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Une passion française LE SIÈCLE DU CARAVAGE Un génie de la peinture -20 pages

L'Algérie, Une Passion Française

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Une passion française

LE SIÈCLE DU CARAVAGE Un génie de la peinture -20 pages

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L'Algérie, une passion française PAR LAURENT THEIS

Un couple musulman et un couple pied-noir dans une rue d'Alger à la fin des années 20.

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ÉDITORIAL

En juillet 1830, quelques jours après que les troupes françaises du général de Bourmont sont entrées dans Alger, Charles X déclare : «Pour prendre Alger, je n'ai consulté que la di-

gnité de la France ; pour la garder ou la rendre, je ne consulterai que son intérêt » Cent trente et un ans plus tard, le président de Gaulle, successeur lointain du roi, affirme : « L'Algérie nous coûte plus cher qu'elle ne nous rapporte [...] La décolonisation est notre intérêt, et par conséquent notre politique. » Jusqu'en 1961, la question n'a guère changé : que faire de l'Algérie ? Où est sur ce point l'intérêt de la France ? Le caractère passionné et, pour finir, tragique de l'histoire de cette terre bap-tisée Algérie en 1838, tient pour beaucoup à cette interrogation jamais vraiment résolue. Il tient aussi au décalage jamais comblé entre l'image largement illusoire d'un éden entre mer et sable et une réalité beaucoup moins riante pour la grande majorité de ses habitants. Car le problème de l'Algérie est l'exis-tence même d'Algériens. Dès l'annexion en 1834, et plus encore à partir de 1848 avec l'organisation en trois départements, tous ceux qui vivent sur ce ter-ritoire sont réputés français. Mais certains, la mino-rité d'origine européenne, sont plus français que les autres, les musulmans, qui devront attendre 1958 pour accéder à la pleine citoyenneté. Sans doute l'Algérie est-elle officiellement française depuis plus longtemps que Nice et la Savoie. Mais a-t-on jamais, depuis 1860, qualifié les Savoyards d'«indigènes»!

La résistance, active ou passive, qu'opposèrent de tous temps et de multiples manières ces indigènes à la prise de possession de leur pays par une puissance ex-térieure, leur refus massif d'adhérer à des valeurs, à des lois, à des usages très éloignés des leurs, leur nombre surtout, devaient conduire à faire de l'Algérie, cas uni-que dans l'empire français, une terre de peuplement. Or, la présence européenne demeura à un étiage -14% au maximum de 19 2 6 - qui empêchait à la fois que la colonie se sépare de la métropole et qu'elle réalise une véritable intégration des deux populations. Le mieux, alors, était que rien ne bouge, en dépit des bonnes vo-lontés qui ne manquèrent pas de part et d'autre. Ce temps apparemment immobile, mais lourd de fermen-

tations, qui laissait la plupart des Algériens de souche à leur misère et les Européens à leur sentiment d'éter-nité, les guerres mondiales se chargèrent de le rompre : entre les deux, la célébration du centenaire de la conquête sonne comme un ultime coup de clairon. Les frères Tharaud peuvent bien écrire : « Quand je débar-quai à Alger, j'arrivais dans un des rares coins du monde où nous pouvons nous présenter avec orgueil » ; dix ans plus tard, les Algériens découvrent que leur puissance tu-télaire est un état vaincu et une nation humiliée. LA1-gérie française est morte, mais il faudra vingt ans encore pour en tirer les conséquences.

C'est que la France, du début jusqu'à la fin, ne se conçoit pas sans l'Algérie dont elle n'a pourtant jamais su vraiment ce qu'elle était. Tocqueville, de retour d'Alger, écrivait en 1841 : « Tout peuple qui lâche aisé-ment ce qu'il a pris et se retire de lui-même dans ses ancien-nes limites proclame que les beaux temps de son histoire sont passés. » Dans le quotidien « Combat », en no-vembre 1954, on ne lit pas autre chose : «L'Algérie est un prolongement de la France sans lequel notre pays ne serait pas une grande nation. » Mais de plus en plus d'Algériens musulmans, depuis vingt ans, aspiraient eux aussi, comme d'autres peuples autour d'eux, à devenir une nation, avec la France s'il se pouvait, contre elle s'il le fallait. Ce fut contre, et le déchire-ment fut d'autant plus tragique que l'attachement avait été plus profond, noué par cent trente ans d'une histoire réputée commune et par l'emprise d'un pays fascinant que chacun pensait être le sien •

L'Algérie, une passion française

Expédition en Barbarie 4 Le mirage colonial 16 La chute de la maison France 42 Mourir pour le bled Le Caravage, l'œuvre au noir

Le Point | Grand-Angle | 3

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«Ali Ben Ahmed, dernier calife de Constantine et chef de la tribu des Harakta, suivi de son escorte devant Constantine » (1845), de Théodore Chassériau (1819-1856), huile sur toile, 325 x 260 cm, musée national du château de Versailles.

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Le grand souk 14 juin 1830. Un corps expéditionnaire français de 37 000 hommes débarque dans la baie de Sidi-Ferruch, à 28 km à l'ouest d'Alger. 5 juillet 1830. Prise d'Alger par les troupes du général de Bourmont. 22 juillet 1834. Ordonnance créant « les possessions françai-ses dans le nord de l'Afrique », colonie militaire dirigée par un gouverneur général. Trois villes sont adminis-trées : Alger, Oran (prise en janvier 1831) et Bône (prise en mars 1832). 30 mai 1837. Le traité de la Tafna, signé entre le maréchal Bugeaud et l'émir Abd el-Kader, reconnaît sa souveraineté sur les deux tiers du pays. 14 octobre 1839. Par décret, « le pays occupé par les Français dans le nord de l'Afrique sera à l'avenir désigné sous le nom d'Algérie». 16 mai 1843. La prise de la smala d'Abd el-Kader par le duc d'Aumale signe la fin de la guerre sainte que mène l'émir contre les Français. 23 décembre 1847. Abd el-Kader se rend au général Lamoricière. Il est interné en France, à Toulon, Pau puis Amboise, jusqu'en 1852. 12 novembre 1848. La Consti-tution déclare l'Algérie « territoire français ». 1863. Napoléon III change de cap. Il s'en prend aux co-lons qui invoquent le droit de conquête pour, écrit-il, «refouler toute la population arabe dans le désert et lui infliger le sort des Indiens de l'Amérique du nord, chose impossible et inhumaine». 24 octobre 1870. Le décret Crémieux octroie la citoyenneté française aux juifs d'Algérie. 5 mai 1871. A la tête de la dernière grande insurrection en Kabylie, le bachagha Mokrani est tué. La région soumise, près de 500 000 hectares sont redistribués aux colons.

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ALGÉRIE 1830-1870

Expédition en Barbarie PAR FRANÇOIS MALYE

Ils rêvaient d'un eldorado. Mais, de l'autre côté de la mer, les attendait l'enfer.

Mais qu'allaient-ils faire en Barbarie ? Trois semaines après l'entrée du corps expéditionnaire du général de Bour-mont dans Alger, le 5 juillet 1830, le

régime de Charles X, que cette diversion militaire devait sauver, succombe aux émeutes parisiennes des Trois Glorieuses. Pour envoyer 37 000 soldats de l'autre côté de la Méditerranée, la France avait invoqué auprès des puissances européennes une haine commune contre ces cruels barbaresques et un coup de chasse-mouches insultant donné au consul de France trois ans,plus tôt par le dey d'Alger, furieux d'une dette du Directoire que la France, trente ans plus tard, n'avait pas honorée. Mais une fois l'outrage diplomatique lavé, les caisses d'or du trésor du dey saisies et Alger soumise, que faire de la Régence d'Alger ? Ce sera la grande question de cette première période de l'Algérie française, celle qui s'étend du débarquement sur les plages de Sidi-Ferruch, le 14 juin 1830, à la répression de la dernière révolte kabyle, en 1871. C'est à ce moment que la IIIe République libère l'Algérie de la tutelle des mi-litaires et lui fixe un rôle dans le destin de la France qui l'adopte. Elle sera le joyau de cet empire sur le-quel le soleil ne doit jamais se coucher.

Mais avant d'y parvenir, tout aura été tenté sur cette terre terrible. Dès leur arrivée, les premiers conquérants, déjà broyés par le soleil et le sirocco, sont terrassés par les fièvres. Typhus, malaria, variole, tuberculose, cho-léra, la Faucheuse frappe de toutes ses lames. Quant à celles de ces cavaliers arabes, redoutables combattants, adversaires implacables, qui mènent leur guerre de harcèlement, elles causent des pertes inattendues dans cette armée européenne à laquelle le mot « mobilité » ne dit rien. Pendant que les militaires tirent leurs plans pour étendre leur emprise, en France, on spécule déjà. Des hordes de parasites s'apprêtent à fondre sur toutes les opportunités que peut fournir un corps expédition-naire. Une fois sur place, on achètera des terres et on les

revendra avec un bon bénéfice. D'autres candidats au départ sont des victimes de la crise économique. Ouvriers, déclassés, ils rêvent eux aussi de cet eldorado. Ils bouclent leurs maigres bagages, partent parfois en famille. Leur calvaire sera dantesque.

Cruelle conquête. D'abord parce que de cette terra incognita, les militaires ne contrôlent que la capitale et les villes côtières, Oran, Bougie, Bône, Mostaganem. Il s'écoulera dix-sept années avant que le chef de la rébellion, Abd el-Kader, se soumette. Entre-temps, on se bat. Lors d'embuscades, mais aussi au cours de vraies batailles et sièges homériques. Comme lors de la pre-mière tentative de conquête de Constantine qui, en novembre 1836, tourne à la catastrophe. Durant la retraite, sous les tempêtes de neige, constamment étrillés par les raids ennemis, certains vétérans diront avoir vécu à nouveau les affres de la campagne de Rus-sie. 2 000 soldats seront mis hors de combat. Et la se-conde, qui aboutit le vendredi 13 octobre 1837 à la prise de la ville, coûte à la France la vie du général Damrémont, gouverneur général des possessions fran-çaises dans le nord de l'Afrique, fauché par un boulet. On crée vite, à partir de ralliés indigènes, ce qui devien-dra l'armée d'Afrique : spahis, goumiers, zouaves, ti-railleurs, chasseurs d'Afrique et, côté européen, des unités de solides gaillards : Légion étrangère, fondée en 1831, bataillon d'infanterie légère d'Afrique - « Bat d'Af » - autant de troupes qui s'illustreront sur tous les champs de bataille français, de la guerre de 1870 à l'Indochine. Les pertes militaires sont effrayan-tes. En vingt ans, 99 6 50 hommes, dont 90% succom-bent aux seules maladies. C'est le général Bugeaud, nommé à son tour, en 1840, gouverneur général des possessions françaises dans le nord de l'Afrique, qui va appliquer la nouvelle politique et passer de l'occupa-tion « restreinte », celle des côtes, à l'annexion totale du pays. Pour vaincre cet ennemi insaisissable, l'ancien sous-officier de la guerre d'Espagne recycle ses métho-des: il allège le barda des soldats et crée les colonnes mobiles, qui vont poursuivre les tribus jusqu'aux confins de la terre immense. Et la « pacifier », au prix, parfois, d'exactions terribles. « Quelle guerre! s'exclame le futur général de Saint-Arnaud. Ces Arabes, ce sont des chouans, les bons chouans de g4. » Ils subiront le même sort, à coup d'expéditions punitives (suite page 10)

Canonnade. «L'attaque d'Alger» (env. 1837), d'Antoine Léon Morel-Fatio (1810-1871), huile sur toile, 74x10g cm, musée national du château de Versailles. La panique s'empare de la population d'Alger : plus de 10 000 habitants fuient la ville. Le dey, chef de la province ottomane, signe l'acte de reddition deux jours après l'attaque. La conquête française est en marche.

