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L’analyse d’implantation des interventions en sante ´ et se ´curite ´ au travail Implementation analysis of health and safety interventions J.-B. Fassier a,b *, M.-J. Durand b a Service des maladies professionnelles, centre hospitalier Lyon sud, hospices civils de Lyon, 69310 Pierre-Be ´nite, France b Centre d’action en pre ´vention et re ´adaptation de l’incapacite ´ au travail (CAPRIT), universite ´ de Sherbrooke, 1111 Saint-Charles Ouest, Suite 101, Longueuil, Que ´bec J4K 5G4 Canada Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Summary Aim of the study. The development of occupational heath and safety (OHS) interventions (or programs) is growing in France in relation with the planning process of national and regional occupa- tional health plans. Evaluating these interventions is mandatory and can call for different approaches. The aim of the study is to define and illustrate the importance of implementation analysis of OHS inter- ventions. Method. A narrative review has been conducted in the domain of program evaluation with a focus on OHS interventions. Results. The implementation of OHS interventions is influenced by several factors of the inner context of the workplaces in which these interventions are implemented (social climate, management, OHS culture, production process, etc.). Other factors are from the outer context of the workplaces (relations with labour administration, with the workers compensation board, degree of economic competition, etc.). All these factors are likely to influence the degree of imple- mentation and hereby the effects of planned OHS interventions. Conclusion. It is crucial to perform an implementation analysis of an OHS intervention prior to evaluating its effects in order to ascertain that it has been implemented accordingly to what was planned. A variation in implementation is likely to influence its effects and lead to a false conclusion as regard its (un)effectiveness. ß 2010 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Program evaluation, Occupational health, Health plan- ning Re ´sume ´ But de l’e ´tude. La mise en œuvre d’interventions (ou programmes) en sante ´ et se ´curite ´ au travail se de ´veloppe en France avec la de ´marche de planification engendre ´e par les plans nationaux et re ´gionaux de sante ´ au travail. L’e ´valuation de ces interventions est incontournable et peut faire appel a ` diffe ´ rentes approches. Le but de l’e ´ tude est de de ´ finir et d’illustrer l’importance de l’analyse d’implan- tation des interventions en sante ´ et se ´curite ´ au travail. Me ´thodes. La me ´thode utilise ´e est une revue narrative de la litte ´rature dans le domaine de l’e ´valuation de programmes, centre ´e sur les interventions en sante ´ et se ´curite ´ au travail. Re ´sultats. L’implantation des interventions en sante ´ et se ´curite ´ au travail est influence ´e par de nombreux facteurs qui appartiennent au contexte interne des entreprises dans lesquelles elles sont mises en œuvre (climat social, management, culture en sante ´ et se ´curite ´, processus de production, etc.). D’autres facteurs d’influence sont situe ´s au niveau du contexte exte ´rieur a ` l’entreprise (relations avec l’admi- nistration du travail, avec les professionnels de sante ´, avec l’assurance maladie, degre ´ de compe ´tition e ´conomique, etc.). Tous ces facteurs sont susceptibles de faire varier de fac ¸on importante le degre ´ d’implan- tation effective et les effets des interventions planifie ´es. Conclusion. Il est impe ´ ratif d’e ´ valuer le degre ´ d’implantation d’une intervention en sante ´ et se ´curite ´ au travail avant d’en e ´valuer les effets pour s’assurer qu’elle a e ´te ´ mise en œuvre conforme ´ment aux pre ´visions. Une variation dans l’implantation peut influencer la production des effets et faire conclure a ` tort qu’une intervention est efficace ou inefficace. ß 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits re ´serve ´s. Mots cle ´s : E ´ valuation de programmes, Sante ´ au travail, Planification sanitaire * Auteur correspondant. e-mail : [email protected] Rec ¸u le : 13 octobre 2009 Accepte ´ le : 16 janvier 2010 Me ´moire 102 1775-8785X/$ - see front matter ß 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits re ´serve ´s. 10.1016/j.admp.2010.02.022 Archives des Maladies Professionnelles et de l’Environnement 2010;71:102-107

