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2 L’inexécuton du contrat et les ters 2008 INTRODUCTION Le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s’engagent envers une ou plusieurs à donner, à faire ou ne pas faire quelque chose. C’est donc un acte qui confère des droits et des obligations à la charge des parties. Conclu, le contrat doit être exécuté : c’est là sa force obligatoire. Son inexécution est donc source de responsabilité. Dans un sens large, l’inexécution du contrat se définit soit comme le retard dans l’exécution, soit comme le défaut d’exécution, soit enfin comme l’exécution défectueuse des obligations contractuelles. Selon l’article 1165 du Code civil, « Les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes, elles ne nuisent point au tiers et elles ne lui profitent que dans le cas prévu par l’article 1121 » (la stipulation pour autrui). C’est la consécration de l’adage « Res inter alios acta aliis nec prodesse nec nocere potest » 1 . Ainsi, un contrat passé entre des parties ne rend pas les tiers débiteurs ou créanciers. C’est le principe de la relativité des conventions. Pris à la lettre, ce texte semble signifier que le contrat ne produit aucun effet à l’égard des tiers. A sa lecture, le tiers est celui qui n’a pas été partie à la formation du contrat, qui n’a pas échangé son consentement. C’est donc toute personne étrangère à un acte juridique. Seulement cette notion est protéiforme. Il est donc nécessaire de distinguer les « tiers absolus », totalement étrangers au contrat de ceux qui, par un lien ou un autre sont en relation avec l’une des parties. Inspiré de la théorie de l’autonomie de la volonté apparue un siècle plus tôt, le principe de l’effet relatif avait pour les rédacteurs du Code civil de 1804 valeur d’évidence : chaque individu était indépendant, seule sa volonté peut restreindre sa liberté et le lier. Dès lors que l’obligation a sa source dans la volonté, ne peuvent être tenus que ceux qui l’ont voulu. Cette approche n’a été remise en cause qu’un siècle plus tard avec la naissance de la théorie de la « socialisation du contrat, laquelle, sous l’influence de la doctrine a fait sortir le contrat de son « splendide isolement » c’est-à-dire de son individualisme. Certes le contrat demeure avant tout le fruit des volontés individuelles et ; à ce titre se suffit à lui-même en tant que source de droits et d’obligations. Pour autant, il ne peut être détaché de l’ordre juridique dans lequel il s’inscrit. Il crée au même titre que les autres règles de droit une situation de fait que les tiers ne peuvent ignorer. Dès lors, le contrat ne peut plus être conçu comme un élément isolé. Il doit aussi être appréhendé comme une composante de l’ordre juridique dans lequel il s’insère De là est née la théorie de l’opposabilité du contrat qui procède 1 « Ce qui a été convenu entre les uns ne nuit ni ne profte aux autres »

L’inexécution du contrat et les tiers€¦ · Autrement dit, si le principe de l’effet relatif du contrat exonère les tiers du respect des stipulations contractuelles, le principe

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L’inexécuton du contrat et les ters 2008

INTRODUCTION

Le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personness’engagent envers une ou plusieurs à donner, à faire ou ne pas faire quelquechose. C’est donc un acte qui confère des droits et des obligations à la chargedes parties. Conclu, le contrat doit être exécuté : c’est là sa force obligatoire.Son inexécution est donc source de responsabilité. Dans un sens large,l’inexécution du contrat se définit soit comme le retard dans l’exécution, soitcomme le défaut d’exécution, soit enfin comme l’exécution défectueuse desobligations contractuelles. Selon l’article 1165 du Code civil, « Les conventionsn’ont d’effet qu’entre les parties contractantes, elles ne nuisent point au tiers etelles ne lui profitent que dans le cas prévu par l’article 1121 » (la stipulationpour autrui). C’est la consécration de l’adage « Res inter alios acta aliis necprodesse nec nocere potest »1. Ainsi, un contrat passé entre des parties ne rendpas les tiers débiteurs ou créanciers. C’est le principe de la relativité desconventions. Pris à la lettre, ce texte semble signifier que le contrat ne produitaucun effet à l’égard des tiers. A sa lecture, le tiers est celui qui n’a pas été partieà la formation du contrat, qui n’a pas échangé son consentement. C’est donctoute personne étrangère à un acte juridique. Seulement cette notion estprotéiforme. Il est donc nécessaire de distinguer les « tiers absolus », totalementétrangers au contrat de ceux qui, par un lien ou un autre sont en relation avecl’une des parties. Inspiré de la théorie de l’autonomie de la volonté apparue unsiècle plus tôt, le principe de l’effet relatif avait pour les rédacteurs du Code civilde 1804 valeur d’évidence : chaque individu était indépendant, seule sa volontépeut restreindre sa liberté et le lier. Dès lors que l’obligation a sa source dans lavolonté, ne peuvent être tenus que ceux qui l’ont voulu. Cette approche n’a étéremise en cause qu’un siècle plus tard avec la naissance de la théorie de la« socialisation du contrat, laquelle, sous l’influence de la doctrine a fait sortir lecontrat de son « splendide isolement » c’est-à-dire de son individualisme. Certesle contrat demeure avant tout le fruit des volontés individuelles et ; à ce titre sesuffit à lui-même en tant que source de droits et d’obligations. Pour autant, il nepeut être détaché de l’ordre juridique dans lequel il s’inscrit. Il crée au mêmetitre que les autres règles de droit une situation de fait que les tiers ne peuventignorer. Dès lors, le contrat ne peut plus être conçu comme un élément isolé. Ildoit aussi être appréhendé comme une composante de l’ordre juridique danslequel il s’insère De là est née la théorie de l’opposabilité du contrat qui procède

1 « Ce qui a été convenu entre les uns ne nuit ni ne profte aux autres »

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d’une nouvelle lecture de l’article 1165 du code civil et qui conduit a distinguerl’effet obligatoire du contrat strictement limité aux parties contractantes, et lasituation juridique née du contrat, opposable aux tiers par les parties , et auxparties , par les tiers. Autrement dit, si le principe de l’effet relatif du contratexonère les tiers du respect des stipulations contractuelles, le principe del’opposabilité induit pour eux le droit de se prévaloir du contrat, mais aussil’obligation de ne passer outre cette réalité juridique qu’il crée. Il serait doncdifficile de prétendre que les tiers puissent être totalement extérieurs au champcontractuel, ainsi qu’à ses perturbations éventuelles à l’instar de l’inexécution.

La question de droit soulevée est donc celle de l’incidence del’inexécution sur les tiers. Plus profondément, quel lien de responsabilité estsusceptible de lier les tiers aux parties ? Ce sujet revêt ainsi un intérêt tant socialque juridique. En effet, la tendance actuelle est à la contractualisation desrelations humaines. Il est donc nécessaire pour chacun de savoir à quel degré ilintervient et son champ de responsabilité dans le contrat. Face à l’inexécution ducontrat, le tiers peut être victime ou responsable. Cependant, lorsque le tiers estresponsable de cette inexécution, le problème ne se pose pas véritablement.D’où la limitation de notre devoir aux tiers victimes, étant entendu que c’est icique demeure véritablement le problème. En effet, le tiers responsable del’inexécution, parce qu’il a perturbé la suite normale du contrat verra saresponsabilité délictuelle engagée en ce sens qu’il n’est pas partie au contrat2.Cependant, lorsqu’une partie au contrat a volontairement introduit le tiers,responsable de l’inexécution du contrat, dans le contrat, celui-ci engagera saresponsabilité contractuelle envers son cocontractant du fait de ce tiers. On parleici de responsabilité contractuelle du fait d’autrui3.

Nous étudierons donc la mise en œuvre de l’action de la victime contre lapartie défaillante (II), mais non sans avoir étudié le fondement de cette action(I).

