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1 L'analyse systémique pour appréhender la soutenabilité. Application au secteur du logement. Valérie Renault Centre de Recherches et d’Etudes Interdisciplinaires sur le Développement Durable, Institut Charles Delaunay, Université de Technologie de Troyes. UMR 6279 CNRS Résumé : Le développement soutenable est aujourd'hui très présent dans toutes les sphères de la société, politique, médiatique et scientifique. Perçu comme un impératif devant une situation d'urgence, ce concept est devenu un véritable phénomène de société. Propulsé par le Sommet de la Terre à Rio en 1992, il a connu en presque 20 ans une évolution fulgurante accompagnée d'un éclatement de ses utilisations, rendant très confuse sa signification. En revenant aux origines du concept de développement soutenable, il apparaît être intimement lié à l'approche systémique. Or au cours de ces 20 dernières années, son institutionnalisation et sa diffusion médiatique l'ont fait dévier jusqu'à lui faire perdre son essence originelle. En repartant des principes de l'analyse systémique, il est possible de rationnaliser et modéliser le concept de développement soutenable et de prendre de la distance vis à vis de sa représentation institutionnelle, culturellement marquée, et n’impliquant que de faibles questionnements quant à l’essence des sociétés modernes industrialisées. En s'appuyant sur le secteur du logement social, la présentation visera à montrer une autre façon d'appréhender le développement soutenable, fondamentalement ancrée dans l'approche systémique et plaçant l'humain au centre de l'analyse. Nous verrons que les notions de liberté et de responsabilité apparaissent au premier plan avec des enjeux individuels, socioculturels, environnementaux et politiques. Institutions, réglementation, liberté et autonomie seront discutés au travers d'une approche sociologique du logement pour tenter de cerner de façon systémique, les enjeux cachés du développement soutenable. Introduction: Les dynamiques de la modernité 1 , dans laquelle vient s’ancrer notre développement, se caractérisent notamment par une urbanisation croissante, mettant la question du logement et de l’habitat en général au coeur des préoccupations institutionnelles. Les questions d’ordre culturel, symbolique, psychologique, social, environnemental, économique, politique et sanitaire, se croisent et interagissent au sein de la thématique du logement, d’où son intérêt, et l’importance d’une approche pluridisciplinaire. Afin de la traiter, il fallait une approche qui permette cette pluridisciplinarité. Quand on explore et étudie différentes expériences de développement soutenable dans des contextes 1 Parmi tous les sens donnés à la notion de modernité (rupture avec la tradition et le passé, rationalité, émancipation), nous retiendrons surtout la notion principale de changement et de réflexivité, considérant comme Antony Giddens que nous sommes plutôt dans une époque hyper-moderne que dans une post-modernité.

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L'analyse systémique pour appréhender la soutenabilité. Application au secteur du logement.

Valérie Renault Centre de Recherches et d’Etudes Interdisciplinaires sur le Développement Durable, Institut

Charles Delaunay, Université de Technologie de Troyes. UMR 6279 CNRS

Résumé: Le développement soutenable est aujourd'hui très présent dans toutes les sphères de la société, politique, médiatique et scientifique. Perçu comme un impératif devant une situation d'urgence, ce concept est devenu un véritable phénomène de société. Propulsé par le Sommet de la Terre à Rio en 1992, il a connu en presque 20 ans une évolution fulgurante accompagnée d'un éclatement de ses utilisations, rendant très confuse sa signification. En revenant aux origines du concept de développement soutenable, il apparaît être intimement lié à l'approche systémique. Or au cours de ces 20 dernières années, son institutionnalisation et sa diffusion médiatique l'ont fait dévier jusqu'à lui faire perdre son essence originelle. En repartant des principes de l'analyse systémique, il est possible de rationnaliser et modéliser le concept de développement soutenable et de prendre de la distance vis à vis de sa représentation institutionnelle, culturellement marquée, et n’impliquant que de faibles questionnements quant à l’essence des sociétés modernes industrialisées. En s'appuyant sur le secteur du logement social, la présentation visera à montrer une autre façon d'appréhender le développement soutenable, fondamentalement ancrée dans l'approche systémique et plaçant l'humain au centre de l'analyse. Nous verrons que les notions de liberté et de responsabilité apparaissent au premier plan avec des enjeux individuels, socioculturels, environnementaux et politiques. Institutions, réglementation, liberté et autonomie seront discutés au travers d'une approche sociologique du logement pour tenter de cerner de façon systémique, les enjeux cachés du développement soutenable. Introduction: Les dynamiques de la modernité1, dans laquelle vient s’ancrer notre développement, se caractérisent notamment par une urbanisation croissante, mettant la question du logement et de l’habitat en général au cœur des préoccupations institutionnelles. Les questions d’ordre culturel, symbolique, psychologique, social, environnemental, économique, politique et sanitaire, se croisent et interagissent au sein de la thématique du logement, d’où son intérêt, et l’importance d’une approche pluridisciplinaire. Afin de la traiter, il fallait une approche qui permette cette pluridisciplinarité. Quand on explore et étudie différentes expériences de développement soutenable dans des contextes

1 Parmi tous les sens donnés à la notion de modernité (rupture avec la tradition et le passé, rationalité, émancipation), nous retiendrons surtout la notion principale de changement et de réflexivité, considérant comme Antony Giddens que nous sommes plutôt dans une époque hyper-moderne que dans une post-modernité.

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très variés, il apparaît qu’elles ont quelque chose en commun, quelque chose d’impalpable, au-delà de critères économiques ou techniques. En effet, l’humain en action est d’une complexité inouïe et ne peut se résumer à des équations. Or, pour aborder la complexité, l’analyse systémique nous donne des clés et des outils oubliés par le réductionnisme positiviste. C’est donc l’approche qui a été choisie pour lire la soutenabilité d’un logement, dans toutes ses dimensions, en plaçant l’humain au centre de l’évaluation. Cet article présente un essai de lecture systémique du concept de développement soutenable et de son application au secteur du logement. L’étude s’est focalisée sur le système « logement » et le couplage entre le système d’acteurs (indicateurs qualitatifs) et le système technique du logement en lien avec l’écosystème (indicateurs quantitatifs). Ce texte a été rédigé suite à une présentation au colloque annuel de l’AFSCET et a ainsi pu être enrichi des commentaires suscités par la présentation orale. Il s’agit du produit d’une réflexion plus globale menée dans le cadre d’une thèse de doctorat.

1. Du développement au développement soutenable La notion de développement a émergé dans les années quarante dans le monde occidental, suite à la guerre mondiale, de façon connexe à la décolonisation. Dans un contexte de forte industrialisation et d’essor technologique et scientifique qui marqua cette époque, le développement s’associe alors à une forte croissance économique, à la production et à la consommation de masse, ainsi qu’à l’accès à un certain nombre d’infrastructures collectives comme l’électricité, la distribution de l’eau potable, et avec elles le téléphone, la télévision, les équipements électroménagers, etc. L’avènement de la notion de développement divise également le monde en deux : pays développés et pays non développés, auxquels vinrent s’ajouter (ou se substituer) les pays en voie de développement. Cet engouement qui s’est rapidement mondialisé a été porté par les nouvelles institutions internationales (ONU, APD, FAO, OIT, OMS, HCR2) ainsi que d’importantes ONG comme le CCFD3 qui virent le jour entre 1945 et 1975 dans le but de permettre à tous les pays d’accéder au même niveau de développement que les sociétés occidentales. Dès les années soixante pourtant, des voies se sont élevées d’une part pour dénoncer l’alibi qu’il donnait aux puissances occidentales pour intervenir dans les politiques étrangères, souvent à leur avantage, et d’autre part pour alerter des conséquences environnementales de ce type de développement. En 1972, le rapport Meadows du Club de Rome alerte la communauté scientifique et politique sur la non soutenabilité d’une croissance infinie et Ignacy Sachs, économiste, lance la notion d’éco-développement lors de la Conférence des Nations Unies sur l’Environnement (conférence de Stockholm). Cette conférence sera suivie de la création du PNUE (Programme des Nations Unies pour l’Environnement) et d’un cycle de Conférences internationales ou « Sommets de la Terre », Nairobi en 1982, Rio en 1992 et Johannesburg en 2002. Le Printemps silencieux de Rachel Carson, publié en 1962 contribua également très fortement à éveiller l’opinion publique aux problèmes environnementaux. Les grands mouvements de défense de l’environnement comme Terre des Hommes, Frères des Hommes, Greenpeace, Amis de la Terre et le WWF (World Wide Fund for nature) virent le jour et participèrent à la naissance de courants de pensée écologique portée ensuite par des auteurs comme Bertrand de Jouvenel, Ivan Illich, Ernst Friedrich Schumacher, Hans Jonas, qui seront suivis par bien d’autres4.

