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Les Biotopes de Bleher – Grandeur Nature / Grandeur Aquarium 59 AUSTRALASIE Indonésie Indonésie AUSTRALASIE Indonésie Indonésie Les Biotopes de Bleher – Grandeur Nature / Grandeur Aquarium 58 Le Mamberamo : le plus grand système fluvial de la deuxième plus grande île du monde, la Nouvelle-Guinée, qu’il irrigue dans sa partie nord-ouest. Son bras occidental, le Tariku (anciennement Rouffaer), est alimenté par les rivières Kano, Konda et Kurogo, qui naissent dans la chaîne montagneuse du Sudiram. Son bras oriental est la rivière que les premiers colonisateurs allemands baptisèrent Idenburg (appelée Taritatus par les Indonésiens), et qui prend sa source dans la chaîne de Jayawijaya. L’ensemble, qui dépasse les 2 000 km de long et est l’un des moins explorés au monde, coule dans le Pacifique à la pointe nord de la Guinée occidentale (partie indonésienne de l’île, appelée à l’époque de ce voyage Irian Jaya). Le premier Blanc à avoir visité le Mamberamo fut un Allemand, le Capitaine Franssen Herderschee (1872-1932), qui remonta le fleuve en bateau sur quelques 150 km en 1907. Très peu d’aventuriers ou de scientifiques marchèrent dans ses pas, le dernier d’entre eux dans les années 1930, et aucun ne pénétra plus loin que l’Idenburg. Dans les années 1950, des missionnaires commencèrent à prendre l’avion pour la région, d’abord occasionnellement puis de plus en plus régulièrement. Mais encore aujourd'hui, le nombre de pistes d’atterrissage dans la région du Mamberamo n’en reste pas moins très limité, et lorsqu’elles existent, elles se résument à de simples clairières où la forêt vierge a été abattue par les habitants, et demeurent utilisées presque exclusivement par les missionnaires. Les vols commerciaux sont inexistants et les excursions dans ou vers cette zone ne sont pas autorisées. Le classement de la région en parc national, le Mamberamo Foja, est à l’étude. Il couvrirait 1 661 000 hectares et deviendrait la plus grande zone protégée d’Indonésie. Une absolue nécessité pour protéger ses plus de 100 espèces de mammifères, es 330 espèces d’oiseaux et le nombre quasi-incalculable de ses poissons et insectes en grande partie inconnus : toute une nature majoritairement endémique. Le système du Mamberamo comprend non seulement la majorité des lacs indonésiens mais aussi les plus importants, et la région constitue la plus vaste zone marécageuse sur Terre, que l’on nomme la Dépression-lacs- plaines, surpassant même le Pantanal de la province brésilienne du Mato Grosso. L’auteur, assisté d’une intrépide Italienne et de deux Japonais, fut le premier Blanc (exception faite des missionnaires) à explorer la région depuis son annexion par l’Indonésie en 1969. Texte et photos : Heiko Bleher Mamberamo Mamberamo C e fut à 11h55 que le Twinotter dé- colla finalement. À nous quatre, nous étions les seuls passagers payants. Il y avait aussi un in- digène, un Indonésien et deux Polri (ces policiers portaient « Polres, Jayapura, Irian Jaya » brodé sur leur chemise) pour nous surveiller (?). Les deux serviteurs Merpati n’avaient fait le voyage que pour décharger notre équipement – des caisses et des boîtes pleines de vivres, ainsi que 5 sacs de riz, des poules vivantes, etc., etc. – étant donné qu’à Dabra, notre des- tination, aucune équipe au sol n’était présente dans la jungle de Nouvelle-Gui- née. Nous survolâmes le beau lac Sentani, domicile du poisson arc-en-ciel rouge saumon, et il commença à pleuvoir. Quelle frustration ! Les deux pilotes ten- tèrent alors d’éviter l’averse et entrepri- rent un de ces loopings que l’on a plus l’habitude de voir pendant les vols d’ex- hibition, pour mettre le cap sur la côte. Bien vite, nous nous retrouvâmes au-des- sus des nuages et je ne vis plus que par éclairs l’épaisse forêt primaire des mon- tagnes Van Rees. Encore une fois, selon la spécialité de l’aéroport de Jayapura d’Irian Jaya, les contrôles avaient donné de quoi s’arra- cher un peu plus les cheveux ! Jusqu’à la toute dernière minute, nous n’avions pas su si nous serions autorisés à embarquer. Le service de sécurité était arrivé au mo- ment où nous présentions nos tickets pour Dabra. « Dabra ? », nous avait-on demandé avec incrédulité. « Mamberamo ? » – Idem ! C’était comme si jamais un Blanc n’avait volé dans cette direction. « Votre autorisation ! » avaient été les mots sui-

l’époque de ce voyage Irian Jaya). Le premier Blanc à avoir visité … · domicile du poisson arc-en-ciel rouge saumon, et il commença à pleuvoir. Quelle frustration ! Les

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Les Biotopes de Bleher – Grandeur Nature / Grandeur Aquarium 59

AUSTRALASIEIndonésieIndonésieAUSTRALASIE IndonésieIndonésie

Les Biotopes de Bleher – Grandeur Nature / Grandeur Aquarium58

Le Mamberamo : le plus grand système fluvial de la deuxième plus grande île du monde,la Nouvelle-Guinée, qu’il irrigue dans sa partie nord-ouest. Son bras occidental, le Tariku

(anciennement Rouffaer), est alimenté par les rivières Kano, Konda et Kurogo, qui naissent dans la chaîne montagneuse du Sudiram. Son bras oriental est la rivière que les

premiers colonisateurs allemands baptisèrent Idenburg (appelée Taritatus par les Indonésiens), et qui prend sa source dans la chaîne de Jayawijaya. L’ensemble, qui dépasse les 2 000 km de long et est l’un des moins explorés au monde, coule dans le

Pacifique à la pointe nord de la Guinée occidentale (partie indonésienne de l’île, appelée àl’époque de ce voyage Irian Jaya). Le premier Blanc à avoir visité le Mamberamo fut un

Allemand, le Capitaine Franssen Herderschee (1872-1932), qui remonta le fleuve en bateausur quelques 150 km en 1907. Très peu d’aventuriers ou de scientifiques marchèrent dans ses

pas, le dernier d’entre eux dans les années 1930, et aucun ne pénétra plus loin que l’Idenburg. Dans les années 1950, des missionnaires commencèrent à prendre l’avion pour

la région, d’abord occasionnellement puis de plus en plus régulièrement. Mais encore aujourd'hui, le nombre de pistes d’atterrissage dans la région du Mamberamo n’en reste pasmoins très limité, et lorsqu’elles existent, elles se résument à de simples clairières où la forêtvierge a été abattue par les habitants, et demeurent utilisées presque exclusivement par les

missionnaires. Les vols commerciaux sont inexistants et les excursions dans ou vers cette zonene sont pas autorisées. Le classement de la région en parc national, le Mamberamo Foja,

est à l’étude. Il couvrirait 1 661 000 hectares et deviendrait la plus grande zone protégée d’Indonésie. Une absolue nécessité pour protéger ses plus de 100 espèces de mammifères,

es 330 espèces d’oiseaux et le nombre quasi-incalculable de ses poissons et insectes en grandepartie inconnus : toute une nature majoritairement endémique. Le système du Mamberamo

comprend non seulement la majorité des lacs indonésiens mais aussi les plus importants, et larégion constitue la plus vaste zone marécageuse sur Terre, que l’on nomme la Dépression-lacs-

plaines, surpassant même le Pantanal de la province brésilienne du Mato Grosso. L’auteur,assisté d’une intrépide Italienne et de deux Japonais, fut le premier Blanc (exception faite des

missionnaires) à explorer la région depuis son annexion par l’Indonésie en 1969.

Texte et photos : Heiko Bleher

MamberamoMamberamoCe fut à 11h55 que le Twinotter dé-

colla finalement. À nous quatre,nous étions les seuls

passagers payants. Il y avait aussi un in-digène, un Indonésien et deux Polri (cespoliciers portaient « Polres, Jayapura,Irian Jaya » brodé sur leur chemise) pournous surveiller (?). Les deux serviteursMerpati n’avaient fait le voyage que pourdécharger notre équipement – des caisseset des boîtes pleines de vivres, ainsi que5 sacs de riz, des poules vivantes, etc.,etc. – étant donné qu’à Dabra, notre des-tination, aucune équipe au sol n’était

présente dans la jungle de Nouvelle-Gui-née.

Nous survolâmes le beau lac Sentani,domicile du poisson arc-en-ciel rougesaumon, et il commença à pleuvoir.Quelle frustration ! Les deux pilotes ten-tèrent alors d’éviter l’averse et entrepri-rent un de ces loopings que l’on a plusl’habitude de voir pendant les vols d’ex-hibition, pour mettre le cap sur la côte.Bien vite, nous nous retrouvâmes au-des-sus des nuages et je ne vis plus que paréclairs l’épaisse forêt primaire des mon-tagnes Van Rees.

Encore une fois, selon la spécialité del’aéroport de Jayapura d’Irian Jaya, lescontrôles avaient donné de quoi s’arra-cher un peu plus les cheveux ! Jusqu’à latoute dernière minute, nous n’avions passu si nous serions autorisés à embarquer.Le service de sécurité était arrivé au mo-ment où nous présentions nos ticketspour Dabra. « Dabra ? », nous avait-ondemandé avec incrédulité.