2 Cass. Civ., 29 jan. 19993 Civ. 1ère, 29 mai 1963

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I - FONDEMENT DE L’ACTION DU TIERS VICTIME CONTRE LEDEBITEUR DU FAIT DE L’INEXECUTION DU CONTRAT

Suite à l’admission du principe d’opposabilité du contrat en tant quesituation de fait permettant aux tiers dans l’hypothèse de la méconnaissance decette situation par ceux qui ont créé d’en obtenir la sanction, le juge a étécontraint de rechercher dans ce contexte un fondement juridique justifiant laresponsabilité des parties à un contrat envers les tiers. Cette recherche ne s’estpas faite sans de nombreuses controverses doctrinales et jurisprudentielles (A)qui ont conduit à la position du droit (B).

A - C O N T R O V E R S E S D O C T R I N A L E S E TJURISPRUDENTIELLES

La jurisprudence e la fin du XIX ème siècle et de la première moitié duXXème envisageait la possibilité pour les tiers d’obtenir une indemnisationconsécutive à une défaillance contractuelle par une extension des règles de laresponsabilité contractuelle. L’action du tiers était donc fondée ici sur le contrat.Notamment, la jurisprudence a eu recours à la technique de la stipulation pourautrui, seule exception aux termes de l’article 1165 du Code civil, au principeselon lequel les conventions ne profitent point aux tiers. Pour autant, si lefondement délictuel de l’action en responsabilité du tiers paraît acquis, laquestion de savoir si la seule défaillance contractuelle du débiteur suffit à fonderune faute au sens de l’article 1382 du Code civil susceptible d’engager saresponsabilité à l’égard du tiers victime(2), ou si ce dernier doit, en plus de cemanquement, démontrer l’existence d’une faute détachable du contrat (1) faitl’objet de débats houleux tant en jurisprudence qu’en doctrine qu’on ne sauraitéluder dans ce devoir.

1- La thèse de la relativité de la faute contractuelle

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Selon cette thèse, le principe de l’effet relatif du contrat n’engendre deresponsabilité envers des tiers que si le manquement contractuel est doublé d’unécart de conduite, caractérisant la faute délictuelle. Donc toute fautecontractuelle n’est pas ipso facto une faute délictuelle et le contractant défaillantqui a causé un dommage à autrui ne sera sanctionné que lorsque ce dernier auracausé ce même dommage en dehors du contrat.

Diverses formulations dans les arrêts consacrant cette thèse ont étéretenues par la Cour de Cassation, ce qui montre la difficulté à cerner ce quirelève d’un manquement général à une règle de conduite. Dans un premiertemps, par de nombreux arrêts4, elle a considéré que les tiers ne pouvaientobtenir réparation que s’ils démontraient l’existence d’une "faute délictuelleenvisagée en elle-même, indépendamment de tout point de vue contractuel"5. Parcontre, des arrêts ultérieurs se sont référés à la violation d’une obligationgénérale de prudence et de sécurité. Ainsi, dans un arrêt rendu en matière detransport maritime, la chambre commerciale a retenu que « le fait d’une partieau contrat peut à l’égard d’un tiers à celui-ci, constituer une faute quasidélictuelle par la violation d’une obligation générale de prudence et dediligence, bien qu’il peut être aussi un manquement de cette partie à cesobligations contractuelles »6. La chambre commerciale a utilisé une formulationvoisine dans un arrêt du 17 juin 1997 dans lequel elle a retenu que "si la fautecontractuelle d’un mandataire à l’égard de son mandant peut être qualifiée defaute quasi délictuelle à l’égard d’un tiers, c’est à la condition qu’elle constitueaussi la violation d’une obligation générale de prudence et de diligence". Dansun dernier état de sa jurisprudence, la chambre commerciale, usant encore d’unenouvelle formulation, elle a jugé dans un arrêt non publié qu’un tiers à uncontrat ne peut obtenir, sur le fondement de la responsabilité délictuelle,réparation d’un des contractants que s’il démontre que celui-ci lui a causé undommage « en manquant à son égard au devoir général de ne pas nuire à autruisanctionné par l’article 1382 du Code Civil ». C’est cette formulation qui serasolennellement reprise par elle dans un arrêt publié de la Chambrecommerciale7, en ces termes : « un tiers ne peut sur le fondement de laresponsabilité délictuelle, se prévaloir de l’inexécution d’un contrat qu’à lacondition que cette inexécution constitue un manquement à son égard du devoirgénéral de ne pas nuire à autrui ». Ce courant jurisprudentiel sera soutenu parplusieurs auteurs.

4 : Civ. 1ère, 9 oct. 1962, Bull No 405; Civ. 1ère, 7 nov. 1962, Bull No 465 ; Civ. 3è me , 15 oct 1970, Bull No 515 ; Civ, 3ème 18 avril 1972, Bull No233 ; Civ1ère, 23 mai 1978, Bull No 2015 Voir arrêts sus évoqué 6 Com. 2 avril 1996, Bull., n°1017 Com. 5 avril 2005, Bull No 81

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Ainsi selon JOURDAIN "tout dépend en réalité de la portée del’obligation contractuelle violée. Si elle se limite au cercle étroit des partiescontractantes, sa transgression ne pourra constituer une faute délictuelle. Aucontraire si par son objet, elle intéresse les tiers, ceux-ci doivent être autorisés àse prévaloir de sa transgression pour établir la faute délictuelle". Aussiapprouve-t-il la jurisprudence la plus récente de la chambre commercialeconsacrant la relativité de la faute contractuelle dans la mesure où « il est desobligations dont la portée est limitée aux seules parties contractantes et qui netendent nullement à protéger les tiers ni à les procurer un quelconqueavantage ». Dans le même ordre d’idée, MM. TERRE, SIMLER et LEQUETTEestiment que « permettre à un tiers d’invoquer la faute contractuelle du débiteurrevient à lui permettre de réclamer indirectement à son profit le bénéfice d’uncontrat auquel il n’est pourtant pas partie … sous couvert d’opposabilité ducontrat, c’est porter directement atteinte au principe de l’effet relatif ducontrat ».

Mais ce courant jurisprudentiel, maintenu par la chambrecommerciale, consacrant l’autonomie de la faute délictuelle par rapport à lafaute contractuelle n’a pas empêché le développement d’un autre courant luiaussi bien nourri qui procède d’une assimilation des deux fautes.

2 - La thèse de l’assimilation des fautes contractuelle etdélictuelle

De nombreux arrêts paraissent s’en tenir à une approche purementunitaire des fautes contractuelle et délictuelle et déduisent l’existence d’unefaute délictuelle de la seule faute contractuelle. Cette position n’est pas nouvellecar des arrêts anciens procédaient déjà à une telle assimilation :"Toute fautecontractuelle est délictuelle au regard des tiers étrangers au contrat". Mais c’estsurtout à partir des années 1990 que ce courant jurisprudentiel a connu un fortdéveloppement essentiellement sous l’impulsion de la 1ère chambre civile, bienque d’autres chambres de la Cour de Cassation y compris la chambrecommerciale, s’y soient occasionnellement ralliées.

Dans son arrêt du 15 décembre 1998, la 1ère chambre civile a retenu,sous le double visa des articles 1165 et 1382 du Code Civil, que « les tiers à uncontrat sont fondés à invoquer l’exécution défectueuse de celui-ci lorsqu’elleleur cause un préjudice ». Franchissant un nouveau pas, elle a considéré, dansun arrêt du 18 Juillet 2000, toujours au visa des articles 1165 et 1382 du CodeCivil, à la suite du décès d’un patient d’une clinique psychiatrique imputable àun défaut de surveillance de cet établissement, que ses ayant-droit, victimes parricochet et tiers au contrat d’hospitalisation, étaient fondés à invoquer

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l’exécution défectueuse de celui-ci dès lors qu’elle leur a causé un dommage"sans avoir à rapporter d’autre preuve" . C’est la même position qui seraadoptée dans un arrêt du 18 mai 2004 rendu en matière de mandat8 elle a retenuque viole l’article 1382 du Code Civil la Cour d’Appel qui énonce que la fautedu mandataire ne peut être invoquée que si elle est détachable du mandat. Lachambre commerciale dans un arrêt non publié du 05 mars 2002, a censuré uneCour d’Appel ayant retenu que les tiers n’invoquaient "aucune faute délictuelleenvisagée en elle-même indépendamment de tout point de vue contractuel" enénonçant que « les tiers à un contrat sont fondés à invoquer l’exécutiondéfectueuse de celui-ci lorsqu’elle leur a causé un dommage ».

