L’Approche Biographique- Théorie, Méthode, Pratiques - Legrand (1993)

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  • 7/26/2019 LApproche Biographique- Thorie, Mthode, Pratiques - Legrand (1993)

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    Anailse

    Psicol6gica

    1992), 4 Io: 499-514

    LApproche Biographique: Thorie M-

    thode Pratiques

    (*)

    MICHEL LEGRAND (**)

    1.

    PERSPECTIVES THEORIQUES

    Dabord une remarque trs gnrale, qui vaut

    tant pour la thorie que pour la pratique: nous

    sommes sur un terrain en voie de constitution.

    Nous sommes sur un chantier. Nous navons

    pas une belle construction dj faite. Nous ne

    pouvons nous appuyer sur une tradition ancien-

    ne, solide, comme la psychanalyse, par exemple.

    Cest dailleurs un des aspects exaltants de

    lentreprise. Ds lors, on ne sait pas non plus

    si on va russir

    construire une maison et, si

    lon arrive construire, sil sagira dune petite

    maison modeste, dune belle villa ou dun buil-

    ding.

    Ce qui veut dire quau plan de

    la

    thorie, on

    bricole encore beaucoup. Je vais vous prsenter

    mon petit bricolage provisoire, qui sappuie sur

    quelques auteurs, en particulier: Politzer, Casto-

    riadis,

    Sve,

    Bourdieu, de Gaulejac, Sartre.

    (*) Ce texte reprend le contenu dun expos fait

    au cours de Franoise Digneffe, le mardi

    5

    dcembre

    1989, 1Ecole de Crimino logie Unive rsit de

    Louvain).

    (**)

    Professeur luniversit de Louvain,

    Fondateur, avec Francis Loicq, de IARBRH

    Associa t ion pour l Approche, la Recherche

    Biographique et la R appropriation de

    son

    Histoire).

    Ltude dtaille de ces auteurs

    (

    lexception de

    Sa r t r e ) e t d e l e u r a p p o r t p o u r l a p p r o c h e

    biographique est dveloppe dans

    Biographie et

    histoire

    de vie.

    Premiers jalons dun parcours

    indit).

    1.1.

    Georges Politzer: Une source inspiratrice

    Dans mon bricolage

    moi, Politzer est un

    peu la source inspiratrice, mythique: il tait

    une fois Politzer)).

    Politzer est un philosophe franais qui, la

    fin des annes 20,

    a

    produit crits flamboyants

    de critique de la psychologie Son oeuvre la plus

    connue est: Critique des fondements de la

    psychologie

    (1928).

    De Politzer, je retiens trois

    ides:

    1

    Lobjet de

    la

    Psychologie

    Lobjet de la psychologie, estime Politzer, est

    ou devrait tre) la vie concrte, dramatique de

    ltre humain, telle quelle sexprime dans des

    choses comme lamour et le mariage, le travail

    ou le mtier, la maladie ou le crime On pourrait

    dire aussi: cest la vie concrte, dramatique de

    ltre humain, telle quelle se dploie dans une

    histoire singulire, dans une biographie.Lobjet

    de la psychologie, crit Politzer, cest lensemble

    des vnements singuliers qui se droulent entre

    la naissance et la mort)).

    2.

    La Mthode

    Quelle pourrait tre la mthode approprie

    ltude du drame, la mthode apte liberer

    les matriaux ncessaires

    la construction dune

    science du drame ou de la biographie? Cette

    mthode, dit Politzer, ne peut tre que la

    mthode du rcit: le rcit dramatique, en

    premire personne, du drame par lacteur mme

    de ce drame.

    499

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    3. Une Thdition Dramatique

    Il existe dj, prcise Politzer, une tradition

    rscientifique ui frequente le drame:

    cest la tradition du thtre, de la littrature,

    du

    roman.

    Voil trois ides de Politzer.

    A

    mon avis, elles

    restent de pleine actualit. Toutefois, ce sont

    seulement des ides inspiratrices, suggestives.

    Elles pointent, elles font index vers un champ.

    Mais tout reste

    accomplir. Comment? Dans

    quelle direction?

    1.2. La

    biographie: un objet complexe

    Nous

    laisserons dabord de ct (provisoire-

    ment) le thme du rcit et la rfrence

    une

    tradition dramatique, pour nous poser la ques-

    tion: la biographie

    OK,

    nous en avons tous une

    sorte dapprhension intuitive;

    mais peut-on

    construire une science de la biographie?

    Et dans

    cette question, je ne mets pas laccent sur le

    mot science, mais sur le mot une:

    Une

    science de la biographie.

    Je poserais lalternative suivante: la biographie

    peut-elle devenir un objet disciplinaire simple,

    ou au contraire nest-elle pas ncessairement un

    objet complexe, en telle sorte que telle ou telle

    discipline ne puisse en clairer que tel

    ou

    tel

    segment, telle ou telle dimension, une science

    totale de la biographie i on veut en

    mantenir lide e pouvant se construire qu

    la faveur dune dmarche interdisciplinaire?

    A

    cette question, ma rponse (banale) sera:

    L a

    biographie est un objet complexe. Il ny a

    pas une discipline qui puisse la rsumer,

    lpuiser. Il ny a pas une science de la

    biographie, il

    y a

    des

    sciences biographiques.

    Et si donc nous voulons maintenir

    tout prix

    lhypothse dune science de la biographie, celle-

    ci

    ne pourra se construire que dans les branche-

    ments et les

    articulations interdisciplinaires

    des

    sciences biographiques.

    1.3. Cornelius Castoriadis: un dcoupage du

    champ

    Pour progresser, je voudrais

    prsent me

    rfrer

    Castoriadis et

    une proposition quil

    met dun dcoupage du champ.

    Castoriadis, franais dorigine grecque, est

    lauteur dune oeuvre considrable dans le

    champ de la philosophie, de lanthropologie,

    des sciences sociales et de la psychanalyse.

    A

    ce stade, je me contente de lui emprunter une

    ide quil a dveloppe en particulier dans

    (d tat du sujet aujourdhui))

    1986).

    Dans ce que nous sommes comme individus,

    Castoriadis distingue

    quatre dimensions.

    Chacun dentre nous est: 1)

    corps,

    organisme

    vivant et

    ce titre dj,

    pour soi

    (en un certain

    sens, rcemment raccentu, ltre vivant en tant

    que vivant est autonome); ( 2 )

    psych,

    savoir

    imaginaire radical, surgissement ininterrompu

    et immatris de reprsentations affectives inten-

    tionnelles;

    3)

    individu social,

    constitu dans

    et par la rencontre avec linstitution sociale;

    4)

    sujet,

    capable (potentiellement) de rflexivit (de

    retour sur soi et de mise en question de soi)

    et de volont (les rsultats de notre processus

    de rflexion intervenant dans la gestion de nos

    actes).

    1.4. es Sciences Biographiques et la Place

    dune Socio-analyse

    On ne peut pas ici dvelopper plus avant le

    contenu des concepts introduits par Castoriadis.

    On montrera donc simplement comment ces

    concepts pourraient tre utiles pour le

    dcoupa-

    ge des sciences ou disciplines biographiques

    et

    pour le

    positionnement,

    lintrieur de celles-

    ci,

    dune socio-analyse

    ou socio-biographie.

    Le

    Tableau

    1

    a t construit

    cet effet.

    1.4.1.