« Mamberamo ? » – Idem ! C’étaitcomme si jamais un Blanc n’avait volédans cette direction. « Votreautorisation ! » avaient été les mots sui-

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IndonésieIndonésie IndonésieIndonésie

vants, et les papiers qu’il nous avait fallusix mois d’efforts méticuleux et plusqu’un peu de sueur pour obtenir, furentexaminés à la loupe. « Mamberamo n’estpas sur le permis de police » nous avait-on finalement déclaré ! Et c’était vrai. ÀJakarta, la police avait seulement enregis-tré : « Jayapura, Wamena, Biak » commedestinations autorisées, sur le permisd’entrée portant les photos de nos quatrepasseports. Je m’étais trouvé à deuxdoigts de l’attaque cardiaque ! Les rela-tions de mon ami Kamihata, le dirigeantd’une compagnie de crevettes multimil-lionnaire, n’avaient pas eu l’effet es-compté. Si seulement je m’en étais occu-pé moi-même…

Mais la partie avait été à moitié gagnéequand nous avions abattu notre seconde

carte, le « Surat Jalan » (permis de voya-ge du Ministère du Tourisme) qui men-tionnait aussi l’entrée « Sungai Mambe-ramo » ; et en usant de toute notre puis-sance de persuasion, nous avions réussi àconvaincre les officiels. Tout ce qu’il fal-lait désormais, c’était des photocopies –mais où les obtenir ? L’aéroport se trou-vait à 60 km de la ville. Heureusement, levol était considérablement en retard et ilrestait encore deux heures et demi avantle décollage. C’était juste ce qu’il fallaitpour un aller-retour de 120 km à tom-beau ouvert, dans un taxi qui finit prati-quement par se désintégrer sur les in-nombrables trous de la chaussée. Suite àquoi, juste avant le décollage, l’officielétait revenu dans la petite salle d’attente,

bruyante et surchauffée, et avait déclaré :« Le commandant en chef m’a impérati-vement demandé que vous vous présen-tiez à votre retour du Mamberamo et quevous vous présentiez aussi dans chaquevillage que vous visiterez en délivrantdes copies de votre permis ! »

Tandis que j’écrivais sur cette aventureet d’autres en relation avec ce voyage –j’avais passé plus de deux ans à faire desallées venues entre Sentani et l’Alle-magne, pour tenter vainement d’obtenirun permis – notre avion perça un amasde nuages et pour la première fois en dixans, je vis sous moi le puissant Mambe-ramo. L’atterrissage fut mouvementé ;nous nous retrouvâmes projetés pêle-mê-le sous nos bagages au moment où le pi-lote arrêta net le zinc à exactement 3 m

de la montagne couverte d’arbres ! Lapiste enherbée, qui ne faisait que dans les500 mètres de long, allait de la berge duMamberamo jusque dans les profondeursde la forêt vierge la plus épaisse du mon-de. Notre comité d’accueil consistaitprincipalement en Dani, qui avaient quit-té leurs domiciles dans les montagnes etavaient fait le voyage à pied de deuxmois qui les séparait d’ici. Il fallait leurajouter des soldats de Java, un docteurvenu du sud du Sulawesi pour travaillerdans l’hôpital qui n’était encore qu’àmoitié construit, un homme d’Ambon etun expert minier de la Freeport MiningCompany de Manado, en Sulawesi dunord. Nous étions à l’évidence les pre-miers touristes à visiter le Mamberamo etchacun souhaitait nous dévisager, nous

toucher. Escortés par ce public, nousfûmes conduits au poste de police, unebaraque en planches de 5 m2 avec unevéranda, où nos papiers de voyage furentune fois encore examinés à la loupe parl’assemblée des policiers. Je remarquaique pas plus d’un ou deux ne savaientvraiment lire.

On nous interrogea sur le but de notreséjour et on nous mit en garde sur lesdangers de voyager sur le Mamberamo.Une escorte policière s’imposait. Celagrouillait de crocodiles et autres périls.La région était inhabitée et ils ne pou-vaient nous fournir aucune garantie pournotre sécurité.

Après environ 1 600 heures – quelquescinq heures après notre atterrissage –

1-2. La compagnie aérienne Garunda relie Jayapura – lacapitale de la province indonésienne d’Irian Jaya – troisfois par semaine. Son aéroport est localisé à 60 km de laville, dans un village du nom de Sentani (2). 3-4. Jayapurafait peu de choses pour ses ordures, qui finissent toutes dansles ruisseaux, au pied des logements (3), où la populationprend son bain et fait sa toilette (4). 5-8. Le marché est tou-jours l’endroit incontournable pour qui veut voir la cultureet les productions locales (5). L’un des produits principauxest la noix de bétel (6), qui est mâchée avec de la poudre decoquillage, qui rougit la bouche (7). On vend aussi les poissons introduits comme les tilapias et les goramys (8).

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nous fûmes finalement « libres ». J’avaisbesoin d’une bonne bouffée d’air frais etallai voir le petit cours d’eau le plusproche, dans la forêt à l’extrémité de lapiste. Une touche de nature fait toujoursdu bien après tant de tracasseries.

Il faisait seulement 1 ou 2 m en largeurmais il courait dans un lit caillouteux deplus de 50 m de large, suggérant qu’à la

saison des pluies, d’incroyables massesd’eau le transformaient en torrent fu-rieux. L’eau était claire, souvent avec desbrins d’algues vertes ondulant dans et augré du courant. Je repérai des têtards puisles premiers poissons : des gobies se dé-plaçaient de leur nage saccadée au-dessuset entre les pierres rondes. Ils possédaientde splendides rayures orange et pouvaientbien être une espèce d’Oxyeleotris. C’estalors qu’apparut le premier poisson arc-en-ciel ; un membre du groupe Melano-taenia affinis ! Il ne faisait que 6 cm delong et souffrait de cette maladie rare(dans la nature) mais typique de ces pois-sons. Je poursuivis mon chemin en aval,de mare en mare, grimpant dans lesarbres et les rochers, passant devant desuperbes cham pignons orange qui pous-saient sur le bois en décomposition. Dansune petite mare, de 2 m de diamètre etsurplombée d’un buisson à fleurs jauneset à fruits noirs, je vis de nombreusesChila the rina sp. et les eus bientôt dansmon filet. Elles semblaient appartenir augroupe C. fasciata. Plus loin sur le courspierreux, poussaient de glorieuses orchi-dées terrestres aux épis de petites fleurslilas. Une véritable fête pour les yeux. Deretour à Dabra, notre guide Dani nousguida à travers un champ de patatesdouces en quête de « chambres ». Peuaprès, il nous parla d’« hôpital » et mimale sommeil ! Cela semblait une excellen-te idée.

Le docteur du village, un Javanais, étaitagenouillé sur son tapis de prière, orienté

vers la Mecque. Mais bien vite, il laissa ànotre disposition son hôpital de huitchambres, qui était à l’arrêt faute de pa-tients et commençait lentement à se dé-grader avant même d’avoir été achevé. Ilétait propre comme un sou neuf. Le solavait été frotté et désinfecté, des mousti-quaires étaient tendues au-dessus des litset des clous avaient même été plantésdans des planches pour faire office deportemanteaux. Un service impeccable.

Mais juste au moment où j’allais servirle thé du soir, une nouvelle patrouille en-tra. C’était cette fois-ci le chef militairede la région, accompagné des chefs lo-caux. Ces dignitaires estimaient que nousles avions ignorés et exigeaient une ex-plication.

Je répétai mon discours pour la énièmefois, et quand je fus à nouveau pressé

d’accepter une escorte militaire pourl’excursion le long du Mamberamo, jerefusai violemment de céder. Mon em-portement sembla obtenir l’effet escomp-té et il ne me resta plus qu’à rédiger unedéclaration qui stipulerait que nous se-rions entièrement responsables de notrepropre sécurité et que nous ne pourrionsleur faire endosser la responsabilité desaccidents qui pourraient survenir.Bref, ils voulaient obtenir la confir-mation qu’ils pouvaient se laver lesmains de notre sort.

Et la soirée se poursuivit, amenantson lot d’animations supplémentaires,comme cette musique qui résonna,ici, dans la forêt vierge la plus pro-fonde du monde. Jusqu’à 3 h du ma-tin, Thriller tonitrua en boucle, sur le

seul radiocassette de Dabra, qui se trou-vait dans le quartier général de la poli-ce ! Même ici, Michael Jackson faisaitun tabac !

Un peu avant l’aube, nous fîmes nosbagages et marchâmes à travers lebrouillard jusqu’à notre bateau, le seulvéhicule à moteur du Mamberamo. Ha-maru, un natif du Sud-Ouest du Sulawe-si, avait accepté, après des tractations quis’étaient prolongées tard dans la nuit, denous louer le sien (trois hommes d’équi-page et carburant compris) pour quatrejours pour 800 $ cash. C’était salé ; d’au-tant plus que le pont était encore incom-plet, la superstructure à moitié construite,l’air conditionné et l’éclairage électriqueencore à installer, le catamaran seulementprovisoire, et les fenêtres, lits, cabines,lavabos, toilettes, à l’état de simples

ébauches. En fait, scie et marteau allaients’activer toute la nuit mais aussi tout aulong du voyage, pour continuer sous nosyeux l’incroyable construction du « Yat-ch Mamberamo ».

Nous marchions avec de la boue jus-qu’à la taille, nous enfonçant maintes etmaintes fois sous le poids des lourdschargements que nous portions sur ledos. Les laisses de vase s’étalaient sur10-20 m de large de chaque côté duMamberamo, pour faire à certains en-droits plus de 100 m et atteindre la forêt.Nous arrivâmes finalement au bateaud’où Hamaru fit apparaître quelquesplanches, qu’il posa sur le limon noir,afin de nous permettre de grimper à bord.

