons nos comportements ici au Nord, leurs défauts nous inter-pellent, et nous constatons que, simultanément, le Sud a beaucoup à nous apprendre, voilà ce que nous voulions vous faire partager au travers de notre expérience.

Je laisse maintenant la parole à Jean-François Caron, conseiller régional et maire de Loos en Gohelle.

En espérant que cette rencontre comblera vos attentes,

je vous souhaite une bonne journée.

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Introduction à la journéeJean-François Caron, Maire de Loos-en-Gohelle

Bonjour à tous.

Beaucoup parmi vous connaissent Loos N’Gourma, d’abord par son expérience, trente ans d’action féconde. Il n’y a pas beaucoup d’associations qui arrivent à tenir comme cela une action au long cours, cela mérite d’être salué. Loos N’Gourma est caractérisée par un positionne-ment qu’il me paraît important de rappeler dans une jour-née comme aujourd’hui. Ce positionnement, c’est celui de la coopération décentralisée : l’idée est de travailler avec des acteurs de la même échelle, en l’occurrence celle de Loos en Gohelle. Ainsi le travail avec le village de Sampiéri, dans la commune de Kantchari au Burkina Faso va permettre une entrée dans le réel des deux côtés, dans la vie des villages, dans la vie des communes. C’est ainsi par exemple qu’il y a une harmonie très forte avec Denis Ouoba, Denis qui pour nous n’est pas quelqu’un de virtuel qu’on ne verrait qu’à travers des photos, je dis nous parce que je me considère également impliqué dans ce projet. Nous connaissons ses réactions, sa capacité d’analyse, sa capacité à travailler avec les paysans du Burkina Faso, et cela permet d’avoir un retour sur les expériences de par-tenariat et de coopération. Ce retour est à des années lu-mières de ce qu’on pourrait avoir si l’on devait se conten-ter d’un rapport écrit ou d’une exposition. La dimension humaine des partenariats et la capacité à analyser les réac-tions individuelles et collectives des uns et des autres sont très importantes. J’en profite pour saluer Denis qui est ici parmi nous depuis plusieurs jours et dont l’aide nous est précieuse. C’est cela l’intérêt de la coopération décentra-lisée qui, effectivement, évite toute une série de dérives et qui permet du coup de mesurer la réalité du partenariat sur le terrain et de ses effets tant pervers, puisqu’il ne faut pas se cacher qu’il y en a toujours, au moins potentiellement, que structurels sur la vie des différentes communautés.

Le deuxième point que je voulais aborder, c’est l’agri-culture. Je veux dire à quel point c’est un sujet extrême-ment important. On pourrait croire que chez nous la ques-tion est réglée et qu’en Afrique il y a toujours d’immenses problèmes pour produire et donc pour nourrir les popu-lations. C’est une vision simpliste et extérieure. Quand on regarde chez nous comment se passent les choses, on constate que c’est loin d’être un modèle à idéaliser. Cela fera sans doute grincer des dents, mais notre approche de l’agriculture est erronée sur beaucoup de registres :

D’abord sur le nombre d’emplois et d’exploitants agri-coles, puisque nous assistons à une réduction considérable qui est encore loin d’être achevée. Pour vous donner un

exemple, je recevais il y a quelques jours un élève de BTS du lycée agricole de Tilloy les Mofflaines qui me disait que dans sa classe ils n’étaient que deux élèves à être issus de fermes de moins de 120 hectares alors qu’ils sont tous fils d’agriculteurs, ce qui veut dire que pour quelqu’un qui voudrait devenir paysan, s’il n’est pas fils d’agriculteurs, c’est impossible. Pourtant il y a beaucoup de jeunes qui voudraient s’installer mais qui ne le peuvent pas.

Ensuite, par rapport à la concentration des activités agricoles : sur la commune d’Achiet le Grand, com-mune qui fait environ 900 hectares, le maire se vantait au Conseil régional de posséder 300 hectares et qu’il n’y avait plus que trois agriculteurs, ce qui leur permettait de mettre le territoire en ordre de marche, d’avoir des par-celles de grande taille, de mécaniser à outrance et tout cela avec très peu d’emplois. Ainsi, en plus du peu d’em-plois induits, cette conception de l’agriculture se révèle aussi décevante sur le plan de la ruralité, puisque ce n’est plus de la ruralité, c’est de l’industrie en secteur rural.

On peut ensuite parler de l’impact sur les sols. Nous en

sommes arrivés à un système où comme le disent certains agriculteurs : « Ben si tu ne mets rien, tu n’auras rien ». La qualité biologique des sols a été totalement épuisée, et, de ce fait, si on ne réalise pas des apports multiples, on ne récolte rien. De là provient l’érosion des sols liée au fait que les acides humiques qui retiennent les terres ont disparu et que désormais l’érosion prend là où elle était inconnue il y a cinquante ans.

Il y a également la question de la biodiversité et de l’envi-ronnement, avec des impacts multiples. A Loos en Gohelle par exemple, l’eau est à 100 mg de nitrates, soit deux fois la norme admise. Bien sûr l’agriculture n’est pas la seule responsable, l’industrie a eu également un impact très lourd. Mais nous sommes sur des terrains extrêmement crayeux, d’où les effets directs sur les nappes phréatiques de toutes les pratiques erronées, et cela va des toilettes des cités minières qui autrefois se déversaient directement dans la nappe, aux pratiques agricoles. Du temps d’Agrimieux, le salon qu’or-ganisait Serge Duvauchelle, j’avais été frappé quand les agri-culteurs expliquaient qu’ils en étaient à seize passages par an d’épandage de produits divers. Tout cela a des impacts sur la qualité environnementale qui se répercutent ailleurs : quand on dépense beaucoup d’argent pour amener l’eau aux normes de potabilité, c’est l’usager du service des eaux qui le paie à travers le prix du mètre cube d’eau délivré…

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Un dernier point, enfin, sur les aspects sociaux de cette conception de l’agriculture, c’est-a-dire la rupture du lien entre consommateurs et producteurs. Les agricul-teurs loossois, par exemple, dans leur immense majorité, produisent massivement, tous au-delà des cent quintaux à l’hectare pour le blé. Et le blé est un produit qui dispa-raît immédiatement dans des circuits européens, et le seul rapport qu’ils ont avec leurs clients, c’est le chèque de la Pac. Donc il y a une rupture complète avec le consom-mateur. Pourtant, historiquement, dans le bassin minier et à Loos en Gohelle en particulier, ce qui explique la ri-chesse des fermes et leur présence nombreuse, ce sont ces consommateurs habitant à proximité, cette population de mineurs qui achetaient la production locale. C’est même un souvenir personnel puisque je me rappelle avoir aidé à descendre des sacs de pommes de terre dans les caves des mineurs quand j’avais quinze ans. Ce type de pratique de vente directe permettait d’avoir du lien. Aujourd’hui cela s’est totalement perdu, et le pot de yaourt fait des milliers de kilomètres avant d’arriver dans notre assiette…

Ce modèle agricole a beaucoup d’inconvénients et ne doit pas faire rêver les Africains ; certes, il permet de pro-duire plus, mais il ne doit pas faire rêver. Quand je suis allé à Sampiéri au Burkina Faso et à Kabé au Bénin, j’ai été notamment frappé par l’invasion des OGM. Je crois qu’il y a peu de mouvements de résistance dans la mesure où les populations africaines sont encore loin de disposer de toutes les informations à leur sujet et ne sont donc pas en mesure de décrypter tous les avantages et les inconvé-nients. C’est d’ailleurs très intéressant d’en parler avec Sylvain Korogo, parce qu’en tant qu’agronome et agroé-cologiste, il a un discours extrêmement clair à ce sujet. On assiste donc à une invasion massive par les OGM et les pesticides, puisque ce sont les grandes firmes qui achètent les terres et qui les cultivent de cette façon, avec toutes les conséquences que j’ai citées auparavant. Quand nous étions à Kabé, une personne venait de décéder suite à la manipulation de pesticides, parce que les paysans ne sa-vent pas tous lire et ne sont pas formés à leur utilisation. Tout cela pour dire que notre modèle pourrait très vite se décliner là-bas à grande échelle ; notre modèle s’exporte et menace l’agriculture vivrière. C’est pourquoi je consi-dère que des journées comme celle-ci sont intéressantes dans cette idée de réciprocité et d’analyse d’autres modèles.

Pour terminer, j’ajouterai que la ville de Loos en Go-helle vient d’entamer une action dont je ne sais pas où elle va nous mener, mais qu’on pourrait qualifier d’assez radi-cale. La ville a mis de l’argent sur la table pour réaffecter des terres agricoles, 15 hectares exactement. Tout cela dé-clenche une levée de boucliers dans le monde agricole qui nous dit : « Mais de quoi vous mêlez-vous ? Cette histoire de reprise de terres ne regarde que nous ! », ce à quoi je réponds : « Non, nous avons la légitimité de la population, cela figurait dans notre programme. ». L’idée est de réta-blir des circuits courts, de développer l’agriculture bio, de développer des circuits qui permettent au consommateur de reprendre contact avec le monde agricole et donc de

maintenir la ruralité alors que les agriculteurs ne donnent que dans l’élimination de leurs concurrents. Evidemment la situation est extrêmement tendue. J’ai reçu en mairie une délégation de la FDSEA qui est venue me signifier que la municipalité n’avait pas à se mêler de cela. Cette rencontre a été très crispée, je leur ai dit : « Qu’est ce que vous cherchez ? A diminuer le nombre d’agriculteurs ? Moi je cherche à en augmenter le nombre. A aggraver leur image ? Moi je ne cherche qu’à l’améliorer. Vous couper de plus en plus des autres habitants ? Moi je veux recréer du lien entre les Loossois qui aimeraient acheter local. ». C’était un dialogue de sourds… Mais l’affaire est lancée. Ces 15 hectares vont être progressivement réaffectés pour faire du regroupement de bio, et progressivement refaire des circuits de proximité. Je ne sais pas où cela va nous mener, peut-être que la ville devra d’ailleurs aller jusqu’au tribunal. Pourtant, nous avons essayé de travailler avec la Safer, je le signale parce qu’il y a ici des spécialistes du milieu agricole, mais je pense que cela peut être une expérience intéressante. Je précise que nous n’avons pas acheté les terres, mais nous avons acquis le droit de pou-voir décider à qui on les affecte. En partenariat avec la Safer, nous avons dû mettre de l’argent sur la table et il n’y a qu’une mairie qui puisse faire cela.

Pour terminer, je voudrais revenir sur l’intérêt que je porte aux partenariats, comme celui qui nous lie à Sam-piéri et sur toutes les questions que j’ai mentionnées. Je crois en effet que nous arrivons à la fin d’un cycle et que le débat s’ouvre à nouveau. Nous allons avoir besoin d’expé-riences concrètes pour le mener, des expériences avec des réussites ou avec des échecs (qu’il est toujours intéressant d’analyser). C’est donc pour cela que je suis content que cela se fasse à Loos en Gohelle. Je tiens à féliciter Béa-trice Bouquet et toute l’équipe de Loos N’Gourma pour ce travail de longue haleine. En effet, cela nous permet de ne pas rester sur des déclarations d’intention mais nous permet d’envisager les choses de manière très concrète, d’en mesurer les effets à Sampiéri comme dans les vil-lages des alentours, de voir comment l’idée se diffuse, de repérer les résistances, etc. Je crois que les plus fortes ré-sistances sont d’ordre culturel. Plus les choses avancent, plus je suis frappé par le fait que seul le changement de culture des décideurs, des personnes ressources permet d’ouvrir des possibles. La démonstration par l’exemple est fondamentale pour la lutte contre les résistances cultu-relles et pour le changement des pratiques.

Je vous souhaite une bonne journée.

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La Problématique de l’agriculture au Sahel (Burkina Faso, Mali, Niger, Bénin)Sylvain Korogo, président de l’Avapas

I. Contexte agricole du Sahel

I.1 Le portrait du Sahel

C’est un espace allant du Tchad au Cap-Vert et couvrant une superficie de 5,4 millions de km² pour une population qui tend vers 160 millions d’habitants. Le couvert végétal du Sahel est composé de buissons, d’herbes et d’arbres rabougris. Zone à très faible pluviométrie, les récoltes sont aléatoires, seules y poussent quelques plantes très rustiques résistant à la sécheresse.

Les habitants du Sahel sont à prédominance agriculteurs et éleveurs. La croissance démographique est très rapide (en-viron 3,5 %, avec une urbanisation très forte dont le taux d’accroissement est d’environ 7 %). Aujourd’hui le terme Sahel s’applique autant à une zone agroclimatique qu’à une entité géopolitique :

• 13 pays forment le Sahel ;• 70 millions d’hectares de zone désertique ;• Région la plus pauvre du monde ; la majorité des Sahéliens dispose de moins d’un dollar par jour pour survivre ;• La faim et la malnutrition touchent la majorité de sa population ;• La dette extérieure progresse d’année en année.

Victime d’un environnement écologique fragile et d’un contexte international qui la marginalise, la région du Sahel n’a pas encore réussi à trouver le chemin de son propre développement. Néanmoins, des dynamiques porteuses se dessinent à l’horizon du nouveau millénaire. Condamnés à une même communauté de destin marquée par l’étroitesse des économies et des marchés nationaux, les contraintes agroclimatiques, les relations de dépendance avec le Nord et quelques pays du Sud, le constat amer du diagnostic depuis nos indépendances (1960) à nos jours nous plonge dans la nostalgie du passé d’un Sahel vert à l’abri des infections du modernisme :

• Les OGM,• Les pesticides, engrais chimiques et herbicides,• La couche d’ozone,• Les changements climatiques et l’irrégularité des pluies (200 à 500 mm par an de juin à septembre, baisse des

précipitations de 30 %).

Notre pays, le Burkina Faso et ses voisins Mali, Niger et Bénin ne sont pas en marge de cette situation.

I.2 Le Sahel d’hier

Le Burkina Faso, le Mali, le Niger et le Bénin, tous pays sahéliens, vivaient une agriculture de subsistance mais à caractère autonome. Bien que n’étant pas une région de grandes forêts, ses potentialités étaient non négligeables. Du témoignage de beaucoup de personnes ressources (vieux, vieilles, autorités coutumières), le Sahel possédait des forêts arbustives très riches en faune dans toute sa diversité (éléphants, antilopes, buffles, lions, hyènes, panthères, etc.).

L’agriculture nourrissait son homme car les terres étaient fertiles ; le sahélien en ce temps n’était pas un ennemi mais un ami de la nature (environnement) car toute la sagesse sahélienne y trouvait sa source (contes, légendes, noms de per-sonnes, noms des grands rois, forces occultes).

Les vertus et la richesse de notre environnement étaient connues de tous, aimées, respectées et vénérées. Le ciel dans la vision traditionnelle est l’incarnation de Dieu et la terre son épouse. Ces deux forces et puissances font vivre l’homme, le végétal, l’animal, les créatures dans toutes leurs diversités, le monde visible et invisible, tout ce qui dicte notre conscience et notre subconscient.

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L’omnipotence des dieux de la nature garantissait la paix, la joie, la nourriture car il pleuvait. Même si le Sahel n’était pas excédentaire en production, les populations mangeaient à leur faim. Les populations en dehors de celles initiées au coran étaient analphabètes mais ne perdaient aucun grain de leurs richesses culturelles ni aucun maillon de la chaîne de leur histoire depuis les aïeux.

La pollution sous toutes ses formes était ignorée des populations sahéliennes ; l’eau des marigots et des mares était consommée sans danger. Les innombrables maladies actuelles « sans nom » étaient ignorées.

La cohésion et la morale étaient très fortes et vivantes. L’organisation sociale n’avait jamais souffert de tant d’entorses et de luxations. L’enfant était l’enfant de tous, l’enfant appartenait à tous et éduqué comme tel. Les hommes n’avaient jamais autant été esclaves de l’argent. Le slogan « Tous pour un, un pour tous » était connu et respecté de tous ; il semblait donner à la vie sa beauté, son charme, sa qualité.

I.3 Le Sahel d’aujourd’hui ou le Sahel de la dépendance

Tel siècle, tels mœurs; le Sahel nostalgique ou le Sahel d’hier a cédé sa place au Sahel d’aujourd’hui, Sahel des muta-tions. C’est à partir de la colonisation que certaines mutations dites positives ont vu le jour : les moyens de déplacement modernes, les moyens matériels de l’agriculture moderne, les moyens modernes de traitement des plantes, des animaux, des hommes, les moyens modernes de stockage et transformation des produits, les moyens modernes pour enrichir les sols (engrais), les moyens modernes de communication avec les hommes (téléphone, internet) rompant ainsi le contact humain direct; une science moderne avec sa mentalité, une science sans conscience puis-je dire.

Tout le comportement de l’homme est devenu un reniement de sa personnalité vis-à-vis de la nature et toutes ses composantes. Dans la concession, dans le marché, sous l’arbre à palabre, du plus vieux au plus jeune, des murmures, des plaintes tacites ; le même constat et les mêmes sentiments animent les esprits et les cœurs. Des interrogations sans réponses ! Qui sommes-nous ? Où allons-nous ?

Les peuples du Sahel dans leurs diversité et responsabilité sociales et politiques doivent trouver des réponses aux pro-blèmes qui minent notre développement, à savoir :

• L’analphabétisme limitant l’impact des formations et l’accès à d’autres sciences ;• Le manque de formation agricole de base des acteurs (on est agriculteur par défaut et par le biais unique de l’ap-

prentissage familial) ;• La non-diversification de la production : on produit pour nourrir uniquement sa famille (agriculture de subsis-

tance) ;• Le complexe d’infériorité des agriculteurs vis-à-vis des autres travailleurs : le paysan se considère comme un chô-

meur, il ne considère que le travail salarié ;• La mentalité archaïque des couches vulnérables ;• L’absence de planification dans les activités ;• Le temps de chômage supérieur au temps de travail dans l’année ;• La migration des bras valides vers les villes, les pays côtiers, l’Europe, l’Amérique, l’Asie ;• Le mépris des jeunes vis-à-vis du travail manuel et surtout du travail de la terre ;• La dépendance des jeunes à l’alcool et autres vices ;• La démographie galopante ;• L’urbanisation effrénée des villages ;• Les effets pervers du modernisme, des technologies de l’information et de la communication (vidéo, télévision) ;• Le chômage chronique ;• Le libertinage des jeunes (vie déboutonnée) ;• L’inadaptation du système scolaire ;• Les quelques lycées agricoles sans appui ni accompagnement à l’installation des jeunes ;• Les langues nationales en hibernation (sans ouverture professionnelle) ;• Les relations conflictuelles entre vieux et jeunes ;• L’argent mène le monde, tout est monétisé, le système éducatif, les relations humaines ;• La vie sans sobriété (trop d’excès) ;• La pollution, les OGM ;• La mauvaise gouvernance où l’obligation de rendre compte n’est plus respectée ;• Le désastre du Sida ;• La mauvaise répartition des richesses ;• Le manque d’eau.

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I.4 Le constat amer sur le passé et le présent des agriculteurs sahéliens

Au triple plan économique, social et culturel, les populations du Sahel ont fait un diagnostic de la situation et le constat est sans équivoque.

Dans la région du Sahel, la population a considérablement augmenté avec toutes les conséquences que cela implique. Les habitudes ont évolué à cause du modernisme (instruction, interpénétration des peuples, mondialisation). Ces muta-tions ne contribuent pas toutes au développement humain durable ; en témoignent les guerres fratricides, la dislocation de la cohésion sociale, le développement de la mentalité bourgeoise marquée par les inégalités et l’exclusion sociale.

Les savoirs et savoir-faire traditionnels locaux sont oubliés, sous-exploités ou même inexploités. La déontologie tra-ditionnelle est méconnue des jeunes. Les autorités paternelle et maternelle sont à genoux. La dépendance de plus en plus exagérée de l’homme vis-à-vis de l’argent a développé l’égoïsme, la méchanceté. Le caractère humaniste de l’homme est en train de battre de l’aile. Beaucoup de vieux par ironie ont baptisé nos enfants, notre jeunesse, les « enfants des blancs » ; ceci pour dire que les jeunes sont déracinés et se préoccupent d’imiter la manière de vivre occidentale. Tout ceci est aggravé par la dépendance culturelle qui fait que celui qui ne parle pas français, même alphabétisé dans sa langue maternelle, se trouve marginalisé.

L’économie de la région du Sahel n’a pas cessé de se dégrader depuis les années de l’indépendance (1960) ; ce constat est spécifiquement lié au secteur agricole car toute l’économie sahélienne est liée à l’agriculture et à l’élevage. Que dire d’un développement de substitution qui écarte les valeurs culturelles et la capacité d’autopromotion des producteurs sahéliens ? Pendant 50 ans notre terre nourricière, nos hommes, nos femmes, nos animaux, notre environnement en ont été victimes. Nos terres «droguées» par les engrais sont devenues stériles. Les différents produits chimiques ont créé un déséquilibre écologique. La biodiversité dans toute sa dimension a été fragilisée. Les hommes, les animaux, les plantes sont victimes d’innombrables maladies dites « maladies du siècle nouveau ». Les effets pervers du divorce de l’homme avec la nature sont manifestes, tangibles.

Ce constat amer interpelle tous les décideurs de la région du Sahel, et le reste du monde à l’application des conventions internationales sur le développement durable dans toutes leurs dimensions.

I.5 Le Sahel de demain ou le destin des agriculteurs sahéliens

Le Sahel de demain sera ce que ses fils auront fait de lui aujourd’hui. Qu’attendent les gouvernements, les décideurs du Sahel pour faire de notre croissant potentiel humain le bouclier de toutes les calamités naturelles que nous vivons par manque d’option politique claire de développement ?

Le Sahel de demain doit être le Sahel de la souveraineté, le Sahel de l’autosuffisance alimentaire, le Sahel de l’enga-gement et de la détermination. L’agriculture et l’élevage ne sont-ils pas le fer de lance, les deux mamelles de l’économie sahélienne ? Cinq décennies d’agriculture conventionnelle nous ont donné la preuve que notre misère et notre pauvreté sont grandissantes.

Par l’éducation et la formation, les populations sahéliennes doivent désormais rompre avec la mentalité de dépen-dance, d’éternel assisté en boutant de notre région, la famine et tout son cortège de malheurs ; on ne copie pas le déve-loppement ; le développement se construit à sa taille, à sa mesure ; l’homme est l’artisan de son propre développement.

II est utopique de croire que les beaux discours démagogiques actuels feront bouger la misère d’un pouce dans le tiers-monde, surtout au Sahel.

Le Sahel de demain, c’est le Sahel de la professionnalisation agricole, débarrassé de la pollution, des produits et des engrais chimiques, des OGM et que sais-je encore. Les peuples sahéliens doivent désormais avoir confiance en eux-mêmes, en leur histoire, en leur science, en leur culture, en leur capacité à se déterminer sur la base de la critique et de l’autocritique vis-à-vis de la politique d’exclusion des grandes puissances. La voie de développement du Sahel est claire, il faut qu’il arrête de téter au biberon, qu’il casse les chaînes de la dépendance créée et entretenue par les grandes puissances. Il faut que le Sahel choisisse d’aller lentement mais sûrement ; il faut que son option de développement soit durable.

L’agriculture, l’élevage, la santé, l’éducation, la formation au Sahel doivent être fondés sur le durable, au sens large du terme. Le développement durable est celui qui implique d’amont en aval le bénéficiaire-concepteur-réalisateur ; il y participe par son engagement moral, matériel et souvent financier. En d’autres termes le développement durable est celui qui est respectueux de l’homme et de l’environnement.

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II. L’introduction au Burkina Faso de l’Agroécologie comme alter-native de lutte contre la faim et la pauvreté en milieu rural

Produire sain, se nourrir sain devrait être la devise du Sahel pour le nouveau millénaire. Cette conviction du dévelop-pement agricole durable nous a été inspirée depuis 1981 par Pierre Rabhi, paysan français sans frontière. La contribution de Pierre Rabhi à une reconversion de l’agriculture a été et demeure un gage de développement endogène et durable au Burkina Faso. Par l’information et la sensibilisation, il a travaillé à l’éveil des consciences burkinabé en agroécologie en général, en agrobiologie en particulier ; son message a interpellé non seulement les décideurs mais surtout les laborieuses populations à avoir un regard critique sur le passé, le présent et à miser sur leur avenir.

III. En quoi l’Agroécologie peut être une solution aux problèmes agrosylvopastoraux en Afrique sahélienne

L’agroécologie permet aux producteurs de trouver les solutions aux problèmes agrosylvopastoraux par eux-mêmes et pour eux-mêmes. Elle est basée sur les connaissances et les logiques locales :

• Produire sans détruire : elle améliore la productivité et la stabilité de l’exploitation• Maîtriser les techniques d’amélioration de la fertilité des sols• Régénérer le sol et établir les équilibres naturels pour la sauvegarde de la biodiversité• Maîtriser la gestion rationnelle de l’eau en agriculture (aucune goutte d’eau ne doit se perdre)• Assurer l’association et la rotation des cultures et la diversification des activités• Protéger et restaurer l’environnement• Maîtriser les savoirs, savoir-faire et savoir-être en agroécologie et en agrobiologie• Gagner en quantité et en qualité sur les terres les plus arides• Faire usage des variétés sélectionnées• Associer culture et élevage• Maîtriser les techniques de protection phytosanitaires naturelles• Elle limite les conflits fonciers• Maîtriser la planification et l’organisation des activités• Elle fonde sa stratégie sur l’universalité de l’interdépendance et la complémentarité (hommes, animaux, végétaux).

IV.1 La formation des acteurs

Un pays ne vaut que ce que valent ses hommes ; cela se confirme par le dicton : “Tant vaut l’homme, tant vaut la terre“. Se former pour valoriser ses capacités intellectuelles et physiques dans le métier que l’on exerce (agriculture, élevage, commerce, artisanat) est une nécessite incontournable. Le savoir et le savoir-faire s’acquièrent à travers la formation qui se scinde en deux axes :

- La formation théorique : Avant toute action, il faut au préalable, avoir un savoir qui soit lié à cette activité. Le savoir fait appel aux livres, aux journaux, aux exposés, aux débats. En Afrique au temps ancien le savoir était acquis dans la communication orale auprès des vieux, des vieilles soit en milieu familial, soit sous l’arbre à palabre, soit à certaines occasions ponctuelles de la vie. Chaque groupe socioprofessionnel a ses savoirs et savoir-faire (éleveurs, maraîchers...). Sans savoir, il n’y a pas de savoir-faire.

- La formation pratique : Elle se traduit, en termes d’actions, par la capacité à mettre en pratique ce que l’on sait théo-riquement. Dans le contexte des producteurs agrosylvopastoraux, c’est être capable de :

• Apprendre à lire et à écrire en langues nationales• Produire le compost• Produire des plants en pépinière• Pratiquer l’embouche animale• Pratiquer les activités de conservation des eaux et des sols• Pratiquer le zaï, le zaï forestier• Savoir travailler le sol• Savoir gérer les outils de l’exploitation (tenir les registres)• Savoir faire un compte d’exploitation• Savoir évaluer et s’auto évaluer• Savoir appliquer les pratiques agroécologiques pour une agriculture durable.

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Les formations théorique pratique sont les deux sources d’où toutes les organisations socioprofessionnelles puisent leurs compétences pour atteindre leurs objectifs de production.

La préoccupation constante de l’Avapas est de dispenser des formations tant théoriques que pratiques aux promoteurs agrobiologiques des communautés de base ; un paquet technologique des pratiques agroécologiques est dispensé aux femmes, aux hommes et aux jeunes pour les rendre capables de :

• Affirmer leur identité d’agriculteur dans l’agriculture durable• Maîtriser techniquement les facteurs de production• Maîtriser les techniques écocitoyennes• Maîtriser les techniques d’association élevage/agriculture• Maîtriser les techniques de conservation et de transformation agroalimentaires (femmes)• Maîtriser les techniques de maraîchage• Maîtriser la démarche agroécologique qui traduit la démarche qualité en agriculture durable. Les formateurs de l’Avapas impliquent le public suivant :• Paysans et paysannes,• Eleveurs,• Maraîchers,• Tradipraticiens,• Lycées et collèges,• écoles primaires publiques (l’école et la production),• Centres de Perfectionnement Ruraux (CPR),• Fonctionnaires en retraite pour la production (fermiers),• Commerçants (importateurs, exportateurs, transformateurs).