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Palabres. «Chefs arabes dans leur camp» (1834), d'Horace Vernet (1789-1863), huile sur toile,, 98 x 52 cm, collections du musée Condé, château de Chantilly. Les militaires ne connaissent pas ou très peu ce pays nouvellement conquis. Pas plus sa population et encore moins la langue. Des interprètes les accompagnent pour rencontrer les chefs de tribus, réunis en conseils ou medjeles. Certains officiers, comme Pellissier de Reynaud et ses « Annales algériennes » (1854), accomplissent même un travail de sociologue et d'historien. Les enquêtes militaires et la « Revue Africaine », lancée en 1856, rendent compte de cette volonté d'observation du milieu indigène.

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ALGÉRIE 1830-1870

(suite de la page 6) ou d'« enfumades » dans les grottes quand ils refusent de se rendre. 500 000 à 1 million d'Algériens disparaissent, estime Pierre Montagnon dans son « Histoire de l'Algérie » (1).

Cohabitation. Pour que la conquête s'enracine, les militaires, dès les premiers jours, ont voulu établir une colonie de peuplement sur laquelle ils pourront s'ap-puyer. Une nécessité qui correspond au besoin de la France elle-même : «En mal d'expansion économique (donc militaire), elle inventait pour l'occasion un concept nouveau : celui de la colonisation (2). » Expérience unique dans l'Histoire, des Européens vont s'établir sur une terre qui n'est pas la leur, afin de cohabiter avec plusieurs millions d'indigènes. Ils viennent de partout comme, durant l'été 18 3 3, ces 400 émigrés allemands et suisses en partance pour le Brésil, qui ont été abandonnés au Havre par un escroc et déroutés d'office vers l'Algérie. Peu d'entre eux survivront. Exemple à Boufarik, dans la plaine fétide de la Mitidja aux environs d'Alger : en 1848, le colonel Trumelet, l'un de ses administrateurs, estime qu'aucun des 400 premiers colons n'a survécu. « Ils n'ont eu de la terre convoitée que les deux mètres carrés où ils dorment de leur dernier sommeil (3).» Mais ce sont surtout les Espagnols, les Maltais, les Italiens qui vont fondre sur l'Algérie toute proche. Les premiers d'ins-tallent à l'ouest, du côté d'Oran, face à leur Espagne natale, les Italiens, les Sardes et les Maltais s'implantent à l'est, vers Bône, Philippeville et dans le Constantinois. Durs à la tâche, ils sont agriculteurs, maçons, pêcheurs, commerçants et n'ont rien à perdre. En 1848, les 4 000 réprouvés de la révolution de 1848 les rejoignent. De ce melting-pot naît ce peuple de pionniers qui remue la terre, quinine dans la poche et fusil à l'épaule, mais craignant toujours l'autochtone.

La légalité n'a pas étouffé l'administration, qui a spolié les Arabes et distribué leurs terres. Mais il y a pire. Peu à peu, la colonisation déstructuré leur mode de vie, leurs usages, brise les cadres économiques d'une société traditionnelle. «Nous avons rendu la société musulmane beaucoup plus misérable, plus désordonnée, plus ignorante

et plus barbare qu'elle ne l'était avant de nous connaître », écrira Alexis de Tocqueville en 1841. A Philippeville, après avoir conversé avec un Européen qui revendique la spoliation des Arabes, il note : «Et moi, écoutant triste-ment toutes ces choses, je me demandais quel pouvait être l'avenir d'un pays livré à de pareils hommes et où aboutirait enfin cette cascade de violences et d'injustices, sinon à la révolte des indigènes et à la ruine des Européens. »

Peu à peu, la colonisation s'organise. Création d'un réseau routier, implantation de villages, l'Algérie est, en 1848, divisée en trois départements. En 1851, on compte 130 000 Européens, dont 65% dans les villes. Les bureaux arabes tenus par les militaires maillent le territoire, réglant les litiges d'une main de fer mais essayant aussi de mieux connaître cette population indigène. Ils tentent également de la protéger contre l'avidité des colons qui vivent de plus en plus mal cette main mise des militaires sur leur avenir.

Napoléon III sera le seul à les faire trembler : «L'Al-gérie n'est pas une colonie [...] mais un royaume arabe [...] et je suis aussi bien l'empereur des Arabes que celui des Français », déclare, à l'issue d'un voyage en Algérie, celui qui, en 18 5 2, a fait libérer Abd el-Kader toujours détenu au mépris de la parole donnée par la France. La défaite de Sedan permet aux colons de reprendre la main. Après la révolte d'un solide allié de la France, le bachagha Mokrani, et la féroce répression de son insurrection, en mars 1871, le gouvernement de la IIIe République entérine une loi impériale qui met fin à la suprématie militaire. Si l'histoire de l'armée et des colons était inextricablement liée depuis près de quarante ans, leurs routes se séparent Les militaires rentrent dans leurs casernes. C'est maintenant au tour des civils, colons et politiques, à Alger comme à Paris, de gérer leur barbarie •

1. Cité par P. Darmon, p. 99. 2. René R. Khawam, introduction à l'édition de 1977 de « Lettre aux Français, par Abd el-Kader» (Phébus Libretto 2007,224 p., 8,50 c). 3. Idem, p. 155.

Coupe-gorge. «Le passage des Bibans ou le passage des Portes de Fer (octobre 1839)» (1853), d'Adrien Dauzats (1804-1868), huile sur toile, 170 x 1 1 5 cm, musée des Beaux-Arts, Lille. L'armée française quitte Constantine dans le plus grand secret, et franchit la montagne par cet étroit corridor pour déboucher en Kabylie, région revendiquée par Abd el-Kader. Le retour à Alger, triomphal, est une véritable provocation pour l'émir. La guerre reprend.

Pour aller plus loin : « Un siècle de passions algériennes, une histoire de l'Algérie coloniale 1830-1940 », de Pierre Darmon (Fayard 2009, 936 p., 32 c). « Comment l'Algérie devint française (1830-1848)», de Georges Fleury (Perrin 2004, 396 p., 22 c). « Histoire de l'Algérie coloniale (1830-1954) », de Benjamin Stora (La Découverte Repères 1999, 128 p., 9,50c).

TUNISIE

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Mission.

le sol s'entrouvre, des volcans jaillissent, les soldats sont projetés et des maisons s'écroulent sur eux : la brèche surplombait une poudrière. Constantine tombe cependant aux mains des Français le 13 octobre.

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ALGÉRIE 1830-1870

Abd el-Kader le sage C'est un seigneur de guerre mais aussi une conscience que les Français vont combattre, de 1832 à 1847. Un homme qui commence à mener la rébellion des tribus arabes à moins de 2 5 ans et qui finit sa vie, cinquante ans plus tard, proche de la franc-maçonnerie, mais surtout grand-croix de la Légion d'honneur, décoré par de multiples nations et même, par le Vatican. Au péril de leur vie, Abd el-Kader et ses gardes ont en effet sauvé 15 000 chrétiens des massacres druzes à Damas, en 1860. L'émir devient un « grand ami de la France », qui lui verse une pension considérable. Elle sera servie à ses descendants jusqu'en 1979, pour un montant de 1,3 million de francs de l'époque... (1)

Né en 1808, Abd el-Kader est le fils de Mahi ed-Din, marabout de Mascara, près d'Oran. Sa famille est issue d'Hassan, petit-fils du prophète. Au retour de son second pèlerinage à La Mecque, celui qu'on surnomme el-hadj - le pèlerin - déclenche la guerre en harcelant la gar-nison d'Oran. En mai 183 3, le général Desmichels choi-sit l'entente avec l'ennemi. Le traité du 30 mai 1834 octroie à Abd el-Kader la souveraineté d'un royaume regroupant les tribus des environs de Mascara. La ré-volte reprend en 1839 et cesse le 16 mai 1843,avec

prise de sa smala, un camp volant de 30 000 personnes, par le duc d'Aumale. Après sa reddition en 1847, et alors qu'il avait la promesse de pouvoir émigrer à Damas, Abd el-Kader est interné à Toulon, puis à Pau et à Am-boise. Libéré en 18 5 2 par Napoléon III, il part pour Da-mas. Entre-temps, ce théologien soufi, lecteur d'Aristote et de Platon, a séduit tous ses visiteurs par son huma-nisme, sa vision d'une entente possible entre les mon-des arabe et occidental. Une philosophie inintelligible par l'élite européenne qui, ralliée à Y «Enrichissez-vous!» du libéral Guizot, n'a de la science qu'une vision spécu-latrice. Pour Abd el-Kader, qui prône le dénuement, la science est tout autre chose : « Sa forme « humaine » la plus accomplie est la politique qui est l'art d'inciter les hommes à vivre en harmonieuse communauté(2). » Il consacre la fin de sa vie à l'étude des textes sacrés et meurt en 188 3 dans la capitale syrienne, restant fidèle à sa parole de ne jamais retourner en Algérie • F. M.

1. Pierre Montagnon, « Histoire de l'Algérie, des origines à nos jours » (Pygmalion 1998), cité par Pierre Darmon dans « Un siècle de passions algériennes, une histoire de l'Algérie coloniale 1830-1940 » (Fayard 2009,936 p., 36 c). 2. René R. Khawam, introduction à l'édition de 1977 de « Lettre aux Français, par Abd el-Kader » (Phébus Libretto 2007,224 p., 8,50 c).

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Abd el-Kader en France, en 1867. A sa droite, le maréchal Mac-Mahon,

futur président de la République; a sa gauche, le général Beaufort, commandant de l'expédition française en Syrie de 1860.

