11

Click here to load reader

L’animal Comme Corps Du Cinéma

  • Upload
    raymond

  • View
    218

  • Download
    2

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: L’animal Comme Corps Du Cinéma

This article was downloaded by: [The Aga Khan University]On: 31 October 2014, At: 04:57Publisher: RoutledgeInforma Ltd Registered in England and Wales Registered Number: 1072954Registered office: Mortimer House, 37-41 Mortimer Street, London W1T 3JH,UK

Contemporary French andFrancophone StudiesPublication details, including instructions for authorsand subscription information:http://www.tandfonline.com/loi/gsit20

L’animal Comme Corps DuCinémaRaymond BellourPublished online: 29 Nov 2012.

To cite this article: Raymond Bellour (2012) L’animal Comme Corps DuCinéma, Contemporary French and Francophone Studies, 16:5, 593-601, DOI:10.1080/17409292.2012.739421

To link to this article: http://dx.doi.org/10.1080/17409292.2012.739421

PLEASE SCROLL DOWN FOR ARTICLE

Taylor & Francis makes every effort to ensure the accuracy of all theinformation (the “Content”) contained in the publications on our platform.However, Taylor & Francis, our agents, and our licensors make norepresentations or warranties whatsoever as to the accuracy, completeness, orsuitability for any purpose of the Content. Any opinions and views expressedin this publication are the opinions and views of the authors, and are not theviews of or endorsed by Taylor & Francis. The accuracy of the Content shouldnot be relied upon and should be independently verified with primary sourcesof information. Taylor and Francis shall not be liable for any losses, actions,claims, proceedings, demands, costs, expenses, damages, and other liabilitieswhatsoever or howsoever caused arising directly or indirectly in connectionwith, in relation to or arising out of the use of the Content.

This article may be used for research, teaching, and private study purposes.Any substantial or systematic reproduction, redistribution, reselling, loan, sub-licensing, systematic supply, or distribution in any form to anyone is expressly

Page 2: L’animal Comme Corps Du Cinéma

forbidden. Terms & Conditions of access and use can be found at http://www.tandfonline.com/page/terms-and-conditions

Dow

nloa

ded

by [

The

Aga

Kha

n U

nive

rsity

] at

04:

57 3

1 O

ctob

er 2

014

Page 3: L’animal Comme Corps Du Cinéma

Contemporary French and Francophone StudiesVol. 16, No. 5, December 2012, 593–601

L’ANIMAL COMME CORPS DU CINEMA

Raymond Bellour

ABSTRACT L’idee meme de l’animal comme corps du cinema ressort de la genealogied’une vision qui fait du spectateur de cinema un corps d’hypnose et un corps d’emotion.Les animaux, dit Francois Roustang, sont comme « en etat d’hypnose permanent » ; ilsincarnent, selon Etienne Souriau, l’essence du mouvement – d’ou leur presence excessivedans tant de films. Ils en expriment ainsi un « devenir », au sens propre a Gilles Deleuzeet Felix Guattari. Ainsi peut-on tenter de ressaisir la fonction des animaux dans deuxgrandes aires culturelles de l’histoire du cinema. D’un cote, le cinema americain, danslequel l’animal, entre pastoralisme et wilderness, assure un lien anthropologique avecune idee de nature propre a la formation de la nation; de l’autre, le cinema europeen( francais et italien surtout) dans lequel l’animal participe plutot d’une vision ontologiquecherchant a circonscrire la definition de l’humain.

Keywords: Animal; Hypnose; Mouvement; Sympathie; Corps; Cinema

Les quelques remarques que je propose sous ce titre, « L’Animal commecorps du cinema »,1 participent d’un projet d’ensemble par lequel j’ai cherche amieux comprendre ce qu’est un spectateur de cinema, un corps de spectateurpris dans le corps du cinema.

