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L'année psychologique L'apprentissage des schémas, leur rôle dans l'acquisition des connaissances Jean-François Vezin Citer ce document / Cite this document : Vezin Jean-François. L'apprentissage des schémas, leur rôle dans l'acquisition des connaissances. In: L'année psychologique. 1972 vol. 72, n°1. pp. 179-198; doi : 10.3406/psy.1972.27937 http://www.persee.fr/doc/psy_0003-5033_1972_num_72_1_27937 Document généré le 09/06/2016

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L'année psychologique

L'apprentissage des schémas, leur rôle dans l'acquisition desconnaissancesJean-François Vezin

Citer ce document / Cite this document :

Vezin Jean-François. L'apprentissage des schémas, leur rôle dans l'acquisition des connaissances. In: L'année psychologique.

1972 vol. 72, n°1. pp. 179-198;

doi : 10.3406/psy.1972.27937

http://www.persee.fr/doc/psy_0003-5033_1972_num_72_1_27937

Document généré le 09/06/2016

L'APPRENTISSAGE DES SCHÉMAS

LEUR ROLE DANS L'ASSIMILATION DES CONNAISSANCES

par J.-F. Vezin

Laboratoire de Psychologie génétique de Paris- Sorbonne ERA au CNRS

Les recherches concernant l'apprentissage de schémas et leur rôle dans l'acquisition des connaissances s'appuient sur les résultats des recherches et sur des éléments théoriques appartenant à des domaines différents de la psychologie. La théorie de la forme et les résultats d'études concernant la perception de formes sont invoqués lorsque les recherches insistent sur le caractère figuratif du schéma. La théorie de l'information et les recherches qui étudient la transmission d'information permettent de considérer ce que peut communiquer le schéma, la quantité d'information apportée par chacun de ses éléments. Une autre perspective étudie le rôle du schéma dans l'apprentissage, en le comparant à d'autres moyens d'expression ; le schéma est alors envisagé comme l'un des éléments d'un processus de communication des connaissances, un moyen d'expression ayant son originalité propre, complémentaire d'autres moyens.

Mais le mot schéma est parfois utilisé dans des sens très différents : le même mot « schéma » désigne par exemple un tableau synthétique de notions (ne faisant pas appel à l'expression figurée) et une figure représentant l'anatomie ou le fonctionnement d'un système. Inversement les termes de figure, schéma, graphique sont parfois utilisés pour désigner un même moyen d'expression. Des règles de style voulant qu'un même mot ne fasse pas l'objet de répétitions trop fréquentes dans un texte expliquent parfois cette diversité de termes. Mais, dans beaucoup de cas, une autre explication peut être retenue : les termes utilisés ne font pas toujours seulement appel au moyen d'expression lui-même, mais aussi à la matière, ou à la relation de la matière et du moyen d'expression. De telles considérations lorsqu'elles sont systématiquement exploitées apportent une contribution importante à l'étude des caractéristiques propres aux schémas, par-delà la diversité des formes que celui-ci peut avoir. Une direction complémentaire de recherche est d'envisager les diverses formes de schéma afin d'aboutir à une classi-

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flcation qui tienne compte des relations du schéma et de ce qu'il exprime, ainsi que des caractéristiques propres à différents types de schémas. Une classification des schémas exprimant des installations électriques ou électroniques a été entreprise par Courbin (1961). Une classification permettant de situer le schéma par rapport à d'autres moyens d'expression figurée (dessin modèle, dessin image) a été effectuée par Leplat (1967). De nombreuses indications sur les relations du schéma et de la connaissance exprimée et sur la classification de différents types de schémas sont fournies par Fassina (1969).

En nous appuyant sur les caractéristiques des schémas, mises en valeur par les études que nous venons de mentionner, il nous paraît important de délimiter, par-delà la diversité des matières et des schémas, les critères qui définissent le schéma. Nous appellerons schéma la représentation figurée d'une connaissance, utilisant formes et dimensions pour ne reproduire que les caractéristiques valables pour toute une catégorie d'objets (concepts concrets, installation...) ou de phénomènes, le schéma pouvant avoir un but descriptif ou explicatif. Les schémas dont il sera question ici répondent aux deux critères suivants : 1) figure (utilisation de formes et de dimensions), 2) généralité (expression des caractéristiques valables pour une catégorie d'objets, phénomènes).

Nous nous attacherons plus particulièrement aux recherches qui ont été effectuées dans les dix dernières années, tout en mentionnant les recherches antérieures sur lesquelles les études récentes se sont appuyées. Celles-ci se sont poursuivies dans trois directions complémentaires : la mise en évidence d'un apprentissage de schéma, les conditions d'efficacité d'un schéma (lisibilité, complexité, adéquation à la connaissance à transmettre), le rôle du schéma dans l'assimilation des connaissances.

APPRENTISSAGE DE SCHÉMAS

Cette première direction de recherche concerne la mise en évidence de la capacité d'apprendre un schéma à partir d'objets qui le représentent et d'utiliser cet apprentissage dans des tâches de reproduction, de discrimination ou de catégorisation.

Le concept de scheme pourrait être invoqué. Mais lorsqu'il s'agit de ne retenir que les aspects non aléatoires de dessins ou de formes, de coder leur redondance, on peut considérer que ce qui est appris et mémorisé est, dans certains cas (selon les conditions de l'apprentissage), une figure exprimant ce qui est commun à l'ensemble des dessins, réduite à l'essentiel. Nous utiliserons la notion de schéma dans la mesure où nous insisterons sur le fait que ces recherches apportent une contribution au problème de l'apprentissage (par induction) de l'expression figurée de l'essentiel, bien que ces études ne se limitent pas à cela, et que la notion de schéma elle-même déborde souvent cette définition stricte.