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Le joyau de l'empire 1881. Le code de l'indigénat distingue les citoyens fran-çais, de souche métropoli-taine, des sujets français, issus des colonies. Il établit des mesures restrictives pour les musulmans. 20-25 janvier 1898. Des émeu-tiers réclamant l'abrogation du décret Crémieux défilent à Alger. En mai, quatre dépu-tés anti-juifs y sont élus, dont Edouard Drumont, auteur de « La France juive ». 1914-1918. L'armée française compte 173 000 indigènes. 25 000 soldats musulmans et 22 000 Français d'Algérie tombent sur les champs de bataille. Juin 1926. A Paris, Ahmed Messali, dit Messali Hadj, dirige l'Étoile nord-africaine, mouvement contrôlé par le PCF, pour réclamer l'indépendance de l'Afrique du Nord. L'ENA est interdite en 1929, puis en 1937. 5 mai 19 31. Abd el-Hamid ben Badis fonde l'Association des oulémas musulmans d'Algérie. Sa devise : «L'arabe est ma langue, l'Algérie est mon pays, l'islam est ma religion». 1 1 mars 1937. Messali Hadj fonde le Parti du peuple algérien. Objectif : l'indépendance de l'Algérie. Le PPA est proscrit en 1939 et ses leaders sont arrêtés. 3 juillet 1940. La marine française, qui a refusé de se joindre à la flotte alliée, est attaquée par la Royal Navy dans la base de Mers el-Ké-bir. La bataille fait plus de 1 3 00 morts. 7 octobre 1940. Le gouverne-ment de Vichy abroge le décret Crémieux. 8 novembre 1942. Les Alliés débarquent en Afrique du Nord. L'amiral Darlan, ministre de la Marine du ma-réchal Pétain, ordonne aux troupes françaises de résister, notamment à Alger et à Oran. Avec le plan Marshall, après-guerre, les Etats-Unis imposeront aux Européens de se retirer de toutes les co-lonies. Le refus de la France d'accorder l'indépendance à l'Algérie marquera la fin du soutien américain.

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ALGÉRIE 1871-1942

Le mirage colonial PAR FRANÇOIS-GUILLAUME LORRAIN

Tous y ont cru. L'aventure nord-africaine a pourtant tourné au désenchantement.

LJ heure des civils a sonné. La terrible fa-mine de 1868, en Algérie, suivie de la défaite française contre la Prusse, en 18 71,

1 ont trahi l'incompétence des militaires. Ils ont perdu le combat, sur les champs de bataille et dans les labours. Le début de la IIIe République voit naître le lobby algérien, qui fait voter à l'As-semblée nationale la loi Warnier. Une loi fonda-mentale qui a pour but de transformer la propriété collective en propriété individuelle. Le législatif cache une réalité plus brutale : jugées responsables du faible rendement agricole, les tribus indigènes sont expropriées et parfois délogées. On les taxe de paresse, le racisme affleure. C'est le début du règne des colons, attirés par ces terres promises.

Ils vont souffrir : inculte depuis les guerres de 18 3 0, l'espace est souvent couvert de broussailles. Il faut défricher, investir. Pour quel résultat ? LAlgérie, ce n'est pas la Beauce. L'aventure coloniale prend des allures de chemin de croix. En première ligne, les Al-saciens-Lorrains, qui affluent sans ressources person-nelles après le rattachement de leur région à l'Allema-gne. Traqués par des autochtones errants, qui saccagent les récoltes, les pionniers sont tout autant saignés par les usuriers, qui profitent du système bancaire inexis-tant. LAlgérie voit se mettre en place une société à trois étages : si les colons font «suer le burnous » des indigènes employés dans leurs fermes, ils sont eux-mêmes la proie des affairistes qui paradent dans les grandes villes. La première colonisation est un échec et le pays de Cocagne algérien un mythe, où les villes ne valent guère mieux que la campagne. Les fellahs chassés y vivent de charité. Les biskris, enfants-men-diants, parfois prostitués, marquent l'imaginaire. «Il est difficile de faire entendre au colon que l'indigène n'est pas une race taillable et corvéable à merci», alerte fuies Ferry dans son rapport de 1892. L'exploitation n'en est pas moins une réalité, et la société connaît ses premiers

accès de fièvre. Le 26 avril 1901, des fidèles musulmans descendus de la montagne saccagent le village de Margueritte. Ils ne laissent aux colons qu'un choix : se convertir ou mourir. LAlgérie est sous le choc, le péril arabe se rajoute au péril juif.

Pogroms. Car le pays est traversé par une autre ligne de fracture : l'antisémitisme. Depuis le décret Crémieux de 1870, les juifs d'Algérie ont accès à la nationalité française. Leur présence chez les usuriers ou dans les classes aisées - bien qu'il existe un prolétariat juif- at-tise un racisme qui flambe en 1896, dans le sillage de l'affaire Dreyfus. Des anti-juifs accèdent aux mairies d'Oran, de Constantine et d'Alger. Quatre des cinq dé-putés algériens sont antisémites, dont le virulent Edouard Drumont, auteur de « la France juive ». En mai 1897 débutent des pogroms semblables en inten-sité aux massacres perpétrés dans la Russie tsariste. Derrière ces violences se cache une manipulation po-litique : des colons aisés veulent faire abolir le décret Crémieux et défier ainsi la France, dont ils souhaitent se séparer. Mais Paris rétablit l'ordre en 1901. Dans le même temps, l'essor viticole apaise les tensions. La crise du phylloxéra, qui a détruit plus de la moitié du vignoble français, a fait de l'Algérie épargnée le nouvel eldorado du vin. De 25 000 en 187 5, le rendement est passé à 3,8 millions d'hectolitres en 1899. De 4 000, la surface cultivée s'est étendue à 117 000 hectares.

Mais après la Grande Guerre, les premières velléi-tés d'indépendance se manifestent. Vivaces mais en-core dispersées. L'émir Khaled, petit-fils d'Abd-El-Kader, fait entendre sa voix dans les années 20. Le mouve-ment réformiste religieux des oulémas affirme la spé-cificité arabe de l'Algérie. Messali Hadj, qui mène l'Etoile nord-africaine, monte en puissance : «Le peuple martyr en a assez de gémir sous la botte du fascisme inté-gral La France libérale recule loin derrière le Duce et Hit-ler», déclare-t-il en 1935. Les accords Blum-Violette de 1936 prévoient d'octroyer la nationalité française à 24 000 musulmans de l'élite, mais ils sont rejetés. Le ver est dans le fruit. Des émeutes de la faim ont eu lieu en 1933. La Seconde Guerre mondiale, dans laquelle l'Algérie fait figure de tête de pont avec le débarque-ment allié du 8 novembre 1942, retarde l'échéance, mais sert de laboratoire aux luttes à venir •

Dévoilée. Jeune Berbere, vers 1890. Les danseuses-prostituées de la tribu des Ouled Naïl ont séduit plus d'un Européen. Peintures et cartes postales font de ces femmes un véritable fantasme exotique pour les Occidentaux. Pour préserver la santé de ses soldats, la France réglemente bientôt la prostitution. Des maisons de tolérance avec contrôle médical voient le jour. La casbah d'Alger devient même célèbre pour cette activité. Au point que la loi de 1946 fermant définitivement les maisons closes en France ne sera pas appliquée en Algérie, pourtant département français.

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Eden. Une oasis près de Biskra, dans les années 20. Dès le second Empire, de riches bourgeois français et anglais viennent profiter de la douceur hivernale de l'Afrique du nord. Alger rivalise alors avec Nice et attire des personnalités du monde entier (Edouard VII, Nicolas II de Russie et même, Karl Marx). Certains hivernants s'aventurent à l'intérieur du pays. Les Guides Joanne, ancêtres des Guides bleus, recommandent de se rendre à Tlemcen, Blida et, surtout, aux oasis de Biskra. La « perle du désert» arbore son casino dès 1898, alors qu'Alger n'en possède pas encore.

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Leçon. Une salle de classe en Kabylie, vers i8go. La République crée des écoles indigènes disposant de peu de moyens et d'un enseignement spécifique : apprentissage du français, de l'histoire « de France et d'Algérie »... Les cours d'éducation civique vantent «les avantages de la naturalisation». En 1892, avec 10000 enfants scolarisés, l'Algérie compte 1 13 établissements de ce type, dont la moitié en Kabylie.

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< Buvette. Un café maure à Oran, en 1880. La cohabitation se fait bon gré mal gré. Craignant de perdre leurs privilèges et de voir naître des revendications nationalistes, les colons pèsent de tout leur poids politique pour qu'aucun droit ne soit accordé à la communauté musulmane.

a Foyer. Un gourbi en igo7 (en haut). La dépossession des terres par la colonisation a engendré une paupérisation croissante. Faute de moyens de subsistance suffisants, les fellahs - de l'arabe, « paysan » - vivent avec leur famille dans un gourbi, une habitation rudimentaire faite de branchages.

a Club. Le salon du bain turc, Alger,; vers 1910 (en bas). La ville vit à l'heure des loisirs. Si les vapeurs du bain turc constituent une attraction de premier ordre pour les touristes et les métropolitains, les colons leur préfèrent la plage, le théâtre, le cinéma et les dîners-spectacles.

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Corvée. La récolte des pommes de terre en 1920. Introduite en Algérie en 1856 par les Français, la pomme de terre occupe rapidement la première place de l'exploitation maraîchère. Avec des hivers doux et humides, le pays peut répondre à la demande métropolitaine en fruits et légumes avant même la Provence, l'Espagne et l'Italie. Mais, malgré une main-d'œuvre locale peu chère, les prix pratiqués restent élevés. La production algérienne devient peu compétitive sur le marché mondial dès les années 1930.

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Camus le juste Albert Camus a vécu vingt-sept ans en Algérie, soit plus de la moitié de sa vie. Il est de Belcourt, un quar-tier populaire dAlger qui sent l'anis et le safran et que sa mère ne quitta jamais. LiAlgérie fut un amour que ce don Juan ne renia pas. Un amour charnel qui éclate dans « Noces » et « L'Eté ». Bleu du ciel et de la mer, cigales qui crissent, lignes de cyprès sur les collines, jeux de plage qui débordent de vie, l'Algérie n'est que sensations. Elle est aussi, comme le football que Ca-mus pratiqua tant là-bas, l'innocence possible, frater-nelle, idéale, idéalisée, sans doute. Car l'innocence fut perdue avec la guerre, et pesa sur ce pied-noir qui eut mal à l'Algérie. « J'ai ce pays au travers de la gorge et ne puis penser à rien d'autre. » Entre-temps, il y avait eu dans « L'Etranger » la lame aveuglante, comme une lueur prophétique, de Meursault qui frappe l'Arabe.

