40
L’appropriation des outils de gestion Séminaire du 8 octobre 2018 Amaury GRIMAND Professeur des Universités LEMNA (EA 4272) - IAE de Nantes

L’appropriation des outils de gestion Séminaire du 8

  • Upload
    others

  • View
    2

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: L’appropriation des outils de gestion Séminaire du 8

L’appropriation des outils de gestion

Séminaire du 8 octobre 2018

Amaury GRIMAND

Professeur des Universités

LEMNA (EA 4272) - IAE de Nantes

Page 2: L’appropriation des outils de gestion Séminaire du 8

La prolifération des outils de gestion

Le point de départ de notre réflexion : la prolifération des outils de gestion

(Ségrestin, 2004 ; Moisdon, 2005 ; Aggeri & Labatut, 2012) qui investissent de

nouveaux espaces d’action : la santé, la culture, l’économie sociale, l’université …

Une hyper-instrumentation qui s’accompagne d’effets inattendus

• Echecs répétés d’instruments réputés modernes

• Outils à la destinée fatale : abandon, rejet, utilisation sous-optimale….

• Usages émergents, imprévus, voire détournements d’usages

Les outils de gestion, point aveugle de la recherche en gestion jusqu’au début des

années 1980. Deux positions antagonistes :

La première, qui investit les outils de gestion de toute puissance, en fait le

prolongement de la volonté managériale

La seconde qui s’en désintéresse pour ne voir que jeux d’acteurs et rapports

sociaux

Page 3: L’appropriation des outils de gestion Séminaire du 8

La prolifération des outils de gestion

Une résurgence de travaux puisant à différentes sources d’inspiration :

ergonomie, sociologie de la traduction, approches structurationnistes, socio-

matérialité …

… mais tous animés par une critique de la raison instrumentale

Marcel MAUSS : un objet technique doit être étudié :

• En lui-même

• Par rapport aux acteurs qui s’en saisissent

• Par rapport à l’éco-système dans lequel il s’inscrit

Page 4: L’appropriation des outils de gestion Séminaire du 8

4

Quel(s) rôle(s) jouent les outils de gestion dans l’action collective : Vecteur de

conformation des comportements ? Levier d’apprentissage et/ou de réflexivité ?

Vecteur de légitimation ?

Quelle influence, directe ou indirecte, exercent-ils sur les processus de décision ? De

changement ? D’apprentissage ? D’innovation ?

Quelles sont les conditions de leur appropriation par les acteurs ?

Comment interpréter les détournements dont ils font l’objet ?

Comment piloter le déploiement des outils de gestion en organisation ? Quel rôle

peut jouer le management, notamment intermédiaire, dans ce processus ?

Etudier la dynamique de l’action collective à

travers le prisme des outils de gestion

Page 5: L’appropriation des outils de gestion Séminaire du 8

Des jalons pour une représentation de l’outil …

Sens commun : L’outil est le « moyen, instrument qui sert à réaliser une entreprise,

à accomplir une action » (Girodet, 1976)

En sciences de gestion :

- « tout schéma de gestion reliant de façon formelle un certain nombre de variables

issues de l’organisation et destinées à instruire les divers actes de la gestion :

prévoir, décider, évaluer, contrôler » (Moisdon, 1997)

- « tout dispositif formalisé permettant l’action organisée » (David, 1996)

L’ambivalence des outils de gestion :

5

contraignant l’action des

individus ……. tout en habilitant et

développant leur pouvoir d’agir

créateur de nouvelles

connaissances …

…. mais aussi de nouvelles

relations entre acteurs

Page 6: L’appropriation des outils de gestion Séminaire du 8

Des jalons pour une représentation de l’outil …

Une grille pour interpréter les causes d’essoufflement des outils :

Focalisation sur le seul substrat technique entrainant ritualisation et

autonomisation de l’outil

Sous-estimation de la capacité de réappropriation des outils par les acteurs

Absence de cohérence entre philosophie gestionnaire, support formel,

distribution des relations entre acteurs

Absence de contextualisation de l’outil

PHILOSOPHIE GESTIONNAIRE

VISION SIMPLIFIEE DES

RELATIONS ENTRE ACTEURS

SUBSTRAT

TECHNIQUE

Contexte organisationnel

Contexte institutionnel

Page 7: L’appropriation des outils de gestion Séminaire du 8

L’appropriation …

Selon le sens commun se réfère à l’action de « rendre propre à usage, une

destination »