Nous nous installâmes, nous et nos ba-gages, sur une pile de planches. Le toiten tôle ondulée au-dessus de nos têtesparaissait assez valable, malgré quelquestrous. Nous disposions même d’une

6-9. Une jeune fille indigène voulut tout de suitenous offrir en guise de cadeau de bienvenue unoiseau apprivoisé (6). Et une autre, ce jeune crocodile de Nouvelle-Guinée (7), le Crocodylus novaeguineesis, endémique et protégé. Malheureu -se ment, les WWF, Cites, et autres organisations deprotection ne peuvent rien contre le massacre dontsont victimes les crocodiles (8), que les indigènespeuvent perpétrer pour les militaires, en les leurvendant empaillés (9), ou sous forme de peaux.

10-13. À Dabra, je trouvai un Indonésien du nomd’Hamaru, marié à une indigène, qui m’assuraqu’il pouvait nous construire un bateau pour

voyager sur le Mamberamo, étant donnée l’ab-sence de toute embarcation sur ce système fluvialgéant (à l’exception des pirogues locales). Et il s’ylança le soir même (10). Même au cours du voyage(11-13), il était toujours à ajouter un morceau au

bateau... 14. Nous nous retrouvâmes souvent enlisés, le niveau de la rivière étant peu profond,

et cela sous la pluie…

1-2. En volant à bord d’un avion affrété jusqu’àDabra dans la région du Mamberamo (le seulavant-poste), on peut admirer l’infinie forêt primaire équatoriale (1), un système fluvial géant(2), mais aucune trace de civilisation.3-5. L’arrivée d’un avion civil (très rare ici) attiratous les indigènes et les quelques militaires, quinous demandèrent aussitôt nospermis spéciaux (5), que j’avaismis trois ans à obtenir...

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« cheminée » au centre de la « cabine »,ouverte aux quatre vents ! Notre « yat-ch » en chantier se mit à remonter le cou-rant en hoquetant, remorquant un canoëpirogue de 6,5 m et son moteur hors-bordsupplémentaire. Que pouvions-nous dési-rer de plus ?Le brouillard matinal commençait lente-ment à se dissiper. Se dessinait tout au-tour de nous l’immense et impénétrableforêt vierge, apparemment infinie. J’avaisl’impression que nous étions les premiershommes sur une planète inexplorée. Jepouvais imaginer ce que Neil Armstrongavait dû ressentir quand il devint le pre-mier homme à marcher sur la lune.

J’avais déjà établi que nous étions réelle-ment le premier groupe de touristes à vi-siter le Mamberamo depuis l’indépen-dance de l’Indonésie, et Kamihata-san etTarzan les premiers Japonais à être ja-mais venus sur ce site. J’étais tendu com-me une corde de violon à la perspectivede ce qui nous attendait dans ce no mansland.

Le lit du Mamberamo, qui serpentait ende gigantesques méandres à travers la fo-rêt, mesurait jusqu’à 1 km de large. Leslaisses de vase le long de ses rives émer-geaient bien au-dessus de l’eau – bienqu’il pleuvait tous les jours, c’était le ni-veau de la saison sèche.

Nous luttâmes des heures durant contrele courant, l’eau opaque et gris laiteux,chargée de particules en suspension, dé-montrant la force contenue de ce puissantfleuve. Il n’y avait pas d’humains sur deskilomètres. Aucun signe d’habitation. Pasd’indigènes. Hamaru nous apprit quel’une des raisons pour lesquelles aucunhomme ne vivait le long duMamberamo était la présen-ce de crocodiles dangereuxen grand nombre. Mais pen-dant de nombreuses années,les propriétaires des célèbresfermes aux crocodiles d’IrianJaya (la plus grande à Jaya-

pura, entretenant une population perma-nente de 30 000 bêtes), avaient payé lestribus indigènes de la région pour attraperle moindre spécimen sur lequel elles pou-vaient mettre la main ! Le résultat en futla quasi-extinction du Crocodylus nova-guineensis, tandis que les indigènes en-traient pour la première fois en contact

avec l’argent, avec lequel ils achetèrenthabits et nourriture – on les avait amenésni plus ni moins à troquer les crocodilescontre ces produits de base.

La nuit venue, j’exa-minais les berges dufleuve principal, des af-fluents, des lacs maisdes seulement quatrespécimens que je réus-sis à entrevoir à la lu-mière de ma torche de2000 watts, pas un nemesurait plus de30 cm ! À mon sens,un pitoyable vestige decette espèce majestueu-se. Mais d’autres formes de vie abon-daient sur et autour du fleuve : des hé-rons blancs aux becs jaunes (Bulbucusibis – connu localement comme « KuntueKerbaw ») étaient visibles partout, sou-vent de très près. Les intéressantes Egret-ta sancta (« Kuntul Karong ») aux alluresde cormoran volaient au-dessus de l’eau,plongeant après le poisson et refaisantsurface avec leurs proies dans leurs becs,tandis qu’un aigle à corps blanc (Halia-sius indus, nommé « Elang Bondol » lo-calement) arrachait un poisson du fleuve,l’étreignant dans ses serres comme si derien n’était, avant de remonter en flècheen poussant des cris discordants.

Le membre le plus élégant de la tribuemplumée restait néanmoins le calao(Acerosplicatus julang, aussi appelé enanglais l’Irian ou Burung Lipat), qui res-semble au toucan sud-américain. Leurscroassements rauques étaient caractéris-tiques lorsqu’ils planaient par deux au-dessus de nos têtes, soutenus par trois ou

quatre battements d’ailes.Cela faisait presque une journée

que nous remontions le fleuvequand nous tombâmes sur un af-fluent large d’approximativement6 m, le Boare, qui s’ouvrait sur larive droite, entouré par la forêt infi-nie. Hamaru échoua habilement le« Yatch Mamberamo » sur la vaseet s’y fixa ! Nous passâmes avecune partie limitée de notre équipe-ment dans la pirogue et progres-sâmes sur l’affluent. Notre amuse-ment fut de courte durée cepen-dant, car sitôt le premier coudepassé, la rivière était barréed’arbres géants qui y étaient

tombés.Mais cela n’empêcha pas Hamaru de

franchir cet obstacle, et bien d’autres sur4 km de rivière, dans son style inimi-

table. Il s’y connaissait pour écarter lesarbres, tout seul ou avec notre aide. Etmême quand il était réellement impos-sible de continuer, il nous demandaitalors simplement de grimper sur l’arbreavec nos sacs et bagages, avant de pous-ser de toutes ses forces le canoë videsous l’eau et à contre-courant, tout en fai-sant passer le moteur hors-bord par-des-sus le tronc.

Hamaru appartenait réellement à cettecatégorie d’hommes que rien ne peut dé-courager et qui ignorent la significationdu mot « impossible ».

Le Boare devenait de plus en plus clairet après un trajet d’à peu près une heureet demie, l’eau était si transparente qu’ilétait possible d’identifier les poissons àpartir de la surface ! Nous jetâmes notrefilet déployé et un splendide spécimenrayé de Chilatherina apparut, une pos-sible espèce du groupe C. fasciata.C’était des créatures colorées de vertémeraude étincellant, de bleu brillant, dejaune d’or et de rose orange, et rayées dehuit barres bleues – une richesse denuances qui justifiait si bien leur surnomde « poissons arc-en-ciel ». Mais cescouleurs vives ne deviennent toutefois vi-

sibles que sur des adultes de14,5 cm ou plus. Or les ju-véniles et semi-adultes, la

1-2. Il restait encore quelques endroits du Mamberamo où nous pûmes rencontrer le crocodile endémique, mais il ne nous attaqua jamais ni ne fit quoi quece soit, étant donné que nous le laissions tranquille. Cela malgré son aspect dangereux et cette manière d’ouvrir grand la gueule pour nous signifier

« N’approchez pas ! » (1)... Certains jeunes spécimens se trouvaient dans des bassins remplis d’algues (2), en quête de proies faciles (des poissons quiétaient attrapés faute de pouvoir nager vite, à cause du peu d’oxygénation de l’eau). 3. Le système du Mamberamo est pure nature, l’endroit pratiquement

le moins habité sur la planète Terre de nos jours…

Les plus grands pois-sons du système du

Mamberamo appar -tiennent à la famille depoissons-chats Ariidae.

Seulement deux espèces avaient été

décrites ici, mais j’aieu la possibilité d’en

trouver au moins 5 deplus, dont aucune

n’est comparable àcelles connues, telles

que : 4. Cette espèce àla tête très plate ;

5-6. Celle-ci à la trèsgrosse tête et aux

points argentés ; et 7. Cette autre, au re-gard rivé vers le bas.

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plus grande proportion de notre prise,avaient plutôt une couleur d’ensemble ar-gentée. Et il y avait aussi là une espècede Glossolepis – mais laquelle ? Nous al-lions la retrouver encore et encore, dansle Mamberamo.

Plus en amont sur le Boare, après plusde deux heures sous la chaleur du soleil,nous entrâmes dans une lagune aux appa-rences de lac, partant d’un côté du lit dufleuve et mesurant plus de 100 m de lar-ge pour environ 1 km de long. « DanauBoare » nous annonça Hamaru. Nous ybarbotâmes avec une longue drague, parune température de 42°C à l’ombre.

L’eau faisait 36°C et donnait aussi uneimpression de chaleur, mais cela n’empê-chait pas d’énormes bancs de poissons des’ébattre dans ce bouillon immobile : destilapias en grande majorité ! Suivies pardes carpes (Cyprinus carpio) et des bar-bus du genre Barbodes (B. gonionatusselon toutes probabilités). Toutes ces es-pèces exotiques avaient été introduitespar les Allemands durant leur occupa-tion ! L’objectif étant d’augmenter laquantité de protéines disponibles pour lesindigènes. Mais comme cela a été le caspresque partout dans le monde où leshommes ont perpétré de telles folies, uneffet boomerang a eu lieu ; faune et floreindigènes ont été décimées ou dans laplupart des cas complètement éradiquées,par l’introduction de ces étrangers.