De mai 1955a février 1956, Camus, à « L'Express », tente de croire à un dialogue possible et de rejeter le terrorisme de tous bords comme il l'avait fait dans « Les Justes ». En vain. Il est hué à Alger et démissionne de « L'Express ». « Je défendrai ma mere avant la justice», déclare-t-il après son Nobel. Il est mal compris. Il ne peut se résoudre à l'indépendance, les Algériens et la gauche l'insultent. Il ne peut accepter la violence française, les pieds-noirs voient en lui un traître. Avec l'Algérie, Camus ne voulut pas choisir, quand tout le monde choisissait son camp. Les histoires d'amour finissent mal, en général • F.- G. L.

WàaM m P o u r a l l e r plus loin : r ^ \ « Albert Camus, fils d'Alger », dAlain Vircondelet

(Fayard 2010,396 p., 19,90 c)

Albert Camus à 7 ans (blouse noire, au centre) dans l'atelier de son oncle Etienne, tonnelier à Alger, en 1920.

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Réserve. • Dans la casbah d'Alger,; vers 1930. La condition des femmes musulmanes est des plus précaires : faible scolarisation, mariages précoces, grossesses fréquentes, accouchements non surveillés, risque de répudiation. Certaines sortiront de l'ombre en prenant part à la guerre de libération nationale.

4 Communauté. La rue d'Austerlitz, dans le quartier juif d'Oran, en 1905, L'année 1897 voit la victoire d'un parti anti-juif aux élections municipales d'Oran, qui soumet alors sa communauté juive à des mesures discriminatoires. Plus virulente et plus longue que dans le reste du pays, cette vague antijudaïque prend fin en octobre 1905, avec la défaite du parti.

4 Citadelle. Le village de Sidi Okba, dans la province de Biskra, vers 1920. Le manque d'hygiène, l'absence d'égouts, les ordures laissées en plein air contribuent à la propagation de la tuberculose et de la typhoïde, qui touchent surtout les Français les plus pauvres et les autochtones.

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Vitrine. Le tramway d'Alger dans les années 30. Les Français ont façonné l'Algérie. Dès les premiers temps de la conquête, un réseau routier et ferré est mis en place, des hôpitaux sont créés, l'architecture des villes est repensée. Le tramway est mis en circulation à Alger à la fin du XIXe siècle. Dans les années 30, la compagnie aérienne Air France, flambant neuve, ouvre des lignes vers Marseille et Paris. Et pour répondre à la demande croissante de ses passagers, la Compagnie de navigation mixte arme le luxueux paquebot «El-Djezaïr», qui effectue sa traversée inaugurale de Marseille à Alger les 24 et 25 avril 1934.

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Alger la blanche. Le front de mer dans les années 30. Depuis le début du XXe siècle, le commerce maritime de l'Algérie croît de manière constante et ses ports n'ont rien à envier à ceux de la métropole. Celui d'Alger se place au 2e rang derrière Marseille pour le volume du trafic, et au 6e rang pour l'importance du tonnage avec 3,7 millions de tonnes en 1929. Dans les cafés qui rythment les escales, on sert, dès 1936, un nouveau breuvage à base d'oranges de la région de la Mitidja: Orangina. Succès aidant, une usine est inaugurée àBoufarik en 1951. La boisson devient gazeuse et la bouteille prend la forme qu'on lui connaît encore aujourd'hui.

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Fantasia. Un escadron de spahis dans le désert, le 17 octobre 1Ç40. Cavaliers d'élite sous l'empire ottoman, les spahis (du turc emprunté au persan « sipahi », pour « soldat ») se mettent au service de la France après la capitulation du dey d'Alger en 1830. Ils participent aux combats durant la Grande Guerre et en 1939. Certains rejoignent les Forces françaises libres en 1942. « C'est nous les Africains qui arrivons de loin / Nous venons de nos pays pour sauver la patrie» : en 1940, le « Chant de guerre des Africains » devient l'hymne des troupes nord-africaines, à l'initiative du capitaine Boyer, chef de la musique de la garnison d'Alger.

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Ultimatum. Navires français enflammes dans le port de Mers el-Kébir, le 3 juillet 1940. Les Britanniques ont enjoint la flotte française de la base navale de Mers-el-Kébir, dans le golfe d'Oran, de se rallier aux Alliés ou de rendre les armes. Face au refus, la Royal Navy bombarde le site. Il y a 1300 morts.

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Welcome ! Soldats américains dans les rues d'Alger, le 8 novembre 1Ç42. Dans la nuit du 7 au 8 novembre, les Algérois sont réveillés par des grondements sourds. Au matin, Radio-Alger annonce le débarquement des troupes alliées en Afrique du Nord. Toute la journée, la population partagée entre la crainte et la curiosité déambule en quête de nouvelles. Les premiers soldats américains font leur entrée dans la ville après 16 heures. L'accueil est chaleureux. Avec l'opération «Torch», placée sous le commandement du général américain Eisenhower, l'Algérie devient une place forte stratégique de la lutte contre l'Allemagne nazie.

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Le coup de sirocco io février 1943. Le nationa-liste Ferhat Abbas lance le «Manifeste du peuple algérien» qui condamne la colonisation et réclame une nationalité et une constitution algériennes. 30 mai 1943. A peine arrivé à Alger, le général de Gaulle met en place le Comité fran-çais de libération nationale, véritable gouvernement provisoire de la France libre. 7 mars 1944. De Gaulle signe une ordonnance qui supprime le code de l'indigé-nat et prévoit l'extension de la citoyenneté à l'ensemble de la communauté musulmane. Ce sera chose faite en 1958. 8 mai 1945, Dans la plupart des villes d'Algérie, des mu-sulmans défilent en scandant «A bas le fascisme et le colonia-lisme !» Dans le Constanti-nois, à Sétif et à Guelma notamment, les manifesta-tions dégénèrent : plus de 100 Européens sont massacrés. Les représailles, terribles, font 15 000 morts côté musulman. 20 octobre 1946. Messali Hadj fonde le Mouvement pour le triomphe des libertés dé-mocratiques (MTLD). Réuni en congrès quatre mois plus tard, le MTLD décide de la création d'une cellule clan-destine pour la lutte armée en Algérie, l'« Organisation spéciale » (OS), qui sera démantelée en 1950. Mars 1954. Création du Comité révolutionnaire pour l'unité et l'action (CRUA) pour préparer l'insurrection en Algérie. 10 octobre 1954. D'anciens militants de l'OS remplacent le CRUA par le Front de libération nationale (FLN), dirigé par neuf chefs, dont Ahmed Ben Bella, et doté d'une Armée de libé-ration nationale, l'ALN. i e r novembre 1954. Entre minuit et 3 heures, 70 ac-tions terroristes éclatent sur tout le territoire algé-rien. Si le bilan est faible (8 morts), la coordination frappe les esprits. Le FLN vient de déclencher la guerre d'indépendance.

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La chute de la maison France PAR LAURENT THEIS

A l'heure où l'Algérie semble plus que jamais française, le ressentiment gronde.

Guy Monnerot est l'une des huit victimes des 70 attentats déclenchés le ier novem-bre 1954. Arrivés depuis trois semaines, le jeune instituteur et son épouse ont

choisi avec enthousiasme d'enseigner à des enfants misérables dans un trou perdu du massif des Aurès. Le chauffeur du car qui les conduit vers Arris est, par choix ou par peur, de mèche avec les insurgés, dont certains dirigeants, dix ans plus tôt, ont vaillam-ment combattu dans les troupes françaises d'Afrique du Nord, comme l'adjudant Ben Bella ou les sergents Boudiaf et Ouamrane. Guy Monnerot est abattu par erreur, car ordre strict a été donné d'épargner les civils européens : c'est l'un de ces caïds choyés par l'administration et considérés par les nationalistes comme des traîtres qui était visé. Ce drame concen-tre tous les éléments constitutifs du malheur algé-rien. Dès lors, et le ministre de l'Intérieur François Mitterrand le déclare aussitôt, c'est la guerre.

La guerre, en fait, a saisi l'Algérie depuis longtemps. Depuis l'opération « Torch » du 8 novembre 1942, qui fait entrer les trois départements dans l'histoire mon-diale. Successivement Darlan, le dauphin de Pétain assassiné le 24 décembre, et Giraud, le pétainiste anti-allemand, instrumentalisés par les Américains, ont remis l'Afrique du Nord dans la guerre. Le 24 novem-bre est donné le premier ordre de mobilisation, et, en quelques mois, 130 000 musulmans et 120 000 Euro-péens d'Algérie viennent, à peu près sans broncher, grossir cette armée d'Afrique du Nord qui combat aux côtés des Alliés en Tunisie, en Italie, puis en Alsace et en Allemagn e. Avec l'arrivée de De Gaulle le 30 mai 1943, Alger, où sont installés un Comité fran-çais de libération nationale puis une Assemblée consultative, devient la capitale supplétive de la France. LAlgérie, plus que jamais, semble française, puisque c'est d'elle que vient le salut de la patrie.

Pourtant, beaucoup d'Algériens musulmans estiment que l'heure est venue, à la faveur de ces grands boule-versements, de faire valoir leurs revendications. La

Charte de l'Atlantique d'août 1941, œuvre de Churchill et Roosevelt, n'a-t-elle pas reconnu le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ? En février 1943, Ferhat Abbas transmet aux autorités françaises et aux Alliés un «Ma-nifeste du peuple algérien », dont un additif, en juin, exige « la résurrection du peuple algérien par la formation d'un Etat algérien démocratique et libéral », tout en reconnais-sant « un droit de regard de la France ». L'ordonnance du 7 mars 1944 n'apporte à cette démarche encore pacifi-que qu'une réponse très partielle. Dès lors, le Parti du peuple algérien, indépendantiste, de Messali Hadj, de-vient le fer de lance de l'opposition. Lorsqu'en avril 1945, son chef charismatique est une nouvelle fois exilé de force, c'est la tragédie : le 8 mai et les jours suivants, à Sétif et Guelma principalement, des populations recrues d'exaspération et de misère massacrent plus de cent Européens. Une répression très dure provoque des mil-liers de morts, et un traumatisme immense. Le général Duval, qui la dirige, prophétise : « Je vous ai donné la paix pour dix ans ; si la France ne fait rien, tout recommencera en pire et de façon irrémédiable. »

Trucage. Avec le statut voté en septembre 1947, le gouvernement créa alors une Assemblée algérienne et étendit substantiellement le droit de vote. Mais, avec le système maintenu du double collège, une voix euro-péenne valait huit voix musulmanes. Du reste, le statut demeura largement lettre morte, et le trucage des élec-tions prit des proportions inconnues jusque-là en Ré-publique française. Les résultats officiels du bureau de Bou Djerba aux législatives de 19 51 indiquent : inscrits : 500 ; votants : 800 ; opposition : 0 ; candidat « indépen-dant » (patronné par l'administration) : 800. En février 1948, sous la pression du grand colonat, le gouverneur général Chataigneau, considéré comme trop complai-sant et flétri du sobriquet de « Chataigneau Ben Moham-med, fossoyeur général de l'Algérie », avait été rappelé. Face à ce blocage, Ferhat Abbas déclare : « Il n'y a plus d'autre solution que les mitraillettes. » C'est un petit groupe de dissidents messalistes, dont certains tiennent le maquis depuis 1947, qui vont les faire parler. Vingt-deux d'entre eux, réunis le 25 juillet 1954 à Alger, dé-cident de passer à l'action armée. Le ro octobre est créé le Front de libération nationale (FLN) : le déclenche-ment de l'insurrection est fixé au ier novembre, jour de la Toussaint, pour frapper les esprits. De fait, à peu près partout, la surprise fut totale •

Messager. Messali Hadj, alors en résidence surveillée à Brie-Comte-Robert, sort du cabinet du juge d'instruction, Paris, le g novembre 1948. Le leader du nationalisme algérien mène le combat politique pour l'indépendance dès 1926, au sein de l'Etoile nord-africaine. Son ascension fulgurante inquiète les autorités françaises, qui interdisent ses partis (le Parti du peuple algérien et le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques) et l'emprisonnent à plusieurs reprises. Hésitant entre le légalisme et l'action directe, Messali Hadj est de plus en plus contesté dans son propre camp. La création du FLN, en 1954, achève de le reléguer au second plan. Et son choix de rester en France jusqu'à la fin de la guerre lui vaut, à l'indépendance, d'être interdit de séjour en Algérie. Il meurt à Paris en 1974.

