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Cet article est paru en plusieurs parties dans les numéros des : 17 octobre 1903 24 octobre 1903 31 octobre 1903 But de ce travail Notre précédent mémoire sur la dissociation de la matière 1 était pure- ment expérimental. Continuant à déve- lopper des recherches poursuivies de- puis plusieurs années, nous y avons ré- sumé les expériences qui nous ont servi à prouver que le phénomène de la ra- dio-activité, c’est-à-dire de la dissocia- tion des atomes, d’abord supposé spé- cial à quelques corps exceptionnels tels que l’uranium et le radium, était, au contraire, une propriété générale de la matière et par conséquent un des phé- nomènes les plus répandus de la na- ture. L’aptitude des corps à se désagré- ger en émettant des effluves analogues aux rayons cathodiques, capables 1 Voir Revue Scientifique des 8, 15 et 22 no- vembre 1902. comme eux de traverser les substances matérielles et d’engendrer des rayons X, est universelle. La lumière frappant une substance quelconque, une lampe qui brûle, des réactions chimiques fort di- verses, une décharge électrique, etc., provoquent l’apparition de ces effluves. Les corps dits radioactifs, comme le ra- dium, ne font que présenter à un haut degré un phénomène que toute matière possède à un degré quelconque. Lorsque je formulai pour la pre- mière fois cette généralisation en l’ap- puyant d’expériences pourtant fort pré- cises, elle ne frappa à peu près per- sonne et il ne se rencontra dans le monde entier qu’un seul physicien, M. de Heen, qui en saisit la portée et prit la peine de la vérifier par de nom- breuses expériences reproduites dans d’importants mémoires. Aujourd’hui cette doctrine est universellement ad- mise, et tout récemment M. Lodge di- sait, au Congrès de Belfast, que le diffi- cile n’était pas de rencontrer des corps radioactifs, mais bien des corps qui ne le soient pas à quelque degré. Ce fut très progressivement et à la suite d’expériences réalisées de tous cô- tés que la lumière a fini par se faire et que l’importance des faits que j’avais si- gnalés a été bien comprise. Cette im- portance n’est plus contestée aujour- © : Sciences.gloubik.info Page 1/54 Date de mise en ligne : dimanche 30 juin 2019 L’énergie intra-atomique Gustave Le Bon, La Revue Scientifique 1903

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Cet article est paru en plusieursparties dans les numéros des :

– 17 octobre 1903

– 24 octobre 1903

– 31 octobre 1903

But de ce travail

Notre précédent mémoire sur ladissociation de la matière1 était pure-ment expérimental. Continuant à déve-lopper des recherches poursuivies de-puis plusieurs années, nous y avons ré-sumé les expériences qui nous ont servià prouver que le phénomène de la ra-dio-activité, c’est-à-dire de la dissocia-tion des atomes, d’abord supposé spé-cial à quelques corps exceptionnels telsque l’uranium et le radium, était, aucontraire, une propriété générale de lamatière et par conséquent un des phé-nomènes les plus répandus de la na-ture.

L’aptitude des corps à se désagré-ger en émettant des effluves analoguesaux rayons cathodiques, capables

1 Voir Revue Scientifique des 8, 15 et 22 no-vembre 1902.

comme eux de traverser les substancesmatérielles et d’engendrer des rayons X,est universelle. La lumière frappant unesubstance quelconque, une lampe quibrûle, des réactions chimiques fort di-verses, une décharge électrique, etc.,provoquent l’apparition de ces effluves.Les corps dits radioactifs, comme le ra-dium, ne font que présenter à un hautdegré un phénomène que toute matièrepossède à un degré quelconque.

Lorsque je formulai pour la pre-mière fois cette généralisation en l’ap-puyant d’expériences pourtant fort pré-cises, elle ne frappa à peu près per-sonne et il ne se rencontra dans lemonde entier qu’un seul physicien,M. de Heen, qui en saisit la portée etprit la peine de la vérifier par de nom-breuses expériences reproduites dansd’importants mémoires. Aujourd’huicette doctrine est universellement ad-mise, et tout récemment M. Lodge di-sait, au Congrès de Belfast, que le diffi-cile n’était pas de rencontrer des corpsradioactifs, mais bien des corps qui nele soient pas à quelque degré.

Ce fut très progressivement et à lasuite d’expériences réalisées de tous cô-tés que la lumière a fini par se faire etque l’importance des faits que j’avais si-gnalés a été bien comprise. Cette im-portance n’est plus contestée aujour-

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L’énergie intra-atomique

Gustave Le Bon, La Revue Scientifique 1903

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d’hui, puisque la principale consé-quence de toutes les recherches faitesdans cette voie a été d’ébranler entière-ment ce principe fondamental de la chi-mie : que les atomes, et par conséquentla matière, sont indestructibles. C’étaitun dogme qui, depuis 2 000 ans,n’avait jamais été contesté.

Mais nos expériences et toutescelles qui en ont été la suite comportentbien d’autres conséquences, indiquéessommairement dans mon dernier mé-moire, et qui vont être développéesdans ce nouveau travail. En voici briè-vement l’énoncé :

Dans les effluves, toujours iden-tiques, que tous les corps dégagentsous des influences diverses ou sponta-nément, nous constaterons des proprié-tés intermédiaires entre la matière etl’éther et par conséquent la transitionentre les mondes du pondérable et del’impondérable que la science avait pro-fondément séparés jusqu’ici.

Cette conséquence des faits révéléspar l’expérience, ne sera pas la plus im-portante de celles que nous aurons àmettre en évidence. En remontant auxcauses de ces émissions d’effluves pou-vant se dégager de tous les corps avecune vertigineuse vitesse, nous constate-rons l’existence d’une énergie intra-ato-mique, méconnue jusqu’ici et qui dé-passe cependant toutes les forcesconnues par sa colossale grandeur.Nous ne savons la libérer encore qu’enquantité assez faible, mais du calcul decette quantité on peut déduire que, s’ilétait possible de dégager entièrementtoute l’énergie contenue dans 1 g d’unematière quelconque, une pièce decuivre de 1 centime par exemple, ellepourrait produire un travail égal à celuiobtenu par la combustion de plusieursmillions de tonnes de charbon. L’inerte

matière que l’on croyait capable seule-ment de restituer, sous une forme quel-conque, l’énergie qui lui a d’abord étéfournie, nous apparaîtra au contrairecomme un réservoir énorme d’énergie.

La constatation de l’existence decette force nouvelle restée ignorée pen-dant si longtemps, malgré sa formi-dable grandeur, nous révélera immédia-tement la source si mystérieuse encorede l’énergie manifestée par les corpspendant leur radio-activité.

Hantés par le fantôme rigide desprincipes de la thermodynamique etpersuadés qu’un système matériel isoléne peut émettre d’autre énergie quecelle qui lui a d’abord été fournie, lesphysiciens persistent à rechercher au-dehors les sources de l’énergie manifes-tée pendant la radio-activité. Naturelle-ment ils ne la trouvent pas, puisqu’elleest dans la matière elle-même et non endehors d’elle.

La réalité de la forme nouvelled’énergie dont nous n’avons cessé d’af-firmer l’existence depuis l’origine de nosrecherches, ne s’appuie nullement surla théorie, mais sur des faits d’expé-rience, et c’est pourquoi nous avons lacertitude que son existence ne pourraêtre niée pendant bien longtemps.

Ces faits d’expérience nous ontconduit ensuite à une hypothèse, dis-cutable évidemment, mais d’une proba-bilité très grande. Cette hypothèse estla suivante :

Puisque la matière, loin d’êtrequelque chose d’inerte, est un réservoirconsidérable d’énergie, on est amené àse demander si elle ne serait pas uni-quement composée d’énergie condenséesous une forme particulière d’où résultele poids, la forme et la fixité. La matière

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représenterait simplement une conden-sation d’énergie immense sous un trèsfaible volume.

Mais c’est là, je le répète, unesimple hypothèse sur laquelle je n’in-siste pas. Le but de ce mémoire est demettre en évidence les trois points fon-damentaux suivants, conséquences denos expériences :

1° La matière supposée jadis indes-tructible s’évanouit lentement par la dis-sociation continuelle des atomes qui lacomposent.

2° Les produits de la dissociationdes atomes constituent une substanceintermédiaire par ses propriétés entreles corps pondérables et l’éther impon-dérable, c’est-à-dire entre deux mondesprofondément séparés Jusqu’ici.

3° La matière jadis considéréetomme inerte et ne pouvant que restituerl’énergie qui lui a d’abord été fournie estau contraire un colossal réservoir deforces qu’elle peut dépenser sans rienemprunter au-dehors.

Que le lecteur ne se laisse pas ef-frayer par la hardiesse de quelques-unes des vues qu’il trouvera exposéesici. Des faits d’expériences les appuie-ront toujours. C’est en les prenant pourguides que nous avons essayé de péné-trer dans des régions inexplorées où ilfaut tâcher de s’orienter dans de pro-fondes ténèbres. Ces ténèbres ne sedissipent pas en un jour et c’est pour-quoi celui qui essaie de jalonner uneroute nouvelle au prix de rudes efforts,est bien rarement appelé à contemplerles horizons où elle peut conduire.

« Lorsque Volta, Ampère ou Faraday,écrit M. A. Cornu, étudiaient la pro-duction ou la transformation de l’élec-

tricité sur des phénomènes minus-cules, qui donc, à l’exception dequelque rare génie pouvait imaginerque leurs découvertes arriveraient àchanger la face du monde ? L’histoiredes grandes découvertes du ’siècle,fruit d’études longues et désintéres-sées, montre que la source des pro-grès réels est moins dans l’exploita-tion des résultats acquis que dans larecherche libre, abstraite, fantaisistemême, en un mot, dans la sciencepure et indépendante2».

1. La radio-activité commepropriété générale de lamatière. Historique decette découverte.

La doctrine de la généralité de laradio-activité de la matière, c’est à-direde sa dissociation que Je défends de-puis si longtemps, est à peu près uni-versellement admise aujourd’hui etcommence déjà à pénétrer dans les ou-vrages de physique élémentaire clas-siques. Il n’y a pas beaucoup de théo-ries d’une telle importance qui se soitrépandue en un aussi petit nombred’années.

Les idées fondamentales que je n’aicessé de défendre depuis sept anspeuvent se formuler en quelques lignes.Je les emprunte au résumé publié ré-cemment par M Lucien Poincaré.

« M. Gustave Le Bon, à qui l’on doit denombreuses publications relativesaux phénomènes d’émission de diversrayonnements par la matière et quifut certainement l’un des premiers àpenser que la radio-activité est unphénomène général de la nature, ad-met que, sous des influences très di-verses, lumière, actions chimiques,actions électriques, et souvent même

2 Comptes rendus de l’Académie des sciences.Séance annuelle du 21 novembre 1896.

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spontanément, les atomes des corpssimples peuvent se dissocier etémettre des effluves qui sont de la fa-mille des rayons cathodiques et desrayons X ; mais toutes ces manifesta-tions seraient des aspects particuliersd’une forme d’énergie entièrementnouvelle, entièrement distincte del’énergie électrique et aussi répanduedans la nature que la chaleur.M. de Heen adopte des idées ana-logues3. »

Je n’ai qu’un fragment de phrase àrectifier dans les lignes qui précèdent,C’est celui où l’éminent savant dit queje fus « un des premiers » à montrer quela radio-activité est un phénomène uni-versel. C’est « le premier » qu’il faut lira.Il suffit de se reporter aux Comptes ren-dus de l’Académie des sciences pour enavoir la preuve catégorique.

C’est au commencement de l’année1897, en effet, que j’énonçai, en don-nant des expériences, que tous lescorps frappés par la lumière émettentdes radiations capables de rendre l’airconducteur de l’électricité et de traver-ser les métaux, ce qui constitue encoreaujourd’hui deux des caractères lesplus fondamentaux de la radio-activité.Voici, d’ailleurs, les textes :

« Les radiations obscures engendréespar la lumière à la surface des corpsdéchargent l’électroscope. Elles tra-versent les écrans électriques (consti-tués uniquement, comme on le sait,par des lames métalliques). Elles im-pressionnent les plaques photogra-phiques à travers les corps opaques…Tous les corps, métaux ou substancesorganisées frappés par la lumièredonnent naissance à ces radiations.Ces radiations ne sauraient êtreconfondues avec de l’électricité. Ellesse rapprocheraient plutôt, parquelques-unes de leurs propriétés,

3 Revue des Sciences. Janvier 1903.

des rayons X. » (Comptes rendus del’Académie des sciences, 5 avril 1897,p. 755.)

Quelques semaines plus tard jedonnais, dans les mêmes Comptes ren-dus (page 892) le détail des expériencesde mesure destinées à confirmer ce quiprécède ; j’indiquais l’analogie de cesradiations émises par tous les corpssous l’action de la lumière avec lesrayons uraniques et concluais ma noteen disant : « Les propriétés de l’ura-nium ne seraient donc qu’un cas parti-culier d’une loi très générale. »

Depuis, je ne cessai d’étendre mesexpériences et je montrai (C. R. 1900,p. 892 et Revue Scientifique, 1900 1er

sem., p. 452) que beaucoup de réac-tions chimiques produisait des phéno-mènes de radio-activité. Continuantdans la même voie, je réussis finale-ment à prouver que toute matière estspontanément radioactive et que les ex-citants extérieurs, lumière, chaleur, etc,ne font que rendre sa radio-activitéplus rapide.

Il y avait, à l’époque de la publica-tion de mes premières notes, c’est-à-dire au commencement de 1897, uneexcellente raison pour que les asser-tions que j’émettais et qui sont univer-sellement acceptées aujourd’hui,fussent tenues pour tout à fait invrai-semblables et, par conséquent, pourque personne ne songeât à considérerla radio-activité comme un phénomènegénéral. J’étais seul alors à nier la pola-risation des rayons uraniques acceptéepar tous les physiciens sans exception.Puisque les rayons uraniques se polari-saient, ils appartenaient nécessaire-ment au chapitre de la lumière etétaient, par conséquent, une sorte dephosphorescence invisible. Il pouvaitdonc sembler absurde de chercher à

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établir une analogie quelconque entreles rayons uraniques et des effluves del’ordre des rayons cathodiques. Ce n’estqu’au bout de deux ans que les physi-ciens renoncèrent à admettre la polari-sation des rayons uraniques et virent,par conséquent, qu’ils se trouvaient enprésence de phénomènes entièrementnouveaux.

En résumant succinctement, la sé-rie des recherches entreprises sur cesphénomènes, il sera facile de montrercomment est née dans l’esprit des phy-siciens, puis s’est développée, l’idée fon-damentale que la radio-activité de lamatière c’est-à-dire sa dissociation estun phénomène universel.

C’est le jour même où parut enFrance le résumé du mémoire deM. Rœntgen, que je fis insérer dans lesComptes rendus de l’Académie dessciences, et simplement pour prendredate, une courte note résumant les re-cherches que je faisais depuis deux anset desquelles il résultait que la lumièretombant sur les corps produit des ra-diations capables de traverser les sub-stances matérielles. N’ayant pu identi-fier ces radiations avec rien de connu,j’indiquais, toujours dans cette pre-mière note, qu’elles devaient probable-ment constituer une force inconnue –assertion sur laquelle je suis revenubien des fois – et pour lui donner unnom, je choisis celui de lumière noire.

À peu près à la même époque,M. Becquerel, reprenant les expériencesun peu oubliées de Niepce de Saint-Vic-tor4 et se servant comme lui de sels

4 C’est à ces expériences évidemment que fai-sait allusion M. J. J. Thomson lorsqu’il disait,dans une conférence résumée par le journalThe Electrician du 17 novembre 1902. que« les phénomènes essentiels de la radio-activi-té étaient connus des physiciens depuis aumoins cinquante ans. » Le silence tout à fait

d’urane, montra, toujours comme cedernier, que ces sels émettaient dansl’obscurité certaines radiations ca-pables d’impressionner les plaquesphotographiques. Poursuivant pluslongtemps que son prédécesseur l’expé-rience, il vit que l’émission persistait in-définiment. Encore sous l’influence desidées de Niepce de Saint- Victor, il crutd’abord, qu’il s’agissait de lumière em-magasinée, c’est-à-dire d’une sorte dephosphorescence invisible et, pour leprouver, il institua des expériences lon-guement développées dans les Comptesrendus de l’Académie des sciences etqui lui firent croire que les radiationsémises par l’uranium se réfractent, seréfléchissent et se polarisent.

Plusieurs raisons, et notamment lapropriété de rendre l’air conducteur del’électricité, me faisaient supposer queles radiations émises par l’uraniumétaient identiques à celles que j’avaisconstatées dans tous les corps, les mé-taux notamment. Mais comme ces ra-diations ne se polarisaient pas, je fusconduit à reprendre les expériences deM. Becquerel sur l’uranium et à consta-ter, soit au moyen d’appareils iden-tiques à ceux employés par ce savant,soit au moyen d’appareils nouveaux5,que les radiations émises par l’uraniumn’étaient nullement susceptibles de po-larisation. Il ne pouvait s’agir, parconséquent, de phosphorescence, maisde radiations analogues à celle que j’ob-tenais avec un métal quelconque. Lesrayons uraniques constituaient doncbien, comme je l’écrivis dans le passaged’une note de 1897 rappelée plus haut,« un cas particulier d’une loi très géné-

complet gardé à l’égard de Niepce de Saint-Victor par les savants qui lui ont emprunté lepoint de départ de leurs recherches sembleraun peu surprenant, je pense, aux historiensde L’avenir.

5 Voir notamment le dessin d’un de ces instru-ments dans la Nature du 2 juin 1900. p. 1.

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rale. »

Je fus seul à soutenir cette opinionpendant deux ans. Tous les physiciensavaient admis les conclusions deM. Becquerel6. Ce ne fut qu’à la suitedes expériences de M. Rutherford7, dontles conclusions étaient identiques auxmiennes qu’ils commencèrent à chan-ger d’opinion. Mais ce fut seulementquand les physiciens allemands,MM. Giesel, Meyer et Schweider décou-vrirent, en 1899, que les émissions descorps radio-actifs étaient, comme lesrayons cathodiques, déviables par unaimant, que ridée d’une analogie pro-bable entre les deux phénomènes com-mença à se répandre. M. de Heen fut lepremier à accepter entièrement la géné-ralisation que j’avais essayé d’établir. Ill’étendit même considérablement et em-ploya, pour mettre les phénomènes enévidence, une méthode entièrementnouvelle et extrêmement ingénieuse quimatérialise en quelque sorte les radia-tions émises par les corps pendant leurdissociation. Le mouvement était don-né, et il fallut bien le suivre. On se mitde tous côtés à rechercher la radio-acti-vité et on la trouva partout. MM. Strutt,Mc Clennan et Burton trouvèrent de laradio-activité dans les corps ordinairessoustraits à toute action étrangère.MM. Elster et Geitel en trouvèrent dansl’air des caves et la terre végétale,R. Wilson dans la pluie, la neige, etc.Tous les corps essayés, en un mot,donnèrent des effluves radio-actifs.L’émission spontanée est le plus sou-vent très faible, mais devient considé-

6 « M. Becquerel établit que les radiations ura-niques pouvaient être réfléchies, polarisées,et réfractées de telle sorte qu’elles constituentévidemment une des formes de la lumière. »(Décharges électriques dans les gaz, par J. J.Thomson, p. 43 de la traduction française.Paris, 1900.)

7 Publiées dans Philosophical Magazine dejanvier 1899.

rable si on soumet les corps à l’in-fluence de divers excitants : lumière,chaleur, électricité, etc.

J’ai donc eu la satisfaction de voirreconnaître de mon vivant l’exactitudedes faits sur lesquels j’ai basé les théo-ries qui seront exposées bientôt, et jepuis espérer qu’il en sera de même unjour pour ces théories. Pendant long-temps j’avais renoncé à pareille espé-rance et songé plus d’une fois à aban-donner entièrement mes recherches.Elles avaient en effet été accueilliesaussi mal que possible en France et,sans l’esprit libéral du Secrétaire perpé-tuel de l’Académie des sciences de cetteépoque. M. Bertrand, que pourtant jene connaissais nullement, mes notesn’auraient jamais été insérées. Cha-cune d’elles provoquait de véritablestempêtes. La plupart des membres dela section de physique MM. Lippmann,Becquerel, Mascart, etc. protestaientavec énergie et les journaux scienti-fiques faisaient chorus. Nous sommestellement hiérarchisés en France, telle-ment hypnotisés et domestiqués partout ce qui sort d’une source officielle,que l’expression d’idées indépendantessemble intolérable. Un journal d’électri-cité bien connu alla même jusqu’à im-primer en tête de ses colonnes que lapublication de mes expériences consti-tuait « un véritable scandale ».

Les difficultés que je rencontraisétaient très grandes à cette époque, carje me trouvais en présence de deux élé-ments fort différents qu’il fallut pénible-ment dissocier. Ces deux éléments secomposaient :

1° De radiations infra-rouges degrande longueur d’onde qui, contraire-ment à tout ce qu’on enseignait alors,traversent le papier noir, l’ébonite, lebois, la pierre, en un mot la plupart des

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corps non conducteurs. Elles sont na-turellement susceptibles de réfractionet de polarisation8.

2° De radiations de la famille desrayons cathodiques qui se forment à lasurface de tous les corps, les métauxnotamment. Elles ne se réfractent pas.ne se polarisent pas et n’ont aucuneparenté avec la lumière. Ce sont cesdernières radiations que les corps ditsradioactifs tels que l’uranium émettentconstamment.

Il me fallut de longues recherchespour séparer, ou plutôt pour différen-cier ces deux catégories de radiations,car dans la pratique il n’est pas tou-jours possible de les séparer entière-ment.

