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pratique | hématologie 20 OptionBio | Lundi 15 décembre 2008 | n° 410 S i l’hémolyse est un mécanisme physiolo- gique, elle est cependant impliquée dans des processus pathologiques lorsqu’elle se produit en quantité anormale, on parle alors d’hyperhémolyse. Dans le cas de l’anémie hémo- lytique auto-immune (AHAI), elle est consécutive à la présence d’auto-anticorps chauds le plus souvent (80 à 90 % des AHAI), peut-être idiopa- thiques ou secondaires et, dans ce cas, plus ou moins transitoires. Le Coombs direct, simple et robuste, est le test diagnostique de choix, mettant en évidence la présence in vivo d’Ig et/ou de complément à la surface des globules rouges. Les auto-anticorps chauds Étiologie de l’AHAI La moitié des contextes cliniques corres- pond à des AHAI primitives. L’AHAI primitive est due à la présence d’auto-anticorps chauds, le plus souvent IgG à forte affinité. Ceux-ci se fixent de façon importante sur les hématies, et sont donc peu présents dans le sérum, expliquant que le test de Coombs indirect puisse être négatif. Dans l’autre moitié des contextes, il s’agit d’AHAI secondaires, consécutives à un déficit lymphocytaire de type T. Elles touchent plus par- ticulièrement les adultes, voire les seniors : – 25 % sont consécutives à des lymphoprolifé- rations de type leucémie lymphoïde chronique (LLC), chez les hommes de plus de 70 ans, la plus fréquente est de type B, puis vient la maladie de Waldenström... – 15 à 20 % sont liées à des maladies auto-immu- nes de type lupus érythémateux systémique (sur- tout chez les femmes jeunes), rectocolite hémor- ragique (qui est le plus souvent diagnostiquée et traitée) ; – viennent ensuite les infections de types EBV et CMV surtout, mais également les accès palus- tres, les tumeurs comme le kyste dermoïde de l’ovaire dont l’ablation réduit de manière signi- ficative l’AHAI, les médicaments type alpha- méthyldopa... Lien entre Ig et hémolyse On peut retenir un certain nombre d’arguments comme le fait que si l’on transfuse des hématies ne présentant pas la spécificité reconnue par les auto-anticorps, leur survie est normale ; ou bien le caractère transitoire d’une anémie hémoly- tique par transfert passif chez le nouveau-né. Par ailleurs, les hématies sont détruites par les macrophages qui possèdent des récepteurs pour Fc des Ig G1 et G3, et pour les fractions C3 et C4. Le macrophage allie trapping et phagocytose pour “ingérer” les hématies sur lesquelles sont fixés les auto-anticorps. Toutefois, il n’est pas rare d’obser- ver une ingestion partielle par le macrophage : l’hématie “mordue” perd un fragment de mem- brane, échappe au macrophage et se transforme en sphérocyte plus fragile, moins souple. Si l’hémolyse est brutale, la fragmentation des hématies peut conduire à la formation de schi- zocytes : il est parfois difficile de faire la part des choses entre une hyperhémolyse brutale avec quelques schizocytes et une angiopathie throm- botique, et plus difficile encore si l’on est en pré- sence d’un lupus érythémateux disséminé... Présentation clinique L’anémie hémolytique auto-immune peut se ren- contrer à tout âge, mais plus particulièrement à partir de 50 ans, avec un tableau clinique alliant grande fatigue et dyspnée d’effort. Le syndrome anémique est variable, l’ictère est inconstant et les urines sont rarement foncées. La splénomégalie est inconstante, la fièvre peut être importante et le risque de thrombose est plus grand que dans la population normale. Présentation biologique L’hémolyse peut parfois être compensée, expli- quant une hémoglobine normale et des réticulocy- tes augmentés. Le frottis montre une anisocytose, une polychromatophilie, des sphérocytes et, par- fois, des schizocytes et une érythrophagocytose dans le sang. L’augmentation des réticulocytes peut se révé- ler inconstante, notamment en début d’AHAI, ou dans un contexte d’infiltration médullaire (LLC), ou en cas de médicament ou d’infection par le parvovirus. Il est observé une hyperleucocytose à polyneu- trophiles. La moelle est érythroblastique, mais les érythroblastes sont inconstamment observés dans le sang. Bilirubine libre et LDH augmentés, en parallèle d’une haptoglobine abaissée, sont une aide, mais sont parfois absentes ou dissociées. Test central, le DAT ( direct agglutination test) Le test direct, l’éprevue d’agglutination directe, est le plus souvent positif, alors que le test indirect est en règle générale négatif. L’hémolyse étant liée à la quantité d’Ig fixées et à leur affinité, le test de Coombs présente une valeur semi-quantitative proportionnelle au degré de l’hyperhémolyse. Traitement Dans l’ordre, et classiquement, on propose en priorité une corticothérapie lourde (1 à 1,5 mg/kg L’anémie hémolytique auto-immune L’anémie hémolytique auto-immune peut se rencontrer à tout âge, mais plus particulièrement à partir de 50 ans, avec un tableau clinique alliant grande fatigue et dyspnée d’effort. Due la plupart du temps à la présence d’auto-anticorps chauds, le plus souvent des Ig à forte affinité, son diagnostic repose sur le test de Coombs direct. Cas particuliers Le risque d’auto-immunisation post- transfusionnelle est une complication trop souvent méconnue. - que : auto-immunité due aux lymphocy- tes du donneur à l’égard des hématies du donneur, ou passenger lymphocyte syndrome. Le plus souvent, il s’agit de donneur O ou A et l’on assiste à des accidents hémolytiques précoces. Transplantation d’organes (notam- ment cœur-poumon) : auto-immunité des lymphocytes du receveur sur les hématies du receveur. On parle là encore de passenger lymphocyte syndrome et l’on observe des accidents hémolytiques précoces.