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Un certain nombre d'auteurs ont mis en évidence le fait qu'un schéma permet d'exprimer de façon codée les aspects redondants d'éléments de l'environnement (Attnaeve, 1954 et 1957 ; Oldfield, 1954).

Le matériel utilisé dans l'ensemble des expériences exposées dans cette première partie est décrit par Evans (1964 et 1967). Les auteurs utilisent des dessins dont la forme s'apparente à des histogrammes, constitués grâce à la juxtaposition de colonnes de hauteurs différentes ; pour déterminer la succession des colonnes, les auteurs utilisent sept valeurs qui se suivent selon un processus markovien. Le schéma correspond à la séquence la plus probable dans une même population de dessins (cf. flg. 1).

1) Edmonds et Evans (1966 a) étudient l'apprentissage de schéma et la capacité de transfert de la connaissance acquise.

Dans une phase d'entraînement un groupe expérimental (20 étudiants) doit induire de quinze dessins présentés successivement le schéma (schéma A) que cette population de dessins représente (dessins dont la redondance est de 67 %). Chaque dessin est représenté d'abord complet pendant vingt secondes, puis avec trois lacunes (3 colonnes manquent). Le sujet doit compléter ces lacunes, ce qui permet de contrôler son apprentissage (la bonne réponse nécessitant de tenir compte de la séquence de colonnes la plus probable, c'est-à-dire du schéma). Un groupe contrôle de vingt sujets reçoit un entraînement identique, mais les quinze dessins ne représentent pas un même schéma (dessins de redondance nulle : 0 %). On propose alors aux deux groupes la même épreuve : quinze dessins représentant le schéma A, différents de ceux de la phase d'entraînement, mais de redondance égale, sont présentés successivement d'abord complets, puis avec trois lacunes à compléter. Pour tous les dessins la capacité du canal est de 25,2 bits par stimulus (ensemble des colonnes d'un dessin présentées pendant 20 secondes). Dans aucun cas (entraînement ou épreuve) et pour aucun des deux groupes, les sujets n'obtiennent d'information sur l'exactitude de leurs réponses (complètement des lacunes).

Les résultats sont les suivants : 1) Un apprentissage du schéma par le groupe expérimental a été mis en évidence par une courbe d'apprentissage (nombre moyen de colonnes correctement reproduites en fonction du nombre d'essais). 2) II a été trouvé une capacité d'utiliser cet apprentissage dans la reproduction d'autres dessins faisant partie de la même population : le groupe expérimental réussit mieux la reproduction des dessins de l'épreuve que ceux de l'entraînement, et d'autre part obtient à l'épreuve une performance supérieure à celle du groupe contrôle. 3) En réponse à une question qui leur était posée tout de suite après l'expérience, les sujets du groupe expérimental ont dit ne pas avoir fait usage d'une règle (sous quelque forme que ce soit) pour se remémoriser les colonnes qu'il fallait reproduire dans les dessins à lacunes.

Dessin 1 Dessin 2

Dessin 3 Dessin 4

Schéma

Fig. 1. — Exemple de quatre dessins (d'après Evans, 1967) et schéma correspondant (4, 2, 1, 6, 3, 5, 7)

La séquence est ici composée de colonnes dont les hauteurs peuvent avoir sept valeurs. L'ordre de succession le plus probable des sept hauteurs est le suivant : 4, 2, 1, 6, 3, 5, 7. Chaque dessin est composé de douze colonnes (de sept hauteurs différentes). La redondance de chaque dessin est de 50 %. Chacun commence ici par la hauteur 4 afin de rendre plus clair l'exemple. Mais, en ce qui concerne les dessins présentés aux sujets, le premier élément est toujours déterminé au hasard. D'autre part l'unité de mesure a une longueur de deux carreaux, ce qui permet d'accentuer les différences entre les hauteurs.

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L'apprentissage du schéma semble donc s'effectuer sans qu'il soit nécessaire de formuler une règle.

Dans la mesure où la séquence la plus probable peut être représentée de façon figurée (cf. fig. 1) et où la réponse demandée au sujet consiste en une reconstitution d'éléments relatifs à cette figure, on peut dire qu'il y a apprentissage de schéma, expression figurée de l'essentiel (l'essentiel est ici le non-aléatoire).

Edmonds et Evans (1966 b) dans une recherche ultérieure ont essayé de voir si les résultats obtenus par l'expérience qui vient d'être présentée pouvaient être utilisés pour prédire la performance de sujets dans une tâche équivalente mais concernant des schémas différents : nouvelles séquences de colonnes et nouvelle capacité du canal. Vingt-huit étudiants doivent apprendre un schéma à partir d'exemples qui le représentent selon la procédure indiquée ci-dessus (15 dessins présentés successivement d'abord complets puis avec trois lacunes). Ces étudiants sont répartis en quatre groupes de sept sujets, chaque groupe ayant à apprendre un schéma différent. Dans les quatre cas les dessins ont une redondance de 67 %, mais la capacité du canal est de 10,08 bits par stimulus (présenté pendant 20 secondes) ; chaque dessin est composé de douze colonnes. Aucune différence n'est apparue dans les performances des quatre groupes et celles-ci ont donc été combinées. Une courbe d'apprentissage a été tracée et les auteurs ont montré que l'apprentissage du schéma n'a pas été affecté par le changement dans la capacité du canal. Les pentes des courbes obtenues dans l'expérience précédente et dans celle-ci sont équivalentes.

L'apprentissage du schéma mis en évidence ici à partir d'une tâche de reproduction de lacunes a été mis en évidence dans une autre expérience à partir d'une tâche de classement (Evans et Arnoult, 1967).