L’analyse d’implantation des interventions en santé et sécurité au travail

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L’analyse d’implantation des interventions ensante et securite au travail

Implementation analysis of health and safety interventions

J.-B. Fassiera,b*, M.-J. Durandb

a Service des maladies professionnelles, centre hospitalier Lyon sud, hospices civils de Lyon,69310 Pierre-Benite, Franceb Centre d’action en prevention et readaptation de l’incapacite au travail (CAPRIT),universite de Sherbrooke, 1111 Saint-Charles Ouest, Suite 101, Longueuil, Quebec J4K 5G4Canada

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

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Recu le :13 octobre 2009Accepte le :16 janvier 2010

Memoire

SummaryAim of the study. The development of occupational heath and

safety (OHS) interventions (or programs) is growing in France in

relation with the planning process of national and regional occupa-

tional health plans. Evaluating these interventions is mandatory and

can call for different approaches. The aim of the study is to define and

illustrate the importance of implementation analysis of OHS inter-

ventions.

Method. A narrative review has been conducted in the domain of

program evaluation with a focus on OHS interventions.

Results. The implementation of OHS interventions is influenced by

several factors of the inner context of the workplaces in which these

interventions are implemented (social climate, management, OHS

culture, production process, etc.). Other factors are from the outer

context of the workplaces (relations with labour administration, with

the workers compensation board, degree of economic competition,

etc.). All these factors are likely to influence the degree of imple-

mentation and hereby the effects of planned OHS interventions.

Conclusion. It is crucial to perform an implementation analysis of

an OHS intervention prior to evaluating its effects in order to

ascertain that it has been implemented accordingly to what was

planned. A variation in implementation is likely to influence its

effects and lead to a false conclusion as regard its (un)effectiveness.

� 2010 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Keywords: Program evaluation, Occupational health, Health plan-ning

* Auteur correspondant.e-mail : [email protected]

102

1775-8785X/$ - see front matter � 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves.10.1016/j.admp.2010.02.022 Archives des Maladies Professionnelles et de l’Environnement 20

ResumeBut de l’etude. La mise en œuvre d’interventions (ou programmes)

en sante et securite au travail se developpe en France avec la

demarche de planification engendree par les plans nationaux et

regionaux de sante au travail. L’evaluation de ces interventions est

incontournable et peut faire appel a differentes approches. Le but de

l’etude est de definir et d’illustrer l’importance de l’analyse d’implan-

tation des interventions en sante et securite au travail.

Methodes. La methode utilisee est une revue narrative de la

litterature dans le domaine de l’evaluation de programmes, centree

sur les interventions en sante et securite au travail.

Resultats. L’implantation des interventions en sante et securite au

travail est influencee par de nombreux facteurs qui appartiennent au

contexte interne des entreprises dans lesquelles elles sont mises en

œuvre (climat social, management, culture en sante et securite,

processus de production, etc.). D’autres facteurs d’influence sont situes

au niveau du contexte exterieur a l’entreprise (relations avec l’admi-

nistration du travail, avec les professionnels de sante, avec l’assurance

maladie, degre de competition economique, etc.). Tous ces facteurs

sont susceptibles de faire varier de facon importante le degre d’implan-

tation effective et les effets des interventions planifiees.

Conclusion. Il est imperatif d’evaluer le degre d’implantation d’une

intervention en sante et securite au travail avant d’en evaluer les

effets pour s’assurer qu’elle a ete mise en œuvre conformement aux

previsions. Une variation dans l’implantation peut influencer la

production des effets et faire conclure a tort qu’une intervention

est efficace ou inefficace.

� 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves.