L’anémie hémolytique auto-immune

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Page 1: L’anémie hémolytique auto-immune

pratique | hématologie

20 OptionBio | Lundi 15 décembre 2008 | n° 410

Si l’hémolyse est un mécanisme physiolo-gique, elle est cependant impliquée dans des processus pathologiques lorsqu’elle

se produit en quantité anormale, on parle alors d’hyperhémolyse. Dans le cas de l’anémie hémo-lytique auto-immune (AHAI), elle est consécutive à la présence d’auto-anticorps chauds le plus souvent (80 à 90 % des AHAI), peut-être idiopa-thiques ou secondaires et, dans ce cas, plus ou moins transitoires.Le Coombs direct, simple et robuste, est le test diagnostique de choix, mettant en évidence la présence in vivo d’Ig et/ou de complément à la surface des globules rouges.

Les auto-anticorps chaudsÉtiologie de l’AHAI

La moitié des contextes cliniques corres-pond à des AHAI primitives. L’AHAI primitive est due à la présence d’auto-anticorps chauds, le plus souvent IgG à forte affinité. Ceux-ci se fixent de façon importante sur les hématies, et sont donc peu présents dans le sérum, expliquant que le test de Coombs indirect puisse être négatif.

Dans l’autre moitié des contextes, il s’agit d’AHAI secondaires, consécutives à un déficit lymphocytaire de type T. Elles touchent plus par-ticulièrement les adultes, voire les seniors :– 25 % sont consécutives à des lymphoprolifé-rations de type leucémie lymphoïde chronique (LLC), chez les hommes de plus de 70 ans, la plus fréquente est de type B, puis vient la maladie de Waldenström...– 15 à 20 % sont liées à des maladies auto-immu-nes de type lupus érythémateux systémique (sur-tout chez les femmes jeunes), rectocolite hémor-ragique (qui est le plus souvent diagnostiquée et traitée) ;– viennent ensuite les infections de types EBV et CMV surtout, mais également les accès palus-tres, les tumeurs comme le kyste dermoïde de l’ovaire dont l’ablation réduit de manière signi-ficative l’AHAI, les médicaments type alpha-méthyldopa...

Lien entre Ig et hémolyseOn peut retenir un certain nombre d’arguments comme le fait que si l’on transfuse des hématies ne présentant pas la spécificité reconnue par les auto-anticorps, leur survie est normale ; ou bien le caractère transitoire d’une anémie hémoly-tique par transfert passif chez le nouveau-né. Par ailleurs, les hématies sont détruites par les macrophages qui possèdent des récepteurs pour Fc des Ig G1 et G3, et pour les fractions C3 et C4.Le macrophage allie trapping et phagocytose pour “ingérer” les hématies sur lesquelles sont fixés les auto-anticorps. Toutefois, il n’est pas rare d’obser-ver une ingestion partielle par le macrophage : l’hématie “mordue” perd un fragment de mem-brane, échappe au macrophage et se transforme en sphérocyte plus fragile, moins souple.Si l’hémolyse est brutale, la fragmentation des hématies peut conduire à la formation de schi-zocytes : il est parfois difficile de faire la part des choses entre une hyperhémolyse brutale avec quelques schizocytes et une angiopathie throm-botique, et plus difficile encore si l’on est en pré-sence d’un lupus érythémateux disséminé...