C’était exactement le cas ici, dans le Da-nau Boare. L’introduction d’organismesexotiques devrait faire l’objet d’une inter-diction totale à la fois de la part des gou-vernements nationaux et des organisa-tions internationales, et sanctionnée pardes peines sévères devant la Cour inter-nationale de Justice. Et pas comme enAustralie, où les différents pouvoirs quin’ont jamais fait quoi que ce soit, si cen’est débiter des inepties, souhaitent dé-sormais faire porter le chapeau aux aqua-riophiles !

Le Boare abritait aussi malgré tout detrès robustes poissons-chats Arius, enspécimens de 2-3 kg capables de fournirplus de chair que n’importe laquelle deces pièces rapportées. Si les introductionsn’ont pas été en mesure de décimer cesendémiques, c’est que ces espèces sur-nommées « poissons-chats crucifix » sontaussi des prédateurs qui avalent pratique-ment tout ce qui passe à leur portée – àl’exception de leurs œufs. Ils couvent cesderniers, ainsi que les juvéniles, dansleurs bouches – trouvant là un manièresupplémentaire de résister !

Certains poissons-chats crucifix possè-dent sur leurs flancs brun métallique unerangée de taches ressemblant à des perlesétincelantes, et ne sont blancs que sur leventre. Le plus sensationnel d’entre euxcependant était un poisson-chat du genreDoiichthys (?). L’espèce monotypique(D. novaguineae) qui possède égalementsa famille attitrée (Doiichthyidae), estcertainement le membre le plus remar-quable du groupe et on ne peut ques’émerveiller de la manière dont ses deuxyeux sont placés au même niveau que labouche et peuvent voir exclusivementvers le bas. Ainsi, si l’on regarde cescréatures par le dessous, on se retrouveyeux dans les yeux, ce qui est à peine vi-sible du dessus. Les barbillons de 6-8 cmde long sont pointés vers l’avant, avec

deux paires sur la maxillaire et uneseule sous la mâchoire inférieure. Lastructure de la tête et de l’œil me rap-pelèrent immédiatement le poisson-chat dauphin d’Amérique du Sud(Aqua geõgraphia, n°6) qui, de la mê-me manière, ne peut regarder que versle bas. Un processus d’évolution principalement axé vers la recherche de nourriture.

Doiichthys n’avait jamais été photo-graphié auparavant et était connu seu-

1-6. Mon objectif était de pénétrer, aussi loin que possible, dans les afflu-ents du grand fleuve de cette vallée géante. La plupart d’entre eux

n’avaient jamais vu d’homme jusque là (dans tous les cas, jamais un seulBlanc), en conséquence rivières et ruisseaux étaient encombrés d’arbres ef-

fondrés, de troncs et de racines démesurées. Nous avions à les écarter (3)ou, dans certaines situations, la seule solution était de passer la pirogue

par-dessus l’obstacle (5). Certains de ces cours d’eau étaient en tellementmauvais état qu’il n’y avait aucune chance d’y pénétrer (6). Même les très

grands cours d’eau, tel que le Mamberamo lui-même, ou le Taritatus,étaient jonchés de troncs (4). Personne ne les avait jamais déplacés, car letransport des personnes ou des marchandises par bateau n’avait pascours ici. 7-9. L’accès de certains lacs se faisait à pied, en s’enfonçant

profondément dans la boue (7). Et là encore, les seules empreintes quenous y trouvions appartenaient à des animaux, tels que les oiseaux

casoars (8) ou d’autres espèces d’oiseaux très petites (9).

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1. De l’avion, onpouvait distinguer de

nombreux petits affluents,ruisseaux et rivières, dans cette vallée géante. Aucun

d’eux n’a encore été exploré et ils abritent probablementdes centaines d’espèces inconnues. Mais il est extrême-

ment difficile d’y pénétrer, quand cen’est pas tout simplement impossi-

ble. 2-4. Les Allemands (l’Irian Jayafut dans un premier temps hol-

landaise avant d’être colonisée parl’Allemagne) ont, on ne sait pas

exac tement quand, introduit ici troisespèces exotiques : 1. Barbonymus

gonionotus de Java. 3. Cyprinus carpio, d’Europe et 4. Oreochromis

niloticus d’Afrique. Compte tenu detous les poissons présents sur place,

qu’est-ce qui a bien pu justifier cela ?5-7. Le demi-bec, probablement ici

Zenarchopterus kampeni, est pour sapart natif de la région.

8-10. Dans cet affluent limpide (8) nous prîmes àla senne une belle espèce de Chilaterina (9), encore non décrite mais déjà connue en aquario-philie sous le nom de « poisson arc-en-cielcaméléon » (car il change de couleurs). J’en avaisdeux dans le filet (10). Elle peut atteindre 18 cm(les spécimens représentés mesuraient 14.5 cm) etest probablement la plus grande Chilaterina, apparentée au groupe fasciata. Une réelle beauté.11-12. La Chilaterina cf. fasciata la plus commune(je l’appelai Chilaterina sp. « Mamberamo »), vit

à peu près partout dans la vallée.

Les Biotopes de Bleher – Grandeur Nature / Grandeur Aquarium68 Les Biotopes de Bleher – Grandeur Nature / Grandeur Aquarium 69

lement dans le Sud de la Nouvelle-Gui-née. Il se pourrait bien que la populationdu Mamberamo représente une nouvelleet seconde espèce. C’est cette morpholo-gie sans équivalent de D. novaguineaequi a justifié la création d’une familledistincte.

Un moment plus tard, Hamaru, devantmon insistance à inspecter les lacs àl’écart, parvint à trouver un passage pourla pirogue, du fleuve jusqu’à la forêtinondée, et un énorme lac de 20 km delong s’ouvrit devant nous. C’était un bio-tope de rêve, totalement intact. À peinesurprenant car probablement jamais avantdans l’histoire du monde, un Blancn’avait visité cet endroit. Jusqu’ici, on enétait réduit à rêver qu’il puisse peut-êtreencore exister quelque chose de ce genresur notre planète, à l’orée du XXIe siècle.

Hamaru, qui avait pêché dans le Mam-beramo central pendant dix-neuf années,durant lesquelles il avait pris de nom-breux poisson indigènes dans ses filetsmaillants, connaissait la zone comme sapoche. Il me montra même une carte de

la région faite à main le-vée, assez différente detoutes les cartes offi-cielles ; néanmoins jesuis convaincu que saversion en donnait la vé-ritable image. Il appelaitle lac « Tanjum Potus ».L’eau était quasimenttransparente, avec desracines et des troncs dé-passant à divers en-droits, et la forêt depluie qui l’entourait ysemblait encore plusdense et impénétrableque jamais.

Le sous-bois riparien était composé defougères, rien que des fougères. Des mil-lions de plantes qui, à la montée deseaux, perdraient leurs feuilles ou mour-

raient complètement, et qui dès la décrue,enrichiraient toujours plus ce biotopemerveilleux de leurs feuillages vert vif.Les hérons blancs étaient partout, lesaigles dans le ciel, et les calaos plus nom -breux que jamais. Un crocodile d’1,5 ms’enfonça rapidement dans les profon-deurs à l’approche de notre bateau.

Malheureusement, la pêche ici ne pro-duisit rien de particulièrement excitant –le lac devait être directement connectéau Mamberamo à la saison des pluies.Une fois de plus, se trouvaient là des

poissons arc-en-ciel dugenre Glossolepis (mais ici,avec une tache orange surles opercules) et des pois-sons-chats Arius argentés,dont un spécimen dépas-sant les 50 cm fut mis im-médiatement de côté parHamaru pour notre repasdu soir. Cette splendide bê-te pesait 3,5 kg.

Cette soirée-là, nous poursui-vîmes notre voyage sur le Mam-beramo, vivant un coucher de so-leil incroyablement beau et dansun calme inimaginable.

Hamaru ancra son « yatch »dans la vase d’une baie et nous fûmesimmédiatement assaillis par des nuées demoustiques. Nous ne fûmes débarrassésde ces pestes (et encore, seulement d’unepartie) qu’après avoir allumé notre feu decamp sur le bateau et cuisiné notre soupede pommes de terre, pendant que les Ja-ponais préparaient leur sac de riz – on leremplissait simplement avec de l’eauchaude, on patientait 20 minutes et onobtenait du riz instantané avec tout sonaccompagnement. Tandis que nous dé-

gustions notre thé, sauterelles et gre-nouilles nous donnèrent la sérénade, seu-lement interrompues par le cri perçantdes oiseaux.

Le feu de camp fut réduit à des braiseset nous déployâmes notre arsenal anti-moustiques : répulsif à enduire, mousti-quaires et fumigènes. On ne prenait ja-mais trop de précautions ici : la malaria,qui infecte plus de 200 millions de per-sonnes chaque année, était pour ainsi direendémique au Mamberamo – une autreraison pour laquelle personne ne venaitici. Les Japonais portaient une protectionsupplémentaire à leurs poignets – desbracelets anti-moustiques d’invention ré-cente, qui libéraient un parfum répulsif.

Hélas, ce ne fut pas les moustiquesqui nous empêchèrent, Paola et moi,de trouver le sommeil. Mizukami etKamaihata-san entreprirent d’inter-préter à tour de rôle une symphonieen ronflements majeurs – c’étaitcomme s’ils concouraient tous deux àqui trompetterait le plus fort ! J’ai dûles secouer une bonne trentaine defois au cours de la nuit pour les ré-veiller, mais sans succès !