Mots cles : Evaluation de programmes, Sante au travail, Planificationsanitaire

10;71:102-107

analyse d’implantation des interventions en sante et securite au travail

L a premiere partie de cet article est consacree a definirles principaux concepts relatifs a l’evaluation des inter-ventions de sante pour decrire, ensuite, le domaine

particulier de l’analyse d’implantation. La seconde partieest une revue narrative des barrieres et facilitateurs al’implantation des interventions de sante au travail decritsdans la litterature.

L’

Principaux concepts en evaluation desinterventions (programmes) de sante

Cadre francais de planification des actions en santeau travail

La planification sanitaire est definie comme « le processuscontinu de prevision de ressources et de services requis pouratteindre des objectifs determines selon un ordre de prioriteetabli permettant de choisir la ou les solutions optimalesparmi plusieurs alternatives » [1]. En France, la loi de santepublique du 9 aout 2004 a inaugure une nouvelle ere deplanification sanitaire avec une centaine d’objectifs quantifieset definis a partir d’une evaluation des principaux problemesde sante de la population [2]. Une demarche similaire a eteadoptee dans le champ de la sante au travail avec l’elabora-tion du plan sante-travail 2005–2009 definissant 23 actionsorganisees autour de quatre objectifs structurants. Ces prio-rites ont ete declinees dans chaque region en plans regionauxde sante au travail (PRST) sous l’egide des Directions regio-nales de l’emploi et de la formation professionnelle (DRTEFP).Conformement aux obligations reglementaires qui imposentle suivi des objectifs poursuivis (loi organique relative aux loisde finances : LOLF), les actions et programmes mis en œuvredans le cadre des PRST doivent etre evalues au moyen d’indi-cateurs appropries.

Evaluation des programmes de sante

Un programme de sante est defini comme un ensembleorganise, coherent et structure d’activites et de servicesrealises avec les ressources necessaires dans le but d’atteindredes objectifs determines en rapport avec un probleme desante ou un probleme social precis, et ce, pour une populationdefinie [1]. De facon plus concrete, un programme peut etredefini par plusieurs composantes : ses objectifs, les ressourcesutilisees, les activites et les services mis en œuvre et enfin leseffets produits par ce programme. L’evaluation des interven-tions de sante correspond au fait de porter un jugement devaleur sur les differentes composantes precedemment citees[3]. On parle d’evaluation normative lorsque ces composantessont comparees a des reperes issus de normes (scientifiques,reglementaires, sociales, culturelles, etc.). Il s’agit alors deverifier la conformite ou l’ecart d’un programme (en termesde structure, de processus et de resultats) par rapport a desnormes de reference. Dans une approche differente, la recher-

che evaluative porte sur l’analyse des relations entre lesdifferentes composantes d’une intervention. Elle cherche aevaluer les relations de causalite entre ces composantes etleurs effets avec des methodes scientifiquement validees. Il ya six grands domaines au sein de la recherche evaluative quis’interessent a des questions differentes : l’analyse strate-gique, l’analyse logique, l’analyse de la productivite, l’analysedes effets, l’analyse du rendement et l’analyse de l’implanta-tion [3]. Bien qu’il existe une grande variete d’approches et demethodes dans le champ de l’evaluation, la majeure partie desarticles publies dans la litterature scientifique portent surl’analyse des effets des interventions dans une approched’epidemiologie interventionnelle [4]. Plusieurs auteurs ontdeplore cette lacune et insistent sur la necessite de docu-menter le contexte dans lequel les interventions sont misesen œuvre [5–7].