Pour aller plus loin : « La guerre d'Algérie », d'Yves Courrière (Fayard 2001,2 tomes de 954 p. et 1208 p., 32 et 35 c).

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Protocole. Des dignitaires musulmans reçoivent l'amiral Darlan (à g.) et le général Giraud (à dr.), à l'occasion de la fête de l'Aïd-el-Kébir,; Alger,; novembre 1Ç42. La présence fortuite de l'amiral Darlan à Alger au chevet de son fils, au moment du débarquement anglo-américain, modifie les plans d'Eisenhower. Darlan devient l'interlocuteur des Américains et prend le titre de « haut-commissaire de France en Afrique du Nord ». La législation de Vichy continue d'être appliquée, mais sous «protectorat» américain. Darlan est abattu le 24 décembre par un jeune résistant français. Le général Giraud, alors commandant en chef des armées, lui succède.

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Echec et mat. Le général Henry Martin, commandant du 19e corps en Algérie (3e à dr.) assiste à la reddition des tribus sur la plage des Falaises, près de Kherrata en Kabylie, le 22 mai 1945- • Mai a été agité : dès le ier, la police se heurte aux nationalistes descendus dans toutes les villes d'Algérie pour réclamer la libération de Messali Hadj et l'indépendance du pays. Du 3 au 6, le pouvoir procède à une trentaine d'arrestations préventives et des troupes prennent position dans le Constantinois en vue de la manifestation du 8. Jusqu'à 10000 personnes, parfois armées, défilent sous le drapeau algérien. La police veut s'en emparer. Le mouvement tourne à l'émeute. Aux cris de «fihad!» (« guerre sainte »), les paysans des environs de Sétif et Guelma s'attaquent aux représentants de l'administration et aux civils européens. En représailles, l'aviation bombarde des villages. Lourdes pertes : une centaine d'Européens et plusieurs milliers de musulmans. L'ordre semble rétabli à partir du 13 mai, mais la répression dure jusqu'à juin. Des officiers exigent la soumission publique de milliers d'hommes sur la plage des Falaises. Le soulèvement est étouffé, mais pour quelque temps seulement.

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Séisme. François Mitterrand, ministre français de l'Intérieur, constate les dégâts causés par le tremblement de terre survenu dans la nuit a Orléansville, le g septembre 1954. La secousse, la plus terrible qu'ait connu le pays, a tué près de 1500 personnes. On compte des milliers de blessés et de sans-abri. Les drapeaux sont mis en berne, même en métropole. François Mitterrand se rend sur place. Rien ne laisse présager que, dans deux mois, l'Algérie basculera dans la guerre. Et que le gouvernement de Pierre Mendès France, par l'entremise du même Mitterrand, réaffirmera: «L'Algérie, c'est la France et la France ne reconnaîtra pas chez elle d'autres autorités que la sienne».

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Haute sécurité. Moisson sous protection militaire, en 1954. Pour faire face aux attaques répétées du FLN, l'armée quadrille le terrain. De vastes opérations de « ratissage » sont menées, des villages sont bombardés. Des camps de regroupement, dits « zones de sécurité», sont créés en Kabylie pour isoler les maquisards. Ils seront bientôt dénoncés dans les colonnes du quotidien « Le Monde » par un jeune énarque, Michel Rocard. La France se discrédite auprès de la population musulmane.

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i Clan. Six chefs du FLN a l'automne 1954. Debout (de g. àdr.); Rabah Bittat, Mostefa Ben Boulaïd, Mourad Didouché, Mohamed Boudiaf; assis (de g. à dr.) ; Krim Belkacem et Larbi Ben M'hidi. Le FLN compte en réalité neuf chefs : trois au Caire pour chercher des appuis extérieurs ; cinq pour organiser l'action armée en Algérie divisée en cinq zones ; un coordinateur de l'ensemble, Mohamed Boudiaf. Si les moyens manquent au départ, le FLN gagne en notoriété et s'impose comme l'interlocuteur privilégié de la France dans les négociations.

Cible. • Les Monnerot, le jour de leur mariage, en 1954. La population civile, musulmane et européenne, devient la première victime des actions terroristes du FLN et des ripostes de l'armée. Au matin du ier novembre, le car de la ligne Biskra-Arris est attaqué dans les gorges duTighanimine : le caïd de l'oasis de M'Chouneche, officier français à la retraite, et l'instituteur Guy Monnerot, sont abattus. Fraîchement arrivé en Algérie, ce jeune homme de 23 ans devient le symbole de cette guerre qui ne dit pas encore son nom. Son épouse Jacqueline, grièvement atteinte, survit à ses blessures.

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La guerre 3 avril 1955. Face aux « événements », l'état d'urgence est décrété. 20-21 août 1955, LArmée de libération nationale (ALN) recrute massivement dans les villages. Français et mu-sulmans, souvent confon-dus, sont assassinés à l'arme blanche. L'armée riposte. On compte plusieurs milliers de morts. En métropole, on rappelle les réservistes. Janvier-octobre 1957. La bataille d'Alger oppose le FLN au général Massu, investi des pouvoirs de po-lice. Attentats à la bombe en pleine ville, exactions et tortures se généralisent. 13 mai 1958. L'armée refuse de reconnaître le nouveau gouvernement et décide de la création du Comité de salut public à Alger, avec à sa tête le général Massu. Le CSP lance un appel au général de Gaulle. 4 juin 1958. « Je vous ai com-pris /», déclare de Gaulle, trois jours après son retour au pou-voir. Sans prononcer le mot, le général choisit la voie de l'intégration. Les musulmans obtiennent enfin la pleine citoyenneté française. 16 septembre 1959. De Gaulle prône « le droit des Algériens à l'autodétermination». Fin janvier i960. Des Fran-çais d'Algérie s'estimant tra-his par le pouvoir érigent des barricades dans le centre d'Al-ger. Les gendarmes intervien-nent. Premiers affrontements meurtriers franco-français. Février 1961. Création de l'Organisation armée secrète (QAS) par des parti-sans de l'Algérie française. Fin avril 1961, Echec du putsch d'Alger mené par les généraux Challe, Jouhaud, Salan et Zeller contre la poli-tique d'autodétermination. 18 mars 1962. La France et le GPRA signent les accords d'Evian. Le cessez-le-feu entre en vigueur le lendemain. Le texte est approuvé à plus de 90 % des voix en France et à plus de 99 % en Algérie. 3 juillet 1962, De Gaulle proclame l'indépendance de l'Algérie, fêtée dans la liesse le 5, date de la prise d'Alger en 1830. Près de 1 million de pieds-noirs quittent le pays.

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Mourir pour le bled PAR SAÏD MAHRANE

A l'état d'urgence succède la terreur. Une seule issue : l'indépendance.

Huit ans :dei954ài962. Pour nommer la période, le général de Gaulle évoque «la crise algérienne». Les «Actualités françaises », par la voix du journaliste

Jacques Sallebert, ouvrent sur «la révolte». Le gou-vernement Mollet impose finalement dans le vo-cabulaire de l'époque «lesévénements». Mais celui qui, dès novembre 1954, a accolé le juste mot à la situation est François Mitterrand, alors ministre de l'Intérieur : «La seule réponse au ier novembre, c'est la guerre !»

Huit ans de guerre. Nul ne la croyait possible. Sou-dain, elle est là, «déclarée» donc, le ier novembre 1954. Après des mois de minutieuses préparations, les fella-ghas passent à l'attaque. Une série d'attentats ensan-glante l'Algérie. Les journaux du lendemain reviennent sur cette « Toussaint rouge » et tous expriment leur in-dignation. Le massif des Aurès devient un véritable coupe-gorge. Partout, c'est la stupeur. Le monde décou-vre l'existence du Front de libération nationale (FLN), la détermination d'une résistance algérienne, structu-rée et militarisée, avec des ramifications de l'est à l'ouest du pays. Et même au-delà, du Caire à Paris, jusqu'à Washington. Pour expliquer l'émergence de ce mou-vement, les historiens de l'époque se réfèrent aux mas-sacres de milliers d'Algériens par l'armée française, le 8 mai 1945, à Sétif. Un bain de sang qui aurait engendré l'éveil d'une conscience nationale, rendue belliqueuse par un sentiment - séculaire - d'injustice. D'autres évoquent le trucage des élections de 1947, visant à évincer les nationalistes de l'assemblée algérienne.

Mais l'urgence est à la pacification. Les soldats ont la priorité sur les trottoirs, les chars stationnent aux ronds-points, des chevaux de frise bloquent les entrées de la casbah. Les rues Charles-Péguy, Michelet et d'Isly, les plus fréquentées de la ville, sont comme dépossé-dées de leur magie. Les terrasses du Bristol et du Coq

Hardi, cafés où la jeunesse parfumée a coutume de se retrouver, sont désertes. Vue de la basilique Notre-Dame d'Afrique, dont la coupole est rasée par des hélicoptères, Alger a perdu de sa blancheur. Chacun, au sein de sa communauté, ressent le besoin de parler de ce qui met la ville en effervescence. Les principaux dirigeants du FLN - Hocine Aït Ahmed, Mohamed Boudiaf, Ahmed Ben Bella- sont arrêtés après le dé-tournement de l'avion qui les emmenait au Caire. Dans le même temps, à Paris, le président du Conseil, Pierre Mendès France, annonce une série de réformes et jure de s'attaquer «au chômage, ce fléau algérien». Réformer? «Walou !» («Que dalle /») pour certains commissaires d'Alger et grands colons, inquiets de voir renverser un système qui leur est favorable. Alors ils manifestent, menacent. Mais à la crise algérienne s'ajoute une crise politique. Successivement - et jusqu'en 19 5 8 - les gouvernements tomberont comme des fruits pourris. La faute à l'Algérie, mais surtout à des règles institutionnelles devenues obsolètes.