Je n’étais pas cependant resté com-plètement seul sur la brèche pendantcelle période difficile. Un physicien émi-nent, M. de Heen, professeur de phy-sique à l’Université de Liège et directeurdu célèbre Institut de physique de lamême ville, avait repris mes expé-riences et déclarait, dans un de ses mé-

8 Avec ces radiations infra-rouges obscures,j’arrivais à photographier à la chambre noiredes maisons à travers des corps opaques enune ou deux minutes en remplaçant la plaqueau gélatino-bromure par un écran de sulfurede zinc, mais les ondes que je pus mesurerne dépassaient pas une longueur de 2 µm.En raison de la très grande diffraction obser-vée dans diverses expériences, j’étais persua-dé, comme je l’écrivis alors, qu’il devait setrouver parmi elles des radiations de bienplus grande longueur situées entre les ondeshertziennes et la lumière. C’était la seule demes premières assertions qui fût restée sansvérification, lorsque, tout récemment,M. Blondlot annonça, dans des notes insé-rées dans les Comptes rendus (mai 1903),que toutes les flammes et le soleil émettentdes radiations de très grande longueurd’onde capables de traverser tous les corpsopaques, y compris les métaux. Il leur a don-né le nom de l’ayons N.

moires, qu’il les assimilait pour l’impor-tance à celles de Rœntgen. Elles furentpour lui l’origine de nombreuses re-cherches et le conduisirent finalement àune nouvelle théorie de l’électricité des-tinée à prendre une place importantedans la science. Ce furent certainementses publications qui déterminèrentd’autres physiciens à reprendre, euxaussi, mes expériences et à vérifier pardiverses méthodes l’exactitude des faitsque j’avais énoncés. C’est ainsi qu’ilsarrivèrent à modifier toutes leurs idéesantérieures et à reconnaître avec moique la radio-activité, c’est-à-dire la dis-sociation ùe la matière, est un des phé-nomènes les plus répandus de la na-ture.

Il est assez naturel qu’on ne soitpas prophète dans son propre pays. Ilsuffit qu’on le soit un peu ailleurs.L’importance des résultats mis en lu-mière par mes recherches a été com-prise assez vite à l’étranger. Des di-verses études qu’elles ont provoquées,je me bornerai à reproduire trois frag-ments.

Le premier est une partie du pré-ambule dont M. Pio a fait précéder lesquatre articles qu’il a consacrés, à mesexpériences dans la revue anglaise En-glish mechanic and World of science9 :

« Depuis six ans, Gustave Le Bonpoursuit ses recherches sur certainesradiations qu’il appela d’abord Lumièrenoire. Il scandalisa les physiciens or-thodoxes par son audacieuse assertionqu’il existe quelque chose qui avait étéentièrement ignoré : Cependant ses ex-périences décidèrent d’autres expéri-mentateurs à vérifier ses assertions etbeaucoup de faits imprévus ont été dé-couverts. Rutherford en Amérique, No-don en France, de Heen en Belgique,

9 Numéros de janvier à avril 1903.

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Lenard en Autriche, Elster et Geitel enSuisse sont entrés avec succès dans lesillage de Gustave Le Bon. Résumantaujourd’hui les expériences faites parlui depuis six ans, Gustave Le Bonmontre qu’il a découvert une force nou-velle de la nature se manifestant danstous les corps. Ses expériences jettentune vive lumière sur des sujets aussimystérieux que les rayons X, la radio-activité, la dispersion électrique, l’ac-tion de la lumière ultra-violette, etc. Leslivres classiques sont muets sur toutesces choses et les plus éminents électri-ciens ne savent comment expliquertous ces phénomènes. »

Le second des articles, auxquels jeviens de faire allusion est celui publiépar M. Legge dans la revue The Acade-my du 6 décembre 1902 sous ce titre :A New form of Energy :

« Rien n’est plus remarquable que larévolution profonde effectuée depuisdix ans dans les idées des savants ence qui concerne la force et la ma-tière… La théorie atomique d’après la-quelle chaque portion de matière com-posait. d’atomes indivisibles ne pou-vant se combiner qu’en proportionsdéfinies, était un article de foi scienti-fique. Il conduisait à des déclarationscomme celle d’un des derniers Prési-dents de la Chemical Society qui assu-rait à ses auditeurs, dans une allocu-tion annuelle, que l’âge des décou-vertes en chimie était clos, et que, parconséquent, il fallait se consacrer ex-clusivement à une sérieuse classifica-tion des phénomènes chimiquesconnus. Mais cette prédiction était àpeine formulée que sa fausseté deve-nait évidente. Crookes découvrait lamatière radiante, Rœntgen révélait lesrayons qui portent son nom, Becque-rel la radio-activité de certains corpset maintenant Gustave Le Bon, dansune série de mémoires, va plus loinencore. Il nous montre que ces nou-velles idées ne sont pas plusieurs

choses mais une seule chose, que lesphénomènes observés sont la consé-quence de la production d’une formede matière toute spéciale ressemblantplus à la force qu’à la matière… Lesconséquences des recherches de Gus-tave Le Bon seraient en réalité im-menses. Tout l’édifice chimique seraitdémoli en bloc et on pourrait écrireun système entièrement nouveaudans lequel on verrait la matière pas-ser à travers la matière et les élé-ments constituer des formes diversesde la même substance. Mais ceci neserait rien encore, comparé aux résul-tats qui suivraient l’établissementd’un pont dans l’espace entre le pon-dérable et l’impondérable que GustaveLe Bon nous annonce déjà comme undes résultats de ses découvertes etque sir William Crookes semblaitavoir pressenti dans un de ses dis-cours à la Royal Society. »

Je terminerai ces citations par unpassage des divers articles que M. deHeen a bien voulu consacrer à mes re-cherches :

« On connaît le retentissement queproduisit dans le monde la découvertedes rayons X, découverte qui fut im-médiatement suivie d’une autre plusmodeste en apparence, aussi impor-tante peut-être en réalité, celle de lalumière noire, résultat des recherchesde Gustave Le Bon. Ce dernier prouvaque les corps frappés par la lumière,les métaux notamment, acquièrent lafaculté de produire des rayons ana-logues aux rayons X. Becquerel dé-couvrit ensuite que l’uranium possèdeégalement la faculté d’émettre cesrayons d’une manière continue. Gus-tave Le Bon reconnut bientôt qu’il nes’agissait pas là d’un phénomène ex-ceptionnel, mais au contraire d’unordre de phénomènes aussi répandudans la nature que les manifestationscalorifiques, électriques ou lumi-neuses ; thèse que nous avons tou-jours défendue également depuis cette

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époque ».

Le lecteur excusera, je l’espère, lepetit plaidoyer qui précède. Les oublisrépétés de certains physiciens m’ontobligé à le faire. Les phénomènes nou-veaux que j’ai constatés ont été décou-verts au prix de trop d’efforts, de dé-penses et d’ennuis pour que Je netienne pas à conserver un bien si diffi-cilement acquis.

Ce n’est pas, bien entendu, pourrevenir sur mes expériences anté-rieures, que je publie le mémoire qui vasuivre ; mais pour exposer les consé-quences nouvelles que je crois pouvoirdéduire de mes recherches. Quand jeserai obligé de rappeler des faits déjàexposés, ce sera uniquement pourmontrer la solidité des bases sur les-quelles mes conclusions reposent.

2. Les faits observés pen-dant la dissociation de lamatière.

La radioactivité de la matière, c’est-à-dire sa dissociation, se manifeste tou-jours par l’émission dans l’espace d’ef-fluves ayant une vitesse de l’ordre decelle de la lumière et possédant despropriétés analogues à celles desrayons cathodiques, notamment cellede produire des rayons X dès qu’ellesrencontrent un obstacle.

De nombreuses expériences ont dé-finitivement prouvé la parenté des di-verses émissions radioactives. Qu’ellesproviennent de la cathode de l’ampoulede Crookes, du rayonnement d’un mé-tal sous l’action de la lumière, durayonnement de corps spontanémenttrès actifs, tels que l’uranium, le tho-rium et le radium, etc., les effluves sontde même nature. Ils subissent, en effet,

la même déviation magnétique, le rap-

portem

de leur charge à leur masse

est le même. Leur vitesse seule varie,mais elle est toujours immense.

On peut donc, quand on veut étu-dier la radio-activité, choisir les corpspour lesquels le phénomène se mani-feste de la façon la plus intense, soit,par exemple, l’ampoule de Crookes ouun métal formant cathode est excité parle courant électrique d’une bobine d’in-duction, soit plus simplement des corpstrès radio-actifs tels que les sels de tho-rium op. de radium. Ces derniers pro-duisent des phénomènes de phospho-rescence d’une intensité très grande10.

C’est avec les tubes de Crookes queles phénomènes de radio-activitéfurent, comme on le sait, étudiés toutd’abord. On connaît trop les rayons ca-thodiques qui prennent alors naissancepour qu’il soit utile de leur consacrerplus de quelques lignes.

Si dans un tube muni d’électrodesdans lequel on a, poussé le vide trèsloin, on envoie un courant électrique àune tension suffisante – qu’il soit fournipar des piles, une machine électrique

10 Je possède des matières radio-actives de fa-brication allemande enfermées dans destubes de verre scellés maintenus dans l’obs-curité et dont la phosphorescence n’a pas di-minué depuis deux ans. Une des plus cu-rieuses expériences qu’on puisse faire avecces matières est de rendre phosphorescentsdes diamants à travers une mince lamed’aluminium. L’expérience ne réussit qu’avecles diamants capables de devenir phospho-rescents à la lumière du jour ou à celle dumagnésium. Ces diamants sont d’ailleurs as-sez rares. J’ai choisi les cinq que je possèdesur plusieurs centaines d’échantillons quim’avaient été obligeamment prêtés par deuxgrands importateurs de diamants M. Pelletieret M. Louis Ochs que je remercie vivement deleur obligeance.

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ou une bobine d’induction – la cathodeémet des rayons qui se propagent enligne droite échauffent les corps qu’ilsviennent frapper et sont déviés par unchamp magnétique. La cathode métal-lique ne sert d’ailleurs qu’à rendre lesrayons plus abondants, puisque j’aimontré dans un précédent travailqu’avec un tube de Crookes sans ca-thode ni trace de matière métalliquequelconque, on observait absolumentles mêmes phénomènes.

Les rayons cathodiques sont char-gés d’électricité et peuvent traverser deslames métalliques minces et reliées à laterre en conservant leur charge. Toutesles fois qu’ils frappent un obstacle, ilsdonnent immédiatement naissance àces rayons particuliers dits rayons X,qui diffèrent des rayons cathodiques.en ce qu’ils ne sont pas déviés par unaimant et traversent des lames métal-liques épaisses capables d’arrêter entiè-rement les derniers.

Rayons cathodiques et rayons Xproduisent de l’électricité sur tous lescorps, gaz ou matières solides, qu’ilsrencontrent. Ils rendent donc l’airconducteur de l’électricité.

En mesurant la déviation desrayons cathodiques par un champ élec-trique et par un champ magnétique, onest arrivé à mesurer la vitesse des par-ticules qui les composent et le rapport

em

de leur charge e à leur masse m.

La vitesse trouvée est égale au tiers decelle de la lumière. Si l’on exprime lacharge électrique en coulombs, on ob-

tient 108 pour le rapportem

11.

11 Ce rapport a varié, suivant les observateursentre 1,55 107 et 1,84 107 (en unités électro-magnétiques). Si on adopte ce dernier chiffre,on voit qu’il représente la charge énorme de184 millions de coulombs pour 1 g de matière

Dans l’électrolyse ce rapport est 105

pour l’hydrogène, soit mille fois plus pe-tit. La charge e étant la même, la massede la particule cathodique serait le1/1000e de celle de l’atome d’hydro-gène, le plus petit des atomes connus.L’atome ordinaire serait donc dissociéen 1000 parties dans la particule ca-thodique.

En quoi consistent ces particules ?Sont-elles réellement formées de ma-tière ? Nous le verrons dans un pro-chain paragraphe.

Au lieu de l’ampoule de Crookes,servons-nous maintenant d’une matièretrès radio-active, le thorium ou le ra-dium par exemple. Nous retrouveronsla plupart des phénomènes précédentsavec de simples variations quantita-tives. Nous trouverons par exempleplus de rayons chargés d’électricité né-gative dans les tubes de Crookes quedans les émanations du radium quisont surtout chargées d’électricité posi-tive ; mais la nature des phénomènesobservés dans les deux cas sera iden-tique.

C’est, avec le thorium, produit as-sez abondant et peu coûteux12 et le ra-dium, qui est beaucoup plus rare, qu’aété faite par le professeur Rutherfordl’étude la plus complète publiée jus-qu’ici sur les propriétés des substancesradio-actives13. C’est à elle que j’em-

cathodique. Dans l’électrolyse, la charge de1 g d’hydrogène ne correspond qu’à95.000 coulombs.

12 Le thorium avec lequel j’ai fuit les expériencesdont j’ai parlé dans un précédent travail étaità l’état de chlorure et venait de la fabrique deList (Hanovre). Il est vendu 100 francs le kilo-gramme soit 10 centimes le grammeramme.Le chlorure de radium se vend au contraire500 francs le grammeramme à Paris. A la fa-brique de List la même quantité ne coûte que12 francs.

13 Chemical News du 19 juin 1903 et Philoso-

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prunte une partie du résumé qui vasuivre.

Les corps radio-actifs émettent troisespèces diverses de radiations qu’onpeut désigner par les lettres α, β et γ.

Les radiations α, très peu péné-trantes, sont chargées d’électricité posi-tive, et forment la plus grande partiedes rayons émis. C’est sous leur in-fluence que l’air deviendrait conducteurde l’électricité. Elles seraient consti-tuées par des projections de particulesayant à peu près la dimension del’atome d’hydrogène, c’est-à-dire1 000 fois plus grosses que les parti-cules des radiations β ; leur vitesse està peu près égale au 1/10 de celle de lalumière. On ne peut les dévier que parun champ magnétique très intense.

Les radiations β seraient tout à faitsemblables aux rayons cathodiquesd’un tube de Crookes. Elles sont char-gées comme eux d’électricité négative,et sont également déviées par l’aimant,mais en sens inverse des radiations α.Ce sont elles qui produisent les effetsphotographiques. Elles seraient très pé-nétrantes14. Leur vitesse, d’après Kauf-mann, serait voisine de celle de la lu-mière.

Les radiations y, qui forment latroisième espèce des radiations émisespar les corps radio-actifs, ne sont pasdéviables par un champ magnétique et

phical Magazine de mai 1903.14 Dans ce cas elles ne seraient pas semblables,

comme le dit Rutherford, aux rayons catho-diques, puisque ces derniers ne traversentguère, comme l’a montré Lenard, que deslames métalliques de 1 centième de milli-mètre d’épaisseur. Il est plutôt probable quela pénétration à travers les métaux est dueaux l’ayons X qui accompagnent toujours cesradiations ou du moins sont touj ours engen-drés par elles.

seraient tout à fait analogues auxrayons X et comme eux très péné-trantes. Leur vitesse, selon Blondlot,serait exactement celle de la lumière,c’est-à-dire 300 000 km/s.

En dehors de ces diverses espècesde radiations qui n’ont, comme nous leverrons dans un autre paragraphe, au-cun des caractères de la matière, lescorps radio-actifs émettent en quantitéinfiniment petite une émanation, ayantles caractères d’un gaz, pouvant êtrecondensé au moyen de l’air liquide à latempérature d’environ –150° et consti-tuée d’après Ramsay par de l’hélium.Elle donne aux corps avec lesquels elleest en contact une radio-activité tempo-raire. Le produit de la condensation,dont on constate les propriétés par l’ac-tion sur l’électromètre, est invisible etimpondérable, mais on peut le dis-soudre dans certains acides et en éva-porant la solution la radio-activité seretrouve sans changement dans le rési-du de l’évaporation.

Les effluves des corps radio-actifsont des propriétés physiologiques trèsactives déjà étudiées par de nombreuxobservateurs. Le radium concentrébrûle la peau à travers l’enveloppe mé-tallique le contenant. Il paralyse lesbactéries. Il ne me parait pas impro-bable que les coups de soleil observésaux hautes altitudes, où le spectre so-laire devient riche en rayons ultra-vio-lets qui produisent une radioactivité in-tense sur tous les corps, soient dus à laproduction d’émanations analogues.

Il est vraisemblable aussi que c’està la substance matérielle fort ténue quiaccompagne les effluves radio-actifs.que sont dues quelques-unes des pro-priétés observées, notamment la radio-activité dite induite et la condensationde la vapeur d’eau.

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La radio-activité induite, découvertepar Rutherford, est ce phénomène envertu duquel des corps radio-actifs,surtout en solution, communiquentpour quelque temps leur radio-activitéà l’enceinte – isolante ou conductrice –dans laquelle ils sont renfermés. Et ilsemble bien évident qu’il s’agit alors desubstances matérielles, puisque la ra-dio-activité induite ne se produit pas àtravers le verre et le mica et peut êtretransportée à distance des corps radio-actifs. En insufflant les particules quise dégagent à travers un serpentin etles projetant sur un corps quelconquece dernier, acquiert aussitôt une radio-activité temporaire.

C’est par radio-activité induite quese produit la phosphorescence du sul-fure de zinc enfermé dans un balloncommuniquant par un large tube avecun autre ballon contenant une solutionde radium. Du bismuth plongéquelques jours dans une solution de ni-trate de radium finit, pour la même rai-son, par devenir phosphorescent. Tousles corps radio-actifs sont d’ailleursplus actifs en solution qu’à l’état solide,mais alors ils perdent leur phosphores-cence et peuvent seulement la provo-quer par leurs émanations.

Je crois également probable que lapropriété de condenser la vapeur d’eaupossédée par les émanations des corpsradio-actifs est due aux particules ma-térielles entraînées par leur rayonne-ment, surtout si, on considère que cesparticules sont électrisées. C’est unepropriété commune d’ailleurs à toutesles poussières et qu’on met facilementen évidence par l’expérience suivanteconnue depuis longtemps. Un ballonplein d’eau en ébullition est mis encommunication par des tubes de verreavec deux autres ballons, l’un pleind’air ordinaire pris dans un apparte-

ment, l’autre plein du même air dé-pouillé de ses poussières par simple fil-tration, à travers de l’ouate. Onconstate que la vapeur arrivant dans leballon contenant de l’air non dépouilléde ses poussières se condense immé-diatement en un épais brouillard, alorsque la vapeur arrivant dans le balloncontenant de l’air privé de poussièresne se condense pas, ce qui fait que cedernier reste transparent.

Ce rôle des particules qui accom-pagnent les effluves des corps sponta-nément radio-actifs ou rendus forte-ment radio-actifs par un excitant quel-conque, la lumière, par exemple, per-met de pressentir l’action qu’ellespeuvent jouer en météorologie. Nousavons montré par les expériences denotre précédent mémoire qu’à mesureque le spectre se prolongeait dans l’ul-tra-violet, la dissociation de la matièredevenait de plus en plus intense. Cetultra-violet extrême. étant absorbé parde très minces couches d’air, son actions’exerce faiblement au niveau du sol.Dans notre spectre solaire, l’ultra-violetne dépasse guère la raie U, soit0,294 µm. Quand on emploie unspectre d’étincelles qui s’étend jusqu’à0,100 µm, les effets sont extraordinai-rement plus intenses. Si, comme toutporte à le supposer, le soleil contientdes radiations de cette faible longueurd’onde avant d’avoir traversé l’atmo-sphère, la dissociation des gaz à la li-mite de notre atmosphère doit être trèsgrande et, dans la suite des âges, elle adû certainement intervenir pour privercertains corps célestes de leur atmo-sphère.

Les propriétés que nous venons deconstater dans certains corps radio-ac-tifs sont – nous le répétons encore –identiques à celles des corps ordinaires,surtout quand la radio-activité Sponta-

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née de ces derniers est accrue par cer-taines influences extérieures, comme lalumière, la chaleur, les réactions chi-miques, etc. Nous pouvons doncconclure ce qui précède, en disant queles atomes de toute matière se désa-grègent lentement et que cette dissocia-tion, est un des phénomènes les plusuniversels. II semble cependant que lanature ait voulu les protéger contrecette désagrégation, puisque nousavons vu, dans les expériences expo-sées dans notre précédent mémoire,que, s’il était très facile de rendre cer-tains métaux extrêmement radio-actifsen les nettoyant avec soin, cette radio-activité intense se perdait en quelquesminutes et ne reparaissait que par unnouveau nettoyage. Pour la lumière ul-tra-violette extrême, l’action du net-toyage se fait beaucoup moins sentir,mais cette lumière ultra-violette ex-trême (0,294 à 0,100 µm) n’existe pas,comme je l’ai rappelé plus haut, dansnotre spectre solaire, en raison de sonabsorption par l’atmosphère. Sans cetteprotection, l’action de la lumière suffi-rait à elle seule, à produire l’évanouis-sement de la matière dans la suite desâges.

3. Les forces intra-ato-miques comme formeparticulière de l’énergie.

Quelle est la cause des phéno-mènes radio-actifs ? Sous quelles in-fluences la matière peut-elle se disso-cier en émettant des effluves formés departicules animées d’une vitesse del’ordre de celle de la lumière et possé-dant les propriétés que nous avonsénumérées ?

Quand les corps radio-actifs furentdécouverts, les physiciens n’eurent pasde peine à mesurer la grandeur de

l’énergie libérée pendant leur dissocia-tion, mais ils cherchèrent vainement etcontinuent à chercher encore à quellesource extérieure ces corps puisentcette énergie. On admettait, en effet,comme un principe absolument fonda-mental que la matière ne peut que res-tituer sous une forme quelconquel’énergie qui lui a été d’abord fournie.

Lorsque je prouvai que la radio-ac-tivité était un phénomène universel etnon particulier à un petit nombre decorps exceptionnels, la question devintplus embarrassante encore. Maiscomme cette radioactivité apparaissaitsurtout sous l’influence d’un agent ex-térieur : lumière, chaleur, forces chi-miques, etc., on pouvait, a la rigueur,rechercher dans ces causes extérieuresl’origine de l’énergie constatée, bienqu’il n’y eût aucun rapport entre lagrandeur des effets produits et leurcause supposée. Pour les corps sponta-nément radio-actifs, aucune explicationdu même ordre n’était possible et c’estpourquoi la question posée plus hautreste toujours sans réponse et sembleconstituer un inexplicable mystère.

La solution du problème est, cepen-dant, en réalité très simple. Pour dé-couvrir l’origine des forces qui pro-duisent les phénomènes de radio-activi-té, il suffit, comme nous allons le voir,de laisser de côté quelques dogmesclassiques.

Remarquons, tout d’abord, qu’il estprouvé par l’expérience que les effluvesengendrés pendant la radio-activitépossèdent des caractères identiques,quel que soit le corps employé etquelles que soient les méthodes usitéespour les produire. Qu’il s’agisse del’émission spontanée du radium, des ef-fluves produits par un métal recevantl’action de la lumière ou encore de ceux

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provenant de l’ampoule de Crookes, lesparticules émises ont les mêmes pro-priétés. L’origine de l’énergie qui pro-duit les effets observés semble doncêtre toujours la même.