    Commentaires du Tableau

    On a diffrenci des disciplines qui privilgie-

    raient lapproche dune parmi les quatre dimen-

    sions distingues par Castoriadis. Notons que:

    1)

    linventaire des disciplines ne se veut

    nullement exhaustif;

    2)

    par psycho-biologie,

    nous visons le plus gros de la

    psychologie

    exprimentale

    (on pourrait dfendre la thse

    selon laquelle celle-ci a t et est surtout

    compris comme psychologie cognitive ne

    tude de ltre humain comme pour soi vivant);

    ceci nexclut pas toutefois que certains courants

    de la psychologie qui utilisent la mthodologie

    exprimentale ne puissent fournir un apport

    pour ltude dautres dimensions (on pense en

    particulier, dans la psychologie sociale, au

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    TABLEAU

    1

    Dcoupage des sciences biographiques et place dune socio-analyse

    Dimensions

    de Pour soi vivant) Psych Individu social Sujet

    ltre humain

    comme

    tre

    individuel

    Disciplines Psychobiologie Psyc hanaiyse Phnomnologie

    Psychoanalyse)

    Sciences

    - ?

    Biographie

    Biographie Biographie

    biographiques psychanalytique

    dorientation phnomnologique

    socioanalytique

    ou psychobiographie

    ou

    sociobiographie

    courant dit

    identit socialen,

    fond par jfel,

    apport pour une tude de lindividu social); 3)

    la place dune

    socio-analyse

    qui vrai dire

    nxiste pas encore) est dsigne en tant que

    discipline prenant pour objet dtude lindividu

    social: a) le

    terme

    de asocio-analyse est

    emprunt

    Bourdieu on y reviendra): ne pas

    confondre avec sociopsychanalyse)) Grard

    Mendel) ou socianalyse analyse institution-

    nelle en situation dintervention: Lapassade,

    Lourau, Hess,

    ...);

    b) la potentielle) socio-

    analyse se dmarque tant de la sociologie elle

    est tude de

    lindividu

    et non de formes

    collectives) que de la psycho-analyse qui croit

    puiser ltude de lindividu humain, alors

    mme quelle ne sadresse qu la psych, et

    nglige, voire occulte lindividu en tant

    quindividu social .

    On a ensuite tir les implications possibles

    en ce qui concerne les sciences biographiques.

    Notons que: 1) il ne semble pas que la psycho-

    biologie puisse fournir les apports pour une

    tude de la biographie on a toutefois maintenu

    la question en suspens);

    (2)

    on pourrait prendre

    comme modle dune biogmphie phnomnolo-

    gique le premier essai biographique de Sartre

    consacr Baudelaire le premier Sartre

    accentue de manire quasi exclusive le thme du

    sujet et de la libert et, dans le cas de Baudelai-

    re, montre comment lhistoire de ce dernier sorigi-

    ne dans un choix quil a fait de lui-mme).

    Nous avons pu ainsi expliciter les rponses

    que nous avions donnes notre question.

    Y-

    a-t-il une science de la biographie? Non. Il y

    a

    des

    sciences de la biographie et, dans ce cadre,

    il y a construire une discipline nouvelle, une

    approche biographique dorientation

    socio-

    analytique. Ou encore: sil doit y avoir une

    science totale) de la biographie, celle-ci ne

    pourra se constituer que dans larticulation

    interdisciplinaire des sciences de la biographie.

    Deux questions dcoulent de ces rponses:

    1 Peut-on dire davantage au sujet de la

    socio-analyse?

    2

    Peut-on mentionner quelques dmar-

    ches qui travaillent dans loptique de

    larticulation interdisciplinaire?

    1.5.

    Socio-analyse et Sociologie

    Disons dentre de jeu que celui qui parat

    5 1

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    tre all le plus loin dans la position des

    problmes de fond lis la construction de ce

    que jappelle une socio-analyse, est Lucien Sve

    (philosophe marxiste franais, prtendant

    poursuivre le projet de Politzer; auteur de

    Marxisme et Thorie de la personnalit)),

    1969).

    Le

    problme qui se pose ici est le problme

    du rapport de la socio-analyse avec la

    sociologie. On a laiss entendre ci-dessus que

    la socio-analyse devait se gagner la fois contre

    la sociologie et contre la psychanalyse. On doit

    ajouter prsent: la socio-analyse doit aussi se

    construire avec la sociologie. Pourquoi? Parce

    que lindividu social est cet individu qui se

    constitue, a-t-on dit, dans et par la rencontre

    avec linstitution sociale. Sve dit dans son

    langage: la personnalit historico-social2 se

    constitue dans et par lengrenage de lindividu

    humain (vivant psychique) dans les rapports

    sociaux. Do, dira Sve, pour la construction

    de la science de la personnalit historico-sociale,

    la science pilote ne peut tre que la science des

    rapports sociaux, cest--dire pour lui, en tant

    que marxiste, le matrialisme historique. En

    dautres termes, dit plus simplement, le socio-

    analyste doit aussi tre sociologue. On ne peut

    faire de la socio-analyse que si lon a un solide

    bagage sociologique et un cadre de rfrence

    sociologique (sur ce point, lassociation

    laquelie j appartiens, IARBRH, tend se rfrer

    de manire privilgie, bien que non exclusive,

    la sociologie de Pierre Bourdieu).

    Toutefois il y a un

    pige,

    celui de

    rabsorber

    la socio-analyse dans la sociologie et den

    rduire la spcificit irrductible. A cet gard,

    je dirais que: Castoriadis tombe dans le pige;

    Bourdieu peroit lcart, mais ne le travaille pas;

    seul Sve, analysant de manire aigu le

    problme, met des propositions pour llaborer.

    Tant Sve que Castoriadis admettent que,

    dans le social lui-mme

    (en tant que collectif

    irrductible aux individus), on trouve: (Sve) des

    Sve appelle personnalit historico-socialen ce

    que jai appel, avec Castoriadis, lindividu social.

    Mendel parle pour sa part de personnalit

    psychosociale.

    La prtention de Sve est de jeter les bases dune

    thorie de la personnalit humaine qui doit tre pour

    lessentiel, une thorie de la personnalit historico-

    sociale.

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    consistance, de construire une sorte de

    topique

    de la personnalit historico-sociale (qui ne peut

    tre la topique de lappareil psychique freudien).

    Cest sur ce point que Sve met des proposi-

    tions, mais qui, malheureusement, me paraissent

    faible^ ^

    Au fond, Sve

    a

    indiqu une exigence,

    mais il ny a pas lui-mme rpondu. Pour ma

    part, je serais tent our faire avancer

    la

    question, sans penser quil puisse sagir l dune

    solution dfinitive e proposer une thorie

    de lindividu social ou de la personnalit

    historico-sociale fonde sur le concept de

    capitaux (proposition dj suggre par

    Francis Loicq): la personnalit historico-sociale

    serait un

    compos complexe, dynamique,

    historique de capitaux (conomiques, sociaux,

    culturels et symboliques, les habitus y figurant

    comme composants du capital culturel).

    1.6.Essais d Xrticulations Interdisciplinaires

    Faute de temps, je serai trs bref sur ce point,

    me contentant de mentioner deux auteurs:

    Vincent de Gaulejac et Jean-Paul Sartre.

    Dans son

    remarquable essai sur

    La

    nvrose

    de classe)) 1987) Vincent de Gaulejac

    propose

    une dmarche se situant

    larticulation de

    referents sociologiques et psychanalytiques, je

    dirais dans mon langage inspir de Castoriadis:

    larticulation de Iindividu social et de la psych.