IV.2 Le foncier, un atout de la lutte contre la faim et la pauvreté

L’agro-business risque d’élargir le fossé entre pauvres et riches. Dans des pays à vocation agricole comme le Burkina Faso, le Mali, le Niger et le Bénin, une bonne répartition de la terre permettrait aux 90 % des paysans de survivre sur les terres que leur ont léguées leurs parents. La terre n’est jamais refusée à celui qui veut construire pour y habiter. Elle n’est jamais refusée non plus à celui qui veut produire pour se nourrir. L’agro-business et l’urbanisation effrénée commencent à être des dangers pour le développement agrosylvopastoral en Afrique et particulièrement au Burkina Faso. De nos jours, les terres dénudées au Burkina Faso sont en voie de revalorisation grâce aux pratiques agroécologiques (zaï amélioré, conservation des eaux et sols).

Culturellement, la terre n’est jamais vendue au Burkina Faso. Actuellement nombreux sont les paysans en zones semi-urbaines qui commencent à spéculer leurs terres de peur que le prochain lotissement ne vienne les leur confisquer. L’agriculture péri urbaine est toujours une nécessité incontournable pour faire vivre des millions de vies. Nombreux sont ceux qui vivent en ville mais qui vivent de la terre.

La sécurisation foncière en milieu rural doit prendre en compte les réalités socioculturelles et économiques dans nos pays du Sahel. C’est seulement à ce prix que le Burkina Faso et les différents pays tireront leur épingle du jeu.

A l’actif de l’Avapas, des actions concrètes sont déjà engagées pour freiner la pression foncière grandissante : • La pratique d’une agriculture intensive ; • La récupération des terres dégradées par la pratique du zaï ;• L’utilisation du compost pour une meilleure productivité et une meilleure gestion de l’eau en agriculture ; • La diversification des productions agricoles.

IV.3 La diversification des activités de production

Au Burkina Faso, l’année est divisée en deux saisons : • Une saison pluvieuse (juin à octobre, soit 5 mois) ; • Une saison sèche (novembre à mai, soit 7 mois).

98 % de la population Burkinabé vivent des productions des activités hivernales. La contre saison connaît peu d’activi-tés de production sauf quelques activités artisanales. Cette période de temps mort ou de chômage de sept mois, marquée par des funérailles, les fêtes coutumières et autres, affame les familles et ruine toute leur économie. Le manque d’activités diversifiées planifiées sur les douze mois de l’année rend les populations pauvres.

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L’Avapas a fait sienne cette préoccupation et tente de créer avec les populations des activités couvrant à la fois la contre saison et la saison pluvieuse. Le maraîchage, la gestion des pépinières individuelles et collectives, l’apiculture, l’embouche animale, les AGR (activités génératrices de revenus) pour les femmes sont parmi tant d’autres des activités vulgarisées par I’Avapas. De plus en plus de paysans ont pris conscience qu’ils doivent valoriser les douze mois de l’an-née par des activités diversifiées.

IV.4 Le paysan est un garant du terroir

La terre appartient à l’Etat, dit-on chez nous, mais le paysan est le garant du terroir. Les valeurs socioculturelles met-tent le paysan comme le premier attaché à la terre, à l’environnement, donc garant du terroir sur les plans économique, social et culturel. Toutes les vertus inestimables du terroir font l’épanouissement du paysan dans le passé, le présent et l’avenir. Il est garant du terroir parce que toute sa vie et sa prospérité s’y trouvent rattachées. Son existence est dépen-dante du terroir. De nos jours, nos griots chantent bien les louanges de l’affinité entre l’homme et son environnement.

L’Avapas fait du paysan un chercheur, un innovateur, un écocitoyen, un protecteur de la terre-mère, mamelle de la biodiversité.

La fonction d’agriculteur est dévalorisante en Afrique en général et au Burkina Faso en particulier. Demandez à un paysan : « Que fais-tu ? » Il répondra : « Je ne fais rien. Je suis sans travail. Je cultive la terre. » Les fonctionnaires intellec-tuels ne finissent jamais d’ironiser : « Il est comme un paysan ». On dira à un jeune écolier paresseux : « Si tu n’apprends pas ta leçon, tu prendras la daba ! », la daba est l’outil traditionnel du paysan burkinabé. Voilà tant d’opinions, d’appréciations qui ont contribué à dévaloriser la fonction du paysan. La jeunesse considère le travail de la terre comme une malédiction, un mauvais sort pour ceux qui exercent ce noble métier. L’heure est venue enfin pour toutes les couches socioprofession-nelles en Afrique de considérer le travail de la terre comme un salut, une profession qui mérite amour et respect.

L’agriculture, l’appellation paysan doivent cesser d’être un tabou pour les jeunes qui sont l’avenir, l’espoir de nos peuples sur les plans économique, social et culturel.

Pour ce faire nous interpellons la jeunesse d’Afrique en général et la jeunesse du Burkina Faso en particulier qu’avec la terre-mère, il n’y a pas de chômage. Soyons fiers de la terre, relevons le défi pour une Afrique débarrassée de la faim et de la pauvreté. Celui qui investit dans la terre-mère multiplie son taux d’intérêt à l’infini. Celui qui travaille au soleil mangera à l’ombre, à l’exemple de la fable : « La cigale et la fourmi».

L’agriculture est le fer de lance du développement durable du Burkina Faso. II faut donc redorer le blason agrosyl-vopastoral du Burkina Faso, du Mali, du Niger et du Bénin pour que les bras valides des campagnes assurent la relève paysanne. Dans cette optique, l’Avapas propose :

• Des formations agroécologiques de la jeunesse rurale et urbaine ;• Un appui aux activités génératrices de revenus ;• Des ateliers de réflexion sur l’avenir de la jeunesse, la lutte contre l’exode, les migrations multiformes, la création

d’activités économiques comme la pêche, l’apiculture, l’embouche animale, la production du compost à commer-cialiser, la collecte des graines de neem, etc.

IV.5 La responsabilisation et le partage du pouvoir

Toutes les sociétés sont fondées sur des pouvoirs. Ces pouvoirs confèrent des responsabilités inhérentes au statut social. La gestion du pouvoir est le plus souvent un facteur de dysfonctionnement, de manque de cohésion sociale au détriment d’un développement solidaire. Dans un pouvoir équitable, les responsabilités sont partagées en faveur d’une gestion cohérente et transparente.

Par la formation et la sensibilisation I’Avapas rétablit les équilibres socioculturels par le théâtre, les récitals, les pro-jections de films audiovisuels, les montages de sketches. Des jeux de rôles sur l’interdépendance et la complémentarité des acteurs pour un développement équitable et durable sont également organisés.

IV.6 La conciliation entre le traditionnel et le moderne

Tel siècle, telles mœurs. La vie sous toutes ses formes est évolutive. Les pratiques agrosylvopastorales anciennes doi-vent se greffer aux pratiques modernes pour qu’il y ait un équilibre dans les savoirs, les savoir-faire et les savoir-être. La science avait à tort sous-estimé voire rejeté les savoirs locaux issus des savoirs premiers. L’agroécologie, basée sur les connaissances et les logiques locales, relance le défi. Toute connaissance nouvelle se fonde sur une connaissance passée.

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L’Avapas, riche de cette expérience a mis en place un comité technique de recherche et de promotion des savoirs lo-caux. Dix membres (paysans, sociologues, étudiants, anthropologues, économistes, agronomes) forment ce comité.

Les différents axes d’orientation sont :• Les savoirs locaux liés à la santé (humaine, animale, végétale),• Les savoirs locaux liés à la production végétale, • Les savoirs locaux liés à l’élevage, • Les savoirs locaux liés à l’environnement,• Les savoirs locaux liés à la conservation et transformation des produits • Les savoirs locaux sur le développement communautaire, • Les savoirs sur la chefferie coutumière, un levier du développement durable,• Les savoirs locaux sur la place de la femme dans une société de partage du pouvoir.

Une future capitalisation ouvrira la porte à une large diffusion de ces pratiques endogènes.

IV.7 Le développement participatif

Le développement se fait sur mesure. Chaque pays, chaque homme doit faire son développement à sa taille. Il est une course de fond et doit se réaliser lentement, mais sûrement. Se demander : pour mon développement de quoi dois-je disposer ? De quel appui ai-je besoin ? L’aide devant contribuer à assassiner l’aide, tout appui exogène octroyé doit nous permettre, grâce à une gestion saine et responsable de voler de nos propres ailes.

S’il est vrai que la bonne pluviométrie fait les bonnes récoltes, il est aussi vrai que si le paysan ne s’investit pas il

n’aura pas de bonne récolte. L’aide vient en appui aux capacités de l’homme à se déterminer. L’aide est nécessaire mais il faut savoir la valoriser pour accéder à l’autonomie. Tant vaut l’homme, tant vaut la terre.

L’Avapas stimule l’esprit de responsabilité des producteurs par : • La réflexion avant, pendant et après l’action (RAR),• La contribution valorisée pendant les formations,• La contribution matérielle pendant les formations, • La contribution par l’apport en expérience de l’expertise locale pendant les formations, • La mutualisation des expériences.

IV.8 Appropriation des technologies par les femmes, ferment du bien- être familial

En Afrique sahélienne en général et au Burkina Faso en particulier, les femmes représentent 52 % de la population. Elles sont les ferments du bien-être familial et sont présentes à tous les rendez-vous du développement.

L’Avapas a fait du genre la priorité des priorités. Au-delà des activités champêtres et du maraîchage, les femmes sont formées aux activités génératrices de revenus (AGR) : la fabrication du beurre de karité, le soumbala, le dolo, le savon, la teinture, le séchage de fruits et légumes etc.

Grâce à l’Avapas, beaucoup de femmes savent à présent faire le jardin familial pour une amélioration de l’alimen-tation de la famille. Les groupements villageois féminins (GVF) produisent des plants en pépinières pour la vente et le reboisement (bosquets familiaux). Par la formation, le renforcement des capacités des femmes est sans conteste la voie du mieux-être social, économique et culturel des familles rurales.

IV.9 Protection et restauration de l’environnement

Les effets pervers du divorce de l’homme avec la nature ont pour conséquences : • Le changement climatique, • La pollution sous toutes ses formes,• La disparition de la biodiversité, • La désertification, • Les faibles pluviométries, • Les cyclones et ouragans,• La pauvreté.

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Pour sensibiliser les populations et leur apprendre à endiguer ces fléaux, l’Avapas a mis en place une série d’actions concrètes au Burkina Faso, au Mali, au Niger et au Bénin :

• Organisation chaque année d’une journée de l’environnement ;• Diffusion de bosquets familiaux (Burkina Faso) ;• Réalisation d’arboretum (Burkina Faso, Mali) ;• Formation des producteurs en technique de pépinière (Burkina Faso, Mali, Niger, Bénin) ;• Pratique du zaï forestier (Burkina Faso, Mali, Niger, Bénin) ;• Agroforesterie ;• Création de vergers ;• Construction de prototypes d’habitats économiques et écologiques (Burkina Faso) ;• Vulgarisation de foyers améliorés (Burkina Faso) ;• Sensibilisation aux énergies renouvelables solaire et éolienne, et aux agrocarburants.

Sur la base que l’Homme est l’artisan de son propre développement, Sampiéri au Burkina Faso donne le témoignage vivant des résultats des pratiques agroécologiques grâce aux différentes formations ci-dessus énumérées, théoriques et surtout pratiques. Dans toute la région de Fada N’Gourma, Sampiéri est devenu la vitrine et l’épicentre de l’agriculture durable au Burkina Faso. Comme le dit un adage : « De ce qu’on entend on peut douter, de ce qu’on voit on peut douter, de ce qu’on fait on ne doute jamais ». Les résultats mérités et tangibles de Sampiéri ont justifié un autre adage : « Quand la clairière vaut mieux que le bas-fond ». A n’en pas douter, dans toute la région, l’agroécologie est reconnue par tous comme étant une alternative de lutte contre la faim et la pauvreté.

V. L’agroécologie au Sahel : ses techniques, ses promoteurs, ses partenaires :

V.1 Techniques d’amélioration de la fertilité des sols érodés Nourrir la terre mère pour qu’elle nous nourrisse. Au Burkina Faso et ailleurs dans les pays voisins (Mali, Niger,

Bénin), les terres marginalisées, abandonnées parce que même l’herbe n’y pousse plus sont très nombreuses. Elles oc-cupent le tiers des terres cultivables. Grâce aux techniques de compostage, le problème de pauvreté des terres ne se pose plus. Sur une terre d’un rendement zéro à l’hectare, grâce à l’agroécologie, le paysan produit 2 à 3 tonnes à l’hectare. Le rendement est triplé voire quadruplé par rapport aux autres terres dites fertiles. C’est ce constat de résultats tangibles qui a fait que les agriculteurs ont associé à l’agroécologie l’adage : « Quand la clairière vaut mieux que le bas-fond ». Ces résultats sont obtenus par l’initiation des producteurs aux techniques du compostage, du zaï, des demi-lunes, des cordons pierreux pour la réhabilitation des terres dégradées impropres à la production.

V.2 Quelques associations agroécologiques au Sahel

Burkina Faso Association pour la Vulgarisation et l’Appui aux Producteurs Agroécologiques “Ned la bâoogo“ au Sahel (Avapas)

Association pour la Gestion de l’Environnement et la promotion du Développement durable

Association pour le Développement des Techniques et pratiques Agroécologiques (ADTAE)

Centre écologique Albert Schweitzer (CEAS)

Association pour la Recherche et la Formation en Agroécologie (Arfa)

Association Interzone pour le Développement en Milieu Rural (AIDMR)

Mali Malliance Trougoumbé - Kayes

Union pour un Avenir écologique et Social (Uaves, Gao)

Bénin Fédération Agroécologique du Bénin (FAEB)

Niger Sécurité alimentaire et développement économique local (Sadel)

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V.3 Politique nationale burkinabé face à l’agroécologie L’agroécologie bénéficie d’une reconnaissance tacite du gouvernement. C’est ce qui explique la présence au Burkina

Faso des OGM, des herbicides, de nombreux produits chimiques aux effets pervers sur les hommes, les animaux et les végétaux. Les subventions d’intrants au Burkina Faso venant de l’aide extérieure risquent d’être suspendues si le choix politique en agroécologie est officiel et clair, d’où la politique du faire semblant de l’Etat vis-à-vis de l’agroécologie.

V.4 Sens de l’action des partenaires du Nord

Ils jouent un rôle d’accompagnement, de facilitateurs, de coordinateurs, de critique et d’appui à l’autocritique, d’as-sistance à l’autoévaluation dans la mise en œuvre des programmes locaux de développement. La stratégie d’intervention des partenaires du Nord doit être raisonnée et respecter la démarche qualité qui se définit comme suit :

• Adopter une démarche participative qui fait de l’acteur concepteur, acteur bénéficiaire ;• Faire du producteur un chercheur, un innovateur, c’est s’appuyer sur les potentialités locales ;• Planifier les activités par et pour les communautés ;• éviter les interventions saupoudrage qui sont comme un feu de paille ;• Favoriser les échanges et la complémentarité Sud-Sud ; • Faire une intervention qui s’intègre au plan de développement local • Adopter avec les populations locales un plan de développement à moyen terme qui permet d’enfoncer le clou de

l’appropriation des techniques agroécologiques pour une réelle autonomie du producteur.

ConclusionLes différentes actions visées par I’Avapas s’inscrivent dans la mise en œuvre du paquet technologique agroécolo-

gique. Cette démarche nouvelle d’agriculture durable suscite un engouement dans les sessions de formation. Toutefois, pour pérenniser les actions, un partenariat dynamique comme celui qui associe Loos N’Gourma à l’Avapas s’avère in-dispensable.

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Travaux chez un paysan de Sampiéri

Le cordon pierreux est destiné à freiner l’érosion provoquée par les pluies. Les cordons sont disposés le long des courbes de niveau. La technique du zaï consiste à creuser à la houe des cuvettes qui permettent de concentrer l’eau des pluies et le compost. Le mil y est ensuite semé. L’agroforesterie est égale-ment employée ; les arbres plan-tés doivent impérativement être

protégés des animaux divagants.

Différentes techniques de l’agroécologie au Burkina Faso (Sampiéri et Kamboincé) 1/II

Le paillage

Il est une autre technique de pré-servation des sols. Les tiges de mil sont laissées sur place et li-mitent l’action des rayons du so-leil. L’amélioration du rendement permet un paillage plus dense et donc une meilleure préservation des terres.

L’élevage

L’association des cultures et de l’élevage permet de disposer de matières organiques qui, si elles sont collectées et correctement utilisées, renforcent la fertilité des sols.

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Différentes techniques de l’agroécologie au Burkina Faso (Sampiéri et Kamboincé) 2/II

Le compost

Il est une composante essentielle de l’agroécologie. Il permet d’en-richir les sols en y réintroduisant de la matière organique.

La technique du zaï sur le plateau Mossi

Le zaï permet la restauration des sols y compris dans les zones les plus extrêmes comme ici à Kam-boincé sur le plateau Mossi (Nord du Burkina Faso). Grâce à cette technique, ce champ de mil aura un rendement supérieur à un champ cultivé traditionnellement.

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Les formations agroécologie dispensées à Sampiéri

Session de formation endogène au centre de formation de Sampiéri

Le centre de formation se com-pose d’une salle de cours, d’un champ de 2 ha et d’un arboretum. On y dispense à la fois des for-mations théoriques et pratiques.

Session de formation endogène au centre de formation de Sampiéri

Jean Koudougou paysan formé à l’agroécologie devenu formateur explique les principes de la fabri-cation du compost.

Visite sur le terrain

Les formations comportent tou-jours une visite chez des paysans convertis à l’agroécologie.

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Béatrice BOUQUET :Tout d’abord merci à Bertrand Seguin pour ce film. Le projet d’accompagner l’agroécologie à Sampiéri

est né de nos réflexions : nous soutenions depuis plu-sieurs années des projets de développement, mais nous nous apercevions qu’il n’y avait pas vraiment de décol-lage. 90 % des habitants de Sampiéri sont des paysans et l’autosuffisance alimentaire n’était pas encore atteinte : c’était une question préoccupante. Nous avons réfléchi à ce qu’il était possible de faire. On m’avait dans les années 1986-1987 donné le livre de Pierre Rabhi Du Sahara aux Cévennes, dans lequel il relate son expérience au Burkina Faso au travers des projets qu’il y a menés, et cela m’avait interpellée. Par la suite, après avoir fait plus connaissance avec le village, j’ai proposé à Denis de lire ce livre et d’en discuter avec ses amis paysans pour savoir ce qu’ils en pensaient. Denis nous a fait part de leur intérêt. De notre côté, nous avons cherché les moyens pour intervenir, no-tamment ce qu’il restait de l’expérience de Pierre Rabhi au Burkina Faso. J’ai pris alors contact avec Terre et Hu-manisme qui m’a mise en relation avec Sylvain Korogo.

Nous sommes allés ensuite avec les paysans de Sam-piéri rencontrer l’Avapas et Sylvain Korogo à Kam-boincé, près de Ouagadougou. Nous avons aussi visité la ferme de Guié, qui est également un très beau projet agro-écologique. Par la suite nous avons décidé de démarrer le projet avec l’Avapas. Auparavant, nous avions repéré à Sampiéri les personnes les plus dynamiques, celles qui présentaient le plus de potentialités pour mener ce pro-jet. La rencontre avec l’Avapas a donc été décisive et les premières actions ont pu se mettre en place en 2004 après deux années de préparation pour définir le projet, cher-cher des financements et faire des actions de sensibilisa-tion au village. Certains habitants avaient fait de l’agrofo-resterie et suivi des formations, et ils ont donc commencé par créer des pépinières, planter des arbres et travailler sur un champ pilote. Ensuite ont vraiment commencé les formations avec l’Avapas.

Denis OUOBA :Pour ce qui est des résultats, on peut dire que les

conditions de vie de ceux qui pratiquent l’agroécologie ont vraiment changé. Tous ceux qui l’ont mise en œuvre ont réussi et leurs rendements ont doublé. Auparavant on ne dépassait pas 400 à 500 kg/ha, mais avec l’agroéco-logie les rendements dépassent largement les 500 kg/ha. Un proverbe burkinabé dit : «La clairière vaut mieux que le bas-fond» ; la clairière c’est un endroit incultivable, un en-droit où rien ne pousse. Avec l’agroécologie, en utilisant le compost, si c’est bien fait et même s’il se passe un mois

sans pleuvoir, le sol reste humide et peut rester humide jusqu’à la récolte. Ce qui veut bien dire qu’en utilisant l’agroécologie dans des champs déjà fertiles, on augmente leurs capacités. Les paysans se sentaient impuissants et prenaient le goût de la misère. Ceux qui pratiquent l’agro-écologie sont aujourd’hui heureux et gagnent leur vie. Ce n’est pas nous qui allons vers eux, mais eux qui viennent vers nous pour bénéficier des formations. La valeur de l’exemple les attire, il leur faut cette expérience, quelque chose de concret pour se décider. De plus, Loos N’Gour-ma ne se contente pas de financer des formations : il y a ensuite un appui et un suivi. Des microcrédits donnent la possibilité de s’équiper avec des charrues, des ânes, et ce suivi permet d’enrichir la pratique agroécologique. En tout cas, les paysans agroécologistes n’ont plus de soucis alimentaires, et on leur voit le sourire aux lèvres, ils ar-rivent aussi à faire des économies, donc à avoir une vie meilleure. Donc nous saluons vraiment la mise en place de l’agroécologie à Sampiéri. De plus, cette pratique se diffuse, puisque si le projet ne concernait au début que Sampiéri, ce sont désormais plus de seize villages qui ont rejoint le projet.

Christelle VIEL, chargée de mission Développe-ment durable, ville de Loos en Gohelle :

Je voulais savoir si au cours de ce parcours vous avez rencontré des résistances ou des oppositions, notamment de la part d’industries qui auraient pris possession des ter-rains ou s’y étaient implantées par exemple en distribuant gratuitement des pesticides ou des produits phytosani-taires.

Denis OUOBA :Les principaux utilisateurs de pesticides sont ceux qui

cultivent le coton. Ils doivent acheter ces produits, et c’est désormais une charge très lourde pour les groupements de producteurs puisque l’Etat les fournissait gratuitement au-paravant. Depuis deux ans, les pesticides sont sur le mar-ché, souvent importés de façon frauduleuse. Nous l’avons constaté en faisant les émissions de radio : nous avions invité le responsable régional pour les produits phytosa-nitaires qui nous a expliqué que ce service a autorisé la vente de certains produits. C’est une autorisation d’Etat, mais, dans la région de la Tapoa, personne ne l’a obtenue. Mais on en trouve sur tous les marchés, importés illéga-lement.

Par contre, il n’y a pas eu de résistance et d’opposition particulière à la mise en place de l’agroécologie à Sampiéri et dans les environs.

Echange autour du film Sampiéri, un choix : l’agroécologie

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Béatrice BOUQUET :Pour revenir sur la genèse du projet, dans une première

phase, trois paysans ont été formés par l’Avapas, dont l’un est devenu formateur endogène. A leur retour, ils ont appliqué cet enseignement sur un champ pilote qui est de-venu un exemple pour les autres. Un paysan a besoin de voir pour croire ; les paysans de Sampiéri ont pu voir ce que ça donnait et l’agroécologie a tout de suite soulevé une forte adhésion. De plus, cette adhésion grandit sans cesse parce qu’il y a toujours des améliorations au fur et à mesure de l’avancée des formations.

Pour ce qui est des résistances, les émissions de radio sont nées de la vigilance de Denis qui avait constaté sur les marchés une invasion de pesticides. Il nous a contac-tés et nous avons cherché ce que nous pouvions faire. Comme une radio venait de s’installer à Kantchari, nous sommes allés les voir afin de travailler avec eux et l’Ava-pas pour interpeller les communautés paysannes et les informer des risques liés aux pesticides que les paysans utilisent souvent sans formation avec tous les dangers que cela comporte pour les sols et la santé.

Serge DUVAUCHELLE, Loos en Gohelle :J’ai fait toute ma carrière dans la protection des végé-

taux, dans les produits phytosanitaires qu’on utilise en agriculture intensive. Malgré tout, je milite pour une agri-culture avec une protection raisonnée, parce que je doute qu’il soit possible de nourrir le monde avec l’agriculture biologique seule. Par contre, je suis étonné par vos propos ; vous avez parlé de production, de compost, etc. et j’ai l’impression que la protection des cultures se fait naturel-lement. Comment faites-vous pour les protéger ? En effet, il doit bien y avoir des insectes qui les attaquent, de même au moment des récoltes et ensuite il y a souvent des pertes dues aux rongeurs, etc.

Denis OUOBA :Il y a des méthodes traditionnelles pour protéger nos

cultures, par exemple, nous utilisons beaucoup les grains de neem. On peut les pulvériser sur les cultures, de même que l’urine des vaches travaillée d’une certaine manière.

Albert WALLAERT, Centre de documentation, d’information et d’animation pour le développe-ment et la solidarité internationale - CDSI (Bou-logne sur Mer) :

J’appartiens également à une association. Nous allons depuis des années dans le même village. Au départ, il s’agissait d’aide à la santé, à l’éducation, etc. Désormais, le volet agriculture vient s’y rajouter, parce que les gens en ont besoin. Ce que vous présentez est très intéressant, parce que votre démarche, même si elle doit être adaptée pour s’appliquer à un autre endroit, demeure valable. Elle est valable depuis le départ avec les recherches que vous avez faites, puis par votre expérience. C’est très impor-tant pour nous et je crois que nous allons nous mettre en rapport avec vous pour donner ce coup de pouce, trouver les partenaires qui puissent profiter de votre expérience et transposer chez eux, avec les anciens notamment. Parce

que les problèmes, d’après ce que j’entends, sont à peu près les mêmes, avec en plus celui de l’accaparement des terres : beaucoup de terres sont accaparées et les paysans sont devenus ouvriers agricoles et ne travaillent donc plus leurs propres terres.

Didier FINDINIER :Je suis membre de l’association Loos N’Gourma et

paysan. J’essaie moi aussi dans mon village de mettre en œuvre l’agroécologie. Je voulais parler des rendements : ce que j’ai pu constater au Burkina Faso par rapport à ce que nous vivons ici en tant que paysans biologiques, avec une augmentation de rendement qui est beaucoup plus progressive, c’est que la terre à Sampiéri n’est pas dégénérée, elle est encore vierge, et de ce fait, le com-post réagit très positivement. Ici, nous devons d’abord soigner la terre, comme nous devons aussi nous soigner avant de pouvoir redevenir des hommes debout, comme on en rencontre là-bas. D’après ce que m’ont dit Denis et d’autres paysans de Sampiéri, l’année dernière a été une année faste au point de vue de la météo et ils ont pu at-teindre des rendements de l’ordre de 4,5 tonnes à 5 tonnes à l’hectare. Mais ils n’avaient pas encore mis en œuvre tous les principes de l’agroécologie, avec lesquels ils peu-vent s’attendre à des rendements de l’ordre de 7 à 8 tonnes à l’hectare. Donc c’est vraiment une belle leçon, et il est dommage que les agriculteurs de la FDSEA ne soient pas là aujourd’hui, eux qui s’opposent par exemple au projet évoqué par Jean-François Caron. C’est une leçon d’hu-milité de savoir dire que la terre est bonne partout et qu’il suffit de vivre et de travailler en bon écologue. Il ne s’agit pas de parler d’écologie mais de vivre en harmonie avec son milieu. Par ailleurs, ce qui m’a beaucoup frappé c’est que dans le concept d’agroécologie, tout le village parti-cipe. Nous on applique un cahier des charges et on n’est pas responsable de ce que fait le voisin, alors que là-bas c’est « Un pour tous, tous pour un », tout le monde participe : hommes, femmes, élus, etc. Et quand un agriculteur d’un autre village est formé, il a le devoir de donner l’exemple pour entraîner tout son village. Ainsi c’est tout le village, toute l’économie qui bouge en même temps.