Présentation cliniqueL’anémie hémolytique auto-immune peut se ren-contrer à tout âge, mais plus particulièrement à partir de 50 ans, avec un tableau clinique alliant grande fatigue et dyspnée d’effort.Le syndrome anémique est variable, l’ictère est inconstant et les urines sont rarement foncées. La splénomégalie est inconstante, la fièvre peut être importante et le risque de thrombose est plus grand que dans la population normale.

Présentation biologiqueL’hémolyse peut parfois être compensée, expli-quant une hémoglobine normale et des réticulocy-tes augmentés. Le frottis montre une anisocytose, une polychromatophilie, des sphérocytes et, par-fois, des schizocytes et une érythrophagocytose dans le sang.

L’augmentation des réticulocytes peut se révé-ler inconstante, notamment en début d’AHAI, ou dans un contexte d’infiltration médullaire (LLC), ou en cas de médicament ou d’infection par le parvovirus.Il est observé une hyperleucocytose à polyneu-trophiles. La moelle est érythroblastique, mais les érythroblastes sont inconstamment observés dans le sang.Bilirubine libre et LDH augmentés, en parallèle d’une haptoglobine abaissée, sont une aide, mais sont parfois absentes ou dissociées.

Test central, le DAT (direct agglutination test)Le test direct, l’éprevue d’agglutination directe, est le plus souvent positif, alors que le test indirect est en règle générale négatif. L’hémolyse étant liée à la quantité d’Ig fixées et à leur affinité, le test de Coombs présente une valeur semi-quantitative proportionnelle au degré de l’hyperhémolyse.

TraitementDans l’ordre, et classiquement, on propose en priorité une corticothérapie lourde (1 à 1,5 mg / kg

L’anémie hémolytique auto-immune

L’anémie hémolytique auto-immune peut se rencontrer à tout âge, mais plus particulièrement à partir de 50 ans, avec un tableau clinique alliant grande fatigue et dyspnée d’effort. Due la plupart du temps à la présence d’auto-anticorps chauds, le plus souvent des Ig à forte affinité, son diagnostic repose sur le test de Coombs direct.

Cas particuliersLe risque d’auto-immunisation post-

transfusionnelle est une complication

trop souvent méconnue.

-

que : auto-immunité due aux lymphocy-

tes du donneur à l’égard des hématies

du donneur, ou passenger lymphocyte syndrome. Le plus souvent, il s’agit de

donneur O ou A et l’on assiste à des

accidents hémolytiques précoces.

Transplantation d’organes (notam-

ment cœur-poumon) : auto-immunité

des lymphocytes du receveur sur les

hématies du receveur. On parle là encore

de passenger lymphocyte syndrome et

l’on observe des accidents hémolytiques

précoces.

Page 2: L’anémie hémolytique auto-immune

Un auteur portugais rapporte l’observation d’un cas de syndrome fébrile (39 °C),

depuis trois semaines, avec ano-rexie, état de malaise, ayant motivé l’hospitalisation d’une femme âgée de 80 ans, chez laquelle, en dehors de la fièvre, l’examen clinique ne révélait rien de significatif à l’admis-sion, tandis que les examens biolo-giques montraient une anémie, une

hyperleucocytose à polynucléaires neutrophiles (PN), et une VS élevée.

Au bout d’une semaineAu bout d’une semaine d’hospita-lisation sont apparus des nodules palmaires douloureux, bilatéraux, ressemblant à des faux panaris d’Osler, et accompagnés d’un souf-fle, nouveau, d’insuffisance mitrale. Malgré l’absence de végétations,

une antibiothérapie a été mise en œuvre, mais sans amélioration de l’état clinique.