    Enfin,

    le dernier Sartre,

    qui ouvre la

    phnomnologie existentielle aux apports du

    marxisme et de ce quil appelle des sciences au-

    xiliaires (travaillant les chanons intermdiaires,

    les mdiations entre le macro-social et lindividu

    singulier) armi lesquelles la psychanalyse

    dbouche,

    travers son essai sur Flaubert

    (Lidiot de la famille, 1971)

    sur une tentative

    de biographie totalisante, articulant individu

    social, psych

    et sujet

    (loriginalit de Sartre

    demeurant de faire apparatre, dans lhistoire

    dune vie, le moment de

    la

    subjectivit).

    Terminons par une dernire question, qui est

    un

    dilemme.

    Faut-il ds

    prsent travailler

    larticulation interdisciplinaire? Nest-ce pas

    prmature? Ny a-t-il pas l une fuite en avant?

    Ne faut-il pas dabord consolider (voire fonder)

    la socio-analyse proprement dite?

    2. METHODE, PRATIQUES

    La science, y inclus une science de la

    biographie, ne peut se construire que dans

    larticulation de la thorie et de la pratique.

    Lucien Sve, malgr ses avances thoriques, a

    compltement fait limpasse sur cette dimension

    pratico-empirique. Se voulant continuateur de

    Politzer, l a nglig lindication mthodologique

    de Politzer, que je rappelais ci-dessus: la

    mthode empirique approprie lapproche de

    la vie concrte, dramatique de lhomme, disait

    Politzer, est la

    mthode du rcit.

    En ce qui nous

    concerne, nous nous rapproprions cette indica-

    tion, en mme temps que nous nous branchons

    de cette manire sur la tradition de lapproche

    par le rcit de vie issue des sciences sociales.

    Avec ceci de spcifique que, pour nous, le rcit

    de vie est plus quune mthodologie qualitative

    de recherche: la pratique du rcit de vie est aussi

    une pratique dintervention. Par l, nous nous

    inscrivons franchement dans la mouvance des

    sciences humaines cliniques.

    2.1.

    Introduction

    2.1.1. Rcit de Vie

    Au dpart, nous pouvons entendre rcit de

    vie dans un

    sens trs large.

    Il y

    a

    rcit de vie

    quand

    une personne concrte, singulire, qui

    parle en premire personne, qui dit je, e

    raconte, raconte sa vie, son histoire, oralement

    ou dans lcrit

    fie

    dis aussi dans lcrit: nous

    retrouvons ainsi la rfrence au roman autobio-

    graphique, qui peut tre un matriau prcieux).

    A partir de l, on peut poser deux questions.

    1.

    Quimplique exactement ce choix

    dapprocher de manire quasi exclusive, lhistoi-

    re dune personne par le rcit de cette histoire

    par la personne

    La

    biographie est aussi un genre historique

    (cf. la biographie des grands personnages histo-

    riques). Or, je ne crois pas quil viendrait

    lhistorien lide dcrire la biographie de

    quelquun en se basant exclusivement sur les

    rcits quil a laisss de lui-mme (par exemple

    Pour

    plus

    dinformations sur

    les

    propositions

    de

    Sve,

    cf.

    M.

    Legrand,

    1983.

    Notons

    le

    double

    sens du

    mot ((biographie)):

    la

    vie, lhistoire dune personne

    et

    lcriture de cette

    vie,

    de cette

    histoire.

    5 3

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    journal intime). Ceux-ci seraient un matriau

    prcieux, mais soumettre la critique histori-

    que et

    complter et recouper par dautres

    documents ou tmoignages.

    2. II y

    a rcit et rcit. Si on considre les

    divisions disciplinaires dont il tait question plus

    haut, la pluralit des sciences biographiques,

    quest-ce qui fait quun rcit est socio-

    analytique,est pertinent du point de vue socio-

    analytique?

    On devrait ici introduire lide de

    dispositif,

    qui peut tre claire par la rfrence

    la

    psychanalyse (qui est pour moi un ple de

    confrontation et de comparaison privilgi). La

    psychanalyse, quand elle se fait pratique, met

    en place un dispositif, le dispositif de ce qui

    sappelle encore souvent la cure. Ce dispositif

    est rgl, norm. On peut penser quil est

    appropri, par les rgles qui lorganisent,

    mobiliser la psych, mettre la psych en tat

    de fonctionnement purifi. Ainsi, le rcit de

    vie qui est inlassablement produit la faveur

    du dispositif psychanalytique, est un rcit de

    vie congnial lordre de la psychobiographie.6

    Do

    ma question: que serait un dkpositifsocio-

    analytique appropri

    ltude, non de la psych,

    mais de ce que jai appel lindividu social?

    2.1.2.

    Rcit de Vie-Recherche et Rcit de Vie-

    Nous avons lhabitude de distinguer deux

    Intervention

    On pourrait toutefois

    se

    poser ia question: ie

    discours produit par la personne en analyse est-il un

    rcit de vie, ft-ce au sens large dfini ci-dessus?

    Le rcit

    de

    vie

    prsuppose un Je

    constitu, alors

    que

    peut-tre la

    mthode

    analytique

    a

    pour sens

    de

    briser ce

    Je

    constitu pour laisser venir, par bribes

    et morceaux, en fragments clats, des productions

    psychiques (fantasmes, rves, ...). Notons que,

    lorsque

    Politzer pensait la mthode

    du rcit, il se

    rfrait

    la

    mthode analytique des

    associations

    libres.

    e

    peux, explique

    Serge Doubrosky dans

    e

    Livre bris)), raconter deux vies qui sont les miennes

    et pourtant diffrentes,

    et

    pourtant tout

    aussi vraies

    lune et lautre, celle

    que je me

    suis construite

    (ou

    quon ma

    construite) en

    analyse,

    sur le

    divan articule

    autour

    de

    loedipe,

    et

    celle

    qui rsulte de

    mon

    tre

    de classe

    et

    de

    race.

    ... Je suis

    quelque

    part

    lintersection

    de schmas qui ne sont pas

    superposa-

    bles.

    Je

    gis

    sous

    un oedipe gros comme une monta-

    gne.

    Je

    geins dans ltau

    des

    contradictions

    de

    classe

    et de race(p. 276).

    Cf. chapitre, ((Lautobiographie:

    de

    Tartempion)) (pp.

    251-277).

    pratiques de lapproche biographique par le rcit

    de vie: la pratique de recherche et la pratique

    dintervention. Entre ces deux pratiques, il

    y

    a la fois des diffrences notables et

    caractristiques, en mme temps que des

    ressemblances

    et des points communs. On ne

    peut pas en effet diffrencier absolument le rcit

    de vie-recherche et le rcit de vie-intervention.

    1.

    Dans les deux cas, il

    y

    a un ou des

    narrateurs,

    un ou

    des narratairi?s. Les narrateurs:

    ceux qui se racontent; les narrataires: ceux qui

    sont en position dcoute et de stimulation du

    rcit des premiers (et qui ne se racontent pas).

    Dans les deux cas, on peut utiliser des

    outils

    techniques simples pour stimuler le rcit (de

    ceux-ci, je parlerai prcisment propos du rcit

    de vie-intervention, parce que cest cette

    occasion quils sont surtout dusage, bien quils

    puissent tre utiliss aussi dans le rcit de vie-

    recherche).

    2. La diffrence principale est dans la

    finalit

    et, partant, lie

    celle-ci, dans une modalit

    du rapport narrateur-narrataire.

    Dans le rcit de vie-recherche, la finalit

    principale est la recherche. Il y a un ou des

    chercheurs qui tudient un thme, une question,

    et ils font la dmarche daller vers des personnes

    concernes par ce thme, par cette question.

    Cest le chercheur qui est demandeur: seriez-

    vous dispos

    maider,

    collaborer avec moi?

    Accepteriez-vous de vous raconter?

    Dans le rcit de vie-intervention, la finalit

    principale est de permettre une

    ou

    des

    personnes de faire un travail sur elle@)-mme(s).