Edmonds et Mueller (1967 b) ont alors voulu étudier la capacité d'apprendre non plus un schéma à partir d'exemples qui le représentent, mais plusieurs schémas à partir d'exemples mêlés représentant l'un ou l'autre des schémas. L'intérêt de cette étude vient du fait qu'il s'agit de tâches que les sujets rencontrent fréquemment dans des situations réelles. Cette tâche ajoute à la difficulté d'apprendre chaque schéma celle d'être obligé en même temps de différencier les schémas entre eux. Il s'agissait d'apprendre à quarante-cinq étudiants en psychologie trois schémas qu'ils devaient induire de quatre séries de neuf dessins (12 colonnes ; redondance 67 %). Dans une série de neuf dessins chaque schéma est illustré par trois dessins. Les dessins représentant chaque schéma ne se suivent pas obligatoirement mais sont mêlés à ceux représentant les autres schémas. Après chaque série de neuf dessins, il est présenté trois dessins successifs illustrant un même schéma, l'un des trois schémas par groupe de quinze sujets. Chaque groupe reçoit quatre fois une série de trois dessins du même schéma. Chacun des quarante- huit dessins (4 fois 9 + 4 fois 3) est présenté d'abord complet pendant

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quinze secondes, puis avec trois lacunes (3 colonnes que le sujet doit retrouver). Une courbe d'apprentissage est tracée pour chaque groupe (donc pour chaque schéma) à partir des quatre séries de trois dessins. Les résultats montrent que la difficulté d'apprentissage de chacun des trois schémas est la même et que la courbe de performance de chaque schéma indique un apprentissage ; les résultats sont semblables à ceux obtenus par les auteurs dans leurs recherches précédentes concernant un seul schéma.

Dans une recherche ultérieure (Ed. M. Edmonds et S. C. Edmonds, 1969) les auteurs montrent que l'apprentissage de schémas effectué à partir d'une tâche de classement de dessins représentant deux schémas peut être transféré au classement d'autres dessins illustrant les mêmes schémas.

2) Edmonds, Evans et Mueller (1966) ont montré que l'apprentissage d'une série de schémas différents permettait aux sujets de parvenir à une meilleure maîtrise de l'apprentissage de schémas en général : ils avaient appris à apprendre des schémas. Vingt-huit sujets du groupe expérimental apprennent trois schémas différents, à partir de trois séries successives de quinze dessins (chaque série étant cette fois-ci uniquement composée de dessins représentant un même schéma). Les dessins composés de douze colonnes ont une redondance de 67 %. La tâche finale consiste à apprendre un quatrième schéma. Les vingt- huit sujets sont répartis en quatre sous-groupes de sept de telle manière que l'ordre de présentation des quatre schémas puisse être varié d'un sous-groupe à l'autre. Vingt-huit sujets du groupe contrôle (4 sous- groupes de 7 sujets) reçoivent un entraînement identique (3 séries de quinze dessins) mais aucun schéma n'est représenté par ces séries de dessins (les dessins ont douze colonnes mais une redondance nulle). Une analyse de variance montre : a) que la difficulté d'apprentissage est la même pour les quatre schémas ; b) que le groupe expérimental réussit l'apprentissage du quatrième schéma mieux que le groupe contrôle (différence significative au seuil de .05).

3) Edmonds et Mueller (1967 a) se posent alors le problème suivant : qu'est-ce qui est appris ? Est-ce que les sujets ont appris que telle hauteur de colonne suit telle autre hauteur de colonne, leur apprentissage étant alors le résultat d'apprentissages partiels de caractéristiques distinctes ? Ou bien est-ce que les sujets ont appris un schéma, c'est-à-dire une forme, l'aspect dimensionnel de l'ensemble des colonnes (le schéma que chaque dessin représente) ? Cette question est importante car dans le premier cas il n'y a pas véritablement apprentissage d'un schéma mais d'une somme de caractéristique (ici le fait que telle hauteur suit telle autre). Dans le deuxième cas il y a apprentissage du schéma (forme qui résulte de l'ensemble).

Pour résoudre ce problème, les auteurs entraînent des sujets (66 étudiants en psychologie) à distinguer parmi trois dessins celui qui est le

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plus différent des deux autres (15 séries de 3 dessins, chaque dessin comprenant 12 colonnes). Pour le groupe expérimental deux dessins représentent un même schéma (dessins dont la redondance est de 67 %) et le troisième dessin, de redondance nulle, ne représente aucun schéma. Pour le groupe contrôle les trois dessins ont une redondance nulle. L'entraînement du groupe expérimental consiste donc à discriminer des dessins représentant un schéma du dessin ne le représentant pas, tandis que l'entraînement du groupe contrôle consiste à discriminer des caractéristiques juxtaposées, successives, ne présentant aucune continuité. Une même épreuve de transfert est proposée aux deux groupes. Elle consiste à discriminer des dessins représentant différents schémas. Le groupe expérimental a une réussite supérieure à celle du groupe contrôle. Cela montre que c'est l'entraînement à discriminer l'aspect dimensionnel de dessins qui permet d'apprendre le schéma, et non l'entraînement à discriminer des caractéristiques juxtaposées, isolées les unes des autres.

4) Les dessins peuvent être plus ou moins redondants. Un accroissement de la redondance est lié à un accroissement de la probabilité d'apparition dans le dessin d'une certaine séquence : c'est-à-dire que le dessin est plus proche du schéma. D'autre part, le dessin peut contenir des « bruits », c'est-à-dire des caractéristiques non pertinentes qui contribuent à rendre plus difficile le relevé des caractéristiques pertinentes. Il est intéressant de rechercher l'effet d'une part de la plus ou moins grande redondance, d'autre part des bruits dans l'apprentissage des schémas.