Pascale LEROY-MIELLET, CCFD-Terre solidaire, Wavrin :

J’aimerais savoir combien de personnes vivent de la production, si la production est en vente à l’extérieur par exemple sur les marchés. Et s’il y a suffisamment de routes pour accéder aux villages environnants. Enfin, ce qui m’im-pressionne, tant dans les témoignages que dans le film, c’est le lien au genre, homme, femme, je trouve ça formidable.

Denis OUOBA :Les magasins nous permettent de stocker les récoltes

et le mil est vendu sur un marché local et international : Sampiéri se situe non loin de la frontière avec le Niger, pas très loin aussi de Ouagadougou, et, chaque semaine quasiment, des gens viennent nous acheter du mil.

Pour la relation hommes femmes, il n’y a pas de pro-blème puisqu’on organise souvent les formations en fonc-

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tion de la situation. Sylvain Korogo a une manière d’abor-der chaque formation en discutant avec les paysans pour faire émerger un problème, le poser ensemble et chercher à le résoudre ensemble. Ce ne sont donc pas des idées qui viennent d’ailleurs, mais de nous-mêmes. Là où nous nous trouvons, nous pouvons trouver des solutions.

Béatrice BOUQUET :La devise de l’Avapas, c’est que le paysan doit être

concepteur, acteur et bénéficiaire de son développement. C’est une démarche très participative. Au début du projet, nous avons assisté à une formation où l’on interrogeait les paysans pour faire un diagnostic participatif : « Comment était l’agriculture auparavant ? Comment est-elle maintenant ? Quels étaient les potentiels ? Qu’est-ce qu’ils avaient fait dans le village comme aménagements ? ». Il s’agissait vraiment de recenser toutes les ressources, et c’est formidable parce que les paysans définissent ainsi par eux-mêmes les pro-blèmes et les solutions à apporter avec bien sûr un sou-tien, mais toujours de façon participative.

Antoine MAHAILET, association Afrique Eu-rope Avenir, Dunkerque :

Notre association est très jeune, elle a à peine quatre ans d’existence. On démarre un projet au Cameroun, en Afrique centrale. La particularité au Cameroun, c’est qu’on n’est pas dans une zone sahélienne, mais en forêt tropicale, donc il y a une déforestation préalable pour pouvoir cultiver, même sur des petites surfaces. Je suis vraiment édifié par ce que j’ai vu parce qu’au Cameroun, on cultive sur brûlis. Une fois que la forêt a été coupée, les cultivateurs n’ont pas d’autres moyens que de pratiquer le brûlis pour mettre les terres en culture. Mais le brûlis ne fertilise que temporairement le sol, une production peut se faire sur quelques années, mais ensuite la stérilisation est systématique : l’érosion nettoie les sols et les rendements diminuent très vite.

J’interviens également par rapport aux firmes qui en-couragent l’utilisation de pesticides, de produits phytosa-nitaires et d’engrais. Au Cameroun, cela se fait surtout au niveau de la formation. Tout ce qui est documentation pour former les gens à l’agriculture reprend l’utilisation de ces produits et ces documents sont gratuits. Les pro-duits sont payants, mais leurs fournisseurs imprègnent tout le système de formation. Avec notre association par-tenaire, nous cherchons à nous défaire de l’influence de ces firmes. Je suis enthousiaste à l’idée de me rapprocher de vous pour envisager une transposition, parce que cela ne semble pas très compliqué et c’est peut-être le souci de faire changer les mentalités au niveau de l’utilisation du feu qui sera pour nous un challenge.

Béatrice BOUQUET :Votre intervention rejoint la première à propos des

réticences. L’agronome Marc Dufumier dit souvent que l’agriculture du Sud a trop longtemps voulu singer notre agriculture. Vous parliez de formations à l’usage des pes-ticides, c’est parce qu’ils sont encore dans la démarche de copier, hélas, ce qu’il y a de mauvais ici.

François DERISBOURG, Lianes Coopération :J’ai plusieurs questions : l’agroécologie semble formi-

dable, les rendements sont presque doublés, cela doit se développer, est-ce que c’est le cas ? Y a-t-il des freins ? Est-ce qu’on en est toujours à vouloir copier l’agriculture des autres ? Est-ce qu’il y a des pressions économiques ou politiques ? Qu’est-ce qui manque pour un développement beaucoup plus important ? Quelle est la tendance égale-ment pour les pays voisins ? Quelle y est la situation de l’agroécologie ? Pour son développement vous avez évo-qué la coopération Sud-Sud, qu’est-ce qu’il en est, com-ment est-elle structurée ? Existe-t-il des réseaux qui dé-fendent la pertinence de l’agroécologie ? Enfin, dans le sens des échanges Nord-Sud, y a-t-il des échanges avec des agriculteurs du Nord, individuellement ou à travers l’Afdi ou Terre et Humanisme ? Est-ce que l’ensemble de la promotion de l’agroécologie est structuré ?

Béatrice BOUQUET :Pour ce qui est des obstacles politiques, Sylvain Koro-

go nous l’avait expliqué, l’agroécologie n’est pas un sujet très porteur, le gouvernement ne s’intéresse pas beaucoup à l’agriculture, il y a encore un fort mépris des paysans.

Denis OUOBA :Pour ce qui est des relations Sud-Sud, l’Avapas est en

relation par exemple avec d’autres structures dont beau-coup sont en cours de formation. Par exemple à Fada N’Gourma, cette année, il y a eu quatre rencontres avec d’autres structures sur l’agroécologie. Ces rencontres ras-semblent parfois des gens du Burkina Faso, du Mali et du Bénin.

Béatrice BOUQUET :Terre et Humanisme monte un réseau Agroécologie

sans frontière. Ils ont établi des relations avec les associa-tions des pays limitrophes du Burkina Faso pour former des formateurs endogènes. Les rencontres que mentionne Denis se déroulent dans ce cadre. Au Burkina Faso, il y a quatre structures qui préconisent l’agroécologie : le Centre Albert Schweitzer, la DTAE, l’Arfa et l’Avapas. Sinon, au niveau local, la diffusion est quand même large et cela va toujours un peu plus loin. Au départ, le projet ne portait que sur un village et maintenant il en concerne seize. Les émissions radiophoniques ont été diffusées sur la commune de Kantchari qui regroupe 25 villages et elles sont également diffusées sur Diapaga qui est le chef-lieu administratif de cette région. Donc il faut s’attendre à re-cevoir des demandes de formation supplémentaires. Pour répondre à cela, comme les demandes émanent de villages de plus en plus éloignés de Sampiéri, nous travaillons avec le Comité agroécologie de Sampiéri et l’Avapas pour former d’autres paysans afin d’augmenter le nombre de formateurs endogènes. Ainsi, les nouveaux formateurs endogènes interviendront sur leur lieu de vie, au plus proche des autres paysans. Ainsi, dans chaque zone un peu éloignée, il y a ou il y aura un formateur endogène qui suivra de près les paysans. Les paysans ne peuvent pas toujours se déplacer et les formateurs endogènes pren-

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nent le relais. Le projet s’adapte tout doucement, il évolue constamment, nous cherchons sans cesse à l’améliorer puisque nos partenaires de Sampiéri nous rapportent ré-gulièrement les difficultés et les obstacles. Chaque année, lors de nos missions à Sampiéri, c’est un point essentiel de notre travail.

Francine WALLAERT, CDSI, Boulogne sur Mer :Notre intérêt pour cette expérience fait suite à notre par-

ticipation au forum social de Dakar. En effet l’agriculture est une réelle préoccupation du monde rural et de la pay-sannerie dans de nombreux pays d’Afrique. Aujourd’hui, non seulement il y a l’accaparement des terres mais il y a aussi une prise de conscience dans toutes les communau-tés de l’importance de l’agroécologie ou tout du moins de la maîtrise des sols, du refus de se voir imposer des modes de culture et de production intensives. Cette prise de conscience très souvent résulte aussi du peu d’intérêt que portent les gouvernements à ces méthodes naturelles.

Donc je pense qu’il est important de soutenir ce type de projet et que votre action mérite d’être largement connue à travers les réseaux en France, comme le réseau Ritimo qui est déjà un réseau important et par lequel il faut faire circuler toutes ces informations. Disposer de telles infor-mations dans les centres de documentation permettrait peut-être d’en faire plus, notamment dans le cadre de la campagne «Une seule planète» afin d’aller plus loin dans cette réflexion et dans l’intérêt de protéger les ressources naturelles.

Enfin, je voulais réagir à l’une des précédentes interro-gations, à propos des magasins et des marchés. L’essentiel de tout ce travail concerne les cultures vivrières. Bien sûr il faut que les paysans vivent, mais les cultures de vente ou d’exportation sont souvent loin des préoccupations des paysans qui ne mettent en vente que l’excédent de leur récolte. L’essentiel est bien de se nourrir, ensuite si c’est possible de faire autre chose. L’objectif principal de l’agroécologie est d’atteindre l’autosuffisance alimentaire.

Béatrice BOUQUET :Il y a un document qui va beaucoup vous intéresser,

c’est le rapport d’Olivier de Schutter, rapporteur à la FAO pour le droit à l’alimentation, qui a fait un travail de syn-thèse sur l’agroécologie. J’espère que les gouvernements s’en inspireront, parce que s’ils tenaient compte de ces préconisations, il y aurait un changement considérable.

Chantal GUILLEMONT :Je suis membre de Loos N’Gourma et je connais Sam-

piéri. Je connais également le milieu paysan en France. Pour répondre à l’une des observations précédentes, ef-fectivement on trouve au Burkina Faso des produits de traitement depuis un moment, mais ils étaient surtout des-tinés à la culture du coton, et non aux cultures vivrières. J’ai vu dans un autre village du Burkina Faso des gens utiliser ces produits destinés au coton avec un petit balai, le nez sur ce balai, et tout cela pour traiter des tomates. Donc c’est extrêmement dangereux aussi bien pour l’agri-culteur que pour ceux qui consomment les fruits et les

légumes traités. Ces détournements de l’usage des pesti-cides sont hélas fréquents et restent dangereux.

Enfin connaissant le milieu paysan français, je suis al-lée avec l’Afdi dans d’autres villages et je peux témoigner que l’Afdi, comme beaucoup d’autres organismes, a une démarche totalement différente. Elle ne part pas des pro-jets du village, ce qui fait toute la différence. Comme De-nis l’a évoqué, ici il y a un autodiagnostic qui est fait par les paysans dans le cadre de la démarche agroécologique et les gens se prennent en charge depuis le début. Alors que dans d’autres expériences, c’est souvent un modèle extérieur de développement agricole qui est plaqué et j’ai pu constater que ce n’était pas efficace.

Béatrice BOUQUET :Avant de finir, je voudrais que Denis nous parle des

autres effets de cette démarche, notamment de l’impact so-cial et des rapports avec les autres ethnies qui ont changé.

Denis OUOBA :L’agroécologie a un grand impact aussi sur la vie so-

ciale. Elle permet une meilleure intégration. Autrefois, entre les éleveurs Peuls et les cultivateurs c’était toujours un malentendu mais, avec les formations en agroécolo-gie, nous avons pu résoudre ces problèmes. De même, les différends entre villages, entre familles ou même au sein d’une famille se sont réglés, beaucoup de problèmes ont trouvé une solution grâce à Sylvain Korogo. Nous avons invité les Peuls à participer aux formations, ils les ont re-jointes et mettent eux aussi en pratique l’agroécologie.

Mariam DAMAGEUX :Tout cela fait très plaisir à entendre. Je suis Peule, cela

fait 25 ans que je vis à Loos en Gohelle. Je connais bien ce problème des relations conflictuelles avec les cultivateurs : les vaches vont paître dans leurs champs, et souvent les Peuls ont trop de vaches, tant qu’ils n’arrivent pas à les contrôler. Cela fait très plaisir de voir que les Peuls s’intè-grent à ce programme, parce qu’on voit bien désormais en Afrique qu’il n’est plus possible de circuler partout avec les troupeaux, comme on le faisait auparavant. De notre côté, nous avons créé l’association Kabé-Bénin, qui in-siste beaucoup sur l’éducation comme base de l’intégra-tion des nomades.

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Sampiéri : un choix, l’agroécologie.

Film de Bertrand Seguin présenté lors du colloque, visible sur Youtube : http://www.youtube.com/watch?v=YDiLYSU0hKU

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François FREYTET :Cette table ronde s’inscrit dans la continuité des ex-

posés précédents. Après avoir vu les actions menées par Loos N’Gourma, l’Avapas et les paysans de Sampiéri pour promouvoir l’agroécologie, nous allons nous pencher sur la place de l’agriculture dans les projets de coopération décentralisée menés en région Nord Pas de Calais. Les différents intervenants se présenteront chacun à leur tour. Je tiens à préciser que nous avons invité Bertrand Sajaloli qui est enseignant chercheur à l’université d’Orléans pour nous expliquer ce qui se fait dans la région Centre sur des projets similaires et quels sont les organismes avec lesquels il travaille.

Pour commencer je demanderais à Béatrice Bouquet de replacer cette journée dans la perspective du colloque organisé en 2008 et de présenter la prise en compte de l’agriculture dans les projets menés dans la région, en in-sistant peut-être sur les freins qui font que certaines struc-tures négligent cette question.

Béatrice BOUQUET :Ce colloque fait suite au colloque Agriculture et déve-

loppement rural organisé en 2008 par Lianes Coopéra-tion, qui a réuni un grand nombre d’acteurs régionaux et d’intervenants des pays partenaires d’Afrique. A l’époque on menait un recensement des actions en faveur de l’agri-culture, je n’ai pas les chiffres avec moi, mais de ce que je sais il y a dans la région quelques associations plus importantes comme le GRDR et d’autres qui travaillent beaucoup dans le domaine de l’agriculture.

Pour ce qui est des obstacles, j’ai rencontré beaucoup d’associations qui ont d’abord fait comme nous des pro-jets centrés sur la santé ou la scolarisation ou des micro-projets économiques, et toutes ont fait le même constat : les paysans ne s’en sortent pas, l’autosuffisance alimen-taire n’existe pas et les ressources pour accéder à la santé ou envoyer les enfants à l’école sont insuffisantes. Donc ce constat qu’il faut aider les agriculteurs à dépasser leur condition actuelle est partagé.

Par ailleurs, je suis fille de paysans et j’ai dans mon enfance participé aux travaux de la ferme. On pratiquait alors une agriculture beaucoup plus respectueuse de l’en-vironnement et des autres, comme cela se fait en Afrique. Les enfants participaient aussi aux travaux agricoles pen-dant les vacances, les femmes également travaillaient aux champs. Cependant depuis quelques années, nous sommes de plus en plus coupés du sol ; c’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles on ne s’engage pas faci-lement dans un projet centré sur l’agriculture, alors qu’on

s’engage très facilement vers ce qu’on connaît bien : l’école, la santé… Mais il y a quand même un mouvement qui se fait jour, le nombre de participants au colloque le prouve, un mouvement qui s’intéresse à un autre modèle de développement et à une autre agriculture.

François FREYTET :Pauline Casalegno va maintenant nous présenter rapi-

dement le GRDR, la structure pour laquelle elle travaille, ainsi que le réseau Drapp, réseau régional qui intervient en appui aux porteurs de projets. La question que nous vous posons est de savoir, en fonction de votre expérience au sein de ces deux structures, quel regard vous portez sur les projets en faveur de l’agriculture.

Pauline CASALEGNO :Le Groupe de recherche et de Réalisations pour le Dé-

veloppement Rural ou GRDR est une association basée en banlieue parisienne qui intervient en Nord Pas-de-Calais, en Haute Normandie et dans la vallée du fleuve Sénégal, au Mali, en Mauritanie et au Sénégal et, depuis peu, en Guinée Bissau. L’un des volets d’action du GRDR est la mise en place de projets de développement agricole et ru-ral dans ces pays. Le GRDR travaille avec des salariés lo-caux : les deux tiers environ de ses salariés sont africains et le dernier tiers français. Cela nous permet de participer à cet ancrage local dont on a parlé depuis le début de la matinée, au respect des dynamiques et des compétences locales. En Nord Pas-de-Calais, le GRDR est membre du Drapp.

En quelques mots, le Drapp ou Dispositif Régional d’Appui aux Porteurs de Projet a été mis en place il y a deux ans par le Conseil régional. Il s’agissait dans le domaine de la solidarité internationale de faciliter et de favoriser un maillage du territoire, c’est-à-dire de mener l’accompagnement au plus près des porteurs de projets puisque jusque récemment cet accompagnement se faisait essentiellement dans les grandes villes comme Lille, Va-lenciennes ou Dunkerque. Trouver un accompagnement était assez compliqué pour qui n’habitait pas dans ces zones-là. La volonté de la région a donc été d’identifier sur le territoire des structures fortes capables d’accompagner les porteurs de projet en zone rurale ou loin des grandes zones urbaines. Un autre aspect était de renforcer la qua-lification des projets de solidarité internationale proposés par les associations. En effet, si on se limite aux projets déposés pour les appels à projet du Conseil régional qui n’est qu’un financeur parmi d’autres, beaucoup ne sont pas accompagnés par des structures d’appui, or un projet de solidarité internationale – on le voit à travers l’exemple

Table ronde animée par François Freytet :

La place de l’agriculture dans les projets de Solidarité internationale

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de Loos N’Gourma – demande des compétences tech-niques, une capacité d’organisation, une multiplicité de compétences… Donc je ne peux qu’encourager les asso-ciations à être accompagnées dans l’élaboration de leurs projets, au moins pour les premières années. Les enjeux sont en effet multiples. Pour ce qui concerne l’agricul-ture, peut-être parce que je suis agronome de formation, ce champ me paraît particulièrement complexe, et un ac-compagnement peut permettre d’éviter des écueils dont certains peuvent être graves à long terme. Un projet mal monté peut avoir des conséquences graves sur un terri-toire : par exemple un projet de formation au maraîchage pour un groupe de femmes peut leur permettre d’amélio-rer leur rendement avec pour conséquence que l’année suivante le propriétaire des terres chasse la coopérative de femmes qui travaillaient là depuis des années… Dans un tel cas, l’effet négatif est largement supérieur à l’absence d’action. L’accompagnement permet d’éviter ce genre de problème, car la bonne intention ne suffit pas.

Je rejoins Béatrice Bouquet pour m’étonner du faible nombre de projets qui sont menés dans le domaine de l’agriculture. Les nombreux échecs du passé ont peut-être refroidi les gens, les ont détournés de ce domaine.

Les structures qui composent aujourd’hui le Drapp sont plus d’une vingtaine, certaines sont spécialisées dans l’accompagnement technique, d’autres sont plus orientées vers les projets déposés par des jeunes. Il y a aussi des structures d’appui thématique ponctuel notamment Loos N’Gourma ou le Gref qui permettent d’aller chercher l’aide dont on a besoin. Il y a enfin d’autres structures qui nous rejoignent actuellement et qui sont parfois plus éloi-gnées du champ de la solidarité internationale comme les missions locales. L’accompagnement permet à mes yeux de se poser les bonnes questions pour mieux connaître le territoire où doit se dérouler le projet, en termes de connaissance des acteurs locaux et d’accompagnement technique. Pour reprendre l’exemple de l’agroécologie, nous sommes ici davantage coupés du milieu agricole qu’il y a quelques années, et dans ce cas un accompagne-ment peut apporter une aide bienvenue. Bien sûr, il ne s’agit pas d’influencer les projets, de les écrire pour les porteurs, il s’agit d’être là pour les questionner, pour me-surer les impacts et décrypter les choix plus globaux qu’il peut y avoir derrière un choix de formation.

François FREYTET :Pour illustrer les propos de Pauline Casalegno, je de-

manderais à Béatrice Bouquet de nous donner un ou deux exemples de structures que Loos N’Gourma a pu recevoir et accompagner.

Béatrice BOUQUET :Je voudrais d’abord souligner l’importance et la néces-

sité du maillage territorial d’appui aux porteurs de projets. Il existe sur Lille des grosses structures comme le GRDR ou Cap Solidarités qui travaillent à l’accompagnement, mais dans le Pas-de-Calais, en dehors du centre Ritimo de Boulogne-sur-Mer, tout cela reste à développer.

Notre rôle d’accompagnement de projets démarre dou-

cement pour Loos N’Gourma. Quatre ou cinq associations sont venues nous trouver. Certaines ont bien conscience qu’il faut être accompagné pour mener à bien un projet, mais il existe aussi des projets bien préparés, bien ficelés mais auxquels ne manquaient que les partenaires au sud… ou des projets qui prévoient de faire intervenir une struc-ture africaine sans que cette structure en ait été informée !

Un point sur lequel je voudrais insister est l’importance de la dimension Sud-Sud des projets. Une association n’a pas forcément les compétences ou la vocation à mener des formations au Sud. Il existe aussi sur place des structures de formation comme l’Avapas dans notre cas. Pour ce qui est des projets agriculture, c’est le long terme qui importe. Ce type de projet demande au moins dix ans pour parvenir à un résultat tangible ; l’association Loos N’Gourma s’est par exemple engagée pour une quinzaine d’années sur le projet à Sampiéri. On ne peut développer un territoire en peu de temps, un paysan formé est certes autonome, mais il faut du temps pour que le projet puisse s’étendre.

Pauline CASALEGNO :Effectivement, ce point est peut-être une des raisons

pour lesquelles les associations hésitent à s’engager sur des projets d’agriculture et de développement rural. Beau-coup d’associations de jeunes et d’étudiants choisissent des projets à retour rapide, pourrait-on dire, sur la durée d’une année scolaire quasiment. Un projet agriculture de-mande la construction d’un partenariat, une relation du-rable et par conséquent des délais beaucoup plus longs.

Serge DUVAUCHELLE :Vous insistez beaucoup sur la dimension Sud-Sud

du projet. Pourtant au départ, le projet porté par Loos N’Gourma n’était pas du tout agricole. Je connais des membres de l’Afdi ou de Agro sans frontières, qui sont peut-être plus influencés par l’agriculture européenne. Ce genre de structures ne risque-t-il pas de plaquer une ap-proche d’agriculture semi intensive ou au moins avec des visions particulières, alors que cette notion de Sud-Sud que je découvre aujourd’hui semble peut-être plus lente à monter mais surtout plus constructive ? Enfin, j’aurais une autre question qui porte sur les projets agricoles : s’agit-il seulement d’agroécologie ou d’autres types de développement agricole sont-ils envisagés ?

Pauline CASALEGNO :Pour répondre à la deuxième question, mon objectif en

tant qu’accompagnatrice n’est pas d’influencer le porteur de projet. Je pars de son projet et mon rôle est de poser des questions pour voir dans quelles mesures il répond au contexte local, aux enjeux locaux et mondiaux. Je n’im-pose aucune orientation au projet. Evidemment je vais quand même essayer de faire prendre conscience des en-jeux de l’agriculture, des modèles de développement pro-posés et des relations Nord-Sud qui en découlent. Quand on vient nous voir avec des projets de développement, pour moi, c’est surtout un moment très important d’édu-cation au développement. En effet, dans la majorité des cas, le bénéfice des projets de développement est autant

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pour ceux qui partent que pour ceux qui reçoivent ce pro-jet. En caricaturant un peu, je dis que si j’accompagne un projet, c’est pour que les gens n’aillent pas faire des choses négatives là-bas. Cela ne vaut bien sûr pas pour tous, l’important est que les gens aillent découvrir autre chose, se questionnent sur les choix que nous faisons ici. L’enjeu fondamental du projet reste à mes yeux l’éduca-tion au développement. Donc l’enjeu est qu’on n’apporte pas au Sud des solutions déstructurantes, mais qu’on parte une première fois s’imprégner des choses et qu’on revienne ensuite avec des propositions pertinentes et des partenariats durables.

Pascale LEROY :Pour ce qui est des relations Sud-Sud, le CCFD Terre

solidaire soutient environ 500 projets qui ne sont pas tous tournés vers l’agriculture, mais davantage vers l’éduca-tion au développement et les rapports Nord-Sud, Sud-Sud, Est-Ouest, comme le promeut ce slogan : «Une seule pla-nète ». Comme accompagnateurs, nous avons aussi à ap-prendre des porteurs de projets, ne serait-ce que quand on voit ce qui se passe dans le domaine agricole. Nous avons nous aussi à réapprendre cette agriculture. Par exemple en région Nord Pas-de-Calais commence à se mettre en place une agriculture sous les arbres, issue d’un partage d’ex-périences. Je crois que cela correspond à l’idée première de l’éducation au développement : partager, apporter nos compétences, et laisser nos partenaires du Sud mettre en place leurs projets et nous apprendre également.

Didier FINDINIER :La culture sous les arbres, on peut rêver très fort. Je

crois être le seul à l’avoir mise en place en Nord Pas-de-Calais. Pour le moment, c’est davantage une volonté politique. L’agriculture de demain viendra des citoyens, des consommateurs et des politiques plutôt que des pay-sans parce que les paysans font blocage, ils sont les vic-times de leur propre espérance. C’est leur façon d’être aujourd’hui. Il va falloir leur apprendre à sortir d’une idéologie qui leur a été plaquée et à en mettre une autre à la place, leur dire par exemple que la terre ne leur appar-tient pas. Dans mes champs, j’ai mis en place depuis deux ans des rangées d’arbres entre lesquelles je cultive ; c’est ce qu’on appelle l’agroforesterie. Des visites sont orga-nisées chez moi et chez un collègue qui, lui, a planté des arbres dans les prairies où c’est peut-être plus facile pour les agriculteurs à concevoir idéologiquement puisque leurs vaches iront pâturer jusqu’au pied des arbres et ils n’auront pas l’impression de perdre du terrain. Cette no-tion de perte les rebute, mais moi je préfère perdre un peu aujourd’hui pour gagner plus demain. J’en profite pour annoncer que la Maison du bois de Le Parcq et un cer-tain nombre d’autres organismes dont le Cedapas, Centre d’études pour un développement agricole plus solidaire, organisent une journée le jeudi 16 juin prochain, en lien avec le lycée agricole de Radinghem, avec notamment deux conférences pour montrer comment l’agroforesterie et l’agronomie peuvent être gagnantes toutes les deux en mettant en place ces pratiques.

Virginie VANHEE :Je suis stagiaire au Drapp. On parlait de l’importance

de ne pas imposer un modèle agricole là-bas, donc de l’importance de sensibiliser les porteurs de projets à iden-tifier les besoins sur place. Comment fait-on en revanche quand en faisant un diagnostic participatif on ressent une envie de copier le modèle occidental et ce qui a déjà été fait en Europe ? Comment fait-on pour changer aussi la perception des choses là-bas ?

Béatrice BOUQUET :Des structures comme l’Avapas envisagent la compa-

raison des différents modèles dans leur diagnostic parti-cipatif. A Sampiéri, les paysans ont fait le choix de l’au-tonomie, l’inverse est possible, mais je n’en connais pas d’exemple.

Pauline CASALEGNO :Il peut toujours se produire des erreurs, on procède au

début par tâtonnements, mais effectivement le choix dé-pend aussi de la manière dont sont posées les questions. S’il y a déjà des notions d’autonomie du territoire, il est rare que les gens n’aient pas envie d’être autonomes. En-suite mettre en débat ces choix permet d’éviter un regard idéalisé vers le modèle occidental, qui est peut-être la première chose à déconstruire avant de montrer qu’il y a des alternatives. Techniquement, ensuite l’exemple est le meilleur moyen : les parcelles tests permettent de prouver par l’exemple que d’autres solutions existent.

François FREYTET :Nous allons maintenant passer la parole à une repré-

sentante d’une deuxième organisation qui permet de faire évoluer les choses et les mentalités. Je fais référence bien entendu à l’enseignement. Nous avons invité Evelyne Desmolins qui représente les lycées agricoles. Je lui laisse le soin de se présenter. Nos interrogations porteront sur la place de l’international dans l’enseignement agricole dispensé en région : quelle est la place du projet de déve-loppement dans le cursus des élèves ? Et l’agroécologie a-t-elle une place dans cet enseignement ?