    Les personnes narratrices sont demandeusesde

    ce travail. Dans ce cas, il

    y

    aura versement

    dargent, paiement des narrataires par les

    narrateurs (dans le premier cas, on pourrait

    imaginer linverse: les narrataires paient les

    narrateurs).

    (II faudrait encore ajouter une troisime

    dimension: la

    formation.

    Une finalit qui peut

    tre celle des personnes qui participent comme

    narratrices une activit de rcit de vie-

    intervention, ce peut tre aussi la formation:

    se former

    lapproche et la mthode biogra-

    phique).

    3.

    On ne peut pas opposer de manire absolue

    5 4

  • 7/26/2019 LApproche Biographique- Thorie, Mthode, Pratiques - Legrand (1993)

    7/16

    le rcit de vie-recherche et le rcit de vie-

    intervention: il y a toujours

    la fois recherche

    et intervention, intervention et recherche.

    La personne qui agre la demande dun

    chercheur et accepte, pour lui, de se raconter,

    va aussi effectuer un travail sur elle-mme. On

    peut penser que, si elle accepte, cest quelle

    y

    voit un intrt pour elle-mme. Cette dimension

    doit tre prise en compte.

    Inversement, le rcit de vie-intervention est

    loccasion, pour les narrataires, dune recherche

    poursuivie.

    2.2.

    Le

    Rcit de Vie-Recherche

    2.2.1.

    La

    Recherche dAnne-Marie Daneau

    Mon premier contact avec le rcit de vie-

    recherche a t un contact effectu travers la

    recherche entreprise par Anne-Marie Daneau

    qui a dbouch sur un mmoire prsent la

    FOPA sous le titre: Rom ans personnels. Traits

    dhistoires communes. Trois rcits de vie sur

    la maladie mentale)), 1988). Je voudrais

    mattacher un peu cette recherche, car elle me

    parat exemplaire.

    Le

    point de dpart est le choix dapprocher,

    par la mthode du rcit de vie, le thme de la

    reprsentation sociale de la maladie mentale

    chez desfem me s dorigine ouvrire, hospitalises

    pour la premire fois en psychiatrie.

    2.2.2. Recueil des Rcits

    Comment A.-M. Daneau a-t-elle proced?

    Elle

    a

    trs vite abandonn la rfrence au thme

    de

    la

    reprsentation sociale comme thme privi-

    lgi a priori. Sa dmarche a t trs inductive.

    Elle a obtenu laccord dun hpital psychiatrique

    qui la autorise rencontrer des patients. Elle

    a dabord cre une situation de rencontre avec

    trois patientes volontaires dmarche quelle a

    appel pr-test))), et elle leur

    a

    demand:

    quelles sont pour vous

    les

    questions importan-

    tes? Elle les a coutes, les a enregistres et,

    partir de l, a constitu un premier aide-

    mmoire)), savoir une premire liste de thmes,

    catgories, questions, qui a servi de grille

    dentretien pour le recueil des rcits de vie

    proprement dits.

    Elle a en fait recueilli trois rcits, en situation

    individuelle, donc le rcit de trois patientes

    volontaires diffrentes des trois premires) avec

    lesquelles elle a tabli un contrat prcis: nombre,

    lieu, dure des entretiens: les personnes doivent

    accepter dtre enregistres, elles savent que leur

    rcit servira

    la production dun mmoire, on

    leur garantit la confidentialit; la narrataire

    prcise quelle ne fait pas partie de lquipe

    thrapeutique, et quil ny aura pas de contact

    ce niveau entre elle et le personnel soignant

    de lhpital, ...

    Le

    processus qui se droule alors peut tre

    schmatis comme dans le Tableau

    2.

    La tierce personne)) est une personne qui

    a une exprience de la pratique du rcit de vie

    et qui, entre deux entretiens, aprs avoir lu de

    son ct la retranscription de lentretien, rencon-

    tre le narrataire, laide prendre distance et

    analyser le matriel moment dit dkinteranalyse).

    2.3. Analyse des Rcits

    Aprs la phase de recueil des rcits, vient la

    phase danalyse systmatique du matriau. Pour

    moi, cette phase demeure un problme, que je

    matrise mal. On a un matriau de rcits con-

    crets, touffus, complexes. Comment le dbrouil-

    ler, lanalyser, linterprter de manire mtho-

    dique?

    Ici sopre une rencontre avec les mthodes

    connues comme mthodes

    danalyse de contenu.

    Par ailleus, je signalerais que le texte mthodo-

    logique le plus prcis pour lutilisation du rcit

    de vie comme mthode de recherche est,

    ma

    connaissance, celui de Poirier, Clapier-Valladon

    et Raybaut: es rcits de vie: thorie et pratique

    (1983) .

    Une manire de faire elativement rudi-

    mentaire et artisanale onsisterait dgager

    des thmes et rorganiser le matriau daprs

    ces thmes. Ce qui suppose de repcher tous

    les extraits de rcits qui ont rapport

    chacun

    de ces thmes. Cela peut se faire par le travail

    de lesprit naturel humain): lecture, choix

    des extraits, dcoupage, usage du ciseau et de

    la colle, etc; ou eut-tre ar linterm-

    diaire de lesprit artificiel de lordinateur):

    la question de la mise au point dun programme

    permettant cela reste pose.

    Voici comment, me semble-t-il, A.-M. Daneau

    a. procd. Je distinguerais deux temps de

    fanafyse: 1) Le matriau est rorganis daprs

    5 5

  • 7/26/2019 LApproche Biographique- Thorie, Mthode, Pratiques - Legrand (1993)

    8/16

    TABLEAU 2

    Pd-test

    ide-mmoire

    Premier Entretien 4 guide dentretien

    lecture

    par

    la

    namataire

    __ laide-mmoire

    Deuxime entretien 4

    (et

    ainsi

    de suite)

    des thmes. Ces thmes sont ceux de Iaide-

    mmoire, retravaill et recible au fil des

    entretiens. Dans lcrit final (le texte du

    mmoire), les thmes sont passs en revue, ce

    qui sy rapporte est synthtis, un sens est

    dgag, des extraits de rcit significatifs iilustrent

    ce sens; (2) On ne peut se contenter de ce

    premier temps de lanalyse:

    dans un deuxime

    temps, on procedera a une

    interprtation par

    rattachement une

    ou

    plusieurs hypothses et

    un

    corpus thorique. Dans ce cas dA.-M.

    Daneau, cette opration sest effectue poste-

    riori, aprs coup (pas dhypothse prcise, ni

    de corpus clair

    a

    priori). Voici une hypothse

    qui

    a

    t mise a posteriori: une des sources

    Les rsultats principaux

    de

    la recherche ont t

    synthtissdans un article de Perspectives (12, Dec 988).

    de la souffrance psychique de ces trois femmes

    est la contradition vcue entre deux modles

    de femmes: la femme traditionnelle, pouse et

    mre, et la femme moderne, autonome (un peu

    comme si on leur adressait le message suivant:

    tu dois tre autonome, mais prends garde: reste

    bonne mre et bonne pouse))). Enfin cette

    hypothse a t formule dans les termes dun

    modle thorique issu de Srgio Piro de

    techniche della liberazione,

    1971): pour Piro,

    la souffrance psychique est lie une contradic-

    tion interne (ou un conflit psychique) entre

    deux lignes (intriorises), qui sont elles-

    mmes le reflet, au plan psychique, de lignes

    sociales (on pourrait ici remplacer lignes par

    formes historiques dindividualit)) ou types

    historiques dindividu)), en loccurrence des

    5 6

  • 7/26/2019 LApproche Biographique- Thorie, Mthode, Pratiques - Legrand (1993)

    9/16

    modles de femme)), ou encore par habitus

    de sexe).9

    2.2.4. Autres Recherches

    Anne Noel

    a men, selon la mme mthodo-

    logie quA.-M. Daneau, une recherche sur les

    carrires institutionelles en psychiatrie (cf. Car-

    rire psychiatrique et histoire de vie)),

    1989).