Le courant doctrinal favorable à l’assimilation des deux fautes part del’idée soutenue par MM. FLOUR, AUBERT et SAVAUX « Que le tiers victime,qui invoque le manquement contractuel au soutien de sa demanded'indemnisation, ne prétend en aucune façon s'introduire dans le rapportd'obligation contractuel : il se borne à faire valoir le fait de l'inexécution,comme tout tiers peut invoquer la situation de fait constituée par le contrat,qu'il soit ou non exécuté...Ce n'est là que le mécanisme de l'opposabilité ducontrat qui est mis en œuvre ». Ces mêmes auteur ajoutent que le fait même queles tiers aient subi un dommage en conséquence du manquent contractuel« parait bien impliquer une violation du devoir de ne pas nuire à autrui au sensde l’art 1382 du code civil » et qu’on s’explique mal « que les tiers victimes nepuisse faire valoir, contre le débiteur contractuel, la situation endommageablecréée par ce débiteur, qui aurait pu l’éviter en exécutant correctement sonobligation ». Toujours selon ces auteurs, le seul véritable problème parait êtrecelui de la causalité : « il convient dans tous les cas de s’assurer que le dommagedont la réparation est demandée est bien la conséquence du manquement dudébiteur contractuel.

M. TOSI milite également dans le sens de cette thèse, il estime que, demême que le contractant peut agir en responsabilité délictuelle contre le tierscomplice de la violation d’une obligation contractuelle, de même le tiers quisubit un préjudice du fait de l’exécution d’un contrat doit pouvoir agir contre lecontractant en faute. On voit mal pourquoi la solution serait également dansl’autre cas, c’est-à-dire lorsque c’est le tiers qui se prévaut du contrat pourreprocher un débiteur contractuel… la violation de son obligation.

B- LA POSITION DU DROIT

Elle sera envisagée sous deux angles : de lege lata (1) c’est- à- dire au vudu droit actuel et de lege ferenda (2) au vu des perspectives envisagées

8 (Qui paraît aller à l’encontre de l’arrêt précité de la chambre commerciale du 17 juin 1997),

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1 - De lege lataBien que beaucoup moins alimenté que la thèse de la relativité, le courant

doctrinal favorable à l’assimilation des deux fautes a exercé une influencedéterminante sur la jurisprudence contemporaine, puisque toutes les formationsde la cours de cassation semblent s’y être ralliées.

Le rapport annuel de la cour de cassation, définissant la portée de l’arrêtrendu la 10 juillet 2000 à propos de la responsabilité d’une cliniquepsychiatrique, se réfère en ces termes à cette thèse : « la notion d’opposabilitédu contrat est les fondements de cette décision simplificatrice : tout tiers auquelun manquement contractuel nuit9 est en droit d’invoquer ce manquement àl’appui de sa demande et il n’a pas à apporter d’autre preuve. »

La chambre commerciale elle-même, qui semblait ne pas partager cetavis, a dans un arrêt non publié du 5 mars 2002, censuré une cours d’appel ayantretenu que les tiers n’invoquent « aucune faute délictuelle envisagée en elle-même indépendamment de tout point de vue contractuel» en énonçant que « lestiers à un contrat sont fondés à invoquer l’exécution défectueuse de celui-ci,lorsqu’elle leur a causé un dommage »10.

C’est bien en appliquant la jurisprudence assimilatrice des fautescontractuelles que l’assemblée plénière de la cour de cassation a rendu l’arrêtPERRUCHE, même si la question ne lui était pas directement posée, et que« dès lors que les fautes commises par un médecin et un laboratoire dansl’exécution des contrats formés avec une femme enceinte avaient empêché celle-ci d’exercer son choix d’interrompre sa grossesse afin d’éviter la naissanced’un enfant atteint d’un handicape, ce dernier peut demander le réparation d’unpréjudice résultant de cet handicap et causé par les fautes retenues ». D’ailleurs,cette jurisprudence a été confirmée ultérieurement par trois arrêts rendus par lamême formation précisant les conditions d’indemnisation des victimes11.

C’est d’ailleurs la position réaffirmée expressément par l’assembléeplénière de la cour de cassation dans son arrêt du 6 Octobre 2006. Les faitsmettaient en cause trois parties : les propriétaires (A) d’un immeuble, avaientconcédé un bail commercial sur ce bien à la société (B), qui à son tour, avaitdonné l’immeuble en location gérance à une société (C). Imputant laresponsabilité aux bailleurs (A) pour un défaut d’entretien des locaux, la société(C) les a assignés pour obtenir la remise en état des lieux et paiement d’uneindemnité en réparation d’un préjudice d’exploitation. La société (C) invoquait,sur le fondement de la responsabilité délictuelle (article 1382 C.civ),

9 Artcle 116510 (Com. 5 mars 2002, n° 98-21-022).11 (Ass. Plén, 13juillet 2001, Bull. n°1).

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l’inexécution par (A) de ses obligations envers (B). Après que la cour d’appel aitdéclaré recevable cette demande, la cour de cassation a rejeté le pourvoi desbailleurs au motif que « le tiers à un contrat peut invoquer sur le fondement dela responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que cemanquement lui a causé un dommage ». Il suffit donc pour le tiers de fairemontre du seul manquement contractuel, cause de son dommage pour obtenirréparation.

Par delà toutes les explications possibles du ralliement à la thèseassimilatrice, celle qui apparaît sans doute la plus exacte et la plus prégnante estcertainement le souci d’indemnisation des tiers victimes. Cette thèse leur permetdonc de fonder leur action sur le terrain de la responsabilité délictuelleuniquement sur l’existence d’un dommage qu’ils ont subi, causé par ladéfaillance d’une partie au contrat. Quid des perspectives nouvelles envisagées ?

2- De lege ferenda

La recherche des solutions permettent de concilier le principe de l’effetrelatif des conventions avec le droit pour les tiers victimes de l’inexécution d’uncontrat d’obtenir réparation est ce qui a sans doute guidé le groupe de travailanimé par le Pr CATALA dans la rédaction de l’Avant-projet de reforme du droitdes obligations et du droit de la prescription.

Ce projet prévoit d’ajouter au code civil un article 1165-2 disposant que« les conventions sont opposables aux tiers ; ceux-ci doivent les respecter etpeuvent s’en prévaloir sans être en droit d’en exiger l’exécution » . Ce texteconsacre donc le principe d’opposabilité des contrats « erga omnès » qu’avaitdégagé peu à peu doctrine et jurisprudence. Il souligne le double sens de cetteopposabilité qui joue tant à l’encontre des tiers qu’à leur profit, sous la réserveessentielle qu’ils ne peuvent exiger l’exécution du contrat, ce qui permet dedistinguer de façon radicale l’effet obligatoire de l’opposabilité.

En outre cet avant- projet contient un article beaucoup plus novateur ainsirédigé : « lorsque l’inexécution d’une clause contractuelle est la cause directed’un dommage subi par un tiers, celui-ci peut en demander réparation audébiteur sur le fondement des articles 1362 à 1366 (dispositions propres à laresponsabilité contractuelle). Il est alors soumis à toutes les limites etconditions qui s’imposent au créancier pour obtenir réparation de son propredommage. Il peut également obtenir réparation sur le fondement de la

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responsabilité extracontractuelle, mais à charge pour lui de rapporter la preuvede l’un des faits générateurs visés aux articles 1352 à 136212 ».