Dans un premier temps, j’ai cherche a eclairer une comparaison faitede tous temps mais jusque-la trop peu approfondie, entre le cinema etl’hypnose, du point de vue d’une analogie de processus et de dispositifs commede l’importance meme accordee a la representation de l’hypnose au long del’histoire du cinema. Dans un second temps, j’ai propose une equivalence entrel’etat de cinema compris comme hypnose legere et la masse des emotionsqui sont eprouvees au fur et a mesure de la projection d’un film. Mais a

ISSN 1740-9292 (print)/ISSN 1740-9306 (online)/12/050593–9 � 2012 Taylor & Francis

http://dx.doi.org/10.1080/17409292.2012.739421

Dow

nloa

ded

by [

The

Aga

Kha

n U

nive

rsity

] at

04:

57 3

1 O

ctob

er 2

014

Page 4: L’animal Comme Corps Du Cinéma

condition de s’interesser, plutot qu’aux emotions conventionnelles, de naturepsychologique, aux emotions premieres que le grand specialiste americaindu developpement de l’enfant, Daniel Stern, a nomme des affects de vitalite :soit l’ensemble des reactions sensibles provoquees d’abord chez le tout petitenfant et de la a jamais en tout homme, par la constitution de la realiteexterieure comme par celle de son propre corps. Ce sont ainsi les valeursinfiniment variables de formes, de rythmes, de vitesses, d’intensites, propres ala matiere meme des films, qui viennent au premier plan, dans un echangeininterrompu entre le corps du film et le corps du spectateur.

Enfin, troisieme temps, il s’agit de comprendre comment ce corpsd’hypnose et d’emotion est aussi un corps animal, une part d’animalite del’homme, celle qui tient en lui au mouvement, au plus elementaire du corpsaffecte. L’animal se trouve ainsi lie a la caracterisation d’un corps du cinema,selon une ligne de partage comme de recouvrement entre valeurs de symboleet valeurs d’intensites.

On peut etre frappe que le neurobiologiste Jean-Marie Vincent, dans unessai intitule « Animalite de la pensee et subjectivite animale », publie en 1993dans le livre Importance de l’hypnose, cite ces mots de Francois Roustang dans sonouvrage Qu’est-ce que l’hypnose ? (1994), qui doit lui-meme tant aux travauxde Vincent : « les animaux vivent en etat d’hypnose permanent » ; si bienqu’« en ce sens l’hypnose animale n’existe pas, elle est toujours donnee » (143).Roustang a insiste a loisir, depuis son livre Influence (1990), sur le lienphilosophique qui a ete formule, depuis le tournant du dix-neuvieme siecle,entre le magnetisme animal (ainsi nommait-on alors l’hypnose) et l’animalitesubjective de l’homme, principalement par Maine de Biran et Hegel. Mainede Biran, le premier a penser le mesmerisme, est en particulier l’auteur, entre lafin du dix-huitieme siecle et le debut du dix-neuvieme, de trois traites dontles titres resonnent puissamment ensemble : Notes sur le traite de la nature desanimaux, Memoire sur les perceptions obscures ou sur les impressions generales affectiveset les sympathies en particulier, et Nouvelles considerations sur le sommeil, les songes et lesomnambulisme. Il est frappant de voir comment ces « perceptions obscures »qualifient les « impressions multiples » liant a travers le magnetisme animal lesujet hypnotise et son hypnotiseur (Roustang 71-76). Mais aussi combien ces« perceptions obscures » sont proches des « petites perceptions, obscuresou confuses » que Leibniz oppose aux perceptions claires et distinctes de laperception consciente; celles-la meme que Gilles Deleuze appelle dans Le Pli« de petites pliures » dans lesquelles il reconnaıt « l’etat animal ou anime parexcellence » (115-116). Il ecrit aussi : « L’animal aux aguets, l’ame aux aguets »(116), pour qualifier le passage, continuellement instable et recurrent, d’unniveau de la perception a l’autre. Et c’est une telle reference a l’animalite quesouligne de son cote Roustang quand il cite Maine de Biran cherchant a decrirel’etat somnambulique : « Ce principe d’impulsion interne est le meme que celuide l’instinct primitif des differentes especes d’animaux, et de la locomotion du

594 C O N T E M P O R A R Y F R E N C H A N D F R A N C O P H O N E S T U D I E S

Dow

nloa

ded

by [

The

Aga

Kha

n U

nive

rsity

] at

04:

57 3

1 O

ctob

er 2

014

Page 5: L’animal Comme Corps Du Cinéma

fœtus dans le sein de la mere ou aussitot apres la naissance » (Maine de Biran120, cite par Roustang 72).