    -

    patients (alcooliques)) (cf. ci-dessous)

    - femmes maghrbines immigres en situa-

    tion de crise (accueillies dans un home

    daccueil).

    Recherches en cours sur:

    Recherches en projet sur:

    - chmage

    -

    quart monde

    -

    trajectoire sociale de personnes psychana-

    lyses.

    2.2.5. Recherche sur lAlcoolisme

    Francis Loicq et moi-mme avons commenc

    un e recherche

    sur lalcoolisme. Nous bnficions

    gaiement, pour cette recherche, de la collabora-

    tion dYvonne Wetzels, tudiante en psychologie

    luniversit de Louvain, qui prpare son

    mmoire sur le sujet. Dans le cadre de cette

    recherche, nous procdons actuellement au

    recueil de trois rcits de vie de patients

    alcooliquess,

    qui sont ou ont t hospitaliss

    lInstitut Psychiatrique

    La

    Clairire Ber-

    trix (qui nous a offert sa collaboration).

    Notre dispositif de travaii est un peu diffrent,

    s u r

    certains points, de celui dA.-M. Daneau.

    En particulier: (1) nous navons pas procd

    un pr-test; (2) la pratique de linteranalyse

    est moins systmatique.

    Pour une introduction

    O

    en langue franaise,

    cf. mon ouvrage sur la

    ((Psychiatrie alternative

    italienne (1 988).

    A.-M.

    Daneau avait la volont de faire merger

    les thmes pertinents du discours des personnes elles-

    mm es do le sens du pr-test). Elle voulait son

    attitude, au mom ent des entretiens, aussi non directive

    que possible eiie compare mme son coute

    ce que

    les psychanalystes appellent lcoute flottante). Pour

    notre part, par contre, nous avons choisi dexplorer

    systmatiquement le matriau qui est, selon nous,

    pertinent du point de vue socio-analytique. Notre

    Nous avons procd

    une

    tude prliminaire

    de la problematique de lalcoolisme.2 Dansa

    cette tude, nous avons dgag une hypothse

    de travail. Cette hypothse porte sur le moment

    du basculement (notion reprise O. Kuty et C.

    Macquet,

    1988).

    A vrai dire, la notion de bascu-

    lement telle quutilise par ces deux auteurs

    nous parat ambigu. On peut distinguer en

    effect deux moments de basculement. Un

    premier moment de basculement intervient

    lorsquun seuil est franchi dans le rapport de

    la personne lalcool (une manire de formuler

    ce moment serait la suivante: le recours

    lalcool qui tait recherche de solution un

    problme, devient lui-mme problme). Quant

    au deuxime basculement (que semblent privil-

    gier Kuty et Macquet), il correspondrait au mo-

    ment de ltiquetage (souvent auto-tiquetage).

    Notre hypothse porterait plutt sur le premier

    basculement: dans certains cas, le basculement

    correspondrait un moment biographique

    caractris par une surdtermination de contra-

    dictions psychosociales (hypothse issue de de

    Gaulejac et de Piro).

    Il

    faut toutefois insister sur un point: notre

    recherche se veut avant tout exploratoire. Plutt

    qu tester une hypothse (nous prenons

    lhypothse ci-dessus cum grano salis))), elle

    veut servir faire merger des hypothses,

    formulables dans le cadre socio-analytique.

    Ce

    que nous faisons en fait, cest explorer lhistoire

    de vie de lalcoolique selon les perspectives de

    notre approche (mise en jour et exploration dun

    matriau socio-analytique), de faon

    voir si

    la reconstruction que nous pourrons oprer avec

    nos outils de cette histoire de vie pourra jeter

    attitude est assez directive questionnement actif).

    Ce qui ne veut pas dire quon ne puisse se laisser

    surprendre par le matriel et rorienter un

    questionnement en fonction de ce qui

    surgit

    sans avoir

    t attendue

    Nous pratiquons nanmoins linteranalyse car

    celle-ci nous pa rat essentielle simplement, nous ne

    lavons pas pratique chaque fois): elle aide

    la prise

    de recul du narra taire et

    la formulation dhypoth-

    ses. Nous la pratiq uons au sein de lquipe de travail

    (F.

    Loicq est la tierce personne)) de

    M

    egrand et

    inversement; M. Legrand est la tierce pe rsonne )) dY.

    Wetzels).

    Cf.

    M.

    Legrand

    Notes diverses en vue de la

    conce ption dun project sur R cit de vie et alcoolis-

    me

    (1989).

    507

  • 7/26/2019 LApproche Biographique- Thorie, Mthode, Pratiques - Legrand (1993)

    10/16

    un clairage sur le rapport de lalcoolique

    lalcool, sur la

    place

    quest venu occuper lalcool

    dans cette vie. Lentreprise est donc aventureuse.

    Peut-tre notre approche ne projetera-t-elle

    aucun clairage sur ce problme. Peut-tre

    projetera-t-elle un clairage partiel (en toute

    hypothse, notre clairage ne pourra tre que

    partiel). Mon sentiment est que, sans doute,

    nous pourrons clairer

    certains aspects du

    contexte lintrieur duquel la conduite

    alcoolique vient prendre

    sens (nous ne cherchons

    pas des causes et sommes davis comme

    beaucoup quil faut cesser de chercher des

    causes de lalcoolisme). Toutefois, il est possible

    que, lorsque lemballement alcoolique se

    produit, intervient un mcanisme de rpetitiori

    spcifique pour lequel nous navons pas doutil

    danalyse (ce mcanisme serait dun autre ordre,

    peut-tre psychique, que les phnomnes socio-

    analytiques): Philippe Lekeuche (indits et

    conversations prives) voque une sorte de trou

    (homologue ce que les astrophysiciens

    appellent les ((trous noirs))) dans lequel

    sengouffre la vie de lalcoolique ce moment

    et en un certain sens, lalcoolique naurait plus

    dhistoire).

    2.3. Le

    Rcit

    de

    Vie-Intervention

    Comme je lai dj dit, la pratique du rc:it

    de vie-intervention est ce qui fait notre

    origina-

    lit.

    Non pas que nous soyons les seuls dve-

    lopper ce type de pratique (cf. les groupes dirt-

    tervention organiss depuis plusieurs annes par

    V. de Gaulejac et ses collaborateurs sous lintitii-

    le

    Roman familial et Trajectoire sociale).

    On

    peut dire toutefois que de manire gnrale, le

    rcit de vie-intervention est peu pratiqu.

    Cest aussi par l que nous nous inscrivons

    dans la mouvance des

    sciences humaines clini-

    ques.

    3

    l 3

    Je

    nai pas

    la place

    ici pour dvelopper le concept

    de

    science humaine clinique)).

    l

    est plus quurgent

    mon sens de dfendre la dignit et loriginalit

    des

    ((sciences humaines cliniques et

    den

    laborer

    lepistmologie propre. En outre, je pense

    que

    la

    matrice historique des

    sciences

    humaines

    cliniques

    est

    la

    psychanalyse.

    Do limportance

    de celle-ci

    comme

    terme

    de comparaison. Nous avons mesuter

    ce

    que

    nous avons

    en

    commun avec la psychanalyse

    et en mme temps

    ce

    qui nous

    en

    diffrencie.