Ce projet permettrait ainsi de régler le problème du fondement des droitsdes tiers victimes d’inexécutions contractuelles. Le tiers pourrait par principe,obtenir réparation de son dommage sur le fondement contractuel s’il rapporte lapreuve d’un fait générateur d’une telle responsabilité. Malgré les nombreusesdiscussions qu’il a suscitées, ce texte est le résultat d’un compromis « dicté pardes considérations pratiques qui doivent l’emporter ». En en effet selon S.VINEY, « si on veut imposer le respect du contrat…, il faut admettre que touteaction fondée exclusivement sur un manquement au contrat est soumise aurégime contractuel, quelle que soit la qualité des parties à l’action ». Ainsi, lesconsidérations pratiques commandent d’imposer l’application du régimecontractuel dès lors que le fondement de l’action réside uniquement dans unmanquement au contrat. En revanche, si le tiers peut établir à la charge dudébiteur, outre la défaillance contractuelle, un fait générateur de responsabilitéextracontractuelle, il n’y alors aucune raison de le priver de l’action destinée àfaire connaître cette responsabilité. Certes, le tiers a ici un avantage par rapportau créancier, mais cet avantage semble normal puisque le tiers n’a pas consentiaux éventuelles limitations du droit à réparation que le créancier a accepté. Or ila subi un dommage contre lequel il n’avait aucun moyen de se prémunir.

Cependant cette conception assez révolutionnaire de l’avant-projet, enautorisant le tiers à choisir entre responsabilité contractuelle et responsabilitédélictuelle, ne faut-il pas craindre que ce dernier puisse dans certains cascumuler les deux actions? Tout autre est la solution adoptée par l’avant- projetde l’acte uniforme OHADA sur le droit des obligations.

A l’opposé du projet CATALA qui consacre l’opposabilité du contrat ergaomnes, cet acte uniforme consacre cette opposabilité dans un seul sens. En effet,dans son chapitre 5 intitulés « Contenu du contrat et des droits des tiers » »,figure un article 5/10 qui parle de la relativité. Reprenant quelque peu l’article1165 du code civil, l’alinéa 1 de cet article dispose que « les droits etobligations nés du contrat n’ont d’effet qu’entre les parties ». L’innovation estprésente dans l’alinéa 2 « la situation juridique créée par le contrat estopposable aux tiers de plein droit, sauf si la loi requiert des formalitésparticulières » Comment comprendre qu’en prévoyant dans cette partie les «droits des tiers », on ait pensé qu’à leur obligation de respecter la situationjuridique créée par le contrat et non à leur droit de se prévaloir de cette situation.Il est donc nécessaire, avant d’envisager l’adoption de cet avant- projet àconsacrer l’opposabilité du contrat à double sens (c’est à dire par les parties aux

12 Ces artcles traitent de la responsabilité délictuelle du fait personnel et du fait des choses, du fait d’autrui et enfn du fait des actvités dangereuses.

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tiers et par les tiers aux parties) et non à sens unique comme c’est le cas(opposabilité du contrat par les parties aux tiers uniquement).

Sachant désormais sur quoi se fonde l’action en réparation du tiers,victime contre le contractant dont l’inexécution du contrat a causé préjudice, ilest aussi important de savoir comment elle est mise en œuvre.

II – LA MISE EN ŒUVRE DES RESPONSABILITES POUVANT ETRE

ENGAGEES PAR LE TIERS VICTIME DE L’INEXECUTION DUCONTRAT

Il est presque acquis aujourd’hui que l’action en responsabilité du tiers,victime contre la partie à un contrat qui, par le manquement à ses obligationscontractuelles, lui a causé préjudice est par principe délictuelle (A). L’action enresponsabilité civile contractuelle qui lui est parfois reconnue ne l’est que parexception (B).

A – LE PRINCIPE : l’action en responsabilité civile délictuelle

Le régime de la responsabilité civile délictuelle est celui qui est applicableà l’action des tiers qui se plaignent d’un dommage résultant de l’inexécutiond’un contrat (1) et aussi dans le cas très controversé des groupes de contratstranslatifs de propriété (2).

1 - Acton des ters absolu

Les tiers absolus n’ayant pas donné leur consentement au contrat, cedernier peut néanmoins leur causer un préjudice en cas d’inexécution. C’estnotamment le cas d’une personne passant près d’un chantier qui subit unpréjudice du fait de la chute d’un mur ou des pierres provenant dudit chantier.Dans ce cas ; ils ont une action personnelle de nature délictuelle contre l’auteurdu dommage. Cette nature trouvera sa raison d’être sur le fait que le débiteurd’une obligation aura manqué à un devoir général de prudence ou de diligence.Mais il faut aussi remarquer que, outre la victime principale, d’autres tierspeuvent subir un préjudice résultant non pas d’un dommage subipersonnellement ; mais plutôt par une autre personne. Dans ce cas on parlera deréparation «du préjudice par ricochet » . Si la victime du dommage décède, ce

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sont ses héritiers qui vont exercer l’action en réparation. Mais la situation secomplique suivant que les héritiers vont se contenter d’exercer l’action de lavictime directe issue de son patrimoine qui leur échoit, ou au contraire, ils vontréclamer la réparation du préjudice que leur cause personnellement le décèssurvenu à cause de l’inexécution d’un contrat auquel la victime principale étaitpourtant tiers absolu.

Dans le premier cas, les héritiers sont censés continuer la personne de leurauteur et peuvent donc réclamer la réparation non seulement du dommagematériel subi par leur auteur, mais aussi le préjudice moral et notamment sonpretium doloris13.

Il est paru une divergence au sein de la haute cour, dans la mesure où lacriminelle n’autorisait les héritiers à agir qu’en continuant l’action de la victimede l’accident intentée de son vivant. Alors que la 2ème chambre civile estimaitque le droit à réparation du dommage subi par la victime se transmet sansrestriction. La chambre mixte va affirmer que le droit à réparation du dommagerésultant des souffrances physiques ou morales se transmet aux héritiers de lavictime, même si celle-ci n’avait pas commencé à exercer l’action de sonvivant14. Il a été en outre admis que les héritiers peuvent réclamer réparation deleur propre préjudice et que même si la victime était considérée comme fautive,cette faute ne pouvait pas être opposable aux héritiers, mais la cour de cassationdécida que la faute de la victime leur était opposable lorsque l’action del’héritier a le même objet que celle que la victime aurait intentée, puisqu’elleprocède du même fait15. Toutefois, si l’on applique la décision de l’arrêtDesmares du 21 juillet 1982 selon laquelle la faute de la victime ne peut plusêtre partiellement exonératoire pour le gardien de la chose, elle ne peut non plusêtre opposée aux héritiers.

On reconnaît aussi une action délictuelle aux proches de la victime. Cesont les frères qui doivent apporter la preuve du préjudice subi. Mais pour lepréjudice d’affection, il existe une présomption de faute. Par contre, la preuve dela perte de subsides doit être établie. Il s’agit aussi des autres membres de lafamille, légitimes, naturels ou adoptifs (ascendants, descendants, frères, sœurs,neveux, nièces et alliés) qui doivent également apporte la preuve du préjudice àeux causé. Les étrangers à la famille (fiancés, nourriciers, enfants recueillis…)sont indemnisables s’ils prouvent le préjudice qu’ils ont subi. Pour lesconcubines, la cour de cassation leur accorde le droit à réparation à conditionque ce soit un concubinage non adultérin16. Les organismes tenus à garantir la

13 Crim., 22 nov. 1961, D. 62, Somm., 6914 Ch. mixte, 30 avril 1976, D. 77-18515 Ass. Plén., 19 juin 198116 Ch. mixte, 27 fév. 1970 ; Cass. Crim. 10 juin 1975 pour un concubinage adultérin

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victime peuvent, lorsque leur action est admise, obtenir réparation d’unpréjudice par ricochet. Mais cette action est généralement fondée sur une idée desubrogation des droits de la victime.