Avant l’aube, Hamaru et ses cama-rades étaient levés, jetant leurs filetsmaillants dans la baie. Après seule-ment quelques minutes, ils avaient unfilet plein de tilapias, barbus et pois-sons-chats, avaient fait le feu et nousappelaient pour le petit-déjeuner.Pommes de terre rôties et poisson

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étaient leur menu quotidien : matin, midiet soir. Dans le brouillard matinal, nousnous joignîmes à eux pour pousser le« Mamberamo Yatch » de la vase, tant ily était bien collé. Enfoncé dans la bouejusqu’à la ceinture, et par endroits jus-qu’au cou, Hamaru ramena le bateaudans le courant principal et poursuivitnotre remontée du fleuve ; entre-temps,une brève baignade dans le fleuve nousavait nettoyés de ce limon collant.Quelques Lorius roratus, des perroquetsverts, nous survolèrent, jacassant commes’ils essayaient de nous dire que le jourse levait, et avant que le soleil n’ait quittél’horizon, nous vîmes aussi des cacatoes

blancs, Cacatua galerita (connus locale-ment comme Kakatua besar ou JambulKuning), poussant leurs cris caractéris-tiques. Le fleuve, paisible et majestueux,s’était à nouveau éveillé.

Hamaru avait bien compris que je m’in-téressais aux lacs qui ne se trouvaient ja-mais en connexion avec le fleuve princi-pal, même au plus fort des crues, autre-ment dit qui n’étaient jamais inondés parle Mamberamo. Car les simples lacsd’inondation – et ce type de lacs étaientinnombrables sur le fleuve – possède-raient invariablement une faune aqua-tique identique à celle du Mamberamo

lui-même. C’est pourquoi, le second jourà midi, nous nous retrouvâmes de retourdans la pirogue, remontant cette fois-cisur plusieurs kilomètres un cours d’eauplus petit, de seulement 2,5 à 3,5 m delarge. Notre Sulawésien m’expliqua quebien qu’il soit encore navigable à cetteépoque de l’année, il serait impraticabledans quelques semaines. Ce n’était qu’unécoulement du lac Kli qui se trouvaitplus loin et par conséquent pas une vraierivière du tout !

Après un trajet semé d’aventures – cecours d’eau n’avait clairement jamais étédérangé et présentait encore plus debranches, de buissons et d’arbres géants

dans tous les coins que la rivière Boare,avec en plus des rives bordées de Panda-nus hérissés d’épines et donc infranchis-sables – nous atteignîmes finalement leDanau Kli. S’ouvrit alors devant nous leplus extraordinaire des spectacles quinous avaient été offerts jusque là – uneeau quasiment noire, des oiseaux innom-brables et une variété de poissons sanséquivalent. Quand Hamaru trempa sesdoigts dans l’eau, des centaines de pois-sons-chats arrivèrent à la surface, se dis-putant la proie qu’ils pensaient s’être po-sée. Je fus immédiatement convaincu quece lac recèlerait au moins une espèce en-

démique. C’est généralement le cas à tra-vers toute la Nouvelle-Guinée : les lacsgéographiquement isolés possèdent desespèces endémiques. Mais la plupart dutemps, les attraper est très difficile. L’eauétait aussi très profonde ici et les filets neramenèrent rien d’autre que quelques go-bies. Hamaru tenta alors d’aller un peuplus loin sur le lac. Au milieu, nous pas-sâmes de petites îles à la végétation fan-tastique et des bosquets d’arbres qui, bienque profondément enfoncés dans l’eau,donnaient tout signe de prospérer. De là,j’aperçus une berge où nous pouvionspeut-être accoster. En dépit des fourrés

1-4. La jungle, vierge et intacte (2), et ses centaines de lacs superbes, inhabités ni même visités (1), dans unevallée géante épargnée, sillonnée derivières inconnues (3), que hantentseulement les hérons (4) et autres animaux. Pas d’humains, pas leurtrace non plus. 5-6. J’ai eu la possibi -lité de visiter seulement quelques unsde ces lacs isolés, tel que celui-ci (6).Mais nous marchâmes trois jourspour l’atteindre – et pour n’y trouverqu’une espèce de gobie (5).

Page de droite : 7-10. Le très petit nombred’indigènes (aborigènes) qui vivent dans lavallée du Mamberamo peuvent se comptersur les doigts de quelques mains. Sur mestrois voyages ici, je n’ai pas vu plus de centindigènes dans cette région plus grandeque la Suisse. Ils vivent encore à l’âge depierre et se comportent en tribus nomades.Leurs huttes ne sont couvertes que d’unéphémère toit de palmes (7). Leurs outilssont faits à partir de matières tirées di-rectement de la nature, y compris leursarcs et leurs flèches – un certain type deflèche pour attraper une certaine espèced’animal ou de poisson (8). Leurs vête-ments (9) sont faits de l’écorce qu’ilsprélèvent sur une certaine variété d’arbre,ou leur ont été donnés il y a une éternitépar des missionnaires. Mais tous se mon-trèrent toujours très amicaux et m’accueil-lirent dans leur modeste demeure (10).

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était simplement rose, mais avec unequeue rouge vif. Le filet en contenaitdeux à la première prise, mais les cap-tures suivantes se firent attendre jusqu’àune petite baie, située sur le chemin duretour, où nous attrapâmes quatre nou-veaux spécimens après une terrible lutteavec les broussailles. À cet endroit, nousfûmes aussi en mesure de voir combienles berges de ce lac plongeaient abrupte-ment dans ses profondeurs. Il devait s’en-foncer sur plus de 50 m.

Pendant notre « sortie » au lac Kli,l’équipage participa en tentant une pêcheà une profondeur d’à peine 40-80 cmdans la zone d’inondation ; nous y trou-vâmes d’énormes bancs de cette espècede Glossolepis présente dans tout leMamberamo. Nous capturâmes aussi uneautre forme, très argentée, et qui sans ce-la lui ressemblait beaucoup (femelle ?).En supplément, se présenta une espècede Zenarchopterus, un demi-bec à la

gueule unique, la mâchoire inférieuremesurant jusqu’à 8 cm de long et la su-périeure n’étant qu’un simple moignon,mais l’ensemble s’emboîtant parfaite-ment malgré tout. Elle n’était représentéeque par un seul spécimen de 24,5 cm.Seulement deux espèces, Z. alleni et Z. novaguineae, étaient connues dans larégion. Mais une identification précisen’était pas possible à ce stade du voyage.

Nous capturâmes aussi un autre pois-son très inhabituel : une perche à grandebouche du genre Glossamia, probable-ment dans une nouvelle espèce. Le pa-tron coloré ne correspondait ni à celui deG. beauforti, ni à celui de la G. gjellerupià deux bandes, les seules espèces décritesdans la région. Un groupe de poissonsvraiment intéressant. Ils sont restreints

ve toujours dans l’Idenburg, pour lasimple et bonne raison que je ne l'en ai ja-mais ramené (si ce n’est en photos). Peut-être que cesespèces seront décrites un jour. Et peut-être pourrais-je y retourner pour collecter le véritable G. multi -squamatus et cette fois-là vraiment le ressu sciter... 7-9. On trouve aussi des gobies dans le systè me duMamberamo (7). Ici, quelques espèces de Glossolepisnon décrites. La Glossamia (8), un membre d’eaudouce de la grande famille marine des Apogonidae,n’a pas été non plus classifiée à l’heu re actuelle. C’estune incubatrice buccale et une prédatrice, qui mangede petits poissons. Les arai gnées sont omniprésentesdans la vallée du Mam beramo, y compris sur lesbrindilles à la surface de l’eau (9).

10. Seulement prèsd’une centained’espèces sont reconnues dans legenre Nepenthes –plantes carnivorescommunément appelées plantes àurnes ou tasses dessinges – et nombred’entre elles setrouvent en Nouvelle-Guinée.Cette île recèle(encore) unegrande richesse deflore et de faune.11. Une autre nouvelle décou-verte étonnante fut cette espèce dePseudomugil à œilbleu. Encore nondécrite.

Les Biotopes de Bleher – Grandeur Nature / Grandeur Aquarium72 Les Biotopes de Bleher – Grandeur Nature / Grandeur Aquarium 73

sur la rive, notre Sulawésien mit unenouvelle fois dans le mille et en un riende temps, nous étions tous les deux avecses aides, dans l’eau noire. Je nageai àtravers le lac avec le filet de 7 m derrièremoi, essayant d’atteindre la berge oppo-sée aussi vite que possible – plus facile àdire qu’à faire. Arrivé là, après avoir reti-ré du filet les nombreux morceaux de ra-cines qu’il avait récupérés au cours demes régulières plongées sous les obs-tacles (jusqu’à 5 m de profondeur), je visun poisson rouge saumon en pleinmilieu !

Quelle sensation ! Il rivalisait avecGlossolepis inciscus, à ceci près que lacoloration rouge des mâles était répartieen bandes horizontales, principalementsur la partie supérieure du corps, et s’es-tompait vers le bas. Mais sa teinte rougesang était tellement vibrante que je laissaisortir un cri, à peine capable de retenirmon enthousiasme. Le corps des femelles

aux habitats d’eau douce, contrairementaux autres membres de la famille (Apo-gonidae) qui habitent principalement leseaux salées et ont une distribution mon-diale. On recense sept espèces décrites,dont six sont endémiques à la Nouvelle-Guinée, la septième, G. aprion, se trou-vant en Australie du Nord. Ce sont despiscivores qui utilisent aussi leursgrandes bouches pour couver leurs œufs.L’eau était à 29,5°C et à midi, la tempé-rature de l’air dépassait les 40°C sur lethermomètre.