Influence du contexte sur l’implantation desinterventions en sante au travailL’influence du contexte dans lequel une intervention estdeveloppee sur son niveau d’operationnalisation et sur seseffets est connue de longue date [8,9]. Cette influence estrepresentee de facon schematique sur la figure 1. Or, selonBerthelette et al., l’evaluation des interventions dans ledomaine de la sante au travail porte tres rarement surl’implantation de ces interventions [4]. D’autres auteurs ontsouligne que les etudes originales sur les programmes deretour au travail mentionnent rarement le contenu exact desinterventions et leur degre de mise en œuvre [5,10,11]. Ce faibledeveloppement de la recherche evaluative en sante au travailentraıne plusieurs lacunes quant a l’evaluation des theoriessous-jacentes aux interventions, a leur niveau reel d’opera-tionnalisation et a leurs possibilites de generalisation ad’autres contextes que le cadre experimental dans lequelelles ont ete conduites [4]. De plus, ces lacunes ne permettentpas d’eliminer un risque d’erreur de type 3 correspondant aufait de juger une intervention comme etant efficace ouinefficace alors qu’elle n’a pas ete implantee conformementau modele prevu [12]. Afin de se premunir contre ce risqued’erreur, Fixsen et al. suggerent de n’effectuer l’evaluation deseffets qu’apres avoir evalue l’implantation d’une interventionlorsque cette derniere fonctionne sur une base regulieredepuis plusieurs mois, voire plusieurs annees [6].

Analyse d’implantation des programmes de sante

L’analyse de l’implantation des programmes est definiecomme : « l’appreciation des interactions entre le processusde l’intervention et le contexte d’implantation dans la pro-duction des effets » [3]. Certains auteurs distinguent troistypes differents d’analyse d’implantation [13]. Le type 1 evaluel’influence du contexte sur le degre de mise en œuvre del’intervention. Le type 2 evalue l’influence de la variation demise en œuvre sur les effets produits. Le type 3 evalue

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J.-B. Fassier, M.-J. Durand Archives des Maladies Professionnelles et de l’Environnement 2010;71:102-107

Figure 1. Representation schematique de l’influence du contexte surl’implantation des interventions de sante et securite au travail dans lesentreprises.

l’influence de l’interaction entre l’intervention et son contextesur les effets observes. Ce type d’evaluation peut recourir ades strategies de recherche differentes telles que les etudesde cas, des enquetes ou encore des strategies d’experimenta-tion. L’analyse d’implantation a pour interet d’augmenter lavalidite externe des resultats en precisant les conditions degeneralisation d’une intervention dans d’autres milieux. Enidentifiant les facteurs contextuels qui sont favorables ou, aucontraire, defavorables a l’integrite de l’intervention, l’analysed’implantation permet d’ameliorer cette intervention et demaximiser les resultats produits. Dans ce domaine particulierde la sante au travail, certains auteurs se sont attaches aetudier l’influence du contexte organisationnel des entrepri-ses sur l’implantation des interventions en sante au travail[14–20]. D’autres auteurs ont etudie plus specifiquementl’influence du contexte sur le developpement des strategieset l’implantation des programmes de retour au travail [21–24].Les constats effectues par ces auteurs sont developpes dans lasection suivante. La nature et les niveaux des barrieres etfacilitateurs a l’implantation des interventions en sante autravail sont recapitules dans le tableau I.

Revue narrative des facteurs quiinfluencent l’implantation desinterventions en sante au travail

Implantation des interventions de sante au travail

Dans le domaine de l’ergonomie participative, Saint Vincentet al. ont dresse un bilan a partir de dix ans d’experience dansdes entreprise au Quebec [18]. Les interventions avaient pourobjectif de reduire les risques de troubles musculosqueletti-ques (TMS) en faisant appel a la participation des acteurs del’entreprise et en s’appuyant sur la comprehension des situa-tions de travail par les operateurs eux-memes. Parmi les