Les auteurs (Edmonds, Walker et Evans, en préparation) s'appuient sur des recherches concernant l'étude de la perception de formes et de dessins (Attnaeve et Arnoult, 1956 ; Posner, 1964) et, surtout, sur les recherches effectuées par Rappaport (1957) qui avait étudié l'effet de l'accroissement de redondance sur la reconnaissance de formes contenant un certain nombre de bruits ; un accroissement de redondance permettait une meilleure reconnaissance en présence de bruits, mais a un effet négatif lorsqu'il n'y a pas de bruit. Edmonds, Walker et Evans (en préparation) trouvent que, en l'absence de bruit, l'accroissement de redondance facilite une tâche de reproduction, mais n'améliore pas la réussite à une tâche de discrimination.

Dans deux autres expériences, Edmonds et Mueller (1970) étudient les effets de bruits et de redondance sur l'apprentissage et l'utilisation de schémas. Les résultats montrent que l'accroissement de la redondance (33 % à 67 %) facilite la performance dans une tâche de reproduction mais n'a aucun effet dans une tâche de discrimination. D'autre part, pour les deux niveaux de redondance et pour chacune des deux tâches, l'accroissement de bruits rend plus difficile la performance.

L'interprétation des auteurs fait intervenir la mémoire qui joue un rôle important dans une tâche de reproduction (où toute l'information

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doit être mentionnée) : l'accroissement de redondance permet un codage plus aisé de l'information car le dessin est proche du schéma. Ce n'est pas le cas dans une tâche de discrimination où le sujet doit s'appuyer sur les différences ; dans ce cas l'accroissement de redondance n'aide pas et peut même gêner.

5) Dans une autre perspective Edmonds et Mueller (1968) montrent que l'apprentissage de schéma peut avoir lieu de façon « accidentelle », à l'occasion d'une tâche de diversion, et sans qu'aucune instruction n'amène le sujet à cet apprentissage.

D'autres recherches trouvent que la connaissance de la bonne réponse (renforcement) facilite le début de l'apprentissage, mais n'a aucun effet sur les performances finales dans des tâches de discrimination (Edmonds, Mueller et Evans, 1966 ; Edmonds et Mueller, 1967 c) et dans l'apprentissage simultané de plusieurs schémas (Edmonds et Mueller, 1968 ; Ed. M. Edmonds et S. G. Edmonds, 1969). Ces résultats sont interprétés par les auteurs à la lumière des hypothèses faites par J. J. Gibson et E. J. Gibson (1955) et Wohwill (1958) ; ils considèrent que la connaissance de la réponse exacte dans une tâche de discrimination facilite la discrimination des caractéristiques pertinentes, mais n'aide pas l'apprentissage du schéma lui-même. Celui-ci consiste en l'apprentissage de variations continues de l'aspect dimensionnel et non d'une somme de caractéristiques isolées. Selon les auteurs, l'apprentissage du schéma ne se conformerait pas à un processus de type S-R, mais consisterait en une abstraction de l'aspect dimensionnel des stimuli.

ADÉQUATION DES SCHÉMAS A CE QU'ILS SONT CENSÉS EXPRIMER

LISIBILITÉ ET COMPLEXITÉ DES SCHÉMAS

Cette deuxième direction de recherche a pour objet l'adéquation des schémas à la connaissance qu'ils doivent exprimer, le décodage par le sujet des schémas qui lui sont présentés. Ces recherches mettent en évidence les conditions qui rendent le schéma plus facile à apprendre, et plus efficace dans la transmission des connaissances.

Les schémas utilisés par les auteurs qui se placent dans cette perspective sont des représentations graphiques d'appareillages électroniques ou électriques, d'objets ou d'ensembles mécaniques. Ces schémas ont une valeur de généralité dans la mesure où il ne s'agit pas de représenter un objet ou un appareillage tel qu'il apparaît effectivement, mais de ne représenter que les éléments de l'objet ou de l'appareillage qui concernent la connaissance à transmettre. Le symbolisme doit donc faire apparaître seulement l'essentiel, et de la façon la plus simple et la moins ambiguë possible.

On peut distinguer, à ce sujet, deux grandes catégories de problèmes :

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1) II faut qu'un schéma ne se prête pas à des ambiguïtés d'interprétation, qu'il y ait adéquation entre le symbolisme utilisé et ce que le schéma a pour but de transmettre. C'est le problème du rapport entre le schéma et ce qu'il représente. 2) II faut qu'un schéma soit le plus simple possible. Cela conduit à l'étude de la lisibilité d'un schéma et au calcul d'un indice de complexité.

Adéquation des schémas à ce qu'ils sont censés exprimer

Le symbolisme utilisé doit être adapté à la connaissance à transmettre. Le but de l'enseignement détermine donc le type de schéma utilisé. Oshanin (1966) a comparé un schéma habituellement utilisé pour représenter un dispositif de lubrification et un schéma qu'il appelle opératif. Le premier se place du point de vue du mécanisme lui-même, c'est-à-dire qu'il donne tous les éléments qui composent le mécanisme et permettent de comprendre sa structure. Le second se place du point de vue de l'opérateur (celui qui doit, non pas construire le mécanisme, mais se servir de ce mécanisme en vue d'un but déterminé). Le schéma opératif ne retient alors que les aspects de l'objet (ou du mécanisme) que l'opérateur contrôle directement. C'est-à-dire que les éléments ne sont retenus que dans la mesure où ils aident à comprendre la conséquence de tel acte effectué sur le mécanisme, pourquoi telle action doit être préférée à telle autre. Ainsi l'image operative ne permet pas seulement de figurer l'objet, mais de comprendre les conséquences des actions effectuées sur cet objet. Les résultats montrent que l'utilisation du schéma opératif permet, à des opérateurs, une performance à la fois plus rapide et mieux réussie (beaucoup moins d'erreurs) que celle du schéma habituel. L'interprétation de l'auteur s'appuie sur un aspect théorique souvent mis en valeur par la psychologie soviétique : l'unité entre l'action et le psychique ; grâce au schéma opératif, il n'y a pas coupure entre la connaissance, la saisie de la réalité et la manipulation, le travail, l'activité effectués à partir de cette réalité.