Evelyne DESMOLINS :Je suis enseignante au lycée horticole de Lomme et

animatrice du réseau coopération internationale des éta-blissements agricoles publics et privés du Nord Pas-de-Calais. Les lycées agricoles ont pour principale mission de dispenser une formation, mais il existe aussi d’autres missions parmi lesquelles la coopération internationale. Chaque établissement est donc amené à mettre en place une action de coopération internationale. Cette mission peut être réalisée de différentes façons : des actions réali-sées avec l’Europe, ce qui est le plus souvent privilégié, mais aussi avec les pays émergents et les pays du Sud. Dans le Nord Pas-de-Calais, les lycées agricoles mènent beaucoup d’actions avec le Sud puisque ces actions sont toujours en cohérence avec ce qui se pratique sur le ter-ritoire et que notre région est très impliquée au Sud. On travaille ainsi essentiellement avec les partenaires de la

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Région. Cette mission de coopération internationale, bien qu’obligatoire, est souvent le fait de personnes engagées et qui s’engagent avec un groupe d’élèves pour mener un projet. Ce sont souvent des projets agricoles avec un sup-port technique qui est parfois un prétexte pour pouvoir éduquer nos jeunes. Donc la coopération internationale, même s’il y a des aspects techniques, est surtout basée sur l’éducation au développement. Pour progresser, les établissements agricoles volontaires ont formé un réseau pour mutualiser les expériences et éviter de refaire les erreurs qui ont pu être commises et aussi pour pouvoir mieux se préparer au projet et préparer les jeunes.

La coopération internationale, même si je vous ai dit qu’elle était surtout le fait de personnes très engagées, commence néanmoins à rentrer par d’autres portes dans l’enseignement. On a la chance en effet d’avoir une re-fonte des programmes laissant place à de nouveaux mo-dules qui sont à l’initiative des établissements. L’établis-sement crée le module, et selon les projets et la volonté, il est possible d’intégrer un module spécifique dédié à la coopération internationale ou à l’éducation au développe-ment. Cela ne fait que commencer, mais c’est de plus en plus à l’ordre du jour.

La mission de coopération se réalise autour d’un projet et ce projet ne se fait pas sans les partenaires. Les lycées ont parfois des techniciens sur place, mais leurs autres partenaires sont bien identifiés. Les actions répondent gé-néralement à une de leurs demandes. Un projet se réalise avec une équipe de jeunes sur un ou deux ans, toujours avec les mêmes jeunes, sachant que le turnover reste re-lativement important puisque les jeunes sortent de l’éta-blissement et qu’on a des nouveaux chaque année. Mener un projet n’est donc pas évident, heureusement les ensei-gnants restent sur place pour l’inscrire dans la durée.

Pour la mutualisation des expériences, la première chose a été de mettre en place ce réseau : on ne peut se lancer dans un projet sans prendre appui sur les personnes qui ont déjà des expériences et aussi prendre appui sur des personnes au Sud qui ont des habitudes, des pratiques et qui connaissent mieux l’environnement que nous.

En terme de développement, on ne fait que partici-per aux projets. Les projets intègrent désormais une grande part d’éducation au développement parce que des échanges se font sur des réflexions comme la défense de la biodiversité. Les échanges visent alors à réfléchir ensemble sur la façon de préserver l’environnement. Si l’agroécologie rentre dans ces projets, c’est encore assez timide car nous sommes toujours dans un système pro-ductiviste. Néanmoins il y a dans les programmes la vo-lonté de critiquer, de comparer les systèmes de production et de proposer d’autres façons de faire. Il faut savoir que dans les formations CAP, BTS ou autres, on prend bien en compte cette dimension de comparaison et de critique. Les établissements rejoignent aussi des projets de défense de la biodiversité comme BiodivEA ou Ecophyto 2018 qui envisagent une autre utilisation des produits phyto-sanitaires. Les projets des établissements qui disposent souvent d’une exploitation agricole sont également remis en cause, on propose d’autres systèmes de production, en

particulier le système bio. Donc l’agroécologie n’est pas encore au programme, mais on est en train de former les jeunes à voir les choses autrement.

Gilbert PERES :Je travaille dans un lycée agricole qui mène un petit

projet au Burkina Faso dans la région de Bama, à une tren-taine de kilomètres de Bobo-Dioulasso. Ce projet s’inscrit dans nos compétences puisqu’il s’agit du lycée agricole des Flandres à Hazebrouck, avec une spécialisation au-tour de la pomme de terre et de l’élevage porcin. Le pro-jet consiste à mettre sur pied un élevage de cochons pour financer l’achat de matériel pour une école locale. Nous sommes au tout début du projet, l’élevage se met en place, il n’est pas encore rentable puisque nous n’avons pas en-core vendu le moindre cochon. Nous avions eu auparavant un autre projet, au Népal, projet qui a duré dix ans. Je re-tiens à ce propos la phrase de M. Korogo : « L’aide a pour but de tuer l’aide » ; nous cherchons à ce que nos projets soient autonomes. Le projet au Népal qui est terminé au-jourd’hui portait sur la production de fromage de chèvre pour proposer une autre production vivrière. Il est terminé parce que les éleveurs vivent désormais de leur produc-tion. Pour le projet au Burkina Faso, nous en sommes au démarrage et la difficulté, comme le soulignait Mme Des-molins, vient du fait que nous travaillons avec des jeunes qui ne sont là que pour trois ou quatre ans maximum. Il nous faut donc renouveler l’équipe chaque année, et les projets n’intéressent pas forcément les jeunes, ce qui est une difficulté supplémentaire.

Gaël DELACOUR :Je voulais revenir sur l’intérêt et la demande des jeunes

pour des modèles alternatifs de développement agri-cole. Les jeunes vivent dans la même société que nous, ils entendent parler de bio, de pesticides, de toutes ces questions que la société se pose et ce d’autant plus qu’ils appartiennent au milieu agricole. Les jeunes sont en de-mande sur ces interrogations, ils attendent de connaître les tenants et les aboutissants pour comprendre pourquoi on est dans telle situation, et quelles sont les alternatives avec les avantages et les inconvénients qu’elles peuvent chacune comporter. L’enseignement agricole a la mission de répondre aux interrogations de ces jeunes qu’on forme pour être les agriculteurs de demain, il faut donc leur don-ner la possibilité de choisir la manière dont ils veulent tra-vailler, dont ils veulent s’installer. Il y a bien une demande de la part des jeunes et aussi des moins jeunes. En effet les formations pour adultes, même si elles ont un aspect plus militant, concernent des gens qui ont une trentaine d’an-nées et des convictions parfois bien établies. Mais quel que soit l’âge, il y a toujours la volonté de se former et de s’informer pour évoluer. Pas forcément vers le bio, la question n’est même pas là, mais simplement de se poser les questions et de venir chercher les éléments de réponse.

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Pauline CASALEGNO :L’intérêt d’accompagner les établissements agricoles

dans leur projet de coopération internationale est juste-ment d’apporter des éléments de réponse à ces interroga-tions. En allant voir d’autres territoires on peut mesurer les interactions entre eux et admettre ou accepter de re-mettre en cause certains schémas considérés ici comme la seule façon de mener une exploitation. Cette remise en cause n’est pas facile. Pour le coup, je ne critique pas le fait qu’il soit compliqué de changer de modèle, mais je pense vraiment que ce regard sur d’autres façons de faire peut faciliter l’évolution des jeunes vers d’autres modèles.

Jean WOUDS, Artisans du Monde :Je fais partie de l’association Artisans du monde à

Arras et j’interviens dans les lycées pour parler du com-merce équitable. Dernièrement j’étais au lycée agricole d’Arras et je me suis aperçu qu’entre des sections intitu-lées « protection de la nature et environnement » et des sections « production agricole » basées sur le modèle actuel, il n’y a pas de lien ni de débat entre elles. Pour faire évo-luer les choses, ne faudrait-il pas que ce débat existe dès la formation ? Vous dites qu’il faut partir d’une base par-ticipative, que les éléments se confrontent, mais comment faire si cela ne se produit même pas entre élèves dans les établissements ?

Evelyne DESMOLINS :Le changement de mentalité ne se fait pas si facile-

ment, il y a des résistances, parfois de la part même des enseignants. Mais une volonté se fait jour petit à petit de la part des établissements qui donnent des directives et les enseignants sont bien obligés de faire évoluer leur dis-cours. J’ai dit que les programmes obligeaient à comparer les systèmes ; à Lomme par exemple, il y a une volonté de transmettre et de comparer : les élèves organisent des tables rondes, ils invitent d’autres classes et débattent. Cela fait partie aussi d’après moi de la formation des jeunes. Bien sûr, nous ne pouvons que favoriser le dé-bat, nous ne pouvons pas leur imposer des idées, le choix leur est laissé. Et il y a quand même de grands change-ments parce que les jeunes sont très critiques vis-à-vis de la société actuelle. Mon domaine d’intervention est l’aménagement et le maraîchage où il y a beaucoup de petites exploitations et où les idées alternatives sont assez avancées. En revanche, dans d’autres domaines, il y a de fortes réticences parce qu’on leur a tellement dit jusqu’à maintenant qu’ils étaient performants et qu’ils étaient les meilleurs… Regardez par exemple le Salon de l’agri-culture : on récompense encore le plus performant sans s’interroger sur la façon dont il produit. Cela prendra du temps pour changer.

Dans les projets de solidarité, même si les jeunes ar-rivent dans les pays du Sud avec leurs techniques, ils re-connaissent toujours qu’ils ont beaucoup à apprendre et tous me disent à chaque fois : « J’ai reçu plus que je n’ai donné ». Quand ils reviennent, ils font passer des mes-sages qui témoignent d’un changement de mentalité. Bien sûr, tout cela ne se fait pas et ne se fera pas du jour au

lendemain, mais les agriculteurs eux-mêmes commencent à changer. Le modèle productiviste a un coût, et quand ils envisagent la gestion de leurs exploitations, certains prennent en compte des éléments qui limitent ce coût, tels que la contrainte des ressources énergétiques. Tout cela fait partie des cours, et commence à entrer en application. Par exemple, dans certaines serres où on faisait aupara-vant de la fleur coupée, on cultive désormais des plantes vivaces parce qu’on n’a plus les moyens de chauffer les serres. Donc l’économique va peut-être aussi imposer des changements. C’est peut-être un faux espoir mais j’y crois vraiment.

Laura DEMADE PELLORGE :En tant qu’ingénieur en agriculture récemment diplô-

mée, je me sens très concernée par ce débat. Je suis assez d’accord avec ce qui a été dit en matière de cloisonnement. Ce cloisonnement a existé, il commence à s’atténuer un peu. J’ai remarqué aussi que l’enseignement évolue du fait des élèves. J’étais dans une école spécialisée dans l’agriculture, l’environnement et l’agroalimentaire. Enor-mément d’élèves arrivaient pour faire de l’agriculture res-pectueuse de l’environnement et, face à cette demande, l’établissement a dû évoluer pour répondre aux demandes des élèves. Il y avait également beaucoup d’événements dans cette école, comme des projections-débats, des asso-ciations qui intervenaient autour de leur projet de coopé-ration, et cela avait un impact très fort sur les élèves.

Evelyne DESMOLINS :Je suis d’accord avec vous, l’intervention des parte-

naires et des personnes extérieures a souvent un impact plus fort, plus efficace. Surtout parce qu’ils peuvent avoir porté une parole extérieure qui n’est, comme celle des en-seignants, un peu imposée. Je crois que le propre de l’en-seignement agricole, c’est quand même de se dépasser, d’aller voir ce qui se passe ailleurs et de recevoir. C’est pourquoi nous travaillons beaucoup avec des profession-nels et avec les partenaires.

.Serge DUVAUCHELLE :

Je voudrais témoigner de cette évolution, de ce chan-gement dans les établissements d’enseignement agricole. J’ai vu un lycée où le chef de culture ne pensait qu’en terme de rentabilité : jusqu’à son départ, rien n’a évolué. Depuis, il y a des parcelles bio, des bouts de vergers bio. Donc, les hommes jouent aussi un rôle, il n’y a pas que les programmes…

François FEYTET :Nous allons laisser la parole à Odile Dufly de la Direc-

tion des partenariats internationaux du Conseil régional Nord Pas-de-Calais. La question sera double : d’une part, quels sont les appuis du Conseil régional en matière de coopération décentralisée sur l’agriculture, d’autre part, quelle est plus largement l’action du Conseil régional dans le domaine de l’agriculture en région ?

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Odile DUFLY :L’exercice est pour moi assez difficile : je suis chargée

de mission en charge de la coopération décentralisée, no-tamment pour le Mali, donc technicienne, et votre ques-tion porte davantage sur l’action politique que sur l’action technique du Conseil régional. Cette collectivité mène une politique de soutien aux initiatives du territoire dans l’approche des pays en développement. Son action n’est pas centrée ou ciblée sur tel ou tel secteur d’activité. Il n’y a donc pas de politique d’appui spécifique au secteur agricole. Néanmoins l’activité agricole est une activité économique que nous soutenons et cette activité s’inscrit comme on l’a dit tout à l’heure à travers l’exemple de Loos N’Gourma, dans une approche plus globale.

Cette approche est celle du développement durable et des projets de développement intégré. Ainsi, on peut passer par l’agriculture pour arriver à l’éducation ou par l’éducation pour arriver à l’agriculture, ou par la santé pour aborder les questions d’alimentation. Ces projets ré-pondent à deux facteurs : l’envie ici et le besoin là-bas. Bien évidemment, il est important de s’inquiéter du be-soin et de la façon dont il s’exprime. La rencontre doit se faire au regard du territoire, de la région Nord Pas-de-Calais qui est une terre qui bouge, qui a envie de faire des choses, qui est très associative dans quelque domaine que ce soit, ici comme à l’international. En matière de solida-rité ou de coopération internationale, l’important est d’al-ler voir ailleurs et dans ce cas, l’ailleurs qu’on propose, c’est pour ce matin au Sud, en Afrique plus particulière-ment, mais pas uniquement.

Il y a une part de rêve, des valeurs, des idéaux, que chacun porte au fond de lui-même et que toute collectivité peut essayer de réveiller pour montrer que c’est possible d’agir ensemble. Le Conseil régional, vient en appui de ces volontés à travers des dispositifs qui ont déjà été cités. Loos N’Gourma qui fête ses trente ans, est depuis long-temps militante et a pu trouver à un moment donné des appuis auprès des collectivités de son territoire proche, au niveau départemental ou régional. Les financements du Conseil régional peuvent être mobilisés à partir du moment où le projet s’inscrit dans la durée, nécessite des moyens un peu plus conséquents que ce que l’on peut faire du seul point de vue associatif. Ces financements parfois demandent à ce que ce les dossiers soient encadrés par des procédures. De ce fait, des structures comme Lianes Coo-pération sont là pour dérouler tout un dispositif de for-mations et d’informations… Vous pouvez consulter sur leur site leur base de données pour vous apercevoir de la richesse et de la diversité des projets et des structures dans quelque territoire du Nord Pas-de-Calais que ce soit.

Ces structures sont apparues dans un souci d’équilibre géographique, même si le mouvement est particulière-ment important dans l’agglomération lilloise, autour de Dunkerque et de Boulogne-sur-Mer. Il était important que l’on appuie les structures et les publics au plus près, no-tamment pour donner envie et entretenir le mouvement associatif. C’est pour cette raison qu’un dispositif a été mis en place pour délocaliser, pour repérer les structures et les personnes ressources, les fédérer et pouvoir les

mettre à la disposition de celui qui a une idée. C’est un projet particulier au Nord Pas-de-Calais, qui existe éga-lement pour les projets européens, et le Conseil régional a décliné cela au niveau de la solidarité internationale. La région travaille également avec les lycées agricoles : elle les appuie via les dispositifs Solidaires ici, Solidaires ailleurs (Sisa) et Devenons citoyens de la planète, deux dispositifs qui ne s’adressent pas qu’aux lycées agricoles ni même qu’aux établissements scolaires, même si le se-cond est destiné aux jeunes.

Le Conseil régional porte également depuis un cer-tain nombre d’années sa propre politique de coopération décentralisée. Il ne s’agit pas d’une politique institu-tionnelle, c’est une politique portée par une collectivité comme d’autres collectivités en Nord Pas-de-Calais ou en France peuvent le faire, en lien étroit avec les acteurs du territoire. Il est important de bien connaître ces acteurs, d’où le lien avec les politiques régionales. La Direction au sein de laquelle je travaille ne porte pas spécifiquement de projet agricole, mais soutient les actions menées en rela-tion avec la direction concernée sur notre territoire. Ceci dit, je connais assez ces actions, grâce à la transversalité et à ce travail de repérage, de mise en relation et en syner-gie. Le Conseil régional déroule sa propre politique dans certains territoires d’Afrique de l’Ouest, du Maghreb, de Madagascar, et au Brésil. Dans ces cas, il s’agit plus de dispositifs pour lesquels il faut répondre à des appels à projet. Certains disent que ces actions permettent d’ex-périmenter, de prendre le temps, on est là effectivement davantage dans l’explication, dans la compréhension. Le travail avec le Drapp est très important et, d’après ce qui a été dit, vous voyez le lien dans cet environnement d’implication, de mobilisation, d’un territoire pour agir au Sud. La vice-présidente Majdouline Sbaï viendra tout à l’heure et le dira certainement mieux que moi avec un discours plus politique. Elle anime en ce moment un cer-tain nombre de rencontres territoriales qui sont autant d’occasions de dialoguer, de poser des questions ou de critiquer si, par exemple, certains dispositifs ne marchent pas convenablement. Le but est d’être à l’écoute et d’es-sayer encore et encore ces dispositifs. Le Drapp est né parce qu’à un moment donné, il y avait un certain nombre de questionnements, aussi bien dans les associations que dans les services du Conseil régional. Une réflexion com-mune s’est engagée pour répondre à ces interrogations et de là est né le Drapp.

L’agriculture dans tous ces projets tient une part rela-tivement réduite. Ce n’est pas une volonté politique ou technicienne : il est évident que l’agriculture est la pre-mière activité qui fait vivre les hommes, mais ce domaine semble susciter peu de projets. C’est aussi par le biais de l’agriculture que le GRDR et le Conseil régional se sont rencontrés. Le Conseil régional a fait appel à cette ONG implantée à l’origine en région parisienne parce qu’elle intervenait sur le bassin du fleuve Sénégal. Nous la sollici-tions alors pour répondre à nos interrogations sur le territoire du Mali, mais aussi pour réfléchir à une mobilisation des acteurs présents sur ces territoires. Le GRDR est désormais présent en Nord Pas-de-Calais depuis plusieurs années.

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Les lycées agricoles sont des structures très importantes dans les réseaux de solidarité internationale. L’importance des filières de formation a déjà été soulignée aujourd’hui, tout dépend ensuite de la gouvernance de chaque établis-sement et de l’envie des élèves. Les projets de solidarité internationale doivent venir de l’intérieur et non être im-posés. Les lycées agricoles sont ainsi présents sous deux angles, et pour nous, c’est précieux. Nous travaillons énormément avec la Direction régionale de l’agriculture et de la forêt (Draf), et tout cela constitue autant de petites pierres. Pour revenir aux lycées, on ne voit souvent que des jeunes dans le cadre des déplacements, mais comme l’a dit Evelyne Desmolins, les projets reposent surtout sur les enseignants grâce à qui ils arrivent à durer dans le temps. Je ne parle pas ici de l’impact que cela produit sur le groupe mais de l’impact sur le territoire au Sud. Pour ne pas donner une impression de déplacement, de change-ment de tête, les professeurs et les équipes pédagogiques sont très importants. La prise en compte du Sud est un aspect du travail que nous menons avec la Draf. Mais il nous faut aussi le voir sous l’angle de la formation pro-fessionnelle, et donc avoir en tête que les établissements sont aussi des lieux de formation, d’expérimentation, de démonstration, puisqu’il y a une exploitation agricole que l’on ne retrouve pas dans les établissements scolaires clas-siques, même techniques. Les lycées agricoles sont des lieux de formation permanente. Cet aspect de la filière de formation agricole est également intéressant pour le Sud, même s’il faut évidemment faire attention à ce qui existe déjà sur ces territoires. Notre mission est sans doute d’es-sayer de faire des liens ; de société civile à société civile, d’association à association voire de centre de formation à centre de formation ou d’hôpital à hôpital. Les liens exis-tent souvent depuis longtemps, ce qui fait à mes yeux de la coopération un mouvement sociétal. A notre niveau, il faut essayer de trouver des pairs : des élus, des profession-nels, des techniciens, et ainsi de suite. Nous essayons d’en rendre compte le mieux possible, parce qu’il est important d’arriver à communiquer, à capitaliser toutes ces expé-riences. C’est un aspect sur lequel nous serons tous ame-nés à travailler pour pouvoir transmettre. C’est un travail qui doit se faire par exemple au niveau du Drapp, avec des fiches, des banques de données, afin de pouvoir à tout moment, quand on a une idée, trouver une information sans se déplacer d’un bout à l’autre de la région. Cela fait partie des chantiers que nous menons : il y a un capital de connaissances sur notre territoire qu’il faut mettre en va-leur. Il est beaucoup question d’échanges Sud-Sud, mais il faut également mettre l’accent sur le Nord-Nord, parce que nous sommes obligés de mettre en partage : il faut du temps pour comprendre, il faut du temps pour faire, il faut du temps pour analyser et il faut aussi à un moment donné, le faire savoir, le communiquer, le transmettre pour donner envie à l’autre. Pour finir, les relations Sud-Sud doivent, à mes yeux, se construire à l’intérieur d’un espace régional, africain dans le cas de Sampiéri. J’invite mes collègues burkinabé à se faire connaître de l’autre côté des frontières là où d’autres acteurs peuvent aussi réfléchir à ces questions des relations à la terre, à l’eau,

au changement climatique. Comme ici, l’information ne circule pas toujours, il faut parvenir à la mettre en partage, ainsi le Sud-Sud existerait aussi au-delà des frontières.

François FREYTET :Bertrand Sajaloli va conclure la matinée. Son point de

vue pourra nous éclairer : d’abord en tant qu’enseignant chercheur familier des questions d’agroécologie, puis en tant qu’extérieur à la région.

Bertrand SAJALOLI :Je suis géographe, maître de conférences à l’Univer-

sité d’Orléans. J’interviens depuis quatre ans sur deux programmes de recherches au Burkina Faso et j’espère bientôt trois puisque nous avons déposé récemment un programme commun avec l’Avapas et Loos N’Gourma.

Je suis surpris du nombre de parallèles qui peuvent exister entre les régions Centre et Nord Pas-de-Calais. En fait, ce n’est pas vraiment une surprise, c’est plutôt une constatation. Le premier programme de recherches sur le-quel je travaille est financé par la région Centre, et nous travaillons de concert avec Centraider, qui est l’équivalent de Lianes Coopération, c’est-à-dire une association qui fé-dère l’ensemble des acteurs de la solidarité internationale. Même si les mots d’expertise, de diagnostic sont malve-nus quand il s’agit d’associations, l’une de mes missions est relativement claire : il s’agit d’évaluer, de comprendre quels pouvaient être les actions, les logiques d’action et les effets de la solidarité internationale au Burkina Faso. J’ai ainsi été amené à rencontrer les 120 acteurs identi-fiés en région Centre qui travaillent ou qui ont travaillé au Burkina Faso depuis 2001 (2001 étant la date de création du réseau Centraider) pour essayer de comprendre ce que faisaient les uns et les autres. Mes conclusions rejoignent ce qui a été dit plusieurs fois : sur les 123 associations recensées, seules 62 sont aujourd’hui encore actives. Il me semble qu’il y a une très grande difficulté – ce qui est tout à fait compréhensible – à pérenniser des projets as-sociatifs. Quand on fait des évaluations pour savoir quels sont les projets qui méritent d’être soutenus, qui ont réel-lement eu un effet d’aide et non un effet caritatif, il n’est pas surprenant de voir que ce ne sont pas les associations les plus grosses institutionnellement qui portent les pro-jets qui sont les plus positifs en matière d’aide, mais celles qui ont trouvé en elles-mêmes l’énergie de durer une di-zaine d’années. Aider – je crois qu’on partage tous cette idée aujourd’hui – c’est prévoir que l’on va bientôt partir. C’est l’exemple au Népal qui a été cité précédemment. L’aide est une impulsion. L’objectif est de rendre auto-nome un projet d’éducation, de santé, ou d’agriculture. Une aide qui s’inscrirait sur 40 ou 50 ans n’a pas de sens, parce que dans ce cas on est dans une logique d’assistanat et non dans une logique de développement.

Un deuxième constat, toujours dans le cadre de ce pro-gramme, est qu’il y a très peu de projets en région Centre qui ont été spécifiquement agricoles. Je crois que cela s’explique par la très grande complexité qu’il y a à inter-venir dans le champ des questions agricoles. Cette com-plexité - c’est l’une des hypothèses qu’on développe dans

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ce programme de recherches - est une complexité cultu-relle, parce que toucher à la terre, c’est toucher à l’en-semble des liens qui existent entre l’homme et la nature. Ces liens sont extrêmement complexes et je rejoins ce que disait Sylvain Korogo dans le film, c’est-à-dire que si l’on n’a pas les mêmes définitions du progrès, les mêmes valeurs et une très fine compréhension des relations qui peuvent exister entre l’homme et la terre, l’homme et la femme, entre les différentes générations, et de la super-position des différents pouvoirs, on fait des erreurs et on manque sa cible. Manquer la cible n’est pas forcément dramatique, mais si on détruit, si on fragilise ou si on per-turbe ce qui a été fait, alors pour le coup il valait mieux ne pas tirer, c’est-à-dire ne pas aider.

Dans les bilans que nous avons dressés, curieusement le plus grand nombre d’échecs qu’on a enregistrés – je dis échec, mais comprenez bien que notre rôle n’est pas de distribuer les bons et les mauvais points mais de com-prendre ce qui n’a pas fonctionné pour faire en sorte que l’erreur ne se reproduise pas – donc le plus grand nombre d’échecs concerne les projets agricoles parce qu’à chaque fois il y a une sous estimation de la complexité des liens et du rapport à la terre, ainsi que des liens sociaux entre hommes et femmes et entre générations. Par exemple, nous avons vu des programmes de formation à destination des femmes dans des milieux où ce n’est pas adapté. J’in-terviens notamment en milieu Peul à Barani dans l’Ouest du Burkina Faso, dans la province de la Kossi, non loin des falaises de Bandiagara, au Mali. C’est un milieu très éloigné, très traditionnel, où les relations sont particuliè-rement complexes, où un savoir préalable est nécessaire avant de lancer un projet. Finalement la posture qui vou-drait qu’il faille passer un an au village avant de se lancer dans un projet d’aide est relativement exacte. Les gens qui aident sont formidables, altruistes, mais ils ne peu-vent avoir ce luxe de vivre un an au village. De ce fait ils vont agir au nom de ce qu’ils imaginent être un progrès que ce soit en termes d’éducation ou de modernisation des cultures, mais ce sont toujours les programmes de ce genre qui fonctionnent le moins bien. Et comme la com-plexité la plus grande est dans le domaine agricole, c’est dans ce domaine qu’il y a le moins de projets et que les échecs sont les plus patents. Il est donc urgent de mettre en place des réseaux régionaux ou nationaux, tant au Nord qu’au Sud, pour essayer de faciliter la résolution de l’en-semble de ces questions.

Parallèlement, et ce sera le dernier point, on arrive tou-jours au Sud dans une position de domination. Il s’agit d’une domination culturelle, d’une domination matérielle et d’une domination des savoirs. Il ne faut pas oublier que nous sommes les colons ou leurs descendants. Quand bien même on ne souhaite pas le montrer, quand bien même on vient sans chercher une espèce de légitimation de sa su-périorité, on est quand même là, ce qui fait que les aides, quel que soit le domaine d’intervention, seront définies selon une logique occidentale du progrès. Le programme sur la commune de Barani comporte l’idée de faire un dia-gnostic territorial avec les autorités locales pour essayer d’amener les partenaires du Sud à d’abord définir les aides

dont ils ont besoin. Cela est relativement simple parce que le Burkina Faso est un pays très organisé et qu’il y a une politique d’Etat qui se traduit par des documents comme les Plans de développement communaux disponibles dans chaque commune. Ces plans sont des guides extrêmement précieux pour toutes les associations qui souhaiteraient mettre en place un projet. Mais ces documents sont éga-lement stéréotypés, puisqu’ils ont été réalisés par deux bureaux d’études pour tout le Burkina Faso et on y trouve beaucoup de « copier-coller ». En revanche, ils compor-tent une partie participative extrêmement intéressante, même s’il y a une grande difficulté à hiérarchiser. Ce tra-vail paraît important et avant de commencer un projet qui serait bouclé et ne chercherait plus que des partenaires, comme on le mentionnait tout à l’heure, la démarche est plutôt d’aller là-bas et de dire : « Réfléchissons ensemble à ce dont vous pouvez avoir besoin, hiérarchisons une lo-gique d’aide et autour de cette hiérarchie d’actions de développement, essayons de construire ensemble une lo-gique d’actions. », logique d’actions qui ne peut être que Sud-Nord, parce que sinon elle est vouée à l’échec.