Cette equivalence avec le fœtus dans le sein de la mere est aussicelle qu’invoque Hegel quand il cherche a concevoir l’etat inconcevable dumagnetisme animal. Il etablit une equivalence entre les clairvoyants et lesanimaux, « car ils sont renseignes par leur instinct sur ce qui peut les guerir »(84). Il decrit le magnetiseur et le magnetise comme « deux spheres animalesqui se tiennent l’une en face de l’autre », rappelant aussi que « la force dumagnetiseur n’agit pas seulement sur les hommes, mais sur les animaux, par exemple,les chiens, les chats et les singes » (79) (il oublie seulement la poule emblematique,au dix-septieme siecle, du jesuite Athanasius Kircher). Et il ecrit que lemagnetisme animal permet a l’ame humaine « un retour [. . .] a son universalitesimple », impliquant « la mise a l’ecart de l’inhibition de la vie animale [. . .]pour recouvrir l’etre-fluide-en-soi-meme de l’organisme » (87).

Ainsi, au long du dix-neuvieme siecle, le magnetisme ou l’hypnose ont-ilsete frequemment associes a l’animalite. On peut voir par exemple commentchez Schopenhauer le concept fondamental de volonte, oppose dans le titre deson grand livre a la representation, depend de l’animalite comme continuitede la vie, et comment la lucidite magnetique du somnambulisme atteste d’autrepart cette meme continuite.

Mais c’est chez Bergson surtout que les deux lignes de l’hypnose et del’animalite s’entrecroisent le plus vivement. Il ne faut jamais oublier a quel pointBergson s’est interesse sa vie durant a tous les phenomenes erratiques cernespar les mots de magnetisme, d’hypnose, de somnambulisme, de voyance, despiritisme et de telepathie. Cela se developpe par exemple de son essai inauguralde 1886, « De la simulation inconsciente dans l’etat d’hypnotisme » a saconference fameuse « Fantomes de vivants et Recherche psychique », quandil accepta en 1913 la presidence de la Society for Psychical Research. Il est frappantde voir a quel point cette curiosite ou cette croyance s’est trouvee liee a soninsistance sur l’animalite, en particulier a travers sa reference constante ala biologie. La notion de sympathie, liee a l’instinct et au mouvement,et « divinatrice », unit face a l’intelligence tous les phenomenes du sentimentet les organisations de la nature (Bergson 644-645). Et on n’est pas surprisde trouver, finalement, cette dimension de sympathie au cœur de l’evaluation del’art. Plus precisement, les degres d’intensite qu’on eprouve dans les emotionsesthetiques peuvent etre compares aux phases distinctives propres a l’etatd’hypnose. On voit ainsi l’hypnose, l’emotion et l’animalite s’aligner d’un seultrait dans une exemplarite propre a l’art considere comme une extensionrythmee de la nature.

On peut imaginer combien il est tentant de passer de Bergson a Deleuze,bien qu’il soit impossible d’envisager ici ce qui donne une part de sa force a cemouvement, la question delicate de la resistance de Bergson envers le cinema.Je peux seulement souligner deux points asymetriques. D’une part, Deleuze a

L ’ A N I M A L C O M M E C O R P S D U C I N E M A 5 9 5

Dow

nloa

ded

by [

The

Aga

Kha

n U

nive

rsity

] at

04:

57 3

1 O

ctob

er 2

014

Page 6: L’animal Comme Corps Du Cinéma

peu autonomise l’idee d’hypnose dans ses livres sur le cinema. Mais les raresmentions qu’il en fait dans L’Image-temps sont saisissantes. D’abord, dans unlarge mouvement de synthese, il definit retrospectivement le cinema de l’image-mouvement par la « pensee hypnotique » (en tiers avec la pensee critique etla pensee-action), definie comme le « rapport avec une pensee qui ne peutetre que figuree dans le deroulement subconscient des images » (212). Ensuite,dans des pages cruciales consacrees a Alain Resnais et a ses liens avec l’hypnose(ce qu’il appelle « sa methode d’hypnose critique »), Deleuze a cette formuleetonnante : « C’est l’hypnose qui revele la pensee a elle-meme » (163-164).D’autre part, il faut se rappeler que Deleuze a developpe a l’extreme l’identiteentre art et animalite, non dans ses livres sur le cinema, mais dans ceux ecritsavec Felix Guattari (Kafka, Mille Plateaux, Qu’est-ce que la philosophie ?). Quand ilsecrivent, dans Qu’est-ce que la philosophie ?, que « l’art commence peut-etre avecl’animal » (174), selon une conception « melodique, ou l’on ne sait plus ce quiest de l’art ou de la nature » (176), ils tirent la conclusion ultime de leurdixieme plateau et le plus long : « Devenir-intense, devenir-animal, devenir-imperceptible » (Mille Plateaux, ch. 10). Et nous devons nous rappeler que,ouvrant leur plateau par les « Souvenirs d’un cinephile » consacres a Willard,le film de Daniel Mann, ils reconnaissent implicitement que tout ce qui s’ensuittouche aussi bien le cinema.