Le trajet du retour au Mamberamo futrelativement plus facile que la remontéede la rivière. Nous nous allongeâmes ànotre aise pendant près de 6 km dans lapirogue d’Hamaru, tandis qu’il écartait,comme à son habitude, les nombreusesracines d’arbres et les troncs de notrepassage. Cette nuit, je pourrais dormir surmes deux oreilles : j’avais encore satisfaitmon ambition, tenue depuis treize ans, de

découvrir chaque année un nouveau pois-son arc-en-ciel. Il commençait à pleuvoir.Il avait plu à plein seau la nuit d’avant etune fois encore au cours de la journée, deces pluies typiquement tropicales, qui sielles sont de courte durée (10-15, parfois30 minutes) sont glaciales. Cette fois-ci,cela dura toute la nuit.

Avant que le silence de la nuit ne tombesur le Mamberamo, Hamaru et moi-mê-me pûmes pêcher dans la rivière Door-mann, un cours d’eau limpide, au courantfaible et au fond sableux, qui ne mesuraità ce moment-là que 8-10 m de large,mais qui au moment des crues, s’étalaitsur un bonne trentaine-quarantaine demètres de large, comme en attestaientclairement les énormes bancs de sableexposés et les troncs d’arbre balayés par

1-6. Dans un lac (que les aborigènes qui m’accompa-gnaient appelaient « Kli »), je trouvai un étonnant poissonarc-en-ciel (1-2). C’était un Glossolepis, mais un vraimenttrès rouge et selon moi encore à décrire. Car il persisteune confusion au sujet de l’espèce nommée G. multisqua-matus. Elle fut décrite en 1922, d’après un spécimen col-lecté par W. C. Van Heurn dans la rivière Idenburg (pasdans le lac Kli si reculé), en tant que Melanoatenia multi -squamata par Weber & De Beaufort, et qui décrivirentprécisément l’espèce que je collectai moi-même dans la ri-vière Idenburg (5-6), sa localité type. Or, mon poisson dulac Kli (déjà introduit en aquariophilie) présente systé-matiquement des yeux rouges et des rayures de mêmecouleur (1-2), et cela dès le stade juvénile, où les yeux com-mencent à virer au rouge et où les bandes rouges appa-raissent clairement (3). Ces caractéristiquessont absentes chez l’espèce trouvée dansl’Idenburg et n’apparaissent pas plus danssa description originale. Pourtant G. R. Al-len, continue d’appeler les deux G. multi -squamatus – y compris celle que l’on trouvedans la vallée Ramu éloignée (en Papoua-sie-Nouvelle-Guinée), qui représente encoreune espèce différente (également non décri-te) et qui est répandue en aquariophilie àtravers le monde entier, encore et toujourssous le nom de G. multisquamatus. Bref, enréalité, les poissons présents dans les aqua-riums sont tous les deux nouveaux, tandisque le véritable G. multisquamatus se trou-

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7-9. Quel que soit l’endroit où nous collections et cherchions, eauboueuse (7-8) ou eau claire (9), les poissons étaient omniprésents.Partout, c’était la plupart du temps les espèces déjà mentionnées,

Chilatherina fasciata et Glossolepis multisquamatus (10), en eauxprincipalement turbides. Melanotaenia vanheurni (11-12) ne setrouvait elle que dans l’affluent limpide (9) de la rivière Iden-burg. De même que cet intéressant Glossogobius cf. koragensis

(13). Toutefois, nous ne trouvâmes jamais là Melanotaenia praecox, bien que Van Heurn l’avait collectée en 1907 dans

le fleuve Mamberamo...

Les Biotopes de Bleher – Grandeur Nature / Grandeur Aquarium74 Les Biotopes de Bleher – Grandeur Nature / Grandeur Aquarium 75

la force du courant et éparpillés à la ron-de comme des allumet tes. Cette rivièreétait l’un des deux seuls sites de collec-tion où, aux alentours de 1920, desmembres de la famille des pois sons arc-en-ciel, les Melanotaeniidae, furent tirésdu Mamberamo, conservés, et deux ansplus tard, en 1922, décrits par les ich-thyologistes Weber et de Beaufort.L’autre site était l’ancien Pioneers Bivak,où avait été trouvée une certaine M. praecox.

Dans le Doormann (les indigènes conti-nuent d’utiliser le nom allemand), jetrouvai aussi le plus grand de tous lesMelanotaeniidae (au moins, comme ilssont connus dans la nature). Dans la lu-mière du projecteur, des spécimens fai-sant jusqu’à 16,5 cm nageaient autour demes jambes. Cette espèce est pour l’ins-

tant connue de la science en tant que Me-lanotaenia vonheurni, mais tant la formede la bouche que celle de son corps rap-pellent Chilatherina, sans parler de sonhabitat et de sa manière de se mouvoirqui plaident aussi pour son rattachementà ce groupe. Chilatherina, à la différencede Melanotaenia, se trouve presque ex-clusivement dans des ruisseaux et des ri-vières à fort courant – généralement dansles zones de rapides – et seulement eneau claire. Le genre n’apparaît que rare-ment dans des lacs (C. bleheri étant l’ex-ception) ou en eaux troubles ouboueuses. Encore une fois, nous pê-châmes quelques gobies, mais ceux-làétaient loin d’être aussi colorés que ceuxdes eaux noires du lac Kli. Et encore unbarbus, un exotique !

Trempés jusqu’aux os par la pluie, nous

nous blottîmes autour du « foyer », àbord de notre « yacht », pour nous sécheret penser aux moments merveilleux quenous avions eus sur le Mamberamo.Nous ne savions que trop que dès le len-demain matin, un hélicoptère de l’AirfastCharter Company de Jayapura arriveraitpour nous chercher. Retour à la « civili-sation ». J’aurais préféré rester, un senti-ment que Paola partageait, mais il y avaitaussi les Japonais...

Hamaru et son équipage naviguèrent àtravers l’incessante pluie torrentielle endirection de Dabra, où nous jetâmesl’ancre à 2 h du matin. La manière dontcet homme retrouvait son chemin à tra-vers le dédale des rivières, dans une forêtnoire d’encre et sous la pluie battante,était proprement miraculeuse.

Paola et moi restâmes à bord de notre

1-5. La plupart des lacs reculés de la vallée du Mamberamon’étaient accessibles que par la terre. Il nous fallait ancrer

le bateau, puis marcher (1). Et comme cette vallée géanteétait avant tout constituée de marais et de boue, la marche

se faisait rapidement très désagréable (5). Malheureuse-ment (pour les aquariophiles), de tels lacs boueux abritent

rarement des poisson arc-en-ciel mais plutôt, etsystématiquement, des gobies et des goujons. Celac possédait deux goujons remarquables : l’unqui était certainement Giurus magaritacea (2), quel’on trouve partout en Nouvelle-Guinée et ailleurs,et qui peut atteindre 30 cm ; et une autre grandeespèce, non encore décrite (4). Le gobie apparte-nait sans aucun doute au genre Glossogobius (3) etressemblait plus ou moins à G. bulmeri. 6. Le lacmentionné ci-dessus, dans lequel nous collectâmesces espèces, est visible ici de l’avion.

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1. La plupart des coursd’eau principaux du

Mamberamo subissentl’influence des marées

– bien que certainsd’entre eux se trouvent

à 1 000 km del’Océan...

2-4. Le Pandanus (2)pousse pratiquementpartout dans la vallée

du Mamberamo, etsous plus d’une espèce.

Ses graines rougesfournissent une

alimentation aux indigènes, de mêmeque les autres nom-

breux fruitsendémiques, pour

la plupart inconnus (3-4).

Ci-dessous : Ici, personne ne possède de moteur hors-bord ouquelle que sorte d’engin que cesoit, à l’exception des pirogues,dans lesquelles on transporte

tous ses biens, tels que ces casoars nains ou dits de Bennett

(Casuarius bennetti).

6. Hamaru travail-lait constamment à

améliorer le bateau,tout au long de notre

voyage. 7-8. Les fruits locauxme rendaient fou : il

me fallait tous lesgoûter, et chacun

était meilleur que leprécédent…

9-10. Je demandaitoujours conseil

avant auxaborigènes, qui

m’apprirent aussileur art fantastique à

confectionner desflèches, des lassos et

des harpons pour at-traper les poissons…

Les Biotopes de Bleher – Grandeur Nature / Grandeur Aquarium76 Les Biotopes de Bleher – Grandeur Nature / Grandeur Aquarium 77

« yatch », afin de pouvoir y dormir lesquelques heures qui nous restaient. Ha-maru tendit un grand morceau de toile ducôté du vent, pour protéger nos lits duplus fort de la pluie, puis accompagnaKamihata et Tarzan au-dessus de la bouejusqu’à la terre ferme.

Soudain réveillé par l’épouvantable va-carme d’un hélicoptère au-dessus de matête, je jaillis de dessous ma moustiquaireet regardai vers le ciel, encore encombréde nuages qui pleuvaient tout ce qu’ilspouvaient. C’était un hélicoptère apparte-nant à la P.T. Freeport Mining Companyde Tembagapura, la plus grande mine decuivre, d’argent et d’or d’Irian Jaya (et detoute l’Indonésie !), avec plus de 140 000employés. Les forages s’étaient déjàétendus au bassin du Mamberamo. Deuxpersonnes étaient restées ici plusieurs se-maines durant pour faire une étude de lazone et elles étaient ravitaillées presquetous les jours par les airs. L’hélicoptèreavait même transporté un grand nombrede bidons de 200 litres de benzène, dansdes filets accrochés sous le ventre, enprovenance de Tembagapura, situé hautdans les montagnes.

De mon côté, j’espérais que notre pilotequi devait arriver de Sentani ne pourraitpas tenter le voyage par ce temps. Maisles choses tournèrent tout autrement.