L’appropriation signale tout à la fois :

• Une maitrise cognitive croissante de l’objet technique, une intégration

significative de cet objet dans les routines de l’acteur (Proulx, 2001)

• Une dimension de création, de nouveauté rendue possible par l’usage

de cet objet (Alter, )

• « Un processus interprétatif, de négociation et de construction du sens

à l’intérieur duquel les acteurs questionnent, élaborent, réinventent les

modèles de l’action collective » (Ségrestin, 2004)

Page 8: L’appropriation des outils de gestion Séminaire du 8

L’appropriation revisitée par Gaston Lagaffe

(D’après Bruno Latour)

Page 9: L’appropriation des outils de gestion Séminaire du 8

L’appropriation revisitée par Gaston Lagaffe

(D’après Bruno Latour)

Page 10: L’appropriation des outils de gestion Séminaire du 8

La critique de la raison instrumentale (1) …

CONCEPTION REPRESENTATIONNISTE

•La diffusion d’un outil est un

processus linéaire, prévisible

•Il y a une césure entre conception

•et usage des outils

•L’essentiel est dans la qualité de

conception initiale de l’outil

•L’outil influence, oriente, prescrit

•les comportements

•L’outil a vocation à représenter

•le réel

•L’acteur est extérieur à l’outil

•Les usages non-prescrits relèvent

•de la transgression

•L’usage de l’outil est animé par un enjeu

de rationalisation de l’action managériale

PERSPECTIVE APPROPRIATIVE

•La diffusion d’un outil est un

processus chaotique

•Conception et usages des outils sont

indissociables

•L’essentiel est dans la dynamique

d’appropriation de l’outil

•L’outil est simultanément habilitant et

contraignant

•L’outil a vocation à impulser un

engagement dans l’action

•L’acteur s’approprie l’outil

•Toute appropriation génère des

usages émergents, imprévus

•L’usage de l’outil procède d’enjeux de

pouvoir, identitaires, symboliques

Page 11: L’appropriation des outils de gestion Séminaire du 8

Critique de la raison instrumentale (2) : la fiction de la prescription

totale et du pilotage automatique de l’organisation par les outils

Le romancier Borges narre la fabrication

d’une carte dont on augmente

progressivement l’échelle jusqu’à ce qu’elle

soit équivalente au territoire (soit une échelle

de 1). Or, à cette échelle :

Non seulement la carte n’est d’aucune

utilité (elle devient impossible à

manipuler)

Mais, de surcroît, elle ne peut davantage

être confondue avec le territoire ! (elle

reste un modèle simplifié du réel)

11

Page 12: L’appropriation des outils de gestion Séminaire du 8

Critique de la raison instrumentale (3)

Outils de gestion et capacité d’action

La qualité d’un outil de gestion est moins liée à son exactitude qu’à sa capacité à

impulser un engagement dans l’action (Weick, 1995)

Une anecdote éclairante : La destinée miraculeuse d’un détachement de soldats

hongrois dans les Alpes

•Au cours de manœuvres dans les Alpes suisses, le jeune lieutenant d’un petit détachement hongrois dépêche une unité de reconnaissance dans une zone sauvage et glacée. Il se met immédiatement à neiger après le départ du groupe. La neige continue de tomber pendant deux jours. Comme l’unité ne revient toujours pas, l’officier est persuadé d’avoir envoyé ses hommes à la mort. Le troisième jour pourtant, l’unité réapparaît. L’un des soldats rescapés affirme qu’ils doivent leur salut à une carte trouvée miraculeusement dans la poche de l’un d’entre eux. L’officier examine la carte. Quelle n’est pas sa surprise quand il constate que la carte ne représente pas les Alpes mais les Pyrénées !