2 Organisation des Nations Unies, Agence Pour le Développement, Food and Agriculture Organisation, Organisation Internationale du Travail, Organisation Mondiale de la Santé, Haut Commissariat aux Réfugiés. 3 Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement. 4 On peut citer notamment Susan George, Majid Rahnema, Aminata Traoré, Vandana Shiva, toutes figures de l’altermondialisme.

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De Stockholm à Johannesburg, l’écodéveloppement devient le développement soutenable, au risque d’oublier sa dimension écologique et l’on distingue alors un éclatement des discours sur le changement à opérer, allant de la deep-ecology à la croissance durable… La représentation classique du développement soutenable, avec ses trois piliers que sont l’économie, l’environnement et le social (Figure 1), est une illustration de la confrontation de trois mondes : le monde de l’économie qui s’apparente aujourd’hui au monde de la finance, celui des défenseurs de l’environnement et celui des défenseurs des travailleurs et des classes sociales plus faibles (les syndicats notamment). Chacun de ces mondes a ses propres croyances, ses propres logiques et ses propres finalités. Comme le montre la figure 1, les trois piliers ne sont en réalités pas en équilibre mais plutôt imbriqués avec au centre un des piliers selon le positionnement idéologique de l’acteur ou de l’institution qui l’intègre à son discours.

La question de la culture est parfois ajoutée comme un quatrième pilier, afin de faire apparaître l’importance du contexte dans la mise en œuvre d’un développement soutenable. On trouve dans la littérature plusieurs essais de typologie des différentes perceptions de la durabilité (Boutaud 2005), mais l’on peut discuter du choix même des trois piliers, qui ne sont apparus que comme une manière de vulgariser la notion de sustainable development. Si l’on remonte aux sources de ce concept, c'est-à-dire au rapport Meadows ainsi qu’aux premiers auteurs à remettre en cause notre mode de développement, leur approche avait en commun de considérer la planète comme un tout indivisible aux ressources limitées, ce qui les a amenés à préconiser une gestion véritablement écologique de ces ressources. Leur analyse marquait ainsi une rupture avec l’idéologie dominante à l’époque, et jusqu’à aujourd’hui, selon laquelle plus de production, plus de technique, plus de consommation constituent en eux-mêmes les moteurs du

Economie

Environ.

Soc.

Figure 1 : les différentes nuances du développement soutenable

Économie Environnement

Social

vivable

équitable

viable

a. Le monde de l’économie et de la finance domine, partisan d’une croissance verte ou durable. On parle de durabilité faible.

b. Le social est prédominant, sans remettre en cause le modèle économique comme le commerce équitable dans la grande distribution ou le tourisme durable.

Social

Economie

Env.

d. L’environnement est dominant, suivi du social. ONG environnementale, mouvement écologiste, pour la décroissance ou la croissance zéro des pays riches. On parle de durabilité forte qui s’approche de la deep ecology.

Environnement

Social

Eco.

Social

Envir.

Eco.

c. Le social domine suivi de l’environnement. On y trouve les ONG humanitaires.

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progrès et du développement. Ainsi, le modèle des trois piliers, comme le fait remarquer Boulanger (P. Boulanger 2004), ne remet pas en cause le développement et la notion de progrès alors même que ces notions sont très marquées culturellement. Il en est de même pour les trois mondes que représentent chacun des trois piliers. La culture ne constituerait donc pas un quatrième pilier mais plutôt une position méta englobant le modèle des trois piliers lui-même.

2. Proposition de lecture systémique de la soutenabilité A partir de la critique précédente du modèle des trois piliers, et en s’appuyant sur les travaux d’éducation relative à l’environnement de René Passet (Passet 1997) et Lucie Sauvé (Sauvé 1999) et d’analyse de cycle de vie (Hofstetter 1998) notamment, il est possible de modéliser d’une façon plus systémique les enjeux de la soutenabilité.

Sphère humaine

Sphère économique

Biosphère

Figure 2 : Autres modélisations de la soutenabilité

a. Le modèle des trois sphères de René Passet (1997)

Soi

Les autres

L’environnement

b. Les trois sphères inter-reliées du développement personnel et social. Selon Lucie Sauvé (Sauvé 1999)

Technosphère

Socio sphère

c. Modèle des quatre sphères à prendre en comptes dans l’analyse de cycle de vie (ACV) selon Hofstetter (1998)

Métasphère

Ecosphère Technosphère

Socio sphère

Ecosphère

d. Modèle intégratif intégrant les sphères ego, socio, techno et eco (ou bio) sphères. La métasphère étant représentée par les lunettes.

Ego

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La figure 2 présente quelques autres représentations possibles et le modèle qui sera finalement retenu ici intégrant les autres (d.). On voit que le modèle d. de la figure 1 est le modèle se rapprochant le plus de celui proposé par René Passet (modèle a. figure 2), pour qui l’économie n’est qu’une partie limitée des préoccupations humaines. « Au-delà du champ où elles se développent, s'étendent les vastes domaines de la gratuité de l'affectivité, de l'esthétique, des convictions morales, philosophiques, religieuses. Ces valeurs en un mot par lesquelles les hommes donnent sens à leur vie. » (Passet 1997). Pour Hofstetter, l’évaluateur lui-même est animé par des valeurs qui vont conditionner son rapport aux différentes sphères (modèle c.). Il les regroupe donc dans la métasphère. Pour Lucie Sauvé, toutes les valeurs sont présentes dans notre relation avec nous-mêmes au cours du développement personnel, ainsi que dans notre relation aux autres et à notre environnement. Il y a sans doute une infinité de façons de modéliser la complexité du monde, et de la relation que l’humain entretien avec lui. Modéliser implique de faire des choix. Les choix faits ici sont les suivants :

- La sphère humaine de René Passet est divisée en sphères Ego (le Soi du Lucie Sauvé) et Socio, ce qui permet de placer l’humain responsable en tant qu’individu, au centre de tous les types de systèmes auquel il est confronté.

- L’économie n’apparaît pas en tant que sphère mais est implicitement contenue dans les relations entre les sphères humaines (Socio et Ego). Elle est donc omniprésente puisqu’elle représente les choix humains en matières de gestion des ressources et des liens sociaux.

- La méta-sphère est placée en position réellement meta au travers des lunettes. Elle concerne ainsi l’utilisateur du modèle, puisque nous sommes ici dans une démarche d’évaluation. Les valeurs et toute la symbolique humaine sont cependant présentes dans les relations des sphères humaines (socio et ego) entre elles et avec les autres sphères.

- La Technosphère est la sphère de l’artificiel, de la production humaine qui peut entrer compétition avec l’Eco ou Biosphère ou s’y intégrer (objectif de l’écologie industrielle).