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facteurs facilitant l’implantation des solutions ergonomiques,les auteurs mentionnent les elements suivants :� la participation des travailleurs a la conception etl’organisation des postes de travail ;� la qualite du dialogue et des relations dans l’entreprise ;� les besoins ressentis par la direction des entreprises ;� la correspondance des amenagements ergonomiquesproposes avec d’autres projets strategiques.A l’inverse, les barrieres identifiees sont les suivantes :� des relations hierarchiques fortes avec une faible partici-pation des travailleurs ;� le manque de confiance ou des relations tendues entre lesdifferentes categories professionnelles ;� le manque de conviction de la direction ;� le manque de temps des cadres intermediaires et de lahierarchie de proximite.Toujours au Quebec, Baril-Gingras et al. ont conduit une etudede cas multiple a partir de sept interventions en sante autravail pour rendre compte de l’influence du contexte del’etablissement sur l’issue des interventions [14–16]. Lesauteurs ont elabore un modele theorique decrivantl’ensemble des determinants des entreprises (contexteintra-organisationnel) et de leur environnement (contexteextra-organisationnel) influencant le processus et les effetsdes interventions etudiees. A partir des sept cas etudies, lesauteurs soulignent qu’un facilitateur essentiel au succes desinterventions reside dans la capacite d’action collective destravailleurs leur permettant de faire valoir les enjeux de santeau travail parmi les priorites de l’entreprise. En conclusion, lesauteurs soulignent que la conduite d’interventions en santeau travail dans les entreprises est un processus eminemmentsocial dont les etapes et les effets sont dependants desrelations entre les acteurs, que ces relations soient formellesou informelles. Selon les auteurs, toute modification desconditions de travail met en jeu des processus sociaux etpolitiques dans l’entreprise au-dela des simples aspects tech-nologiques.En France, Daniellou et al. ont conduit une recherche-action pour identifier les determinants de la preventiondurable des TMS dans les entreprise [19]. Les facilitateursidentifies a la prevention durable des TMS etaient lessuivants :� l’engagement clair de la direction ;� la mise a disposition des ressources necessaires (temps ;formation ; delegation de pouvoir) ;� la coordination entre les differents services de l’entreprise ;� des relations suivies avec les acteurs externes del’entreprise (service prevention de l’assurance maladie ;direction du travail etc.).A l’inverse, les barrieres identifiees etaient les suivantes :� l’absence d’engagement ou l’instabilite de la direction(changements frequents de directeur) ;� le manque de ressources ;

L’analyse d’implantation des interventions en sante et securite au travail

Tableau IBarrieres et facilitateurs a l’implantation d’interventions en sante et securite au travail dans les entreprises.Barrieres FacilitateursContexte externeManque de coordination de l’entreprise avec les acteurs externes Relations suivies avec les acteurs externes de l’entrepriseImplication insuffisante de certains medecins du travail Intervention de l’assurance maladieConcurrence et restructurations Obligations reglementairesComplexite du droit social Implication des professionnels de la sante au travail

Contexte interneDirection

Manque de conviction de la direction Implication et engagement explicite de la haute directionAbsence d’engagement explicite ou instabilite de la direction) Perception d’un probleme faisant rechercher des solutions

aux lesions professionnellesDelegation des responsabilites a d’autres intervenants Besoins ressentis par la directionPratiques de contestation des accidents du travail et des

maladies professionnellesInteret financier a diminuer les cotisations a l’assurancemaladie

Organisation du travail et methodes de managementRelations hierarchiques fortes avec une faible participation

des salariesParticipation des salaries a la conception et l’organisationdes postes de travail

Manque de temps des cadres intermediaires et de lahierarchie de proximite

Coordination entre les differents services de l’entreprise

Activites de production variees et complexes limitant lesamenagements ergonomiques

Absence de communication entre les differents servicesde l’entreprise

Recours a des pratiques de sous-traitance

Relations socialesManque de confiance, relations tendues ou conflits entre

categories professionnellesQualite du dialogue et des relations dans l’entreprise

Developpement d’un comite de pilotage gere de faconparitaire

EntrepriseFaible taille de l’entreprise reduisant la disponibilite des postes

de travail allegesCorrespondance des actions proposees avec d’autres projetsstrategiques