Lors de mon premier voyage en IrianJaya et dans le Mamberamo (1982), encompagnie de mon ami, le Dr. G. R. Al-len, ichthyologiste de renommée interna-tionale, et du photographe Dr. W. Tims,mon pilote m’avait dit, lorsque je luiavais demandé quand et à quel prix jepouvais louer un hélicoptère : « Vous de-vez avoir trois choses en tête quand vousvenez en Irian Jaya :

1) Il faut oublier toute notion de temps ;2) Tout coûte au moins trois fois le prix

qu’il vaut ailleurs ; et 3) Rien ne tournera comme vous l’avez

prévu. »Je dois dire que tout cela se révéla par-

faitement vrai lors de chacune de mes ex-péditions dans cette partie de l’Indonésie.

Notre pilote du jour, un Australien sur-nommé Captain Threat (= Capitaine Me-nace), un homme au visage tanné et éma-cié, qui donnait l’impression d’être per-pétuellement en colère, vêtu de sandales,de chaussettes, d’un short et d’un cha-peau râpés, arriva pourtant bel et bien etvoulut repartir aussitôt. Je réalisai que par

ce temps nous ne verrions rien du magni-fique panorama du Mamberamo tel queje l’avais imaginé à l’origine, pas plusque nous n’aurions l’opportunité de nousposer sur l’un des lacs. Je demandai doncà Hamaru, venu nous dire au revoir, dem’accompagner à la rivière Uge non loinde là pour chercher des poissons et desanimaux aquatiques.

Accompagnés par deux boys, nous nousesquivâmes discrètement, sans un mot àquiconque, laissant Threat incapable departir sans nous ! Une heure plus tard,après avoir franchi un nombre incroyablede ruisseaux qui coulaient des montagnessuite aux pluies et qui avaient inondé lazone entière, nous atteignîmes l’embou-

chure de l’Uge. Mais ce ruisseau avaitsans surprise été transformé en un torrentrugissant et boueux. J’avais beau êtrel’optimiste de service, là, j’avais moi-mê-me des réserves sur la probabilité d’attra-per quoi que ce soit dans ces conditions.Partant au combat contre le torrent dé-chaîné et rouge de boue, le fidèle Hama-ru suivit malgré tout mon exemple ; maisaprès vingt lancers de filet, nous étionshors d’haleine et toujours bredouilles.Nous avions des épines dans les pieds,les mains lacérées par les pierres et lesracines, et à plusieurs reprises nous fû -mes entraînés sous l’eau par le courant,avalant au passage des kilos de boue.Nous étions alors vraiment à deux doigtsd’abandonner. C’est alors que nous repé-râmes une baie de 6 m de large, au cou-rant plus faible, et notre vingt-et-unièmeet dernier lancer allait donner lieu à une

expérience inoubliable. Réunissant toutce qui nous restait de force, nous traî-nâmes le filet de 7 mètres, lourd etmouillé – encombré de racines et defeuilles – et nous le hissâmes à terre àgrand peine, enroulé autour de nos cous.À première vue, il semblait que nousn’avions rien attrapé d’autre que l’espècede Chilatherina capturée dès le début denotre voyage. Mais juste au moment oùj’allais réellement abandonner et étais surle point de nettoyer et rouler le filet, jeremarquai quelque chose d’incroyable-ment beau qui rutilait parmi les feuilles !Cela resplendissait comme un néon lumi-neux ! Un poisson minuscule ! Seule-ment un centimètre de son corps était vi-sible et malgré tout je savais que c’étaitça ! La découverte de la décennie ! Lepoisson de mes rêves, aux couleurs iri-descentes et chatoyantes sans équivalent.

Existait-il réellement ? Cela pouvait-ilêtre vrai ? Comme en transe, je me jetaisur le filet pour le saisir avant qu’il nepuisse s’évanouir, et je trébuchai au pas-sage sur une branche, me plantant unéclat de bois dans le pied droit. Mais surle moment, je ne pensai à rien d’autre.Hamaru comprit alors que pendant toutce temps, c’était cela que j’avais essayéd’atteindre. Avant cela, il avait pensé quecomme d’habitude, j’étais simplementdans mon rôle de gringo excentrique.Mais maintenant, lui aussi était ébahi,comme si pour la première fois surpresque vingt ans, il voyait quelque cho-se de nouveau dans « son » monde.

Ce joyau n’était probablement pas toutseul ! Nous draguâmes à nouveau le litde la rivière avec une vigueur retrouvée –mais sans succès. Bien que complète-ment épuisés, trempés et frigorifiés, nous

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redoublâmes nos efforts et au quarante-et-unième lancer, nous ramenâmes finale-ment deux spécimens supplémentaires.Cela me suffisait pour vivre. Nous esti-mant raisonnablement satisfaits, nousempruntâmes le chemin du retour, traver-sant un affluent de l’Uge, qui n’était pasautant en crue. Nous jetâmes sansconviction notre filet dans ce coin isolé etramenâmes une première fois cinq, puisquatre, puis finalement trois autres de cespoissons ! Mon ravissement était à cemoment-là assez indescriptible. Je dansaidans l’eau comme Rumpelstiltskin autourde son trésor (= personnage de conte al-lemand – N.d.T.). Seulement quatre foisdans ma vie, j’avais ressenti cela : en1954, quand petit garçon, j’avais aperçupour la première fois un piranha-pacu,une espèce encore non décrite de Cato-prion, dans le Rio Guaporé, Province duMato Grosso, Brésil ; en 1964, quandj’attrapai le characin à nez rouge, Hemi-grammus bleheri, dans un affluent du RioNegro ; en 1971, quand je ramenai dansmon filet un fantastique discus « RoyalBlue », un individu dominant de la sous-espèce Symphysodon aequifasciatus ha-raldi, sur le lac Manacapuru, dans l’étatd’Amazonas ; et en 1982, dans le lacAjamaru sur la péninsule du Vogelkop,en Irian Jaya, où je vis pour la premièrefois le poisson arc-en-ciel corail, Melano-taenia boesemani. Tous ces poissons quisont aujourd’hui élevés dans le mondeentier et figurent parmi les plus beauxhôtes des aquariums.

Je savais que l’année 1993 entrerait

aussi dans l’histoire des poissons. Celane faisait aucun doute que le « poissonarc-en-ciel néon » rencontrerait un succèstonitruant dans le monde. Une taillemaximale de 4,5 cm (seulement 3,5 cmdans la plupart des cas) ; des mâles auxnageoires ourlées de rouge tandis quecelles des femelles sont jaune pur ; et lesdeux sexes colorés comme de brillantsnéons bleus lumineux, comme celan’avait jamais été vu ailleurs que chez le

Tétra Cardinal (Paracheirodon axelrodi)et chez ma découverte zaïroise (dansl’actuel Congo), le Néon africain (Phena-cogrammus bleheri). Une telle brillanceet une telle luminosité sont rares dans lemonde subaquatique. Mais la Nature acréé quelques formes de vie qui se tien-nent, à un degré incroyable, bien au-des-sus du reste. Et c’est encore une preuvede son talent incomparable.

Toutes ces pensées traversaient mon es-prit tandis que je courai fièrement dans lecourant, mon butin dans les mains, sansmême remarquer que mes galochesavaient été emportées. Au septième ciel,je volai sur les bâtons et les cailloux, sansm’en soucier. Et quand je revins à l’héli-coptère, pas même le courroux du Cap-tain Threat ou la grosse colère des Kami-

hata-Tarzan pour le retard, auraient pugâcher ma bonne humeur. Et comme jel’avais prophétisé, le ciel s’éclaircit, lesoleil sortit, et nous pûmes partir, tel queje l’avais planifié…

Une fabuleuse vue panoramique duMamberamo s’étendit devant nous. Nousen fîmes trente rouleaux de pellicule,photographiant la rivière la plus majes-tueuse de Nouvelle-Guinée, mais aussi lamoins explorée, et qui conserve la plu-

part de ses secrets. Nous survolâmes unnombre presque incalculable de lacs iso-lés géographiquement, certains d’entreeux assez profonds, mais sans qu’il soitmalheureusement possible d’atterrir.J’avais dans la tête que chacun d’entreeux renfermait au moins une espèce en-démique et sans les efforts de Paola, j’au-rais sauté hors de l’hélicoptère (ce quej’ai vraiment fait à une autre occasion).

Il y avait là des lacs avec de la végéta-

1-6. Les cours d’eau principaux de la vallée sontremplis de crevettes ; à chaque coup de filet, il s’entrouvait par centaines (1). Hamaru, à ma troisièmevisite, avait déjà commencé à faire ses propressalaisons de poissons : au milieu de la rivière, ilsalait et faisait sécher ses prises (2), en grande par-tie des espèces exotiques... rarement de gros pois-sons-chats, tels que les grandes espèces d’Arius (3)ou de Doiichthys (6), qu’il faisait frire fraîches surnotre bateau (4). Le bateau qu’il avait bâti futnotre maison des jours durant, et nous y brossionsnos dents, comme ici (5), y mangions et dormions...

Quelques photos de mon premier et de mon dernier voyages : 7. Mon premier atterrissage avec un avion de missionnaire, un petit Cessna, en 1982. Ici, en

compagnie d’aborigènes, du pilote et de G. R. Allen (en chemise verte), sur une piste d’atterris-sage du Mamberamo. 8-10. Lors de mon récent et dernier voyage, malgré l’obtention d’un

permis auprès des plus hautes autorités de Jakarta, nous fûmes forcés à partir par le commandement militaire de Dabra. Même mes communications radio furent sans effet (10). Je

dus abandonner derrière moi 1 200 litres de carburant et un moteur hors-bord. Mais nousavions auparavant marché trois jours jusqu’à un lac reculé, à travers de profonds marécages (8),

retirant les sangsues au couteau (9). 11. Cette carte montre clairement que la vallée du Mamberamo est complètement ceinturée de hautes montagnes, totalement isolée du monde.