Même un outil ‘faux’ peut être source d’apprentissage car il favorise un engagement dans l’action, un surcroît d’implication, pousse les acteurs à être attentifs les uns aux autres, permet de faire émerger la figure du leader, celui qui a la carte

12

Page 13: L’appropriation des outils de gestion Séminaire du 8

Quatre regards pour penser l’appropriation des outils de gestion

INSTRUMENTAL SOCIOPOLITIQ

UE

COGNITIF SYMBOLIQUE

VISION DE L’APPROPRIATION

L’appropriation

comme vecteur de

rationalisation de

l’action managériale

L’appropriation

comme

expression du

jeu social

L’appropriation

comme

processus

d’apprentissage

L’appropriation

comme processus

de construction

du sens

ENJEUX DOMINANTS

Un enjeu de

prescription et de

standardisation des

comportements

Un enjeu dans la

structuration

des rapports

sociaux

Une source de

réflexivité sur sa

propre pratique

Un vecteur

identitaire

Une source de

légitimation de

l’action

MECANISME DE REGULATION DOMINANT

Régulation de

contrôle

Régulation

conjointe

Régulation

conjointe

Régulation

autonome

13

Page 14: L’appropriation des outils de gestion Séminaire du 8

Les outils de gestion comme support

d’apprentissage organisationnel

L’opportunité d’un suivi longitudinal sur plus de 4 ans de la mise en œuvre de

la norme ISO 26 000 au sein du groupe FLEURY-MICHON.

Une norme qui s’avère un puissant levier d’apprentissage organisationnel :

- un vecteur de décloisonnement et de transversalité dans une entreprise où

domine une culture de silos fonctionnels et le poids des directions

opérationnelles

- une ouverture plus large aux parties prenantes externes notamment les

clients (Cf. dispositif « Venezvérifier » permettant à un panel de clients de

suivre toute la chaine de production du Surimi)

- l’opportunité de réactualiser un modèle culturel peu enclin à communiquer à

l’externe

14

Page 15: L’appropriation des outils de gestion Séminaire du 8

La dimension symbolique des outils

De l’usage de la planification stratégique dans une PME en hypercroissance :

- « Je crois beaucoup plus dans les événements extérieurs que dans les

business plan. Les business plan sont toujours des choses assez rigolotes. On

en a besoin parce que c’est une espèce de guide, mais la réalité est tout à fait ailleurs » (PDG)

- « Les plans à 5 ans, on les construit parce qu’il faut qu’on les construise. Parce

qu’on a en face de nous des gens qui sont habitués à voir des business à 5

ans. Et évidemment, on les construit de façon à ce qu’ils soient articulés

logiquement et bien crédibles » (Contrôleur de gestion)

Un usage symbolique à des fins de légitimation

15

Page 16: L’appropriation des outils de gestion Séminaire du 8

La dimension symbolique des outils …

Un usage purement rhétorique : le cas

des méthodes de planification (PERT)

dans le cadre du projet militaire américain

POLARIS

L’outil dans les faits ne fut jamais utilisé;

s’il joua un rôle important, ce fut parce

que les décideurs politiques externes au

projet crurent que l’outil, modèle de

rationalité, était utilisé…

Page 17: L’appropriation des outils de gestion Séminaire du 8

Une exploration croisée des outils par l’organisation et de

l’organisation par les outils

OUTILS ORGANISATION

Transformation de la structure, des pouvoirs, de la culture

et des systèmes de croyances, etc.

Altération des caractéristiques de

l’outil, révision des objectifs, etc.

Pour que ce cercle vertueux opère, il s’agit de trouver la bonne distance :

Une distance trop forte entre l’outil et l’organisation risque de disqualifier

d’emblée l’outil

Une distance trop faible amoindrit la capacité de l’outil à initier un processus

d’apprentissage et de changement

Page 18: L’appropriation des outils de gestion Séminaire du 8

En guise de conclusion provisoire…

« On peut imaginer une autre logique pour la poursuite du développement du

nouvel outillage gestionnaire, une logique qui créerait une concomitance et des

renforcements mutuels entre le processus de conception instrumentale et celui

de fixation des modalités d’usage, qui serait fondée sur l’organisation d’une

interactivité continue entre les parties prenantes, notamment les professionnels,

et qui consisterait à exploiter au mieux les ‘boucles de retour’ entre les

expériences vécues à la base et l’affinement progressif des modèles d’action »

(J.Cl. Moisdon, 2005).

Page 19: L’appropriation des outils de gestion Séminaire du 8

- Illustration empirique 1 -

Appropriation du changement : la trajectoire

chaotique d’un dialogue de gestion

19

Page 20: L’appropriation des outils de gestion Séminaire du 8

Le point de départ de notre réflexion

L’opportunité d’une recherche-intervention s’inscrivant dans le cadre du

déploiement de la nouvelle vision stratégique d’EDUTEL, organisme public de

formation.