    On pourrait parler,

    propos de ce que nous

    faisons, de sociologie clinique)) (de Gaulejac)

    ou de psychologie sociale clinique)).

    En quoi consiste le rcit de vie-intervention?

    La pratique de lintervention que nos matrisons

    le mieux, et qui nous semble jusqu nouvel

    ordre la plus fconde, est celle de

    lintervention

    groupale.

    Une pratique individuelle en face

    face, entre un narrateur et un narrataire nest

    nullement exclue, mais nous en avons moins

    dexprience (cest une forme de pratique que

    nous commenons dexplorer en fonction des

    demandes que nous recevons; nous devrons bien

    mesurer lintrt spcifique de celle-ci et ses

    limites par rapport lintervention groupale).

    Toujours est-il que je parlerai ici essentielle-

    ment de la pratique dintervention groupale, qui

    constitue en quelque sorte notre

    mthode-type

    (on sait que les psychanalystes parlent de (cure-

    type).

    Le groupe est compos de

    5 7

    narrateurs

    et dl 2 narrataires, que nous appelons aussi

    animateurs.

    Les narrateurs vont tre stimuls produire

    un rcit.

    Comme je le disais plus haut, pour stimuler

    le rcit, nous utilisons quelques

    outils techniques

    simples

    par exemple14: (a)

    larbre gnalogique.

    Ceci indique notre souci denraciner Ihistoire

    de vie individuelle dans le territoire familial.

    Larbre gnalogique que nous demandons est

    un arbre mocio-analytique)), qui inclut,

    titre

    essentiel, pour chacun des personnages, des

    indicateurs de position sociale (profession,

    tudes,

    ...);

    (b)

    le dessin sur le projet parental;

    (c)

    la lecture dextraits de romans auto-biograp-

    hiques;

    (d)

    la ligne de vie15.

    Sur la base de ces stimulants, chacun des

    narrateurs va tre ainsi amen produire un

    rcit. Chacun disposera, pour son rcit propre,

    dune plage de temps de

    6 8

    heures la dure

    totale dun groupe fluctue donc entre

    30

    et

    50

    heures).

    Le

    rcit peut tre ax de manire privilgie

    sur telle ou telle dimension de la vie,

    selon les

    l 4 Cf. aussi

    V.

    de Gaulejac Les supports

    mthodologiques, pp. 276-289). La list ci-dessous

    est

    indicative, non exhaustive.

    l5 Pour

    ces deux

    derniers outils, nous avons t

    inspirs par:

    J Y

    Rochex, ((Biographie, rapports

    sociaux et rapport

    la scolarit)).

    5 8

  • 7/26/2019 LApproche Biographique- Thorie, Mthode, Pratiques - Legrand (1993)

    11/16

    choix oprs au dpart.

    Par

    exemple, on travail-

    lera davantage sur la trajectoire profissionnelle

    ou

    sur la trajectoire conjugale.16 Toutefois, il

    est clair que toutes les dimensions, tous les

    champs de lexistence sont intriqus: on ne peut

    limiter le rcit

    un seul champ: dans tous les

    cas, des articulations avec dautres champs sont

    prises en compte.

    Que se passe-t-il alors? Jexplorerai brive-

    ment ci-dessous trois phnomnes.

    2.3.1.

    Attitude et Mode dIntervention de

    lAnimateur

    Canimateur

    a

    un rle

    trs actif.

    Il intervient

    beaucoup (ceci diffrencie fortement linterven-

    tion socio-analytique de la psychanalyse).

    E n

    quoi consistent ces interventions?

    Il me

    semble quil faut considrer deux phases: la

    phase dexploration et la phase dhypothse ou

    dinterprtation.

    1

    Dans une premire phase, il sagit pour

    lanimateur de

    stimuler la production de

    matriel pertinent, daider le narrateur

    lexploration. Cela se fait par des questions.

    Canimateur demande des prcisions. Les ques-

    tions poses sont aussi concrtes que possible.

    (Jouvre ici une parenthse importante. Le

    lecteur se demande peut-tre depuis longtemps

    ce quest ce matriel pertinent

    dont on ne

    cesse de parler sans le dfinir prcisment. Nous

    renvoyons ici

    larticle de

    F.

    Loicq Le

    rcit

    de vie centr sur lhritage

    familial et

    la

    trajectoire sociale,

    1987.

    Cet article expose en

    effet de manire trs concrte les

    terrains

    qui

    sont explors par le rcit de vie socio-analytique.

    On verra aussi comment la rfrence aux

    concepts de Bourdieu, notamment aux concepts

    des

    capitaux

    conomiques, sociaux, culturels et

    symboliques, est ici centrale).

    2. Le

    passage de la premire

    la deuxime

    phase est insensible.

    Les

    questions sont dabord

    exploratoires et peuvent se dployer un peu tous

    l6

    On peut

    imaginer dautres possibles, non encore

    explors

    par

    nous,

    par

    exemple, un

    groupe centr

    sur

    la

    trajectoire religieuse

    et

    idologique.

    azimuts. On saperoit aiors que, petit

    petit,

    les questions sont plus orientes. Canimateur

    creuse une question quil approfondit. Un fil

    important apparat lanimateur, quil est

    occup

    drouler.

    Une hypothse est en train

    de slaborer.

    Ceci se fait toujours dans

    linterchange avec le narrateur et reste toujours

    trs prs du matriel concret. Certaines pistes

    sont abandonnes en fonction du matriau

    produit par le narrateur, dautres sont reprises.

    Le

    processus est assez fin et subtil. Toujours

    est-il qu un moment donn, si la piste suivie

    a t fconde, une hypothse se dgage plus

    clairement.

    Au

    dpart, lhypothse a t

    implicite. A un moment donn, elle prend

    consistance. On pourrait dire que ce moment

    est celui

    o

    est formule

    une interprtation

    socio-analytique.

    Une interprtation consistant

    toujours

    mettre en rapport,

    nouer des liens

    entre des lments du matriau qui,

    au

    dpart,

    navaient pas de lien apparent (un exemple

    simple: on mettra en rapport les modalits dun

    choix dtudes avec les modalits du rapport

    un personnage familial, par exemple le pre).

    On signalera enfin une modalit possible

    dintervention de lanimateur qui est dun ordre

    assez spcifique: lintervention de

    recadrage

    sociologique. Il sagit aussi ici dtablir des liens,

    mais non plus entre deux aspects de cette

    histoire de vie et des processus sociologiques

    plus gnraux (par exemple, on indiquera

    comment les volutions dun rapport la

    condition fminine, observes dans une histoire

    concrte, renvoient

    des volutions sociales plus

    gnrales: cette histoire, tout en tant singulire,

    est aussi traverse par luniversel).

    2.3.2.

    Place et Rle du Groupe

    Deux lments sont ici mentionner.

    1.

    Trs vite, les interactions

    dans le groupe

    dintervention,deviennent collectives, grnupales.

    Au dpart, surtout en dbut de session, la

    relation se situe entre le narrateur et lanimateur.

    l7

    Malgr

    que

    lattitude

    de

    lanimateur soit

    trs

    active,

    et

    cela dentre de jeu,

    il

    nest pas faux de

    dire

    quil est en mme temps

    en situation dinsuvoir.

    Chaque histoire est singulire. Il sagit

    chaque fois

    dune dcouverte.

    Il

    nexiste jamais dhypothse

    prdtermine.