Et puisque tous les physiciens sontunanimes à constater aujourd’hui queles produits de la radioactivité sontsemblables ; puisque d’autre part,l’énergie nécessaire pour émettre dansl’espace des effluves animés de la vi-tesse que les particules radio-activespossèdent, est immensément supé-rieure à celle que nous pourrions pro-duire par les forces diverses dont nousdisposons, n’est-il pas évident qu’il nefaut pas rechercher hors de la matière,mais bien dans la matière elle-même, lasource de l’énergie dépensée ? Cetteénergie libérée est la conséquence deréactions intra-atomiques que nousétudierons bientôt et qui diffèrent es-sentiellement des réactions extra-ato-miques que la chimie sait produire, nefût-ce que par la prodigieuse grandeurdes effets produits.

S’il en est ainsi – et il n’est pas pos-sible de concevoir qu’il en soit autre-ment – on est immédiatement conduit àenvisager les atomes qui forment la ma-tière comme d’immenses réservoirsd’énergie. Cette énergie, ils peuvent lamanifester, sans rien emprunter au-de-hors, puisqu’elle est en eux-mêmes,où . elle se trouve accumulée depuisl’époque de leur formation.

Essayons maintenant de mettre enévidence les caractères fondamentauxde l’énergie que nous qualifions de nou-velle, c’est-à-dire ignorée jusqu’ici. Etcomme il faut bien lui donner un nom,celui de Lumière noire15 par lequel je

15 Ce nom sera réservé dans nos publicationsultérieures aux radiations invisibles duspectre de grande longueur d’onde. Leurs

l’ai désignée jadis ayant réuni peud’adhérents ; désignons-la simplementsous le nom d’énergie intra-atomique.

Cette énergie diffère d’abord detoutes celles que nous connaissons parsa prodigieuse puissance. Si au lieu deréussir à dissocier seulement des mil-lièmes de milligramme de matière,comme nous le faisons maintenant,nous pouvions en dissocier quelqueskilogrammes, nous aurions, commenous le verrons bientôt, une sourced’énergie auprès de laquelle celle en-gendrée par tous les moteurs que lahouille anime représenterait un insigni-fiant total. C’est en raison de la gran-deur de cette énergie que les phéno-mènes radio-actifs se manifestent avecl’intensité que nous connaissons. C’estelle qui produit l’émission de particulesdouées d’une immense vitesse, la phos-phorescence et la production d’unequantité énorme d’électricité, hors deproportion avec celle que nous pouvonsmaintenir sur des corps isolés.

Son universalité dans la nature estun de ses caractères le plus facile àconstater. On reconnaît son existencepartout, puisqu’on trouve maintenantde la radio-activité partout.

Une des manifestations de l’énergieintra-atomique – celle qui a le plusfrappé les physiciens et qui se trouve àl’origine de toutes les théories actuelles– est de produire de l’électricité sur lescorps soumis à son action. Mais cetteélectricité revêt d’abord une forme toute

propriétés diffèrent considérablement decelles de la lumière ordinaire, non pas seule-ment par leur invisibilité, caractère sans im-portance qui ne tient qu’à la structure denotre œil, mais par des propriétés absolu-ment spéciales, telle, par exemple, que cellede traverser un grand nombre de corpsopaques et d’agir en sens exactement inversedes autres radiations du spectre.

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spéciale qui lui permet, non seulementd’engendrer des rayons X, mais encorede traverser. des corps métalliques re-liés à la terre, contrairement à une despropriétés les plus fondamentales del’électricité ordinaire. Chacun sait, eneffet, qu’une feuille de métal, reliée à laterre, si mince qu’on la suppose, consti-tue un obstacle absolu au passage del’électricité. On a même fondé sur cettepropriété classique la confection de vê-tements en gaze métallique légère quipermettent de préserver absolumentdes plus violentes décharges les ou-vriers travaillant dans des usines fabri-quant de l’électricité à haut potentiel.

Sans doute, les physiciens re-marquent que l’électricité, engendréepar les phénomènes radio-actifs, revê-tant une forme spéciale, celle d’atomesélectriques, doit posséder sous cetteforme des propriétés différentes del’électricité ordinaire. Mais alors si lespropriétés de l’atome dit électrique sontabsolument différentes de celles del’électricité, par quoi peut bien être jus-tifié le qualificatif d’électrique ? Pournous, l’atome dit électrique est simple-ment un des premiers stades de trans-formation de l’énergie intra-atomique. Demême que la chaleur, le frottement,etc., les particules radio-activespeuvent produire de l’électricité : maisne sont pas encore de l’électricité. Siune balle de fusil ou un jet de vapeur, –comme dans une ancienne machine dé-crite dans tous les livres de physique –engendrent de l’électricité par leurchoc, nous ne dirons pas, j’imagine,que cette balle de fusil ou ce jet de va-peur, sont de l’électricité, ni mêmequ’ils sont chargés d’électricité. Il neviendrait alors à personne l’idée deconfondre l’effet avec la cause, commeon persiste à le faire pour les phéno-mènes radio-actifs.

La vitesse immense des particulesémises dans l’espace sous l’influence del’énergie libérée dans l’atome serait, àelle seule, la preuve que nous noustrouvons en présence d’une force entiè-rement nouvelle. C’est dans les vibra-tions de I’éther seulement que l’on avaitobservé jusqu’ici des vitesses d’un telordre, et on les expliquait facilementpar son élasticité presque parfaite. Au-cune explication analogue ne pourraitêtre invoquée pour des projections departicules.

Les rayons X sont, eux aussi, unedes manifestations indirectes de l’éner-gie intra-atomique, un nouveau stade desa transformation. On sait que cesrayons produisent également de l’élec-tricité en frappant l’air ou les corps so-lides, mais comme un champ magné-tique est sans action sur eux – et paspour d’autres raisons – personne nepropose de les classer dans le chapitrede l’électricité.

Une forme d’énergie peut être dé-clarée nouvelle, quand elle se différen-cie par ses caractères fondamentaux detoutes celles connues. Les propriétésque j’ai énumérées permettent-elles dedifférencier l’énergie intra-atomique desautres modes d’énergie ? Cette différen-ciation me semble d’une absolue évi-dence.

Nous ne connaissons pas encoretoutes les transformations possibles decette énergie nouvelle, mais noussommes déjà fixés sur son origine.Nous savons qu’elle provient de la ma-tière, puisque nous ne pouvons pas laproduire sans matière ; nous savonsaussi qu’une fois formée, ce n’est plusde la matière, puisqu’elle a perdu tousles caractères de cette dernière et nepeut redevenir matière par aucun pro-cédé.

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Devant un ensemble de faits aussiconcluants et aussi clairs, il semble im-possible d’admettre aucune hypothèseautre que celle qui vient d’être formu-lée, c’est-à-dire que nous sommes enprésence d’un mode d’énergie entière-ment nouveau et sans parenté avec au-cun de ceux observés jusqu’ici.

L’origine de l’énergie intra-atomiquen’est pas entièrement inexplicable, sion admet avec les astronomes que lacondensation de notre nébuleuse suffi-sait à elle seule pour produire la tempé-rature considérable que le soleil pos-sède : On conçoit qu’une condensationanalogue de l’éther ait pu engendrer lesénergies que l’atome contient. On pour-rait comparer grossièrement ce dernierà une sphère dans laquelle un gaz nonliquéfiable aurait été comprimé à desmilliards d’atmosphère à l’origine dumonde.

Si cette force nouvelle – la plus ré-pandue et la plus puissante de toutescelles de la nature – est restée entière-ment ignorée jusqu’alors, c’est, d’unepart, parce que les réactifs nous man-quaient pour la constater et, d’autrepart, que l’édifice atomique constitué àl’origine des âges est si stable, si solide-ment agrégé, que sa dissociation – aumoins par les moyens actuels – est tou-jours extrêmement faible. S’il en étaitautrement, le monde se serait évanouidepuis longtemps.

Mais comment une constatationaussi simple que l’existence de l’énergieque je viens de décrire n’a-t-elle pas étéfaite depuis la découverte de la radioac-tivité et surtout depuis que j’ai démon-tré la généralité de ce phénomène ? Onpeut l’expliquer par des raisons d’ordrephysique et aussi par une raison d’ori-gine psychologique.

Les raisons d’ordre physique, nousles avons dites. Admettre que la matièrepeut produire de l’énergie par elle-même est contraire à tous les principesreçus. Or les dogmes scientifiques ins-pirent aujourd’hui la même crainte su-perstitieuse que les divinités des vieuxâges, bien qu’ils en aient parfois toutela fragilité.

La raison d’ordre psychologique estla suivante : nous ne pouvonsconnaître les formes diverses de l’éner-gie que par leurs effets, et nous ne lesclassons que par ces mêmes effets.Nous différencions, par exemple, lachaleur de l’électricité, parce que leursactions sont dissemblables.

Les phénomènes de radio-activité,tels que l’émission de particules ayantune vitesse de l’ordre de celle de la lu-mière, et la propriété d’engendrer desrayons X sont évidemment des carac-tères que ne possède aucun des modesd’énergie connus, et ils auraient dûconduire les physiciens à admettrequ’ils étaient la conséquence d’uneforce nouvelle. Mais l’impérieux besoinmental de chercher des analogies, derapprocher l’inconnu du connu, a faitrattacher ces phénomènes à l’électricitésous le prétexte que parmi les effets ob-servés, un des plus constants était laproduction d’électricité, bien que l’élec-tricité alors produite possédât d’abordune forme et des propriétés absolumentdifférentes de celles de l’électricité ordi-naire, ne fût-ce que celle de traverserles corps métalliques comme nousl’avons montré plus haut.

Le raisonnement actuel des physi-ciens est identique à celui qu’on feraitsûrement si la chaleur, étant un phéno-mène inconnu, on la découvrait brus-quement.

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L’auteur de la découverte ne seraitpas embarrassé pour classer la chaleurparmi les phénomènes électriques. Sesarguments seraient tout à fait ana-logues à ceux invoqués maintenantpour expliquer les phénomènes radio-actifs, Il constaterait qu’elle se propagele long d’un fil métallique et que si ce filn’est pas tout à fait homogène, il y aaussitôt production d’électricité, c’est-à-dire ce que l’on appelle un courantthermo-électrique. Il mesurerait laquantité d’électricité ainsi produite,tout comme on mesure celle engendréepar le choc des émanations radio-ac-tives. Sans doute, ce physicien finiraitbien par découvrir qu’il y a quelquesdifférences entre la chaleur et l’électrici-té, ne fût-ce que la vitesse de propaga-tion, mais – toujours, comme pour lesémissions radio-actives – il laisserait decôté les différences ne correspondant àrien de classable et ne s’occuperait quedes analogies faciles à incruster. dansl’esprit.

La chaleur étant connue depuislongtemps, on voit très bien à quelpoint seraient erronés les argumentsque je viens de supposer. Il est pro-bable que les raisonnements faits surles émissions radio-actives semblerontaussi peu fondés dans un avenir assezprochain.

Laissant de côté les insuffisantesanalogies dont on se contente actuelle-ment, nous résumerons ce qui précèdeen disant que tous les phénomènes deradio-activité, c’est-à-dire les effluvesque manifeste la matière dans tant decirconstances diverses, sont produitspar l’énergie intra-atomique des atomeset que cette énergie constitue une forcenouvelle entièrement différente de toutescelles étudiées jusqu’ici.

L’existence de cette énergie nou-

velle, la plus importante de toutescelles de l’univers, apparaîtra avec uneévidence éclatante le jour où les physi-ciens, s’étant débarrassés de l’héritagedes idées qui dirigent inconsciemmentleurs pensées, renonceront à vouloirl’attacher à des phénomènes connusdes choses qui en diffèrent entièrement.Je crois qu’il ne s’écoulera pas bienlongtemps avant que l’existence del’énergie intra-atomique soit reconnuepar quelques physiciens possédant unedose suffisante de prestige pour impo-ser une doctrine. Ce sont les expé-riences nouvelles qui font naître lesidées nouvelles, mais c’est uniquementpar le prestige de celui qui les formuleque ces idées s’imposent16.

16 L’histoire des sciences montre facilement quecette assertion n’est, en aucune façon, un pa-radoxe. Les expériences les plus claires, lesplus convaincantes en apparence, n’ont ja-mais constitué un élément immédiat de dé-monstration quand elles heurtaient des idéesadmises depuis longtemps. Galilée l’apprit àses dépens lorsqu’ayant réuni tous les pro-fesseurs de l’Université de Pise, il s’imaginaleur prouver par l’expérience que, contraire-ment aux idées alors reçues, les corps depoids différents tombent avec la même vi-tesse, sauf une petite différence produite parla résistance de l’air. On se figurait à cetteépoque qu’un corps dix fois plus lourd qu’unautre tombe dix fois plus rapidement. L’expé-rience de Galilée pouvait sembler absolumentconcluante, puisque faisant tomber en mêmetemps du haut de l a Tour de Pise une petiteballe de plomb et un lourd boulet de mêmemétal, il montra que les deux corps arrivaienten même temps sur le sol. Les professeurs sebornèrent à hausser les épaules et ne modi-fièrent nullement leur opinion. Bien des an-nées se sont écoulées depuis cette époque,mais le degré de réceptivité des esprits pourles choses nouvelles ne s’est pas sensible-ment accru. Quand Ohm découvrit la loi quiimmortalisera son nom et sur laquelle toutel’électricité repose, il la publia dans un livrerempli d’expériences tellement simples, telle-ment concluantes, qu’elles pouvaient êtrecomprises par un élève des écoles primaires.Non seulement il ne convainquit personne,mais un des plus influents savants de

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4. Grandeur des forces in-tra-atomiques. La ma-tière considérée commeune condensationénorme d’énergie.

Grandeur de l’énergie intra-atomique.

En essayant de justifier notre théo-rie de l’existence d’une énergie intra-atomique ignorée jusqu’ici, nous avonsparlé de sa colossale grandeur. Nous al-

l’époque accabla Ohm de son mépris dansune grande revue scientifique, et traita sesexpériences de fantaisies parfaitement ridi-cules, démenties par l’observation la plus su-perficielle des faits connus. La réputationscientifique du grand homme en fut tellementatteinte qu’il perdit la place qui le faisait vivreet fut fort heureux de trouver, pour ne pasmourir de faim, une situation de 1 200 francspar an dans un collège, situation qu’il occupapendant six ans. Ce ne fut qu’à la fin de savie qu’on lui rendit justice et qu’on le nommaalors professeur dans une faculté. RobertMayer fut moins heureux et n’obtint pas cettetardive satisfaction. Quand il découvrit laplus importante des grandes lois scientifiquesmodernes, celle de la conservation de l’éner-gie, il trouva à grand’peine une revue quiconsentit à insérer son mémoire, mais aucunsavant n’y apporta la moindre attention, pasplus d’ailleurs qu’à toutes ses publicationssuccessives, y compris celle sur l’équivalentmécanique de la chaleur qui parut en 1850.Après avoir tenté de se suicider, Mayer perditla raison et resta pendant longtemps ignoré àce point que, quand Helmholtz refit de son cô-té la même découverte, il ne savait pas avoireu un prédécesseur. Helmholtz ne fut pasplus encouragé, d’ailleurs, à ses, débuts, et leplus important des journaux scientifiques del’époque, les Annales de Poggendorff, refusal’insertion de son célèbre mémoire : Laconservation de l’énergie, le considérant évi-demment comme une spéculation fantaisistetout à fait indigne de lecteurs sérieux. C’est,comme on le sait, sur cette spéculation quetoute la physique et la mécanique modernessont bâties.

lons essayer maintenant de la mesurer.

La grandeur de l’énergie manifestéedans les phénomènes radio-actifs afrappé tous les physiciens qui, depuislongtemps, en cherchent l’origine. Und’eux faisait récemment observer que ladissociation complète de 1 g de radiumproduirait assez d’énergie pour trans-porter toute la flotte anglaise au som-met du Mont Blanc.

Ce n’est là évidemment qu’uneimage, mais nous allons la remplacerpar des chiffres. Nous rappelons, toutd’abord que ces chiffres seront exacte-ment les mêmes, qu’on se serve du ra-dium ou d’un corps quelconque,puisque toute matière devient très faci-lement radio-active. Le radium dissipe-ra plus vite son énergie qu’un autrecorps, mais il n’y a entre eux que cettedifférence.

Les chiffres qui vont suivre ont sim-plement d’ailleurs pour but de montrerque, quelle que soit Jia méthode em-ployée, on arrive dans la mesure del’énergie libérée par un poids déterminéde matière dissociée, à des chiffres im-mensément supérieurs à tous ceux, quenous pourrions produire par les réac-tions chimiques ordinaires, la combus-tion de la houille par exemple. C’estparce qu’il en est ainsi que, malgré leurdissociation si faible, les corps, peuventproduire pendant cette dissociation leseffets que nous avons énumérés.

Cherchons donc à préciser un peula grandeur des forces condensées dansune petite quantité d’une .matière quel-conque. Les diverses méthodes em-ployées pour mesurer la vitesse desparticules radio-actives ont toujoursdonné des chiffres voisins. Cette vitesseapproche de celle de la lumière pourcertaines émissions radio-actives. Elle

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est de un tiers de cette vitesse pour lesparticules de l’ampoule de Crookes. Ac-ceptons le moins élevé de ces chiffrescelui de 100 000 km/s et essayonsd’après cette base, de calculer l’énergieque produirait la dissociation complètede 1 g d’une matière quelconque.

Prenons, par exemple, une pièce decuivre de 1 centime, pesant, comme onle sait, 1 g, et supposons qu’en exagé-rant la rapidité de sa radioactivité, nouspuissions arriver à la dissocier entière-ment.

Le travail engendré par un corps enmouvement étant égal à la moitié duproduit de sa masse par le carré de savitesse, un calcul élémentaire donne desuite la puissance que représenteraientles particules de ce gramme de matièreanimée de la vitesse que nous avonsdite. Elle serait égale à environ 6 mil-liards 800 millions de chevaux-vapeur.Cette quantité d’énergie serait suffi-sante pour faire circuler un train demarchandises sur une route horizon-tale d’une longueur égale à un peu plusde quatre fois et un quart la circonfé-rence de la terre17.

Pour faire effectuer avec du char-bon ce trajet au même train, il faudraitemployer 2 830 000 kg de charbon qui,au prix de 24 francs la tonne, représen-teraient une dépense d’environ68 000 francs.

Ce qui détermine la grandeur des

17 J’ai supposé dans ce calcul un train de mar-chandise ; normal, comprenant 40 voitures de12,5 tonnes, soit un poids de 500 tonnes rou-lant à une vitesse de 36 km/h en terrain hori-zontal et nécessitant un effort de traction de 6kilogrammes à la tonne par seconde, soit3 000 kilogrammes pour les 500 tonnes. Letravail de la machine transportant ce train àla vitesse de 36 km/h, serait de 400 che-vaux-vapeur par seconde.

chiffres précédents et les rend au pre-mier abord invraisemblables, c’estl’énorme vitesse des masses mises enjeu, vitesse dont nous ne pouvons ap-procher par aucun des moyens méca-niques connus. Dans le facteur mV², lamasse de 1 g est assurément fort petite,mais la vitesse étant immense, les effetsproduits deviennent également im-menses. Une balle de fusil tombant dequelques centimètres de hauteur sur lapeau ne produit aucun effet appréciableen raison de sa faible vitesse. Dès quecette vitesse grandit, les effets de-viennent de plus en plus meurtriers, etavec les vitesses de 1 000 m/s environque nous pouvons atteindre avec lespoudres actuelles, la balle peut traver-ser de très résistants obstacles. Réduirela masse d’un projectile est sans grandeimportance, si on réussit à augmentersuffisamment sa vitesse. Telle est juste-ment la tendance de l’artillerie modernequi réduit de plus en plus le calibre desballes de fusil, mais tâche d’augmenterleur vitesse.

Or toutes les vitesses que nouspouvons produire ne sont absolumentrien auprès de celles des particules dematière dissociée. Nous ne pouvonsguère dépasser un kilomètre par se-conde par les moyens dont nous dispo-sons, alors que la vitesse des particulesradio-actives est 100 000 fois plusforte. De là l’énormité des effets pro-duits.

En ne tenant compte que d’unepartie de l’énergie libérée dans la radio-activité, Rutherford est arrivé par uneméthode différente, à des chiffres trèsinférieurs aux précédents, mais encoreénormes. Suivant lui, 1 g de radiumémettrait pendant son existence 109 ca-lories-grammes, chiffre qu’il est facilede ramener à l’unité précédente, celledu cheval-vapeur. On a en effet :

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109 calories g = 106 grandes calo-ries = 106 * 425 kgm = 425 000 000 ki-logrammètres = 5 666 666 chevaux va-peur.

Ce chiffré de moins de 6 millions dechevaux-vapeur doit être beaucoup tropfaible. Rutherford admet, en effet, quel’énergie de radiation de 1 g de radiumn’est que de 15 000 calories g par an,alors que les mesures récentes de Curieont prouvé que 1 g de radium émet100 calories g par heure, ce qui ferait876 000 calories par an, au lieu de15 000. Nécessairement, ces calories,malgré leur nombre élevé, ne repré-sentent qu’une infime partie de l’éner-gie intra-atomique, puisque cette der-nière est dépensée en divers rayonne-ments.

Les chiffres qui précèdent varient,comme on le voit, dans de grandes li-mites, mais ils sont toujours énormes,et, comme le fait observer Rutherford,l’énergie manifestée dans les phéno-mènes radioactifs est « peut-être unmillion de fois plus grande que celleproduite par les diverses réactions mo-léculaires connues. »

Rutherford fait aussi remarquer –et c’est le premier physicien à maconnaissance qui se soit décidé à fairecette constatation – que « les élémentsradioactifs ne différant des autres élé-ments par aucun de leurs caractèreschimiques, il n’y a aucune raison decroire que l’énorme réservoir d’énergiequ’ils possèdent n’existe que chez eux.Il semble donc probable que l’énergieatomique est générale et du mêmeordre de grandeur chez tous lescorps18. » C’est la thèse que je ne cessede défendre et sur laquelle je m’appuiedepuis longtemps pour soutenir l’exis-tence d’un mode d’énergie nouveau dé-

18 Philosophical Magazine, mai 19)3, p. 590.

passant en grandeur tous ceux quenous connaissons.

Arriverons-nous un jour à libérerfacilement cette colossale puissanceque les atomes contiennent dans leursein. Nul ne pourrait le dire. On n’eûtpu dire non plus au temps de Galvanique l’énergie électrique qui réussissaitpéniblement à agiter des pattes de gre-nouille et attirer de petits fragments depapier, véhiculerait un jour d’énormestrains de chemin de fer.