Une trajectoire organisationnelle et stratégique chaotique :

• baisse continue des effectifs inscrits, rapport de la Cour des Comptes

• une contexte de changement radical : transition d’un modèle centré sur l’édition

papier à un modèle centré sur une offre numérique d’enseignement à distance et

une logique de services à l’apprenant

• des relations complexes et instables entre le siège et les 8 sites délocalisés :

transition brutale d’une structure balkanisée à une reprise en mains par le siège

puis le développement d’une structure matricielle …

Une vision stratégique qui peine à s’incarner dans les faits et semble

faiblement appropriée sur les sites.

20

Page 21: L’appropriation des outils de gestion Séminaire du 8

Le point de départ de notre réflexion

Ce blocage dans la diffusion de la nouvelle vision stratégique est rapporté par

l’équipe de direction à deux points essentiels :

- un déficit de culture managériale et un manque de professionnalisation de

la ligne hiérarchique

- un manque de loyauté de la part des directeurs de site et de leurs chefs de

service

Le déploiement d’une instrumentation de gestion s’incarnant dans un outil pivot - le

dialogue de gestion (accompagné d’autres outils de reporting) - est la réponse

apportée à cette double problématique. Il s’agit de traduire la vision stratégique en

objectifs opérationnels pour les sites afin de faciliter son déploiement tout en

contractualisant la relation entre le siège et les sites

Or, après une année d’expérimentation, et en dépit d’une adhésion de principe

(stabiliser la relation entre siège et sites, limiter la concurrence inter-sites, faciliter la

traduction opérationnelle de la stratégie…) le dialogue de gestion ne semble pas

avoir produit les effets escomptés

21

Page 22: L’appropriation des outils de gestion Séminaire du 8

Une logique de recherche-intervention

Une logique de recherche-intervention collective (4 enseignants-chercheurs),

une mise en visibilité de la recherche au travers d’un comité de pilotage

Un objectif dual de production de connaissances et de changement

22

• Explorer les tensions les conflits

de rôles des managers publics

• Explorer le rôle des outils de

gestion dans l’appropriation d’une

vision stratégique

• Développer une culture

managériale en lien avec la

nouvelle vision stratégique

Page 23: L’appropriation des outils de gestion Séminaire du 8

Design de la recherche

Temps 1 - Socialisation des chercheurs

• 3 entretiens avec responsables du projet

• Formalisation du projet

• Présentation du projet en CODIR

Temps 2 - Réalisation de 42 entretiens

semi-directifs

• Auprès équipe de direction

• Auprès des directeurs métiers (DM)

• Auprès des directeurs de site (DS) et de

• leurs N-1 & N-2

Temps 3 - Restitution des résultats

• Auprès du DG, du DGA puis

du comité de direction

Données collectées :

• 800 pages de verbatims

• Plusieurs dizaines de mails

• Nombreux contacts formels et

informels

• Données secondaires

Analyse des données : analyse

thématique émergente

• Restitution d’une monographie

pour chaque site

• Analyse inter-cas

23

Page 24: L’appropriation des outils de gestion Séminaire du 8

Un outil à la destinée fatale…

La confrontation de deux philosophies gestionnaires :

• Pour l’équipe de direction et les directions métiers, un accent exclusif porté sur la

dimension contraignante, voire disciplinante de l’outil :

« L’asymétrie directions métiers/sites n’est pas assumée (…) Cette situation est

problématique car elle amène les acteurs des sites à négocier les décisions des

directions métiers et lorsque la décision est imposée, elle entraine des tombereaux

de reproches » (DM)

• Pour les acteurs sur les sites, un accent porté sur la dimension habilitante de l’outil :

ce dernier est censé participer d’une logique de responsabilisation des sites et

clarifier leurs marges de manœuvre

• La confrontation de ces deux philosophies gestionnaires, faute d’être régulée et mise

en débat, devient rapidement conflictuelle L’outil devient le vecteur de rapports de

force (à tel point que certains directeurs métiers en viennent à formuler les objectifs

opérationnels en lieu et place des directeurs de site).