Enfin, malgré le fait que les préjudices subis par les personnes en relationd’affaires avec la victime (clients, médecins, fournisseurs ou employés de lavictime) sont rarement réparables, le tribunal de grande instance de Nanterre atout de même admis que les salariés au chômage pouvaient obtenir réparation dufait de la démolition du salon par un automobiliste17.

L’action délictuelle en réparation du fait de l’inexécution du contrat étantainsi admise aux tiers absolus victimes, qu’en est-il alors de celle des personnesqui, tout en n’ayant pas échangé leur consentement, font partie du même groupecontractuel ?

2 – Action des contractants extrêmes dans les groupes decontrats non translatifs de propriété

Les groupes de contrats sont un ensemble de contrats liés entre eux parcequ’ils portent sur un même objet ou concourent à un même but. Le problèmedans cette figure juridique est celui de la nature des liens qui se nouent entre lescontractants extrêmes. Il s’agit des personnes font partie d’un même groupecontractuel, mais qui n’ont pas échangé directement leur consentement. Il existedeux nuances ici ; les chaînes translatives de propriété (dont le régime seraétudié en B), et les groupes de contrats dans lesquels n’intervient aucun transfertde propriété (qui nous intéresse ici). L’exemple dans ce dernier est le contrat desous-traitance lorsque l’entrepreneur et le sous-entrepreneur ne fournissent queleur travail. Ici, l’idée que les droits se transmettent avec la chose ne peutrecevoir application.

La question de la nature contractuelle ou délictuelle des contractantsextrêmes dans ces groupes de contrats dépendra selon qu’on considère ceux-cicomme des parties ou alors comme de tiers, les uns par rapport aux autres. Cettequestion a créé une opposition de vues entre les première et troisième chambresciviles de la cour de cassation française.

Pour la première chambre, « Dans un groupe de contrats, laresponsabilité contractuelle régit nécessairement la demande en réparation detous ceux qui n’ont souffert du dommage que parce qu’ils avaient un lien avec lecontrat initial »18. Pour cette chambre, l’article 1165 du Code civil ne fait pas

17 TGI Nanterre, 1975, RTD. 1976 18 Civ. 1ère, 21 juin 1988, D. 1989, 5 ; JCP. 1988, II, 21125, Soc. Soderep c/ Soc Braathens SAFE

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obstacle à ce que les rapports de nature contractuelle se développent au seind’un même ensemble contractuel, entre les personnes qui n’ont pas échangé leurconsentement. En clair, selon elle, la victime d’un dommage résultant del’inexécution d’une convention à laquelle elle n’est pas partie doit agir sur leterrain contractuel lorsqu’elle-même et le débiteur de l’obligation inexécutéesont membres d’un même groupe contractuel. Elle confirmait là sa position prisele 8 mars 1988 affirmant en l’espèce que l’action du maître d’ouvrage contre lesous-traitant était de nature contractuelle. L’arrêt du 21 juin de la même chambregénéralise cette solution en l’étendant, non plus seulement au sous-contrat, maisà tous les groupes de contrats.

Une partie de la doctrine soutenait déjà cette solution. En effet selon M.DURRY, « si l’on pose en postulat que la responsabilité contractuelle estjusticiable d’un régime spécifique parce que le débiteur a dû prévoir à quoi ils’engageait et quelles règles sont applicables en cas de défaillance, il ne fautpas tolérer que la qualification de tiers au contrat permette de déjouer cesprévisions, du moins chaque fois que cette qualification est, pour une large part,artificielle »19. La première chambre civile va donc suivre cette doctrine enappliquant la formule par laquelle cet auteur insistait sur « la nécessité desoumettre à un même régime, celui de la responsabilité contractuelle, tous ceuxqui n’ont souffert d’un dommage que parce qu’ils avaient un lien avec le contratinitial »20. La notion de groupe de contrats va donc permettre d’étendre le cercledes personnes qui peuvent exercer une action de nature contractuelle.

Prenant en compte le fait que le contrat est, selon HAURIOU, latentative « la plus hardie qui se puisse concevoir pour établir la domination dela volonté humaine sur les faits, en les intégrant d’avance dans un acte deprévision »21 et reposant sur le souci de favoriser le respect des prévisions desparties et l’équilibre des contrats, cette extension du régime de la responsabilitécontractuelle au sein des groupes de contrat implique une double limite.Premièrement, le débiteur de l’obligation inexécutée ne saurait être tenu enversle créancier de son créancier autrement qu’il ne l’est envers ce dernier.Deuxièmement, le débiteur de l’obligation inexécutée peut se prévaloir desclauses limitatives de responsabilité posées entre son créancier et le créancier decelui-ci. Il pourra donc lui opposer les clauses limitatives de responsabilité.

Fidèle à la lecture classique de l’article 1165 du Code Civil, qui identifieles tiers aux personnes qui n’ont pas échangé leur consentement, la 3ème chambrecivile soutient que la responsabilité du sous-traitant envers le maître d’ouvrage22

comme celle du sous-traitant de second rang envers l’entrepreneur principal23 ne

19 RTD Civ. 1980, 35520 RTD Civ 1980, 35521 Principes de droit public, 1ère éd. 20622 Civ.3ème, 22 juin 198823 Civ. 3ème, 1er décembre 1989

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saurait être que de nature délictuelle. Elle refusait de voir un lien contractuel làoù la 1ère chambre civile en voyait un et condamne la théorie de groupes decontrat. Cette position sera soutenue en doctrine par MAZEAUD, CHABASainsi que Ph. CONTE.

L’assemblée plénière va trancher cette controverse dans l’arrêt BESSE du12 juillet 1991 au profit de la 3ème chambre civile. Dans cette espèce, les travauxde plomberie s’étant révélé défectueux, le maître d’ouvrage agissant plus de dixannées après, demandait réparation des désordres qui en étaient résultés au sous-traitant ayant effectué ces travaux. La Cour d’ Appel va reprendre les termes dela 1ère chambre civile dans une décision du 08 mars 1988 et conclure que le sous-traitant comme l’entrepreneur pouvait opposer au maître d’ouvrage laprescription décennale propre au contrat de construction. L’assemblée plénièreva casser cette décision pour violation de l’article 1165 du Code Civil enretenant que « le sous–traitant n’est pas contractuellement lié au maîtred’ouvrage ». Ainsi, l’action du maître d’ouvrage contre le sous-traitant est denature délictuelle. L’assemblée plénière écarte donc la solution « audacieuse »de la 1ère chambre civile pour consacrer celle classique de la 3ème chambre civile.

Quant à la portée de cet arrêt l’avocat général MOUNIER dans sesconclusions comme le conseiller LECLERCQ dans son rapport avait indiquéqu’il ne souhaitait que cette jurisprudence s’étende aux chaînes de contratstranslatifs de propriété. La solution de l’assemblée plénière sera confirmée plustard comme devant être appliquée en droit interne.