Dissocier complètement l’atomesera peut-être toujours au-dessus denos forces, parce que la difficulté doitcroître à mesure qu’avance la dissocia-tion, mais il suffirait de pouvoir en dis-socier facilement une faible partie. Quele gramme de matière dissociée suppo-sé plus haut soit emprunté à une tonnede matière ou même à beaucoup plus,il n’importe. Le résultat serait toujoursle même au point de vue de l’énergieproduite19.

19 En se basant sur le nombre de calories déga-gé spontanément par le radium, d’après lesexpériences relatées plus haut, E. Wilson afait remarquer qu’il suffirait que le soleilcontint une petite quantité de ce corps parmètre cube pour que les calories émisespuissent entretenir sa chaleur. Mais il n’estnullement besoin d’y supposer l’existence dece métal ou plutôt de ce composé exception-nel. Les atomes de tous les corps étant un ré-servoir énorme d’énergie et tous ces corps de-venant très radio-actifs sous l’influence d’unefaible chaleur, comme je l’ai montré, il suffi-rait d’admettre que sous l’action de l’énormetempérature du soleil qu’on évalue à un mini-mum de 6 000 °C, les éléments qui le com-posent éprouvent une dissociation spontanéeassez rapide. Dans cette voie des hypothèsesun peu fantaisistes, on pourrait aller plus loinencore. D’après les idées actuelles sur lastructure des atomes, on doit supposer queleur dissociation devient d’autant plus diffi-cile qu’elle est plus avancée. Il serait dès lorspossible qu’un astre qui se refroidit fût sim-plement un astre dont les éléments ont fini

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Si, comme les physiciens l’ad-mettent encore, la matière, au lieud’être un réservoir immense d’énergie,ne faisait que restituer l’énergie qu’onlui communique par un moyen quel-conque, la chaleur par exemple, il estévident que les calculs précédents se-raient sans intérêt, puisque dans ce casil faudrait pour produire la dissociationde la matière, une dépense de travailprécisément égale à celui que produiraitcette dissociation, conformément à undes principes fondamentaux de la ther-modynamique.

Mais il n’est plus guère contestableque l’énergie produite par l’atome disso-cié ne vient pas du dehors et est em-pruntée au réservoir énorme qu’il pos-sède. Fût-il même d’ailleurs un simpleagent de transformation d’énergie, l’im-portance de la dissociation subsisteraittoujours, puisque nous pouvons la pro-duire par des agents absolument gra-tuits et inutilisés aujourd’hui, tels quela lumière20.

Nous possédons donc dans la ma-tière un réservoir prodigieux d’énergie,et peut-être n’est-elle pas autre choseque de l’énergie condensée. La re-cherche des moyens de libérer facile-ment cette énergie constituera sûre-ment un des plus importants pro-blèmes de l’avenir.

On ne pourrait citer cependantqu’un seul savant, l’illustre Crookes,

par se dissocier de plus en plus lentement.20 Dans un travail récent (On ether and qravita-

tional matter through infinite space) LordKelvin s’exprime ainsi : « La valeur mécaniquede un kilomètre cube de lumière solaire estégal à 412 kilogrammètres équivalant au tra-vail de un cheval-vapeur pendant 5,5 se-condes. Ce résultat peut donner quelque idéede la somme actuelle d’énergie mécanique dumouvement lumineux et des forces contenuesdans notre atmosphère. »

qui ait cherché à attirer l’attention desphysiciens sur l’importance de ce pro-blème ou du moins de problèmes ana-logues, car en écrivant les lignes quivont suivre, il pensait, lui aussi, confor-mément à l’opinion courante que c’estau-dehors que les corps radio-actifspuisent leur énergie. En se basant, iepense, sur la théorie cinétique des gazil s’exprime ainsi :

« L’énergie totale des deux mouve-ments de translation et de mouve-ment intérieur des molécules empri-sonnées dans l’air au repos à la pres-sion et à la température ordinaire estd’environ 25 000 kilogrammètres parmolécules d’air. L’air contenu dansune chambre de capacité moyennerenfermerait assez d’énergie pour fairemouvoir une machine de la puissanced’un cheval-vapeur pendant plus dedouze heures Le stock auquel puisentnaturellement l’uranium et autresatomes pesants n’attend que la ba-guette magique de la science pourpermettre au XXe siècle d’éclipser lesmerveilles du XIXe. »

Bien avant la découverte desrayons cathodiques ; Lord Kelvin avaitfait remarquer que si nous pouvionsdonner aux molécules matérielles desvibrations dont le degré de fréquencefût de l’ordre de celles des vibrations lu-mineuses, les forces produites s’élève-raient à des milliards de tonnes parcentimètre carré.

Or, contrairement à toute prévisionet même à toute vraisemblance, ce sontprécisément des vitesses de cet ordreque réalisent les particules catho-diques, qu’elles soient produites dansl’ampoule de Crookes, ou par les corpsqui les émettent spontanément commele thorium et l’uranium par exemple, ouencore par ceux qui les émettent sousl’action de la lumière, ce qui est le casde la plupart des corps.

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Sur un terrain aussi neuf, devant lemonde nouveau qui s’ouvre à nous au-cune de nos vieilles théories ne doit ar-rêter les chercheurs. « Le secret de tousceux qui font des découvertes, dit Lie-big, est qu’ils ne regardent rien commeimpossible. » Les résultats à obtenirdans cet ordre de recherches seraienten vérité immenses. Dissocier facile-ment la matière serait mettre à notredisposition une source indéfinie d’éner-gie et rendre inutile l’extraction de lahouille dont la provision s’épuise rapi-dement.

La matière considérée commeune condensation énorme d’éner-gie.

Les chiffres que nous avons donnésmontrent que la matière est un im-mense réservoir d’énergie. Ils prouventque le principe de la thermodynamiqued’après lequel la matière se bornerait àrestituer l’énergie qui lui a été fournien’est plus défendable, puisqu’aucunedes énergies dont nous pouvons dispo-ser ne pourrait produire des effets voi-sins de ceux dont nous avons constatéla grandeur.

Le fait Indiscutable que l’atome estun réservoir d’énergie, conduit immé-diatement, suivant nous, à cette hypo-thèse : que la matière serait unique-ment composée d’énergie condensée21

sous une forme particulière d’où résulte

21 Ce terme d’énergie condensée, qui peut cho-quer au premier abord, a déjà été employépar M. Boussinesq, dans son ouvrage : Théo-rie analytique de la chaleur. Dans le but derapprocher la théorie de la chaleur de celledes ondes lumineuses, je considère, dit-il, « lachaleur des corps comme de la chaleur rayon-nante condensée, dont les équations sont, ilest vrai, à raison même de cette condensa-tion, autrement particularisées que celles dumouvement par ondes ».

le poids, la forme et la fixité. C’estl’énergie ainsi condensée que nousnommons matière.

Et, à vrai dire, des faits anciens,bien antérieurs à la découverte desrayons cathodiques, auraient déjà dûconduire à cette idée que l’atome n’estqu’une condensation d’énergie. Cesfaits montraient clairement, en effet,dans la matière, des phénomènes évi-dents de condensation d’énergie. Pre-nons, par exemple, la quantité d’électri-cité qu’on extrait des corps par l’élec-trolyse, Un gramme d’une substancetelle que l’hydrogène contient unecharge de 96 000 C. Il faut que l’électri-cité y soit dans un état de condensationbien considérable, puisque par tous lesmoyens dont nous disposons, nous neferions, tenir sur un corps isolé, si vo-lumineux qu’on le suppose, qu’une bienminime fraction de cette charge. Jou-bert fait observer que la quantité d’élec-tricité contenue dans un centimètrecube d’hydrogène suffirait à chargerune sphère grande comme la terre aupotentiel de 6 000 V.

L’électricité n’est pour nous,comme nous l’avons dit, qu’une desmanifestations de l’énergie particulièrecontenue dans les atomes. C’est le pro-digieux état de condensation de cetteénergie qui lui permet d’engendrer laquantité énorme d’électricité quel’atome peut produire et dont très pro-bablement, une partie seulement appa-raît dans l’électrolyse ordinaire. Cen’est pas là d’ailleurs une simple hypo-thèse, puisque dans la radio-activitémanifestée par les corps simples, laquantité d’électricité libérée pour unpoids donné de matière est considéra-blement plus élevée que dans l’électro-lyse.

Dans toutes les opérations

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usuelles, que nous faisons subir à lamatière, fusion, vaporisation, etc., etdans toutes les opérations chimiques,nous lui communiquons un supplé-ment d’énergie, qui augmente vraisem-blablement les mouvements de rotationou de vibration des atomes, mais nousne touchons pas à leur structure, etc’est pour quoi la matière reprend si ai-sément son état primitif comme nous levoyons, par exemple, quand nom ; lais-sons se refroidir-un corps liquéfié.

Mais quoi qu’il en soit de toutes leshypothèses que l’on peut former, un faitindéniable subsiste et il peut servir deconclusion à ce paragraphe : La matièreest un réservoir énorme d’énergie dontune partie au moins peut être utilisée.

5. La transition entre lepondérable et l’impondé-rable.

Idées actuelles sur la distinc-tion du pondérable et de l’impon-dérable.

La science classait autrefois les di-vers phénomènes de la nature dans descases nettement séparées, entre les-quelles n’apparaissait aucun lien. Cesdistinctions existaient dans toutes lesbranches de nos connaissances en bio-logie comme en physique.

La découverte des lois de l’évolutiona fait disparaître des sciences natu-relles des divisions qui semblaientconstituer jadis d’infranchissablesabîmes et, du protoplasma des êtresprimitifs jusqu’à l’homme, la chaîne estaujourd’hui presque ininterrompue. Leschaînons absents se reconstituentchaque jour et nous entrevoyons main-tenant comment, des êtres les plus

simples aux plus compliqués ; les chan-gements se sont faits à travers letemps.

La Physique a suivi une route ana-logue, mais tous les fossés qui séparentses diverses branches ne sont pas en-core comblés. Elle s’est lentement dé-barrassée des fluides qui l’encom-braient jadis. Elle a découvert les rela-tions existant entre les diverses forceset admet maintenant qu’elles ne sontque des manifestations variées dequelque chose d’indestructible : l’éner-gie. Elle a ainsi établi la permanencedans la série des phénomènes, montrél’existence du continu là où n’apparais-sait jadis que le discontinu. La loi de laconservation de l’énergie n’est en réalitéque la simple constatation de cettecontinuité.

Il reste encore à la Physique un pasénorme à franchir pour établir la conti-nuité partout. Elle maintient toujoursune séparation profonde entre le pon-dérable et l’impondérable. Ils consti-tuent toujours deux mondes très dis-tincts, L’énergie et la matière sont net-tement séparées, la matière et l’éther lesont également.

En ce qui concerne la séparation dela matière et de l’énergie, les idées clas-siques se trouvent très bien résuméesdans le passage suivant d’un ouvragerécent de M. Janet :

« Le monde où nous vivons est, enréalité, un monde double, ou plutôt ilest composé de deux mondes dis-tincts : l’un qui est le monde de lamatière, l’autre le monde de l’énergie.Le cuivre, le fer, le charbon, voilà desformes de la matière. Le travail méca-nique, la chaleur, voilà des [ormes del’énergie. Ces deux mondes, sont do-minés chacun par une loi identique.On ne peut ni créer, ni détruire de la

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matière, on ne peut ni créer, ni dé-truire de l’énergie.

Matière ou énergie peuvent revêtir ungrand nombre de formes di verses,sans que jamais la matière puisse setransformer en énergie, ou l’énergieen matière.

… Nous ne pouvons pas plus conce-voir de l’énergie sans matière, que dela matière sans énergie22».

Jamais, en effet, comme le ditM. Janet, on n’avait pu jusqu’ici trans-former de la matière en énergie, ou,pour être plus précis, la matière n’avaitjamais semblé manifester d’autre éner-gie, que celle qui lui avait d’abord étéfournie. Incapable de la créer, elle nepouvait que la restituer.

En ce qui concerne la matière etl’éther, c’est-à-dire le pondérable etl’impondérable, les idées ne sont pasmoins arrêtées. Toutes les découvertesde la science n’avaient fait que confir-mer les différences qui les séparent. Lesplus illustres savants de nos jours ensont même arrivés à considérer la dé-monstration de cette séparation commeune des plus grandes découvertes detous les âges. Voici comment s’expri-mait tout récemment, à l’inaugurationdu monument de Lavoisier, M. Berthe-lot.

« Lavoisier établit, par les expériencesles plus précises, une distinction ca-pitale et méconnue avant lui entre lescorps pondérables et les agents im-pondérables, chaleur, lumière, électri-cité. Cette distinction fondamentaleentre la matière pondérable et lesagents impondérables est une d-esplus grandes découvertes qui aientété faites ; c’est l’une des bases dessciences, physiques, chimiques et mé-caniques actuelles ».

22 Janet. Leçons d’électricité, p, 2 et 5.

Base très fondamentale, en effet, etqui semblait établie pour toujours. Les,phénomènes dus à des transformationsde l’impondérable éther, tels que lachaleur rayonnante, ne présentent au-cune analogie apparente avec ceux dontla matière est le siège. La matière peutchanger de forme, mais, sous, tous leschangements elle conserve un poids in-variable. Quelles que soient les modifi-cations que les agents impondérableslui fassent subir, ils ne s’ajoutent pas àelle et ne font jamais varier son poids.

Dans les citations que nous avonsreproduites, pour bien préciser la pen-sée scientifique actuelle, il y a deuxidées différentes qu’il faut nettementséparer : 1° La matière ne peut pas elle-même créer de l’énergie ; 2° L’éther im-pondérable est entièrement distinct dela matière pondérable, c’est-à-dire sansanalogie avec elle.

La solidité de ces deux idées sem-blait pouvoir défier le temps. Nous al-lons essayer de montrer, au contraire,que les faits nouveaux tendent à lesrenverser entièrement.

Transformation de la matièreen énergie.

Un système matériel isolé de touteaction extérieure ne peut engendrerspontanément de l’énergie. Si on lesuppose doué d’une énergie interne,chimique ou autre, sa quantité d’éner-gie restera invariable tant que le sys-tème ne sera soumis qu’à des actionsintérieures, C’est là un des grands prin-cipes de la thermodynamique.

Toutes les observations scienti-fiques antérieures semblaient bienconfirmer cette notion qu’aucune sub-stance ne peut produire de l’énergiesans l’avoir d’abord empruntée au-de-

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hors. La matière peut servir de supportà l’énergie comme dans le cas d’un :condensateur électrique : elle peutrayonner de la chaleur comme dans lecas d’une masse de métal d’abordchauffée, mais il a fallu lui fournir cesdiverses formes d’énergie. La matièrepeut également produire dé l’énergiepar de simples changements d’équi-libres moléculaires, comme dans le casde la transformation, de certains com-posés chimiques ; mais ici, encorel’énergie dégagée n’est que la restitutionen quantité, exactement égale de cellequ’il avait fallu employer pour engen-drer la combinaison. Toute la thermo-chimie est basée sur ce principe que« la chaleur dégagée ou absorbée dansla décomposition d’un corps est exacte-ment égale et de signe contraire à cellequ’il a fallu employer pour sa transfor-mation ».

Dans tous les cas que je viensd’énumérer et dans tous ceux du mêmeordre, la matière ne fait donc. que resti-tuer l’énergie qu’on lui a d’abord don-née sous une forme, quelconque, Ellen’a rien créé rien sorti d’elle-même.

L’impossibilité de transformer de lamatière en énergie paraissait donc évi-dente, et c’est avec raison que cette im-possibilité était invoquée dans les ou-vrages classiques pour établie une sé-paration très nette entre le monde de lamatière et le monde de l’énergie.

Pour que la séparation si nette quenous venons de marquer disparaisse, ilfaut réussir à transformer de la matièreen énergie sans rien lui fournir du de-hors.

Or c’est justement cette transfor-mation spontanée de la matière enénergie que nous montrent toutes lesexpériences de radio-activité de la ma-

tière que nous avons exposées. La pro-duction spontanée de l’énergie alorsconstatée, production si contraire auxidées scientifiques actuelles, a tout àfait embarrassé les physiciens préoccu-pés de trouver au-dehors l’origine del’énergie manifestée et ne la trouvantpas. Nous avons vu que l’explicationdevient très simple dès que l’on consentà admettre, conformément à la plusclaire évidence, que la matière contientun réservoir d’énergie qu’elle peutperdre partiellement ; soit spontané-ment, soit sous des influences légères.Sans doute, on peut dire que ce n’estpas alors de la matière qui se trans-forme en énergie, mais simplement uneénergie intra-atomique qui se dépense.Mais, comme cette énergie d’origine in-tra-atomique ne peut être engendréesans que de la matière s’évanouissesans retour, nous sommes fondés àdire que les choses se passent exacte-ment comme si de la matière s’étaittransformée en énergie. Pour préciserdavantage, il faudrait d’abord connaîtrela nature intime de la matière et del’énergie. Or nul n’en a jamais rien su.

La transition entre le pondé-rable et l’impondérable. Proprié-tés de la substance intermédiaireentre la matière et l’éther.

Nous voici arrivés à la seconde despropositions énoncées plus hautcomme un des grands dogmes scienti-fiques de la science actuelle, à savoirque le pondérable et l’impondérable,c’est-à-dire la matière et l’éther sont ab-solument séparés et qu’aucun lien neles rattache.

Pour prouver qu’il n’en est pas ain-si, il faut montrer que les effluves en-gendrés par tous les corps, pendantleur dissociation, sont constitués par

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une substance ayant des caractères in-termédiaires entre ceux de l’éther etceux de la matière.

En quoi consistent donc ces ef-fluves ? Ont-ils gardé la propriété dessubstances matérielles ?

Pendant plusieurs années les phy-siciens ont été d’accord pour répondreaffirmativement à cette question, Nepouvant se débarrasser du concept dusupport matériel, ils admettaient queles particules émises dans les phéno-mènes de radio-activité étaient simple-ment des fragments d’atomes, chargésd’électricité sans doute, mais toujourscependant constitués par de la matière.

Cette opinion pouvait semblerconfirmée par ce fait que les émissionsradio-actives s’accompagnent le plussouvent d’une projection de particulesmatérielles. Dans l’ampoule deCrookes, l’émission de particules so-lides parties de la cathode est tellementconsidérable qu’on a pu métalliser deslames de métal exposées à leur projec-tion.

Cet entraînement de matière s’ob-serve d’ailleurs dans la plupart desphénomènes électriques et notammentlorsque l’électricité amenée à un poten-tiel suffisant passe entre deux élec-trodes. Le spectroscope révèle toujoursen effet dans la lumière des étincellesles raies caractéristiques des métauxdont sont formées ces électrodes. Aprèsdes décharges répétées entre une bouled’or et une boule d’argent, on trouve del’argent sur la boule d’or et de l’or surla boule d’argent. Avec des courants dehaute fréquence, M. Oudin a constatéque des électrodes d’or amalgamé pla-cées dans l’air à la pression ordinaireperdent près de 1/10e de milligrammede leur poids après une heure de fonc-

tionnement. Dans ces divers cas la ma-tière est sans doute entraînée par la vi-tesse des molécules électriques, commel’est le sable de la mer sous l’influencede la violence des vagues.

Une autre raison encore semblaitbien prouver la matérialité des émis-sions cathodiques. Elles sont déviablespar un champ magnétique, donc ellessont chargées d’électricité et comme onn’avait jamais vu de transport d’électri-cité sans support matériel, il fallait biensupposer l’existence de ce support.Sans doute, dans la théorie des élec-trons on admet que l’atome électriqueen mouvement et dégagé de toute ma-tière se conduit exactement comme uncourant et est déviable par un aimant,mais il y a quelques années cette théo-rie, non vérifiée encore par la décou-verte de Zeemann, n’avait pas reçu l’ex-tension considérable qu’elle a prise au-jourd’hui.

Cette sorte de poussière de matièrequ’on supposait constituer les émis-sions cathodiques et celles des corpsradio-actifs présentait de bien singu-liers caractères pour une substancematérielle. D’après les expériences deJ.-J. Thomson, les produits de cetteémission étaient identiques, quel quefût le corps dissocié. La charge élec-trique et la masse étaient toujours lesmêmes, ce qui conduisait à admettreque dans des corps différents setrouvent des éléments identiques.

Ces éléments supposés matérielsavaient d’ailleurs perdu toutes les pro-priétés de la matière qui leur avait don-né naissance. Lenard l’avait montréclairement lorsqu’il chercha à vérifierune de ses anciennes hypothèsesd’après laquelle les effluves engendréspar la lumière ultra-violette qui frappela surface des métaux seraient compo-

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sés de poussières arrachées à la sur-face de ces métaux, Prenant un corps,le sodium, très dissociable par la lu-mière et dont en même temps il est pos-sible, au moyen du spectroscope, deconstater des traces infinitésimalesdans l’air, il reconnut que les produitsde la dissociation ne contenaient au-cune trace de sodium. Si donc, les ef-fluves des corps radio-actifs étaient dela matière, ce serait une matière nepossédant aucune des propriétés descorps dont elle provient.

Ces faits divers auraient dûconduire depuis longtemps à penser,que dans la radio-activité, la matière setransforme en quelque chose qui nepeut plus être de la matière ordinaire,puisqu’aucune de ses propriétés n’estconservée ; mais pour faire admettreune telle idée, il fallait une démonstra-tion.

Cette démonstration a été faited’une façon presque complète par MaxAbraham et Kaufmann. Ces physiciensont, en effet, prouvé que les atomes dis-sociés dans les phénomènes radio-ac-tifs se transforment en quelque chosed’extrêmement différent de la matière etqu’ils considèrent comme exclusive-ment composé d’atomes d’électricité,c’est-à-dire ce qu’on appelle aujour-d’hui des électrons, corps sans pesan-teur qui diffèrent essentiellement de lamatière ordinaire et n’ont de caractèrecommun avec elle qu’une certainequantité d’inertie.

Ne pouvant exposer ici le détail deleurs expériences qu’on trouvera résu-mées, dans les Comptes rendus del’Académie des sciences, je me borneraià en donner les résultats.