Fassina (1969) distingue la représentation de la structure géographique de l'objet (position relative des éléments) et celle de sa structure fonctionnelle (interrelation des éléments). Dans le premier cas l'information transmise est descriptive, dans le second cas elle est explicative. La présence de plus ou moins de détails et le niveau d'abstraction de la représentation des éléments permettent aussi de rendre compte de ce que l'on veut transmettre.

Une autre difficulté peut venir de l'interprétation que le sujet fait du symbolisme utilisé. Fischbein (1970) fait remarquer qu'il ne suffit pas d'exprimer une connaissance par un symbole figuratif pour rendre cette connaissance plus accessible au sujet. Le schéma peut, au contraire, faire écran à l'assimilation de la connaissance. Des expériences effectuées par l'auteur avec des élèves de 16-17 ans ont pu mettre en valeur certains

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obstacles que peuvent rencontrer les élèves. Une vérification préalable permet de constater que les sujets connaissent les notions fondamentales d'électrostatique et d'électrodynamique. Puis les mêmes questions leur sont posées, mais en s'appuyant sur une représentation figurée du phénomène. Les erreurs commises dans le second cas (et non dans le premier) sont donc interprétées par l'auteur comme dues à des composantes imaginatives qui amènent le sujet à donner au schéma une signification que celui-ci n'a pas. Voici un exemple : le sujet peut être gêné dans sa réponse par des caractéristiques propres au schéma et non à la connaissance que le schéma transmet ; la question suivante est posée aux sujets : « Plusieurs résistances ~Rlf R2, R3, groupées en série, sont connectées à

Fig. 2. — Schéma de résistances groupées en série et positions successives de l'ampèremètre (A, B, C)

un générateur de courant. On place successivement un ampèremètre dans un point situé entre Ri et R2 (A) puis entre R2 et R3 (B) puis après R3 (C). Les intensités indiquées par l'ampèremètre sont égales ou non ? (cf. flg. 2). » Presque tous les sujets répondent, à tort, que les intensités enregistrées sont de plus en plus petites (alors que leurs réponses étaient exactes lors de la vérification préalable, sans schéma). La présentation figurée des trois résistances qui se suivent amène le sujet à concevoir le point A comme ne dépendant que de la résistance R1} le point B uniquement des résistances Rx et R2, etc. Fischbein met en valeur la nécessité, lorsqu'on utilise un schéma, d'apprendre à l'élève à le décoder et à ne considérer que les aspects pertinents. Fassina (1969) insiste aussi sur cette nécessité d'un entraînement spécialisé à la lecture des schémas.

Lisibilité et complexité des schémas

II s'agit de rechercher comment rendre un schéma le plus lisible possible afin que l'aide apportée par le schéma dans l'assimilation de la connaissance ne soit pas gênée par la trop grande complexité du schéma lui-même. Pour Fassina (1969) les schémas explicatifs et en particulier les schémas de principe sont un moyen d'expression qui facilite plus ou moins la prise de l'information par le sujet. Le schéma facilitera d'autant mieux cette prise d'information qu'il sera plus facilement décodé, plus

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facilement lu par le sujet. Fassina utilise l'apport de la théorie de la forme et celui de la théorie de l'information pour aborder ce problème. La première perspective lui permet de dégager un certain nombre de critères de lisibilité : 1) similarité de deux éléments complémentaires ou ayant un rôle fonctionnel identique ; 2) homogénéité permettant d'obtenir une bonne forme (disposition des éléments, distance séparant des éléments similaires) ; 3) proximité absolue des différents éléments du schéma ; à cette proximité absolue, Fassina ajoute la proximité relative des éléments : si la distance entre les éléments formant un même sous- ensemble est inférieure à la distance entre les sous-ensembles, la lecture du schéma est facilitée ; 4) nombre de coudes et de croisements, un trop grand nombre de coudes et de croisements rendent le schéma peu clair. La deuxième perspective permet d'obtenir des facteurs de complexité (on peut se référer aux travaux de Rigney et coll., 1963 et 1964 ; Goldman et Hart, 1965). Les principaux facteurs que l'on peut évoquer sont le nombre d'éléments (un schéma est d'autant plus complexe qu'il comporte plus d'éléments) , la probabilité d'apparition de chaque élément, le « bruit » (éléments non pertinents perturbant la lecture du schéma).

Mais il est important de chercher à évaluer la complexité par une méthode de quantification qui tienne compte de ces facteurs. Fassina (1969) en s'appuyant sur les données établies par Attnaeve (1959), Ber- lyne (1960) et Terwilliger (1963) étudie la complexité de schémas explicatifs, essaie de dégager les critères permettant d'en définir la lisibilité.

L'auteur montre d'abord que la lecture et la représentation d'un schéma de principe (amplificateur de tourne-disques) évolue en fonction de la durée de formation des sujets (adultes ayant eu quatre à huit mois de stage). Cette évolution se caractérise par : 1) le passage de l'utilisation de critères topologiques à l'utilisation de critères fonctionnels ; 2) le passage d'une reproduction du schéma « de proche en proche », élément par élément, à une reproduction par sous-ensembles, par groupes d'éléments ayant certains rapports entre eux ; 3) une diminution des difficultés dues aux facteurs non pertinents de présentation du schéma.

Mais si la durée de formation joue un rôle dans la capacité de lecture et de reproduction du schéma, un autre facteur intervient : la clarté du schéma lui-même ; l'apprentissage du schéma et son rôle dans l'assimilation d'une connaissance seront d'autant plus efficaces que le schéma sera moins complexe.