Au travers de ce modèle, on peut analyser différents types de systèmes : les systèmes naturels présents dans la biosphère (sciences de l’environnement, de l’écologie, etc.), les systèmes techniques de la technosphère (analyse de cycle de vie, analyse de flux, etc.), les systèmes humans au niveau de la sociosphère (sociologie, analyse des organisations humaines, économie, etc.). Le niveau de l’individu ou ego-sphère est l’objet de disciplines complémentaires à l’analyse systémique (psychologie, développement personnel, sciences du comportement, impacts sanitaires, confort, etc.) puisqu’un individu seul ne fait pas système avec lui-même. L’objectif de ce modèle est de permettre d’élargir la vision de l’évaluateur à toutes les dimensions touchées par le projet à évaluer. « A l'élargissement d'une problématique s'ajoute l'approfondissement d'un regard. Et c'est très exactement ce qu'exprime la notion de transdisciplinarité , terme dans lequel le préfixe "trans" signifie conjointement "à travers" et "au-delà". Ce sont cet "à travers" et cet "au-delà" qui vont nous guider maintenant :

- dans la traversée des sphères qui englobent l'économie ; - dans un regard de la destruction créatrice qui nous conduit à replacer l'homme au coeur des

choses, l'homme de Protagoras "mesure de toutes choses", transcendant celles-ci et nous invitant à porter notre regard "au delà" de ce qu'elles sont ;

- dans la synthèse enfin de cet "à travers" et de cet "au delà" suscité au plan éthique par l'interrogation sur les responsabilités qui lui échoient en raison de ses nouveaux pouvoirs sur le monde et sur lui même. » (Passet 1997).

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L’analyse systémique a vu le jour à l’époque de l’après-guerre, au sein du MIT5. Elle a été l’objet de développements importants dans le secteur des automates, et de l’informatique, mais aussi en biologie, en sciences du comportement, etc. Nous renvoyons les lecteurs à l’abondante littérature qui existe déjà sur ce sujet (Donnadieu et al. 2003). Plusieurs définitions d’un système ont été proposées, la plus commune étant : « un ensemble d’éléments en interaction dynamique associés en fonction d’un but à atteindre ». Le Tableau 1 présente les principes systémiques tels qu’ils sont décrits dans la littérature et compilés par le groupe GIROS6 :

- la finalité du système, - les frontières ou limites du système, - le contexte du système, - la totalité ou globalité : le tout est différent de la somme des parties. Des modifications

d’une partie du système entraîne des modifications de tout le système, - les membres ou les éléments du système selon qu’il s’agit d’un système humain ou non, - la circularité : façon dont l’information circule au sein du système, - les échanges entre le système et son environnement : émission et réception de matière,

d’énergie et d’informations, - les règles qui régissent les relations entre les membres ou éléments du système, - la rétroaction positive ou négative qui consiste à réagir à une modification interne du

système en la compensant par son contraire (rétroaction négative), ou en la renforçant (rétroaction positive).

- L’homéostasie du système qui consiste à maintenir le système à un certain état d’équilibre. Cet équilibre peut être vital dans le cas d’une cellule, mais peut-être un frein à un changement nécessaire dans le cas d’une organisation. Elle n’est donc pas forcément le but à atteindre.

- Le mythe fondateur du système, dans le cas de systèmes humains. Il est implicite, parfois caché, mais joue un rôle essentiel dans les croyances des membres et dans le comportement global du système.

Dans le cas des organisations humaines, on peut, à l’aide de ces principes, caractériser un système selon qu’il est opérant ou non opérant. Par exemple, un système aux frontières fermées et rigides (sans ouverture possible dans le temps), où l’information circule mal entre les membres, où les règles sont très nombreuses et compliquées, non comprises par tous les membres et où la finalité n’est pas partagée par les membres sera non opérant. Afin de traiter de l’évaluation de la soutenabilité d’un système dans le temps (et donc dans son développement ou son évolution), nous devons prendre comme contexte la planète entière et ses caractéristiques (temps de régénération des éléments, cycles naturels, écosystèmes etc.). Le tableau 1 présente une façon de décliner les principes précédents pour le système dominant actuellement dans les sociétés occidentales dans un contexte mondialisé (colonne 2), et pour un hypothétique système soutenable (colonne 3). La colonne 3 correspond à un archétype de soutenabilité idéale, mais dans la réalité nous rencontrons tout un panel de combinaisons possibles mélangeant ces deux colonnes et pouvant tendre plutôt d’un côté ou plutôt de l’autre, même si la colonne 2 est aujourd’hui globalement dominante.

5 Massachussets Institute of Tehcnology. 6 Groupe d’intervention et de Recherche en Organisation des Systèmes, membre de l’association des systémiciens belges S&O (Systèmes et Organisations).

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Tableau 1 : Principes systémiques appliqués aux archétypes « système dominant » et « système soutenable » Principes systémiques

Système dominant Système soutenable

Système Difficile à identifier, globalisé ou revendiqué et exclusif7

Bien identifié, à taille humaine

Contexte pris en compte

Le marché, les lois économiques La planète (limitée) et le potentiel du contexte local

Finalité Croissance à court terme, rentabilité économique

Bien être humain à long terme (autonomie), cohésion sociale (équité) et préservation de l’environnement naturel

Frontières Diluées (circuits longs et opaques) ou fermées rigides (pratiques sectaires)

Ouvertes, circuits courts, transparents

Membres Culture globale (standardisation), individualisme8, confiance accordée aux experts et aux systèmes techniques, désengagement social et familial

Diversité culturelle, solidarité, confiance acteurs proches connus, engagement social et familial

Totalité Le tout = ou < somme des parties, taylorisme, rationalisation des organisations humaines

Le tout > somme des parties, valorisation de l’intelligence collective et de la coopération.

Circularité Top�down, rétention d’information, compétition

Réseau dynamique, transparence, complémentarité

Réception d’information

Hermétique aux informations qui viennent des autres types de système, refus de s’adapter

Grande attention donnée aux autres types de système pour mieux s’y adapter

Émission d’information

Flot d’informations non hiérarchisées, non intelligible, escalade des rapports de force ou relations de domination/soumission

Informations claires, compréhensibles, possibilité de méta-communiquer, pas de confusion entre les niveaux logiques

Règles Trop nombreuses ou inexistantes, en contradiction, rigides, instrument de contrôle, de pouvoir, de domination.

Peu nombreuses, avec un fondement logique, légitimes, clairement comprises, qui facilitent l’homéostasie.

Rétroaction Recherche des solutions aux crises dans leurs causes, pas de remise en question, pas d’adaptation. Les moyens deviennent la fin. Réflexivité non contrôlée.

Capacité à s’adapter, à réorienter les stratégies pour atteindre la finalité

Homéostasie Conflits, rapports de force déséquilibrés, perte de cohérence du système car pas de possibilité de retour à l’équilibre.

Alternance entre stabilité et changement pour maintenir l’équilibre général sur le long terme.

Mythe, Systèmes en compétition. Lutte pour La coopération est vitale. Chaque

7 Ici il s’agit des deux mouvements opposés qui se stimulent l’un l’autre, l’un tendant à la globalisation de la société humaine, les autres s’incarnant dans des revendications identitaires locales et rejetant les différences. 8 Ici l’individualisme, en termes systémiques, correspond au fait de se sentir affranchi des contraintes d’un système particulier et de revendiquer ses désirs individuels comme autant de droits.

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croyances la survie matérielle. Dominer ou être dominé. Grossir, croître, ou mourir.

élément a un rôle positif à jouer. Responsabilité forte vis-à-vis des autres systèmes. Importance des valeurs, des principes, de l’esprit.

Cette grille de lecture est un outil qui permet, en regardant chacun des principes et leur articulation, de comprendre le fonctionnement du système étudié et de le situer par rapport à ces deux extrêmes. Cependant, pour passer d’un type de système à un autre, de simples aménagements ne sont pas suffisants et c’est au travers de ces principes que l’ont peut comprendre de façon satisfaisante, la nature des changements à effectuer. Ainsi, créer de nouvelles réglementations dévolues aux problèmes environnementaux n’auront qu’un effet marginal si la cause systémique de ces problèmes, qui concerne plusieurs des principes systémiques (la finalité, les règles, etc.), n’est pas correctement identifiée et corrigée par un profond changement du système.