En étudiant photographiquement ladéviation du rayonnement des matières

radio-actives par un champ électriqueet un champ magnétique superposés,ils ont constaté que le rapport de lacharge électrique transportée par uneparticule radio-active à la masse m decette particule varie avec sa vitesse.Comme il n’est pas supposable que,

dans ce rapportem

, ce soit la charge

qui varie, il faut bien admettre que c’estla masse’. Ils en déduisent que cettemasse ne serait composée que d’élec-trons immatériels. Voici d’ailleurs laconclusion de Kaufmann.

« On doit regarder comme prouvéque la masse de l’électron est entière-ment électromagnétique. Cela veut direque l’électron n’est autre chose qu’unecharge électrique distribuée sous unvolume ou une surface de dimensiontrès petite23».

Ces particules immatérielles queconstituent les effluves émis par la ma-tière pendant sa radio-activité, c’est-à-dire pendant sa dissociation, jouissent,d’après les équations d’Abraham, depropriétés extraordinairement singu-lières. La variation de leur masse avecleur vitesse est d’accord avec la théorieélectromagnétique de la lumière et avaitdéjà été signalée par divers auteurs,Larmor notamment24, mais la façondont cette masse varie avec la vitesseétait un peu imprévue. Le fait seul de lavariation de la masse avec la vitesse estcontraire à toutes les idées que l’on sefaisait de la masse matérielle. Saconstance était, en effet, un des dogmesles plus fondamentaux de la chimie etde la mécanique. À la substance inter-médiaire immatérielle qui compose leseffluves radio-actifs l’équation fonda-mentale de la dynamique f =mγ nes’applique plus. Devant elle toutes les

23 Comptes rendus 13 octobre 1902, p. 57924 Aether and Matter, p. 228.

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lois de la mécanique s’évanouissent.

C’est en mettant sous forme decourbe l’équation d’Abraham qu’on voitle plus facilement de quelle façon lamasse varie avec la vitesse. D’abordconstante même pour des vitesses trèsgrandes, elle augmente brusquement etdevient rapidement infinie dès qu’elleatteint la vitesse de la lumière.

Max Abraham a donné pour expri-mer les variations de la masse en fonc-tion de la vitesse l’équation suivante :

μ=μo34ψ(β)

ou µo représente la valeur de lamasse électrique pour de petites vi-

tesses, β=qc

, c’est-à-dire le rapport de

la vitesse de cette masse à celle de lalumière et :

ψ(β)= 1β2 [ 1+β2

2βlog

1+β1−β

−1]Dans le but d’obtenir une représen-

tation graphique de la variation de lamasse en fonction de sa vitesse, nousavons mis l’équation précédente sousune forme où le rapport

μμo

apparaîtcomme une fonction logarithmique du

rapport β=qc

. Nous avons pris alors

pour abscisses les valeurs du rapportβ=x et pour ordonnées les valeurs du

rapportμμo

= y .

L’équation de la courbe devientalors :

y= 34x2 [ 1+x2

2xlog

1+x1−x

−1]L’horizontale y = 1 dont l’ordonnée

constante est toujours égale à l corres-pond à

μμo

=1 et représente la grandeurconstante de la masse mécanique25.

Tant que la masse n’a pas atteintune vitesse égale à 20 % de celle de lalumière, c’est-à-dire ne dépasse pas60 000 km/s, sa grandeur représentéepar 1 à l’origine, reste à peu prèsconstante (1,012). Quand la vitesse estégale à la moitié de celle de la lumière,soit 150 000 km/s, la masse n’est en-core accrue que de 1/10 (1,119).Quand la vitesse est égale aux 3/10 decelle de la lumière, l’augmentation de lamasse est encore très faible (1,369).Lorsque la vitesse est égale aux 9/10 decelle de la lumière, la masse n’a pas en-core tout à fait doublé (1,81) ; mais dèsque la vitesse atteint les 0,999 de cellede la lumière, la masse est sextuplée

25 Pour détacher plus vite la courbe, j’ai adoptéune échelle des ordonnées égale à 10 foiscelle des abscisses. La réduction trop grandede la courbe nécessitée par la dimension descolonnes de cette Revue a rendu les chiffresillisibles. J’avais calculé les nombres expri-mant les variations de la masse en fonctionde la vitesse avec 8 décimales. Les plus im-portants de ces nombres sont donnés dans letexte.

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(6,678).

On pourrait peut-être rapprocherce résultat de celui déduit des équa-tions de Larmor, qui montrent qu’unecharge électrique en mouvement accélé-ré rayonne une partie de son énergie,mais que le rayonnement ne devienttrès grand que quand la vitesse du’corps électrisé en mouvement est elle-même devenue très grande.

Nous nous sommes arrêté plushaut au moment où la masse avait sex-tuplé et nous étions ’bien près de la vi-tesse de la lumière, mais c’est mainte-nant que les chiffres déduits de l’équa-tion vont devenir bien singuliers. Pourque la masse de l’atome électrique de-vienne 20 fois plus grande (20,49), ilfaudrait que sa vitesse ne différât decelle de la lumière que d’une fraction demillimètre. Pour que la masse devint100 fois plus grande, il faudrait que savitesse ne différât de celle de la lumièreque d’une fraction de millimètre repré-sentée par une fraction comprenant 58chiffres. Ce dernier résultat est évidem-ment invérifiable par aucune expé-rience et des plus hypothétiques. Uncorps dont la masse augmenterait dansd’immenses proportions quand sa vi-tesse déjà très grande ne varierait qued’une infime fraction de millimètre,constitue un phénomène actuellementinexplicable26.

Quoi qu’il en soit, nous voyons parce qui précède que les particules imma-térielles émises par les corps pendantleur dissociation possèdent des proprié-

26 Cet accroissement considérable d’un effetsous l’influence d’une variation très petited’une cause n’est pas cependant un phéno-mène exceptionnel, Lorsque, par exemple, unobjet est très près du foyer principal d’unelentille, des variations extrêmement petites desa position produisent des variations extrê-mement grandes de son image.

tés fort différentes de celles de la ma-tière. Elles permettent cependant de l’yrattacher un peu. C’est sur ce pointfondamental qu’il importe d’insister.

Bien que les atomes supposés élec-triques que produit la dissociation de lamatière diffèrent essentiellement decette dernière, ne fût-ce que par leur fa-culté de traverser les obstacles, ils pos-sèdent cependant une propriété – uneseule – l’inertie, qui permet de les ratta-cher à la matière ordinaire. L’inertieest, comme on le sait, la résistance, decause inconnue, que les corps opposentau mouvement ou au changement demouvement. Elle est susceptible de me-sure et c’est cette mesure qu’on définitpar le terme de masse. La masse estdonc la mesure de l’inertie de la ma-tière, son coefficient de résistance aumouvement. C’est une grandeur inva-riable pour chaque corps matériel etqui reste invariable à travers toutes lestransformations qu’il peut subir. Laconstance de la masse est, comme je lerappelais plus haut, un des principesfondamentaux de la mécanique et de lachimie.

Or cette propriété que l’atome ma-tériel possède, l’atome électrique la pos-sède également à un certain degré. Il ya déjà quelques années qu’on admetque l’électricité est douée d’inertie. C’estmême au moyen de cette propriétéqu’on explique les phénomènes d’induc-tion et les décharges oscillantes. Onignore si cette inertie a la même mesureque celle de la matière. Quelques physi-ciens supposent bien, sans pouvoird’ailleurs en fournir aucune preuve,que l’inertie de la matière est due à sesélectrons et serait entièrement d’origineélectromagnétique27.

27 Si l’exactitude de cette assertion pouvait êtrejamais prouvée, elle conduirait nécessaire-ment à ce résultat que la masse des corps va-

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Mais il ne semble pas, que l’onpuisse identifier l’inertie de la matièreet celle de l’atome électrique. Là massede ce dernier n’est, en réalité, qu’unemasse apparente résultant simplementde son état de corps électrisé en mouve-ment. La corpuscule électrique paraitd’ailleurs avoir une masse longitudinale(celle qui mesure l’opposition à l’accélé-ration dans la direction du mouve-ment), différente de sa masse transver-sale (celle perpendiculaire à la directiondu mouvement). Mais de toutes façons,il est évident que les propriétés d’unatome électrique diffèrent considérable-ment de celles d’un atome matériel.

Par quoi donc sont constitués cesatomes supposés électriques émis pairtons les corps pendant la radioactivité ?

La réponse à cette question va pré-cisément nous fournir le lien cherchéentre le pondérable et l’impondérable.

Il est évidemment impossible, dansl’état actuel de la science, de pouvoirdéfinir un atome électrique, mais aumoins nous pouvons dire ceci :

Une substance qui n’est ni un so-lide, ni un liquide, ni un gaz, qui nepèse pas, qui traverse sans difficulté lesobstacles et qui n’a de propriété com-mune avec la matière qu’une certaineinertie et encore une inertie variableavec la vitesse, se rapproche plus del’éther que de la matière et forme unetransition entre les deux.

Cette transition évidente ne pouvaitêtre naturellement soupçonnée àl’époque fort récente où le phénomènede la dissociation de la matière était en-tièrement ignoré et c’est pourquoi la

rie constamment dans l’électrolyse, puisquedans cette opération ils gagnent ou perdentdes atomes électriques.

science pouvait se croire fondée àconsidérer comme deux mondes fortdistincts, le monde du pondérable etcelui de l’impondérable. Une telle dis-tinction s’évanouit aujourd’hui.

Ainsi donc les effluves émis par lescorps spontanément radio-actifs ou ca-pables de le devenir, sous l’influencedes causes si nombreuses que nousavons décrites, forment un lien entre lamatière et l’éther.

Et puisque nous savons que ces ef-fluves ne peuvent se produire sans qu’ily ait perte définitive de matière, noussommes fondés à dire que La formationde tels effluves réalise d’une incontes-table façon la transformation du pondé-rable en impondérable.

Cette transformation, si contraire àtoutes les idées que la science nousavait léguées, est cependant un desphénomènes les plus fréquents de lanature. Elle se produit journellementsous nos yeux, mais comme on ne pos-sédait jadis aucun réactif pour laconstater, on ne l’avait pas vue.

6. La conception actuelledes atomes.

Origines des idées actuellessur la structure des atomes.

Les savants qui suivent dans les re-vues étrangères les expériences et lesdiscussions auxquelles sont attachésles noms des plus éminents physiciensactuels : lord Kelvin, J. J. Thomson,Crookes, Larmor, Lorentz et biend’autres, assistent à un curieux spec-tacle. Ils voient fondre jour après jourdes conceptions scientifiques fonda-mentales qui semblaient assez solide-ment établies pour rester éternelles.

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C’est une véritable révolution qui s’ac-complit. Les interprétations qui dé-coulent des faits récemment découvertsbouleversent entièrement les basesmême de la physique et de la chimie etsemblent appelées à renouveler toutesnos conceptions de l’univers. Notre en-seignement supérieur officiel est tropexclusivement occupé en France à faireréciter les manuels destinés à prépareraux examens et trop hostile aux idéesgénérales pour se préoccuper de ce pro-digieux mouvement. La philosophienouvelle des sciences que nous voyonsnaître ne l’intéresse pas.

La révolution scientifique qui s’ac-complit a été rapide, mais cette rapiditéest plus apparente que réelle. Les idéesscientifiques ne changent qu’avec uneextrême lenteur. Lorsqu’elles paraissentse transformer brusquement, onconstate toujours que cette transforma-tion est la conséquence d’une évolutionsouterraine qui a demandé de longuesannées pour se réaliser.

La transformation des idées sur laconstitution de la matière et la naturede l’électricité, qui semble avoir été ef-fectuée en très peu d’années, a été pré-parée, en réalité, par un siècle de re-cherches. Sans qu’on y eût songé,toutes ces recherches devaient conduireaux mêmes doctrines. Les idées ac-tuelles représentent simplement leursynthèse.

Ne pouvant exposer en détail com-ment cette évolution s’est faite, je mebornerai à rappeler sommairement lesrecherches dont les théories présentessont la conséquence nécessaire.

Cinq découvertes fondamentalesfurent l’origine de la transformation desidées sur la matière et l’électricité. Cesont : 1° les faits révélés par l’étude de

la dissociation électrolytique ; 2° la dé-couverte des rayons cathodiques ; 3°celle des rayons X ; 4° celle des corpsdits radio-actifs comme l’uranium et leradium ; 5° la démonstration que la ra-dio-activité n’appartient pas unique-ment à certains corps, mais constitueune propriété générale de la matière.

La plus ancienne de ces décou-vertes, puisque, en réalité, elle remonteà Davy, c’est-à-dire au commencementdu dernier siècle, est celle de la disso-ciation des composés chimiques par uncourant électrique. Son étude fut com-plétée plus tard par divers physiciens,Faraday notamment, et, de nos jours,par Arrhenius. Elle a conduit progressi-vement à la théorie de l’électricité ato-mique et à l’influence prépondéranteque jouent les atomes électriques ouélectrons dans les réactions chimiqueset les propriétés des corps. Les atomesélectriques seraient superposés auxatomes matériels. Quand ils sont designes contraires, ils se neutralisent,mais on peut les séparer par un cou-rant électrique. L’atome matériel consti-tue alors un ion positif ou un ion néga-tif suivant le sens de la charge élec-trique dont il est porteur. Toutes les ré-actions chimiques seraient dues au dé-placement des atomes électriques.

La dissociation électrolytique sem-blait autrefois ne pouvoir être obtenuequ’avec des corps composés et jamaisavec des corps simples. Mais dès queles rayons cathodiques et la radio-acti-vité furent découverts, la théorie de ladissociation électrolytique parut les ex-pliquer très bien, à la simple conditiond’admettre que les atomes d’un corpssimple contiennent comme ceux descorps composés des atomes électriquesde signes contraires et susceptibles,eux aussi, de se séparer.

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La seconde des découvertes énumé-rées plus haut, celle des rayons catho-diques, fit entrevoir qu’il pourrait bienexister un état de la matière différent deceux déjà connus ; mais cette idée restasans influence jusqu’au jour où Roent-gen, regardant de plus près les tubes deCrookes, que les physiciens maniaientdepuis vingt ans sans y rien voir, dé-couvrit qu’il en sortait des rayons parti-culiers, absolument différents de toutce que l’on connaissait, et auxquels ildonna le nom de rayons X. Par cette dé-couverte, une chose imprévue, entière-ment nouvelle, puisqu’elle ne trouvaitd’analogie d’aucune sorte dans les phé-nomènes connus, faisait irruption dansla science.

La découverte de la radio-activitéde l’uranium suivit de très près celledes rayons X et eut les conséquencesque j’ai exposées. Elle conduisait no-tamment à admettre que les atomes decertains corps supposés d’abord excep-tionnels possèdent l’extraordinaire pro-priété de se dissocier, mais comme jemontrai que cette propriété appartientà tous les corps, il fallut bien recon-naître qu’il existait dans la matière unepropriété spéciale et universelle totale-ment ignorée jusqu’alors et de laquelleil résultait que la structure de l’atomeétait nécessairement très différente dece que l’on avait cru pendant long-temps.

Avant d’exposer les idées actuellesrelatives à la structure des atomes,nous rappellerons brièvement cellesdont la science a vécu jusqu’ici.

Les idées anciennes sur la naturedes atomes. Suivant les idées encoreclassiques, la matière serait composéede petits éléments indivisibles nommésatomes. Comme ils semblent persister àtravers toutes les transformations des

corps, on admet pour cette raison qu’ilssont indestructibles. Les molécules descorps, dernières particules pouvantsubsister avec les propriétés de cescorps, se composeraient d’un petitnombre d’atomes. Ces atomes ne setouchent jamais, autrement la matièrene pourrait ni se contracter, ni se dila-ter sous l’influence de la température.

La notion fondamentale qui précèdea plus de 2 000 ans d’existence. Legrand poète romain Lucrèce l’avait ex-posée dans les termes suivants qu’onne fait guère que reproduire dans leslivres modernes.

« Les corps ne sont pas anéantis endisparaissant à nos yeux : la natureforme de nouveaux êtres avec leursdébris et ce n’est que par la mort desuns qu’elle accorde la vie aux autres.Les éléments sont inaltérables et in-destructibles… Les principes de lamatière, les éléments du grand toutsont solides et éternels – nulle actionétrangère ne peut les altérer. L’atomeest le plus petit corps de la nature… ilreprésente le dernier terme de la divi-sion. Il existe donc dans la nature descorpuscules dont l’essence est im-muable… leurs différentes combinai-sons changent l’essence des corps. »

Jusqu’à ces dernières années onn’avait ajouté à ce qui précède quequelques hypothèses sur la structuredes atomes. Newton les considéraitcomme des corps durs incapables d’êtredéformés. W. Thomson, revenant auxidées de Descartes, les supposaitconstitués par des tourbillons ana-logues à ceux que l’on peut former enfrappant à son extrémité postérieureune boîte rectangulaire pleine de fuméeet dont la face antérieure est percéed’un trou. Il en sort des tourbillonsayant la forme d’un tore composé de fi-lets gazeux tournant autour des méri-diens de ce tore. L’ensemble se déplace

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tout d’une pièce et n’est pas détruit parle contact d’autres tores Tous ces tour-billons présenteraient des oscillationset des vibrations permanentes dont l’in-tensité et la fréquence seraient modi-fiables par diverses influences, tellesque la chaleur.

C’est en grande partie sur l’an-cienne hypothèse des atomes qu’a étéfondée pendant la seconde moitié dudernier siècle la théorie dite atomique.D’après elle, tous les corps amenés àl’état gazeux contiendraient le mêmenombre de molécules sous le même vo-lume. Leur poids à volume égal étantsupposé proportionnel à celui desatomes on peut, par une simple peséedu corps en vapeur, connaître ce quel’on appelle son poids moléculaire d’oùl’on déduit, par un procédé d’analyseque je n’ai pas à exposer ici, ce que l’ondésigne par convention sous le nom depoids atomique, rapporté à celui del’hydrogène pris pour unité.

La théorie atomique constitue undes meilleurs exemples qu’on puisse ci-ter de ces hypothèses, que chacun dé-fend sans y croire. Berthelot la qualifiede « roman ingénieux et subtil28», maiscomme on n’en possède pas d’autres etqu’elle facilite considérablement les cal-culs, on la conserve avec soin, de mêmeque l’on conservait jadis la théorie del’émission en optique. D’ailleurs, il nefaut pas examiner longtemps, les basesdes sciences les plus précises en appa-rence, celles de la mécanique parexemple, pour découvrir qu’elles sontformées le plus souvent d’hypothèsesd’une fragilité évidente, mais d’une uti-lité certaine, En fait on ne savait abso-lument rien de la nature des atomes.

28 Berthelot. La synthèse chimique, 1876. p.164.

Les idées actuelles sur lastructure des atomes.

La première origine des idées ac-tuelles sur-la structure des atomes estla conséquence des découvertes de Fa-raday sur l’électrolyse. Il prouva que lesmolécules des corps composés portentune charge d’électricité neutre de gran-deur définie et constante qui se dissocieen ions positifs et en ions négatifs,quand les solutions des sels métal-liques sont traversées par un courantélectrique.

L’atome fut bientôt considérécomme se composant de deux élé-ments, une particule matérielle, puisune charge électrique qui lui seraitcombinée ou superposée.

Les idées les plus généralement ad-mises avant les, découvertes récentessont bien exprimées dans le passagesuivant d’un travail publié parM. Nernst, professeur de chimie à l’Uni-versité de Gœttingen.

« Les ions sont une sorte de combinai-son chimique entre les éléments ouradicaux et les charges électriques…la combinaison entre la matière etl’électricité est soumise aux mêmeslois que les combinaisons entre ma-tières différentes : lois des proportionsdéfinies ; lois des proportions mul-tiples… Si nous admettons que lefluide électrique est continu, les loisde l’électrochimie semblent inexpli-cables. ; si, au contraire, nous suppo-sons que la quantité d’électricité secompose de particules de grandeurinvariable, les lois précitées en serontévidemment une conséquence. Dansla théorie chimique de l’électricité, enplus des éléments connus il y en au-rait deux autres, l’électron positif etl’électron négatif. »

Dans cette phase d’évolution des

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idées, l’électron positif et l’électron né-gatif étaient simplement deux sub-stances à ajouter à la liste des corpssimples et capables de se combineravec eux. L’idée de l’atome matériel per-siste toujours.

Dans la période d’évolution où noussommes actuellement, on tend, à allerbeaucoup, plus loin. Après s’être de-mandé si ce support matériel de l’élec-tron était bien nécessaire, plusieursphysiciens sont arrivés à la conclusionqu’il ne l’était pas du tout. Ils le re-jettent entièrement et considèrentl’atome comme constitué uniquementpar un agrégat de corpuscules élec-triques et sans aucun support matériel.La structure de la matière serait doncexclusivement électrique.

C’était évidemment an pas, consi-dérable, à franchir, et à s’en faut debeaucoup que tous les physiciensl’aient encore franchi, Les idées clas-siques pèsent d’un poids trop lourd surla pensée pour qu’on puisse s’en débar-rasser facilement ; mais d’après la di-rection des idées actuelles, il semblebien probable que cette notion est ap-pelée à devenir classique à son tour.Dès que l’atome matériel sera générale-ment considéré comme un simple agré-gat de corpuscules électriques, on arri-vera très vite à admettre avec nous qu’iln’est qu’une condensation d’énergie.

Pour le moment une grande incerti-tude- règne encore dans les, idées eb lelangage des physiciens, Pour la plupart,pour J. J. Thomson par exemple, lesupport matériel reste nécessaires, etles corpuscules électriques, c’est-à-direles électrons, sont décrits : comme mê-lés ou superposés aux atomes maté-riels. Ces électrons circuleraient à tra-vers les corps conducteurs, tels que lesmétaux, avec une vitesse de l’ordre de

celle de la lumière, par un mécanismeparticulier, sur lequel, un prudent si-lence est gardé.

Pour les partisans de la structureexclusivement électrique de la matière,l’atome se composerait uniquementd’un certain nombre de tourbillonsélectriques. Autour d’un petit nombred’électrons positifs tourneraient avecune vertigineuse vitesse des électronsnégatifs, dont le nombre ne serait pasinférieur à un millier et souvent trèssupérieur.

Leur ensemble formerait un atomequi serait ainsi une sorte de systèmesolaire en miniature, « L’atome de ma-tière, écrit Larmor, se compose d’élec-trons et de rien d’autre. »

Les électrons, en se neutralisant,rendent l’atome électriquement neutre.Ce dernier ne deviendrait positif ou né-gatif que lorsqu’on le- dépouilleraitd’électrons de noms contraires, commeon le fait dans l’électrolyse. Toutes lesréactions chimiques seraient dues à despertes ou à. des gains d’électrons.