    5 9

  • 7/26/2019 LApproche Biographique- Thorie, Mthode, Pratiques - Legrand (1993)

    12/16

    Celui-ci, en quelque sorte, montre la voi-,

    indique le type de travail possible. Puis, petit

    petit, tout le monde intervient, de

    la

    mme:

    manire que lanimateur: questions, demandes

    de prcisions, formulations dhypothses..

    Lanalyse devient groupale.

    2.

    Peu peu, des rsonances se produisen,

    entre les participants. Des comparaisons seffec-

    tuent. On mesure des points communs et des

    diffrences. On continue sa propre analyse eri

    coutant le rcit des autres. Ceci indique incon-

    testablement une richesse spcifique de Iinter-

    vention groupaie. 8

    2.3.3. Transfert et Contre-Transfert Socio-

    Analytique

    Je dfinirai les phnomnes dont on

    va

    parlei:

    ici de la faon suivante: il sagit des

    relation:?

    qui se nouent dans lintervention entre les

    membres du groupe dintervention en rapport

    avec le matriau socio-analytique.

    On peut distinguer trois ordres de

    phnomnes appartenant ce registre: (1) Les

    relations entre les narrateurs. Jen ai parl plus

    haut en termes de rsonances rciproques. Pour

    lanimateur, ces rsonances font partie du

    matriau de lanalyse. Il doit avoir lhabilit de

    les dbusquer, de les reconnatre et de permettre

    ce quelles sexpriment et slaborent;

    (2)

    Les

    relations qui vont du ou des narrateurs vers

    lanimateur:

    il sagit du

    transfert

    socio-

    -analytique proprement dit. Ceci reste encore

    pour moi assez obsur. Jai toutefois pu observer,

    au moins dans un cas, comment certaines posi-

    tions prises dans iintervention par un narrateur

    vis--vis du dispositif de lintervention (critiqule

    du dispositif, rivalisation avec lanimateur)

    rejouaient certaines caractristiques marquantes

    de la personnalit historico-sociale du narrateur.

    En loccurence ici, le transfert sexprimait sous

    forme de rsistance de transfert. La tche de

    lanimateur, alors, comme en psychanalyse, ne

    peut tre que de tenter de reconduire cette

    rsistance aux caractristiques de la personnalit

    historico-sociale du narrateur: faire de La

    l S

    On pourrait dire quune spcificit de

    lintervention groupale est

    de

    produire une surdessit

    de matriau socio-analytique.

    rsistance de transfert une voie daccs au

    matriau socio-analytique; 3)

    es

    relations qui

    vont de lanimateur vers le

    ou

    les narrateurs:

    il sagit du

    contre-transfert socio-analytique

    proprement dit. Ce phnomne, par contre, est

    trs clair mon esprit, puisque je le vis en

    premire personne. Il est invitable que le

    matriau socio-analytique produit par les

    narrateurs suscite des rsonances chez lanima-

    teur, et cela en fonction de ce que lui-mme

    est en tant quindividu social. Il peut sagir, par

    exemple, didentification forte

    un narrateur,

    ou encore de ractions affectives ngatives

    (((mais cest dgueulasse ), qui renvoient ses

    propres origines sociales ou ses valeurs sociales

    intriorises ((cethos))selon Bourdieu). Comme

    en psychanalyse, le contre-transfert socio-

    -analytique peut tre un obstacle, mais aussi une

    ressource. Il est obstacle sil nest pas contrl

    ou matris. Do limpratif de le reconnatre,

    de lanalyser et de sen distancer (naturellement,

    des drapages ne sont jamais absolument ex-

    clus). Ds lors, lorsquil est reconnu, analys,

    maitris, il devient ressource pour llucidation

    et

    la

    comprhension du matriau. Comme le

    psychanalyste, le socio-analyste doit travailler

    avec son contre-transfert. Ceci implique une

    exigence de formation: la formation du socio-

    -analyste omme celle du psychanalyste

    doit commencer par une entreprise de

    socio-

    -analyse personnelle, qui nest jamais acheve,

    toujours

    poursuivre et reprendre.

    Nous terminerons par la question importante

    des effets du rcit de vie-intervention. Par

    nature, en effet, et contrairement au rcit de

    vie-recherche, le rcit de vie-intervention veut

    avoir des effets, et des effets de

    changement,

    sur la personne qui se ra~onte.~uen dire?

    Il nous parat important de distinguer

    deux

    types deffet

    induit par le dispositif: (1) L e

    premier effet recherch par le dispositif est de

    permettre aux personnes deffectuer un travail

    l9 Ceci

    ne

    veut pas dire

    que le rcit

    de vie-recherche

    ne

    puisse

    pas

    avoir deffets. Nous pensons que tout

    rcit de vie-recherche doit tre attentif

    ces

    effets

    possibles. Nous voulons simplement dire que ce nest

    pas le but

    poursuivi.

    Dans

    ce

    cas

    a premire exigence

    dontologique est

    en

    tout cas de

    ne pas nuire.

    51

  • 7/26/2019 LApproche Biographique- Thorie, Mthode, Pratiques - Legrand (1993)

    13/16

    socio-analytique; (2) Le travail socio-analytique

    seffectuant, on devrait pouvoir en attendre des

    effets (((seconds))) sur la personne.

    Cette distinction entre ces deux types deffets

    a galement son parallle en psychanalyse. Le

    premier effet vis par le dispositif psychanalyti-

    que est de stimuler le travail psychique (associa-

    tions, remmorations, fantasmes, rves, ...).

    Toutefois, on sattendra en gnral que ce travail

    psychique, mesure quil seffectue, produise

    des effets que lon qualifiera habituellement de

    ((thrapeutiques)) selon la clbre formule, la

    gurison venant de surcrot))).

    Reprenons successivement ces deux points.

    1 Lactivation du travail socio-analytique

    Jaurais tendance

    dire, daprs mon exp-

    rience,

    quen gnral a marche.

    Quand le

    dispositif est mis en place, a marche et a ne

    peut que marcher (la situation groupale est

    cet gard trs importante).

    Il faudrait toutefois tre plus nuanc: a

    marche en gnral, mais a ne marche pas

    toujours de la mme faon pour tout le monde.

    Des rsistances

    a u

    travail socio-analytique peu-

    vent tre observes, et parfois elles demeurent

    et ne cdent pas. Ces situations doivent encore

    tre rflchies.

    Quels sont les indicateurs que a marche))?

    Il faudrait les systmatiser.

    Lindicateur le plus important nest autre que

    la libration et lafflux

    de

    matriau socio-

    -analytique (comme il sagit, en psychanalyse,

    de libration et dafflux dun matriau de repr-

    sentations psychiques).

    Un exemple. Entre deux sances au cours

    desquelles il travaille, un narrateur recherche et

    trouve une coupure de journal dans laquelle a

    t publi un reportage sur sa grand-mre (le

    thme de larticle est le monde rural, et lui-

    -mme a t conduit

    travailler sur ses origines

    paysannes).

    2. Effets de changement induits par le travail

    Cette question est plus difficile. Il est

    invitable que nous croisions ici le thme de la

    thrapie. A

    cet gard, il faut faire une

    distinction trs importante: (a) En ce qui nous

    concerne, nous navons travaill jusquici

    quavec des normaux: des personnes qui, bien

    socio-analytique

    sr, comme tout un chacun, ont des problmes,

    vivent des difficults, traversent certaines crises

    personnelles, mais qui nont pas bascul dans

    quelque chose qui serait proprement de lordre

    psychopathologique. Si donc lintervention

    socio-analytique est une thrapie ou une quasi-

    -thrapie,* ce nest

    ce jour quune

    thrapie

    pour les normaux, selon lexpression de Robert

    Castel; (b) Lintervention socio-analytique

    pourrait-elle devenir une forme dintervention

    utile pour des personnes qui vivent en tat de

    souffrance psychique de niveau psychopatholo-

    gigue? Nous nen savons rien, et nous abordons

    ce problme avec une extrme prudence.