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Panorama de l’agroécologie dans le Monde. Quelle place pour l’agroécologie dans les pays du Nord ?Silvia Pérez-Vitoria

Avant de commencer, je vais me présenter rapidement, je suis économiste, sociologue et documentariste. Je monte actuellement un film consacré à la question des migrations dans l’agriculture en Europe, parce que c’est un vrai problème dans les pays du Sud comme dans les nôtres. J’ai écrit des livres dont les titres parlent d’eux-mêmes : Les Paysans sont de retour et La Riposte des Paysans, j’enseigne à l’Université de Cordoue dans le cadre d’un Master et d’un Doctorat en agroécologie. Je travaille actuellement au Laboratoire d’Eco-anthropologie et d’ethnobiologie (CNRS-MNHN-Paris 7). Je suis membre également de l’association « La Ligne d’horizon-les amis de François Partant » qui existe depuis 1989 et qui, depuis cette époque, entreprend une critique très radicale du développement, y compris du développement durable.

Mon exposé va essayer de revenir un peu sur l’historique de l’agroécologie qui n’est pas très connue en France et aborder la question de sa diffusion dans le Nord, là où elle semble plus problématique.

Nous avons vu ce matin des exemples concrets de ce qu’est l’agroécologie, je vais plutôt aborder ses principes fonda-mentaux : comment elle est née, comment elle s’est développée, pourquoi elle semble intéressante, et montrer qu’il y a plusieurs visions de l’agroécologie. En effet depuis le rapport paru sur le site de la FAO, l’organisme des Nations Unies en charge de l’agriculture et de l’alimentation qui préconise le développement de l’agroécologie, on assiste à des tenta-tives de récupération, de déviation, de contournement.

La notion d’écologie est assez ancienne, le terme agroécologie apparaît dans les années 1930 dans les travaux d’un agronome tchécoslovaque, Basil Bensin. Mais il a fallu attendre beaucoup plus de temps pour voir réellement émerger le mouvement agroécologique. Il apparaît dans les années 1970 en Amérique Latine et dans une moindre mesure aux Etats-Unis. Très souvent d’ailleurs ce sont des chercheurs venus d’Amérique Latine, comme Miguel Altieri, un Chilien, qui ont développé ces concepts aux Etats-Unis. Leurs travaux visaient à répondre aux dégâts causés par l’agriculture industrielle dans les cultures d’exportation en Amérique Latine. Vous le savez peut-être, cette agriculture d’exportation était particulièrement agressive, et là est née la réflexion autour de la notion d’agroécologie.

J’ai dit auparavant qu’il y avait plusieurs définitions de l’agroécologie, en fait ce sont surtout deux grandes visions. La

première est une vision au sens strict, agronomique qui consiste à dire que c’est l’application des principes de l’écologie à l’agriculture, donc une vision technique, technicienne. La seconde est une vision beaucoup plus large qui a commencé à se développer vers la fin des années 1980, qui intègre dans l’agroécologie toutes les dimensions sociales, politiques, économiques, etc. Dans ce cas il ne s’agit pas simplement d’un ensemble de techniques appliquées à l’agriculture, mais d’une prise en compte de la globalité de la problématique dans laquelle se situe l’agriculture.

Quelques notions sont essentielles pour bien comprendre ce qu’est l’agroécologie. La plus importante est celle d’agro-écosystème, les écologues savent ce qu’est un écosystème, c’est un ensemble d’éléments naturels qui interagissent dans un milieu sans intervention humaine, un agroécosystème est un écosystème dans lequel l’homme intervient. Chaque agroécosystème est déterminé par une région, des données physiques, géographiques, écologiques, climatiques, etc. et par les hommes, c’est donc une co-évolution entre les sociétés et la nature. Dans l’histoire, certaines pratiques ont permis à des agroécosystèmes de se développer et de perdurer, alors que d’autres les ont détruits. Il existe des multitudes d’agro-écosystèmes. En France par exemple, l’agroécosystème dominant était l’association de la polyculture et de l’élevage, comme dans tous les pays tempérés. Dans les Andes, l’agroécosystème repose sur une articulation entre les différents niveaux des montagnes, entre un certain type d’élevage et certaines pratiques de cultures, etc. L’agroécosystème sera en-core différent en forêt équatoriale. Il est très important de maîtriser cette notion parce que, même d’un point de vue tech-nique, les choses ne sont pas nécessairement transposables, justement parce qu’il faut tenir compte des caractéristiques de l’agroécosystème. L’un des grands problèmes qu’ont rencontrés les politiques de développement agricoles, a été d’essayer d’appliquer des recettes qui étaient les mêmes partout. Dans sa partie humaine, un agroécosystème est encore plus compliqué, puisqu’il faut tenir compte de l’évolution des sociétés qui y interviennent : comment elles travaillent, comment elles cultivent, comment elles sont organisées, etc. Ce qui est intéressant dans l’agroécologie, c’est que cette

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notion s’est construite par couches successives avec les apports d’agronomes, d’anthropologues, de géographes, d’histo-riens, d’économistes, de sociologues, etc. Petit à petit s’est ainsi constitué un mode d’analyse de l’agriculture prise dans sa totalité. Ce que propose l’agroécologie dans cette approche, c’est de trouver les formes qui permettent à l’agroéco-système de se maintenir dans le temps, sans être détruit, sans être perturbé, c’est-à-dire de se rapprocher le plus possible de ce que ferait un écosystème sans intervention humaine. Les études qui ont été menées un peu partout ont montré que ce sont les paysans et les populations indigènes qui ont le mieux réussi à maintenir ces agroécosystèmes dans le temps, d’où l’idée de remettre au centre de la réflexion les paysanneries, les populations indigènes et leurs savoirs. C’est là un renversement complet au regard de l’agriculture conventionnelle qui prétend que la science agronomique apporterait des réponses à l’ensemble des problèmes que pose l’agriculture. L’idée en agroécologie est qu’il n’y a pas une réponse unique. Il faut d’abord étudier la manière dont au cours des âges un agroécosystème s’est constitué et s’est développé. De ce fait, passer du système conventionnel à l’agroécologie est très compliqué. Les exemples abondent en Amérique latine, en Espagne ou en Inde ; il faut aller chercher dans les archives, collecter la mémoire des gens sur ce qui se faisait auparavant, il faut également prendre en compte la propriété de la terre, les marchés, les pouvoirs politiques… Tout cela constitue une série d’éléments sur lesquels il faut s’appuyer pour repenser une économie, une agriculture. Sans entrer dans le détail, l’histoire de la modernisation de l’agriculture peut se résumer à la transformation d’un mode de vie et d’organisation sociale, en un secteur économique. Essayer, comme le fait l’agroécologie, de reconstituer l’ensemble des équilibres sociaux, politiques, économiques et autres, déterminés par l’agriculture demande tout un travail, faisant appel à des historiens, des sociologues, des anthropologues, des agronomes, etc.

L’intérêt de cette démarche est de mêler sciences dures et sciences humaines, et le travail entre ces deux branches est rarement facile. On le voit très bien en France puisque quand l’INRA a voulu mettre en place un secteur de sociologie, certains ont prétendu que ce n’était pas le rôle de l’INRA de se soucier de sociologie. N’empêche que la démarche agro-écologique, encore une fois, est globale. Elle consiste à prendre en compte tous les éléments : les hommes et le milieu naturel ; il faut que ces deux éléments soient en équilibre et que les hommes soient aussi en équilibre, ce qui veut donc dire que le bien-être des hommes est aussi important que le bien-être de la nature, c’est vraiment une des bases de l’agro-écologie.

Quelques principes doivent aussi être pris en compte pour comprendre l’agroécologie :

• L’intégralité, il s’agit de prendre en compte la totalité du système et non simplement la partie cultivée. La partie non cultivée est très importante en termes de biodiversité puisque l’agroécologie préserve à la fois la biodiversité cultivée dont les trois quarts ont disparu au cours du XXe siècle, ce qui est l’un des résultats de l’agriculture industrielle, et la biodiversité naturelle. Cet équilibre se fait à la fois avec l’agriculture et les parties non cultivées qu’il s’agisse des friches, des adventices, etc. qui bénéficient d’un traitement particulier.

• L’équilibre est aussi une notion importante : équilibre du milieu naturel, équilibre de l’homme avec le milieu naturel qui l’environne.

• Autonomie et gestion de contrôle des populations, l’idée étant qu’il faut le moins d’intervention extérieure pos-sible, que certaines formes d’auto organisation permettent aux gens de contrôler leur propre mode de vie et donc de moins recourir aux interventions extérieures.

• Minimalisation des externalités négatives, il s’agit là de ne pas rejeter dans l’agroécosystème ou dans l’écosys-tème les déchets, donc de recycler au maximum et d’avoir le moins d’impact possible, ce qui évidemment présuppose comme base l’agriculture écologique ou biologique mais pas uniquement : l’agriculture biologique est une condition né-cessaire mais non suffisante. Elle ne suffit pas pour définir une approche agroécologique, comme une approche technique ou technologique ne suffira pas davantage.

• Valorisation des circuits courts, utilisation des savoirs locaux, cet aspect peut paraître compliqué dans nos pays, tout simplement parce que la modernisation les a fait disparaître. Je peux vous en donner un exemple intéressant : en An-dalousie à la fin des années 1980 il y a eu un mouvement important d’occupation de terres. Il y a une très grande inégalité dans la répartition des terres au sud de l’Espagne où certaines propriétés font 17 000 hectares. C’est très proche de ce qui existe en Amérique du Sud. Vers 1986 il y a eu un mouvement très fort qui a abouti à la redistribution de certaines terres et donc des ouvriers agricoles se sont retrouvés paysans. Ils ont dit : « Nous ne voulons pas cultiver comme nous avons travaillé, nous voulons cultiver autrement ». L’ISEC, institut de sociologie et d’études paysannes qui est basé à Cordoue, a été consulté par ces paysans pour savoir ce qu’ils pouvaient faire. Il n’avait pas de réponse à leur apporter, alors ils ont fait le tour de toutes les personnes âgées qui restaient dans les environs et ils ont commencé à noter, à récupérer les pratiques, les connaissances, les variétés, les semences, etc. On parle beaucoup en Andalousie des serres qui sont, tant au plan social qu’au plan écologique, le summum de la destruction que peut faire l’agriculture moderne, tant au plan

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écologique qu’au plan humain. Mais à côté de cela, il y a toute une série d’expériences d’agroécologie au sens plein du terme, c’est-à-dire de gens qui se sont pris en mains, qui ont récupéré des savoirs, qui les ont transmis, et qui les ont mis en pratique avec des circuits courts, etc., donc des expériences très intéressantes même dans des pays comme les nôtres.

J’anticipe un peu sur ce que je voulais dire sur les limites : la majorité des paysans du monde se trouve dans les pays du Sud, comme la majorité des savoirs et des connaissances, ce qui fait que par un phénomène que, moi qui suis critique du développement, je trouve particulièrement intéressant, ce sont les pays les moins développés qui ont à nous apprendre. On nous répète qu’un pays développé est un pays qui a peu de paysans. Je prendrai comme exemple l’entrée des pays de l’Est dans l’Union européenne. L’une des premières choses qu’a affirmé l’Union européenne à propos de la Roumanie, de la Bulgarie, de la Hongrie, de la Pologne, c’est que ces pays comptaient encore trop de paysans, 20% de la population, c’est trop, il fallait que ce nombre diminue, c’est la règle en économie. Si nous changeons complètement de paradigmes, si nous adoptons une autre vision du monde, peut-être verrons-nous que ce sont les pays où il y a le plus de paysans qui fourniront les savoirs, les semences, la biodiversité. C’est d’ailleurs dans ces pays que la biodiversité est la plus riche, et la biodiversité reste un élément important du débat avec les tentatives actuelles pour essayer de la récupérer.

On peut renverser totalement les logiques habituelles de développement et se dire que c’est précisément là où il y a des paysans, là où il y a des connaissances et des savoirs que l’on pourra mettre en place des systèmes d’agroécologie beaucoup plus riches, beaucoup plus pertinents. Cela, encore une fois, n’empêche pas de pouvoir récupérer des savoirs, de pouvoir récupérer des systèmes, d’expérimenter ; les paysans ont toujours expérimenté, ils continuent d’expérimenter, donc il y a là un potentiel très important à condition de reconnaître qu’il existe un savoir paysan, qui a en grande partie été perdu et qui est au moins l’équivalent du savoir agronomique, et que ces deux savoirs peuvent travailler ensemble. J’en donnerai pour exemple le Brésil où il y a une politique d’agroécologie à côté des cultures de soja et d’OGM. Le Brésil compte deux ministères de l’agriculture, l’un pour les grandes cultures qui se bat à l’OMC pour gagner des parts de marché, et un ministère du développement agricole qui travaille avec les paysans et met en place des réseaux agroéco-logiques extrêmement forts, extrêmement importants et toujours d’avant-garde. Ainsi les techniciens vulgarisateurs agri-coles reçoivent une formation particulière pour respecter et être à l’écoute des paysans. De fait, il y a une reconnaissance du savoir paysan au moins à égalité avec celui des vulgarisateurs agricoles. Cela vient des différents Etats du Brésil qui appliquent cette politique, donc vous voyez que là il y a un renversement de situation par rapport à la vision habituelle, celle qui prétend qu’il faut apprendre aux paysans. Les paysans ont aussi à nous apprendre ou à apprendre aux vulgarisa-teurs agricoles qui viennent les voir.

Il y a encore d’autres principes importants en agroécologie, comme la pluriactivité. Il faut bien distinguer pluriacti-vité et multifonctionnalité, cette dernière est une vision bureaucratique de l’Union européenne qui n’a rien à voir avec la pluriactivité qui est traditionnellement le fait des paysans du monde entier, c’est-à-dire le fait de diversifier l’activité notamment en fonction des périodes creuses. Toute l’histoire de la paysannerie prouve que dans ces périodes on faisait autre chose, mais cette « autre chose », ce n’est pas simplement des revenus, c’est aussi recycler toute une série de choses qui, dans le système industriel, deviennent des déchets et, dans le système agroécologique, deviennent des ressources. C’est une inversion, c’est fermer les cycles de production, ce qui est aussi l’une des bases de l’agroécologie.

Les principaux lieux de recherches de l’agroécologie sont les Etats-Unis et plus précisément la Californie, la Colom-bie, le Brésil, l’Argentine, et l’Espagne. Il est intéressant de voir que ce mouvement agroécologique commence à avoir une base sociale parce que depuis une vingtaine d’années se sont développés – peut-être pour la première fois dans l’histoire – dans le monde des mouvements paysans à l’échelle internationale. On a beaucoup entendu parler en 1984 du mouvements des sans terre du Brésil, mais depuis 1993 il existe un mouvement international qui s’appelle Via Campesina qui regroupe d’après les estimations environ 200 millions de paysans dans le monde : petits paysans, paysans sans terre, femmes rurales, peuples indigènes et pêcheurs. Ce mouvement est très important parce qu’il mène une réflexion qui va bien au-delà de ce que traditionnellement on attribue aux agriculteurs. Je fais une différence entre agriculteurs et pay-sans . Via Campasinia est totalement en dehors d’une démarche corporatiste. Cette organisation pose le problème de la biodiversité, des échanges, de la souveraineté alimentaire (qu’il faut distinguer de la sécurité alimentaire de la FAO), du changement des pratiques culturales. Et ce qui est intéressant c’est que depuis son dernier congrès à Maputo en 2008, Via Campesina a décidé d’adopter l’agroécologie comme pratique, c’est-à-dire de se mettre derrière la bannière de l’agroé-cologie et ces mouvements paysans sont en train de mettre en œuvre toute une série d’expériences un peu partout dans le monde, y compris des écoles. Il existe plusieurs universités de paysans dont les formations sont assurées par des paysans pour les paysans. Il en existe une au Venezuela, une au Paraguay, et deux ou trois au Bangladesh. Il y a eu une tentative en Espagne d’une université itinérante, qui consiste surtout à récupérer des savoirs dans toutes les régions où les paysans ont encore ces connaissances, de façon à ce que ces savoirs et ces connaissances ne se perdent pas. Cette force sociale est très importante, elle peut porter l’agroécologie à un niveau qu’elle n’a encore jamais atteint : on dépasse le stade de la petite expérience, on est vraiment dans un mouvement social qui s’est approprié cette notion.

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Les obstacles que rencontre l’agroécologie sont souvent les mêmes dans l’ensemble des pays du Nord, je limiterai mes propos au cas de la France. Je vais commencer par apporter un témoignage. La ligne d’horizon a, en 2008, organisé un colloque à Albi qui s’intitulait « Nourriture, paysannerie, autonomie », en collaboration avec, Les Amis de la terre, Nature et progrès, la Confédération paysanne et une association qui s’occupe d’éco construction, Ecobâtir. On avait in-formé la totalité des grandes écoles d’agronomie françaises – et elles sont nombreuses – de l’organisation de ce colloque. Beaucoup d’étudiants sont venus, mais il n’y avait pas un professeur. Seuls deux enseignants de Toulouse y ont assisté. Donc, la première chose en France c’est un mur, constitué d’abord par les syndicats majoritaires, et les établissements d’enseignement agricole, essentiellement supérieurs. Les lycées d’enseignement agricole évoluent un peu. Mais il faut surtout voir que derrière tout cela il y a en France des intérêts considérables, dont les industries semencières parmi les plus importantes au niveau mondial, et que la France est un des plus gros utilisateurs de pesticides au monde. De plus, les connivences sont très fortes entre chambres d’agriculture, Ministère de l’agriculture, centres de recherche, écoles d’agronomie, industries d’intrants, industries agroalimentaires, etc. L’idéologie aussi est très forte : la France a une his-toire particulière car la modernisation de son agriculture s’est faite à travers une cogestion entre l’Etat et les syndicats. Donc en apparence il y a une très grande difficulté... Mais, par ailleurs, il y a énormément d’expériences qui tournent autour de l’agroécologie. Ainsi, à la suite du colloque, nous avons été contactés par des régions qui veulent faire des choses à leur niveau pour mettre en place des pratiques agroécologiques, donc les choses sont en train de bouger. A la base il se passe énormément de choses en France, on peut par exemple considérer que le réseau des Amap fait partie de l’agroécologie : valoriser les circuits courts, essayer de redonner aux paysans une partie de la valeur ajoutée qui se perd dans les circuits de distribution, tout cela fait partie de l’agroécologie, de la revalorisation de l’agriculture paysanne. Des réseaux comme les paysans boulangers qui diversifient les semences et qui vont jusqu’à la vente directe de leurs produits, cela rejoint aussi l’agroécologie. Donc il y a toute une série d’expériences qui se font mais avec des blocages importants d’un point de vue institutionnel. Enfin, il y a aussi la récupération. Des concepts comme l’agriculture écologiquement intensive ou la double révolution verte, sont des récupérations ; la double révolution verte concerne l’Afrique, vous ne le savez peut-être pas mais l’Afrique est le seul continent où il n’y a pas eu de révolution verte, et je pense que c’est en Afrique que se jouera l’avenir de l’agriculture dans le monde.

L’Afrique devient le champ d’expérimentation d’un certain nombre de firmes et de fausses ONG, comme Agra derrière laquelle on trouve Bill Gates et la fondation Rockefeller, un organisme présidé par Koffi Annan qui veut aider les petits paysans en faisant de l’agroécologie alors que derrière cette façade agréable il y a les OGM, la récupération des semences afin d’en faire des brevets qui est une vraie biopiraterie, l’utilisation des pesticides, etc. Ces gens-là utilisent l’Afrique comme terrain d’expérimentation de quelque chose qui se fera ensuite à une échelle globale. L’accaparement des terres auquel on assiste actuellement en Afrique rentre tout à fait dans cette logique, ce n’est pas une question de complot, mais de stratégie : l’Afrique est le maillon faible parce que les formes d’organisation n’y sont pas encore aussi fortes qu’en Amérique latine ou en Asie, en particulier dans le monde paysan. Heureusement, le monde paysan africain est en train de s’organiser à toute allure. Ici, en France, nous voyons se développer une nouvelle « sorte » d’agriculture : l’agriculture écologiquement intensive, qui consiste à habiller de vert l’agriculture productiviste. Il s’agit donc bien d’une vraie lutte, d’un vrai combat entre deux types d’agriculture. Un combat ouvert, direct, dans certains pays comme au Brésil où on trouve des frontières avec d’un côté des OGM et de l’autre une agriculture paysanne qui se battent pour gagner du terrain parce que la terre est la même pour les deux. Parfois, ça se voit moins, comme quand il s’agit de batailles pour gagner des marchés. Par exemple quand on veut chez nous développer l’agriculture bio dans les cantines scolaires il y a une lutte entre un système conventionnel entièrement industrialisé du début jusqu’à la fin, et un autre système qui essaie de valoriser des productions locales, des pratiques différentes, etc.

Enfin, il est intéressant de souligner le rôle des femmes dans les mouvements paysans que je citais. Il y a une volonté très forte pour que les hommes et les femmes soient traités à égalité dans cette agriculture-là. Et il existe des exemples très intéressants comme en Italie où un travail de revalorisation du travail des femmes s’est fait dans les réseaux de l’agri-culture paysanne.

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Bertrand SAJALOLI :J’aurais une remarque à formuler par rapport à la ré-

cupération. Je vous rejoins sur ce point puisqu’on voit même des organismes comme le Cirad qui vient de lancer un module d’agroécologie qui prétend à être en pointe de l’agroécologie sur son site Internet, mais quand on re-garde de près le contenu, on est relativement loin des prin-cipes et des valeurs que vous venez d’exposer. C’est là un exemple de la grande perversion du système libéral : sa capacité à absorber les choses qui ont fait leurs preuves, qui commencent à être à la mode, pour les détourner de manière à en faire autre chose. Donc je crois qu’il faut rester très vigilant par rapport à la définition des principes, des objectifs et ne pas les perdre de vue. Parce que sinon on risque d’être malgré soi totalement instrumentalisé par ce combat.

Gaël DELACOUR :Pour rebondir sur cette remarque, il est vrai que dans

les institutions de recherche il n’est pas évident de faire passer ces valeurs politiques. Les organisations paysannes comme vous le soulignez ont un rôle politique majeur à jouer mais il y a en France un syndicat majoritaire dont l’objectif n’est pas de développer une agriculture pay-sanne. L’un des points qui pourraient être développés serait par exemple l’entrée de paysans dans les comités de pilotage de l’INRA, parce que l’INRA ne travaille ni sur l’agroécologie ni sur l’agroforesterie ni sur aucun su-jet qui réponde à une demande des paysans. Il y a bien quelques tentatives à l’heure actuelle pour valoriser les savoirs paysans, mais cela reste marginal ou très épars.

Siliva PEREZ-VITORIA :Je ne crois pas qu’on puisse vraiment changer les ins-

titutions de ce type. Je crois beaucoup plus à tout ce qui se développe en parallèle : les circuits de formation et d’expérimentation initiés par les mouvements paysans et par les paysans qui peuvent faire tache d’huile. Il y a de plus en plus de petits groupes qui, indépendamment des universités et des organismes de recherche, travaillent sur les semences, sur les variétés, sur les pratiques culturales. Ils font des expérimentations, et c’est très important au niveau de la connaissance et des savoirs, même s’il reste ensuite d’autres problèmes comme le foncier. Mais il est important qu’il y ait une revalorisation et une transmis-sion de ces savoirs. Cela ne se fera pas par les institutions officielles, cela se fait à la base, et c’est vraiment quelque chose de nouveau qui est en train de prendre de l’ampleur y compris dans nos pays.

Serge DUVAUCHELLE :Pensez-vous qu’avec la généralisation de l’agroécolo-

gie on pourrait nourrir la planète ?

Silvia PEREZ-VITORIA :Sans aucun problème. Si vous ne vous contentez pas de

mesurer comme on le fait généralement en quantité pro-duite et si vous considérez l’impact à long terme du point de vue social, du point de vue écologique, du point de vue environnemental, etc., il n’y a aucun problème, vous nourrissez la planète beaucoup mieux qu’avec l’agricul-ture actuelle. Il y a des études nombreuses qui le démon-trent. Un rapport des Nations Unies a même indiqué que si l’ensemble de l’agriculture mondiale passait en agricul-ture bio, donc même pas en agroécologie, chaque habitant aurait entre 2500 et 4500 calories par jour. De plus, il faut bien dire que le système agro-industriel ne nourrit pas la planète, 1 milliard de personnes souffrent de la faim et 1 milliard de personnes sont en suralimentation. Le sys-tème agro-industriel ne nourrit donc pas la planète et ne la nourrira pas, ce n’est pas son objectif, son objectif est de faire de l’argent via l’alimentation ou les agrocarburants, mais sûrement pas de nourrir la planète. Ensuite, les deux tiers des gens qui souffrent de la faim sont des paysans. En faisant en sorte qu’ils puissent se nourrir eux-mêmes, le problème de la faim dans le monde est déjà résolu au deux tiers. Enfin en prenant en compte le long terme, en culti-vant en agroécologie, votre terre va durer, alors qu’une terre cultivée conventionnellement ne dure pas, donc vous nourrirez la population actuelle plus celle à venir.

Gaël DELACOUR :Pour continuer sur cette question, deux études sont in-

téressantes. L’une vient de l’INRA de Montpellier : un chercheur a fait des modèles pour voir comment on pou-vait nourrir la planète, et sa conclusion est qu’on peut la nourrir soit avec un millier de fermes immenses, soit avec une immensité de petites fermes à taille humaine, et que ces deux manières permettraient de la nourrir en même quantité. Un article issu d’une université danoise dit que l’agriculture bio peut nourrir la planète mais que la vraie question reste celle-ci : « Veut-on nourrir la planète ? ». Cela recentre à mon avis de façon très pertinente la question.

Paula DE OLIVEIRA, Fondation pour la Nature et l’Homme :

J’aimerais revenir sur ce que vous avez évoqué à pro-pos du projet Agra, alliance pour une révolution verte qui se mène actuellement en Afrique. Vous avez dit que la paysannerie africaine s’organisait rapidement. D’après vous, cette organisation sera-t-elle assez rapide pour per-mettre à la paysannerie africaine de résister aux effets né-gatifs de ce projet Agra ?

Silvia PEREZ-VITORIA :Je ne peux pas faire de pronostics sur cette question.

