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L'alphabet: Un concours de circonstances

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Page 1: L'alphabet: Un concours de circonstances

L'alphabet: Un concours de circonstancesAuthor(s): André MartinetSource: La Linguistique, Vol. 29, Fasc. 1 (1993), pp. 17-24Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/30248684 .

Accessed: 11/06/2014 13:29

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L'ALPHABET: UN CONCOURS DE CIRCONSTANCES

par Andre MARTINET

Ecole des hautes itudes a la Sorbonne

Dans l'usage courant, un alphabet est, dans les termes du Petit Larousse, la <<liste de toutes les lettres d'une langue >>, ce

qui semble impliquer qu'une langue <<a>> des lettres, sinon qu'une langue n'existe que par ses lettres. Il est indispensable de pre- ciser, en commengant, que le terme d'alphabet sera utilise ici avec une valeur beaucoup plus restreinte pour designer le systeme graphique, mis au point par les Grecs pour noter leur langue, et adapt6 ou imite par les Etrusques, les Latins et bien d'autres

communautis linguistiques au nord de la Mediterrande et, plus tard, un peu partout dans le monde. Comme on le sait, alphabet reproduit, en abreg6, les noms des deux premikeres lettres du moddle grec, alpha et beta. De fagon analogue, les Frangais parlent d'un abicidaire a partir d'a, be, ce, d'. Un autre type de d6signation est illustrd par le terme futhark qui d6signe le plus ancien alpha- bet runique. Il correspond a la lecture des six premiers caracteres

facilitde par une alternance favorable des consonnes et des

voyelles - et non a la reproduction des noms des lettres en

cause. C'est l'6quivalent de la lecture /yrs/ du sigle URSs en face de la prononciation plus traditionnelle /yeresss/.

L'emploi restrictif, qu'on recommande ici, du terme alphabet exclut les systemes graphiques oui, a la succession des consonnes et des voyelles de la parole ne correspond pas, dans tous les cas, une succession des signes de l'6criture. Le Devanagari indien, par exemple, n'est pas un alphabet en ce que la lettre qui d6signe une consonne implique automatiquement, en l'absence d'une indi- cation contraire, que cette consonne est suivie de la voyelle /a/. La liste des lettres des graphies arabe ou hebraique ne forme

IA Linguistique, Vol. 29, fasc. 1/1993

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pas un alphabet dans le sens que la notation des voyelles (breves) y est facultative et suscrite ou souscrite.

Certains jeux televises contemporains illustrent bien la fagon dont le squelette consonantique des mots peut suffire pour 6voquer le sens du message dcrit: .11.r pl.s v.t. q.. l.s v..l.ns, dont on nous dit qu'il reprisente une expression frangaise, s'interprete assez faci- lement comme aller plus vite que les violons a partir de quinze consonnes et sans l'aide des onze voyelles. Ceci dans une langue oui les voyelles (ecrites ou orales) participent de fagon decisive a l'identification des unites de sens: vite et non vote ou vito, que et non qui, les et non las ou lus, violons et non voulons. Toutefois, comme, dans la

plupart des langues, il y a plus de consonnes distinctives que de

voyelles, il est normal que chacune de ces dernieires soit moins informative. Comment retrouver l'expression ci-dessus 'a partir de sa <<chair>> vocalique : a..e. ..u. .i.e. .ue .e. .io.o..?

Apres cet indispensable priambule terminologique, il est temps d'aborder le problkme central des rapports de l'Fcrit a l'oral et de l'origine de l'ecriture.

II n'est jamais inutile de rappeler, mame a' un public de lin-

guistes, que l'oral vient toujours avant l'6crit, que ce soit dans l'volution de 1'espece humaine ou dans celle de l'individu: dans la nuit des temps, les hommes ont parle sans ecrire et c'est le cas, encore aujourd'hui de beaucoup d'entre nous, a commencer

par les enfants de toutes nations. S'il reste si difficile de convaincre les gens qu'il en est bien ainsi, c'est que nous identifions tous le mot parlk et la chose, ou, en termes plus savants, le signe, represente par son signifiant oral, et son rdf6rent. Si je dis: << Tu vois cet arbre? , le succes de la communication reclame que mon interlocuteur n'ait pas identifie /arbr/ comme une suite de sons, mais bien comme l'objet ainsi d6signd.

Ceci veut dire que la langue, sous sa forme orale, n'a, pour qui n'a pas rdflichi t la question, aucune existence independante de la r6alite pergue. La situation est tout autre lorsque le mot

acquiert une forme graphique : arbre, sous la forme oui le voilat, est aisement pergu comme une realite materielle distincte de l'objet auquel elle se refere. Pour le Frangais moyen, et plus encore s'il est cultive, sa langue n'existe rdellement que sous sa forme ecrite, et c'est pourquoi il serait scandaleux de reformer l'orto- graphe, puisque changer la graphie scrait changer la langue.