Révolte. Durant quatre terribles mois, entre janvier et avril 1957, éclate la bataille d'Alger. Mission : éradi-quer le FLN. Les parachutistes, dirigés par le général Jacques Massu, disposent pour cela des pleins pouvoirs. On dénombre 3 000 Algériens disparus. Aux balles et aux tortures françaises répondent des attentats. Les marchés sont pris pour cibles.

Dans les bureaux de « L'Express », à Paris, un homme fait les cent pas, relisant à haute-voix son éditorial : Albert Camus sait déjà que sa position lui vaudra damnation. A l'inverse de ces intellectuels qui pren-nent naturellement le parti des faibles, l'écrivain dé-nonce, avec la même révolte, avec les mêmes mots, le massacre des civils européens et musulmans. Jean-Paul Sartre crie à « la nausée » ! Et hurle plus fort encore, quand des confesseurs religieux lui rapportent les témoignages de premiers appelés,du contingent qui évoquent la torture infligée aux fellaghas et aux civils. Le monde entier s'en fait l'écho. Le 2 juillet 1957, au Sénat américain, un jeune élu démocrate s'avance à la tribune, dénonce la situation algérienne et réclame l'indépendance du pays. En France, les politiques de tous bords fustigent l'ingérence de ce (suite page 60)

Face-à-face. Ahmed Ben Bella interrogé dans les locaux de la DST à Alger, le 22 octobre 1956. Après avoir été reçue à Rabat par Mohammed V, une délégation du FLN s'est envolée le matin même pour Tunis, où doit se tenir une conférence avec le roi du Maroc et le président tunisien Bourguiba pour jeter les bases d'une union nord-africaine. Tandis que le gouvernement Mollet proteste contre cet acte de solidarité, les militaires en place à Alger interceptent l'avion. Ben Bella, Boudiaf, Aït Ahmed, Mohamed Khider et Mostefa Lacheraf sont arrêtés sur le tarmac algérois. Le détournement du DC3 radicalise la tendance dure du FLN. Ben Bella reste emprisonné en France jusqu'en 1962.

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(suite de la page 58) «Yankee exterminateur d'Amérin-diens». Il s'appelle John Fitzgerald Kennedy.

Autodétermination. Le 28 mai 1958, le gouvernement Pflimlin démissionne. On croyait Charles de Gaulle fini, s'ennuyant à l'écriture de ses Mémoires de guerre ; en réalité, l'homme attend son heure. Réclamé par l'opinion, l'armée, les élus, il est investi par l'Assemblée nationale et gouverne - ô privilège - par ordonnance. Place du Forum à Alger, il lance sa fameuse sentence : « Je vous ai compris ! » Pieds-noirs et indigènes l'enten-dent comme une adresse à leur communauté. Un gou-vernement provisoire algérien est créé, présidé par Ferhat Abbas. Cependant la guerre se poursuit, toujours plus aveugle, toujours plus violente. Deux mois avant son élection à la présidence de la République, de Gaulle propose au FLN une paix des braves. En vain. La fureur des indépendantistes décuple même quand « Le Monde » divulgue le rapport d'un jeune énarque, Michel Rocard, sur les camps de regroupement organisés par l'armée française. La résignation semble gagner le président qui se montre de moins en moins équivoque: « Les Algériens doivent décider de leur destin. » Le 16 septembre 1959, il lâche le terme d'« autodétermination». Chacun comprend que c'est la fin du rêve algéro-français. Le général Massu critique sévèrement la politique menée et se voit muter en métropole. Dans les cinémas algé-rois, on projette « La gloire et la peur » avec, en vedette, Gregory Peck ; à l'extérieur, les pro-Algérie française dressent des barricades, dépavent les rues et appellent à l'insurrection.

Le 8 janvier 1961, les Français se prononcent par référendum à 7 5% pour l'autodétermination du peu-ple algérien. Dans la foulée, des activistes européens fondent l'Organisation armée secrète (OAS), perpètrent des attentats à Alger et en métropole, fomentent un putsch écrasé par de Gaulle. La même année, à Paris, des manifestations dAlgériens contre le couvre-feu imposé par le préfet Maurice Papon sont durement réprimées : des dizaines de morts, des corps jetés dans la Seine. A bord du « Kairouan », des centaines d'Algé-riens sont renvoyés de France. On manifeste des deux côtés de la Méditerranée. Les drapeaux de l'Algérie et de la CGTflottent au-dessus des cortèges. En 1962, de Gaulle, qui depuis un an traite avec le FLN, ouvre les négociations d'Evian fixant les conditions de l'indé-pendance. Une «trahison» pour les pieds-noirs, viscé-ralement attachés au bled. Le texte, soumis à référen-dum, est approuvé à 90,7%. Dans les rues d'Alger, les troupes françaises ouvrent le feu sur une foule d'Euro-péens hostiles aux accords. Et, le 3 juillet, la France reconnaît l'indépendance de l'Algérie. Désarmés et livrés à eux-mêmes, entre 30 000 et 60 000 harkis sont massacrés par un FLN revanchard. Dès le 7 juin, les Français quittent massivement le pays, laissant derrière eux maisons, boutiques et plus de cent trente ans d'histoire(s). Le port d'Alger peine à contenir tous les candidats à l'exode qui attendent d'embarquer pour Marseille. Beaucoup montent à bord du « Kairouan ». Beaucoup ont les larmes aux yeux •

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Rappelés. Les chasseurs alpins de la 27e division d'infanterie d'Afrique débarquent à Alger; en septembre 1955. L'offensive meurtrière de l'ALN dans le Constantinois, en août, a précipité, en métropole, le rappel des réservistes. La durée du service militaire est allongée à deux ans. Les effectifs passent à 400 000 j hommes en 1956, et à 450 000 l'année suivante.

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Choc. Les troupes du colonel Bigeard (à g.) en campagne dans le Constantinois, en mars 1956. Neuf soldats français viennent d'être abattus par des tirailleurs algériens qui fuient avec leurs armes. Le 3e régiment de parachutistes coloniaux du colonel Bigeard reçoit l'ordre de rattraper les déserteurs. Pour la première fois, les unités sont héliportées. Les combats de guérilla alternent avec la chasse aux renseignements, au cours de laquelle l'armée, parfois, dérape. Les interrogatoires musclés virent à la torture. Le pouvoir le sait mais se tait.

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i Intimidation. Un soldat posté sur un toit de la casbah d'Alger,; en juin 1957. Doté depuis le 7 janvier des pleins pouvoirs de police, le général Massu fait ceinturer de barbelés les quartiers musulmans d'Alger. Objectif: neutraliser le FLN. Mais avant la fin du mois, des bombes explosent dans deux stades et trois cafés de la ville. Une stratégie d'infiltration du FLN est mise en place. La bataille d'Alger prend fin lorsque la cache d'Ali la Pointe, chef des commandos de l'ALN, est dynamitée par les paras.

Historique. • De Gaulle au balcon du Gouvernement général d'Alger, le 4 juin 1958. A la foule massée sur la place du Forum, il lance : « Je vous ai compris!». Mais à qui s'adresse-t-il ? Aux partisans de l'Algérie française qui ont appuyé son retour? Aux musulmans à qui il accorde la pleine citoyenneté ? Acclamé comme un sauveur, personne ne sait, au fond, quelle politique il va mener en Algérie.

Détermination. • Le général Massu à Oran, le 7 juin 1958. Vénéré par les pieds-noirs depuis la bataille dAlger, Jacques Massu, qui a pris la tête du Comité de salut public, soutient de Gaulle. Mais le choix de l'autodétermination, l'année suivante, marque la rupture entre les deux hommes. Massu confie à un journaliste être de nouveau prêt à la désobéissance. Le 19 janvier i960, il est convoqué à Paris et remplacé. Son départ provoque la colère des Français d'Algérie.

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Un faux FLN Diviser pour mieux régner. C'est la tactique employée par la France face au Front de libération nationale (FLN). Cette option conduit les services d'espionnage et de contre-espionnage français (SDECE) à imaginer une des opérations les plus étranges du XXe siècle : un faux FLN, qui discréditerait le vrai. L'idée est lancée en août 1960 par le Premier ministre, Michel Debré, qui signe une directive secrète prescrivant la création d'une organisation musulmane utilisant les métho-des de la rébellion. Déjà, en 19 5 7, la France avait misé sur une armée algérienne de 4 000 hommes opposée au FLN : l'Armée nationale du peuple algérien (ANPA). Dirigée par le général Bellounis, elle s'est révélée un élément peu sûr. Son armée a été décimée par le FLN et Bellounis, devenu incontrôlable, a été tué en 19 5 8, par les Français eux-mêmes.

Cette fois-ci, la manoeuvre est plus discrète, et en-tièrement pilotée par trois hommes du SDECE, les capitaines de Marolles, Puille et Zahm. Ce dernier est très expérimenté : il est l'un des dirigeants du service Action du SDECE, qui a piloté en sous-main la fa-meuse organisation de la Main rouge. «Une des plus puissantes machines à tuer du monde contemporain », au dire de Constantin Melnik, le patron du renseigne-ment au cabinet de Michel Debré. La Main rouge a éliminé en Europe 135 partisans du FLN, en faisant croire que ces assassinats avaient été menés par des partisans de l'Algérie française. En l'occurrence, il s'agit, avec le Front algérien d'action démocratique (FAAD), de semer la zizanie dans le camp algérien. Créé officiellement le 11 avril 1961, le FAAD, faux-nez du SDECE, regroupe des éléments dissidents du Mouvement national algérien (MNA) de Messali Hadj, opposé au FLN. Le FAAD, qui compte 2 000 à 3 000 maquisards, militants et terroristes, élimine 65 res-ponsables du FLN, en se faisant passer pour ses rivaux. Mais le FAAD, toujours manipulé par le SDECE, se rapproche de l'Organisation armée secrète (OAS), selon le principe que l'ennemi de mon ennemi est mon ami. Ces contacts sont rendus publics, en octo-bre 1961, par le journaliste Jacques Paoli, sur l'antenne d'Europe 1. C'est la fin de ce faux FLN, lâché par Paris, mais qui avec le FAAD, avait inventé un des plus beaux coups de l'histoire du renseignement • F.-G. L.

Pour aller plus loin : « OAS. Histoire d'une guerre franco-française », de Rémi Kauffer (Seuil, 456 p., 22,5 c).

Une manifestation anticolonialiste à Alger,; en décembre 1961.