3. Application au logement social

Dans le secteur du logement, différents systèmes co-existent avec leur logique propre. Les multinationales du bâtiment, les PME d’artisans, les architectes, les bailleurs sociaux, les banques, les associations, les acteurs politiques au niveau national et au niveau des territoires, les familles, les groupes sociaux sont autant de systèmes d’acteurs qui se rencontrent et interagissent au sein de la problématique du logement. Ces interactions ont lieu aujourd’hui dans un contexte en crise qui peut être attribué au caractère non soutenable du système dominant. Les politiques environnementales et sociales en particulier sont cloisonnées. Le premier rapport ministériel qui traite du lien entre les misères écologique et sociale avec l’apparition de la notion d’inégalités écologiques, date de 2005(Diebolt et al. 2005). Ce cloisonnement est à l’image de la société dont la connaissance et les savoirs sont séparés en disciplines suffisamment distinctes pour que les experts de chacune d’elle ne communiquent ni ne se comprennent. Dominés par un objectif de rentabilité économique, les acteurs de la construction produisent du logement le plus rapidement possible, au prix le plus bas possible. De l’autre côté, les acquéreurs ont comme principal indicateur le rapport prix/surface. Les formations du secteur du bâtiment commencent tout juste à intégrer les techniques d’éco-construction et les éco-matériaux à leur cursus, et cela de façon optionnelle. Non répandus au sein des constructeurs et des fournisseurs, ces techniques et ces matériaux occasionnent un surcoût qui décourage facilement l’investisseur, et cela malgré les économies d’énergie potentielles sur le long terme, puisque l’investisseur n’est pas toujours le futur habitant. Plus profondément encore, le problème de l’urbanisation et avec lui celui de la localisation des activités économiques, a engendré plusieurs mécanismes de rupture :

- rupture avec la biosphère et les moyens de subsistance autonomes qu’elle fournit, - rupture avec une certaine culture du territoire (sa connaissance, son attachement, sa

préservation), - rupture avec une dynamique sociale de proximité.

Ainsi libéré ou déconnecté, selon le point de vue adopté, l’homme moderne ne peut se tourner pour

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répondre à ses besoins que vers le marché ou les pouvoirs publics9. Cette dépendance a pour effet d’accroître les inégalités, d’autant plus dans un contexte de chômage élevé où des groupes sociaux entiers deviennent particulièrement vulnérables. Concrètement, les listes de demande de logements sociaux s’allongent alors que ce que l’on a coutume d’appeler la trajectoire résidentielle stagne, c'est-à-dire que de moins en moins de foyers quittent le secteur social pour intégrer le parc privé (Ballain & Benguigui 2004). Ce phénomène ajouté à l’éclatement des familles (Bonvalet 2005) occasionne une demande en logement à laquelle les pouvoirs publics ne savent pas répondre. La combinaison de ces deux crises écologique et sociale dans un contexte de déficit budgétaire où la rigueur est de mise pose une question de fond : le système lui-même est en crise, quels changements pourraient lui permettre de sortir de cette impasse ? Les politiques mises en œuvre aujourd’hui peinent encore à intégrer à la fois la question sociale et environnementale mais dans les deux cas la réponse se fait par la réglementation, sans réelle remise en cause du système. En ce qui concerne l’environnement, la réglementation thermique se durcit, bien que les considérations de toxicités environnementales et sanitaires restent du domaine du volontariat avec le développement de bases de données sur l’impact des produits de construction, et d’observatoires tels que l’Observatoire de la Qualité de l’Air Intérieur (OQAI). Quant au social, l es aides accordées à l’accession aux logements n’ont guère évolué depuis dix ans10 face à une inflation du prix de l’immobilier, surtout dans les grandes villes, là où le besoin est le plus pressant. Malgré tout, deux brèches se sont ouvertes depuis une dizaine d’années et s’élargissent de façon accélérée ces dernières années. L’une au sein des institutions, l’autre en marge. La première a été ouverte par des bailleurs sociaux, favorisée par leur vocation sociale leur permettant d’échapper aux objectifs de rentabilité du secteur privé. Ils ont ainsi pu investir dans des logements conçus pour réduire les charges locatives et améliorer le confort des habitants. La deuxième brèche est une sorte de retour aux sources, qu’elle soit volontaire voire militante ou simplement nécessaire du fait de faibles ressources financières. Elle a été ouverte par des particuliers, des réseaux de citoyens et des associations portés par l’envie de faire autrement, de créer des alternatives accessibles au plus grand nombre qui permettent de faire plus avec moins. Au travers de deux cas d’études, nous avons appliqué l’évaluation systémique décrite plus haut dans l’objectif de situer ces deux types de projets par rapport aux deux archétypes de la soutenabilité, et d’en tirer des pistes pour sortir de l’impasse actuelle du système dominant, des passerelles pour la soutenabilité.

4. Les cas d’étude Le premier cas est un lotissement de neuf maisons sociales construit dans le village de Mesnil Saint-Père près de Troyes, dont le maître d’ouvrage est un bailleur social. L’originalité de ce projet réside dans l’utilisation du chanvre (laine de chanvre ou béton de chanvre selon les maisons) pour l’isolation avec une structure porteuse en bois. Le chauffage est partiellement assuré par un système de géothermie, et partiellement par des convecteurs électriques.

9 C’est alors les principes de marché et de redistribution qui définissent les échanges économiques, avec aujourd’hui une prédominance forte du marché. 10 La loi SRU (Solidarité et Renouvellement Urbain) de 1992, obligeant chaque commune à réserver 20% de son parc immobilier pour le logement social, reste la principale mesure, bien que certaines communes riches choisissent de payer l’amende plutôt que d’avoir ces logements sociaux. Les aides au logement n’ont pas vraiment évolué par ailleurs.

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Figure 3. Photos des longères. Certaines maisons sont entièrement recouvertes de bois (a.) et isolées par l’intérieur en laine de chanvre (c.). D’autres sont isolées au rez-de-chaussée par du béton de chanvre (d.) recouvert de chaux.

a. b.

c. d. L’architecte s’est inspiré de l’architecture bioclimatique et des modes d’habiter vernaculaires de la région. Neuf maisons en forme de longères ont ainsi vu le jour (Figure 3). Le choix du chanvre a reposé sur la présence d’une forte production locale (le département de l’Aube en est le premier producteur en Europe). Le bois a quant à lui été importé des Vosges en raison de son mode de fabrication semi-industriel et donc moins coûteux. La géothermie pour le chauffage a été proposée par l’architecte et intégrée dans quatre des neufs maisons (et non pas dans toutes, pour des raisons budgétaires). En ce qui concerne le système technique complet, il a été impossible de retracer l’origine de tous les matériaux utilisés et issus d’un système industriel et commercial très diffus. Les normes de qualité françaises et européennes constituent donc la seule garantie en termes de qualité et de sécurité, mais l’impact environnemental et sanitaire reste incertain. En ce qui concerne le système d’acteurs, la figure 4 schématise tous les acteurs concernés par ce projet et leurs interactions.

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Il y a plusieurs typologies possibles de ces acteurs :

- selon la phase du projet au cours de laquelle ils interviennent (Figure 5), - selon que leur fonction est directement liée à la construction ou non, en distinguant ainsi les

acteurs constructeurs (soulignés dans la figure 4) des non constructeurs (réglementation contrôle, habitants, etc. ) (Chruszez 2006),

- selon leur rôle décisionnel ou non (flèche épaisse dans la figure 4), - etc.