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Il en va un peu autrement chez le plurilingue qui ne peut etre insensible au fait que l'objet arbre ne saurait s'identifier par- faitement ni '

/arbr/, ni t tree, ia Baum ou a derevo. Mais encore faut-il que ce plurilingue ne se laisse pas influencer par le pres- tige superieur d'une de ses langues en fonction de laquelle il va tendre 'a organiser sa vision du monde. En vertu de quoi s'eta- blira une << structure profonde >> unique qui aura quelque chance, a l'poque oui nous vivons, de s'identifier ia celle de l'anglais.

Si donc, pour le sujet, la langue s'identifie au monde, sa seule representation possible devrait &tre celle du monde sensible, c'est- a-dire l'affaire de ceux qui s'efforcent d'en donner une image, a trois dimensions, par la sculpture, ta deux dimensions, par le dessin ou la peinture. Un meme evenement, s'il merite d'etre narre et rememor6, pourra etre l'objet d'un enonce oral et d'une

representation graphique paralldles qui n'auront en commun que la realit6 qu'ils visent a communiquer. Pour un linguiste, celui qui, professionnellement, n'identifie pas l'6nonce, qu'il soit oral ou ecrit, avec la realit6 a laquelle il se rdfere, il y aura la coexis- tence de deux messages de nature fondamentalement diff6rente. A une declaration comme <<le roi a tud le lion >> pourra corres- pondre un dessin, ou, de fagon plus 6laboree, un bas-relief repre- sentant la scene. Mais ia l'articulation en six <<mots>> du texte ci-dessus s'opposera une composition picturale ou sculpturale oui l'on pourra distinguer les attributs de la royaute et l'tre humain qui les porte, ce qui se trouve concentre dans la forme linguis- tique roi. Une telle composition est, en quelque sorte, l'6quivalent de nos histoires sans paroles ou de bandes dessinees sans bulles. Les scenes successives de ces histoires et de ces bandes se repla- cent bien sur la ligne du temps, comme les propositions succes- sives du discours, mais cette coincidence s'explique par r6firence a la successivit6 des 6v6nements relates. Les articulations des deux messages sont independantes l'une de l'autre. Il n'y a rien la qui rappelle notre ecriture.

Nous ne pourrons commencer "a parler d'ecriture que si les elements du message graphique, disons le roi, le lion et l'Fpieu servant a la mise a mort, se presentent, non plus dans l'espace a deux dimensions, mais dans un ordre lineaire calquant la suc- cession des unites linguistiques dans l'enonce. Si la syntaxe est de type frangais, ou aura l'ordre roi + 1pieu + lion; si elle est de type latin roi + lion + dpieu. L'6criture, par opposition au pic-

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tural, apparait donc lorsque le graphisme 6pouse un trait proprement linguistique, qui varie de langue a langue, comme, ici, l'ordre de succes- sion des elements du discours. L'asservissement du pictural ia l'oral, c'est-at-dire la langue, sera plus net encore, 1 oai I'analyse de

l'experience se fait autrement d'une langue a l'autre, lorsque, par exemple, l'une dit, a la frangaise, traverser d la nage, et I'autre, a l'anglaise, swim across et que le graphisme reproduit chacune des analyses.

Si nous percevons et d6finissons une langue comme un ins- trument de communication doublement articule, l'iddographie pure, que nous venons d'esquisser, consiste a reproduire picturalement la premiere articulation, celle de l'experience en monemes suc- cessifs. La chose, on le sait, n'est pas simple: it chaque unit6

significative de la langue ne correspond pas necessairement une r6alite visuellement perceptible, et c'est lit que s'impose le recours a l'homophonie: on fera, par exemple, usage du dessin d'une tente pour noter tante, ou celui de l'insecte cousin pour representer le parent homophone. Engage sur cette voie, on aboutira au rebus selon lequel couvert sera repr6sent6 par la succession des dessins d'un cou et d'un verre. On quitte alors l'iddographie pure puisque intervient la phonie. De proche en proche, on peut aboutir au

syllabaire, c'est-a-dire ia la constitution d'un systeme de signes ne faisant plus correspondre un graphisme a une valeur signifide, mais uniquement ia une realiti phonique. Ceci sera d'autant plus tentant que le systeme graphique aura et6 emprunt6 par une communaute linguistique ta une autre: le dessin d'une tente pour tante fait un sens pour les francophones, mais aucun pour un Allemand qui dit Zelt pour << tente >> et pour qui, donc, le choix du graphisme representant une tente, pour noter la tante est par- faitement arbitraire et immotiv6.