C’est dans un tel contexte qu’il devient crucial de mieux comprendre lelien extraordinaire qui s’est developpe entre le cinema, des ses debuts, et lesanimaux, bien au-dela des liens que certains films ont etabli eux-memes entrel’hypnose et l’animal (je pense avant tout aux films fantastiques de JacquesTourneur, tels Cat People et Night of the Demon).

On sait que tous les arts, la litterature surtout, ont accorde depuis letournant du dix-neuvieme siecle une importance accrue ainsi qu’une fonctioncritique a la figuration de l’animal, comme pour compenser la perte qui a frappedans la realite une complicite immemoriale entre les hommes et les animaux.Le developpement du machinisme et de la rationalite industrielle sont une raisonparmi d’autres. De facon generale, l’apparition de « la vie », decrite par MichelFoucault, sert de cadre conceptuel a une transformation progressive de l’histoirenaturelle en biologie, assurant ainsi peu a peu des complicites d’un autre ordreentre l’humain et l’animal – alors meme que l’equilibre ancien de la realite dumonde se trouve chaque jour plus menace par la disparition de tant d’especes,pour des motifs divers dont l’homme est responsable. C’est aussi a cela quedepuis si longtemps tant d’images d’animaux repondent – et le cinema depuis sanaissance de facon saisissante.

Dans un article bien oublie, le philosophe et estheticien francais EtienneSouriau, un des fondateurs de la filmologie, dressait un etat des rapports etroitsentre « l’univers filmique et l’art animalier » (c’est le titre de son article,en 1956, contemporain de ceux d’Andre Bazin qui, de son cote, liait pour unepart son ontologie du cinema a la figuration de l’animal). Souriau notait d’abord

596 C O N T E M P O R A R Y F R E N C H A N D F R A N C O P H O N E S T U D I E S

Dow

nloa

ded

by [

The

Aga

Kha

n U

nive

rsity

] at

04:

57 3

1 O

ctob

er 2

014

Page 7: L’animal Comme Corps Du Cinéma

que « la part proportionnelle de presence » des animaux dans l’art filmique« est massivement superieure a celle qu’on pouvait attendre », si on l’evaluaitpar comparaison « avec les autres arts du temps present, le niveau moyendes curiosites ‘animalieres’ dans notre culture, et la situation technologiquegenerale » (52). Je ne peux donner ici que l’essentiel d’arguments sinueux,en particulier autour du cheval, pretexte d’un prete pour un rendu, dans lamesure ou sa presence excessive dans le western repond a l’importance qu’il eutdans la naissance du cinema, chez Jules-Etienne Marey et Edweard Muybridge.Pour l’essentiel, Souriau souligne trois « faits massifs » (56) : d’abord,l’importance de tous les films concus pour tant d’ « ‘individualites’ animales »(55), tous les chevaux, elephants, singes ou chiens dresses pour tenir la vedette(de la serie des Tarzan a la fidele Lassie); ensuite, l’existence de veritablesmonographies animalieres, des compositions poetiques (comme Man Ray) auxfilms scientifiques (comme Jean Painleve) ; enfin, l’abondance de toutes sortesde documentaires (du Nanouk de Flaherty aux premiers films de Merian Cooperet Ernest Shoeadsack et a la messe des films de Walt Disney consacres a desanimaux reels). Souriau loue ainsi une « exploration assidue, attentive, pleined’une sympathie intense et parfois presque pieuse, de la vie et de l’ame descreatures d’instinct » (56). Et Souriau en arrive a l’essentiel, degageant lesdimensions « proprement filmiques » du motif animalier. Premierement,les motivations cinetiques, les plus evidentes, dont il detaille les courbes et lesarabesques ; deuxiemement, les motivations morphologiques (incluant tous les jeuxde lumieres, de tons, de couleurs, selon lesquels l’animal occupe l’espacefilmique); et troisiemement, l’essentiel, les caracteristiques expressives. Il ecrit ainsique « la relation diegetique de l’animal avec l’homme rend disponible toute lagamme emotive », et insiste en un sens plutot sur les emotions categoriellesdarwiniennes. Mais si l’on considere ensemble ces trois niveaux de motivations,on voit que c’est aussi bien le jeu des emotions les plus libres qui est suggerea travers cet eloge eloquent de l’animal de cinema.