Manque de ressources Dynamisme et sante financiere de l’entrepriseFaible culture organisationnelle en sante et securite au travail Culture organisationnelle developpee en sante et securite

au travailPriorite accordee dans les conventions collectives aux seniors

pour les postes de travail allegesMise a disposition des ressources necessaires (temps ;formation ; delegation de pouvoir)

SalariesAttitude negative de la hierarchie de proximite ou des

representants syndicauxFormation et appropriation de la demarche par la hierarchiede proximite

Difficultes aupres des collegues de travail Empathie des gestionnaires de dossiers et attitude favorabledes representants syndicaux

Formation insuffisante en sante au travail decertains correspondants des CHSCT

Experience et implication active des representants dessalaries pour la sante au travailCapacite d’action collective des salaries leur permettant defaire valoir les enjeux de sante au travail parmi les prioritesde l’entreprise

� les conflits entre differentes categories professionnelles ;� l’absence de communication entre les differents servicesde l’entreprise ;� la faible participation des salaries a l’organisation du travail ;� la formation insuffisante en sante au travail de certainscorrespondants des CHSCT ;

� l’implication et/ou la formation insuffisante de certainsmedecins du travail ;� le cloisonnement entre la conception et l’execution dutravail ;� le manque de coordination de l’entreprise avec les acteursexternes et notamment les professionnels de sante.

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J.-B. Fassier, M.-J. Durand Archives des Maladies Professionnelles et de l’Environnement 2010;71:102-107

En somme, ces etudes sur l’implantation des programmes desante au travail insistent sur l’influence du contexte intra-organisationnel des entreprises qui determine le degred’implantation de ces interventions, en lien avec les elementsdu contexte externe. Dans toutes les etudes, la qualite duclimat social dans l’entreprise et l’engagement de la directionsont identifies comme des determinants essentiels quiinfluencent l’implantation des programmes de sante au tra-vail.

Cas particulier des programmes de retour au travailDans le domaine des programmes de retour au travail (return-to-work programs), quelques auteurs ont etudie l’influence ducontexte des entreprises et de leur environnement surl’implantation des activites prevues par ces programmes.Au Quebec, Baril et Berthelette ont conduit une etude decas multiple pour analyser en profondeur les pratiques demaintien du lien d’emploi des travailleurs atteints de TMS[21,25]. A partir de l’analyse des entrevues conduites aupresdes acteurs de 16 entreprises appartenant a plusieurs secteursd’activite, les auteurs ont propose un modele theorique desdeterminants organisationnels de l’implantation des inter-ventions de maintien du lien d’emploi [21]. Selon ce modele,les determinants peuvent agir a titre de barrieres ou defacilitateurs. Certains determinants sont situes au niveaude l’entreprise (taille et secteur d’activite ; culture en santeet securite au travail, regles hierarchiques ; organisation dutravail ; relations entre les acteurs de l’entreprise). D’autresdeterminants sont situes a l’exterieur de l’entreprise : il s’agitdes correspondants externes en sante et securite au travail(assurance maladie ; organismes conseils tels que les asso-ciations sectorielles paritaires ; medecins traitants etc.). Lesfacilitateurs sont identifies par les auteurs a differentsniveaux. Au niveau de l’employeur, les facilitateurs sont laperception d’un probleme faisant rechercher des solutionsaux lesions professionnelles, l’implication de la haute direc-tion et l’interet financier a diminuer les cotisations pourl’assurance maladie. Au niveau des travailleurs, les facilita-teurs sont le developpement d’un comite de pilotage gere defacon paritaire, l’empathie des gestionnaires de dossiers etl’attitude favorable des representants syndicaux. Au niveaudes caracteristiques de l’entreprise, les facilitateurs sont uneculture organisationnelle developpee en sante et securite autravail, le dynamisme et la sante financiere de l’entreprise etdes relations de collaboration entre les differents acteurs. Auniveau du contexte externe, les facilitateurs sont l’interven-tion de l’assurance maladie et des mesures reglementairess’imposant aux salaries et/ou a la direction.Les barrieres sont egalement identifiees a differents niveaux.Au niveau de l’employeur, les barrieres sont des pratiques decontestation des accidents du travail et maladies profession-nelles et le recours a des pratiques de sous-traitance. Auniveau des salaries, les barrieres sont la priorite accordee