Je ne peux que vous citer les réflexions auxquelles j’ai fait écho dans mon dernier livre : quels sont les choix

Echanges avec Silvia Pérez-Vitoria

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auxquels sont confrontés nos sociétés ? l’agriculture en est un. En face de la paysannerie, il y a des sociétés très importantes, les firmes de l’agro-industrie connectées à celles des biotechnologies et à l’industrie pharmaceu-tique. Je ne sais pas qui va gagner, je sais qu’il y a ce rap-port de force et que nos sociétés doivent être conscientes qu’elles sont à un tournant, qu’il y a là un choix de société fondamental pour l’avenir. Il faut donc appuyer tous les endroits où émergent ces rapports de force favorables à des agricultures paysannes et à la nourriture – je préfère ce terme à celui d’alimentation – je pense que c’est très important. Le rapport de forces est très inégal, mais il y a quand même plus de paysans que de multinationales. A certains endroits, des territoires sont gagnés, je citerai un exemple au Brésil : les agrovillages sont des endroits qui ont été récupérés par les sans terre avec des villages, des coopératives, etc. Ces gens, parce qu’ils avaient en tête le schéma dominant de l’agriculture industrielle, se sont d’abord lancés dans cette voie, mais petit à petit ils ont pris conscience qu’ils étaient en train de détruire leur sol alors qu’ils n’avaient que celui-là, alors ils ont commencé à mettre en place de l’agroécologie, de l’agroforesterie, etc. Désormais, ce sont des lieux d’expérimentation in vivo et à long terme d’agroécologie où les gens vivent ainsi depuis dix ou quinze ans et vivent bien. J’y ai même en-tendu une femme me dire qu’elle n’avait jamais été aussi heureuse de sa vie. C’était une paysanne qui avait occupé des terres pendant dix ans et qui vit maintenant dans un agrovillage. Donc on peut changer les rapports de force ; eux, ils ont réussi à le faire. Donc c’est faisable, mais il faut que nous réfléchissions aussi chez nous, la réforme agraire n’est pas forcément réservée aux pays du Sud. Pourquoi, ici, les meilleures terres, celles de la Beauce ou de votre région, sont-elles entre les mains de gens dont on sait pertinemment qu’ils vont les détruire, alors que les gens qui font des expérimentations pour sauver la bio-diversité, on leur donne des terres marginales, des sub-ventions marginales ? Là aussi ce sont des exemples sur lesquels on peut réfléchir. J’essaie de pointer les enjeux, mais l’opinion doit aussi agir, surveiller ce qu’on fait de notre territoire par exemple. Le maire de Loos en Gohelle disait ce matin que la ville récupérait quinze hectares pour essayer de produire autrement, c’est un début, mais je trouve ça très bien. Si les gens partout s’interrogent sur le sol qui les entoure et ce qu’on est en train d’en faire : une nouvelle autoroute ? Un nouveau centre commercial ? Alors les choses commenceront à bouger. Cette réflexion doit être menée partout concrètement, localement et à tous les niveaux.

Pascale LEROY, CCFD Terre Solidaire :Les consommateurs peuvent agir, par exemple au tra-

vers des campagnes que mène le CCFD, comme « l’Eu-rope plume l’Afrique » par rapport au poulet, ou celle contre Total. Ces campagnes permettent de faire pression, mais il faut aussi en savoir davantage pour pouvoir agir mieux, et partager cette information afin d’être plus effi-cace et de ne pas agir seul chacun de son côté.

Intervention dans la salle :Beaucoup de pouvoir tient dans la main de chacun, on

est citoyen, consommateur et responsable. En faisant des choix à chaque fois qu’on fait ses courses, on peut orien-ter le débat : si chaque citoyen dans sa commune allait solliciter les élus pour souhaiter la création d’une Amap, est-ce que ça participerait de ce changement de direction ?

Siliva PEREZ-VITORIA :Je suis un peu embarrassée. Je suis très critique vis-

à-vis de la notion de consommateur. Parler de consom-mateurs, c’est réduire les gens à l’acte d’achat, et ça me gêne de réduire les gens à une catégorie économique. Guy Debord disait que le consommateur est acteur d’une pièce de théâtre qu’il n’a pas écrite. C’est une bonne définition, puisque la consommation est un choix dans lequel très souvent vous n’avez pas l’ensemble des éléments qui amènent à ce choix. On ne peut agir dans ce cas que sur un choix prédéterminé. Je ne veux pas faire ici d’équivalence entre aller dans une Amap et aller dans une grande surface, manger bio ou manger conventionnel, bien sûr ce n’est pas pareil. Mais je ne pense pas que ce soit le moteur du changement. Le moteur du changement est beaucoup plus global, il implique de prendre en compte la totalité des éléments qui concourent au fait que vous n’avez parfois, pour des raisons économiques, le choix qu’entre acheter au supermarché et acheter au supermarché. Les gens les plus pauvres achètent au supermarché parce qu’ils ont moins d’argent, c’est vrai, c’est meilleur marché, sauf que le prix du supermarché n’a rien à voir avec le vrai prix. Le prix du supermarché vous le payez trois fois : vous ne payez pas cher en magasin, mais vous payez par ailleurs pour toutes les subventions que reçoit l’ensemble du sec-teur qui produit pour le supermarché à travers les impôts, vous payez les conséquences que cela a pour votre santé à travers la Sécurité sociale, et vous payez les conséquences pour l’environnement par exemple à travers votre facture d’eau. La consommation s’arrête au seuil du problème, donc je pense que renvoyer les gens à leur individualité en tant que consommateurs ne suffit pas.

Didier FINDINIER :Je voudrais amplifier ces propos en les localisant sur

mon territoire. Je suis agriculteur bio depuis 25 ans. Pen-dant 20 ans, je me suis marginalisé par ma démarche so-litaire, et depuis j’ai découvert les concepts d’agroécolo-gie et d’agroforesterie. Parallèlement depuis que j’essaie ces méthodes, a grandi en moi le besoin d’aller vers mes voisins et de créer une économie villageoise, de m’ap-puyer sur les racines, c’est-à-dire recréer ce qui existait il n’y a même pas un siècle, ce qui a disparu il y a 70 ans. J’ai connu des vieux qui m’ont raconté qu’à leur ma-riage leurs costumes avaient été faits dans leur village, on a l’impression que ça n’a jamais existé, mais le travail avec les chevaux, tout cela, ce n’est pas très ancien même si notre génération ne le connaît pas. J’essaie par mon expérience de tendre la main aux agriculteurs tendance FNSEA. Nous avons la chance en quelque sorte d’être sur un territoire un peu difficile où il pleut beaucoup, où

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les gens sont plus humbles, où l’industrie agroalimentaire ne s’est pas développée, donc c’est peut-être plus facile de se rejoindre. Je lance une deuxième réunion avec des élus, des consommateurs bio, des acteurs de la bio et des acteurs conventionnels, la chambre d’agriculture, pour qu’ensemble on envisage une transformation complète de l’agriculture dans les dix ou quinze années qui viennent à l’échelle d’un canton. On essaie d’abord de les y amener par des mesures agro-environnementales, le soutien à la plantation de haies, une dynamique pour transformer lo-calement, etc. Il faut faire en sorte qu’ils arrivent à l’agri-culture intégrée parce qu’ils ont été élevés en troupeau dans les écoles, ceux qui avaient envie de sortir du trou-peau en sont déjà sortis, les autres basculeront en trou-peau. Donc il faut les amener à progresser ensemble pour que dans dix ou quinze ans on ait la même influence que celle qu’il y a par exemple en Allemagne dans la région de Munich ou dans la zone de Vittel, mais que dans notre cas ça vienne de la base. L’enjeu est que les acteurs se pren-nent en mains, qu’ils comprennent qu’ils sont le premier des métiers, qu’ils développent d’abord une agriculture nourricière ensuite une agriculture artisanale et au final ce que j’appelle une agriculture de bien-être, c’est-à-dire qui rende les gens heureux, qu’on s’occupe des personnes âgées pour qu’elles restent au village, qu’on essaie de faire des studios écologiques pour les gens qui sont en rupture, qui n’ont pas de travail, tout quoi… Et c’est très passionnant, on va y arriver !

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Sur cette photo, on voit une rangée d’arbres espacés de 7 mètres qui

sépare deux parcelles de céréales. La densité doit rester faible ( 30

à 50 arbres / hectare ) pour ne faire pas trop d’ombre aux cultures.

La présence des racines de céréales dans l’horizon de sol cultivé

oblige les racines des arbres à s’installer plus profondément dans

la terre (de 1 à 4 mètres). Leur action altère ainsi une roche-mère

vierge, libérant des sels minéraux et du phosphore qui remontent à la

surface lors de la chute des feuilles.

L’autre action spectaculaire des arbres ainsi espacés est liée au fait

que les racines créent un véritable maillage sous le sol cultivé récu-

pérant ainsi tous les nutriments azotés, et évitant la pollution de la

nappe phréatique.

Dix ares en bordure de parcelle sont réservés à des fleurs mellifères

augmentant ainsi la population des insectes pollinisateurs (syrphes,

bourdons, abeilles sauvages...) Par leur présence, ceux-ci augmen-

tent le rendement des cultures de féveroles, pois, cucurbitacées, ou

encore des arbres fruitiers. La bande fleurie contribue aussi à réjouir

les yeux des promeneurs (et ceux du cultivateur !).

Agroforesterie et agroécologie chez Didier Findinier, paysan à Campagne-les-Boulonnais

Didier montre la hauteur et la densité

de ce mélange de variétés anciennes

de blé, promettant une belle panifi-

cation. Le paysan agroécologiste est

aussi un paysan chercheur.

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Page 41: L'agroécologie, une solution pour l'agriculture au Nord et au Sud ?

Bertrand SAJALOLI :Il y a comme une communauté de destin entre les agri-

cultures du Nord et du Sud qui pourtant paraissent extrê-mement différentes. D’une part, un modèle d’agriculture intensive poussée à son extrême dans nos pays, en région Nord-Pas-de-Calais ou de manière encore plus impor-tante en Beauce ; et d’autre part, les pays du Sud qui, non seulement tendent à devenir la proie d’expériences très intensives, et qui commencent à connaître les mêmes pro-blèmes que nous en termes d’atteintes à l’environnement, de déstructuration des sociétés rurales et de désertification des villages. Un phénomène très inquiétant se fait jour en Afrique : l’apparition de paysans sans terre. La politique d’accaparement des terres par les multinationales ou par des pays comme la Chine transforme une agriculture vi-vrière en une agriculture commerciale qui n’emploie plus que 1 ou 2 % des agriculteurs. On voit ainsi apparaître, notamment au Burkina Faso avec la réforme foncière qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2010, un certain nombre de phénomènes que l’on ne pensait pas possibles jusqu’ici.

Autour de cette table, sont présents François Charlet, expert en agriculture, Mickaël Poillion, agriculteur et membre du Syndicat des Jeunes Agriculteurs, Marie Dé-cima, chargée de mission au Centre de ressource du déve-loppement durable, François Théry, président du Cedapas et paysan bio à Gavrelle et Mme Majdouline Sbaï, vice-présidente du Conseil Régional. Sylvain Korogo était in-vité bien entendu à cette table mais il n’a pas pu venir comme vous le savez. Chacun d’entre eux nous donnera sa vision de l’évolution et de l’avenir du monde agricole.

Je voudrais commencer en laissant la parole aux pays du Nord, et donc laisser d’abord s’exprimer François Charlet. Quel regard critique posez-vous sur le modèle d’agriculture intensive qui existe en Nord-Pas-de-Calais ? Quelles en sont les évolutions ? Quelles sont les réponses et les réactions de la profession par rapport aux critiques ? Puis je poserai la même question à Mickaël Poillion, en préci-sant que ces critiques sont peut-être militantes et engagées mais sont tout de même recevables par votre profession.

François CHARLET :J’interviens en tant que témoin. J’ai travaillé pendant

sept ans sur la politique agricole du département du Nord. Cette expérience m’a donné un certain regard sur l’agri-culture régionale, notamment d’où elle vient et où elle va, au moins potentiellement. Il faut savoir en premier lieu

qu’après la seconde guerre mondiale, on a demandé aux agriculteurs de nourrir la population française, et même la population européenne. Il y avait une sorte de contrat social entre les agriculteurs et la société qui reposait sur la question de l’indépendance alimentaire. Cette ambition a créé une sorte de reconnaissance très forte du rôle des agriculteurs. Ensuite, on a l’impression que la machine s’est emballée. Au début pour répondre à la situation d’après-guerre, il y a eu la mécanisation à outrance, les apports de produits phytosanitaires, les engrais, tout le travail de recherche. Les modèles agricoles qui ont alors été mis en place demeurent la norme encore aujourd’hui. En quelque sorte, à un moment, l’agriculture a basculé au-delà de la dimension d’indépendance alimentaire pour devenir une arme politico-économique. Ce basculement s’est fait par l’agronomie et par l’intensification. Le mo-dèle a ainsi basculé et cela a entraîné un changement du contrat social : le nombre des agriculteurs a commencé à diminuer et la rentabilité des exploitations est devenue un objectif en soi. De fil en aiguille, on n’a plus parlé de paysans mais d’agriculteurs et, aujourd’hui, on parle d’entrepreneurs agricoles. On parle de l’entreprise agri-cole et non plus de l’exploitation agricole. Le contrat so-cial justifiait la Politique agricole commune et les aides massives à l’agriculture tant qu’il tendait vers l’autono-mie alimentaire.

La justification de la politique agricole fait aujourd’hui débat. Je rejoins à ce sujet ce que disait M. Duvauchelle : peut-on maintenir sur les mêmes bases un système qui ne correspond plus à ce qui avait été défini initialement et qui tend de plus en plus vers les marchés ? Y a-t-il un cor-rectif nécessaire, d’où l’apparition du second pilier de la Pac qui est censé rapprocher l’agriculture des enjeux des territoires et des enjeux environnementaux ? Est-ce qu’il faut aller plus loin ? Au niveau européen, de nombreux pays se posent la question de la pertinence de la Pac, sur son premier pilier, le pilier économique.

Au niveau régional, dans les deux départements, le sys-tème agricole est très marqué par l’approche économique et productiviste. Ce n’est pas le cas dans toutes les régions françaises. Il y a des décalages assez marqués, non seule-ment du fait de l’initiative politique locale, mais aussi du fait de la structure de la société et des typologies d’agri-cultures qui ont permis de maintenir une part de ce contrat social. Au niveau régional, l’action des collectivités pu-bliques est assez délicate parce que le modèle dominant…

Table ronde animée par Bertrand Sajaloli : Le devenir de l’agriculture au Nord et au Sud : enjeux, risques et solutions

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Page 42: L'agroécologie, une solution pour l'agriculture au Nord et au Sud ?

domine et emballe tout. Comme on l’a dit tout à l’heure, ce modèle dominant est très impliqué dans les domaines de la formation ou de l’économie. De ce fait, les porteurs de projets alternatifs ont beaucoup de mal à se faire entendre. Pourtant, il faut essayer de trouver de nouvelles bases en s’appuyant sur ces structures alternatives parce qu’on ne sait pas penser autrement qu’en terme d’agriculture pro-ductiviste. La peur de lâcher la roue avec tout ce que ça conditionne en terme d’évolution de nos systèmes écono-miques pèse aussi sur ces décisions. L’envie de voir porter des projets alternatifs existe, mais à un moment donné il faudra poser la question du coup d’accélérateur que l’on donne. Si l’on regarde par exemple le Grenelle de l’Envi-ronnement qui prévoit d’évoluer vers 20% d’agriculture biologique, ce sont des mots parce que la route est encore longue mais au moins pour une fois il y a eu un objectif chiffré. Si l’on regarde bien l’évolution de l’agriculture biologique au niveau régional, il y a eu une montée très conséquente grâce à la fixation de cet objectif. Il y a eu un choix politique et c’est une absolue nécessité de se dire : « Quel choix politique ? Quelle orientation donnons-nous à l’agriculture ? Trouvons une nouvelle forme de contrat so-cial conforme aux réalités environnementales actuelles. »

Bertrand SAJALOLI :Le débat quant aux choix politiques et à leur nécessité

aura plutôt sa place après les interventions de chacun. Je vais maintenant passer la parole à Mickaël Poillion. Vous êtes un cas à part dans cette assemblée car vous représen-tez le monde agricole conventionnel. Pour avoir participé à Natura 2000 en Sologne, plutôt rangé aux côtés des éco-logistes face aux chasseurs, je connais la difficulté, mais aussi l’intérêt, à ne pas représenter la voix dominante. Ce qui est intéressant depuis ce matin, c’est qu’on présente les tenants de l’agriculture conventionnelle comme les représentants d’une agriculture très intégrée, mais aussi comme les victimes en disant qu’ils sont dans un sys-tème tellement mondialisé, tellement intégré par rapport à la PAC que leurs marges de manœuvre sont limitées et dictées non par les exploitants eux-mêmes, mais par une conjonction de cours des denrées, de variation des prix et d’un certain nombre d’impulsions de l’économie monde. Mais on vous voit aussi remonter sur vos grands tracteurs et balayer les initiatives, balayer les petits et contribuer aux dépeuplement des campagnes. Je vous demande donc si vous arrivez, en tant que citoyen, à vous questionner sur vos propres pratiques.

Mickaël POILLION :Merci pour cette question, j’espère que vous la poserez

aussi à mon collègue paysan François Théry, parce qu’il aura aussi son mot à dire. Cela me permet d’expliquer dans quelle démarche je m’inscris et, si vous étiez avec les écologistes lors de Natura 2000, vous savez aussi ce que c’est que d’être dans une majorité et d’essayer de faire bouger les lignes. Je suis donc agriculteur dans le Ternois, non loin de Saint-Pol-sur-Ternoise, sur une exploitation familiale assez classique à l’origine, pratiquant la poly-culture et l’élevage. Ce n’est pas une petite exploitation,

mais une grosse et méchante exploitation qui produit du lait et des céréales essentiellement pour l’export. Je suis également membre des Jeunes Agriculteurs, donc inscrit dans le syndicalisme majoritaire. Mais j’ai une particula-rité, je veux faire bouger les lignes dans le syndicalisme majoritaire, comme je l’ai fait dans mon exploitation. Je suis convaincu qu’il n’y a pas de frontière aussi nette qu’on veut bien le faire croire et qu’il faudra du côté de la majorité des gens qui amènent un peu de débat pour faire bouger cette majorité.

Je suis donc installé sur une exploitation alliant poly-culture et élevage. Une partie de cette exploitation est pas-sée en agriculture biologique depuis mon installation en 2004 et l’autre partie de l’exploitation se nourrit beaucoup de ce que je fais sur les 20 hectares en bio. On appelle ça de l’agriculture écologiquement intensive, comme cela a été décrit tout à l’heure. Nous sommes quatre sur cette exploitation, c’était l’un de mes souhaits. Mes objectifs sont très clairs : il s’agit d’allier production, environne-ment, valeur ajoutée et participation au territoire. Cela me permet de m’impliquer dans une conversion du modèle de notre exploitation, et à l’extérieur, dans le syndicalisme, dans des outils économiques. J’interviens aussi sur le plan international puisqu’au sein des Jeunes Agriculteurs je suis en charge de la Politique agricole commune au ni-veau national et nous sommes en plein débat actuellement sur le G20 et ses enjeux. C’est sans doute à ce titre que l’on m’a invité ; demain j’ai une rencontre avec les ONG de la Coordination Sud pour voir comment le syndica-lisme majoritaire peut établir des liens avec des ONG plus citoyennes pour parler de ces sujets. Je pense donc que le syndicalisme majoritaire est en train de changer, surtout chez les jeunes. Par rapport aux jeunes justement, et au monde professionnel et à sa capacité à bouger au moins dans la région, il y a une notion de modernité qu’on met beaucoup en avant et ça renvoie aux messages que nous, les Jeunes Agriculteurs, nous recevons en permanence. Ces messages sont d’après moi très contradictoires et nous mettent dans une situation délicate. En ce moment, j’entends beaucoup parler de compétition, de compétiti-vité, on m’explique que, moi, agriculteur français, je dois être compétitif en permanence. On le fait sans doute aussi pour d’autres secteurs que le mien, mais on ne définit pas cette compétitivité. On me dit aussi que je suis sur un marché mondial, que je dois donc me comporter en permanence comme un acteur compétitif et forcément si je suis ces préceptes, je ne vois que l’angle économique. C’est un message que je reçois en permanence de la part des politiques et des outils économiques, c’est-à-dire des outils de transformation de mes produits. Ces outils économiques ne me trouvent peut-être pas suffisamment compétitif puisqu’ils achètent mes produits à un prix peu élevé et les vendent ensuite sur un marché instable avec des valorisations très peu intéressantes. Ils ont donc be-soin d’une matière première bon marché et pour produire une matière première à des prix intéressants, il faut que je sois compétitif donc je dois produire beaucoup, avec toutes les implications que cela peut avoir, notamment sur

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Page 43: L'agroécologie, une solution pour l'agriculture au Nord et au Sud ?

le nombre de paysans. En même temps, face à cette com-pétitivité, des ONG, des citoyens, des partis politiques soulignent les problèmes que cela engendre sur l’environ-nement, sur les relations internationales… Nous recevons ce double message en permanence et les agriculteurs ont l’impression qu’on les somme de choisir. Je ne veux pas considérer les choses de cette façon, parce que si nous devons choisir, nous continuerons à cultiver comme nous le faisons et les choses n’avanceront pas.

Je refuse la définition de la modernité comme l’obliga-tion d’être compétitif. A mes yeux, la modernité n’est pas là : mon exploitation est très moderne : tracteurs, GPS, etc. Mais, pour moi, la modernité consistera à utiliser à bon escient les ressources et j’essaie de construire mon exploitation de cette manière. Tant qu’on ramènera la mo-dernité à cette exigence de compétition permanente, en disant qu’il faut être meilleur que le voisin, on restera sur une agriculture et un mode de vie qui ne correspondront pas du tout à ce qu’on cherche ici, c’est-à-dire avoir des relations un peu plus intelligentes. Il me semble important de redéfinir cette notion de modernité, on ne peut pas dire aux jeunes qu’il faut être compétitif pour être moderne. Il y a une caste qui le dit, mais nous, nous sommes pay-sans, nous sommes agriculteurs. Il nous faut une approche un peu plus systémique et globale vis-à-vis des questions agricole et alimentaire.

Comment changer de modèle ? Ceux qui ont les mains dans le cambouis connaissent cette interrogation : vous (s’adressant à Sylvia Pérez-Vitoria), en tant qu’écono-miste et sociologue, moi, en tant qu’agriculteur et repré-sentant syndical du monde agricole.

Quand on veut changer le modèle, ce n’est pas simple, il y a des résistances. François Théry en parlera mieux que moi, il a davantage d’expérience. La première de ces résistances vient de la génération précédente et ce n’est pas négligeable. La première chose que j’ai faite lors de mon installation a été de « tuer le père ». Je m’entends très bien avec mon père, mais il nous a fallu du temps pour nous entendre et nous poser les bonnes questions. Il y a aussi dans la région une difficulté lié au diagnostic partagé : si on peut diagnostiquer un problème, par contre peut-on trouver des points de convergence pour ensuite définir une stratégie et mettre des paliers ?

En effet, quand on dit qu’il faut changer, il faut per-mettre aux gens de ne pas avoir la même capacité à chan-ger. Il est important de définir des paliers de changement, parce que si on va trop vite, ça ne passe pas ; il y a une ma-jorité qui est allergique au changement. Le moindre chan-gement soulève des résistances. Vous savez que le monde paysan est très conservateur. Pour réussir un changement profond et global, il ne faut oublier aucun acteur. A Loos-en-Gohelle il y a cette question des quelques hectares que la mairie veut réaffecter : c’est une question délicate car on sait l’attachement des paysans à la terre ; j’ai l’impres-sion qu’il y a en ce moment dans le Nord-Pas-de-Calais

un combat idéologique entre l’agriculture compétitive et l’autre agriculture. Dans les faits, dans les fermes et sur les territoires, la situation est beaucoup plus compliquée, mais on voit les choses évoluer : des alliances se font jour comme celle que proposait Didier Findinier qui interpel-lait le syndicalisme majoritaire. J’ai même l’impression qu’entre les paysans il se recrée des liens qui n’étaient plus possibles auparavant ; il faut que les collectivités prennent tout cela en compte pour ne pas encore cliver et repartir en arrière. J’espère donc qu’ils vont aider des gens comme François Théry, Didier Findinier ou moi à trouver les bons paliers pour savoir par quoi et où com-mencer. Je pense personnellement qu’il faut commencer par les jeunes, c’est un des sujets qui me tient à cœur.

François CHARLET :Je voulais apporter une petite précision. Je ne pense

pas que les collectivités contribuent à créer un clivage. Il y a eu beaucoup d’attente et de patience pour essayer de créer les conditions de cette évolution par paliers de l’agriculture, parce que le constat n’est pas nouveau. Il y a bien eu à un moment donné une situation de blocage et de non communication qui a amené les collectivités à être beaucoup plus proactives sur la question notamment de l’accès au foncier qui est un problème majeur au niveau régional. Si tout le monde avait joué le jeu pour, d’une part, reconnaître qu’il y a une place pour toutes les formes d’agriculture et ouvrir l’accès au foncier et faciliter l’ins-tallation et, d’autre part, accepter un débat sur une évo-lution progressive de la grande majorité de la production agricole, on n’aurait peut-être pas ces situations de ten-sion ou d’incompréhension quand certaines collectivités mobilisent le foncier. Mais quelque part il y a une forme d’impatience qui pèse sur les collectivités et les éco-ci-toyens ou consomm’acteurs qui veulent s’impliquer sur leur territoire. Il faut préciser également par rapport à la question du rendement, qu’aujourd’hui la majorité de la production agricole est mobilisée au niveau local et que le marché mondial de l’agriculture pèse environ 10 % de la production mondiale. Mais ce sont ces 10% qui fixent les prix du marché et donc, si aujourd’hui on parle de compé-titivité entre les différents agriculteurs, c’est de manière très artificielle. Donc il y a véritablement à l’échelon mondial une réflexion nécessaire pour tenir compte de la spécificité de l’agriculture et ne pas en faire un bien mar-chand comme les autres.

Bertrand SAJALOLI :On s’interrogera peut-être tout à l’heure sur les leviers

qui font que 90% de la production mondiale n’apparais-sent pas et ne sont pas exprimés. Je vais maintenant lais-ser la parole à François Théry. Vous avez été appelé à la rescousse, du moins au dialogue, par votre confrère. Je vais vous demander de répondre à deux questions : quelle a été votre expérience en tant que président du Cedapas et paysan bio ? comment répondez-vous à cet appel de la part des Jeunes Agriculteurs ?

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Page 44: L'agroécologie, une solution pour l'agriculture au Nord et au Sud ?

François THERY :Je suis paysan depuis vingt ans environ. J’ai d’abord

travaillé en agriculture conventionnelle pendant une di-zaine d’années, puis je suis passé au bio. Mon expérience de l’agriculture biologique est donc moins riche que celle de Didier Findinier. Mais depuis que je suis paysan, je connais la Confédération paysanne et le Cedapas. Le Cedapas est une association de paysans qui existe de-puis plus de vingt ans en Nord-Pas-de-Calais et qui tra-vaille sur les alternatives dont parlait Silvia Perez-Vitoria. C’est grâce au Cedapas qu’aujourd’hui je peux prendre la parole, que je peux être heureux d’être paysan sur une ferme biologique et d’évoluer vers une agriculture pay-sanne parce que ce n’était pas gagné lors de mon instal-lation. A cette époque, mon père a cédé sa ferme et pour ma part j’étais totalement dans l’agriculture industrielle. Je connais donc bien la problématique régionale, qui est celle d’une région très riche et où, à mon avis, les pay-sans sont encore trop riches et trop bien portants pour réa-gir. Quand j’ai quitté le système industriel, je l’ai fait par idéologie et parce que j’avais des compagnons paysans qui défendaient un projet d’agriculture paysanne et de dé-veloppement agricole alternatif. Je me sentais alors mal dans un modèle agricole que je subissais. J’ai opéré ce changement alors que je gagnais très bien ma vie et que le système intensif me permettait de continuer à très bien gagner ma vie. Mais aujourd’hui je suis bien plus heureux que je ne l’étais à mes débuts.

Le Cedapas a permis à beaucoup de paysans de re-mettre en cause le système dans lequel ils évoluent mais il n’a pas fait bouger grand-chose dans le milieu agricole ré-gional. L’agriculture régionale est avant tout orientée vers les céréales et l’élevage, donc très liée à l’industrie agroa-limentaire et au système bancaire. Ces derniers poussent à la roue pour maintenir ce système, système qui, quoiqu’on en dise, rapporte à ceux qui le pratiquent. Ce qu’on a du mal à voir, c’est qu’il y a un départ massif de paysans et que ça ne va pas s’arranger dans les dix ans qui viennent. Mais il reste aussi un grand nombre de petits paysans ; ce qui me frappe, c’est la difficulté que nous rencontrons à mobiliser ces petits paysans pour aller vers autre chose, comme si le système encourageait à rester en son sein. Peut-être est-ce l’espérance de plus-value à la sortie du métier qui fait qu’on ne s’inquiète pas de savoir comment se maintiendra la ferme.