L’assemblée plénière ne retenant que la nature délictuelle de laresponsabilité dans les groupes de contrats non translatifs de propriété, l’on sepose la question de savoir ce que devient l’action directe reconnue au sous-traitant et au maître d’ouvrage, l’un contre l’autre. Cette position de l’assembléeplénière est donc trop prudente et certains auteurs estiment même qu’il aurait étépréférable pour elle d’approfondir la construction amorcée par la 1ère chambrecivile en limitant son application aux ensembles contractuels très structurés quesont les sous contrats. On remarque donc que la solution de l’assemblée plénièren’a pas répondu à toutes les difficultés en ce sens que les motifs qui ontdéterminé la 1ère chambre civile subsistent et la solution de la 3ème chambre civilene permet pas de bien y répondre. On remarque également qu’en adoptant lathéorie des groupes de contrats, la 1ère chambre civile a pris en compte le fait quele jeu de la responsabilité civile délictuelle conduisait à des résultats peusatisfaisants. En effet la jurisprudence ayant peu à peu abandonné la règle del’indépendance des fautes contractuelle et délictuelles, les tribunaux n’hésitentpas à déduire de l’inexécution d’un contrat l’existence d’une faute délictuelle.Dans un tel système, la victime qui agit contre un membre du groupe autre queson cocontractant immédiat n’aura pas à prouver un manquement à uneobligation générale de prudence et de diligence. Il lui suffit d’établir la non

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exécution d’une obligation contractuelle dont le défendeur était débiteur. Ainsi,la victime se servant du contrat devrait se voir opposer les clauses qui la gênent.C’est justement à ce résultat que conduit la qualification délictuelle lorsqu’ellese conduit avec l’abandon de la règle de l’indépendance des fautes contractuelleet délictuelles. On devrait donc soit autoriser « la victime à se prévaloir del’inexécution contractuelle, mais il faut admettre réciproquement le débiteur àopposer son contrat, ce qui doit conduire à reconnaître une nature contractuelleà sa responsabilité. » ; ou alors en retenant une interprétation stricte de l’effetrelatif des contrats, on décide que le débiteur ne peut pas opposer son proprecontrat à la victime. En retour, la victime ne saurait se baser sur le contrat pourfonder son action et on ne devrait prendre en compte qu’un manquement à undevoir général de prudence et de diligence.24

Consciente de cette difficulté, MIREILLE BACACHE GIBEILI dans sathèse, « La relativité des conventions et des groupes de contrats25 », propose dessolutions. Selon elle, un tiers ne peut être victime d’un dommage « strictementcontractuel » que s’il est membre d’un groupe de contrat uni par une identitéd’obligations. L’une des deux obligations se répercutant alors sur l’autre. Ellepropose donc de reconnaître à ce tiers et à lui seul une action de naturecontractuelle contre le contractant défaillant. Il en résulte ainsi une nouvelledéfinition des groupes de contrats calquée sur les buts poursuivis. Cette thèserépute les personnes qui n’ont pas échangé de consentement, liées et recentrel’existence du lien contractuel non plus sur la volonté de s’obliger mais sur lacommunauté d’intérêt économique qui unit les membres du groupe. La notionmême de contrat se trouve modifiée et le contrat tire sa force obligatoire moinsde la volonté des parties que de la loi qui y voit un instrument socialementindispensable qui favorise l’échange des biens et services.

B – L’EXCEPTION : l’action en responsabilité contractuelle

Conçue comme une responsabilité d’exception, la responsabilitécontractuelle est destinée à réparer les dommages résultant de l’inexécutiond’une obligation contractuelle et subis par le créancier cocontractant du débiteurdéfaillant. Elle suppose réunies deux conditions : l’inexécution d’une obligationcontractuelle et la qualité de cocontractant de la victime. La défaillance de l’unede ces conditions prive la responsabilité contractuelle de sa vocation à réparer ledommage subi. Il en est ainsi lorsque l’inexécution d’une obligationcontractuelle cause un dommage à un tiers au contrat. La qualité de tiers interdit

24 P. Jourdain, Rév. crit. DIP, 1992 ; D. 1992, 155, n°3325 Thèse Paris II, Ed 1996, n° 105, SP. P 98 et svtes

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à la victime de réclamer sur le terrain contractuel la réparation du dommagequ’elle subit26. Mais devrait-on laisser les tiers, victimes d’une défaillancecontractuelle, sans réparation ? Cette question a déjà été résolue par lestribunaux27 qui se sont prononcés à plusieurs reprises sur l’action de la victime.Ainsi, il est reconnu au tiers, victime d’une inexécution contractuelle, parce qu’ila un lien avec une partie au contrat (1) ou parce qu’il est contractant extrêmed’une chaîne de contrats translatifs de propriété (2), la possibilité d’engager laresponsabilité contractuelle d’un partie au contrat auteur de son inexécution.

1 - Tiers ayant un lien avec une partie au contrat.Il existe, à l’inverse des « penitus extranei », des tiers qui gravitent autour

des contractants et qui entretiennent avec eux certaines relations : on dit que cesont des tiers qui ont un lien avec une partie au contrat .Dans cette catégorie oncite généralement les ayants cause à titre universel ou à titre particulier, lescréanciers chirographaires, les bénéficiaires d’une stipulation, les sous-mandataires…

Dans le cadre de la démonstration, des tiers qui ont un lien avec uncontractant et qui peuvent engager la responsabilité contractuelle du contractantauteur de l’inexécution du contrat, on s’appesantira sur les cas du sous-mandataire ou mandataire substitué, du bénéficiaire d’une stipulation pour autruiet du créancier chirographaire.

S’agissant du mandataire substitué au mandataire principal, la cour decassation a admis dans son arrêt rendu par sa première chambre civile le 27décembre 1960 que celui-ci pouvait engager la responsabilité du mandant afind’obtenir le remboursement de ses avances et frais et le paiement de larétribution qui lui est due, tout en censurant la décision des juges de fond quiaffirmait que l’action du mandataire substitué ne pouvait être exercée qu’en casde défaillance du mandataire28. Cette solution était soutenue par une partie de ladoctrine29 en ce sens qu’elle évite au mandataire substitué de subir le concoursdes autres créanciers du mandant et lui évite également une pluralité d’actionsqui compliqueraient les relations entre les parties.

La question qui s’est véritablement posée à la suite de cet arrêt était celledu fondement de sa décision. Afin de donner une réponse à cette question lescommentateurs de cet arrêt, désireux de concilier cette décision avec laconception traditionnelle de l’effet relatif des conventions en vertu duquel sont

26 M. Bacache-Gibeili « la relatvité des conventons et les groupes de contrats »27 . Civ. 1ère 8 mars 1988 - Civ. 1ère 21 juin 1988 – Civ. 3ème 13 déc. 1989 – Ass. Plén. 12 juil. 199128 Civ ,1ère sect. Civ. 27decembre 1960.29 AUBRY, RAU et RODIERE

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tiers les personnes qui n’ont pas échangé leur consentement, ont développé leursarguments dans deux directions différentes. Pour les uns, à l’instar de BIGOT etSTARCK l’huissier en l’espèce n’était qu’un tiers et non un mandataire substituéavec lequel le mandataire aurait reçu mission de contracter. Ainsi, on se seraitplacé sous le mécanisme de la représentation pour fonder l’action du mandatairesubstitué contre le mandant ; mais la cour a rejeté cette argumentation au motifqu’elle n’appréhendait que partiellement le situation, alors qu’il y avait bienselon elle, substitution de mandataire. Pour d’autres tel que CORNU, la décisionde la cour s’expliquait par l’existence d’un accord tacite entre le mandant et lesubstitué. En clair, pour eux le mandat avait donné tacitement au mandataireprincipal le pouvoir de se substituer une personne et le substitué avait, en traitantavec celui-ci accepté de gérer les affaires du mandant. C’est pourquoi en vertudu principe de l’effet relatif des contrats, le mandataire substitué pouvaitengager la responsabilité contractuelle de mandant. Cette analyse à l’exemple dela première a également été ignorée par la cour de cassation en ce sens qu’elle aclairement consacré que « l’action directe du mandataire substitué contre lemandant peut être exercée dans tous les cas que la substitution ait été ou nonautorisée par le mandant »30. Au final, un important courant doctrinal proposal’existence de groupes de contrats solidement soudés comme fondement de ladécision puisque le sous-mandat sert nécessairement à la réalisation desobligations nées du contrat ce qui fait de lui un groupe de contrats. Cetteanalyse, bien qu’elle ait pu être acceptée par la cour de cassation est désormaiscondamnée en vertu de l’arrêt BESSE de 1991 qui n’admet pas la responsabilitécontractuelle dans les groupes de contrats autres que les chaînes de contratstranslatifs de propriété par conséquent, la décision de la cour de cassationapparaît selon TERRE, SIMLER et LEQUETTE comme un correctif d’équité duprincipe de l’effet relatif des conventions.