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dans les conventions collectives aux seniors pour l’occupationdes postes de travail alleges, l’attitude negative de la hierar-chie de proximite et l’attitude negative des representantssyndicaux. Au niveau des caracteristiques de l’entreprise, lesbarrieres sont : une faible taille de l’entreprise reduisant ladisponibilite des postes de travail alleges, une faible cultureorganisationnelle en sante et securite au travail et des conflitsdans l’entreprise. Au niveau du contexte externe, les barrieressont un secteur d’activite economique fortement concurren-tiel et des restructurations frequentes dans ce secteur.Une synthese des evidences scientifiques tirees des etudesqualitatives sur les programmes de retour au travail a souli-gne un certain nombre de facilitateurs determinant le succesde ces programmes [26]. Les facilitateurs identifies sont lessuivants :� des conditions de bonne volonte et de confiance mutuelle ;� l’implication active des syndicats et de leurs representants ;� la formation et l’implication de la hierarchie de proximitesur les questions de sante au travail ;� l’implication des professionnels de la sante au travailfaisant le lien entre les entreprises et le systeme de sante.En termes de barrieres, les etudes qualitatives mettent enlumiere les nombreuses difficultes que les salaries rencon-trent face a la complexite des organismes de protectionsociale a un moment ou ils se sentent vulnerables et peuconfiants en eux-memes [26–29]. Ils peuvent egalement ren-contrer des difficultes aupres de leurs collegues de travaildont les taches sont parfois perturbees par l’assignation d’untravail modifie [27]. Certains salaries ont decrit le sentimentde ne pas etre ecoutes ou d’etre culpabilises dans le cadre deleur consultation aupres des professionnels de sante ce quiconstitue pour eux une barriere dans le processus de retour autravail [29,30].

Conclusion

L’influence du contexte sur l’implantation et les effets desprogrammes de sante au travail est soulignee par de nom-breux auteurs. Il est imperatif d’evaluer le degre d’implan-tation d’une intervention en sante au travail avant d’enevaluer les effets pour s’assurer qu’elle a ete mise en œuvreconformement aux previsions. Une variation dans l’implan-tation peut en effet influencer la production des effets etfaire conclure a tort qu’une intervention est efficace ouinefficace. Dans le cas des actions et programmes mis enœuvre dans le cadre des PRST, il est important que leurevaluation soit discutee en amont entre les differentsacteurs concernes (DRTEFP, services de sante au travail,assurance maladie, etc.) de sorte a elaborer pour cetteevaluation une definition, des methodes et des objectifspartages. Il est egalement essentiel de laisser a ces actionsle temps suffisant pour qu’elles soient implantees avantd’en evaluer les effets.

L’analyse d’implantation des interventions en sante et securite au travail

RemerciementsLes auteurs remercient les institutions suivantes ayant contribue aufinancement de l’etude de faisabilite du modele de Sherbrooke enFrance dont cet article est issu : Chaire de recherche en readaptationau travail – Fondation J. Armand Bombardier – Pratt et WhitneyCanada ; centre de recherche de l’hopital Charles-LeMoyne(Longueuil, Quebec) ; caisse nationale d’assurance maladie destravailleurs salaries – direction des risques professionnels.Une partie de references ci-dessous est accessible directement enplein texte sur le site Internet de l’IRSST du Quebec (www.irsst.qc.ca)et de la revue PISTES : perspective interdisciplinaire sur le travail et lasante (www.pistes.uqam.ca).

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