L’endroit le plus préservé sur Terre…

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(Aussi parce que l’hélicoptère était déjà arrivé depuis quel -ques temps…) Et comme cela a été raconté, ce fut le mira -cle : un seul et unique petit poisson rutilant, au beau milieudes paquets de feuilles. C’était lui ! Melanotaenia praecoxresplendissant comme un diamant, comme un néon (4). Jepouvais à peine en croire mes yeux, le miracle était là, monrêve était devenu réalité. J’en collectai de nouveaux, 15 spé-cimens au total, que je ramenai (il en arriva 13 en vie enEurope, qui donnèrent les 5 millions produits aujourd’hui

1. Au cours des derniers jours sur le Mamberamo,il plut non-stop, nuit et jour, sans qu’il soit possible

de trouver la Melanotaenia praecox. La déceptionétait générale. Mais j’eus ce rêve, lors de la dernière

nuit que je dormis à bord du bateau, tandis qu’ilpleuvait sans interruption… qui me disait que

j’avais cherché bien trop loin. Quand l’Allemandvint ici il y a presque 100 ans, il n’y avait que ce vil-lage indigène (aujourd'hui Dabra), et il l’avait trou-

vée à proximité. Je me levai et décidai de partir,pour la chercher dans les ruisseaux proches (2-3),

même si je savais que l’hélicoptère était sur le point d’arriver de Jayapura pournous ramener. Je sillonnai toute la zone environnante à pied et sous la pluie in-

cessante. Je manipulai la senne avec un indigène d’un bout à l’autre des ruis-seaux, qui nous entraînaient plusieurs fois au loin, tant le courant était fort avec

cette pluie. Nous étions tous les deux complètement épuisés et toujours sanspoisson, quand je lui dis : « Encore un coup de filet et nous rentrons ».

chaque mois dans le monde). Mon poisson de rêve (6), le poisson du siècle (XXe)comme je le surnommai (ou « petit poisson arc-en-ciel néon »), a conquis l’aqua-riophilie, comme pratiquement jamais aucun autre ne l’avait fait. Kamihata (7),Tarzan, Paola et le pilote avaient attendu deux heures, et étaient furieux contremoi, mais au lieu de quoi que ce soit, ce dernier me dit simplement « Vous êtesun génie ». Hamaru comprit alors ma quête et se mit à goûter l’aquagéo (5).

9. Nous rentrâmes finalement dans l’hélicoptère affrété (9) à Jayapura (pour une petite fortune) avecnotre précieux chargement. 10. Lors de mon dernier voyage, je fus forcé (par les militaires) derepartir avec un avion de location, en laissant une petite somme de carburant (1 200 l) et le moteur hors-bord (10), qu’ils confisquèrent. Pour une raison ou pour une autre, je crois que l’ondoit passer par l’enfer si l’on veut obtenir quelque chose de valeur. Mon enfer fut que je n’étaispas satisfait et qu’en attendant à Sentani notre vol retardé pour Jakarta, je partis pêcher dansun cours d’eau chargé d’ordures et je sautai sur un boulon rouillé, qui s’enfonça de 2,5 cm (11).Deux mois de plâtre (12). Pas de bonheur sans douleur.

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tion sur leurs rives et sous leurs eaux ;des lacs d’eau noire (l’habitat de certainsdes poissons les plus colorés du monde) ;des lacs teintés de vert ou de bleu. Envi-ronnés par une forêt dense et vénérable,la forêt primaire dans toute sa gloire.

Les arbres étaient couronnés de fleurstantôt rouges, tantôt jaunes. Certains bio-topes étaient parsemés de palmiers, tan-dis que dans d’autres, les Pandanus épi-neux prédominaient. La flore du Mambe-ramo est vraiment sans égale.

La branche que nous survolions étaitl’Idenburg, cet affluent du Mamberamo.Et l’autre branche, à l’est, qui n’était pasreconnue comme le Mamberamo, senommait le Rouffaer (Tariku). Mais cesdeux affluents, qui se joignaient pour for-mer le Mamberamo à proprement parler,restaient toujours considérés à part entiè-re comme des parties de ce fleuve. En-semble, ils formaient non seulement letrésor biologique le moins exploré maisaussi le plus grand système fluvial de ladeuxième plus grande île sur Terre.

Il est peu probable que l’homme blancsera jamais en mesure de dévoiler tousles secrets du Mamberamo, ni que lemonde civilisé appréciera jamais la di-versité de cette région unique, ni mêmeque les scientifiques comprendront unjour la complexité de cet écosystème.

Par chance, le gouvernement indonésiena déclaré cette région « d’accès interdit »et il est pratiquement impossible d’obte-nir un permis pour visiter la zone. Espé-rant que les choses resteraient ainsi, quela P.T. Freeport Mining Company n’y dé-couvrirait pas des minerais comme dansles montagnes, et que la National Perta-mina Oil Company, qui avait effectué desforages en quête de son « or noir » à troisendroits ne trouverait rien, je regardaipour la dernière fois la forêt infinie duMamberamo, ce fleuve qui ne figure nisur les guides de l’Indonésie, ni sur ceuxqui traitent de ce pays.

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Quelques suggestions pour les aquariums biotopes à poissons arc-en-ciel : 1. Voici le lac Wanam, dont est originaire

Glossolepis wanamensis (2), un splendide poisson arc-en-ciel.Il y vit en compagnie de Chilaterina fasciata (3) et de gobies,dans un riche biotope aquatique, abondamment pourvu de

nénuphars et de lotus, ainsi que de Ceratophyllum demersum. 4. Chilaterina bleheri est aussi endémique à un certain lac (Danau Biru),

sans autre espèce de poisson arc-en-ciel, seulement des goujons et des gobies. 5-6. Melanotaenia boesemani (6) vit dans deux lacs (communicants) remplis de fougères aqua-

tiques (5), d’espèces de Najas et Ceratophyllum. Seulement accompagné de Pseudomugil reticulatus (7), et non de P. ivantsoffi (8) comme cela a pu être écrit ailleurs.

9-10 Un habitat typique (9) du beau Glossolepis dorityi (10), que j’ai également découvert et que j’ai appelé le « poisson arc-en-ciel à zigzag rouge ». Ce milieu estlui aussi abondamment peuplé de nénuphars, ainsi que d’espèces de Ceratophyllum, quelques Barclayas et rarement Aponogeton. 11. Melanotaenia alleni

(pas encore introduit en aquariophilie) vit sur fond de gravier, dans des rivières et des ruisseaux avec du courant et presque pas de végétation. 12. L’espèce deMelanotaenia (classifiée par certains comme M. goldiei) que je découvris dans un ruisseau appelé Tapini en Papouasie-Nouvelle-Guinée – la raison pour laquelle jela nommai Melanotaenia sp. ‘Tapini’. Une véritable beauté, disponible en aquariophilie. Elle apprécie la mousse (comme sur l’image), un fond de gravier avec un

peu de sable. On peut lui associer des gobies ou des goujons, éventuellement quelques yeux bleus (Pseudomugil novaguineae, ou P. gertrudae ou P. paskai). 13-14. Un autre poisson récemment collecté pour la première fois : le véritable Melanotaenia misoolensis (qui est mal identifié dans de nombreuses publications).

Le spécimen représenté correspond à la véritable espèce : un corps étiré en hauteur et l’incroyable capacité de changer de couleurs (parfois en quelques minutes),en passant par exemple du bleu acier (13), au rouge orangé (non représenté) ou au jaune d’or (14). Cette espèce ne se trouve que dans deux ruisseaux de l’île de

Misool, dans une eau dénuée de végétation, seulement du gravier et des plantes trempant dans l’eau. Pour tous ces poisson arc-en-ciel (et les yeux bleus), l’eau peut avoir sans problème une dureté jusqu’à 500 microsiemens et un pH jusqu’à 8, pour des températures variant de 23 à 28°C.

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Sur ces deux pages, quelques exemples d’aquariumsbiotopes très typiques pour poissons arc-en-ciel : 1. Celui-ci est décoré pour Melanotaenia praecox (2),dont traite l’article précédent (en donnant des informations supplémentaires). Il devrait comporterquelques plantes (ici Microsorium pteropus, que l’ontrouve dans toute la Nouvelle-Guinée, attaché à du boisflotté ou à des rochers) ; des zones de gravier et de sable– mélangées. J’avais décoré cet aquarium pour une exposition et les poissons se sentirent aussitôt tellement« comme chez eux », qu’ils commencèrent à pondre…3. Cet aquarium est exposé à Denver, Colorado (USA),en tant qu’aquarium aux poissons arc-en-ciel. Je l’aivisité il y a deux ans et j’ai trouvé qu’ils avaient fait dubeau travail. Naturellement, ils ont placé ensembleplusieurs espèces différentes de poissons arc-en-ciel (ainsi que quelques gobies et yeux-bleus) mais l’ensem-ble n’en a pas moins belle allure et si on le compareavec la photo subaquatique que j’ai prise de l’habitatnaturel de M. boesemani (cf. photo 5, p. 86), on peutconstater qu’il y ressemble beaucoup…

4-6. Voici ci-dessus une autre présentation typique,pour Melanotaenia angfa cette fois-ci (4), décorée,

encore de Microsorium pteropus, de certaines es-pèces de Spatiphyllum et de plantes flottantes

(Azolla ou Lemna sp.). Beaucoup de sable blanc finet de pierres colorées (brun rouille). Là aussi, cette

espèce de poisson arc-en-ciel s’est senti comme dansla nature, comme le montre son comportement. Elle

a immédiatement entamé sa parade nuptiale (5) etmontré le meilleur de ses couleurs (de jeunesse) (6).

Chose importante pour les poissons arc-en-ciel et lesyeux-bleus : ne jamais surpeupler le bac. Ils nevivent jamais en très grands bancs ou groupes.

La quantité montrée ici est celle qui convient. Donnez-leur aussi un peu d’ombre.

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