Il faut néanmoins remarquer que le régime de cette responsabilité favorisebeaucoup plus le sous-mandataire en ce sens que celui-ci ne peut se voir opposerpar le mandant les paiements faits à son mandataire immédiat31, même si cespaiements étaient antérieurs à l’exercice par le mandataire de droits propres quela jurisprudence lui reconnaît sur le fondement de l’article 1994 du Code civil.Par conséquent, le mandant pourra être amené à payer deux fois même s’il n’apas autorisé et par ce fait même ignoré « l’embauche » du sous-mandataire. Lajurisprudence, par le même souci d’équité qu’elle a fait montre pour établir lefondement de sa décision, devrait peut-être limiter l’obligation du mandant à cequ’il doit encore au mandataire ; comme l’a fait le législateur lorsqu’il estintervenu pour reconnaître au sous-contractant une action directe en paiementcontre le contractant initial32. D’un autre côté, la rigueur de la cour de cassation

30 Com., 9 novembre 1987 ; Com., 14 octobre 199731 Com. 9 nov. 198732 Loi du 18 juin 1966 et loi du 31 déc. 1975

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(parfois réfutée par certains juges du fond)33 peut être justifiée et assouplie parl’éventuelle responsabilité du sous-mandataire. En effet, le mandant peutengager une action pour diminuer ou supprimer sa dette en compensant aveccelle-ci les dommages et intérêts dont le sous-mandataire lui est redevable àraison de sa faute34.

Quant au bénéficiaire d’une stipulation pour autrui, il est admis que celui-ci a une action directe contre le promettant engageant ainsi sa responsabilitécontractuelle en cas d’inexécution de la stipulation. Il est vrai qu’une stipulationdoit être expresse, mais il n’en demeure pas moins que la jurisprudence admetsurtout dans les contrats de transport les cas de stipulation tacite35. En vertu decette reconnaissance, les victimes par ricochet d’un accident de la circulation,limitées aux « personnes envers lesquelles il (le voyageur) était tenu d’un devoird’assistance en vertu d’un lien légal »36 peuvent engager la responsabilitécontractuelle de l’auteur de cet accident. Il faut tout de même noter que cettefiction jurisprudentielle (la stipulation pour autrui tacite) s’applique au seulcontrat de transport37.

S’agissant du créancier chirographaire, il faut dire que c’est celui qui apour gage général le patrimoine de son débiteur. Il peut arriver que ce derniernéglige ses créances ou accomplit des actes d’appauvrissement en fraude desdroits de son créancier ; mais, que ce soit l’action oblique ou l’action paulienne,le créancier chirographaire n’invoque pas l’exécution du contrat à son profit.Celle-ci enrichit le patrimoine de son débiteur. Toute autre est la situationlorsque la loi lui reconnaît une action directe qui lui permet d’exiger ducocontractant de son débiteur l’exécution à son profit du contrat et en casd’inexécution, réparation sur le terrain contractuel. C’est le cas pour certainscréanciers chirographaires auxquels la loi accorde un privilège sur créance et unmoyen de paiement simplifié.

En somme, les tiers ayant un lien avec une partie au contrat, à l’instar dessous-mandataires, des bénéficiaires d’une stipulation pour autrui expresse outacite et des créanciers peuvent engager la responsabilité contractuelle del’auteur de l’inexécution dont ils sont victimes. Il en est de même des tiers,cocontractants extrêmes dans les chaînes de contrats translatifs de propriété.

2 - Dans les chaînes de contrats translatifs de propriété

33 Paris, 2 nov. 1995 cassé par Com. 24 mars 199834 Com. 25 juin 199135 Civ. 6 déc. 193236 Civ. 24 mai 193337 Civ. 1ère, 24 nov. 1954

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Les chaînes de contrats translatifs de propriété appartiennent à un grandensemble de groupes de contrats. C’est pourquoi le régime qui leur estapplicable a voulu être étendu à tous les autres groupes de contrats (cetteextension a été cassée par l’arrêt BESSE évoqué plus haut). Il s’agit donc d’unensemble de contrats qui sont unis parce qu’ils portent sur la même chose entout ou partie. Partant, elles peuvent être soit hétérogènes lorsque les contrats quiles constituent ont certes le même objet, mais sont de nature différente : achat dematériaux pour construire (vente),construction (contrat d’entreprise), cession parle maître d’ouvrage (vente), bail consenti par le sous-acquéreur (bail) ; soithomogènes lorsqu’elles sont constituées des contrats identiques : série de ventessuccessives (vente du fabricant au grossiste, du grossiste au détaillant, dudétaillant au consommateur).

Le problème qu’ont soulevé les chaînes de contrats translatifs de propriétéportait sur la nature du recours dont disposait le sous-acquéreur contre levendeur fabricant. Tout d’abord, il faut savoir que la qualité de partie ou tiersdes contractants extrêmes a été résolue. Pour cela, ces derniers ont été assimilésaux ayants cause à titre particulier. C’est d’ailleurs de cette assimilation que leproblème posé plus haut va trouver solution. Ainsi, comme les ayants-cause àtitre particulier, les contractants extrêmes ne sont pas parties au contrat conclupar le vendeur initial. Ils ne deviennent donc pas créanciers ou débiteurs à laplace de celui-ci. Les contrats conclus par ce dernier leur sont simplementopposables comme à tout autre tiers qu’ils sont. Afin de répondre au problèmeci-dessus, la jurisprudence a admis comme pour l’ayant cause que le sousacquéreur dans une chaîne de contrats translatifs de propriété bénéficie desdroits nés du contrat conclu antérieurement par le vendeur initial lorsque ceux-cisont les accessoires de la chose. Par conséquent, la jurisprudence a reconnupendant longtemps que le sous-acquéreur pouvait se placer soit sur le terrain dela responsabilité délictuelle soit sur le terrain de la responsabilité contractuelle38.Contraire à la règle du non cumul des responsabilités, cette solution futabandonnée par les arrêts du 9 octobre 1979 et du 7 février 198639 . L’arrêt du 9Octobre 1979 affirme en l’espèce que « l’action directe dont dispose le sous-acquéreur contre le fabricant ou un vendeur intermédiaire, pour la garantie desvices cachés affectant la chose vendu dès sa fabrication, est nécessairement denature contractuelle ». L’arrêt de 1986 brisant les résistances de la 3ème chambrecivile40 a posé la même solution dans le cas où la chaîne ne présente pas uncaractère homogène. Pour attribuer au sous-acquéreur une action exclusivementcontractuelle, l’assemblée plénière se fonde sur leur qualité d’ayant cause à titre

38 Cass, civ, 25 janvier 1820.39 Civ 1ère, 9 octobre 1979 ; A.P. 7 février 1986

40 Civ 3ème 19 juin 1984

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particulier. Elle précise en effet qu’ils jouissent « de tous les droits et actionsattachés à la chose qui appartenait à leur auteur ». Ainsi la garantiecontractuelle dont peut se prévaloir le sous-acquéreur contre le vendeur initialrésulte du premier contrat par lequel la propriété de la chose a été transmise aupremier acquéreur. C’est pourquoi on peut dire que cette solution ne transgressepas le principe de l’effet relatif des conventions en ce sens qu’elle ne repose passur un éventuel rapport contractuel direct entre le débiteur initial de la garantieet le sous-acquéreur. Notons tout de même que la notion d’accessoire chère à lajurisprudence reste difficile à cerner. Il n’est pas en effet évident de distingueravec netteté les cas dans lesquels le droit est accessoire au bien transmis suitdonc son sort et ceux dans lesquels il est seulement relatif à ce bien et restepersonnel à l’auteur alors que le bien passe dans le patrimoine de l’ayant cause àtitre particulier du sous- acquéreur. En tout état de cause, cerner cette notion estde l’appréciation souveraine des juges.