Ce qui apparaît ici lorsque l’on croise ces différents critères à l’aide des deux figures 4 et 5, c’est d’une part la complexité du jeu d’acteurs, d’autre part le fait que les habitants qui occupent toute la phase d’usage du logement (figure 5) n’ont aucun rôle dans les phases précédentes et ne sont donc pas impliqués par les décisions touchant au système technique (figure 4). Ce sont pourtant ces acteurs habitants qui vont influencer considérablement dans les performances globales qu’atteindront les logements, et notamment les performances énergétiques. Ce sont également eux qui vont apprécier ses qualités et ses défauts selon leur propre subjectivité, leur notion de confort, leur rapport à l’espace, etc. Les acteurs de la réglementation ont également un rôle important, et qui se renforce progressivement (Grenelle de l’environnement, règles de l’urbanisme, réglementation thermique, etc.) et cela particulièrement dans le secteur du logement social. Ils font partie du contexte du système technique et s’appliquent à tous les projets, raison pour laquelle ils n’apparaissent pas dans les figures 5 et 6. En ce qui concerne les centres de décision du système, le cahier des charges donne au maître

Maître d ’ouvrage, Financeurs : Troyes Habitat

Maître d ’œuvre : architecte

Conception: architecte

Ouvriers: 14 entreprises

Habitants

9 maisons

Lycées techniques Thèse PER médias

Contrôleur technique: Socotec

Enquêtes de satisfaction, contrôle des consommations

Certification H&E: Qualitel

RT 2000: A.G.S Ingénierie

Règles urbanisme : Etat POS de la ville : Maire de Mesnil St Père

Rôle décisionnel fort en direction de…

Degré de couplage entre acteur et système technique

Simple échange d’information

Figure 4 : Schéma représentant les acteurs concernés par le projet et leurs interactions entre eux et avec le système technique

Page 12: L'analyse systémique pour appréhender la soutenabilité

12

d’ouvrage (à l’intérieur des contraintes réglementaires), un moyen puissant pour intégrer des caractéristiques environnementales. Ce pouvoir reste malgré tout limité à l’offre au sein des entrepreneurs du bâtiment, qui ne sont pas assez formés aux techniques d’éco-construction et qui facturent, quand elles peuvent répondre à l’appel d’offre, des surcoûts conséquents. Le bailleur social, financeur et maître d’ouvrage, est donc confronté à plusieurs contraintes qui viennent limiter l’expression de sa créativité : celle de la réglementation de plus en plus lourde, et celle des compétences (ou du manque de compétences) des constructeurs, ajoutées à des contraintes de budget et de temps très strictes.

Les limites du système d’acteurs sont, quant à elles, difficiles à déterminer clairement. Puisqu’un système est défini par une finalité partagée, des interviews ont été réalisées afin d’identifier si une telle finalité existe. La Figure 6 montre que peu des acteurs de ce projet partagent une finalité commune.

17 mois

Conception Construction Usage Démolition/Rénovation

Maître d’ouvrage

Maître d’œuvre

Habitants

Entreprises construction

Distributeurs

Producteurs

Figure 5 : Chronologie du projet et participation des acteurs selon les phases

Page 13: L'analyse systémique pour appréhender la soutenabilité

13

Plus particulièrement, le caractère de performance environnementale n’est partagé que par le sous-système maître d’ouvrage-maître d’oeuvre, et par trois des entreprises de construction : celle qui a réalisé la charpente, l’entreprise de géothermie, et celle qui a posé le béton de chanvre. Parmi les habitants, tous apprécient cet aspect environnemental mais à posteriori. Il ne constitue en revanche pas un critère de choix pour leur habitation. Ce sont surtout le rapport prix/surface et la présence du jardin qui les ont séduits. Le sous-système bailleur-architecte est opérant puisqu’il repose sur une relation de confiance et des rôles clairement déterminés ainsi qu’une finalité partagée. En revanche, le système global, incluant les participants directs au projet de construction tout au long de son cycle de vie, a du mal à trouver une cohésion du fait d’une finalité non partagée ainsi que des relations brèves dans le temps. En effet, le système lui-même n’existe que le temps du projet et certains acteurs ne se rencontreront jamais. Sur le terrain, c’est le maître d’œuvre qui doit assurer la cohésion. Il dispose d’outils formels comme les réunions de chantier hebdomadaires, et en cas de problème, des rappels à l’ordre, puis des mises en demeure via le maître d’ouvrage, ce processus pouvant aller jusqu’au remplacement de l’entreprise. De façon informelle, l’architecte a un rôle humain complexe qui déborde de ses strictes compétences professionnelles puisqu’il doit assurer une certaine osmose entre tous les entrepreneurs, qui incite chacun à se mettre au service du projet, à acquérir si besoin de nouvelles compétences ou façon d’envisager leur métier. D’après les propos de l’architecte, « il n’y a pas de corps de métier qui pose problème, c’est une question d’individu et du niveau de conscience de chacun ». Les habitants ont quant à eux des rapports assez impersonnels avec le bailleur, puisqu’ils reposent sur des procédures administratives, encadrées par la réglementation. Au bout d’un an, deux des familles ont quitté leur logement.

Finalités:

Construction des maisons à faible conso énergétique, en utilisant du chanvre local, dans les limites du

budget et des délais.

Satisfaire la finalité du bailleur et aller aussi loin que possible dans la

performance écologique avec usage du bois et de la géothermie

Faire vivre l’entreprise

3/14 partagent la finalité (bois, chanvre, géothermie)

Bailleur social

Entreprises

Habitants

Architecte

Figure 6 : Finalités des acteurs du projet

Avoir de l’espace, un jardin, pour un prix raisonnable,

l’aspect écologique est un plus

Page 14: L'analyse systémique pour appréhender la soutenabilité

14

Le tableau 2 résume les principes systémiques appliqués à ce système d’acteurs. Tableau 2 : Lecture du jeu d’acteurs du projet de maisons sociales au travers des principes systémiques. Principes systémiques

Acteurs maisons sociales Règles Acteurs maisons sociales

Système Temporaire, frontières floues

Réception d’information

Attention aux problématiques environnementales et économie locale (chanvre)

Contexte pris en compte

L’économie de la région, l’Eco-sphère

Emission d’information

Ouverture du chantier à des scolaires, chercheurs, journalistes. Suivi de l’usage par chercheurs.

Finalité 1. Respect des délais et du budget 2. Réduire les charges et l’impact écologique

Règles Réglementation forte et contraignante pour tout le système (interne et externe).

Frontières Diluées (circuits longs, opaques)

Rétroaction Suivi du chantier, réunions de chantier, avertissement mises en demeure.

Membres Relations contractuelles, dans le cadre du marché. Relation de confiance entre MO11 et Archi. Relations administratives réglementées entre MO et habitants.

Homéostasie Garantie par le maître d’œuvre qui dispose d’un fort charisme et, le cas échéant, de moyens de pression prévus de façon contractuelle.

Totalité Le tout > somme des parties

Mythe, croyances

Un bailleur social doit contribuer à l’amélioration de l’habitat pour les personnes aux faibles ressources.

Circularité Top�down, information transparente (cahier des charges), communication non possible entre tous les acteurs, prédiction des besoins habitants, enquête de satisfaction et suivi des consommations et charges.

Les principes qui s’inscrivent dans la soutenabilité telle que décrite dans le tableau 1 sont mis en gras. Il n’est pas possible au travers de cette méthode (et cela n’est pas l’objectif) de quantifier le degré de soutenabilité du projet. Néanmoins ces principes, plus que les piliers classiquement admis, permettent aux évaluateurs du système de le situer par rapport à leur fonctionnement global, et cela dans une perspective de management de projet sur la base de la connaissance de ses faiblesses et de ses atouts.

5. Les indicateurs de performances Afin d’étudier les interactions ou le couplage entre le jeu d’acteurs et le système technique « maisons sociales », quelques résultats quantitatifs de ces maisons ont pu être mesurés et sont présentés dans le tableau 3.