On voit que l’ancien atome des chi-mistes considéré comme si simple estquelque chose d’une singulière compli-cation. C’est un véritable système sidé-ral comprenant un soleil et des pla-nètes gravitant autour de lui. De l’ar-chitecture de ce système. dérivent lespropriétés des divers atomes, maisleurs éléments fondamentaux seraientidentiques.

7. La substance fondamen-tale des atomes l’éther

Nous avons été souvent amené,dans le cours de ce travail, à parler del’éther. Les physiciens admettent, de

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plus en plus aujourd’hui que c’est destourbillons formés dans son sein quedérive l’électricité et la matière. Noussommes donc obligés de dire quelquesmots de cet agent encore si mystérieux.Nécessairement nous entrerons ici,avec la totalité des physiciensd’ailleurs, dans la voie des hypothèses.

La plus grande partie des phéno-mènes étudiés par la physique : lu-mière, chaleur, électricité rayonnante,etc., sont considérés comme produitspar les vibrations de l’éther. La gravita-tion, d’où dérive la connaissance de lamécanique du monde et de la marchedes astres, semble encore une de sesmanifestations. Les recherches théo-riques formulées sur la constitution desatomes paraissent également montrerqu’il forme leur trame.

La nécessité de l’éther s’est imposéedepuis longtemps, parce qu’aucun phé-nomène ne serait concevable sansl’existence de ce médium. Sans lui il n’yaurait probablement ni pesanteur, nilumière, ni électricité, ni chaleur, rienen un mot de tout ce que nous connais-sons. L’univers serait silencieux etmort, ou se révélerait sous une formeque nous ne pouvons même pas pres-sentir. Si on pouvait construire unechambre de verre de laquelle on auraitretiré entièrement l’éther, la chaleur etla lumière ne pourraient la traverser.Elle serait d’un noir absolu et probable-ment la gravitation n’agirait plus surles corps placés dans son intérieur. Ilsauraient donc perdu tout leur poids.

Mais dès que l’on cherche à définirles propriétés de l’éther, des difficultésénormes apparaissent. Elles tiennentsurtout à ce que, ne pouvant le ratta-cher à rien de connu, les termes decomparaison et, par conséquent de dé-finition manquent entièrement. Devant

des phénomènes sans analogie avecceux que nous connaissons, noussommes comme un sourd de naissanceà l’égard de la musique ou un aveugle àl’égard des couleurs. Aucune image nepourrait leur faire comprendre ce qu’unson ou une couleur peuvent bien être.

Quand les livres de physique disenten quelques lignes que l’éther est unmilieu impondérable remplissant l’uni-vers, la première idée qui vient à l’espritest de se le représenter comme unesorte de gaz assez raréfié pour qu’il soitimpondérable par les moyens dontnous disposons. Il n’est pas difficiled’imaginer un tel gaz. A. Muller a calcu-lé que si on diffusait la matière du soleilet des planètes qui l’entourent dans unespace égal à celui qui sépare l’écarte-ment des étoiles les plus rapprochées,le myriamètre cube de cette matière,amenée ainsi à l’état gazeux, pèserait àpeine un millième de milligramme et se-rait par conséquent impondérable pournos balances. Ce fluide si divisé qui re-présente peut-être l’état primitif denotre nébuleuse serait un quadrillion29

de fois moins dense que le vide au mil-lionième d’atmosphère d’un tube deCrookes.

Malheureusement la constitutionde l’éther ne peut se rapprocher en au-cune façon de celle d’un gaz. Les gazsont très compressibles et l’éther nepeut pas l’être notablement. S’il l’était,il ne pourrait transmettre presque ins-tantanément les vibrations de la lu-mière.

Ce n’est guère que dans les fluidesthéoriquement parfaits ou mieux en-core dans les solides, qu’on peut décou-vrir de lointaines analogies avec l’éther,mais il faut alors imaginer une sub-

29 Un quadrillion ) 1024 soit un million de millionsde millions

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stance ayant des propriétés bien singu-lières. Elle doit avoir une rigidité supé-rieure à celle de l’acier, car si elle ne lapossédait pas, elle ne pourrait trans-mettre les vibrations lumineuses avecune vitesse de 300 000 km/s. Le plusillustre des physiciens actuels, LordKelvin, considère l’éther comme « unsolide élastique remplissant tout l’es-pace ».

Le corps solide élastique consti-tuant l’éther jouit de propriétés fortétranges pour un solide et que nous nerencontrons chez aucun d’eux. Son ex-trême rigidité doit se combiner avec unedensité extraordinairement faible, c’est-à-dire assez minime pour qu’il nepuisse ralentir par son frottement latranslation des astres dans l’espace.Hirn a calculé que si la densité del’éther était seulement un million defois moindre que celle de l’air, pourtantsi raréfié, contenu dans un tube deCrookes, il produirait une altération sé-culaire d’une demi-seconde dans lemoyen mouvement de la lune. Un telmilieu, malgré une densité si réduite,arriverait cependant bien vite à expul-ser l’atmosphère de la terre. On a cal-culé que s’il avait les propriétés quenous attribuons aux gaz, il acquerrait,par son choc contre la surface d’astresdépouillés d’atmosphère comme lalune, une température de 38 000 °C.Finalement on est acculé à cette idéeque l’éther est un solide sans densité nipoids, quelque inintelligible que celapuisse sembler.

Pour expliquer les phénomènes quel’expérience enregistre, on est encoreconduit à attribuer au corps solide quiconstitue l’éther d’autres propriétésplus singulières encore. Dans cettesubstance plus rigide que l’acier, lescorps se meuvent librement, et on luiimprime sans difficulté des mouve-

ments vibratoires d’une vitesse telle,que si on la compare au mouvementd’un boulet de canon, ce dernier appa-raîtrait en repos. Il suffit de brûler unesubstance quelconque, pour produireces vibrations si prodigieusement ra-pides que nous qualifions de lumière.Avec un morceau de verre taillé d’unecertaine façon, nous dévions l’éther lu-mineux de sa route, et nous séparonsses vibrations. C’est un agent que nousentrevoyons partout, que nous faisonsvibrer et dévier à volonté, mais quenous ne pouvons jamais saisir.

Ce qui est très étonnant encore,c’est la grandeur des forces que l’étherpeut transmettre, Un électroaimant agità travers le vide, donc par l’intermé-diaire de l’éther. Or, comme le fait re-marquer lord Kelvin, il exerce à dis-tance sur le fer une force qui peut at-teindre 110 kg/cm². « Comment se fait-il, écrit le grand physicien, que cesforces prodigieuses soient développéesdans l’éther, solide élastique, et que ce-pendant, les corps pondérables soientlibres de se mouvoir à travers ce so-lide ? » Nous ne le savons pas et nousne pouvons pas dire si nous le sauronsjamais. Nous ne savons même pas lesrelations réelles existant entre l’électri-cité et l’éther, bien qu’il semble de plusen plus évident que l’une dérive del’autre. Il y a deux mille ans que tout lemonde sait qu’en frottant un corps rési-neux il attire les corps légers, et depuisces deux mille ans aucun physicien n’aréussi à ébaucher une explication de cephénomène, si simple en apparence etsi incompréhensible pourtant30. Lathéorie récente des électrons ne donne

30 « C’est, dit M. Laisant, la première et la plussimple des expériences de l’électricité sta-tique ; elle nous semble bien naturelle, nous yfixons à peine notre attention. Mais si nous yréfléchissions, ce phénomène dépasse debeaucoup en merveilleux ceux qui nousétonnent le plus. »

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aucune explication de ces attractions,et on peut répéter encore ce qu’écrivaitlord Kelvin, il y a quelques années :« Nous n’avons pas avancé d’un pasvers l’explication des actions mutuellesentre corps électrisés… Les difficultéssont si grandes pour former quelquechose qui ressemble à une théorie com-préhensible, que nous ne pouvonsmême pas apercevoir le moindre écri-teau tourné vers la route qui puisseconduire à une explication. »

Nous ne pouvons donc rien dire dela constitution de l’éther. Maxwell leconsidérait « comme constitué par depetites sphères animées d’un mouve-ment de rotation très rapide qu’ellestransmettraient de proche en proche ».Fresnel regardait son élasticité commeconstante, mais sa densité comme va-riable. D’autres physiciens croient, aucontraire, sa densité constante et sonélasticité variable. Pour la plupart iln’est pas déplacé par les mouvementsdes systèmes matériels qui le tra-versent. Il passerait à travers les inter-stices de toutes les molécules commel’eau traverse le sable.

Les physiciens sont, en tout cas,d’accord pour reconnaître que l’étherconstitue une substance fort différentede la matière, et qu’il est soustrait auxlois de la pesanteur. C’est une sub-stance sans poids et immatérielle ausens usuel de ce mot. Elle forme lemonde de l’impondérable.

Si l’éther n’a pas de pesanteur, ilfaut cependant qu’il ait une masse,puisqu’il présente de la résistance aumouvement. Cette masse est faible,puisque la vitesse de propagation de lalumière est très rapide. Si elle étaitnulle, la propagation de la lumière se-rait instantanée.

La question de l’impondérabilité del’éther discutée pendant longtempssemble définitivement tranchée aujour-d’hui. Elle a été reprise tout récemmentpar lord Kelvin31 et, pour des raisonsmathématiques que je ne puis exposerici, il arrive à la conclusion que l’étherest constitué par une substance entiè-rement soustraite aux lois de la gravita-tion, c’est-à-dire impondérable. Mais,ajoute-t-il, « nous n’avons aucune rai-son de le considérer comme absolu-ment incompressible et nous pouvonsadmettre qu’une pression suffisantepeut le condenser ».

C’est probablement de cettecondensation effectuée à l’origine desâges, par un mécanisme que nous igno-rons entièrement que dérivent lesatomes considérés par plusieurs physi-ciens, Larmor notamment, comme desnoyaux de condensation dans l’étherayant la forme de petits tourbillons ani-més d’une énorme vitesse de rotation,« La molécule matérielle, écrit ce der-nier physicien, est constitué entière-ment par de l’éther et par riend’autre32».

Avec de telles propriétés, il est biendifficile de croire que l’éther soit homo-gène. S’il l’avait été, les mondes n’au-raient pu se former.

Nous pouvons résumer ce qui pré-cède en disant que nous savons trèspeu de chose encore de l’éther, bien quenous puissions considérer comme àpeu près certain que la plupart desphénomènes de la physique et de lachimie sont des conséquences de ses

31 On the Clustering of qravitational matter inany part of the Univers. (Philosophical Maga-zine, janvier 1902).

32 Æther and Matter, in-8° de 400 pages.Londres, 1900. L’ouvrage ne traite d’ailleursde l’éther et de la matière qu’au point de vuemathématique.

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manifestations. Il est sans doute lasource première et le terme ultime deschoses. On est de plus en plus conduità le considérer comme le véritable sub-stratum du monde et de tous les êtresqui s’agitent à sa surface, en tâchant –si vainement parfois – de comprendrequelque chose aux mystères qui les en-tourent.

8. Réactions chimiques in-tra-atomiques produi-sant la dissociation de lamatière.

Nous venons d’étudier la structuredes atomes et les éléments dont ils secomposent. Recherchons maintenantles réactions susceptibles de produireleur désagrégation.

En examinant les propriétés descorps radio-actifs, nous sommes arrivésà cette conclusion que les radiationsqu’ils produisent proviennent unique-ment de l’énergie fournie par l’atome oùelle se trouve à un état d’énormecondensation. Les particules rayonnéesseraient le produit d’une désintégrationqui s’effectue au sein même de l’atome.

Mais cette désintégration impliquenécessairement un changement d’équi-libre dans la disposition des élémentsnombreux qui composent un atome. Cen’est évidemment qu’en passant àd’autres formes d’équilibre qu’il peutperdre de son énergie et, par consé-quent, rayonner quelque chose.

Les variations dont il est alors lesiège différent de celles que la chimieconnaît par ce point fondamental,qu’elles sont intra-atomiques, alors queles réactions ordinaires ne touchantqu’à l’architecture des groupementsd’atomes sont extra-atomiques. La chi-

mie ordinaire ne peut que varier la dis-position des pierres qui forment un édi-fice, en faire, par exemple, une forte-resse ou un palais. Dans la dissociationdes atomes, les matériaux mêmes aveclesquels l’édifice est bâti sont changés.

Le mécanisme de cette désagréga-tion atomique, nous l’ignorons, mais ilest de toute évidence qu’elle impliquedes conditions d’un ordre particulier,très différentes nécessairement dscelles étudiées par la chimie jusqu’ici.Les quantités de matière mises en jeusont infiniment petites et les énergies li-bérées extraordinairement grandes, cequi est le contraire de ce que nous ob-tenons dans nos réactions ordinaires.

Contrairement aux opinions émisesau début des recherches sur la radio-activité, nous avons toujours soutenuque les phénomènes observés avaientleur source dans certaines réactionschimiques spéciales33, analogues àcelles qui se produisent dans la phos-phorescence. Ces réactions se passe-raient entre corps dont l’un, en propor-tion infinitésimale à l’égard de l’autre,agirait probablement par son commen-cement de dissociation. Nous n’avonspublié ces considérations qu’après avoirdécouvert des corps devenant radio-ac-tifs dans de telles conditions. Le sulfatede quinine, par exemple, n’est pas ra-dio-actif. En le laissant s’hydrater aprèsdessiccation, il devient radio-actif pen-dant la durée de l’hydratation. Le mer-cure et l’étain ne présentent que destraces de radio-activité sous l’influencede la lumière, mais qu’on ajoute au pre-mier de ces corps une parcelle du se-cond et aussitôt sa radio-activité de-vient très intense, comme je l’ai montrédans mon précédent travail. Ces expé-

33 Voir notamment Comptes rendus de l’Acadé-mie des sciences, avril 1900, p. 892 et RevueScientifique, avril 1900, p. 452.

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riences nous ont conduit ensuite à mo-difier entièrement les propriétés de cer-tains corps simples par addition dequantités très minimes de corps étran-gers34.

Cette conception que la radio-acti-vité aurait pour origine un processuschimique spécial a fini par rallier l’opi-nion de plusieurs physiciens. Elle a éténotamment adoptée et défendue parRutherford.

« La radio-activité, dit ce dernier, estdue à une succession de change-ments chimiques dans lesquels denouveaux types de matière radio-ac-tive sont formés continuellement. Elleest un processus d’équilibre où letaux de la production de nouvelle ra-dio-activité est balancé par la perte dela radio-activité déjà produite. La ra-dio-activité est maintenue par lacontinuelle production de nouvellesquantités de matière possédant de laradio-activité temporaire.

Un corps radio-actif est, par ce faitmême, un corps qui se transforme. Laradio-activité est l’expression de sa

34 La variabilité des espèces chimiques, (RevueScientifique du 22 décembre 1900.) Dans lesmanchons des lampes à incandescence onconstate que l’incandescence ne se produitplus si la proportion de l’oxyde de cériumajouté à l’oxyde de thorium est inférieure à1 %. Amstrong et Auer admettent que l’incan-descence est due à une oxydation oscillatoire,c’est-à-dire se produisant et se défaisantconstamment. Oxydé, le cérium pourrait secombiner avec le cérium, il y aurait aussitôtdécomposition, puis réoxydation, et combinai-son et ainsi de suite, Ces réactions se répé-tant plusieurs millions de fois par secondedonneraient naissance à des oscillations lu-mineuses de l’éther qui produiraient l’incan-descence. La théorie est très discutable et jene la reproduis que pour montrer que l’idéede réactions se faisant et se défaisant desmillions de fois par seconde et, par consé-quent, fort différentes de toutes cellesconnues, semble très acceptable à d’éminentschimistes.

perte incessante. Son changement estnécessairement une désagrégationatomique. Les atomes qui ont perduquelque chose sont, par ce fait même,de nouveaux atomes35. »

Bien que la quantité d’énergierayonnée par les atomes qui subissentun commencement de désagrégationsoie relativement très grande, la pertede substance matérielle qui se produitdans ces réactions est très faible, préci-sément à cause de l’énorme condensa-tion d’énergie contenue dans l’atome.M. Becquerel avait évalué la perte de1 g de radium à 1 mg de matière dansun milliard-d’années. M. Curie secontente de 1 million d’années. Plusmodeste encore, M. Rutherford parleseulement de quelques milliers d’an-nées et M. Crookes d’une centaine d’an-nées pour la dissociation de 1 g de ra-dium. Ces chiffres, dont les premierssont tout à fait fantaisistes, se ré-duisent de plus en plus à mesure queles expériences se précisent. M. Heyd-weiler36, d’après des pesées directesévalue la perle de 5 g de radium à0,02 mg en vingt-quatre heures. Si laperte se continuait au même taux, ces5 g de radium auraient perdu 1 g deleur poids en cent trente-six ans. Noussommes déjà extraordinairement loindu milliard d’années supposé parM. Becquerel. Le chiffre de Heydweilerserait même, d’après certaines de nosexpériences, trop élevé encore. Il a mis,en effet, en masse, dans un tube, lecorps sur lequel il opérait, alors quenous avons prouvé que la radioactivitéd’une même substance augmentaitconsidérablement si le corps était éten-du sur une grande surface, ce qu’onobtient simplement en laissant dessé-cher le papier qui a servi à filtrer unesolution de cette substance. Nous arri-

35 Philosophical Magazine, février 1903.36 Physikalische Zeitschrift, 15 octobre 1902.

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verions ainsi à dire que 5 g de radiumperdent le 5e de leur poids en vingt anset par conséquent que 1 g durerait centans, ce qui est justement le chiffre don-né par M. Crookes. En réalité ce serontseulement des expériences répétées quipermettront de trancher la question.

Mais alors même que nous accepte-rions le chiffre de quelques milliersd’années donné par M. Rutherford pourla durée de l’existence de 1 g de ra-dium, il suffirait à prouver que si l’ura-nium, le thorium et le radium avaientexisté avec leurs propriétés radio-ac-tives aux époques géologiques, ils se se-raient évanouis depuis fort longtempset par conséquent n’existeraient plus.Et ceci vient encore à l’appui de notrethéorie d’après laquelle la radio-activitéspontanée rapide n’est apparuequ’après que les corps ont été engagésdans certaines combinaisons chimiquescapables d’atteindre la stabilité de leursatomes, combinaisons que nous pour-rons peut-être arriver à reproduire.

De quelle nature sont ces combi-naisons ? Nous l’ignorons encore, maisdivers exemples que j’ai cités dans mesprécédents mémoires37 prouvent qu’ilexiste toute une série de réactions (hy-dratation de diverses substances, dé-composition de l’eau, décomposition ducarbure de calcium, etc.) capables dedissocier l’atome et qui n’ont échappéaux chimistes que parce que leur réac-tif le plus fondamental, la balance, estun instrument trop peu sensible pourpermettre de les apercevoir.

Que nous ne connaissions pas en-core le mécanisme des réactions intra-atomiques qui engendrent la radio-acti-vité, la chose est évidente, mais nousconnaissons déjà quelques-unes des

37 Revue Scientifique, avril 1900.p. 892 et 15novembre 1902, p. 621.

conditions capables de produire à uncertain degré ce phénomène. En chimieil n’est pas nécessaire de connaîtretoutes les conditions de la manifesta-tion d’une réaction, mais souvent seule-ment un petit nombre d’entre elles pourvoir cette réaction apparaître. Un en-fant ne connaissant rien au mécanismed’une machine à vapeur peut la fairefonctionner en tournant simplement lerobinet d’arrivée de la vapeur. Dans laplupart des réactions chimiques ordi-naires, nous opérons un peu commecet enfant, sans rien comprendre à l’en-grenage qui se déroule et dont nousvoyons seulement les résultats ex-trêmes. C’est ce que le grand chimisteBerthelot a bien montré, dans le pas-sage suivant que j’emprunte à an deses ouvrages38.

« Étant donnés un certain nombre deconditions et un phénomène imparfai-tement connu, il suffit souvent de réa-liser ces conditions pour que le phé-nomène se produise aussitôt danstoute son étendue ; le jeu spontanédes lois naturelles continue à se déve-lopper et complète les effets, pourvuque l’on ait commencé à le mettre enœuvre convenablement. Voilà com-ment nous avons pu former les sub-stances organiques, sans connaître àfond le s lois des actions intermolécu-laires, II est même vrai de dire que, siles forces une fois mises en jeu nepoursuivaient pas elles-mêmesl’œuvre commencée, nous ne pour-rions imiter et reproduire par l’art au-cun phénomène naturel ; car nousn’en connaissons aucun d’une ma-nière complète, attendu que laconnaissance parfaite de chacund’eux exigerait celle de toutes les lois,de toutes les forces qui concourent àle produire, c’est-à-dire la connais-sance parfaite de l’Univers. »

38 Synthèse chimique, p. 274.

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9. Modifications produitesdans la matière par ladissociation partielle deses atomes.

Nous savons que les produits de ladissociation des atomes ne peuvent secombiner pour reconstituer les corpsdont ils sont nés. Nous savons aussique cette dissociation) au moins par lesmoyens dont nous disposons actuelle-ment, ne peut se faire qu’en quantitéinfinitésimale. Il ne faut donc I(as s’at-tendre à trouver dans la matière, faible-ment dissociée une modification trèsprofonde, Cependant elle existe néces-sairement. Un corps dont les atomesont été partiellement dissociés est né-cessairement différent de ce mêmecorps avant qu’il ait subi un commen-cement de dissociation. Quelles sontdonc les modifications présentées parles corps après émission d’effluves dontils ont été le siège ?

Ici nous sommes bien obligés dequitter momentanément le, régions del’expérience pure et de procéder un peupar voie de conjectures et d’analogies.Nous sommes au seuil d’une chimienouvelle où les réactifs usuels et les ba-lances ne peuvent nous être d’aucunsecours, puisqu’il s’agit de réactionsdont les effets physiques peuvent êtreconsidérables, bien que des quantitésinfiniment petites de matière soient enjeu.

Cependant nous pouvons dire déjàque l’existence de cette science future –la chimie intra-atomique – ne nous estpas révélée par de simples hypothèses.Des faits nombreux, disséminés çà et làet restés inexpliqués, donnent déjàquelques appuis scientifiques à ces hy-pothèses et semblent devoir les trans-former bientôt en solides réalités.