• « On a essayé d’expliquer pourquoi tel objectif était impossible à mettre en œuvre et,

au final, on le retrouve dans le contrat d’objectifs. C’est pas du dialogue ça ! »

• « Le dialogue de gestion sert à légitimer des décisions qui ont déjà été prises en

amont par les directions métiers »24

Page 25: L’appropriation des outils de gestion Séminaire du 8

Un outil à la destinée fatale…

Une vision du dialogue de gestion portée par l’équipe de direction et les directions

métiers qui porte la marque d’une conception représentationniste :

• Focus sur la conception de l’outil plutôt que ses modes d’usage

• L’outil est conçu comme un vecteur de prescription/d’alignement des comportements

• Son appropriation est pensée comme non problématique

• Focus sur le substrat technique à l’exclusion des deux autres volets (absence de

débat sur la philosophie gestionnaire et les relations entre acteurs)

Au final :

• Renforcement de la stigmatisation des sites

• Exacerbation des relations de défiance réciproque entre le siège et les sites

• Occultation de problématiques organisationnelles plus larges

• « Si les décisions sont contestées, c’est qu’à un moment donné la chaîne

hiérarchique ne joue pas son rôle. Les cadres ne portent pas. Toute décision ! Une

décision qui est prise on discute avant la décision, mais quand c’est décidé, c’est

décidé. Point. On ne livre pas ces états d’âme, on ne cherche pas à torpiller, à

contourner » (SG)25

Page 26: L’appropriation des outils de gestion Séminaire du 8

- Illustration empirique 2 -

L’appropriation des démarches GPEC dans les

entreprises françaises au prisme des accords GPEC

26

Page 27: L’appropriation des outils de gestion Séminaire du 8

La gestion des compétences ou la prégnance

d’un modèle instrumental

Une critique de la vision implicite des outils de gestion sous-tendant les

démarches « compétences » (Antoine et al. , 2006 ; Masson et Parlier, 2006)

Conception figée de l’instrumentation de gestion des compétences

Caractère unilatéral des démarches adoptées

Défaut de contextualisation

Absence d’articulation avec les autres pratiques/outils de GRH

Prétention à l’exhaustivité des outils :

« Le déni de réalité que constitue la croyance en la possibilité de remplacer le

travail ou de le prescrire complètement et qui prévaut aujourd’hui largement dans

la conception des systèmes techniques, organisationnels ou gestionnaires, est à

l’origine de toutes les souffrances au travail, de nombre d’incidents ou d’accidents,

et bien souvent de contre performances économiques » (Freyssenet, 1994)

27

Page 28: L’appropriation des outils de gestion Séminaire du 8

L’appropriation des démarches compétences dans les

entreprises françaises au prisme des accords GPEC

Projet DARES (en partenariat avec le groupe de conseil Alpha)

Thématique de l’appel d’offres : Les accords GPEC : réalités et

stratégies de mise en œuvre

Enjeux :

• Appréhender les attentes des différentes parties prenantes en présence

• Evaluer le contenu des accords et leurs effets sur : 1) le statut de la fonction

RH et les politiques RH, 2) l’intégration GRH-stratégie, 3) le dialogue social

• Analyser le processus de déploiement et la dynamique d’appropriation des

accords GPEC

28

Page 29: L’appropriation des outils de gestion Séminaire du 8

Méthodologie

Une commande de la DARES, division

Recherche Etudes et Statistiques du

Ministère du Travail (Janvier 2011-Juin

2012)

« Accords d’entreprise sur la GPEC :

réalités et stratégies de mise en œuvre »

Un partenariat entre un laboratoire de

recherche et une structure de conseil

spécialisée dans l’accompagnement des

restructurations (groupe ALPHA)

Réalisation de 12 monographies

d’entreprises ayant conclu un voire

plusieurs accords GPEC

SECTEUR ENTREPRISES

BanqueBankpro

Septentrion

Grande

Distribution

Luckydistrib

Distrigroup

Hautes

Technologies

Aerosec

Micro

EnergiePanaflam

Rayona

Automobile

Armauto Andrauto

Omega Diesel

Systems

TerritoireEgal

Detache29

Page 30: L’appropriation des outils de gestion Séminaire du 8

Méthodologie

Un corpus de près de 130 entretiens avec les parties prenantes à l’accord

couplé à une analyse du contenu des accords et des données secondaires (bilans

sociaux, rapports GPEC, rapports sur la parité hommes/femmes, etc.)