11 MO : Maître d’ouvrage, le bailleur social.

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15

Tableau 3 : Indicateurs de la performance du système technique « maison sociale »

Conso énergie

Conso eau

Distance des matériaux

Coût Coût charges

Durée chantier

Déchets produits

Ressources produites

Maisons sociales

RT 2000 10800 kWh/an (pas de progrès significatif)

Moyens engagés Normés (H&E)

Chanvre local (département) Bois des Vosges Reste: inconnu

2 321 € HT/m² SHAB (surcoût de 23%)

Autour de 75 €/mois d’électricité chauffage

17 mois

Chantier propre Déchets ménagers connectés au tri du village

Chaleur (géothermie)

En ce qui concerne les entrées, la conception a été faite sur la base de la réglementation thermique alors en vigueur, la RT 2000. La consommation effective, mesurée un an après la livraison d’après les relevés de consommation électrique et moyennée sur les neufs maisons, est de 10800 kWh/an ce qui ne diffère pas de celle de maisons identiques, mais avec une isolation classique en parpaings, construites dans un village voisin. La consommation en eau n’a pas été mesurée. Les moyens engagés correspondent à des équipements comme la chasse d’eau à double débit et des robinets mélangeurs. Ils sont normés par la certification Habitat et Environnement (H&E). Une grande incertitude demeure quant à l’origine des divers matériaux utilisés. Le surcoût a été de 23% en comparaison toujours avec les maisons témoins à isolation classique. Les charges au cours de la première année n’ont pas été particulièrement diminuées dans les maisons chauffées par la géothermie, des convecteurs électriques étant utilisés à l’étage. La durée du chantier à été de 17 mois. En sortie de système, les déchets ont été gérés au cours de la phase de construction selon les préconisations de la démarche « chantier vert » c'est-à-dire un tri et un nettoyage régulier des déchets de chantier. Pour la phase d’usage, outre le tri sélectif organisé par la commune et que les habitants disent effectuer sans contrainte particulière, aucune mesure n’a été prise pour la réduction des déchets ni pour leur valorisation. Le système produit de l’énergie grâce au système de géothermie. Il produit aussi de l’information qui a pu profiter à un assez large public dans la région (média locaux, scolaires, universitaires, salons sur l’habitat). N’apparaissent pas dans le tableau les disparités entre les ménages au niveau de la consommation électrique, principale cible technique du logement. En effet, dans les maisons chauffées partiellement en géothermie, les consommations annuelles vont de 9 269 à 13 029 KWh et jusqu’à 15 942 KWh pour les maisons chauffées entièrement à l’électrique. Une étude avec une caméra infrarouge a pourtant montré une très bonne isolation pour toutes les maisons, supérieure aux maisons témoin. Plusieurs facteurs peuvent expliquer ces différences : la variabilité des exigences de confort thermique, l’utilisation hétérogène d’équipements électriques, l’ouverture variable des fenêtres. Globalement, c’est ici le comportement de l’habitant qui va déterminer la performance du logement. Or c’est également l’acteur le moins bien intégré au système d’acteurs, et qui ne partage pas non plus sa finalité. Les habitants ont par ailleurs exprimé12 le peu d’information reçu concernant les aspects environnementaux de leur logement. Finalement l’impact le plus probant du projet est impossible à quantifier mais a été exprimé lors des interviews. Il s’agit de l’ambition environnementale affichée et de la communication produite autour du projet. Même si cet aspect n’a pas été déterminant pour la plupart des acteurs, il a en

12 Une enquête auprès des habitants a été faite à l’aide d’interviews sur la base d’un questionnaire qui leur avait été envoyé préalablement.

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revanche été perçu comme une valeur ajoutée, générant une certaine fierté et même une indulgence vis-à-vis de petits défauts13. Concernant le bailleur, la personne à l’initiative du projet, aujourd’hui à la retraite, a créé une forte émulation médiatique et politique pour permettre son aboutissement, tout en prenant des risques techniques. L’architecte, passant beaucoup plus de temps que prévu sur le projet est resté motivé par les valeurs et l’exemplarité que ce projet pourrait porter. Les entrepreneurs interrogés ont témoignés de la bonne ambiance sur le chantier, et du sentiment de participer à quelque chose de bien, tout en reconnaissant le charisme du maître d’œuvre pour résoudre les problèmes. En faisant le pari du chanvre sous deux formes différentes, c’est également une valorisation forte de la ressource locale qui a été initiée, avec une contribution à la production d’un DTU (Document Technique Unifié) aujourd’hui disponible. L’analyse des ponts thermiques vient ici confirmer l’intérêt de ce matériau en tant qu’isolant. Le Maire de la commune, le département et la Région ont été impliqués (financièrement ou techniquement). De nombreux visiteurs, scolaires notamment, de la filière du bâtiment, français et étrangers ont pu parcourir le chantier, suscitant même des vocations pour l’écoconstruction. Cet impact sur les consciences, qu’il soit interne ou externe au système et qui touche à la méta-sphère, celle des valeurs, a un poids non mesurable mais qui a certainement contribué à un changement sociétal vers la soutenabilité.

6. Comparaison avec un projet d’auto-éco-construction Afin de tester l’importance du système d’acteurs et de ses caractéristiques systémiques, il est intéressant de comparer l’exemple précédent avec d’autres constructions issues de systèmes d’acteurs différents. Le réseau des auto-constructeurs qui s’est développé ces dernières années nous fournit de nombreux exemples. Nous retiendrons ici un cas de maison autonome en énergie et en eau, autonomie aujourd’hui impossible à réaliser pour des logements sociaux classiques du fait de la réglementation (raccords aux réseaux obligatoire et interdiction de l’usage des eaux pluviales pour la consommation notamment14). Outre cet élément de contexte, la configuration des acteurs dans ce projet, qui est présentée dans la figure 7, est radicalement différente de celle des maisons sociales en général.

13 Ce point a été exprimé par tous les habitants. 14 L’interdiction de l’utilisation des eaux pluviales vaut pour tous même pour les particuliers. Dans ce projet, les habitants ont du prouver la bonne qualité de leur eau (utilisation de filtres bactériologiques) auprès de la DASS (Direction des Affaires Sanitaires et Sociales).

Page 17: L'analyse systémique pour appréhender la soutenabilité

17

Dans ce cas, comme dans la plupart des projets d’auto-construction, les relations entre les membres ne sont pas structurées par des relations marchandes et coordonnées par un donneur d’ordre, mais reposent sur le partage des compétences et les échanges de services. On se trouve ici dans une configuration très différente du premier exemple en ce qui concerne le mode d’échanges et d’interactions et qui s’apparente au principe de réciprocité développé par Karl Polanyi (Polanyi 2008), qui ne se réduit pas à une économie du don/contre-don dans une relation duelle et réciproque, mais intègre la notion du tout social à laquelle les autres dimensions comme l’économie sont subordonnées et suppose des relations de complémentarité et d’interdépendance volontaires (Servet 2007). Ce type de relation rappelle également la notion d’économie bouddhiste de Schumacher qui consiste à recherche les meilleurs résultats avec le moins de ressources possibles (Schumacher 1979). Le partage de savoirs et de compétences est ici essentiel pour les acteurs qui recherchent une autonomie. De l’interaction résultera pour chacun une capacité d’action et d’autonomie bien supérieure, retombée que l’on ne retrouve que difficilement lors de l’achat d’un service à un professionnel. Ainsi, même quand les habitants constructeurs font appel à des artisans professionnels, ils le font dans une démarche d’auto-formation. Le réseau social est notamment constitué d’autres auto-constructeurs, avec lesquels une entraide réciproque est mise en place. Il est à noter également que les participants à ces réseaux se regroupent autour de valeurs communes et d’une finalité partagée qui est celle de l’autonomie/responsabilité. La maison terminée, la famille, qui est l’acteur central du système, propose des formations à un prix très accessible, dans une démarche de transmission. Le choix des technologies est également pris en compte avec une préférence systématique pour des technologies non invasives pour la santé ou l’environnement, voire reposant sur les propriétés de systèmes naturels comme la technologie de récupération des eaux de pluie, ou l’utilisation de plantes aquatiques pour la filtration des eaux grises. Le tableau 4 présente, comme pour l’exemple précédent, les principes systémiques appliqués à ce système.

Maître d’ouvrage, maître d’œuvre, concepteurs, ouvriers, habitants, financeurs:

La famille

La maison

Production de livres, DVD

Visites de la maison

Formations aux techniques utilisées

Organisation d’écofestivals

DDAS: contrôles sanitaires

Règles d’urbanisme, POS

Réseau social

Artisans

Rôle décisionnel en direction de…

Degré de couplage entre acteur et système technique

Simple échange d’information

Figure 7 : Relations entre les acteurs du projet de maison autonome, entre eux et avec le système technique « maison autonome ».