Ces faits nous montrent, en effet,que certains corps simples peuvent su-bir des transformations telles que leurspropriétés les plus fondamentales sontchangées. Je l’ai montré déjà par mesexpériences sur l’aluminium et le ma-gnésium, mais on le constate mieux en-core avec les métaux amenés à l’état ditcolloïdal. Bien que, sous cette forme, ilssoient dilués d’une façon invraisem-blable – puisque, suivant Bernek, leplatine colloïdal est déjà, très actif à ladose de un trois-centième de milli-gramme de métal dans un litre d’eau –ils revêtent alors des propriétés telle-ment intenses et spéciales, tellementdifférentes de celles qu’ils possèdent àl’état ordinaire, qu’on a dû les rappro-cher de certains composés organiquesnommés diastases. On constate, enoutre, qu’ils n’agissent que par leurprésence, c’est-à-dire sans apparaîtredans le produit final des réactions. Leschimistes emploient l’expression d’ac-tion catalytique pour expliquer les faitsanalogues. Le corps supposé n’agir quepar sa présence est peut-être le siège dedésagrégations atomiques particulièresqui échappent aux réactifs. Nous indi-querons plus loin les expériences rela-tives à la phosphorescence venant àl’appui de cette considération.

Ces métaux à l’état colloïdal s’ob-tiennent par divers procédés dont leplus sûr consiste à faire éclater dans del’eau distillée l’arc électrique entre deuxtiges du métal à transformer le platineou l’or, par exemple39. Au bout d’uncertain temps l’eau contient, sous uneforme totalement ignorée, quelquechose provenant des particules du mé-tal et cela à la dose infinitésimale quej’ai indiquée plus haut. Le liquide est,

39 Les métaux dits colloïdaux, comme l’argentqu’on trouve actuellement dans le commercesont en réalité de simples combinaisons chi-miques et ont des propriétés fort différentes.

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coloré, mais il est impossible d’en rienséparer par filtration ni d’y apercevoirau microscope aucune particule ensuspension, ce qui fait supposer queces particules, si elles existent, sont in-férieures, aux langueurs : d’onde de lalumière, c’est-à-dire au millième de mil-limètre. Il ne semble pas possible d’ad-mettre que le métal ainsi transformésoit à l’état de solution40, car l’eau quile contient ne présente aucun caractèredes solutions, tels que les changementsde ses points de congélation, d’ébulli-tion, de tension de vapeur, etc. Pournous, le métal se trouve à l’état de ma-tière ayant subi un commencement dedissociation et c’est justement, pourcette raison que le métal colloïdal pré-paré par voie électrique ne possède plusaucune des propriétés du corps d’où ildérive. Du platine ou de l’or colloïdal nesont certainement ni de l’or, ni du pla-tine ordinaires, bien que fabriqués avecces métaux.

Les propriétés de ces métaux colloï-daux sont, en effet, sans aucune analo-gie avec celles d’un sel du même métalen solution. Par certaines de leurs ac-tions, ils se rapprochent plus des com-posés organiques que de la matièrebrute. C’est pourquoi on a été conduit àles rapprocher des toxines, sortes dediastases de constitution chimique in-connue fabriquées généralement pardes bactéries, mais qu’on sépare par fil-tration de ces bactéries et qui, à desdoses impondérables, provoquent deseffets prodigieusement actifs. SuivantM. Armand Gautier, deux gouttes de

40 Ce qui n’aurait théoriquement rien d’impos-sible malgré la prétendue insolubilité des mé-taux, puisqu’une pièce de 20 francs mise pen-dant peu de temps dans de l’eau distillée yabandonne des traces du cuivre qu’ellecontient à l’état d’alliage, en quantité que nepeuvent déceler les réactifs, mais suffisantecependant pour empoisonner certainesalgues.

toxine tétanique contenant 99 % d’eauet 1 % seulement de corps actif suf-fisent à tuer un cheval. « 1 g de cecorps suffirait, dit-il, à tuer76 000 hommes. »

C’est précisément comme lestoxines ou les ferments organisésqu’agissent les métaux à l’état colloïdal.Le platine colloïdal décompose l’eauoxygénée comme le font certains fer-ments du sang, il transforme l’alcoolpar oxydation en acide acétique commele fait le mycoderma aceti. L’iridium col-loïdal décompose le formiate de chauxen carbonate de chaux, acide carbo-nique et hydrogène comme le font cer-taines bactéries. Chose plus curieuseencore, les corps qui, comme l’acideprussique, l’iode, etc., empoisonnent lesferments organiques41 paralysent, oudétruisent de la même façon l’actiondes métaux colloïdaux. Il faut tout lepoids des idées classiques sur l’invaria-bilité des espèces chimiques pour qu’onne voie pas dans un corps dont les pro-priétés sont aussi profondément diffé-rentes, de celles d’où il provient, unesubstance entièrement nouvelle.

Il est évident, cependant, que l’opi-nion des chimistes sur l’invariabilitédes atomes possède en apparence unebase très solide, puisqu’après toutes lestransformations subies par à un corpson peut toujours régénérer ce corps. Dusulfate de cuivre ne ressemble en rien àdu cuivre métallique, mais on peut enretirer sans difficulté du cuivre. Cet ar-gument conservera sa valeur tant qu’on

41 L’action du poison varie avec les toxines.Elles résistent à certains réactifs énergiqueset sont influencées par des traces de réactifsqui semblent fort peu actifs. M. Armand Gau-tier a montré que des corps aussi violents quel’acide prussique, le sublimé et le nitrate d’ar-gent étaient sans action sur le venin de co-bra, alors que des traces d’une matière alca-line l’empêchent d’agir.

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n’aura pas réussi à dissocier des quan-tités suffisantes de matière ou tout aumoins tant qu’on ne possédera pas demoyens physiques capables de révélerles transformations, le plus souvent lé-gères, subies par un corps faiblementdissocié. Quand un métal est modifiépar une dissociation partielle, il l’esttrop peu pour que nous puissions leconstater par les réactions chimiqueshabituelles.

Ce ne sont que des réactions phy-siques qui peuvent mettre en évidencede telles modifications. Le radium et lescorps phosphorescents en fournissentune excellente preuve. En ce quiconcerne le radium, pur exemple, onsait que, par ses réactions chimiques, ilest tout à fait identique au baryum. Ilen diffère énormément, cependant, parses propriétés radioactives, c’est-à-direpar la dissociation permanente de sesatomes, que des moyens physiquesseuls ont pu révéler.

Quant au phénomène merveilleuxde la phosphorescence, il donne égale-ment l’exemple de substances chimi-quement identiques, mais présentantune propriété physique entièrementnouvelle sous l’influence de traces desubstances étrangères agissant proba-blement en produisant un commence-ment de dissociation. Des sulfures decalcium ou de baryum purs ne sont ja-mais phosphorescents. Additionnés detraces de certaines substances étran-gères et soumis à l’action d’une tempé-rature élevée, qui produit de la disso-ciation de la matière dans tous lescorps, comme je l’ai montré dans unprécédent travail, ces mêmes sulfuresdeviennent aptes aussitôt à produire dela phosphorescence. Ces exemplespourraient être multipliés. J’ai prouvé,par exemple, dans mon mémoire sur la

phosphorescence42, que certains corps,le sulfate de quinine notamment, pro-duisaient de la phosphorescence ens’hydratant légèrement au contact del’atmosphère et devenaient radio-actifspendant tout le temps que durait leurhydratation. C’est là un exemple extrê-mement net d’une réaction chimiquebien déterminée produisant une disso-ciation intra-atomique et, commeconséquence, un phénomène physiqueaussi évident que la phosphorescence.

Ce n’est donc pas à la chimie qu’ilfaut demander de nous indiquer lestransformations subies par la matièrelorsqu’elle éprouve un commencementde dissociation. Il faut bien constater,du reste, que cette science ne possèdeparfois que des moyens extrêmementgrossiers pour différencier les corps etsouvent même ne réussit pas à les dif-férencier du tout. Près du quart descorps simples connus, c’est-à-dire unequinzaine environ, se ressemblent parleurs caractères chimiques, au pointque, sans certaines propriétés phy-siques (raies spectrales, conductibilitéélectrique, chaleur spécifique, etc.), onne les aurait jamais séparés. Ces corpssont les métaux dont les oxydesforment ce qu’on appelle les terresrares. « Ils ne se distinguent, écriventMM. Wyrouboff et Verneuil, à deux outrois exceptions près, que par leurs pro-priétés physiques et se trouvent chimi-quement identiques. Ils le sont à cepoint qu’aucune réaction n’arrive jus-qu’ici à les séparer et qu’on est réduitpour les obtenir à l’état plus ou moinspur au procédé empirique et grossierdu fractionnement. » Ce n’est pas au-trement, d’ailleurs, qu’on obtient le ra-dium.

Devant cette impuissance de la chi-

42 Voir Revue Scientifique des 8 et 15 septembre1900.

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mie, il ne faut pas compter sur ellepour distinguer les corps ayant subi uncommencement de dissociation. Mais sion rapproche les faits qui précèdent, ilen ressort cette conclusion, incontes-table pour le baryum et le radium, in-contestable pour certains corps phos-phorescents, presque incontestablepour les métaux à l’état colloïdal, quedes réactions ayant pour origine pro-bable des commencements de dissocia-tion atomique suffisent à donner auxcorps des propriétés absolument nou-velles qu’aucun de nos réactifs chi-miques ne permettait de pressentir etqui n’ont été révélées que quand desmoyens d’investigation physique nou-veaux ont été découverts. La chimie or-dinaire n’atteint, je le répète, que l’ar-chitecture des atomes et la modifie àson gré. Mais si elle dispose à sa volon-té des pierres de l’édifice, elle ne saitpas encore atteindre la structure de cespierres. La chimie intra-atomique fu-ture sera consacrée à l’étude des phé-nomènes qui se passent au sein desatomes. Dans cette science nouvelledont on entrevoit à peine l’aurore, levieux matériel des chimistes, leurs ba-lances et leurs réactifs resteront proba-blement sans emploi43.

43 Ce ne sont là, sans doute, que des indica-tions, mais le sujet est devenu trop vastepour que son étude puisse être abordée au-trement qu’avec les ressources de labora-toires richement outillés. Le principe des dé-couvertes peut être trouvé avec des moyenstrès simples par des savants isolés. Il ne peuten être do même pour les détails. C’est ce queM. Lucien Poincaré a très bien marqué dansles lignes suivantes :« Il est certain que, dans l’avenir comme dansle passé, les découvertes les plus profondes,celles qui viendront subitement révéler des ré-gions entièrement inconnues, ouvrir des hori-zons tout à fait nouveaux, seront faites parquelques chercheurs de génie qui poursui-vront dans la méditation solitaire leur labeurobstiné, et qui, pour vérifier leurs conceptionsles plus hardies, ne demanderont sans doute

10. Les phases d’existencede la matière. Genèse etévolution des atomes.

Naissance et évolution desatomes.

Il y a trente ans à peine, il eût étéimpossible d’écrire sur le sujet quenous abordons une seule ligne déduited’une observation scientifique quel-conque et on pouvait penser qued’épaisses ténèbres envelopperaienttoujours l’histoire des atomes. Com-ment d’ailleurs supposer qu’ils pou-vaient évoluer ? N’était-il pas universel-lement admis qu’ils étaient indestruc-tibles ? Tout changeait dans le mondeet tant était éphémère. Les êtres se suc-cédaient en revêtant des formes tou-jours nouvelles, les astres finissaientpar s’éteindre, l’atome se ni ne subis-sait pas l’action du temps et semblaitéternel. La doctrine de son immuabilitérégnait depuis deux mille ans et rien nepermettait de supposer qu’elle pût unjour être ébranlée.

Nous avons exposé les expériencesqui ont fini par ruiner cette antiquecroyance. Nous savons maintenant quela matière s’évanouit lentement et queles atomes qui la constituent ne sontpas destinés à durer toujours.

Mais si les atomes sont condamnéseux aussi à une existence relativement

que les moyens expérimentaux les plussimples et les moins coûteux ; mais, pour queces découvertes portent tous leurs fruits, pourque le domaine puis-e être rationnellementexploité et fournir le rendement désirable, ilfaudra de plus en plus l’association desbennes volontés, la solidarité des intelli-gences ; il faudra aussi que les savants aientà leur disposition les instruments les plus dé-licats et les plus puissants. »

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éphémère, il est naturel de supposerqu’ils ne furent pas autrefois ce qu’ilssont aujourd’hui et qu’ils ont dû évo-luer pendant la suite des âges.Qu’étaient-ils jadis ? Par quelles phasessuccessives ont-ils passé ? Quellesformes graduelles ont-ils revêtues ?Qu’étaient autrefois les diverses ma-tières qui nous entourent : la pierre, leplomb, le fer, tous les corps en unmot ?

L’astronomie seule pouvait ré-pondre un peu à de telles questions etc’est elle, en effet, qui y a répondu. Sa-chant pénétrer par l’analyse spectraledans la structure des astres d’âges di-vers qui illuminent nos nuits, elle a punous montrer les transformations quesubit la matière quand elle vient àvieillir.

Ce fut un éminent astronome,M. Norman Lockyer, directeur d’un desgrands observatoires de l’Angleterre,qui montra le premier cette évolution delu matière dans les astres et le premieraussi qui osa soutenir que les atomesdes corps simples étaient dissociables44.Les preuves qu’il fournissait de cettedernière assertion étaient probantesmais les esprits n’étaient pas alors pré-parés et il fallut la découverte desrayons cathodiques et de la radio-acti-vité de lu matière pour que l’antiquedoctrine de l’indestructibilité desatomes pût être ébranlée.

Le point de départ des recherchesde M. Norman Lockyer fnt ce fait fonda-mental, contraire aux idées primitive-ment admises, que chaque élément chi-mique donne un spectre fort différentsuivant la température à laquelle il est

44 Les recherches poursuivies par M. NormanLockyer sur cette question depuis vingt-cinqans ont été réunies par lui dans un livre ré-cent : Inorganic Evolution, Londres, 1900.

soumis. Le spectre du sel dans uneflamme ordinaire, pal exemple, est toutà fait différent du spectre du même mé-tal dans l’arc électrique, Dans laflamme il ne présente qu’un très petitnombre de lignes. Il en présente près de2 000 dans l’arc électrique. Le spectredu même métal varie également suivantqu’on l’observe dans les parties les pluschaudes ou les moins chaudes du so-leil. Dans des tubes contenant des gazraréfiés et traversés par une déchargeélectrique, le même gaz l’azote, parexemple, peut, suivant le degré de vide,donner des spectres différents.

Portant alors ses investigations surles étoiles, le même astronome constataque les plus blanches, qui sont aussiles plus chaudes – comme le prouve laprolongation de leur spectre dans l’ul-tra-violet – ne se composent que d’untrès petit nombre d’éléments chi-miques. Sirius et α de la Lyre, parexemple, se composent presque exclusi-vement d’hydrogène. Dans les étoilesrouges et jaunes, étoiles moins chaudesqui commencent à se refroidir, et sontpar conséquent plus anciennes, on voitsuccessivement apparaître les autreséléments chimiques. D’abord, le magné-sium, le calcium, le sodium, le fer, etc.,puis les métalloïdes. Ces derniers n’ap-paraissent que dans les étoiles les plusrefroidies. Ce n’est donc qu’a mesureque leur température s’abaisse que leséléments des atomes peuvent s’associerpour former les corps simples. M. Nor-man Lockyer arrive finalement à laconclusion suivante : « Les élémentschimiques sont, comme les plantes etles animaux, le produit d’une évolu-tion. »

Les observations précédentessemblent bien prouver, conformémentd’ailleurs à une des plus anciennesthéories de la chimie, que les divers

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corps simples dériveraient d’une ma-tière unique. L’hypothèse commenceseulement, quand on suppose que cettematière primitive serait produite parune condensation de l’éther.

Il paraît douteux que la chaleur soitla seule cause de la transformation desatomes. D’autres forces inconnues ontdit probablement agir, mais quelles quesoient ces forces, il n’importe. Le faitessentiel est que l’observation desastres nous montre l’évolution desatomes, et la formation des divers corpssimples sous l’influence de cette évolu-tion.

Mobilité et sensibilité de la ma-tière

Nous voici arrivés à cette phase del’histoire des atomes où, sous l’in-fluence de causes ignorées, et dontnous ne pouvons que constater les ef-fets, ils ont fini par former les diverscorps simples constituant notre globe ettous les êtres qui vivent à sa surface,La matière est née et va persister pen-dant une longue succession d’ages.

Elle persiste avec des caractères di-vers dont le plus net en apparence estla stabilité des atomes qui la com-posent. Ils servent à former des édificeschimiques dont la forme varie facile-ment, mais dont la masse reste prati-quement invariable à travers tous leschangements.

Les édifices chimiques constituéspar les combinaisons que forment lesatomes se composent donc de maté-riaux très stables, mais ces édificessont parfois d’une fragilité très grande,et toujours d’une mobilité extrême. Lesmoindres variations de milieu – tempé-rature, pression, etc. – modifient ins-tantanément les mouvements de rota-

tion et d’oscillation des atomes quiconstituent la matière.

Ces modifications sont rendues fa-ciles par l’état granulaire de la matière.On est bien obligé d’admettre, en effet,que les atomes qui la composent ne setouchent jamais, et ne sont maintenusen présence que par une force spéciale,dite cohésion. C’est elle qui permet auxcorps de garder leur forme. S’il étaitpossible de l’annuler par une baguettemagique, ou plus simplement par uneforce antagoniste suffisante, nous ré-duirions instantanément en une pous-sière d’atomes un bloc de métal, un ro-cher ou un être vivant. Cette poussière,nous né pourrions même pas l’aperce-voir, car les atomes ne semblent possé-der aucune des propriétés qui pour-raient les rendre visibles à nos yeux.

Si l’on consent à considérer avecnous les atomes comme une simplecondensation d’énergie, on peut direque la matière la plus rigide en appa-rence, un bloc d’acier par exemple, re-présente simplement un état d’équilibremobile entre l’énergie condensée qui laconstitue et les énergies diverses, cha-leur, pression, etc., qui l’entourent. Lamatière cède à leur influence comme unfil élastique obéit aux tractions exercéessur lui mais, reprend sa forme dès quela traction a cessé.

La mobilité de la matière est un deses caractères les plus faciles à consta-ter, puisqu’il suffit d’approcher la maindu réservoir d’un thermomètre pourque la colonne du liquide qui le sur-monte se déplace aussitôt. Ses molé-cules se sont donc écartées sous l’in-fluence d’une légère chaleur. Quandnous approchons la main d’un bloc demétal, les mouvements de rotation etd’oscillation de ses atomes se modifientégalement, mais ils sont si faibles que

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nous ne les percevons pas. Et c’est pré-cisément pourquoi la matière nous ap-paraît comme très peu mobile.

La croyance générale dans sa stabi-lité semble confirmée d’ailleurs parcette observation, que pour faire subir àun corps des modifications considé-rables, par exemple le fondre ou le ré-duire en vapeur, il faut employer desmoyens très puissants.

Des méthodes d’investigation suffi-samment précis montrent, au contraire,que non seulement la matière est d’unemobilité extrême, mais encore qu’ellepossède une sensibilité dont aucun êtrevivant n’a jamais approché.

Les physiologistes mesurent commeon le sait, la sensibilité d’un être par ledegré d’excitation nécessaire pour obte-nir de lui une réaction. On le considère-comme très sensible lorsqu’il réagitsous des excitants très faibles. En ap-pliquant à la matière brute un procédéd’investigation analogue, on constateque la substance la plus rigide et lamoins sensible en apparence, une barrede métal par exemple, est au contraired’une sensibilité invraisemblable. Lamatière du bolomètre, constituée endernière analyse par un mince fil deplatine, est tellement sensible qu’elleréagit – par une variation de conducti-bilité électrique – quand elle est frappéepar un rayon de lumière d’une intensitéassez faible pour ne produire qu’uneélévation de température de un cent-millionième de degré.

Avec les progrès des moyens d’in-vestigation, cette extrême sensibilité dela matière et la mobilité qui l’accom-pagne nécessairement se manifestentde plus en plus. M. H. Steele constataitrécemment qu’il suffit de toucher légè-rement un fil de fer avec le doigt pour

qu’il devienne aussitôt le siège d’uncourant électrique. On sait qu’à descentaines de kilomètres les ondes hert-ziennes, dont l’énergie à de telles dis-tances est infiniment faible, modifientprofondément la structure des métauxqu’elles atteignent puisqu’elleschangent dans d’énormes proportionsleur conductibilité électrique. C’estmême sur ce phénomène que la télégra-phie sans fil est basée. Divers physi-ciens admettent, d’après certaines ex-périences, que sous l’influence de cesondes, les métaux subiraient instanta-nément des transformations allotro-piques analogues à celles que la lu-mière produit dans certains corps, lephosphore et le soufre notamment.

Cette sensibilité extraordinaire dela matière, si contraire à ce que l’obser-vation vulgaire semblait indiquer, de-vient de plus en plus familière aux phy-siciens et c’est pourquoi une expressioncomme celle-ci « la vie de la matière »,dénuée de sens, il y a seulement vingt-cinq ans, est devenue d’un usage cou-rant. L’étude de la matière brute révèlede plus en plus chez elle, en effet, despropriétés qui semblaient jadis l’apa-nage des êtres vivants. M. Bose, en sebasant sur ce fait que « le signe le plusgénéral et le plus délicat de la vie est laréponse électrique » a prouvé que cetteréponse électrique « considérée généra-lement comme l’effet d’une force vitaleinconnue » existe dans la matière. Et ilmontre par des expériences ingé-nieuses45 « la fatigue » des métaux et sadisparition après le repos, l’action desexcitants et des déprimants chimiques,l’action des poisons sur ces mêmes mé-taux, etc.

Il ne faut pas trop s’étonner de ren-contrer dans la matière des propriétésqui semblaient l’apanage des êtres vi-

45 Journal de Physique, août 1902

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vants et il serait inutile d’y chercherune explication simpliste du mystère siimpénétré encore de la vie. Les analo-gies constatées tiennent vraisemblable-ment à ce que la nature ne varie pasbeaucoup ses procédés et construittous les êtres, du minéral jusqu’àl’homme, avec des matériaux sem-blables et doués, pur conséquent, depropriétés identiques. Elle appliquetoujours – en biologie comme ailleurs –ce principe fondamental de moindre ac-tion qui joue un rôle si considérabledans la théorie énergétique et suffirait àlui seul à établir les équations fonda-mentales de la mécanique. Il consiste,comme on le sait, dans cet énoncé sisimple et d’une portée si profonde queparmi tous les chemins permettant depasser d’une situation à une autre, unemolécule matérielle sollicitée par uneforce ne peut prendre qu’une seule di-rection, celle pour laquelle l’effort est leplus petit. On s’apercevra probable-ment un jour que ce principe n’est pasapplicable seulement à la mécanique,mais aussi à la biologie. Il est peut-êtrela cause secrète de ces lois de continui-té observées dans tous les phénomèneset. qui font que les différenciationsentre les êtres vivants se sont faitesd’une façon progressive.