L'auteur effectue l'expérience suivante : deux schémas (le premier concernant un distributeur de tension, le second un amplificateur) sont présentés de seize manières différentes. Chacune des seize présentations de chaque schéma est caractérisée par la présence ou l'absence d'un ou plusieurs des quatre critères suivants : 1) symétrie ; 2) homogénéité de disposition (rapport du nombre d'éléments disposés horizontalement au nombre d'éléments disposés verticalement) ; 3) homogénéité de dimension pour les éléments similaires ; 4) proximité relative des

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éléments (pour qu'un schéma soit clair il est important, par exemple, que la distance entre deux éléments faisant partie d'un même sous- ensemble soit inférieure à la distance entre deux sous-ensembles). Cinquante-sept sujets adultes professionnels (20 monteurs câbleurs, 18 dessinateurs, 13 ATE, 6 ingénieurs) doivent effectuer un classement par rang de chacune de ces deux séries de seize schémas (rang donné d'après un jugement de clarté). Les résultats montrent que les jugements des différents groupes professionnels sont en accord (homogénéité entre les groupes testée par le W de Kendall). De même les deux séries de schémas donnent des résultats semblables. Ainsi les divers groupes professionnels utilisent les mêmes critères pour classer les schémas en fonction d'un jugement de clarté. Une certaine hiérarchisation apparaît entre les critères : prépondérance du critère de symétrie, et, au contraire, rôle limité joué par le critère de proximité relative.

L'auteur propose un indice C permettant de rendre compte de la complexité du schéma :

\log2 npi Up np I \nps + np) \2npmln/ C = A X B X C XD

Les corrélations entre G et les échelles de clarté sont p = .930 pour le distributeur et p = .957 pour l'amplificateur. ndD : nombre de parties différentes quant à la disposition ; n^ : nombre de parties différentes quant à la dimension ; np : nombre total de parties ;

np H : — S Pt log2 Pj> J

î pt : proportion de surface couverte par chaque partie.

A) La complexité du schéma diminue quand la quantité moyenne d'information (H) qu'il transmet diminue ; B) la complexité du schéma diminue quand l'homogénéité de disposition et de dimension des éléments augmente ; C) la complexité du schéma diminue quand le nombre des parties symétriques (nps) augmente ; D) la complexité du schéma diminue quand le nombre de parties parasites diminue (c'est-à-dire lorsque np tend vers le nombre minimum nécessaire : np min).

ÉTUDE COMPARÉE DU ROLE DU SCHÉMA ET D'AUTRES MOYENS D'EXPRESSION

DANS L'ASSIMILATION DES CONNAISSANCES

Les recherches que nous avons exposées précédemment mettent en évidence un apprentissage spécifique de schémas indépendamment d'autres moyens d'expression, et l'adaptation du schéma à la connais-

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sance qu'il doit exprimer et aux sujets à qui il est destiné. Mais le schéma est un moyen d'expression et de transmission des connaissances, et il est le plus souvent utilisé en même temps que d'autres moyens. Il est donc important de rechercher son rôle dans l'assimilation des connaissances et de situer ce rôle par rapport à d'autres moyens d'expression (verbal, algébrique).

Traduction graphique du texte d'un problème et capacité de le résoudre

Une même connaissance peut être exprimée par des symbolismes différents ; il s'agit du passage d'un système d'expression à un autre système d'expression, de la traduction d'une même donnée au moyen de symboles différents (Mialaret, 1967). L'auteur propose le problème suivant (problème A) à des élèves de 6e de lycée : une fermière va au marché avec 185 francs dans sa bourse ; elle vend un lapin 290 francs, un poulet 310 francs et un canard ; elle achète 582 francs de tissus et paie, en outre, 75 francs pour son billet de chemin de fer. Elle rapporte 423 francs. Un schéma traduisant les données de ce problème par des segments de droite est indiqué figure 3. Les résultats montrent que moins de la moitié des élèves sont capables de construire correctement un graphique de ce type pour représenter l'énoncé correspondant.

Afin de rechercher si la maîtrise de certain problème est liée à une amélioration du graphique utilisé pour le résoudre, Mialaret (1967) propose le problème (B) suivant à des élèves en 6e, puis en 5e, puis en 4e (il s'agit des mêmes 23 élèves à qui ce problème a été présenté trois années successives) : « Un propriétaire échange la moitié d'un terrain contre une maison ; il doit verser en plus 300 000 francs. S'il avait échangé le terrain entier contre la même maison, il aurait dû recevoir 60 000 francs. Quel est le prix du terrain et quel est celui de la maison ? » L'auteur distingue les types de réponses suivants : a) aucun graphique ; b) graphique sans intérêt mathématique : représentation d'une maison, d'un rectangle (champ)... ; c) graphique décomposé en sous-graphiques ; chaque sous-graphique ne représente qu'un aspect de l'énoncé (cf. fig. 3) : le sujet représente soit 1 soit 2, soit 1 et 2 séparément ; d) le graphique représente une synthèse de toutes les données (cf. fig. 3) soit en 3 lignes (1), soit en 2 lignes (2). Les résultats montrent que : 1) en 6e, plus de la moitié des réponses sont de type a) ou b) et 20 % sont de type d) ; 2) en 5e, les deux tiers des réponses sont du type a) ou b) et moins de 20 % sont de type d) ; 3) en 4e les trois quarts des réponses sont de type c) et moins de 20 % sont de type d) ; 4) sur les 23 élèves 6 réussissent en 6e, 9 en 5e et 15 en 4e. L'auteur constate que, s'il y a progrès dans la capacité de faire un schéma de la 6e à la 4e, ce progrès ne permet pas aux élèves de parvenir à exprimer de façon figurée l'ensemble des résultats : 15 élèves sur 23 en 4e ne font qu'une juxtaposition de deux schémas (typeej) mais ne parviennent pas à une

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synthèse (type d)). Il fait remarquer que la maîtrise du problème ne s'accompagne pas forcément d'un bon schéma puisque sur 15 solutions exactes en 4e il n'y a que 4 schémas de type d).