    Les considrations qui suivent concernent

    donc exclusivement les normaux. Quels pour-

    raient tre, pour eux, les effets dun travail

    socio-analytique?

    Il faudrait ici reprendre une (belle) formule

    que nous avons lhabitude dutiliser (elle figure

    dans la signification de 1ARBRH): nous vou-

    lons contribuer

    une rappropriation, par les

    personnes, de leur histoire, faire en sorte que

    les personnes soient davantage auteurs de leur

    histoire,

    soient

    davantage sujets.

    La formule est utilise aussi bien par

    Castoriadis, parlant de la psychanalyse, que par

    Bourdieu, voquant la socio-analyse. Ce qui ma

    incit construire le bleau 3, qui compare

    psychanalyse

    e t

    socio-analyse, et utilise la

    distinction entre psych, individu social et sujet.

    2.3.4.

    Commentaires du Tableau

    La

    psychanalyse travaille sur la psych et

    linconscient psychique, et tend mettre

    O

    Je tiens

    signaler quAbdelmalek Sayad

    (1979),

    ayant recueilli le rcit de vie dune jeune fille

    algrienne aux prises avec les contradictions de

    limmigration, a estim que la socio-analyse ainsi

    entreprise avait rempli une fonction analogue la

    fonction attendue dune cure. Je dis aussi parfois

    quil1 suffirait, pour que la asocio-analysen devienne

    thrapie, que a se dise et que a se sache (sil est

    vrais quun des facteurs communs essentiels de toute

    thrapie est lattente croyante

    ou

    la foi expectante).

    Mais ce jour, nous ne le disons pas.

    Il est possible que, dans la continuit de la

    recherche entreprise sur lalcoolisme en collaboration

    avec lInstitut Psychiatrique de Bertrix nous puissions

    animer un groupe dintervention avec des patients

    alcooliques de cette institution.

    511

  • 7/26/2019 LApproche Biographique- Thorie, Mthode, Pratiques - Legrand (1993)

    14/16

    TABLEAU 3

    Comparaisondes effets de la psychanalyse et de la socio-analyse

    recodage d e lindividu social en termes de psych

    et nsqlue doccultation)

    Psychanalyse Psych Individu social) Sujet

    T

    en

    tant

    quentreprise. pratique)

    inconscienit psych ique)

    l

    Travail sur la psyche en vue de

    lavnement dun sujet Castoriadis)

    O

    U ctait,

    e

    dois adven ir (Freud)

    Socio-analyse

    en tant quentreprise. pratique)

    Sujet

    T

    ecodage d e la psych

    en term es dindividu social

    et

    risque

    doccultation?

    Psych) Individu soci al

    inconscient social)

    Travail sur lindividu soci al en vue d e

    lavnement dun sujet Bourdieu)

    lindividu social entre parenthses. Lorsquelle

    rencontre lindividu social (et elle ne peut pas

    ne pas le rencontrer), elle en recode les

    expressions dans les catgories de la psych (par

    exemple, elle interprtera le choix profissionne1

    ou le rapport largent en termes dinvestisse-

    ments libidinaux) et par l risque davoir u:n

    effet doccultation de lindividu sociaLZ2Enfiri,

    par ce travail, la psychanalyse vise lavnement

    dun

    sujet, en sorte que, selon la clbre formule

    freudienne

    Wo

    Es war, sol1 Ich werden)) (

  • 7/26/2019 LApproche Biographique- Thorie, Mthode, Pratiques - Legrand (1993)

    15/16

    dune petite libido narcissique... on puisse se

    priver dun instrument qui permet de

    se consti-

    tuer vraiment n peu plus en tout cas

    comme un sujet libre, au prix dun travail de

    r

    ppropriation)) (Choses dites,

    1987, p.26; je

    que qui est insparablement une socio-analyse))

    offre un moyen, peut-tre le seul, de

    contribuer,

    ne fut-ce que par la conscience des dtermina-

    tions,

    la construction, autrement abandonne

    aux forces du monde de quelque chose comme

    un sujet

    k

    ens pratique,

    1980, pp.40-41; je

    souligne).

    Tout cela est bel et bien, dira-t-on, mais

    comment est-ce que cela sapprhende concr-

    tement? Je distinguerais nouveau deux effets:

    (1) Un effet

    dlucidation,

    ou de

    prisede cons-

    cience))

    socio-analytique. Cet effet peut sappr-

    hender dans le processus du travail socio-analy-

    tique activ par le dispositif, il en dcoule direc-

    tement; (2) Un effet de

    changement

    qui se

    manifeste

    au niveau des manires de vivre, des

    choix, des dcisions, qui attesterait quune

    personne est davantage ((auteur de son histoire)).

    Le

    second effet est beaucoup plus difficile

    apprhender. Le passage de leffet 1 leffet 2

    ne va dailleurs pas de soi. Soit une personne

    qui travaille sur sa relation conjugale et devient

    davantage consciente, travers le travail socio-

    -analytique, du rle qua pu jouer dans cette re-

    lation un dcalage culturel entre son conjoint et

    elle. Dans quelle mesure rsultera-t-il de cet effet

    dlucidation ou de prise de conscience une mo-

    dification du rapport au conjoint ou une mani-

    re diffrente de grer une trajectoire conjugale?

    On ajoutera encore que certaines personnes

    arrivent avec des

    questions pragmatiques

    prcises, lies leur trajectoire actuelle. Par

    exemple: comment vais-je grer une reconversion

    profissionnelle? Ou: vais-je ou non reprendre

    des tudes? Dans ce cas, ces questions seront

    directement affrontes, non seulement travers

    llucidation de lhistoire passe (de sorte que

    celles-ci soient redimensionnes et ventuelle-

    ment reformules) qui a conduit ces questions,

    mais aussi travers

    lanalyse de stratgies

    possibles. Et parfois ces personnes nous disent,

    en cours dintervention et aprs quelles aient

    effectu leur tranche de travail socio-analytique:

    jai fait ceci ou cela, jai pos tel acte, que

    je naurais jamais pos auparavant)).

    s

    d ligne). Ou encore: toute entreprise sociologi-

    Je terminerai par

    un exemple.

    Au cours dune

    intervention,

    M.

    reconstruit son histoire

    familia-

    le et personnelle, il travaille sur ses origines

    paysannes, sur la rupture qua reprsente par

    rapport celles-ci son accs

    luniversit, il

    voque son rapport au champ littraire et

    artistique (cinma, photographie, criture) qui

    reste pour lui insuffisamment exploit. Dans ce

    contexte, il parle des oeuvres du cinaste Jean-

    -Jacques Andrien qui le touchent particulire-

    ment en rapport avec sa problmatique person-

    nelle. Au cours dune sance ultrieure, il nous

    amne chacun une photocopie dun texte quil

    a crit. Il sagit dune lettre de 3 pages adresse

    la Revue Les Cahiers du Cinma)). Cette

    lettre ragit une critique du dernier film de

    J. J. Andrien ((Australia)), quil a juge inad-

    quate. On peut

    y

    lire:

    Le

    choix vritable

    implique non une coupure, une rupture, mais

    une confrontation avec ses racines, avec le milieu

    familial et culturel dorigine. Cautonomie ne

    peut se trouver que par la reconnaissance et

    larticulation des multiples rseaux sociaux qui

    tissent chaque tre humain.)) Il nous dit entre

    autre: Enfin jai russi

    terminer lcriture

    dun texte, mme court.))

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