Analyse thématique sur l’instrumentation de GPEC support de l’accord : nature

de l’instrumentation, finalités projetées à son endroit, modalités de sa conception,

effets sur les pratiques et le système de GRH, ruptures intervenues dans sa

conception/mise en œuvre, dynamique de son appropriation

Mobilisation d’un cadre d’analyse contextualiste (Pettigrew, 1985)

Contexte

ProcessusContenu

30

Page 31: L’appropriation des outils de gestion Séminaire du 8

Bankpro, une histoire mouvementée …

Une banque moyenne, filiale de l’état hollandais, combinant une offre

sectorielle de financements sur des secteurs typés (cinéma, santé, etc.) et

une gestion des patrimoines entrepreneuriaux associés à ces activités

1143 salariés (dont 2/3 de cadres) se répartissant entre la banque proprement

dite et 3 filiales de gestion d’actifs

Deux plans sociaux, menace de dépeçage en 2008 par un trio de prédateurs,

nationalisation par l’état hollandais et re-privatisation à venir !

Accord GPEC signé en 2008 par l’ensemble des organisations syndicales

Un levier de réorganisation : rapprochement des activités de banque privée et

de banque d’entreprise et développement de la polyvalence

Un levier de réactualisation de la culture interne

Un levier pour sortir des chemins ritualisés du dialogue social

31

Page 32: L’appropriation des outils de gestion Séminaire du 8

Première phase de déploiement du référentiel :

les limites d’une rationalité instrumentale (1)

Une visée de rationalisation des pratiques de GRH adossée à la construction du

référentiel des métiers et des compétences

Un statut d’outil pivot, une mise en cohérence des pratiques de GRH

alimentation du plan de formation par l’analyse des écarts entre compétences

requises et compétences prouvées

dynamisation de la mobilité par l’analyse des proximités de compétences inter-

métiers

instauration d’un cadre de cohérence pour l’entretien annuel

Une entrée par les métiers sensibles vecteur d’alignement avec la stratégie et

source de priorisation des actions GPEC

métiers fondamentaux pour le développement de la rentabilité, métiers dont les

besoins en effectifs sont appelées à subir de fortes variations, métiers impliquant

des actions de transfert des compétences, métiers en tension pour lesquels l’offre

de main d’œuvre est réduite, métiers exposés aux évolutions technologiques,

réglementaires ou organisationnelles

32

Page 33: L’appropriation des outils de gestion Séminaire du 8

Première phase de déploiement du référentiel :

les limites d’une rationalité instrumentale (2)

Un mode centralisé d’élaboration du référentiel en commission GPEC

Un bilan en demi-teinte :

La commission GPEC lieu pertinent d’élaboration du référentiel ?

Une focalisation sur l’outil plutôt que la qualité de son appropriation

Un modèle individualisant de GRH qui peine à s’inscrire dans les faits

33

Page 34: L’appropriation des outils de gestion Séminaire du 8

Deuxième phase de déploiement du référentiel :

une dynamique d’appropriation favorable

Un pilotage déconcentré de la démarche qui permet de travailler par grande

division avec le RRH concerné, des représentants des partenaires sociaux, des

managers

Un processus itératif, un fonctionnement en mode projet

Une GPEC maison, un souci de contextualisation

une volonté de se détacher des référentiels de la branche

une conscience aigue des plans sociaux antérieurs, une volonté de prévenir

tout risque d’assimilation GPEC-PSE

une co-production de l’instrumentation de GPEC

des dispositifs d’accompagnement différenciés selon les populations

Des représentants syndicaux dotés du « regard métier » et de la légitimité

nécessaire

Le SIRH comme outil de mise en visibilité de l’accord GPEC

34

Page 35: L’appropriation des outils de gestion Séminaire du 8

L’outil référentiel,

support d’apprentissage organisationnel

Un vecteur de légitimité pour les Responsables Ressources Humaines :

« Les RRH se sont fait connaître des partenaires sociaux; ils sont rarement, sauf en

cas de litige avec un collaborateur, en première ligne. Ils ont pu discuter avec leurs

collaborateurs, décortiquer les métiers (…) Ca a modifié leur statut, ça a

modifié très fortement leur connaissance de leur périmètre et des métiers exercés

dans leur périmètre »