Aussi est-ce bien ce niveau des intensites specifiquement deployees etaccentuees par la figuration de l’animal, dans la perspective du « devenir-animal » exalte par Deleuze et Guattari, qui m’a surtout retenu, pour etendreet approfondir la gamme d’un depli des emotions. Tout cela est bien sur aproportion du fait que la figure animale ne cesse de servir des logiques derepresentation comme de symbolisation, par lesquelles des societes historiquescherchent a se concevoir et a se justifier, au regard d’un etat de nature toujoursplus ou moins mythique dont elles s’imaginent naıtre d’autant plus qu’elle enconsomment la mort quotidienne.

Il est remarquable que si peu, en un sens, ait ete ecrit sur ce champ si vastede l’animal de cinema. Probablement est-il trop vaste, trop divers, a travers tantde films d’ages et de pays si nombreux et touchant tous les bords du cinema,du pur film animalier au cinema experimental et jusqu’au dessin anime. Il y apar exemple presque 300 chiens par decade recenses entre 1920 et 1940,

L ’ A N I M A L C O M M E C O R P S D U C I N E M A 5 9 7

Dow

nloa

ded

by [

The

Aga

Kha

n U

nive

rsity

] at

04:

57 3

1 O

ctob

er 2

014

Page 8: L’animal Comme Corps Du Cinéma

dans l’Index du Catalogue de l’American Film Institute – parmi lesquels je n’enai pu retenir dans mon travail que deux, Rintintin dans Clash of the Wolves (1925)et George dans Bringing up Baby de Howard Hawks en 1938. Pour aller vite,il n’existe a ma connaissance qu’un livre de caractere vraiment general sur lesujet, par Jonathan Burt, Animals in Film (la raison en est peut-etre que l’auteurest un historien des animaux qui s’est interesse au cinema et non l’inverse).Tous les autres ouvrages, nombreux, concernent tel pays (majoritairementles Etats-Unis, ce sont tous des livres tres frustres) ou tel ou tel animal oucollectivite d’animaux, tel ou tel genre, ou tel film, ou tel auteur de films.S’ajoutent a cela quelques precieux numeros de revue ou catalogues et quelquesbeaux articles. Quant au remarquable essai d’Akira Mizuta Lippit, ElectricAnimal: Toward a Rhetoric of Wildlife, il considere plutot le cinema dans uneperspective epistemologique, comme font ces grands livres americains cherchanta definir a travers les sujets de leur choix les composantes de la modernite etde la postmodernite. Mais il a le merite d’avoir postule un lien, quoique tresgeneral, entre l’hypnose, l’animalite et le cinema.

Ma perspective s’est cependant concentree sur deux grandes airesculturelles. Le cinema americain, d’un cote, le cinema europeen, de l’autre,pour l’essentiel a travers le cinema francais et italien d’apres-guerre. Ce choixempirique releve certes d’une obligation a se limiter ; mais il permet surtoutde construire la logique de deux perspectives majeures, aussi opposees quecomplementaires, dans la figuration de l’animal.

D’un cote, le cinema americain est certainement le cinema du mondeoccidental dans lequel la presence animale est la plus remarquable. Depuis sesdebuts jusqu’a aujourd’hui, a travers tous les genres possibles, du film noir a lacomedie, l’animal a ete un element central ou secondaire (mais toujours crucial)de la fiction. Cela ne ressort pas seulement du fait que le cinema americain a eteen lui-meme le plus important au monde. La raison en est le caractere singulierde l’histoire americaine, sa dependance si variee a l’egard de la Nature, a la foisidee et realite, qui s’est incarnee a travers toute la gamme des sentimentsattachees a la Frontiere, a la « wilderness » comme aux diverses formes depastoralisme combinees avec un etourdissant developpement economique ettechnologique – sans oublier la tradition religieuse protestante. Tout cela a etedeveloppe dans quelques livres fondamentaux : Frederick Jackson Turner, TheFrontier in American History, 1920 ; Henry Nash Smith, Virgin Land: The AmericanWest as Symbol and Myth, 1950; Leo Marx, The Machine in the Garden: Technologyand the Pastoral Ideal in America, 1964; Roderick Nash, Wilderness and the AmericanMind, 1967; Richard Hofstadter, Social Darwinism in American Thought, 1955.Dans cette perspective, l’animal occupe une fonction de mediateur (au sens deLevi-Strauss). Il permet de symboliser ainsi le passage de la Nature a la Culture,mais aussi la realite de celle-ci constamment ressaisie comme Nature. Par la ilpermet de poser, de denouer et de renouer les oppositions temoignant de cespassages sans cesse remis en acte dans la culture americaine.