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Irradiés. Matériel expérimental . sur la base de Reggane, dans le Sahara, en i960. Ces mannequins plantés dans le sable servent à tester la résistance des équipements militaires au souffle dégagé par les explosions nucléaires. De février i960 à avril 1961, quatre essais sont ainsi effectués en plein désert. La première bombe, «Gerboise bleue», quatre fois l'impact de Hiroshima, place le pays au rang de 4e puissance atomique. Avec les accords d'Evian, la France obtient une concession de cinq ans dans le Sahara pour poursuivre ses expérimentations.

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Semaine des barricades. Une jeune femme sert à boire à un insurgé français à Alger, le si janvier igôo. Tenir bon pour faire plier le pouvoir et recevoir l'appui de l'armée: au pied des barricades, la solidarité entre les Français d'Alger ne faiblit pas.

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Escalade. Emeutes a Alger, en janvier i960. Le 24 janvier i960, devant le Gouvernement général, 8 000 à 10 000 manifestants exigent le retour de Massu et l'arrêt de la politique d'autodétermination. Ils assaillent des édifices publics et lancent des pneus chargés d'explosifs sur les gendarmes. Des tirs fusent : 14 gendarmes mobiles et 6 manifestants sont tués. Alger devient un véritable camp retranché. Le 29 janvier, de Gaulle condamne l'attitude des ultras des deux communautés. Les pieds-noirs comprennent qu'ils sont mis sur le même plan que les indépendantistes du FLN. Découragés, les émeutiers se rendent le ier février.

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Putsch. Les généraux quittent le Gouvernement général d'Alger, le 26 avril 1961. De Gaulle les désigne comme «un quarteron de généraux en retraite». Partisans de l'Algérie française, Zeller, Jouhaud, Salan et Chall e(deg. à dr.), entendent mettre un terme à sa politique d'autodétermination. Dans la nuit du 21 au 2 2 avril 1961,1e ie r régiment étranger de parachutistes prend possession du Gouvernement général d'Alger. Les télécommunications avec la métropole sont coupées. La préfecture de police et la caserne tombent l'une après l'autre. De Paris, l'état d'urgence est décrété le 22 ; à Alger, une partie de l'armée est dans l'expectative. Le 23, de Gaulle condamne le putsch et annonce le recours à l'article 16 lui donnant les pleins pouvoirs. L'armée se range derrière sa décision. Le mouvement s'effrite. Salan et Jouhaud s'enfuient, Challe se rend immédiatement, Zeller le 6 mai.

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Horreur. La fusillade de la rue d'Isly, dans le quartier de Bab-el-Oued à Alger, le 26 mars 1962. «L'OASfrappe où elle veut, quand elle veut». L'échec de la semaine des barricades aiguise la colère des extrémistes. Début février 1961, Jean-Jacques Susini et Pierre Lagaillarde créent l'Organisation armée secrète (OAS), dont la folie meurtrière va frapper l'Algérie et la métropole. Suite au cessez-le-feu du 19 mars 1962, ses commandos investissent Bab-el-Oued pour en faire une zone insurrectionnelle. La confrontation avec l'armée est terrible. Le 26, à l'appel de l'OAS, une foule dense se dirige vers le monument aux morts. Le barrage qui interdit l'entrée de la rue d'Isly est vite débordé. Des coups de feu sont tirés, d'on ne sait où. Les soldats répliquent. Bilan : 46 morts, et plus d'une centaine de blessés. Les pieds-noirs, qui croyaient leurs intérêts défendus par l'OAS, réalisent que celle-ci les a menés à leur perte. Entre « la valise et le cercueil », leur choix est fait.

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Adieu. Au port d'Alger,; le 27 mai igô2. Les pieds-noirs abandonnent leur appartement dans la précipitation. Par crainte de l'OAS, qui leur a interdit de partir, certains laissent du linge sécher aux fenêtres pour faire croire à une promenade. Les accords d'Evian leur accordent pourtant le droit de rester en Algérie avec la double nationalité. Mais la violence a atteint une telle intensité que le départ est inévitable. La foule grossit chaque jour dans les aéroports et sur les ports. Les bateaux sont pris d'assaut : le « Kairouan », en partance dAlger, arrive à Marseille avec près de 2 600 personnes à bord, le double de sa capacité. Des cargos et des chalutiers sont même autorisés à prendre des passagers. Près de 1 million d'Européens quittent lAlgérie. Pour faire face à l'arrivée de rapatriés sans toit ni ressources, des mesures d'urgence sont prises. Une allocation mensuelle est accordée pour un an : 350 francs pour un célibataire (le SMIGest alors à 313 francs) C'est une nouvelle vie à construire dans un pays que la plupart ne connaissent pas.

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Poussin lui reprochait de vouloir « détruire la peinture ». Le Caravage n'en a pas moins bouleversé l'art. Quatre cents ans après sa mort, il reste un artiste à découvrir.

« La vocation de Saint-Matthieu » (détail), 1599-1600, huile sur toile, 322 x340 cm, Rome, église Saint-Louis-dès-Français, chapelle Contarelli.

Génie du Caravage

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L'œuvre au noir PAR JEAN PIERRARD

Le Caravage, peintre de la réalité, n'a jamais cessé d'inspirer ses pairs, tirant l'humanité des bas-fonds qu'il aimait fréquenter.

Plus que jamais, quatre siècles après sa mort en 1610, le Caravage résume les boulever-sements de la peinture au XVIIe siècle. Tout à coup, avec une série de toiles d'une radi-

cale nouveauté, un artiste efface les affectations, les bizarreries, les excès du maniérisme, qui avaient fini par tourner au cliché, dans des toiles débordan-tes de personnages et, en particulier de figures « re-poussoirs» aux postures exagérées comme on en trouve dans les tableaux du Cavalier d'Arpin, l'un des premiers employeurs du Caravage.

Cette rupture nette avec le passé reste toujours perceptible si on se donne la peine de gravir la vo-lée de marches de l'église Sainte-Marie-du-Peuple, à Rome, ou de franchir le seuil, dans la même ville, de Saint-Louis-des-Français, afin de contempler les premiers chefs-d'œuvre qui ont installé la réputa-tion du Caravage. Pour les contemporains du pein-tre, dans un monde sevré d'images, la découverte a dû être plus bouleversante encore. Cela explique que tous, au début du XVIIe siècle, aient voulu imi-ter Michelango Merisi, véritable patronyme d'un peintre originaire de Caravaggio, près de Milan. De Vélasquez à Rembrandt, tous les grands artistes passeront par une période d'imitation plus ou moins attentive de son art. Des peintres de moindre en-vergure, comme les caravagesques hollandais, consacreront presque toute leur carrière à courir après ses ombres, l'un d'eux, Gerrit van Honthorst, y gagnant le charmant surnom de «Gherardo délia notte» (« Gérard de la nuit»). A la notable exception

de Poussin, les meilleurs peintres français n'échap-peront pas à l'attraction du Caravage : Simon Vouet, Valentin de Boulogne et bien sûr Georges de La Tour, le grand Lorrain, redécouvert à l'occasion de l'exposition « Les peintres de la réalité», présentée au musée de l'Orangerie quelques années avant la Seconde Guerre mondiale.

Habilement soulignée par l'accrochage parisien de 1934, cette idée de réalité peut, à elle seule, ex-pliquer l'engouement de deux générations d'ar-tistes pour le Caravage. L'une de ses premières œuvres décisives, le fameux « Bacchus » (voir page 87), n'est pas seulement une évocation anti-quisante renvoyant à la culture platonicienne chère à la Renaissance. Elle est aussi, comme l'a souligné l'historien de l'art Roberto Longhi, le portrait d'un garçon de l'une de ces auberges ro-maines fréquentées par le peintre.

Aussi habile à l'épée qu'au pinceau. Avant lui, on peint selon les codes plus ou moins sophistiqués du maniérisme ou du classicisme. Après lui, on sait non seulement mieux installer un personnage dans un décor et une lumière étudiée, mais on a aussi appris à peindre une nature morte de façon à la rendre aussi parlante qu'un tableau de figures. Les Hollandais donneront à ce genre son autonomie, mais les com-positions de fruits réalisées par le Caravage rien res-tent pas moins exceptionnelles.

La passion qu'il continue de provoquer, quatre cents ans après sa mort, le Caravage la doit aussi, bien évidemment, à son destin hors du commun. Le roman de son existence est aussi noir que ses derniers tableaux... Et le sang qu'il a fait jaillir, avec une efficacité glaçante, dans quelques-unes de ses œuvres, ne l'a-t-il pas lui-même fait couler, tuant l'un de ses adversaires dans un duel après un diffé-rend assez ridicule lors d'une partie de paume ?

Aussi habile à l'épée qu'au pinceau, il dégainait sans coup férir. Et si on regarde avec attention ses toiles, on remarque qu'il peint avec (suite page 82)

Repères 1571. Naissance à Milan de Michelangelo Merisi, d'une famille originaire de Caravaggio, en Lombardie. 1584. Début de son apprentissage chez Simone Peterzano à Milan. 1592. Entre dans l'atelier de Lorenzo Carli à Rome, près du Campo Vaccino, où il réalise des « têtes ». 1593. Rejoint l'atelier du Cavalier d'Arpin, où il peint des fleurs et des fruits. 1597. Le cardinal Del Monte le prend sous sa protection. 1601. Passe la nuit en prison pour port d'armes. 1605. Quitte Rome pour Gênes à la suite d'une rixe. 1606. Tue en duel Ranuccio Tomassoni. Condamné à mort, il part pour Naples. 1607. Rejoint Malte. 1608. Le 14 juillet, il est fait chevalier de l'ordre de Malte. Fin août, il s'embarque pour la Sicile après une rixe. 1609. Retour à Naples. Il est attaqué par des sbires. 1610. Meurt le 18 juillet à l'hospice de Porto Ercole, peut-être des suites d'une attaque de paludisme ou de dysenterie.

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Berceuse. «Le repos pendant la fuite en Egypte», 1596-1597, huile sur toile, 135,5 x 166,5 cm> Rome, palais Doria Pamphilj. Dans un paysage éblouissant, un ange musicien berce le sommeil de l'enfant Jésus. En s'attardant sur la partition de musique, les spécialistes ont identifié les notes d'un motet à quatre voix de Noël Bauldwijn, sur un texte du Cantique des cantiques, «Quam pulchra es et quam décora» («Que tu es belle et que tu es charmante »).