Le schéma permet à l'enfant de se détacher du cas particulier pour n'envisager que les relations : « Tous les éléments concrets d'une situation seront traduits par un segment de droite quelles que soient leur nature et leur hétérogénéité » (Mialaret, 1967). Mais pour que le schéma soit utile il faut que le sujet parvienne à le dessiner en fonction d'un

185 290

423

310

582

H 1

75

1/2 terrain 3Û0.000

H I- type c

terrain 60 000

maison 1/2 terrain 1/2 terrain

300 000 300 000 60 000 1/2 terrain 300 000 60 00.0

1/2 terrain " ' 1/2 terrain 1 2

type d B

Fig. 3. — Traduction graphique des problèmes A et B

principe, ou que l'adulte lui présente le principe permettant d'obtenir le schéma.

Ce rôle du schéma a aussi été éclairé par les travaux de Botsmanova. Cet auteur, cité par Mentchiskaia (1966), montre que la construction de schémas pour résoudre des problèmes d'arithmétique, par des enfants d'âge scolaire, amène à découvrir la relation mathématique et à trouver la solution. Pour cet auteur, le schéma permet de parvenir à n'exprimer que l'essentiel, à se dégager de tous les détails inutiles ; il permet d'atteindre une certaine abstraction, mais il garde un caractère concret grâce au fait qu'il s'agit d'une expression figurative.

Rôles respectifs de schémas et d'autres moyens d'expression dans V apprentissage

Un sujet n'apprend pas un principe, une méthode, une relation, indépendamment de leurs moyens d'expression. Plusieurs moyens

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d'expression étant souvent employés simultanément (expression verbale, schéma, symboles algébriques) on peut penser qu'il ne s'agit pas seulement d'une répétition, mais que chacun de ces moyens d'expression a un rôle qui lui est propre, complémentaire aux rôles des autres formes de symbolisme.

Smith (1967), cité par Edling (1968), a comparé l'efficacité de schémas, de mots ou des deux moyens d'expression à la fois, dans l'apprentissage. Il a trouvé que, dans un apprentissage concernant les vecteurs, l'expression graphique seule était plus efficace que les mots seuls ou que les mots accompagnés de graphiques (ces expressions étant simultanées ou successives). Une deuxième direction de recherche (Vezin, 1970 a et 1970 b) consiste à étudier non pas l'efficacité considérée globalement, mais le rôle de chacun de ces moyens d'expression en fonction de la tâche qui est demandée au sujet : un certain nombre de tâches sont proposées au sujet (reproduction, transfert, classification, définition...) afin de préciser le rôle de chacun des moyens d'expression dans l'apprentissage ; il s'agit de rechercher ce que le sujet apprend, quelle est sa capacité lorsque la connaissance lui est communiquée à l'aide de schémas et/ou d'un autre moyen d'expression.

Vezin (1970 a) étudie l'apprentissage d'une méthode de démonstration par des élèves de dix à douze ans (CM2). Le problème présenté aux sujets sous diverses formes est le suivant : « Un ensemble E est composé de trois parties inégales x, y, z. x est plus grand que y et y est plus grand que z. Montrez que z est plus petit que 1/3 E. » E peut représenter un ensemble d'objets (N), une distance (L), une durée (T), un volume (V), un poids (P)... Le problème est présenté aux sujets sans donnée numérique, ce qui les oblige à effectuer une démonstration de façon abstraite, sans l'aide de chiffres particuliers.

Les groupes de vingt sujets (10 garçons, 10 filles) diffèrent selon le symbolisme appris (A segments de droite et leur légende, B verbal : mots et phrase, C algébrique : lettres), les données à partir desquelles s'effectue l'apprentissage ou la reproduction (N ou L) et les données sur lesquelles s'effectue le transfert (P, T...). Des groupes contrôles n'ont aucun apprentissage mais font les mêmes épreuves que les groupes expérimentaux.

Les résultats (cf. tableau I) montrent l'efficacité du schéma (A), le transfert étant cependant meilleur lorsque le schéma n'est pas adhérent aux données de l'apprentissage (N) que dans le cas contraire (L). Deux aspects du symbolisme figuratif peuvent rendre compte de son rôle : il est concis et permet une vision immédiate de l'ensemble des relations et de leurs transformations contrairement au symbolisme verbal qui est peu concis. Il est concret (le sujet voit les relations et leurs transformations) contrairement au symbolisme algébrique.

Une deuxième expérience (Vezin, 1970 b) a permis de mettre en valeur la complémentarité du symbolisme figuratif (schéma) et du

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symbolisme verbal dans la communication des connaissances. Il s'agissait d'apprendre à des élèves de 6e de lycée (11-12 ans) le concept d'inflorescence et ses subdivisions en types d'inflorescences (quatre inflorescences simples sont apprises : grappe, corymbe, ombelle, épi). L'apprentissage de chacun de ces types d'inflorescence dont le nom était indiqué aux sujets se faisait en utilisant soit des énoncés verbaux (V), soit des schémas (S), soit ces deux moyens d'expression à la fois (S + V). Les groupes (S, V, S -f V, contrôle : sans apprentissage) sont de douze à seize sujets (55 % de garçons, 45 % de filles).

TABLEAU I

Efficacité comparée du symbolisme figuratif (A) verbal (B) et algébrique (C)

dans l'assimilation d'une méthode de démonstration

Le signe > indique une différence significative (.01 ou .05) et le signe une différence non significative.