Une décentralisation et un décloisonnement de la fonction RH

Une source de réflexivité

• des trajectoires de mobilité non-anticipées

• la réactualisation du modèle culturel

• la mise en visibilité des choix stratégiques

L’apprentissage de nouveaux rôles pour les représentants syndicaux. Un pôle

syndical dominant évoluant vers un syndicalisme :

• de partenariat avec la direction sur un projet de GPEC partagé

• de services rendus aux salariés en matière d’accompagnement professionnel

• d’implication dans le contenu, les outils et la mise œuvre de la GPEC

35

Page 36: L’appropriation des outils de gestion Séminaire du 8

Tensions & paradoxes

Un processus chronophage d’actualisation du référentiel qui risque de

miner à long terme la dynamique d’implication des acteurs

Un risque d’instrumentalisation de l’outil référentiel ?

Absence de visibilité sur les moyens alloués à la GPEC

Une articulation problématique avec les autres accords

Une prise de responsabilité et de risque pour les acteurs syndicaux

36

Page 37: L’appropriation des outils de gestion Séminaire du 8

Conclusion

L’outil : un vecteur de rationalisation mais aussi un élément structurant des

relations entre acteurs

Une dynamique d’appropriation qui fait émerger de nouveaux espaces

de discussion notamment entre RRH et managers, direction et

organisations syndicales

Un enjeu majeur des accords GPEC est leur capacité à faire émerger de

nouvelles figures d’acteurs (Dietrich et Parlier, 2007)

Une exploration croisée de l’outil par l’organisation et de l’organisation

par l’outil

37

Page 38: L’appropriation des outils de gestion Séminaire du 8

Prolongements …

Quid de l’articulation de l’outil avec un

système d’outils existant ? Des

interactions et effets système entre outils ?

Quels modèles pour le déploiement des outils de gestion ?

Quels rôles pour le management de proximité dans ce cadre ?

Quelles conséquences pour l’enseignement des outils de gestion ?

38

Page 39: L’appropriation des outils de gestion Séminaire du 8

Les modèles d’implémentation d’un outil de gestion (David, 1998)

39

MODÈLE CARACTÉRISTIQUES PRINCIPALES

Modèle

technocratique

Les efforts portent exclusivement sur le contenu de

l’outil de gestion. Il y a une coupure très nette entre

conception et mise en œuvre. Les concepteurs sont

persuadés qu’ils ont une bonne représentation des

besoins des utilisateurs

Modèle de la

conquête

L’outil est développé par la base ou des managers

intermédiaires, de façon officieuse. Les acteurs tentent

alors de faire valider leur innovation par la hiérarchie

pour le cas échant favoriser sa diffusion à une échelle

plus large

Modèle politique

La conception initiale de l’outil est relativement

sommaire (définition d’un cadre de cohérence ou de

principes directeurs). L’accent est mis sur l’implication

des futurs utilisateurs

Modèle de

l’expérimentation

La hiérarchie décide d’expérimenter localement un outil

de gestion, le plus souvent sur un site pilote

Page 40: L’appropriation des outils de gestion Séminaire du 8

ADAPTATION

Contextualisation de

l’outil / stratégie,

modes d’organisation,

culture, caractéristi-

ques des utilisateurs

- Anticiper les points

de blocage dans la

dynamique

d’appropriation

- Orienter cadre

d’apprentissage par des

actions de formation et

de communication

ENRICHISSEMENT

Enrichissement délibéré

du spectre d’usages de

l’outil et/ ou extension à

d’autres catégories

d’utilisateurs

- Concevoir de nouveaux

usages et/ou nouvelles

catégories d’utilisateurs

INTEGRATION

Articulation de

l’outil à d’autres

outils/ pratique afin

de développer les

effets système

- Evaluer l’impact de

l’outil sur les autres

outils/ pratiques

REGULATION

Prise en compte des

usages imprévus

émergents

- Sélectionner ex

post les meilleures

initiatives locales

- Concevoir les

dispositifs pour gérer

l’interaction entre

phases de conception

et d’usage RH …

LE MANAGEMENT DU PROCESSUS D’APPROPRIATION

ROLE DU MANAGEMENT / DYNAMIQUE D’APPROPRIATION