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(suite de la page 80) un soin infini, dans une tradi-tion très giorgionesque, les reflets sur le pommeau, la lame d'une épée ou le gorgerin d'une armure. Après tout, le seul tableau qu'il ait véritablement signé, il l'a fait en se servant du ruban sanglant qui s'écoule du cou du Saint-Jean Baptiste décapité. Cette «Décollation de Saint-Jean Baptiste» est, depuis sa réception en 1608, accrochée dans la cathédrale de La Valette, capitale de l'île de Malte. Le peintre l'avait achevée peu de temps avant d'être reçu Chevalier de Grâce dans l'ordre de Malte, une institution militaire qui, à l'époque, «recyclait» les jeunes aristocrates en rupture de ban... Bref instant de bonheur avant une nouvelle cavale, cette fois vers la Sicile, pour échapper aux poursuites occasionnées, comme d'habitude, par une rixe.

Si crédibles au travers de leur inquiétante phy-sionomie, les visages donnés aux bourreaux, dans les tableaux du Caravage, s'expliquent par les nuits passées dans les postes de police ou par ses fréquen-tations peu recommandables. La part quelquefois

Unique. «La corbeille de fruits», I5g6-i597, huile sur toile, -31x47 cm, Milan, pinacothèque Ambrosienne. Seule nature morte qui nous soit parvenue, cette toile a appartenu à l'archevêque de Milan Charles Borromée. On ignore à qui il l'a achetée, mais elle témoigne de la maîtrise à laquelle est parvenu le Caravage à l'issue de son séjour dans l'atelier de Giuseppe Cesari, le Cavalier d'Arpin.

terrifiante de son art, ses premiers plans occupés par le chef sanglant d'Holopherne ou de Goliath, ne doivent toutefois pas faire oublier l'autre Ca-ravage, celui qui a su conférer à ses madones et à leur bambin parfois trop grand une part indicible d'humanité et de tendresse, dérobée dans l'ombre de quelque ruelle romaine ou napolitaine et dis-simulée sous une peau chaude et brune. Le Cara-vage est aussi le grand peintre des mystères de l'Incarnation •

Pour aller plus loin : « Caravage », de Sybille Ebert-Schifferer (Hazan, 320 p., 59 c). « Caravage », de Rodolfo Papa (Editions de l'Imprimerie nationale, 336 p., 120 € jusqu'au 31/1/10,144 c ensuite). « Le Caravage », de Gérard-Julien Salvy (Folio, « Biographies», 318 p., 8,10 c). « Le Caravage », de Roberto Longhi (Editions du Regard, 232 p., 38 €). « Le Caravage. L'œuvre complète >>, de Sébastian Schutze (Taschen, 306 p., 100 c). « Le dossier Caravage », d'André Berne-Joffroy (Flammarion, 384 p., 38,11 c).

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Jeunesse. «Garçon avec un panier de fruits», 1593-1594, huile sur toile, 70 x 67 cm, Rome, galerie Borghese. Contemporaine du fameux « Bacchus » (voir page 87), cette toile représenterait Mario Minniti, un assistant qui figure sur quelques tableaux de l'époque.

Patience. « Garçon pelant un fruit», 1592-1593, huile sur toile, 64,2X 51,4 cm, Tokyo, collection Ishizuka. De cette œuvre de jeunesse existent trois versions. Celle-ci fut attribuée à Murillo.

Douleur. « Garçon mordu par un lézard», 1593-1594, huile sur toile, 66x 49,5 cm, Londres, National Gallery. Inspiré du célèbre dessin de Sofonisba Anguissola, une artiste de Crémone, ce tableau est emblématique des progrès accomplis par l'artiste à l'époque, et par son aptitude à traduire en image un affect, la frayeur mêlée à la douleur. Pour ce petit chef-d'œuvre, il ne toucha, dit-on, qu'un écu et demi...

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Voleuse. «La diseuse de bonne aventure», 1595-1596, huile sur toile, 1 1 5 x 150 cm, Rome, musée du Capitole. A y regarder de plus près, cette jeune bohémienne est en train de voler la bague du jeune homme. La mise en scène pourrait avoir été inspirée par la commedia dell'arte. A l'époque, des zingaresce se jouaient à tous les coins de rue. Une mode « gitane » commença même à sévir dans la littérature et les arts. Une autre version de cette œuvre existe : offerte par Camillo Pamphilj à Louis XIV, elle est exposée au Louvre.

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Obsession. «Narcisse», 1597-1598, huile sur toile, 113,3 X95cm, Rome, Galerie nationale d'art ancien. C'est le grand critique italien Roberto Longhi qui, peu avant la Première Guerre mondiale, redécouvrit ce tableau - réalisé pour un marchand génois - dans une collection milanaise. Au-delà du brio qui la caractérise, cette toile est évidemment remarquable par le climat moral qu'elle exprime, insistant sur les dangers générés par une contemplation trop passionnée de soi, qui ne peut que conduire à la perte.

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Abandon. «Bacchus», 1596-1597, huile sur toile, 95x85 cm, Florence, galerie des Offices. Retrouvé en 1913 dans un placard à balais du musée, ce tableau est-il un autoportrait ? Beaucoup d'auteurs y voient plutôt une allusion aux joyeuses compagnies de Hollandais et de Flamands vivant à Rome, qui se déguisaient volontiers en Bacchus. La nature morte de fruits pourrissants est peinte de manière aussi somptueuse que le personnage, légèrement ambigu, référence évidente à l'antiquité grecque et à son goût pour le symposium.

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Saignante. « Judith décapitant Holopherne », 1598-1599, huile sur toile, 145 x 195 cm, Rome, Galerie nationale d'art ancien. Une jeune artiste caravagesque, Artemisia Gentileschi, peindra vers 1611 une variation bien plus horrible de ce récit tiré de l'Ancien Testament. Ici, le sang gicle de façon un peu théâtrale. De toute façon, l'arme utilisée dans le tableau ne serait, selon les spécialistes, guère efficace pour procéder à une décollation.

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Epouvante. «Le martyre de Saint-Matthieu», 1599-1600, huile sur toile, 323 X343 cm, Rome, église Saint-Louis-des-Français, chapelle Contarelli L'un des chefs-d'œuvre du Caravage, ce tableau décrit l'apôtre frappé alors qu'il célébrait la messe. La chorégie douloureuse des regards, le cri de l'enfant (ci-dessus, en bas), la beauté de l'assassin - inspiré de l'Adam de Michel-Ange à la Sixtine - fascinent. Comme pour laisser entendre qu'il ne s'agissait en définitive que d'une peinture, le Caravage s'est lui-même représenté, dans le tableau, en témoin atterré par la violence de la scène (ci-dessus, en haut).

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Charité. «Les sept œuvres de la miséricorde», 1606-1607, huile sur toile, 390x260 cm, Naples, église du Pio Monte délia Misericorda. Réalisée pour une institution caritative du vieux Naples, cette œuvre est toujours restée en place. Dans un grand état de fraîcheur, elle prouve le niveau de perfection atteint à ce moment par le Caravage. Tous les critiques ont célébré ce tableau, qu'il est possible de contempler au travers d'un oculus spécialement aménagé dans un petit oratoire au-dessus de la chapelle dans laquelle il est niché. Le détail (à dr.) illustre un thème antique, «la charité romaine», dans lequel Pero vient nourrir en prison son père Cimon. Le prêtre qui porte une torche est en train d'ensevelir un mort, tâche qui, elle aussi, correspond à une œuvre de miséricorde.

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Intériorité. «Le souper à Emmaiis», 1606, huile sur toile, 141 x 175 cm,, Milan, pinacothèque de Brera. Dans une première version de 1601, conservée à Londres, le Christ est imberbe, référence à la tradition paléochrétienne, mais la table derrière laquelle il s'assied en compagnie de deux disciples rencontrés sur la route, le soir de Pâques, est encombrée d'une magnifique corbeille de fruits en équilibre précaire. Dans la version présentée ici, le Christ retrouve sa barbe devant une table dépouillée. De même la gestuelle des disciples et des aubergistes s'est-elle fait plus discrète. Du reste, l'œuvre est de plus en plus intériorisée. Le Caravage met en place son ultime répertoire, plus sobre, mais aussi plus sombre.

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Clair-obscur. «Le Christ à la colonne», 1607, huile sur toile, 134,5 x 174,5 cm> Rouen, mwsee des Beaux-Arts. Ce tableau splendide mais douloureux a été identifié par Roberto Longhi lors d'une visite à Rouen dans les années soixante. Il représente la flagellation, épisode qui précède la crucifixion dans la passion du Christ. L'atrocité de la scène provient du contraste entre la beauté du corps athlétique du Sauveur et le traitement barbare que lui infligent ses deux bourreaux.

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Rue des Archives

leemage Couverture, ND/Roger-Viollet, Leemage; pages 2-3, Delius/Leemage ; pages 4-5, Josse/Leemage ; page 7, Josse/Leemage; pages 8-9, Tal/Rue des Archives ; page 11, Josse/Leemage ; pages 12-13, Josse/Leemage ; pages 14-15, Leemage ; pages 16-17, Paris/Roger-Viollet ; page 19, Costa/Leemage ; pages 20-21, Evans/Rue des Archives ; pages 22-23, PVDE/Rue des Archives ; pages 24-25, ND/Roger-Viollet, Evans/Rue des Archives, Varma/Rue des Archives ; pages 26-27, Roger-Viollet ; pages 28-29, PVDE/Rue des Archives ; page 30, Varma/Rue des Archives, Evans/Rue des Archives ; page 31, Delius/Leemage ; pages 32-33; Delius/Leemage ; pages 34-35, Delius/Leemage ; pages 36-37, Rue des Archives; pages 38-39, Rue des Archives ; pages 40-41, Keystone/Eyedea ; pages 42-43, Tal/Rue des Archives ; page 45, Agip/Rue des Archives ; pages 46-47, Rue des Archives ; pages 48-49, Rue des Archives ; pages 50-51, Keystone/Eyedea ; pages 52-53, Suddeutsche Zeitung/Rue des Archives ; page 54, Tal/Rue des Archives; page 55, Tal/Rue des Archives ; pages 56-57, Agip/Rue des Archives ; page 59, Agip/Rue des Archives ; pages 60-61, Rue des Archives ; pages 62-63, RA/Gamma/Eyedea ; pages 64-65, Zebar Nacerdine/Gamma/Eyedea; page 65, Lipnitzki/Roger-Viollet, Keystone/ Eyedea ; pages 66-67, TopFoto/Roger-Viollet ; pages 68-69, Keystone/Eyedea ; page 70, SPPS/Rue des Archives ; page 71, Berretty/ Rapho/Eyedea, pages 72-73, Keystone/Eyedea ; pages 74-75, Le Campion/Sipa ; pages 76-77, RA./Gamma/Eyedea ; pages 78-79, page 82, page 83, pages 84-85, page 86, pages 88-89, pages 90-91, pages 92-93 et pages 94-95, Electa/Leemage ; page 81, Ricciarini/Leemage ; page 87, Immagina/Leemage ; pages 96-97, Josse/Leemage.

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Camus secret et intime

Biographie

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Alain Vircondelet

Albert Camus ^ fils d'Alger