Nous résumerons ce paragraphe endisant que l’atome garde à peu près sonindividualité à travers tous les change-ments de la matière, mais que les édi-fices matériels qu’il sert à former sontd’une mobilité et d’une sensibilité ex-cessives. On peut à volonté changerleur forme, mais sans pouvoir toucheraux matériaux qui les constituent. C’estdu moins ce qu’on avait toujours cru, eton ne l’avait pas cru sans raison,puisque la dissociation des matériauxdes édifices chimiques, c’est-à-dire desatomes, est si lente et, le plus souvent,si faible qu’elle avait échappé jusqu’ici

aux moyens habituels d’investigation.

La dissociation des atomes etl’évanouissement de la matière.

Jusqu’à une époque toute récente,l’indestructibilité des éléments qui com-posent la matière était considéréecomme le dogme le plus fondamental dela chimie.

Et ce n’était pas l’observation vul-gaire seule qui enseignait la perma-nence de la matière. Toutes les expé-riences de la chimie n’avaient fait queconfirmer ce dogme, puisque, à traverstoutes les transformations que la ma-tière peut subir, sa masse mesurée parson poids restait invariable. Cette inva-riabilité de la masse avait même fini paldevenir le seul caractère vraiment irré-ductible de la matière, c’est-à-dire leseul qui apparût comme indépendantdes influences de milieu auxquelles elleest soumise. Les autres propriétés,étant toujours conditionnées par le mi-lieu, apparaissaient comme de simplesrelations.

Nous avons rappelé dans ce mé-moire et examiné en détail dans le pré-cédent, les faits démontrant que la ma-tière peut se dissocier et, par consé-quent, que sa masse ne peut plus êtreconsidérée comme une quantité inva-riable. Il serait donc inutile d’y revenirmaintenant. Considérons le fait commeétabli et tâchons de l’expliquer.

L’explication sera nécessairementune hypothèse alors que le fait sur le-quel elle s’appuie n’en est pas une.Dans les idées actuelles sur la constitu-tion des atomes, chacun d’eux peut êtreconsidéré comme un véritable systèmesolaire comprenant une partie centraleautour de laquelle tournent, avec uneimmense vitesse, un millier au moins

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de particules et quelquefois beaucoupplus. Ces dernières doivent donc possé-der une grande énergie cinétique.Qu’une cause quelconque vienne àtroubler leur trajectoire, ou que leur vi-tesse de rotation arrive à être suffisantepour que la force centrifuge, qui en ré-sulte, dépasse la force d’attraction quiles maintient dans leur orbite et alorsles particules périphériquess’échappent dans l’espace en suivant latangente de la courbe qu’elles par-courent. Par cette émission elles donne-ront naissance aux phénomènes de ra-dio-activité. Quant à dire pourquoi cesparticules tournent les unes autour desautres depuis l’origine des ages, il se-rait inutile de tenter une simpleébauche d’explication.

Quoi qu’il en soit de la valeur decette explication, le fait de la dissocia-tion existe. Il est fort singulier, assuré-ment, de voir un système aussi stableque l’atome commencer à se dissociersous des influences aussi légères qu’unrayon de soleil ou des réactions chi-miques très simples ; mais ce sont làdes faits d’expérience devant lesquels ilfaut bien s’incliner.

Quand on admettait que la radioac-tivité était spéciale à certains corps telsque l’uranium et le radium, on croyait –et beaucoup de physiciens croient en-core – que l’instabilité de ces corps étaitune conséquence de l’élévation de leurpoids atomique. Cette explication s’éva-nouit devant le fait, démontré par nosrecherches antérieures, que ce sontjustement les métaux dont le poids ato-mique est le plus faible comme le ma-gnésium et l’aluminium, qui deviennentle plus facilement radio-actifs sous l’in-fluence de la lumière, alors que ce sont,au contraire, les corps possédant unpoids atomique élevé, comme l’or, laplatine etle plomb, dont la radio-activité

est la plus faible. La radio-activité estdonc indépendante du poids atomiqueet probablement due, comme je l’ai ex-pliqué, à certaines réactions chimiquesde nature inconnue. Deux corps qui nesont pas radio-actifs peuvent le devenirpar leur combinaison. Le mercure etl’étain, par exemple, peuvent être ran-gés parmi les corps dont la radio-activi-té, sous l’action de la lumière, est laplus faible. J’ai montré cependant quele mercure devenait extraordinairementradio-actif sous l’influence de la lumièredès qu’on lui ajoute des traces d’étain.

Cet exemple et tous ceux du mêmeordre, montrent bien, comme je le di-sais plus haut, que les causes qui pro-duisent la dissociation de l’atome sontsouvent très faibles. Commentagissent-elles ? Nous l’ignorons complè-tement. Des métaux devenant très ra-dio-actifs, sous l’influence de radiationslumineuses d’une certaine longueurd’onde, ne le sont presque pas sousl’influence de radiations de longueurd’onde peu différentes. Les chosessemblent se passer comme dans le phé-nomène de la résonance. On peut,comme on le sait, faire vibrer un diapa-son ou même une lourde cloche en pro-duisant auprès d’eux une note d’unecertaine période vibratoire, alors que lesbruits les plus violents peuvent les lais-ser insensibles.

Quelles que soient les causes ca-pables de dissocier un peu l’agrégatd’énergie condensée qui constituel’atome, ces causes existent et quandnous les connaîtrons mieux nous arri-verons certainement il une dissociationplus complète qu’aujourd’hui. Dansl’état actuel de la science, il suffisaitd’en prouver l’existence.

Mais que deviennent les élémentsdissociés des atomes ? Ces éléments

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ont perdu, comme nous l’avons montré,leur caractère matériel et on supposequ’ils sont constitués par des particulesélectriques. Où vont ces particules ?

Nous sommes ici sur les extrêmeslimites de nos connaissances et réduitsà remplacer les explications par desconjectures et des points d’interroga-tion. Nous avons vu l’atome matériel sedissocier. La matière considérée commede l’énergie condensée sous une formeoù elle acquiert le poids, la forme et lafixité, s’est transformée en éléments im-pondérables qui ne sont plus de la ma-tière, mais ne sont pas encore del’éther. Ce que deviennent finalementces éléments impondérables, nousl’ignorons encore.

Nous savons, par expérience, qu’ilsne peuvent reconstituer la matière dontils dérivent. L’atome électrique, quetoutes les idées modernes amènent àconsidérer comme une modification lo-calisée de l’éther, une permanence dansl’éther, garde-t-il indéfiniment son indi-vidualité ? Est-il éternel alors que lamatière ne l’est pas ?

Qu’il vive isolé ou associé à unatome de signe contraire, cela n’importeguère. Alors même que, par cette asso-ciation, il constituerait un atome d’élec-tricité neutre – chose inconnue qu’au-cune expérience n’a encore montré – ilpossède une individualité. Mais com-bien de temps la garde-t-il ? Et s’il ne lagarde pas que devient-il ?

Que l’atome électrique, qui a eu né-cessairement un commencement, soitdestiné à ne pas avoir de fin, cela estpeu probable. Il est sur la limite ex-trême des choses. Si l’existence de cesatomes électriques avait persisté depuisqu’ils se forment sons l’influence detant de causes diverses, c’est-à-dire de-

puis les origines du monde, ils auraientfini par s’accumuler au point de pou-voir former un nouvel univers ou tourau moins une sorte de nébuleuse. Il estdonc vraisemblable qu’ils finissent parperdre leur existence individuelle. Maisalors comment peuvent-ils disparaître ?Pouvons-nous supposer que leur desti-née est celle de ces blocs de glace quiflottent dans les régions polaires etgardent une existence individuelle tantque la seule cause de destruction quipuisse les atteindre – une élévation detempérature – ne les atteint pas ? Dèsque cette cause de destruction agit sureux, ils s’évanouissent dans l’océan etdisparaissent. Tel est, peut-être, le sortfinal de l’atome électrique. Quand it arayonné toute son énergie il s’évanouitdans l’éther et n’est plus rien46.

Si les vues exposées dans ce mé-moire sont exactes, il existerait quatrestades successifs de la matière. Deuxsont révélés par l’expérience, le premieret le dernier ne sont encore qu’une hy-pothèse.

Le premier stade est constitué parl’éther.

Le second est représenté par la ma-

46 Cette conception ne s’accorde pas évidem-ment avec le pt-émier principe de la thermo-dynamique, mais si le dogme de l’indestructi-bilité de la matière s’évanouit, celui de laconservation de l’énergie semble égalementquelque peu menacé. La question estd’ailleurs trop importante pour être discutéemaintenant. Nous l’examinerons dans unautre travail. Il semble très probable et nousne sommes pas les seuls à le penser, que laloi de la conservation de l’énergie dont M. H.poincaré a si brillamment montré les côtés in-certains dans son livre récent : La science et[’hypothèse, est, comme la plupart (les loisphysiques, celle de Mariotte, par exemple,vraie seulement dans certaines limites. Ellesera donc toujours utile à conserver pour lacommodité des calculs.

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tière ordinaire formée d’atomes qui nesont, pour nous, que de l’énergiecondensée sous un état particulier d’oùrésulte la forme, le poids et la fixité.

Le troisième stade – et avec lui ladissolution commence – est représentépar l’atome dit électrique, substance in-termédiaire entre la matière ordinaire etl’éther c’est-à-dire entre le pondérableet l’impondérable. La matière a perduson poids, son inertie n’est plusconstante et sa fixité semble transitoire.

La dernière phase d’existence de lamatière serait celle ou l’atome élec-trique ayant perdu l’individualité, c’est-à-dire la fixité s’évanouirait dansl’éther. Ce serait le terme ultime de ladissociation de la matière, le nirvana fi-nal où il semble que toute chose doiveretourner après une éphémère exis-tence.

Mais ce sont là des interprétations.Il ne faut pas qu’elles nous écartent desfaits que nous avons exposés et qui ontprouvé l’existence de la dissociation desatomes.

Et puisque nous avons prouvé quecette dissociation est un phénomènegénéral, nous sommes fondés à direque la doctrine de l’invariabilité dupoids des atomes sur lequel toute lachimie moderne est fondée n’est qu’unetrompeuse apparence résultant unique-ment du défaut de sensibilité des ba-lances. Il suffirait qu’elles fussent sen-sibles au millième de milligramme pourque toutes nos lois chimiques fussentconsidérées comme de simples approxi-mations. Si les balances possédaientune telle précision, nous constaterionsaussitôt que dans une foule de circons-tance, et, en particulier pendant les ré-actions chimiques, l’atome perd unepartie de son poids. Nous sommes donc

fondés à dire, contrairement au prin-cipe posé comme base de la chimie parLavoisier, que : on ne retrouve pas dansune combinaison chimique le poids totaldes corps employés pour produire cettecombinaison47.

L’exactitude de ce fait capital com-mence à être reconnue par des physi-ciens éminents, Voici, par exemple,comment s’exprimait récemment, à pro-pos d’expériences de radio-activité,M. Lodge devant la Société de physiquede Londres :

« L’évolution ou la transmutation de lamatière est expérimentalement dé-montrée pal les expériences sur la ra-dio-activité. Les atomes lourds descorps radio-actifs semblent se désa-gréger et lancer dans l’espace desatomes de poids atomique plus faible.On pourrait penser que cette hypo-thèse sur la dégradation et l’instabilitédes atomes est une simple spécula-tion. Elle constitue cependant la plusraisonnable explication des phéno-mènes observés. D’après la théorieélectrique de la matière, c’est-à-dired’après cette vue qu’un atomecontient des électrons doués de ra-pides mouvements inter-atomiquesobéissant à des lois analogues à cellesqui régissent le cours des astres, l’in-

47 On commence déjà à le constater expérimen-talement, en faisant usage de balances extrê-mement sensibles et en opérant pendant untemps suffisamment long. « À raide d’une ba-lance do haute précision, écrit M. Lucien Poin-caré, MM. Landolt et Heydweiler ont effectuéde nombreuses pesées sur des corps diversavant et après que se sont effectuées les ré-actions chimiques auxquelles ces corps ontdonné naissance ; ces deux physiciens trèsexercés et très prudents n’ont pas craintd’énoncer ce résultat sensationnel que, danscertaines circonstances, le poids n’est plus lemême après qu’avant la réaction. En particu-lier, Ie poids d’une dissolution de sulfate decuivre dans de l’eau ne serait pas la sommeexacte des poids du sel et de l’eau. » (Revuedes Sciences, janvier 1903, p. 96.)

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stabilité de l’atome doit nécessaire-ment exister. Nous ne devons plus ad-mettre que l’atome est permanent etéternel. La matière peut probablementnaître et périr. L’histoire d’un atomeprésente des analogies avec celle d’unsystème solaire. Dans la théorie élec-trique de la matière, la combinaisondes électrons peut produire l’agrégatélectrique appelé un atome et sa dis-sociation s’accompagne d’un phéno-mène de radio-activité48».

Dans un travail également tout ré-cent, sir William Crookes est arrivé àune conclusion analogue.

« Cette fatale dissociation des atomes,dit-il, semble universelle. Elle se ma-nifeste quand nous frottons un bâtonde verre, quand le soleil brille, quandun corps brûle, quand la pluie tombe,quand les vagues de l’océan sebrisent. Et bien que la date de l’éva-nouissement de l’Univers ne puisseêtre calculée, nous devons constaterque le monde retourne lentement aubrouillard informe du chaos primitif.Ce jour-là, l’horloge de l’éternité auraterminé un cycle49».

Et maintenant résumons-nous.

La longue analyse qui précède nousa permis de suivre l’atome depuis sanaissance jusqu’à son déclin. Nousl’avons vu naître, évoluer, puis com-mencer à disparaître. Essayant de pé-nétrer sa nature, nous avons prouvéqu’il constituait un réservoir colossald’énergie et n’était probablement forméque d’énergie condensée susceptible dese dissocier lentement.

Nous ignorons assurément la na-ture et le mode d’action des forces ca-

48 Physical Society, séance du 3 juin 1903.Compte rendu publié dans Chemical News du19 juin 1913, p. 291.

49 Chemical News, 12 juin 1903, p. 281, et Re-vue Scientifique du 22 août 1903.

pables de condenser une partie del’éther qui remplit l’univers en atomesd’un gaz quelconque tel que l’hydrogèneou l’hélium par exemple, puis de trans-former ce gaz en substances telles quele sodium, le plomb ou l’or, mais leschangements observés dans les astressont la preuve que les forces capablesde produire de telles transformationsexistent, qu’elles ont agi dans le passéet continuent à agir encore.

Dans le système du monde dévelop-pé par Laplace, le soleil et les planètesauraient d’abord été une grande nébu-leuse au centre de laquelle s’est forméun noyau animé d’un mouvement derotation et duquel se sont successive-ment détachés des anneaux qui for-mèrent plus tard la terre et les autresplanètes. D’abord gazeuses, ces massesse sont progressivement refroidies etl’espace primitivement rempli par la né-buleuse n’a plus été occupé que parquelques globes qui continuent à tour-ner sur eux-mêmes et autour du soleil.Avec les idées nouvelles sur la composi-tion des atomes, il est permis de suppo-ser que chacun de ces derniers ne s’estpas formé autrement et représente mal-gré sa petitesse un véritable systèmesolaire.

Mais notre nébuleuse commetoutes celles qui brillent encore dans lanuit, provenait nécessairement dequelque chose. Dans l’état actuel de lascience, on ne voit que l’éther qui ail puconstituer ce quelque chose, et c’estpourquoi toutes les investigations ra-mènent toujours à le considérer commel’élément fondamental de l’Univers. Lesmondes y naissent et ils vont y mourir.

Nous ignorons comment a pu seconstituer l’atome et pourquoi il finitpar lentement s’évanouir ; mais aumoins nous savons qu’une évolution

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analogue se continue dans les mondesqui nous entourent, puisque nous pou-vons observer ces mondes à toutes lesphases d’évolution depuis la nébuleusejusqu’à l’astre refroidi, en passant parles soleils encore incandescents commele nôtre. Les transformations du mondeinorganique apparaissent maintenantcomme aussi certaines que celles desêtres organisés. L’atome et par consé-quent la matière n’échappent pas àcette loi souveraine et mystérieuse quifait naître, grandir et mourir les astresinnombrables dont est peuplé le firma-ment.

En essayant ainsi d’entrevoir lesorigines de la matière, son évolution etsa fin, nous sommes progressivementarrivés aux dernières limites de ces de-mi-certitudes que la science peutconnaître et au-delà desquelles il n’y aplus que les ténèbres de l’inconnu.

Notre travail est donc termine. Il re-présente la synthèse de laborieuses in-vestigations poursuivies pendant delongues années. Parti de l’observationattentive des effets produits par la lu-mière sur un fragment de métal, nousavons été successivement conduit parl’enchaînement des phénomènes à ex-plorer des régions très diverses de laphysique. L’étude de la dissociation dela matière, celle de l’infra-rouge, de l’ul-tra-violet, des ondes hertziennes, de laphosphorescence et de la variabilité desespèces chimiques ont été successive-ment abordées.

Sans doute l’expérience a toujoursété notre principal guide, mais pour in-terpréter les résultats obtenus et en dé-couvrir d’autres, il a fallu édifier plusd’une hypothèse. Dès qu’on pénètredans des régions inconnues de lascience il n’est pas possible de procéderautrement. « Le rôle de l’hypothèse, dit

M. Poincaré, est tel que le mathémati-cien ne saurait s’en passer et que l’ex-périmentateur ne s’en passe pas davan-tage. » Faire des hypothèses et des ex-périences, puis tâcher de relier, par desgénéralisations, les faits constatés, re-présente les trois stades nécessaires del’édification de toutes nos connais-sances.

Il importe peu que les hypothèsessoient erronées il suffit qu’elles soientutiles et elles le sont dès qu’elles pro-voquent des recherches, « Ce qui fait lemérite d’une théorie, écrit très juste-ment M. Duclaux, ce n’est pas d’êtrevraie ; il n’y a pas de théories vraies ;c’est d’être fécondes. »

Tout récemment encore, ce que l’oncroyait savoir de l’atome était déduitd’une théorie dont l’inexactitude de-vient chaque jour plus évidente. Elle futprécieuse pourtant puisqu’elle a permisde construire les édifices de la méca-nique et de la chimie. L’équation fonda-mentale de la dynamique n’a pu êtreétablie qu’en s’appuyant sur le principede l’invariabilité de la masse. C’est surce même principe que tout l’édifice chi-mique a été bâti.

Aujourd’hui nous savons que lamatière considérée comme si stable nel’est pas en réalité et que sa masse nepeut être une grandeur rigoureusementinvariable. Le principe considérécomme absolu n’était donc qu’une loiapproximative, ainsi d’ailleurs que lapresque totalité des lois physiques dèsqu’on arrive à certaines limites. Il restetrès suffisamment exact cependantpour nos méthodes habituelles d’obser-vation.

La science vit de faits, Sans doute,mais ce sont toujours les grandes géné-ralisations qui les font naître. Une théo-

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rie fondamentale ne peut être modifiéesans que l’orientation des recherchesscientifiques change aussitôt. Les théo-ries de Pasteur peuvent se formuler enquelques lignes ; il faudrait des vo-lumes pour énumérer l’entassementdes faits dont elles ont provoqué la dé-couverte et les révolutions qu’elles ontproduites en médecine. Qu’on réussisseà prouver un jour – comme on com-mence à le faire déjà – que les théoriespastoriennes ne sont pas très exactes, iln’importe. Les faits découverts reste-ront acquis.

Il en sera de même sans doute pourl’étude des atomes. Par le fait seul queles idées sur leur constitution se sonttransformées, les doctrines qui ser-vaient de base à des parties fondamen-tales de la physique, de la chimie et dela mécanique sont condamnées à chan-ger et ta direction des recherches chan-gera également.

Cette orientation nouvelle des in-vestigations amènera nécessairementune éclosion de faits nouveaux. Lesthéories atomiques vont envahir toutesles branches de la physique. Dans ledomaine de l’électricité, elles règnentdéjà sans rivales et leurs conséquencesse feront sentir jusque dans les opéra-tions de l’industrie.

Personne ne pouvait songer à étu-dier le monde des atomes à l’époque sirécente encore où on les croyait formésde particules élémentaires très simples,irréductibles, inaccessibles et indes-tructibles. Aujourd’hui nous savonsque la science a quelque prise sur cesparticules et que chacune d’elles est unvéritable univers d’une structure extra-ordinairement compliquée, siège deforces dont la grandeur dépasse im-mensément toutes celles découvertesjusqu’ici. Ce que la chimie et la méca-

nique croyaient le mieux connaître étaiten réalité ce qu’elles connaissaient lemoins.

C’est dans ces univers atomiquesque leur extrême petitesse fit ignorerpendant si longtemps, qu’il faudrachercher sans doute l’explication dequelques-uns des mystères qui nousentourent. La petitesse infinie contientpeut-être les secrets de l’infinie gran-deur.

Et ce n’est pas seulement au pointde vue de la théorie pure qu’il est né-cessaire d’approfondir l’étude des uni-vers atomiques et des énergies colos-sales dont ils sont le siège. La scienceest à la veille, peut-être, de capter cesénergies dont on ne soupçonnait pasl’existence et de rendre ainsi inutilel’extraction de la houille. La provisionde combustible que les couches ter-restres contiennent s’épuise rapidementet si ce réservoir d’énergie était tari, desindustries, éléments essentiels de la ci-vilisation, seraient condamnées à périr.Sans charbon, en effet, les chemins defer et les paquebots s’arrêteraient, lesusines se fermeraient et l’électricité nenous illuminerait plus. On est en droitd’espérer que la connaissance appro-fondie du mécanisme des énergies in-tra-atomiques rendra inutile l’extrac-tion de la houille. Le savant qui trouve-ra le moyen de libérer économiquementles forces que la matière contient chan-gera presque instantanément la face dumonde. Une source illimitée d’énergieétant gratuitement à la disposition del’homme, il n’aurait pas à se la procurerpar un dur travail. Le pauvre seraitalors l’égal du riche et aucune questionsociale ne se poserait plus.

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