Diagnostic et évolutionDevant ce tableau, c’est la biopsie cutanée qui a permis le diagnostic, de syndrome de Sweet, en mon-trant une infiltration du derme par des PN. L’évolution clinique et bio-logique a été rapidement favorable

sous corticothérapie, la fonction valvulaire étant nettement amélio-rée au bout de 3 à 6 semaines de traitement corticoïde. La recherche d’une néoplasie associée s’est avé-rée négative. |

JULIE PERROT

© www.jim.fr

SourceTeodoro M. Sweet syndrome : case report.

6th International Congress on Autoimmunity (Porto,

Portugal), 10-14 septembre 2008.

Une vieille dame fiévreuse

cas clinique

hématologie | pratique

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en IV), prolongée. La rechute est fréquente et la décroissance lente (réponse décalée dans les 3 à 5 premiers jours). Vient ensuite la splénectomie, qui réduit la destruction des globules rouges et la production d’auto-anticorps. Durée de vie et scintigraphie des hématies ne sont pas prédictives, elles n’interviennent donc pas dans la décision de splénectomie, et l’on sait qu’il existe toujours un bénéfice à la splénecto-mie. Puis, le traitement repose sur les immuno-suppresseurs : le danazol ou, plus récemment, le rituximab.Plus le patient est âgé, plus l’on propose l’asso-ciation corticothérapie + splénectomie.

La question de l’intérêt du traitement par le rituxi-mab plutôt que la splénectomie se pose surtout chez l’enfant.

Les auto-anticorps froidsLes auto-anticorps froids sont le plus souvent des IgM, ou encore appelées agglutinines froides, impliquées dans :– les AHAI aiguës, le plus souvent post-infec-tieuses (mycoplasmes, EBV) : IgM polyclonales. Chacun d’entre nous possède un peu d’aggluti-nines froides qui peuvent induire des anomalies biologiques sans impact clinique, notamment lors d’épisodes infectieux ;– les AHAI chroniques : IgM monoclonale kappa dans les lymphoproliférations, Waldenström, LLC, lymphomes ;– l’hémoglobinurie paroxystique a frigore chez l’enfant. L’anticorps se fixe à froid et hémolyse à chaud. L’auto-anticorps est une IgG dont la réac-tion est maximale à +4 °C.

Présentation cliniqueSouvent rencontrée chez les personnes âgées de 60 à 70 ans (boucher dans les chambres froi-des...), l’anémie chronique est exacerbée par le froid, les urines sont foncées et l’on constate une acrocyanose.Il faut souligner l’importance de la coopéra-tion préleveur-biologiste. En effet, le préleveur doit signaler la difficulté à réaliser le prélè-vement en raison d’une auto-agglutination spontanée.

Sur l’hémogramme, sont observés :– une fausse hyperleucocytose ;– un volume globulaire moyen augmenté ;– une CCMH très augmentée, voire impossible ;– la présence de rouleaux d’hématies.Le Coombs est positif, mettant en évidence des agglutinines froides dont on apprécie le titre à +4 °C. L’interprétation se fait toujours en intégrant le contexte clinique.

TraitementÉviter le froid ? Les auto-anticorps froids sont plus souvent idiopathiques que les auto-anticorps chauds, et les traitements sont plus décevants. |.

ROSE-MARIE LEBLANC

consultant biologiste, Bordeaux (33)

[email protected]

SourceCommunication de E. Oksenhendler, service d’hématologie oncologie

adulte de l’hôpital Saint-Louis, Paris (75), lors des 50es Journées

de biologie clinique à Paris, janvier 2008.

Le Coombs, ou DATUn Coombs direct met en évidence à par-

tir de 300 à 400 Ig fixées.

Attention : Coombs direct positif signi-

fie le plus souvent présence d’auto-anti-

corps... mais pas toujours ! Il peut s’agir

d’allo-anticorps, en cas de polytransfu-

sion, de transfert passif (plasma, nou-

veau-né, greffe), ou de médicaments fixés

sur les hématies.

Il existe des fixations non spécifiques d’Ig

en cas d’hyperglobulinémie, juste après

une perfusion d’Ig ou en cas d’altération

membranaire des hématies.

Enfin, il existe des Coombs asymptomati-

ques positifs 1/1 000 à 1/10 000.

La numération des schizocytes

Il n’y a pas d’intérêt à compter les schi-

zocytes, mais leur appréciation globale,

à l’œil, est cruciale afin de différencier

“quelques” de “nombreux”. Il en est de

même pour l’érythrophagocytose. Aucun

automate ne remplace ici l’œil exercé du

biologiste.