598 C O N T E M P O R A R Y F R E N C H A N D F R A N C O P H O N E S T U D I E S

Dow

nloa

ded

by [

The

Aga

Kha

n U

nive

rsity

] at

04:

57 3

1 O

ctob

er 2

014

Page 9: L’animal Comme Corps Du Cinéma

Cette logique de la figuration animale paraıt se deployer a trois niveauxsurtout. Le premier suppose une relation de complementarite commed’antagonisme entre l’Animal et la Machine, symbole du developpementtechnique et industriel. Cette disposition implique la machine-cinema entant que telle, avec qui l’animal entre ainsi dans un rapport de metaphore(figure elective du train, « iron horse » dont on sait le caractere premier pourtoute saisie du dispositif-cinema). Le second niveau tient a une caracterisation dela subjectivite comme animalite. C’est toucher de front le probleme racial, apartir des figures centrales de l’Indien et du Noir (et de la toutes les figuresde l’immigration, donnee constituante de l’identite americaine). Enfin, untroisieme niveau concerne « la lutte des sexes » – au sens ou Lacan surtout,apres Freud, l’a posee, avec une reinsistance accrue sur les logiques propres del’Œdipe et de la castration. Par la, s’accentue encore entre les sexes la hantiseliee aux fatalites de leur similitude et de leur differenciation, hantise avivee dansla culture americaine par un developpement precoce puis accelere de l’identitefeminine (sans parler, plus tard, de l’homosexualite et de toutes les formesde transsexualisme). L’animal participe ainsi d’une problematique aigue du« roman familial », centrale dans le cinema americain classique domine par lafiguration du couple.

Mais l’animal est egalement un perpetuel devenir. « Devenir-intense,devenir-animal, devenir-imperceptible . . . » Il est pur mouvement, ligne defuite, intensite et defi de tout sens. Il est energie substantielle se communiquant,corps plus ou moins immaıtrise, aux mouvements des corps humains qu’il cotoiecomme a la force intrinseque des plans. Il trace ainsi autant de lignes libres aufur et a mesure que se referme trop souvent sur lui le piege symbolique fomentepar le film dont il est aussi le heros.

Cette opposition ou tension entre l’animal comme symbole et l’animalcomme intensite a ete travaillee de facon bien differente a l’interieur du cinemaeuropeen, en particulier tel qu’il s’est developpe depuis la guerre, et coıncidant,en France et en Italie, avec l’elaboration de la theorie ou d’une pensee ducinema, en majeure part autour de la figure centrale d’Andre Bazin. La ou lecinema americain, pour le dire crument, demeure profondement anthro-pologique, l’animal apparaıt, du point de vue europeen, dans une perspectivebeaucoup plus ontologique, centree sur la definition de la nature de l’imagecomme sur celle de l’essence de la subjectivite humaine, son mysteremetaphysique le plus interieur. C’est ainsi specifier les elements d’un champculturel qui rassemble par exemple non seulement les nombreux films deRoberto Rossellini habites par la presence animale, ou en Italie encore Umberto Dde Vittorio de Sica, ou ce film evidemment exemplaire qu’est Au HasardBalthazar de Robert Bresson, ou quelques films de Jean Renoir, mais aussi biend’autres films de Daniele Huillet et Jean-Marie Straub, ou sur une autre ligneencore, plus explicitement reflexive, Mon Oncle d’Amerique et Je t’aime, je t’aimed’Alain Resnais, sans oublier l’innervation constante de la figure animale dans

L ’ A N I M A L C O M M E C O R P S D U C I N E M A 5 9 9

Dow

nloa

ded

by [

The

Aga

Kha

n U

nive

rsity

] at

04:

57 3

1 O

ctob

er 2

014

Page 10: L’animal Comme Corps Du Cinéma

tant de films de Jean Rouch et de Chris Marker. Dans cet autre contexte,les references seraient, outre Bazin pour la pensee du cinema, l’approchephilosophique de l’animal chez Martin Heidegger, les livres plus recentsde Giorgio Agamben, L’Ouvert, de Jacques Derrida, L’Animal que donc je suis,et outre les livres de Deleuze et Guattari deja evoques, plus recemment l’essaide Jean-Christophe Bailly, Le Versant animal, dont je me suis senti proche,au moment ou je terminais mon propre livre Le Corps du cinema.

Notes

1 Ce texte constitue la premiere partie, la plus theorique et generale, del’intervention prononcee par Raymond Bellour lors du colloque « Humain/Animal » (la seconde portait sur l’exemple de l’œuvre d’Alfred Hitchcock).Elle condense les elements contenus dans le chapitre « De l’hypnose al’animal » de son livre Le Corps du cinema : Hypnoses, emotions, animalites (Paris:P.O.L., 2009).

Works Cited

Bailly, Jean-Christophe. Le Versant animal. Paris: Bayard, 2007.Bergson, Henri. L’Evolution creatrice. Œuvres (edition du Centenaire). Paris: PUF, 1970.Burt, Jonathan. Animals in Films. Londres: Locations, 2002.Deleuze, Gilles. Cinema 2: L’Image-temps. Paris: Minuit, 1985.—. Le Pli. Paris: Minuit, 1988.Deleuze, Gilles, et Felix Guattari. Qu’est-ce que la philosophie?. Paris: Minuit, 1991.—. Mille Plateaux. Paris: Minuit, 1980.Derrida, Jacques. L’Animal que donc je suis. Paris: Galilee, 2006.Hegel, G.W.F. Le Magnetisme animal. Trans. Francois Roustang. Paris: PUF, 2005.Hofstadter, Richard. Social Darwinism in American Thought. Boston, MA: Beacon

Press, 1955.Lippit, Akira Mizuta. Electric Animal: Toward a Rhetoric of Wildlife. Minneapolis, MN:

U of Minnesota P, 2000.Maine de Biran (pseud.). Nouvelles considerations. . . Œuvres V. Dir. Francois Azouvi.

Paris: Vrin, 1984.Marx, Leo. The Machine in the Garden: Technology and the Pastoral Ideal in America.

New York: Oxford U P, 1964.Nash, Roderick. Wilderness and the American Mind. New Haven, CT: Yale U P, 1967.Roustang, Francois. Influence. Paris: Minuit, 1990.Smith, Henry Nash. Virgin Land: The American West as Symbol and Myth. Cambridge,

MA: Harvard U P, 1950.Souriau, Etienne. ‘‘L’univers filmique et l’art animalier.’’ Revue internationale de

filmologie 7.25 (Jan.–Mar. 1956): 51–62.

600 C O N T E M P O R A R Y F R E N C H A N D F R A N C O P H O N E S T U D I E S

Dow

nloa

ded

by [

The

Aga

Kha

n U

nive

rsity

] at

04:

57 3

1 O

ctob

er 2

014

Page 11: L’animal Comme Corps Du Cinéma

Turner, Frederick Jackson. The Frontier in American History. New York: H. Holt andCompany, 1920.

Vincent, Jean-Didier. ‘‘Animalite de la pensee et subjectivite animale.’’ Importancede l’hypnose. Ed. Isabelle Stengers. Paris: Les Empecheurs de penser enrond, 1993.

Raymond Bellour is a researcher, author, emeritus research scientist at the CNRS

(CRAL/EHESS), and director of the edition of the complete works of Henri Michaux in

the Pleiade. He is the author of L’Analyse du film (1979, 1987), L’Entre-Images. Photo,

Cinema, Video (1990), L’Entre-Images 2. Mots, Images (1999), and Le Corps du

cinema. Hypnoses, Emotions, Animalites (2009). He is a member of the film journal

Trafic.

L ’ A N I M A L C O M M E C O R P S D U C I N E M A 6 0 1

Dow

nloa

ded

by [

The

Aga

Kha

n U

nive

rsity

] at

04:

57 3

1 O

ctob

er 2

014