Le Cedapas est très lié à la Confédération paysanne et donc à Via Campesina. Nos possibilités d’action sont de deux ordres. Chaque paysan est un citoyen qui peut faire des choix sur sa ferme, qui a la chance d’avoir un poten-tiel d’autonomie et une capacité de décision quant à ce qu’il veut faire qui n’existent pas dans tous les métiers. Il a un capital qui peut être plus ou moins gros. Il vit avec la nature qui lui donne des choses extraordinaires. Il y a donc dans le métier de paysan une capacité à faire des choix pour aller dans un sens ou dans l’autre. C’est l’un des points sur lesquels travaille le Cedapas : cette capa-cité de faire certains choix techniques plutôt que d’autres.

Le Cedapas a démarré dans le Haut Pays d’Artois (Didier Findinier pourrait en parler mieux que moi parce qu’il en est à l’origine) en faisant le choix de cultiver de l’herbe plutôt que de produire du maïs. Ce choix était faisable et même rentable. Donc même dans le système économique actuel, des choix techniques sont possibles pour les pay-sans. La preuve en est que certains vivent très bien en bio, et d’autres vivent très bien sur des petites fermes en créant de la valeur ajoutée. Seulement tous les paysans ne font pas ces choix et le Cedapas travaille donc à sensibiliser les paysans sur les choix possibles et les décisions qu’ils doivent alors prendre. Il est difficile pour un paysan ins-tallé dans un système industriel de sortir de ce système ; c’est souvent la peur qui gouverne, la peur et les mauvais conseillers. S’affranchir de ce système est très difficile, cela demande un travail personnel : personne ne peut faire les choix à votre place. Mais c’est encourageant parce que le choix de se révolter est aussi un choix qu’a le citoyen, qu’a le paysan. Un travail de développement local doit être mené pour amener les gens à se révolter et à chan-ger de système. Ensuite, il y a toute la partie politique, c’est-à-dire le contexte qui fait qu’il faut être compétitif par rapport à nos voisins et aux autres pays. Il est très difficile de dire sans vouloir se marginaliser qu’on ne veut pas d’un système de compétition, mais d’un système so-lidaire. Là il faut forcément qu’on dépasse le cadre du débat, qu’on aille ailleurs que sur le terrain personnel, et donc dans l’engagement syndical. Mais dans l’action po-litique ou syndicale, il faut des objectifs clairement dé-finis. Si j’adhère à la Confédération paysanne et non à la FDSEA, c’est parce que la Confédération paysanne a travaillé sur une charte de l’agriculture paysanne, adhère à Via Campesina et prône le partage des richesses pour vivre dans une société solidaire. L‘objectif est clair. Je suis sensible à ce qui dit Mickaël Poillion sur la notion de palier ; je sais comment vivent mes voisins et je sais qu’il faut des paliers, mais aussi des objectifs clairs.

Pour moi, l’objectif est le partage. Savez-vous que même sur nos territoires du Nord-Pas-de-Calais ou de Pi-cardie, certains gagnent leur vie sur des fermes de 30 ha mais sont en concurrence directe avec des fermes de 200, 500 voire 1000 ha, et je parle de grandes cultures et non de maraîchage. Pour ma part, je travaille sur une ferme de 50 ha. On n’est pas dans le même monde. A mes yeux, quand on a 200 ha, on peut avoir comme objectif de par-tager et de laisser de la terre pour une installation. Je suis conscient que cela ne se fera pas du jour au lendemain, il faut des paliers, mais on peut permettre à des paysans de s’installer. Installer de nouveaux paysans et être nom-breux sur les territoires, c’est un peu la ligne d’horizon et la raison d’être du Cedapas et de la Confédération pay-sanne. Je suis très heureux d’entendre un exposé comme celui de Silvia Perez-Vitoria. L’agroécologie ne peut se faire qu’avec des paysans nombreux, c’est ce qu’on res-sent quand on essaie de changer les pratiques dans nos fermes ou autour de nous. L’intérêt de changer des pra-tiques, d’aller vers la bio, c’est d’être nombreux. Et pour être nombreux, il faut changer les pratiques, les deux sont liés.

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Page 45: L'agroécologie, une solution pour l'agriculture au Nord et au Sud ?

Bertrand SAJALOLI :J’ai travaillé en Sologne sur le cas d’une exploitation

de 80 ha qui était passée d’une agriculture intensive et productiviste à l’agriculture bio. Cette ferme se trouve à proximité de Patay, en pleine Beauce, dans l’un des ter-ritoires les plus intensifs au niveau français mais aussi au niveau mondial. Les voisins de cet exploitant se sont d’abord moqués de son expérience, mais aujourd’hui on pourrait dire qu’il y a le On et le Off. En effet, en re-gardant bio et non bio, on voit bien que chacun réagit en fonction de sa filière et de sa sensibilité. Mais il y a eu quelque chose d’intéressant, c’est l’envie que les agricul-teurs non bio ont eu du travail de la terre. J’ai senti une espèce de fascination du monde conventionnel pour un travail de la terre qui soit plus respectueux du sol et où le paysan serait à nouveau plus jardinier qu’industriel. Est-ce qu’il y a pareil mouvement en Nord-Pas-de-Calais ?

Mickaël POILLION : Avant de passer à l’agriculture biologique, il faut se de-

mander ce qu’on fait aujourd’hui en terme d’agronomie ? Dès qu’on commence à toucher aux intrants par exemple, on revient à des choses simples comme la rotation des cultures et une meilleure connaissance du sol et des in-teractions entre les plantes. On en vient à ne pas utiliser les engrais chimiques de manière systématique mais de façon plus réfléchie. On commence donc à se poser des questions et à l’étape suivante, si chacun a pris ses res-ponsabilités, parce que tout ne relève pas que des pay-sans, on touche à l’agriculture biologique voire à des sys-tèmes plus complexes comme l’agroécologie. Je trouve cela passionnant : quand on associe des plantes, quand on s’intéresse à la biodiversité cultivée et non cultivée, on découvre un métier qui est totalement différent. Moi, contrairement à ce que je vois, et peut-être parce que j’ai un regard plus récent, je vais mettre beaucoup de temps à redécouvrir les savoir-faire de mes aïeux. J’ai plutôt inté-rêt à réinventer avec d’autres paysans des indicateurs en fonction de nouveaux repères, et comme les conditions ont changé également, il faut aussi réinventer les liens entre les acteurs d’un territoire.

On pourrait se dire également : « Et si on convertissait l’agriculture en agriculture biologique ? ». Je crois que c’est un peu réducteur de dire que ce choix n’appartient qu’aux agriculteurs. La question politique est prégnante. Tout à l’heure quand je parlais des collectivités, c’était pour souligner la nécessité d’une intervention politique. Je ne reproche pas aux collectivités de poser les bonnes questions, la politique doit se réapproprier ces domaines. Mais on touche à des décisions telles qu’elles ne peuvent appartenir qu’au paysan ou à celui qui pousse le caddie. Sinon on n’avancera pas. Il y a d’autres forces en pré-sence : je suis administrateur d’une coopérative qui est un outil économique qui appartient aux paysans et qui fonc-tionne complètement à l’envers des intérêts des paysans sans même s’en rendre compte. Il ne s’agit pas de théorie du complot, il y a juste un modèle et une pratique qui font qu’à un moment la question des producteurs, du mode de

production et du mode de transformation n’est même plus posée. Il s’agit « seulement » de faire tourner une entre-prise de 300 salariés. A un moment, la responsabilité doit être partagée au-delà du producteur, du consommateur et de l’industriel. Cette question est politique et alors on touche au vrai débat pour se demander où se prennent ces décisions ? Il y a le G20, il y a la Politique agricole com-mune… Pour moi, la PAC peut encore être un vrai levier pour convertir un modèle européen, pour qu’il soit plus efficace pour la sauvegarde des ressources. Il y a 10 mil-liards d’euros sur la table en France, ce n’est pas neutre. J’ai l’impression que deux ou trois petites choses ont déjà bougé, et que d’autres peuvent encore changer ; la Pac est un vrai levier, même si l’Europe est encore très libérale et continue à penser que l’agriculture est uniquement un commerce. Pour le G20, il faudra pousser les chefs d’Etat à prendre leurs responsabilités et à ne pas considérer aussi l’agriculture uniquement comme un commerce. Il faudra leur poser un certain nombre de questions sur la place des paysans et des organisations paysannes dans les débats sur la sécurité, la gouvernance ou la souveraineté alimen-taires.

Dans toutes ces institutions se pose également la ques-tion de la reconnaissance des paysans et de leurs organi-sations. La FAO n’a pas le pouvoir, l’Onu ne s’intéresse pas à ces questions, l’OMC n’est vraiment pas le lieu… Je dirais même qu’il faut sortir de l’OMC pour abor-der ces questions puisqu’on ne voit les choses que sous l’angle du commerce et que ce n’est pas sous cet angle qu’il faut considérer le problème. Donc il n’y a pas de lieu au niveau international où l’on peut se poser les bonnes questions. Je relisais le message que le ministre français de l’agriculture porte au G20 : transparence des stocks, régulation des positions sur les marchés spéculatifs, dé-fense de l’agriculture familiale, protection des pays dans le Programme alimentaire mondial. Tout cela passe bien médiatiquement, mais à long terme ? Le débat reste ou-vert et peut-être faudrait-il se demander s’il ne faudrait pas permettre à un certain nombre de pays de se protéger le temps qu’ils puissent investir dans leur agriculture ? Cela peut paraître simpliste, mais c’est ce qu’on a fait en Europe : on a fermé les marchés et on s’est donné le temps de construire une agriculture. On n’a sans doute pas fait tous les bons choix nécessaires, mais cela a été un mo-ment fort. Donc la question pour moi n’est pas de savoir si l’on doit passer en bio dans le Nord-Pas-de-Calais, mais de prendre les bonnes décisions.

Pour finir, je vous ai dit que je fais partie d’une coopé-rative laitière. Notre principal souci est de pouvoir conti-nuer à produire et exporter des protéines de lait et de pas-ser à travers les maillages, les taxes, etc. Cette coopérative va même symboliquement faire des protéines de lait pour le Canada qui est l’un des rares pays qui ait réussi à pro-téger son marché agricole du lait. Il faut donc qu’il y ait une volonté politique clairement définie pour changer également la donne dans le secteur agro-industriel et dans nos outils économiques. Ma coopérative reste une petite

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Page 46: L'agroécologie, une solution pour l'agriculture au Nord et au Sud ?

coopérative, s’il faut la faire bouger on y arrivera ; mais, si des multinationales comme Danone continuent à fonc-tionner comme si de rien n’était et à passer à travers les frontières sans avoir de contraintes politiques, je pense qu’on n’y arrivera pas. Il faut mener les deux débats de front, la question n’est pas simple mais elle vaut le coup d’être posée.

Bertrand SAJALOLI :François Théry, je reviens vers vous. Ce qui me frappe

c’est ce contraste entre une vision à la fois très politique avec l’OMC, la Pac, etc. et d’un autre côté une vision très professionnelle. J’ai travaillé sur l’écologie en région Centre en même temps que s’organisait un colloque inti-tulé Ecologie et religion. Parmi les 380 producteurs bio recensés en région Centre plus de la moitié sont des chré-tiens très arrimés dans leur foi. Il semble donc y avoir un lien très étroit entre une trajectoire personnelle spirituelle et un choix économique, un choix de système. En tant que président du Cedapas, voyez-vous des itinéraires et des trajectoires sociales qui amèneraient un certain nombre d’individus à s’engager vers d’autres modes d’agriculture ?

François THERY :Oui, évidemment, beaucoup de trajectoires se ressem-

blent. Pour revenir à votre précédente observation, quand vous disiez que les agriculteurs conventionnels manifes-tent un grand intérêt pour la vie du sol, pour un retour à des techniques agronomiques plus respectueuses, je pense qu’on reste en plein dans l’approche technicienne qu’il s’agisse de bio ou non. C’est pour cette raison que j’évite de parler de bio. Ce qui m’intéresse, c’est la dé-marche de l’agriculture paysanne et je ne pense pas qu’il y ait le même intérêt de la part des conventionnels sur la question de la globalité du développement et du partage. Puisque nous, nous mettons le partage au centre et que nous pensons qu’il faut remettre l’humain et les paysans au centre du développement économique ou agricole, cela nous rapproche évidemment de ce que véhicule la religion, c’est-à-dire la foi en l’homme. Vos observations ne m’étonnent donc pas trop. Je pense que la société est trop tournée vers l’économie. On voit ainsi un ministre de l’agriculture, en pleine crise agricole, venir au congrès de la Confédération paysanne répéter qu’il faut être compéti-tif ! Je trouve cette attitude totalement déplacée parce que ce qui compte, c’est bien de vivre heureux dans notre mé-tier, de travailler pour vivre et non de vivre pour travailler, de vivre et de rendre des services à la société. Cette vision se rapproche des messages d’amour ou de partage, tels qu’on les trouve par exemple dans le christianisme. On a l’impression en disant cela d’être complètement décalé ou alternatif, alors que quand on y réfléchit, c’est ce qu’il y a de fondamental. On dirait que les politiques ont peur de cela, peut-être parce qu’ils doivent faire fonctionner la machine économique. Il faut remettre les choses impor-tantes à leur place et évacuer les choses les moins impor-tantes.

Silvia PEREZ VITTORIA :Pour revenir sur la question de l’agroécologie, ce dont

il faut se rendre compte, c’est que l’agroécologie et le dé-veloppement de l’agriculture paysanne, c’est ce qui coûte le moins cher. L’agriculture paysanne est capable d’uti-liser ce que la nature donne gratuitement. Mettre beau-coup de paysans sur un territoire, c’est ce qu’il y a de moins cher. Par exemple dans les pays du Sud, au lieu d’investir massivement dans l’économie, si on redonnait le goût et les moyens de travailler la terre et si on aidait à l’installation des paysans, ça ne coûterait quasiment rien par rapport aux sommes faramineuses qui sont dépensées. Pour défendre la biodiversité, la meilleure manière et la moins coûteuse, c’est d’avoir une paysannerie nombreuse qui cultive des semences plutôt que de les mettre dans des conservatoires au fin fond de la Norvège ou de faire des grandes conférences de la biodiversité. Il faut avoir un autre point de vue sur l’agriculture, il faut passer d’un secteur économique à quelque chose qui règle un certain nombre de problèmes hors de l’économie, mais cela n’in-téresse ni les entreprises, ni les pouvoirs publics.

Bertrand SAJALOLI :Mme Décima, je vous vois prendre des notes depuis le

début. Je me suis demandé si vous n’aviez pas fait deux colonnes, l’une intitulée Développement et l’autre du-rable, puis tenté par un jeu de flèches de retisser les liens. Je voulais avoir votre sentiment car j’ai cru comprendre que votre travail consistait entre autres à tisser des passe-relles entre ces deux systèmes.

Marie DECIMA :Je parlerai surtout des passerelles, parce que tout ce que

j’ai entendu me rassure et me conforte dans la voie que poursuit le Centre ressource du développement durable (Cerdd).

Le Cerdd est un groupement d’intérêts publics : région Nord-Pas-de-Calais, Etat, Draf, etc. Donc ce n’est ni la région, ni l’Etat, mais un peu des deux. Centre de res-sources du développement durable même si l’expression est un peu galvaudée, notre rôle est de promouvoir le dé-veloppement durable dans les territoires, de promouvoir des projets de développement durable, de mettre le fil à plomb et de montrer le champ des possibles parce que le développement durable n’est pas facile à atteindre.

En tant que chargée de mission environnement, je tra-vaille sur la biodiversité et les circuits courts alimentaires. J’ai d’abord travaillé en considérant la biodiversité comme un support de développement local, je voulais développer des thématiques comme la filière bois, les circuits courts alimentaires et toucher à la question du bio au travers des circuits courts alimentaires. Je vous en parlerai plus tard, mais ce projet n’a pas vraiment abouti sous cette forme. Les circuits courts alimentaires sont pour nous de vrais projets de développement durable parce qu’il est question de relocalisation de l’économie et d’ancrage local. Dimi-nuer le nombre d’intermédiaires permet aux producteurs

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d’avoir de la valeur ajoutée. Le travail sur les territoires a commencé en 2008. On a beaucoup parlé de territoire dans cette table ronde et j’emploie ce terme au sens de la loi Voynet qui recouvre les pays, les communautés de communes, les communautés urbaines, les parcs naturels régionaux… Au départ, l’agriculture n’était pas vraiment un sujet de préoccupation pour les territoires sauf pour les parcs naturels régionaux. Les projets de circuits courts ali-mentaires ont vraiment intéressé les territoires quand on a commencé à en parler en 2008 parce qu’ils pouvaient y jouer un rôle et parce que ce sont des enjeux pour chaque territoire.

Le territoire a un rôle important par rapport à l’agricul-ture. Ce rôle n’était pas forcément reconnu par le monde agricole. Le territoire peut intervenir sur le foncier, dans certains territoires il est arrivé que des chargés de mission me disent que les élus voulaient un marché, la réponse était de dire que si vous arrêtez de construire votre foncier vous pourriez installer un producteur et remettre de la vie locale. C’était la question du foncier qui nous intéressait beaucoup parce qu’il y a des vocations d’espace qui sont soit la biodiversité soit l’agriculture, et souvent en com-pétition avec des vocations d’espace qui sont l’industrie ou le résidentiel. Souvent on sait lesquels perdent puisque dans les esprits la biodiversité et l’agriculture ne rappor-tent rien. Les circuits courts alimentaires, c’était pour nous une occasion de revaloriser l’activité agricole et de montrer que cette activité pouvait recréer de l’emploi et redonner de la vie locale.

Le territoire peut aussi créer une synergie que l’agri-culteur ne peut pas faire seul : il peut faire de la commu-nication, faire se rencontrer les acteurs du tourisme sur un projet ; il peut être un lieu de débat sur les pratiques agricoles et le développement local. Pour terminer sur la question des pratiques agricoles, quand j’ai commencé à travailler sur les circuits courts alimentaires, j’envisageais avant tout le bio, qui est un élément important dans le développement durable. Les travaux ont commencé sur ce sujet en 2008 par un petit-déjeuner débat au Cerdd. Ce débat était très intéressant, assez fatigant même par-fois parce qu’on voulait dans ce débat définir les circuits courts et déterminer le rôle des territoires. Sur les deux heures de débat, les trois quarts ont été consacrés à la question du bio comme s’il s’agissait d’enlever la cou-verture au conventionnel pour la mettre sur le bio. Finale-ment, l’idée a été de dire aux territoires : « Vous démarrez des circuits courts, où et comme vous pouvez : par un appui à la vente directe, par un diagnostic de stratégie de territoire sur l’intention des producteurs à aller vers le cir-cuit court, et vous irez vers du durable, vers du bio quand vous pourrez. Il y a une rupture, un changement à opérer, vous pouvez l’accompagner, mais allez-y comme vous le pouvez. » Du coup, le Cerdd a réalisé un guide qui n’était pas prévu au départ et qui reprend les quatre enjeux du développement durable. Les trois premiers sont les enjeux social, économique et environnemental et le dernier, l’en-jeu territorial. Il s’agit justement de dire qu’à nos yeux il

y a les circuits courts alimentaires et qu’il y a une rupture à opérer pour aller vers le durable. Le bio fait partie inté-grante du durable, mais il ne va pas sans le social, comme le disait François Théry. Le Grenelle de l’environnement aide le bio - la restauration collective bio s’installe dans les territoires - mais il faut essayer de s’ouvrir à une pro-blématique plus globale.

Pour terminer, j’ajouterai que ce guide comporte un zoom sur Loos N’Gourma pour montrer aux territoires qu’ils peuvent faire de la coopération sur l’agroécologie, que ça peut être un beau projet de circuit court Nord-Sud et surtout Sud-Nord. L’aspect que nous avons mis en va-leur est celui-ci : l’agroécologie peut aussi apporter beau-coup aux pays du Nord.

Bertrand SAJALOLI :Sur ces questions de territoires, la région Nord-Pas-de-

Calais est en quelque sorte pionnière par rapport au reste de la France, puisqu’il y a eu dans l’agglomération lilloise lors de la mise en place des Schémas de cohérence ter-ritoriale (Scot) et des Plans locaux d’urbanisme (PLU), les opérations Trame verte et bleue qui marquaient une volonté forte. Comment s’articule l’action du Cerdd avec l’impulsion politique régionale qui est particulièrement innovante au regard des autres régions françaises ?

Marie DECIMA :Effectivement, sur les trames verte et bleue, la région

Nord a été, avec d’autres collectivités (Alsace, Isère), une région pionnière. Malheureusement, souvent ceci est dû au fait que la région est dans une situation dramatique, au niveau biodiversité par exemple, quoique la situation se soit améliorée. Ensuite en ce qui concerne l’agricul-ture (mais je ne connais pas le sujet depuis longtemps), mon sentiment est que dans d’autres régions de France, les projets de circuits courts alimentaires et d’agriculture biologique viennent des producteurs, alors qu’en région Nord-Pas-de-Calais, peut-être à cause du passif de l’agri-culture intensive, les territoires sont les porteurs du chan-gement. La particularité de la région Nord-Pas-de-Calais est d’avoir une stratégie de territoires pour l’agriculture ; le vice-président du Conseil régional, Jean-Luc Robillard, porte cette idée de circuit court alimentaire et de chan-gement des pratiques. Et il existe bien une aide politique pour les territoires pour ancrer leurs projets au niveau ré-gional.

Bertrand SAJALOLI :Mme Pérez-Vitoria, je reviens vers vous. Dans votre

intervention, vous avez tenu un discours très militant et je constate que cette table ronde est plus consensuelle. On essaie de rapprocher les points de vue. Comment vous si-tuez-vous par rapport à tout cela ?

Silvia PEREZ-VITORIAJe pense que le système agro-industriel va vous élimi-

ner. Il n’aura aucun état d’âme à éliminer des paysans et des agriculteurs, y compris ceux qui en font partie. Les

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prévisions parlent de 100 000 agriculteurs appelés à dis-paraître. Les agriculteurs sont pris dans une logique éco-nomique, on l’a vu au cours des dernières crises, et cette logique ne s’arrête pas. Je rentre d’Italie où j’ai rencontré en Calabre l’équivalent de la FNSEA : ils nous ont dit qu’ils se projetaient tout azimut sur l’agriculture biolo-gique et les circuits courts. Il semble que ce soit leur der-nier recours et qu’ils y soient acculés. C’est une première chose.

La deuxième chose est qu’il n’y a pas de place pour deux systèmes agricoles, non pour des raisons idéologiques mais pour des raisons écologiques : on a un système qui détruit considérablement les ressources écologiques de la planète, réellement et durablement. A ce sujet, le dévelop-pement durable n’est pour nous qu’un épiphénomène du développement ; nous le critiquons depuis longtemps ; le terme de durable n’est pour nous qu’un adjectif de plus dans la déclinaison des développements. Je ne veux pas ouvrir ici de polémique là-dessus.

Si on réfléchit à l’échelle de la planète, un système qui utilise 70 % des ressources en eau, qui érode considéra-blement les sols, qui détruit la biodiversité à l’allure où il le fait, pose un problème de fond. Que la transition se fasse comme ci ou comme ça, je suis d’accord. Elle doit avoir lieu. J’ai assisté à des réunions des Jeunes Agricul-teurs, beaucoup parmi eux se posent des questions parce qu’ils se rendent bien compte que quelque part quelque chose ne fonctionne pas dans ce système.

Je suis donc d’accord, mais je dis qu’il y a urgence. Il y a urgence parce que ce système détruit à grande vi-tesse les ressources agricoles, alors que des gens tentent de les maintenir et de les restaurer. Nous nous trouvons là face à un choix de société qui concerne tout le monde, les territoires au sens politique comme au sens écologique puisque c’est de la question de l’alimentation et aussi de la santé dont il s’agit.

Serge DUVAUCHELLE :Vous avez évoqué tout à l’heure le prix des céréales

qui nourrissent quand même une partie du monde. J’étais il y a dix jours devant un parterre beaucoup moins soli-daire puisqu’il s’agissait de traders en céréales. Ces gens expliquaient que le prix des céréales est dû aux 10 % de marchandises sur lesquels se font les échanges interna-tionaux, mais aussi à l’arrivée de fonds de pension et de fonds spéculatifs qui interviennent sur le marché des cé-réales. Ainsi, dans certains pays, on n’a plus un grain de blé pour faire du pain. Chez nous, 10 ou 15 % de la po-pulation en subiront les conséquences, mais dans d’autres pays cette proportion peut être bien plus importante. Je ne sais pas si ce que vous exposiez à l’instant est une vision à court terme, mais la conclusion dans le système conven-tionnel c’est, pour le négoce comme pour les agriculteurs : Regroupez-vous et tuez ceux qui ne peuvent s’aligner. Donc il ne s’agit même plus d’une question de produc-tion de blé, c’est une question financière, une affaire de

spéculation. M. Poillion évoquait le G20 ou des instances similaires ; comment faire pour éviter d’en arriver là ? J’étais l’autre jour avec un agriculteur loossois à évoquer la polémique locale (liée à la décision de la commune de choisir le mode de culture bio pour les terres d’une ferme en cours de cession, NDLR) ; il me disait qu’il n’allait pas se lancer dans le bio avec les prix auxquels se né-gocie actuellement le blé. Certains agriculteurs ont déjà vendu leurs récoltes des années 2011, 2012 et 2013… Ma question est donc de savoir quels leviers existe-t-il pour changer le cours des choses, parce que la question dépasse même les politiques ?

Mickaël POILLION :J’ai une partie de la réponse qui rejoint ce que je di-

sais tout à l’heure : à partir du moment où les politiques publiques ont décidé de se désengager des questions ali-mentaire et agricole, on arrive à une situation où, même s’ils voulaient se réinvestir, ils auront des difficultés. Le G20 veut parvenir à la transparence sur les stocks de blé, à l’encadrement des spéculateurs, etc. Avec les banques, ils ont déjà essayé d’encadrer les salaires des traders, on connaît le résultat. Au-delà de ça, j’ai l’impression qu’il faut reposer un certain nombre de questions mais les évo-quer toutes demanderait trop de temps. Un exemple : il y a en gros 10 % des échanges qui se font au niveau mondial que ce soit pour les céréales ou le lait, il suffirait qu’en Europe on se dise : « On a du bétail, et si on le nourrissait ? ». On pourrait alors arrêter de nourrir notre bétail avec des pro-téines de soja brésilien et on enléverait ces 15 ou 20 % de surfaces de blé qui permettent aux traders de spéculer sur le marché mondial. Cela aurait à mon avis un effet mé-canique. Bien sûr les prix risqueraient d’augmenter mais on aurait besoin de moins de blé, et le Brésil devrait à son tour se poser la question de savoir ce qu’il ferait s’il ne faisait plus de blé ou de soja pour l’Europe. Une deu-xième chose est de se demander s’il n’y a pas des popula-tions qui sont devenues totalement dépendantes vis-à-vis du blé et s’il ne serait pas mieux qu’elles réinvestissent dans leurs agricultures pour qu’elles fassent elles-mêmes leur alimentation et pas forcément à partir du blé. Un mo-dèle alimentaire qui se réduit à quatre ou cinq denrées fa-vorise la spéculation sur ces denrées en accroissant leur demande. Si l’Egypte, le Maghreb réinvestissaient un peu dans leur agriculture et dépendaient un peu moins des céréales de la Beauce, le commerce serait déjà différent. Ce sont des questions de long terme, de vrais choix poli-tiques et j’ai l’impression qu’on peut les faire et que c’est le moment de les faire. Le Maghreb nous a passé un vrai message quand la rue y a fait sauter un certain nombre de gouvernants qui n’avaient rien à faire là. Parallèlement, nous, les agriculteurs français, nous continuons à vendre des céréales au Maghreb. Je n’ai pas envie que mes cé-réales partent au Maghreb, j’ai envie que mes céréales restent en Europe et que le Maghreb investisse dans son agriculture. Quand je parle d’investissement, je suis très favorable à une agriculture paysanne telle que François Théry la définit. Pour caricaturer, je ne suis pas favorable au travail à la binette, je ne le fais que si c’est nécessaire

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comme cette semaine pour mes oignons bio, mais je ne vais pas proposer ce modèle à la génération suivante. Il y a une modernité à avoir, il faut savoir quel usage on va en faire : des tracteurs, des motoculteurs, des outils pour travailler dans de meilleures conditions, etc. Ces outils peuvent aussi permettre aux femmes de trouver leur place elles aussi dans des agricultures « moins avancées que les nôtres ». Evidemment cette modernité, cette avancée du monde agricole du Sud posent des questions, mais la question fondamentale, qu’il s’agisse de modernité ou de commerce, reste : « Pour quoi faire ? », question que nous n’arrivons pas à poser parce que les lieux de débat pour le faire n’existent pas.