Le syllabaire et, avant lui, le rebus, fait intervenir la deuxieme articulation du langage, celle de la face perceptible du moneme en unites distinctives depourvues de signification, avec toutefois cette restriction que ces unites, les phonemes, n'y apparaissent pas isoldes les unes des autres, sauf lorsque, presque par accident, la syllabe se reduit it une voyelle. Rappelons-nous qu'une consonne, par definition, n'existe qu'en combinaison avec autre chose, un son vocalique. On ne la prononce pas seule. Ou, alors, elle devient un bruit qui perd son identit6 linguistique. Pousser inconsciem- ment l'analyse de la phonie au-delai de la syllabe n'est pas rare,

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comme l'atteste la pratique de la rime et de l'assonnance, mais ceci n'aboutit pas a mettre sur le mime plan la voyelle et la consonne, ce que va impliquer la graphie proprement alphabetique.

II faut, semble-t-il, un concours assez particulier de circons- tances pour qu'on y parvienne. Un tel concours s'est produit, au premier millknaire avant notre ere, dans les zones orientales du bassin m6diterranden, au contact de populations cananeennes et de navigateurs hellenophones. On est tent6 de croire qu'il est historiquement le seul de son espece et que les alphabets que nous connaissons se sont tous inspirds, en derniere analyse, de

l'alphabet grec. <<S'inspirer>>, ici, n'implique pas une imitation servile des formes du graphisme, mais bien l'adoption du principe que consonnes et voyelles doivent faire l'objet du mime traite- ment graphique, qu'ils sont, les uns et les autres, des phonemes, et qu'a chaque phoneme correspond un signe graphique de meme type. Ce qui, au depart, a etd d6cisif, est moins la structure lin- guistique du grec qui, en la matibre, n'est pas exceptionnelle, que celle des langues semitiques. On sait que, dans ces derniares, I'identitd lexicale est essentiellement assurde par le squelette con- sonantique, le vocalisme 6tant affecte aux fonctions de flexion et de derivation: en arabe, <<tuer>> est qtl, qui est atteste sous des formes qatala <<il a tud ", qutila <<il a 6t6 tud ", mu-qdtil << qui cherche a tuer >>, ma-qtil << tu >>, etc. Un systeme ideographique cred a partir d'une telle langue aurait, sans doute, abouti 'a un caractere unique notant, par exemple, qtl, ind6pendamment de ses avatars flexionnels et d6rivationnels, ceux-ci, les prefixes, par exemple, pouvant &tre notis par des el6ments de syllabaire. En fait lorsque les Semites ont d6bord6 sur la M6sopotamie, ils y ont soumis les Sumeriens auxquels ils ont emprunte leur ecriture. Celle-ci, ideographique au depart, etait, en fait, devenue large- ment phonique, utilisant donc tres normalement des caracteres syllabiques. Dans ces conditions, qa et qu, ta et ti 6tant notes diff6- remment, l'identite lexicale des equivalents de qatala et qutila tait totalement masquie par la graphie, et la tentation pouvait appa- raitre d'identifier la graphie de ces deux formes en faisant abs- traction du vocalisme et en laissant au contexte le soin de signaler la diff6rence de sens.

C'est la' effectivement ce que l'on trouve dans la graphie phe- nicienne qui se reduit a un syllabaire de 22 signes notant les consonnes de la langue, abstraction faite de I'dl'ment vocalique

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de la syllabe. Chacun de ces signes a un nom qui ddbute par la consonne en cause. Le systeme s'apprend en r6citant les 22 noms dans un ordre determind.

L'exemple des runes scandinaves montre que, dans ces condi- tions, si l'initiale du nom est affectde par un changement phone- tique, la valeur du signe change egalement: la douzieme rune se nommait *jdr <annde >> et notait [i] non syllabique; *j- initial est tombe, *jar est devenu *ar; en consdquence, la rune a pris la valeur de /a/. La quatrieme rune etait designee comme *ansaz, la divinite dite <<ase >. Elle notait le phoneme /a/. Ulterieure- ment, le an-initial est passe a' une voyelle nasale [a] et la rune a d6sormais pris cette valeur. Ceci d'autant plus aisement que la douzieme rune 6tait desormais disponible pour /a/ (cf. Mar-

tinet, 1986, p. 91). Les voyelles n'etant jamais notees, on ne peut, pour le pheni-

cien aujourd'hui disparu, faire plus que des hypotheses relative- ment au vocalisme de ces formes. En nous inspirant du systeme graphique de I'h6breu, dont toutes les lettres, tres stylisdes, ont des formes tres particulieres, mais s'identifient une a une avec celles du ph6nicien, on risquera peut-ktre [9alep] ou [9ale4] pour le premier signe de la liste. Les Grecs l'ont reproduit sans la consonne du d6but qu'ils ne pratiquaient pas dans leur langue, sinon, peut- tre, comme une fagon possible d'attaquer une voyelle initiale. Le signe, designd desormais comme [ale4], a ete affectd a la notation du phoneme vocalique /a/.