L’admission de la responsabilité contractuelle entre cocontractantsextrêmes dans les chaînes de contrats translatifs de propriété vise à protéger lesintérêts du débiteur défaillant, en ce sens qu’elle respecte la prévisibilitécontractuelle voulue par les contractants. En effet, en octroyant une actioncontractuelle au contractant extrême d’une chaîne de contrats translative depropriété, la jurisprudence présume que le débiteur défaillant a prévu tous lesrisques éventuels d’un contrat à l’instar de dommages de son inexécution sur lestiers. C’est d’ailleurs pourquoi les clauses limitatives contenues dans le contratinitial s’imposent également au tiers victime agissant en responsabilité dans cescontrats. Cette position a eu un large écho favorable autant en doctrine qu’enjurisprudence41. Seulement, une décision émanant de la cour de justice descommunautés européennes (CJCE) qui interprétait en l’espèce l’article 5-1 du 27déc. 1968 a paru remettre en question cette position. En effet, la CJCE affirmaitque : « un litige opposant le sous-acquéreur d’une chose au fabricant qui n’estpas le vendeur, en raison des défauts de la chose ou de l’impropreté de celle-ci àl’usage auquel elle est destinée. » ne relève pas de la matière contractuelle42.Mais la cour va éclaircir la situation en ôtant le doute sur le sort de sa décisionen droit interne. En ce sens, elle maintient et conserve sa position pour ce qui estdu droit interne et cantonne la décision de la juridiction européenne àl’application de la convention de Bruxelles, à l’issue d’un arrêt du 7 février1986.

41 Civ. 1ère, 28 oct. 1991; Civ. 3ème, 30 oct. 1991; Com. 10 déc. 199142 CJCE, 17 juin 1992, JCP 1992, II, 21927

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L’inexécuton du contrat et les ters 2008

CONCLUSION

Au demeurant, il a été question de savoir quel était l’effet de l’inexécutionsur tiers et inversement celle des tiers sur l’inexécution. Les tiers sont soitvictimes de l’inexécution, soit responsables de cette inexécution. Notre analyseétant limitée à l’effet de l’inexécution du contrat sur les tiers (tiers victimes), ilressort que le tiers peut poursuivre la partie au contrat dont la défaillance a été àl’origine de son préjudice sur le plan délictuel par principe et trèsexceptionnellement sur le plan contractuel. L’utilisation du régime de laresponsabilité délictuelle par principe permet au tiers non seulement d’éviter lesclauses du contrat que les clauses aménageant ou limitant la responsabilité, maiségalement de se voir appliquer des règles de compétence et de prescriptiondifférentes de celles auxquelles aurait été soumis le créancier de la prestation. Letiers est ainsi admis à se servir de ce contrat pour fonder son action sans pourautant être soumis à l’ensemble des règles qui s’appliquent aux contractants, cequi confère souvent une position plus avantageuse et des droits plus étendus vis-à-vis du débiteur de la prestation inexécutée. Il est donc mieux traité. En effet, ilne peut se voir appliquer le contrat, mais peut l’invoquer à son profit tout encontournant le régime contractuel. Dès lors, le fondement délictuel de l’actionen responsabilité du tiers aboutit à rompre, voire à ruiner l’équilibre général ducontrat, en bouleversant les prévisions contractuelles en considération desquellesles parties avaient stipulé. L’augmentation du nombre de tiers, victimespotentielles de fautes contractuelles met en lumière les inconvénients de l’actionen responsabilité délictuelle contre le débiteur défaillant. Cependant, le souci derespecter les prévisions du débiteur défaillant n’est pas jugé suffisant pourjustifier la substitution de l’action contractuelle à l’action délictuelle enréparation du dommage subi par un tiers au contrat. Ainsi, en privilégiant leterrain délictuel, on privilégie les intérêts du tiers victime au détriment desintérêts du débiteur défaillant et en privilégiant le terrain contractuel, ce sont lesintérêts du débiteur défaillant qui sont privilégiés au détriment des intérêts dutiers victime. Se trouverait-on alors en face d’une impasse ? Serait-on contraintde choisir entre deux solutions également condamnables ? L imperfection de

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chacune expliquerait l’embarras dans lequel se trouve la jurisprudence actuelleet les contradictions qui l’affectent. Il faudrait alors rechercher une solution auproblème de la responsabilité du débiteur défaillant qui concilierait les besoinsde protection de ce dernier et les intérêts des tiers victimes. Dans ce sens lajurisprudence gagnerait à s’inspirer de la thèse de Mireille BACACHEGIBEILI43 pour essayer de parvenir à un point d’équilibre entre les tiersvictimes et le débiteur défaillant, équilibre recherché dans un souci de justiceéquitable.

TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION……………………………………………………………………………..3

I - FONDEMENT DE L’ACTION DU TIERS VICTIME CONTRE LED E B I T E U R D U F A I T D E L ’ I N E X E C U T I O N D UCONTRAT………………………………………………..5

A - C O N T R O V E R S E S D O C T R I N A L E S E TJURISPRUDENTIELLES…………….5

1 - L a t h è s e d e l a r e l a t i v i t é d e l a f a u t econtractuelle……………………………52 - La thèse de l’assimilation des fautes contractuelle et

délictuelle…………..7

B - L A P O S I T I O N D UDROIT………………………………………………………...8

43 Mireille BACACHE GIBEILI� « La relatvité des conventons et groupes de contrats »

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1 - D e l e g elata…………………………………………………………………...8

2 - D e l e g eferenda……………………………………………………………10

II – LA MISE EN ŒUVRE DES RESPONSABILITES POUVANT ETRE

ENGAGEES PAR LE TIERS VICTIME DE L’INEXECUTION DUCONTRAT………..12

A – L E P R I N C I P E : l ’ac t ion en responsabi l i té c iv i ledélictuelle…………………….12

1 - A c t i o n d e s t i e r s a b s o l u s … .………………………………………………...12

2 – Action des contractants extrêmes dans les groupes de contratsn o n t r a n s l a t i f s d epropriété………………………………………………………...14

B – L ’ E X C E P T I O N : l ’ a c t i o n e n r e s p o n s a b i l i t écontractuelle……………………….17

1 - T i e r s a y a n t u n l i e n a v e c u n e p a r t i e a ucontrat……………………………..18

2 - D a n s l e s c h a î n e s d e c o n t r a t s t r a n s l a t i f s d epropriété………………………20

CONCLUSION……………………………………………………………………….23

BIBLIOGRAPHIE

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Ouvrages

François TERRE, Philippe SIMLER, Yves LEQUETTE ; Droit civil :

Les Obligations, 8ème et 9ème édition, Dalloz Yvaine BUFFELAN-LANORE : Droit civil 2, 2ème et 6ème éditions Alex WEIL, Droit CIVIL : Les Obligations Henri, Léon et Jean MAZEAUD, François CHABAS ; Leçons de

Droit civil : Les Obligations, Théorie générale, Tome 2, 9ème édition,

Montchrestien J. GHESTIN, C. JAMIN, M BILLIAU ; Traité de droit civil : les effets

du contrat, 3èma édition, LGDJ

Thèses

Mireille BACACHE GIBEILI « la relativité des conventions et les

groupes de contrats » LGDJ, Bibliothèque de doit privé, T268

Arrêts

Henri CAPITANT, François TERRE, Yves LEQUETTE : Les Grands

arrêts de la jurisprudence civile, Tome 2, 11ème édition, pages 162-175 Assemblée plénière, 6 octobre 2006 ; avis de

o M. Assié ; Conseiller rapporteuro M. Gariazzo ; Premier Avocat Général

Chambre commerciale, 8 octobre 2002 Chambre commerciale, 6 mars 2007

Sites Web

Site de la Cour de cassation française : www.courdecassation.fr, www.net-iris.fr