Didier FINDINIER :Pour essayer de prendre un peu de recul et élever le

débat, je dirais que nous sommes tous victimes d’un entraînement mental et d’une idéologie. Il nous faut un changement intellectuel pour transformer notre idéologie au service de l’homme, de l’épanouissement, du bonheur collectif, même pour pouvoir vivre l’amour, l’amour de la terre des paysans. Moi, je suis tombé en amour quand j’ai découvert l’agriculture biologique il y a maintenant 35 ans. Quand j’ai rouvert mes livres d’école, tout était enseigné dedans alors que mes professeurs ne m’avaient rien appris. Je voudrais également dire à l’ensemble de la salle que nous avons tous un pouvoir en tant que « consomm’acteurs ». J’ai fait l’effort de changer de banque, je n’ai plus un sou au Crédit agricole, je suis à la Nef ; j’ai aussi fait l’effort de changer de mutuelle, ce n’est pas dur ces choses-là. Il ne faut plus donner d’arguments au système. J’ai fait l’effort d’aller sur les marchés pour manger… La vie est faite de ça : faire un effort pour pou-voir recevoir, tout se construit autour de ça. Aujourd’hui je voudrais interpeller les élèves qui sont au fond de la salle pour savoir si vous vous sentez imprégnés de cette idéologie par vos professeurs et comment vous les inter-pellez. Je poserai la même question aux enseignants parce que quand le lycée agricole de Radinghem a participé à deux ou trois débats chez moi, il n’y avait rien de préparé et rien de constructif : tout cela me rappelle mon éduca-tion. Donc je vous invite à vous révolter parce que sinon c’est vous qui allez souffrir.

Christian, élève de l’Institut de Genech (ensei-gnement agricole et horticole) :

Nos cours sont très inspirés des anciennes traditions, les professeurs ne réfléchissent pas comme vous. Ils pen-sent encore agriculture intensive ; ils pensent qu’il faut produire pour nourrir tout le monde alors que Mme Pérez-Vitoria nous a dit qu’on pouvait produire chacun un petit peu pour qu’on soit tous un peu mieux nourris. Nous ap-prenons à utiliser les engrais, etc, pour produire plus avec un minimum d’hectares. L’enseignement évolue plus len-tement que les autres secteurs, il faut le temps.

Un professeur de l’Institut de Genech :Je n’ai pas l’impression que notre élève ait complè-

tement raison sur ce sujet. Je pense que mes collègues

qui enseignent l’économie, moi-même qui enseigne la philosophie et le français, nous sommes quelques-uns à l’Institut de Genech à porter le thème du développement durable et à essayer de convaincre les élèves de refuser une logique purement économique et productiviste. En vous écoutant, j’avais l’impression que vous portiez un discours proche du nôtre, maintenant je ne suis pas per-suadé que les élèves l’aient bien compris.

Christian, élève de l’Institut de Genech :Je parlais surtout des cours de techniques agricoles :

agronomie, phytosanitaire...

Amandine LEBRETON, Fondation pour la Nature et l’Homme :

Je voulais revenir sur la notion de compétitivité dont on a beaucoup parlé cet après-midi. On parle ici de com-pétitivité économique, ce qui parle à un certain nombre d’agriculteurs en France. Mais je crois qu’il est au-jourd’hui illusoire de vouloir être compétitif sur le mar-ché des céréales par rapport aux céréaliers argentins ou sud-américains qui peuvent réaliser deux campagnes chaque année et où les conditions climatiques sont plus intéressantes qu’ici. Aujourd’hui la France n’est compé-titive à certains égards que grâce aux aides de la Pac. Je pense qu’il faut replacer le niveau de compétitivité dans son ensemble en tenant compte des aides, à hauteur de 10 milliards d’euros, qui sont indispensables pour soutenir l’agriculture européenne. On peut donc se poser la ques-tion : où vont ces 10 milliards ? Au sein de la fondation, nous essayons de réfléchir à d’autres notions de compé-titivité : compétitivité sociale, compétitivité écologique, afin de porter un autre regard sur l’agriculture en termes de valeur ajoutée ou de rémunération des agriculteurs plutôt qu’en termes seulement économiques. Je repren-drais ce que disait M. Poillion sur la place du politique : il y a des questions de régulation, d’incitation. Avec 10 milliards d’euros, on peut clairement aujourd’hui orien-ter le système vers un mieux écologique qui favorise la biodiversité, qui ait moins d’impact sur le climat, sur la qualité des eaux, etc. L’Agence européenne de l’environ-nement a identifié ces systèmes ; on les connaît, la Pac peut agir dans ce sens-là, comme les consommateurs. Les politiques au niveau européen, national ou local, peuvent inciter à une consommation plus responsable, notamment à travers la restauration collective. Pourquoi la Pac ou les politiques agricoles territoriales ne pourraient-elles pas soutenir la demande en produits bio de qualité dans les collectivités territoriales ? Il me semble qu’on peut agir en tous cas à différents niveaux tout en mettant des paliers pour y parvenir.

Et à propos de ces paliers dont parlait M. Poillion, quels sont-ils ? Il y a une situation d’urgence écologique qui laisse peu de temps pour agir.

Mickaël POILLION :Je crois qu’il y a différentes urgences. Le mot urgence

fait peur aux gens et leur fait seulement baisser la tête.

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Comment définir les paliers ? Certains sont relativement simples. Pour la PAC et ses 10 milliards d’euros, il faut les utiliser correctement et il faut très vite mener le débat. Il y en a un en ce moment au Conseil Economique et So-cial qui est porté par quelqu’un de la Confédération pay-sanne, donc issu d’une minorité agricole. Donc il faut al-ler vite avec la PAC, et aussi aller vite avec les territoires. Cette notion de palier doit aussi être discutée au niveau international et le G20 peut prendre très vite quelques décisions simples, ne serait-ce que dire que l’OMC n’est pas le lieu où l’on parle d’alimentation. Voilà un palier. Si au niveau de la PAC, on décide d’employer cet argent à soutenir une agriculture créatrice d’emplois et préservant les ressources naturelles, voilà un autre palier. Si, dans les territoires, on cherchait à favoriser le lien entre agriculture et restauration collective, ou entre agriculture et biodiversité : en-core un nouveau palier… Maintenant, tout cela demande énormément d’investissements, et on n’a plus les mêmes repères, les paysans sont moins nombreux, donc les orga-nisations paysannes ont moins de poids, elles ont besoin d’autres acteurs. Mais il nous est difficile de discuter avec les autres acteurs parce que les organisations syndicales agricoles majoritaires ne savent pas le faire. La Confédé-ration paysanne a plus d’expérience à ce niveau. Je ne suis pas sûr dans mon cas de pouvoir faire discuter les Jeunes Agriculteurs avec d’autres organisations. Donc pour les paliers, je suis bien convaincu qu’il y a des urgences, mais il faudra bien déterminer les bons sujets et les priorités. Quand je dis priorité, je veux dire qu’à un moment on en revient à la question politique : c’est au monde poli-tique de décider, sauf qu’on n’y arrive pas. On réalise par exemple un diagnostic sur l’installation des jeunes dans la région Nord-Pas-de-Calais parce que c’est l’un des objec-tifs du Conseil régional. Il devra fixer des objectifs et des priorités. Il s’agit là d’une urgence politique.

Marie DECIMA :Je souhaiterais revenir sur la notion d’urgence. Quand

je suis arrivée au Cerdd, la biodiversité était une urgence. Mais parfois quand on veut aller trop vite, on ferme des portes devant soi. Il faut une méthode d’approche. J’ai écrit dans une publication que le dialogue territorial doit aboutir à échanger, à discuter, à faire des compromis, parce qu’aller trop vite peut aussi ne pas aboutir, comme Natura 2000 par exemple.

Bertrand SAJALOLI :Nous arrivons à la fin de notre table ronde et tout

comme M. Poillion a fait appel aux politiques, je vais donc demander à Mme Majdouline Sbaï de conclure cette journée en tant que vice-présidente du Conseil régional.

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Conclusion de la journée par Majdouline Sbaï, vice-présidente du Conseil régional en charge de la solidarité internationale

Pour conclure cette journée je commencerai par la formule de Jean-Pierre Dupuy : « Nous ne croyons pas ce que nous savons ». En effet, nous connaissons tous l’existence, la réalité de la crise écologique que traverse le monde, mais nous n’en avons pas encore assez conscience. S’il est des personnes qui en ont une pleine conscience – ce que nous avons entendu aujourd’hui le prouve – beaucoup la minimisent encore et repoussent de ce fait son règlement. Ainsi, tous les dispositifs actuellement mis en oeuvre, qu’ils soient politiques, syndicaux ou associatifs, demeurent des bouts de solution faute d’une vision partagée de cette crise.

Prendre conscience de cette crise et proposer un modèle commun pour en sortir est l’enjeu majeur de la démocratisa-tion et de l’éducation populaire aujourd’hui. Citoyens, politiques, agriculteurs et consommateurs, tous doivent prendre part à ce débat, localement d’abord, mais son évolution doit devenir universelle, en passant notamment par des institu-tions comme celles que propose la construction européenne. La complexité du monde dans lequel nous vivons exige une réponse universelle, réponse qui se construira par la multiplication des débats locaux afin de promouvoir un changement non dictatorial, fondé sur la non-violence, la coopération et la solidarité. Silvia Pérez-Vitoria rappelait tout à l’heure la définition que donnait Guy Debord du consommateur : l’acteur d’une pièce théâtre qu’il n’a pas écrite. Cette définition cache peut-être un problème de génération, elle est marquée par l’apogée de la consommation, par l’entrée dans l’hyper-consommation. Les nouvelles générations ne s’y reconnaîtront peut-être pas, un mouvement s’y dessine pour tenter de devenir ou redevenir des acteurs à part entière, maîtres de leur choix et de leur vie. C’est l’un des enjeux du débat que j’appelle.

Au niveau régional, il a beaucoup été fait mention aujourd’hui du problème du foncier. C’est une question que tentent de régler de nombreuses collectivités. Les politiques agricole et alimentaire doivent devenir un débat régional, ne serait-ce que pour les domaines auxquels elles touchent : environnement, santé, emploi, etc. Elles doivent donc se définir dans le cadre d’une démocratisation de la vie politique régionale. Le paysan est un acteur majeur du paysage, il doit le rester, mais des thèmes comme la consommation durable et la cohésion sociale qui sont des enjeux de l’éducation populaire doivent également être pris en compte dans ce débat. La solution est peut-être d’installer davantage de jardins maraîchers, d’espaces partagés de production, sur le modèle des Amap pour rapprocher producteurs et consommateurs et chercher ensemble un modèle viable.

L’agriculture et son devenir font également partie des réflexions du Conseil régional en matière de coopération inter-nationale. Le travail mené par exemple ave la région de Kayes au Mali est une diplomatie qui dépasse celle des Etats. Les deux régions réfléchissent ensemble à leurs politiques alimentaires dans une politique de co-développement. C’est ainsi une autre manière de tisser des liens entre les régions du monde qui se fait jour, où chacun apporte à son partenaire et tire profit de son expérience.

Pour finir, j’ajouterai un souvenir personnel, celui d’un de mes premiers engagements à Roubaix. Dans le quartier de l’Union, lors des projets de renouvellement urbain, un collectif d’habitants s’était constitué pour demander l’installation d’une zone de maraîchage afin de nourrir le quartier. Cette revendication, déjà ancienne, montre bien que la question de l’alimentation se situe au cœur du projet de société que nous portons, tant au niveau local qu’au niveau international.

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Biosol :

Le programme de recherche Biosol a pour objectif de promouvoir des connaissances éco-agronomiques innovantes, dites d’intensification éco-logique, qui puissent apporter des réponses fiables pour assurer un développement environnemental et socio-économique durable dans différentes régions du Burkina Faso. Il s’inscrit dans le souci présent et mondial de nourrir la planète de façon durable et d’en réduire les contrastes de pau-vreté par l’utilisation de techniques agricoles performantes, endogènes et auto-centrées. Il tente ainsi d’apporter une réponse aux défis multiples, régionaux et locaux, du changement climatique en zone sahélo-soudanienne (désertification, perte de fertilité des sols, paupérisation, insuffisance alimentaire, migrations forcées, etc.). Son originalité provient de l’étroite collaboration entre sciences biophysiques (Isto, Passerelles), sciences humaines (Cedete, Citeres, ENSPN) et acteurs de l’aide au développement français (Centraider, Loos N’Gourma, Djangon Barani) et burkinabè (Avapas, autorités locales). De la mise au point scientifique des techniques de l’intensification écologique à leur adoption et utilisation autonome par les paysans locaux, c’est en effet toute la chaîne des transferts de compétences que se propose de réaliser le programme Biosol.

Une série d’études sera ainsi conduite simultanément sur :1. les techniques agro-écologiques elles-mêmes,2. le bilan de celles déjà utilisées par certaines communautés villageoises formées par l’Avapas,3. les modalités ethno-culturelles d’adoption de ces techniques par les sociétés rurales,4. la formation des paysans à ces pratiques (en insistant sur le volet formation de formateurs-paysans pour diffuser les bienfaits de la méthode

sans instituer de dépendance institutionnelle ou technique),5. la mise au point d’indicateurs agro-socio-économiques de suivi des expériences réalisées.Sur un plan biophysique, les buts du projet sont d’accroître les connaissances scientifiques, techniques mais aussi opérationnelles des techniques

biophysiques traditionnelles et innovantes appliquées tant au plan agronomique que de lutte pour la préservation des ressources naturelles. L’étude de l’aggradation des sols, augmentation de la stabilité structurale, de la matière organique, de la biodiversité avec économie d’intrants et baisse de la pollution et de l’érosion sera privilégiée. L’originalité de cette étude est de ne préférer aucun des systèmes de culture, de concevoir même des possi-bilités d’amélioration des uns par des ajouts des autres, d’adapter les itinéraires techniques selon les types d’associations identifiés afin de permettre la restauration de la fertilité organique du sol et sa protection contre l’érosion. Ceci repose sur trois approches conceptuelles :

1. une approche pratique de terrain en milieux paysans, 2. une recherche scientifique en laboratoire et en station, 3. un feed-back entre (1) et (2). Sur un plan géographique et ethno-géographique, le but est d’évaluer les conditions socio-culturelles d’adoption de ces techniques agro-écolo-

giques par les communautés rurales. L’étude systémique des paysages agraires et des sociétés rurales sera privilégiée afin d’établir les stratégies d’adhésion sociale à l’intensification écologique. Une attention particulière sera portée au fonctionnement du sociosystème (pratiques de l’exercice des pouvoirs et contre-pouvoirs sur le groupe et l’espace, identification des conflits d’usages et de leurs modes de résolution, repérage des fractures culturelles ou ethniques et des arrangements ou parentèles) afin d’identifier les leviers d’intervention.

Sur un plan opérationnel, les conditions de diffusion de ces pratiques au sein des communautés villageoises du Burkina Faso (formation) et des instances administratives concernées (sensibilisation/communication) seront prioritaires.

Ces trois plans inscrivent résolument le projet Biosol dans une logique interdisciplinaire de recherche-action et de collaboration Nord-Sud.

Organismes participant au programme :• Institut des Sciences de la terre d’Orléans (Isto) : UMR6113 CNRS Université d’Orléans, • Centre d’Etude sur les Territoires et l’Environnement (Cedete) : UA 1210 Université d’Orléans• Cités, Territoires, Environnement et Sociétés (Citeres) : UMR Université de Tours• Ecole Nationale Supérieure de la Nature du Paysage de Blois (ENSNP )• Centraider : Réseau régional au service de la coopération internationale en région Centre• Djangon Barani : Association affiliée au réseau Centraider intervenant au Burkina faso• Loos n’Gourma : Association affiliée au réseau Lianes (région Nord-Pas de Calais) conduisant une expérience d’agroécologie depuis huit

ans au Burkina faso• Passerelles : Association pour l’étude et la diffusion des recherches agroécologiques • Avapas : Association pour la Vulgarisation et l’Appui aux Producteurs Agroécologiques au sahel (partenaire du programme au Burkina

Faso)

Centraider :

Centraider est un réseau regroupant toutes les structures engagées dans des projets de coopération et de solidarité internationale et dont le siège est en région Centre.

Centraider est une association fonctionnant avec un conseil d’administration collégial et est soutenu par la Région Centre et l’Etat.Centraider a pour missions :• d’identifier les acteurs du territoire et de savoir quel type de projet ils mènent, dans quel pays et avec quels partenaires,• de les informer sur l’actualité de la coopération internationale (financements, demandes de partenariats, agenda…),• de les former en vue d’une amélioration qualitative des projets menés,• de les mettre en réseau afin de favoriser la mutualisation d’expériences (groupes pays et groupes thématiques),• de les représenter dans des instances régionales et nationales.

Pour tout contact : Stéphanie Chapuis, [email protected] / 02 54 80 23 09 / www.centraider.org

Les structures présentées

50

Page 53: L'agroécologie, une solution pour l'agriculture au Nord et au Sud ?

Orientations et ressources documentaires

Ces indications ne constituent pas une bibliographie détaillée consacrée à l’agroécologie. Vous y trouverez les contacts des associations et les références des ouvrages qui nous ont aidés dans la mise en place du programme Agroéoclogie à Sampiéri ainsi que dans la préparation du colloque. Les sites de ces structures vous permettront également d’en savoir plus.

Quelques ouvrages :

• L’Agroécologie en pratiques, Agrisud International, 187p.• Pérez-Vitoria (Silvia), Les Paysans sont de retour, Actes Sud, 2005, 266 p.• Pérez-Vitoria (Silvia), La Riposte des paysans, Actes Sud, coll. « Questions de société », 2010, 292 p.• Pérez-Vitoria (Silvia) et Sevilla Guzman (Eduardo), Petit Précis d’agroécologie : Nourriture, autonomie, paysannerie,

La Ligne d’horizon, 2008, 120 p.• Rabhi (Pierre), Du Sahara aux Cévennes, Itinéraire d’un homme au service de la Terre-Mère, Albin Michel, coll.

« Espaces libres », 2002, 291p.• Rabhi (Pierre), L’Offrande au crépuscule, L’Harmattan, 2001, 247 p.• Rabhi (Pierre), Parole de Terre, Albin Michel, coll. «Espaces libres », 1996, 245 p.• Rabhi (Pierre), Le Recours à la Terre, Oxus Editions, coll. «Terre du ciel », 2004• Ravignan, de (François), La Faim, pourquoi ?, Un Défi toujours d’actualité, La Découverte, coll. « Sur le vif », 2009,

125 p.

Sur Internet :

• Actes du colloque international d’agroécologie (Albi, 2008), « Nourriture, autonomie, paysannerie » : http://www.colloque-agroecologie-albi2008.org/

Les associations et structures :

• La ligne d’horizon, 7, Villa Bourgeois, 92240 Malakoff , http://www.lalignedhorizon.org• Terre et Humanisme, Mas de Beaulieu, BP 19, 07 230 Lablachère, http://www.terre-humanisme.org• Agrisud, 48, rue de la sablière, 33500 Libourne, http://www.agrisud.org• Centre d’Actions et de Réalisations Internationales (Cari), 12, rue du Courreau, 34380 Viols le Fort, http://www.

cariassociation.org/ • Biodiversité : Echanges et Diffusion d’Expériences (Béde), 47, place du Millénaire, 34000 Montpellier, http://www.

bede-asso.org/index.php• Dispositif Régional d’Accompagnement des Porteurs de Projets de Solidarité internationale (Drapp), Maison Régio-

nale de l’Environnement et des Solidarités, 23, rue Gosslet, 59000 Lille, http://www.drapp.fr/• Fondation pour la Nature et l’Homme, 6 rue de l’Est, 92100 Boulogne-Billancourt, http://www.fondation-nature-

homme.org/

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Page 54: L'agroécologie, une solution pour l'agriculture au Nord et au Sud ?

Nom Prénom Organisme Fonction Ville

BLAREL Albert Agriculteur LignylesAires

BOuQuET Béatrice LoosN’Gourma Présidente LoosenGohelle

BOuQuET Hugo LoosN’Gourma Lille

BOuQuET Michel LoosN’Gourma LoosenGohelle

CAILLE Arnaud Marcq-en-Baroeul

CARON Jean-François VilledeLoosenGohelle Maire LoosenGohelle

CARON Marie-Paule LoosN’Gourma LoosenGohelle

CASALEGNO Pauline GRDR Chargéedemission Lille

CASTELAIN Blanche NordNatureEnvironnement

CHARLET François Expertenagriculture

CHOTARD Amandine Fondation pour la nature etl’homme Chargéedemission Paris

COuRBOT Francis CoopérationLaBelleVerte

CuNAT Nicole Gref Enseignanteretraitée

DAMAGEux Mariam KabéBénin Agricultrice LoosenGohelle

DAMAGEux Pierre KabéBénin Agriculteur LoosenGohelle

DEOLIVEIRA Paula Fondation pour la nature etl’homme Chargéedemission Paris

DECIMA Marie Cerdd Chargéedemissionenvironnement LoosenGohelle

DEKERLE Guillaume InstitutdeGenech Enseignant Genech

DELACOuR Gaël

DELANNOy Grégory Béthune

DEMADE-PEL-LORGE Laura Ingénieur en agriculture/agroécolo-

gie

DERISBOuRG François LianesCoopération Chargédemission Lille

DESMOLINS Evelyne Réseau coopération internationaledeslycéesagricoles

DESNET Didier Agirensemblepourunautreavenir LoosenGohelle

DESSEAux Martine Hénin-Beaumont

DROuVIN Lionel L’unionfaitlaferme Accompagnateur Wambrechies

DuFLy OdileDirectiondespartenariats interna-tionaux,ConseilrégionalNordPas-de-Calais

Chargéedemissioncoopérationdé-centralisée Lille

DuRIEz Laurence LoosN’Gourma LoosenGohelle

DuVAuCHELLE Serge Servicedeprotectiondesvégétaux Consultantprotectiondescultures LoosenGohelle

DuVAuCHELLE Paula

DuVAuCHELLE LoosenGohelle

EDEL Henri Boulangerbio

ESLAN Jean-Paul LoosN’Gourma LoosenGohelle

ESLAN Pascale LoosN’Gourma LoosenGohelle

FINDINIER Didier LoosN’Gourma

FREyTET François LoosN’Gourma Secrétaire LoosenGohelle

GALLET Bernard Agirensemblepourunautreavenir Liévin

GOOSSENS Michèle Afcape Trésorière Liévin

Lesparticipantsdelajournéedu23mai2011

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Page 55: L'agroécologie, une solution pour l'agriculture au Nord et au Sud ?

Nom Prénom Organisme Fonction Ville

GuILLEMONT Chantal LoosN’Gourma Poissy

HOLVOET Robert CRDTM Administrateur NeuvilleenFerrain

JOLy Marylène PeuplesHumana Trésorière

KOROGO Sylvain Avapas Président Ouagadougou

KOTCHONI AchilleThierry Ensemblepour undéveloppementdurable Chargédeprogrammeagriculture

LAJLAR Marie-Claude Agirensemblepourunautreavenir Liévin

LARCHER Soa Paris

LAuRENT Elisabeth ArtisansduMonde Arras

LEBRETON Amandine Fondation pour la nature etl’homme Chargéedemission«Agroécologie» Paris

LEGRAND Patrice InsitutdeGenech Enseignant Genech

LENECHET David LianesCoopération

LEROyMIELLET Pascale CCFDTerresolidaire Conseillèremunicipale Wavrin

LEST Eliane PeuplesHumana Vice-présidente

MAHAILET Antoine AfriqueEuropeAvenir Responsable Dunkerque

MALENGROS Jeanine PeuplesHumana

MENEGOz Gonzalo Ingénieuragronome

MENEGOz Kora Ingénieur en agriculture/agroécolo-gie

MEzIANI Fatma Hem

MOCTR Daouda Chargédeprogramme

MOuTIER Viviane Lille

NDJAMBARA Mahamondou

OuOBA Denis GroupementFimba Coordinateur Sampiéri

PERES Gilbert Institutagricole Professeurdezootechnie Hazebrouck

PEREz-VITORIA Silvia LaLigned’horizon

POILLION Mickaël Agriculteur Héricourt

SAINTIVE Monelle LoosN’Gourma LoosenGohelle

SAJALOLI Bertrand universitéd’Orléans Enseignantchercheur

SBAï Majdouline ConseilrégionalNordPas-de-Calais Vice-présidente

SEGuIN Bertrand LoosN’Gourma

TERMINALESSTAV InsitutdeGenech Genech

THOMAS Annie

THéRy François Cédapas Président StLaurentBlangy

THOuRET Frédérique VilleduPortel CoordinatricepolitiqueJeunesse LePortel

TOP Rémi RéseaurégionaldesAmap Animateur StLaurentBlangy

VANDROTH Thibaut

VANHEE Virginie Drapp

VIEL Christelle VilledeLoosenGohelle Chargéedemission LoosenGohelle

WALLAERT Albert CDSI BoulognesurMer

WALLAERT Francine CDSI BoulognesurMer

WOuTS Jean ArtisansduMonde NeuvilleSaintVaast

Page 56: L'agroécologie, une solution pour l'agriculture au Nord et au Sud ?

Retranscription&miseenpage:HugoBouquet Impression:ConseilgénéralduPas-de-Calais

Lianes coopération

Depuis12ans,Lianescoopération,réseaurégionald’appuiàlacoo-pérationinternationale,s’adresseàl’ensembledesacteursdelarégionNord-PasdeCalaisquidésirentnouerouapprofondirdespartenariatsaveclespaysd’Afrique,d’Asie,d’Amériquelatine,d’Europeorientaleoud’Océanie : associations, collectivités territoriales, institutions d’Etat,établissements scolaires, organisations socioprofessionnelles et consu-laires…LianescoopérationestsoutenueparlarégionNordPasdeCalais,le

MinistèredesAffairesEuropéennesetEtrangères,lesdépartementsduNordetduPasdeCalais,etdescollectivitésterritoriales.L’associationaunefonctiond’observatoirede laCoopérationdécen-

traliséeetdelaSolidaritéinternationaleenrégion,decoordinationdesformations,d’appuiconseiletdemiseenréseaudesacteurs.Enfin,LianescoopérationpiloteleDRAPP,financéparlaRégionNord

PasdeCalais,qui contribueà l’améliorationqualitativeetquantitativedesprojetsdecoopérationetdeSolidaritéinternationale.

Lianescoopération23,rueGosselet-59000LilleTél/fax:0320851096http://www.lianescooperation.org

Loos N’Gourma

Depuis1981,LoosN’GourmamènedesactionsdesolidaritédanslevillagedeSampiériauBurkinaFaso(éducation,santé,etc.).Depuis1998,l’associations’estengagéedansunevéritablepolitique

de développement avec la création d’une bibliothèque, d’une halte-garderie,d’uncentreménageretartisanalet l’appuiàl’agricultureparl’agroécologie.Pensécommeunevéritable«révolutionverte»,ceprogrammeagri-

coleviseàatteindrel’autosuffisancealimentairetoutenpréservantl’en-vironnement de la pollution et de la désertification. LoosN’Gourma adécliné lapromotiondeces techniquesdecultureà traversuncentrede formationetdesmicrocréditspour l’équipementagricole.Signedel’adhésiondespopulations locales,ceprogrammes’étenddésormaisà16villages.Parailleurs,LoosN’GourmaanimeunrelaisRITIMOetaccueille les

porteursdeprojetsdedéveloppementruraletagricoledanslecadreduDrapp.

LoosN’Gourma59,rueSalengro-62750LoosenGohelleTél:0321675458