Apprentissage de chacune des relations et de leurs transformations (médianes de notes sur 100)

Reproduction de l'ensemble de la méthode

Transfert de la méthode

Transfert du symbolisme appris dans le cas des groupes A

(les segments représentent des distances, L, ou des nombres, N)

A : 96 B : 93 C : 69

A > contrôle B = C = contrôle

A > contrôle B = G = contrôle

N > L

Les résultats, après avoir indiqué une réussite à l'apprentissage équivalente pour tous les groupes (le nombre d'erreurs oscille autour de 5 %), montrent (tableau II) que chacun des moyens d'expression (S ou V) a un rôle spécifique dans l'apprentissage : une capacité de classification peut être acquise par l'apprentissage de schémas sans commentaires verbaux, seul un apprentissage verbal des caractéristiques du concept permet, à cet âge, l'énoncé de la définition. Mais l'utilisation simultanée des deux moyens (S + V) montre que le commentaire verbal améliore la performance que permettent les schémas lorsque seules des différences fines permettent de discriminer deux schémas (cas de la corymbe).

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TABLEAU II

Rôle du schéma (S) et du symbolisme verbal (V) dans l'apprentissage

en fonction de la tâche demandée aux sujets

Le signe > indique une différence significative (.01 ou .05) et le signe une différence non significative.

Reproduction de schémas (copie et mémoire)

Grappe Ombelle Epi

Gorymbe

Classification

Définition

Dénomination de schémas d'inflorescences composées

en combinant le nom d'inflorescences simples

S = S + V

S + V > S

S > contrôle S + V > contrôle V = contrôle

S = contrôle S + V = contrôle V > contrôle

S > S + V > V

DISCUSSION

A) Un premier fait a été mis en évidence : l'apprentissage de schémas peut s'effectuer indépendamment de toute autre information, soit par induction à partir de cas particuliers représentant le schéma (Edmonds et Evans, 1966 a), soit, inversement, par une présentation du schéma lui-même qui permet, après apprentissage, la reconnaissance d'objets qui l'illustrent (Vezin, 1970 b). Il est intéressant de noter que dans les deux cas les sujets ne semblent pas avoir verbalisé les caractéristiques que le schéma exprime : dans le premier cas les sujets, interrogés après l'expérience, affirment ne pas avoir utilisé de règle ; dans le second cas les sujets dont l'apprentissage utilise seulement le schéma sont capables de classification mais non de définition. Cet apprentissage du schéma peut donc permettre de parvenir à un certain niveau de généralité, d'appréhender les relations ou les caractéristiques pertinentes d'une ou plusieurs classes d'objets. Mais cela signifie-t-il que, dans certains cas, l'usage simultané d'autres moyens d'expression est inutile ? Il s'agit de se demander ce qu'exprime un schéma.

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B) On peut faire l'hypothèse qu'il n'est pas ce qui « reste » lorsqu'on a éliminé d'un objet ou d'un phénomène tous les éléments non pertinents (c'est-à-dire sans rapport avec la connaissance à transmettre). On peut, en effet, penser qu'un objet, un phénomène n'est pas seulement une juxtaposition d'éléments dont certains sont pertinents et d'autres constitueraient des « bruits » ; la non-pertinence peut, par exemple, s'exprimer par une présence plus ou moins marquée des caractéristiques pertinentes.

Le schéma exprime une connaissance générale de façon figurée. Il garde ainsi l'aspect d'un « objet général » dont les différents éléments sont présentés de façon condensée ; par cette condensation, le schéma permet « l'appréhension d'éléments qui dépassent le champ d'appréhension normal » (Oléron, 1963). En effet, le schéma n'est pas seulement une succession de symboles, ou une juxtaposition de symboles ; la position des éléments du schéma dans le plan, et leurs tailles respectives, peuvent permettre d'exprimer une connaissance. Cela donne la possibilité d'exprimer à la fois, simultanément, beaucoup plus de relations ou de caractéristiques que ne pourrait le faire le langage verbal. Mais cette qualité du schéma semble être aussi une de ses limites. Le schéma ne favorise pas la décomposition en éléments, la distinction de différences fines (Vezin, 1970 b), l'analyse de caractéristiques. L'expression verbale fait apparaître ce qui n'est pas directement lisible par la perception (Oléron et coll., 1966).

Une autre difficulté tient au caractère figuratif du schéma. A propos des « schématisations numérales », Revault d'Allonnes (1934) fait remarquer que l'utilisation de symboles verbaux permet de se libérer des dispositifs de position figurée et des effets imaginatifs qu'ils occasionnent. S'il ne représente que l'essentiel de la connaissance, le schéma ajoute à ce qu'il doit signifier les propriétés de la figure elle-même en partie déterminée par le choix d'une représentation particulière entre toutes les représentations équivalentes possibles (Bresson, 1970). D'autre part le schéma peut-il tout représenter, en particulier peut-il exprimer la négation, l'implication, l'antériorité, la causalité (Bresson, 1970) ?

C) Le schéma doit être adéquat à ce qu'il a pour but d'exprimer. Un certain nombre de recherches ont permis de définir des critères d'adéquation et de recherches des indices de complexité des schémas (Oshanin, 1966 ; Fassina, 1969 ; Fischbein, 1970). Certains de ces auteurs insistent sur le fait que l'apport du schéma est fonction de la formation du sujet. Le schéma apparaît ainsi comme faisant partie d'un processus de communication des connaissances qui permet de mettre en valeur sa fonction (Oléron, 1970). On peut penser que le schéma favorise une vue d'ensemble de la connaissance ; il apparaîtrait donc comme intervenant dans un second moment de l'assimilation des connaissances, précédé d'une phase d'exploration de la matière. Ainsi, il paraît intéressant de mettre en valeur un certain nombre de constantes qui rendent compte

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du rôle dans la communication des connaissances des schémas, des résumés, des tableaux de synthèse, et d'étudier les règles de réécriture entre les textes et ces différentes expressions concises de la connaissance.

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