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Tableau 4 :Lecture du jeu d’acteurs du projet d’auto-construction de maison autonome au travers des principes systémiques. Principes systémiques

Acteurs maisons sociales

Règles Acteurs maisons sociales

Système Ouvert, bien identifié

Réception d’information

Très grande attention à l’impact environnemental (empreinte 0), formation continue

Contexte pris en compte

Tous les types de système du micro au macro.

Emission d’information

Ouverture de la maison au public, formations, livres, site internet, DVD, sur la méthode et les valeurs.

Finalité 1. Bien être long terme, équilibre, importance des valeurs, 2. autonomie

Règles Grande adaptabilité mais réglementation contraignante subie par le système.

Frontières Circuits courts, les plus transparents possible

Rétroaction Beaucoup d’essais/erreurs, jusqu’à la bonne solution.

Membres Relations familiales, entre-aide et bénévolat.

Homéostasie Ce sont les valeurs partagées qui ont permis de traverser les crises pour retrouver la stabilité.

Totalité Le tout > somme des parties

Mythe, croyances

Responsabilité forte vis-à-vis des autres systèmes. Importance des valeurs, des principes, de l’esprit. Le temps plutôt que l’argent. Faire soi-même c’est être libre et autonome.

Circularité Complémentarité, solidarité.

On peut constater au travers de cette analyse que le système d’acteurs est opérant c'est-à-dire que les principes directeurs lui permettent d’atteindre la finalité tout en étant ouvert et, de plus, cohérent avec les enjeux de la soutenabilité. Pour tester l’impact de cette configuration des acteurs sur les performances quantitatives du système technique « maison », le tableau 5 présente les résultats obtenus au bout de vingt-cinq années. Ces résultats sont à rapprocher du Tableau 3 pour mettre en évidence des performances nettement supérieures dans ce deuxième exemple, et avec un coût pourtant relativement très faible. Tableau 5 : Indicateurs de la performance du système technique « maison autonome en auto-construction »

Conso énergie

Conso eau

Distance des matériaux

Coût Coût charges

Durée chantier

Déchets produits

Production de ressources

< à la production 1825 kWh/an

Eau de pluie d’1 Année

Local à ≈ 80%

403€/m² (évaluation)

200euros/an (bois)

25 ans ≈ 10%

Engrais naturel Fruits, légumes, aromates, Électricité Eau potable Livres et dvd, site internet

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Cette réduction des consommations d’énergie et d’eau a été permise par la mise en place de systèmes tels que des toilettes sèches, des robinets d’eau à pédale (permettant de limiter au maximum l’écoulement d’eau inutile), l’absence de réfrigérateur et de congélateur et la consommation exclusive de produits frais, majoritairement produits au jardin, etc. Il s’agit d’un mode de vie complet où tout se tient selon une logique systémique assumée. Par cette démarche intégrée, l’autonomie favorise une bonne qualité de vie également définie en cohérence avec les autres éléments du système. Grâce à des filtres bactériologiques l’eau du robinet, est de qualité supérieure à la moyenne selon les relevés de la DASS (Direction des Affaires Sanitaires et Sociales) et l’on peut en dire de même pour l’alimentation. Les habitants sont équipés des équipements d’information et de communication modernes tels que la télévision, l’ordinateur et internet. Ce mode de vie, s’il n’est pas généralisable ni d’ordre normatif démontre que les standards de confort actuels ne correspondent pas forcément aux besoins de tous et peuvent même constituer un frein à la performance environnementale du logement et au bien être de ses habitants.

7. Des indicateurs pour évaluer la responsabilité Au regard de ces analyses, et en se fondant sur une définition de la soutenabilité relative au modèle des quatre sphères présenté dans la figure 2d, il est possible de proposer une lecture de la soutenabilité d’un système en développement (évoluant dans le temps) qui ne soit pas une correction d’un modèle de développement prédéterminé (et reposant sur une économie de la croissance), mais qui soit fondé sur la recherche d’autonomie des acteurs en vue d’assumer un mode de vie responsable vis-à-vis de quatre types de systèmes représentés par le modèle. Une autonomie responsable des acteurs serait donc la finalité d’un système soutenable. Au-delà de la maison autonome présentée ici, d’autres initiatives ont vu le jour ces dernières années dans l’objectif premier est de permettre à des personnes fragilisées de retrouver une autonomie. L’association Chênelet Développement, associée à la société civile immobilière (SCI) Chênelet Habitat, illustre tout à fait la vocation sociale que peut avoir un projet de logement. Depuis plus de vingt ans, cette association propose des formations à l’écoconstruction à des personnes exclues du monde du travail, des « cabossés de la vie », selon les propos de François Marty, fondateur de l’association. La SCI est maître d’ouvrage et propriétaire du parc ainsi construit et destiné au secteur social. Aujourd’hui agréé en tant qu’office HLM, ses promoteurs se fixent l’objectif de cinquante logements par an et ont créé un réseau de constructeurs de logements sociaux et écologiques, qui rassemble des acteurs de l’économie sociale et solidaire, qu’ils soient fabricants de matériaux écologiques, centres de formation à l’écoconstruction ou structures d’insertion (V. Boulanger 2008). Par ailleurs, les formes de maisons écologiques ont atteint ces dernières années une grande diversité. Les pionniers de la maison autonome, détaillée dans notre deuxième exemple, ont consacré vingt-cinq années à l’exploration des solutions adaptées à leur maison, mais des associations et coopératives proposent aujourd’hui des solutions beaucoup plus rapides à mettre en œuvre15, avec un accompagnement et/ou une formation des auto-constructeurs. Des entreprises proposent également des maisons en kit en madriers de bois à monter soi-même avec un coût au mètre carré accessible (à partir de 700 euros). L’offre d’écoconstruction est donc aujourd’hui très diversifiée, intégrant tous les degrés d’auto-construction, sachant que, plus on fait et moins cela est coûteux.

15 Parmi les principales ont peut citer l’association Héol-Maison autonome, l’Ecocentre du Périgord, Aspaari (Association de soutien aux projets et activités agricoles et rurales innovants), Habicoop, Les Compaillons, Arca Minore (Bellin 2009).

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Afin de traduire en langage systémique les ingrédients du système d’acteurs qui conduisent à de telles démarches, et ceux qui constituent des freins aux initiatives portées par les acteurs institutionnels, soumis aux règles de l’économie dominante, nous avons puisé dans les principes systémiques et cherché les articulations qui d’un côté stimulent, et de l’autre inhibent. En gardant à l’esprit que des passerelles existent entre les deux configurations et que tous les degrés d’imbrication des deux types d’économie sont possibles. Il s’avère que dans la configuration du premier exemple, les points faibles semblent être :

- Une finalité non partagée par tous les acteurs - Une vision n’intégrant pas les différents types de systèmes au service desquels serait

développée une économie intelligente, mais qui tente au contraire d’introduire des préoccupations non rentables dans une économie basée sur la rentabilité, d’où un surcoût conséquent.

- Une grande ignorance des circuits de production d’une partie des matériaux utilisés (à part le chanvre et le bois, qui sont quantitativement les plus importants).