Le cinquieme caractere de la liste, qu'on designera comme he en s'inspirant de son nom hebraique, a egalement perdu sa consonne initiale dans la bouche d'Ioniens deji affectes par la << psilose >, c'est-a-dire l'affaiblissement de 1' << aspiree >. D'oiu son utilisation pour noter /e/.

Le seizieme caractere, le eain de l'hebreu, notait une articula- tion consonantique voisde profonde que les Grecs ont identifide avec la voyelle r6tractde suivante et rendu comme un /o/.

On peut donc arguer de l'inexistence, chez les emprunteurs helleniques, de consonnes d'articulation profonde pour expliquer l'utilisation des signes correspondants pour noter les voyelles /a/, /e/ et /o/ du grec. Mais il y avait, nous allons le voir, des

pric'dents semitiques. Le sixieme et le onzikme caracteres de la liste, wau et yod,

notaient respectivement les <<semi-voyelles>> /w/ et /j/. C'est

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probablement du fait de leur emploi pour noter le second ilement, non syllabique, d'anciennes diphtongues aw et ay passees a [6] et a [e], qu'on les a retenus en tant que marques de voyelles fermees longues, comme /i/ et / i/. Il y avait donc 1a un prec6- dent dont les Grecs ont pu s'inspirer pour utiliser ces deux carac- teres aussi bien pour les non-syllabiques /w/ et /y/ que pour les syllabiques /u/ et /i/, longs, mais aussi brefs. Plus tard, on

sp6cialisera deux variantes du wau, Y et F, pour distinguer entre la voyelle et la non-syllabique. On a hisiti, en grec, pour noter /i/, entre une forme complexe rappelant celle du phinicien, et la simple barre verticale. Celle-ci a fini par l'emporter sans que la question se soit posee de distinguer entre la voyelle et autre chose puisque le phoneme *y de l'indo-europeen avait, en grec, gendralement disparu en tant que tel.

Si le passage de l'usage phenicien '& celui du grec ne saurait etre mis en doute et si l'on en saisit assez bien les conditionne- ments, ce qu'on sait moins ce sont les anticedents du syllabaire phenicien et, plus gendralement, cananden, et notamment, d'oii derive la forme des caracteres et ai partir de quel systeme plus complexe a 6te realisde la reduction salutaire qu'il represente. Si l'on doit, comme on le pense, partir d'un systeme ideogra- phique initial, on peut hesiter entre le sumerien et l'6gyptien. L'aspect gendral du graphisme cananeen ferait plut6t penser a des antecedents gyptiens et c'est ce que tendraient 'a confirmer les inscriptions proto-sinaitiques datant du deuxieme millenaire, dont, toutefois, l'interpretation reste sujette a caution. Beaucoup plus siure est la documentation ougaritique de Ras Shamra, sur la c6te syrienne, qui, au XIVe et XIIIe siecles avant notre 're, offre un syllabaire a vocalisme neutralis6 de trente caracteres de style cuneiforme, ce qui suggere une origine mesopotamienne. Le nombre plus elev% de signes, trente au lieu de vingt-deux, temoigne, dans le parler semitique local, a cette epoque, de l'existence de phonemes consonantiques 6liminds dans les variteds canandennes plus tardives, mais peut-etre aussi de l'utilisation de ce systeme pour la notation du hourrite qui se parlait, en concurrence avec le semitique, dans l'importance place commerciale d'Ougarit.

Il ne faut pas se hater de supposer des origines totalement distinctes pour les graphies ougaritiques et les graphies cananeennes

ultdrieures, du fait de l'aspect cuneiforme des premieres, plus lindaires des secondes. L'histoire des ecritures temoigne que ce

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qui compte, en la matikre, est la nature des rapports entre les

6lements phoniques et la fagon d'expliciter ces rapports dans la

graphie, bien plus que les formes adopt&es pour representer les unites. L'experience montre que n'importe quel 6colier peut, sur le module de la graphie latine qu'on lui a enseign6e, attribuer a chaque phoneme de la langue une nouvelle forme, soit en inter-

changeant les formes existantes, soit en en cr6ant de nouvelles. On sait aujourd'hui qu'il suffit de savoir qu'un probleme est soluble, pour qu'on en retrouve la solution. La tentation d'identifier les

graphies d'un meme 6l6ment lexical devait &tre si forte chez tous les usagers des langues simitiques qu'il pouvait suffire que soit << dans l'air. l'idee d'un syllabaire ia vocalisme neutralisi pour que diff6rentes versions de celui-ci apparaissent dans tous les coins du domaine.

BIBLIOGRAPHIE

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