Dans le cas d’un projet classique, ces remarques seraient d’autant plus prégnantes notamment en ce qui concerne les deux derniers points, qui sont ici améliorés par la volonté du maître d’ouvrage et du maître d’œuvre (un projet classique ne tente pas d’intégrer des critères non rentables à moins qu’il y ait un marché rentable pour ce type de produit et l’utilisation de matériaux industrialisés pour l’ensemble de l’ouvrage rend d’autant plus difficile leur traçabilité). En ce qui concerne les projets d’auto-construction ou de construction portés par des acteurs de l’économie sociale et solidaire, nous pouvons émettre les remarques suivantes :

- Une finalité partagée par les acteurs ; - Une vision plaçant l’humain au centre et utilisant l’économie comme moyen de cohésion

des différents types de système ; - Une préférence accordée à la proximité des matériaux pour une meilleure connaissance et

une meilleure maîtrise des impacts. On peut ainsi formaliser trois indicateurs dits de responsabilité et qui se présentent ainsi :

- Indicateur d’intégration o façon dont le système intègre sa relation (et son impact) aux différents types de

systèmes dans sa finalité (prise en compte du contexte macro) dans une optique de responsabilité ;

- Indicateur de cohésion o proportion des membres du système qui partagent une même finalité

- Indicateur de visibilité o degré de connaissance (et de recherche) sur les impacts sur ces différents types de

systèmes. Ces indicateurs sont de type qualitatif et n’ont pas pour objectif de noter un projet. Leur intérêt réside dans la connaissance de soi qu’il peut donner au système. Beaucoup d’autres principes parmi ceux énoncés dans les tableaux 1, 2 et 4 pourraient être pris en compte pour étudier le bon fonctionnement du système. On entre alors dans le domaine des sciences de gestion des organisations en général, quelle que soit leur finalité. En ce qui concerne le développement soutenable, la finalité est au cœur du problème et également de la solution. L’économie (en termes de rentabilité), comme on le voit au travers des exemples, peut constituer la finalité du système, les autres systèmes de toute nature (sociale, naturelle,

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technologique) étant alors à son service. Ou bien l’équilibre entre l’humain et son contexte large, incluant toutes les natures de systèmes peuvent constituer la finalité du système. L’économie étant alors pensée et ajustée au service de cette finalité, elle n’est ni une variable figée ni négligée. Une fois partagée par les membres du système, qui s’associent ainsi pour des objectifs dépassant leur propre intérêt particulier, une cohésion efficace peut émerger et être source de coopération et de créativité. L’information est également au centre des enjeux de la soutenabilité, puisque la responsabilité ne peut être assumée dans l’ignorance. La science, la recherche et le savoir sont ainsi mis au profit de cette finalité partagée, afin de décrypter le langage de chaque nature de système et de pouvoir interagir avec eux de la façon plus appropriée, c'est-à-dire la moins nocive ou la plus bénéfique. Le traitement plus spécifique d’aspects propres au logement, comme la densité ou l’étalement urbain, l’intégration du logement dans la ville, et toutes les questions d’aménagement du territoire, le choix des matériaux ou l’arrangement de l’espace, etc. doit être assumé de façon concertée par les acteurs concernés, mais on retrouve là encore la nécessaire circulation de l’information. Tout comme un être humain gagne à connaître les caractéristiques et les limites de son corps pour se maintenir en bonne santé, il doit aussi se reconnaître et comprendre la culture dans laquelle il vit, les équipements qu’il utilise, le territoire au sein duquel il évolue, bref, tout ce que l’éducation est censée apportée aux futurs citoyens dans une société démocratique.

8. Discussion Cette analyse pose plusieurs questions :

- le degré de liberté dont disposent les institutions pour trouver des solutions socialement et économiquement innovantes, et non pas seulement techniquement innovantes ;

- le rôle et la place de la réglementation dans un contexte où les contraintes sont déjà lourdes ; - les moyens de valoriser ce que certains appellent le capital social16, en stimulant son

sentiment de responsabilité et sa créativité ; - le rôle et la place des sciences et techniques dans la capacité des être humains à maîtriser les

impacts et les risques générés par leur mode de vie. En ce qui concerne le premier point, les institutions génèrent, de même qu’elles subissent, une réglementation de plus en plus lourde, mais qui peine à être appliquée. Si l’on prend l’exemple des Diagnostics de Performance Energétique (DPE) aujourd’hui obligatoires, ils engendrent un coût élevé supporté notamment par les particuliers propriétaires, mais ne sont pas pour autant pris en compte en tant que critère d’achat ou de location, le rapport prix/surface restant le principal critère, particulièrement pour des ménages à faibles ressources. La réglementation thermique qui vise à réduire par quatre les consommations énergétiques des logements d’ici 2050 est quant à elle terriblement difficile à respecter par des acteurs non formés et aux contraintes économiques fortes. S’évaluant sur la base de techniques et de matériaux de construction agréés, ce sont les moyens, voire les seules déclarations d’intention qui sont pris en compte et non les résultats17. Il en résulte d’une part une limitation dans la conception, d’autre part une incertitude forte quant aux résultats.

16 Une des définition les plus courantes de la notion de Capital Social est celle de Putnam (Putnam 1993) : « Le capital social… s’entend des caractéristiques de l’organisation sociale telles que la confiance, les normes et les réseaux, qui peuvent améliorer l’efficience de la société en facilitant des actions coordonnées » (p. 167). 17 Ce phénomène est particulièrement bien illustré dans le cas de la réglementation des marchés publics rendant obligatoire l’achat de bois certifié. Le label PEFC, reconnu dans le cadre de cette réglementation, est aujourd’hui devenu extrêmement facile à obtenir par les industriels du bois et leur permet de continuer leur activité sans changer significativement leur façon de travailler.

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En effet, comme on le constate dans l’exemple des maisons sociales, la performance énergétique d’un bâtiment ne dépend pas que des techniques et des matériaux utilisés. Pris dans l’engrenage de l’accumulation de contraintes réglementaires fragmentées (normes de qualité, de sécurité, d’accessibilité, environnementales, etc.), les acteurs institutionnels désirant porter des projet soutenables doivent ainsi payer au prix fort toutes les expertises leur permettant le respect de cette réglementation, au moins sur le papier. Ceci concerne aussi bien les techniques que les procédures d’appel d’offre pour le recrutement des entreprises. L’intégration de bénévolat ou la mise en place de partenariat avec des associations d’insertion ou de toute autre innovation économique ou sociale paraît, dans ce contexte, bien difficile. Pourtant des liens entre initiatives citoyennes et institutions peuvent émerger comme dans le cas de l’appel à projet intitulé DIIESES (délégation interministérielle à l’Innovation, à l’Expérimentation sociale et à l’Economie Sociale) encourageant les projets liés au logement social, au développement durable ou à l’insertion professionnelle et sociale. Il ne faut pas conclure à une dichotomie radicale entre le secteur institutionnel et la société civile, le premier qui serait non soutenable alors que le deuxième serait potentiellement plus soutenable. L’analyse montre que le contexte institutionnel permet à des individus porteurs de valeurs et à fort charisme de relever l’ambition des projets même si le contexte très normalisé et les acteurs en présence en majorité non sensibilisés sont des freins conséquents, mais peuvent alors évoluer progressivement. En revanche, dans le contexte citoyen, il est plus facile de réunir un système d’acteurs responsables et autonomes, dans la mesure où la normalisation ne devient pas, là aussi, trop contraignante. Plusieurs moyens peuvent être envisagés pour lever ces freins. Dans le cas des maisons sociales du premier exemple, une procédure permettant de proposer ces logements à des ménages sensibilisés et formés, ou prêts à l’être, sur l’utilisation optimum des logements, pourraient améliorer la performance énergétique. Des outils de communication, un management du projet prévoyant des réunions centrées sur les aspects énergétiques et environnementaux du logement, pourraient également avoir un impact positif sur la performance réelle. L’apprentissage élémentaire des sciences et techniques peut également jouer un rôle dans la démocratisation des savoirs nécessaires et utiles pour répondre à nos besoins élémentaires, comme se loger, de la façon la plus écologique, et non pas seulement au service de l’économie et du confort d’une élite. Cela représenterait également un pas vers l’autonomie et la responsabilité. C’est cette transmission que les réseaux d’éco-constructeurs tentent de mettre en pratique. Finalement, comme l’on montré des villes comme Fribourg, la soutenabilité s’apparente à un projet de société complet et cohérent, et non pas seulement à des ajustements, ou selon la formulation d’A. Boutaud, « penser le changement plutôt que changer le pansement » (Boutaud 2005). En considérant le changement comme un changement de paradigme vers une approche systémique des problématiques de l’habitat et du développement en général. Bibliographie : Ballain, R. & Benguigui, F., 2004. Mettre en œuvre le droit au logement – L’accès au logement : des

évolutions en débat, La documentation française. Bellin, P., 2009. L'auto-écoconstruction, Eyrolles.

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