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Gérard HUBERT-RICHOU [email protected] Pièce en un acte et quatorze scènes L’ARMOIRE DE MA TANTE Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayant droits ou ayant cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou procédé quelconque. CODE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE Article L121 et suivants don art 122-4 :

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Gérard HUBERT-RICHOU

[email protected]

Pièce en un acte et quatorze scènes

L’ARMOIRE DE MA TANTE

Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement

de l’auteur ou de ses ayant droits ou ayant cause est illicite. Il en est de même pour la

traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou

procédé quelconque.

CODE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE Article L121 et suivants don art 122-4 :

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Distribution par ordre d’entrée en scène

12 rôles, plus 5 figurants et trois voix off(Peut se jouer à 8.)

Jordan Marat

Julien Charlotte Corday

Laura L’homme de cro-magnon

Elodie La gardienne

Henri IV Voix off du père

Gavroche-Bara Les visiteurs ( au moins 5)

Jehanne d’Arc La tante Adèle

A PROPOS DES PERSONNAGES

Les cinq jeunes et les personnages d’aujourd’hui sont vêtus de façon courante

et joués le plus naturel possible. Pour les personnages historiques, se référer au

premier livre d’histoire venu afin de styliser les costumes, sans chercher le détail ni la

perfection qui ne sont pas nécessaire dans cette pièce. Ils doivent être interprêtés

plus caricaturale ment.

LE DÉCOR

Un salon-salle-à-manger à la décoration classique. Une armoire sans style ,

mais vieille et moche !

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(Le téléphone, posé sur une table basse, résonne avec insistance. Jordan,

jeune adolescent, entre en trombe, jette à la volée son manteau sur le fauteuil, se

précipite vers l’appareil. En fond de scène, une armoire ancienne, massive, détonne

sur l’ensemble.)

JORDAN: Est-ce que j’arriverai à temps?... Voilà! Voilà! Ne raccrochez pas, surtout,

ne raccrocher pas, je suis là! OOOooooh!...

(Il trébuche, s’affale sur le tapis, nage et décroche à plat ventre)

Allô? Allô? (il souffle comme un phoque)... Oui, Oui! C’est moi, Jordan

l’unique... Non, ce n’est pas un phoque asthmatique, c’est bien moi, en chair et en

os...et, aïe! en bosses... Ouiiii, oui, tout va bien. Je suis un peu essoufflé pour avoir

couru, ma chère Laura... Pourquoi tu m’appelles?...

(il s’assied en tailleur contre la table et branche l’ampli. La voix off de Laura

est enregistrée avec des blancs pour les réponses)

LAURA: Nous avons l’intention d’aller au cinéma, ce soir, tous les cinq! Julien,

Elodie, Christophe, moi.

JORDAN: Excellente idée, mais qui fait le cinquième?...

LAURA: Bah! C’est toi, idiot, sinon je ne te téléphonerais pas.

JORDAN: C’est juste. Où avais-je la tête!... Mes parents ne rentrent que demain...

LAURA: On passe te chercher dans une demi-heure.

JORDAN: C’est un peu court, l’un ou l’autre aurait dû me prévenir ce matin... ou

m’appeler sur mon portable, mais c’est pas grave.

LAURA: Je t’ai laissé un SMS que tu n’as pas dû lire.

JORDAN: Ma batterie était déchargée. (Il se relève, s’assied sur la petite table)

J’espère que c’est un bon film?...

LAURA: Les critiques sont excellentes?

JORDAN: Je me méfie d’autant plus. Bon, c’est d’accord, je vous attends. A tout de

suite, Laura.

LAURA: Salut!

SCENE PREMIÈRE

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(Jordan se lève en raccrochant, se met à l’aise et découvre l’armoire. Il

marque un temps d’arrêt. Apparemment, il ne s’attendait pas à cette rencontre.)

Tiens! La voilà cette fameuse armoire de Tantine. Ils l’ont apportée pendant

mon absence. La gardienne de l’immeuble leur aura ouvert avec son double. Celle-

là, elle ne manque jamais une occasion pour fouiner chez les locataires (Il

s’approche). Bouh! Qu’elle est laide! (Il cherche autour de lui) Dans quel coin obscur

va-t-on pouvoir la dissimuler?... Pourquoi nous a-t-elle fait ça, pauvre tante Adèle? Je

suis ingrat de dénigrer ainsi l’unique souvenir qu’elle nous ait légué. Je l’aimais bien

ma pauvre grand-tante qui vient de nous quitter dans sa quatre-vingt-seizième

année... Elle ne devait plus avoir toute sa tête, la malheureuse... Que Dieu l’ait en sa

sainte garde, comme on disait autrefois.

(Il se tourne vers le public)

Elle nous a laissé un bien horrible et encombrant chef d’oeuvre de l’artisanat

du XIXème siècle... si ce n’est pas le précédent.

(Il découvre une enveloppe sur la table.)

Ah! C’est la lettre explicative, jointe au colis.

( Il la décachète, mais n’y jette qu’un furtif coup d’oeil)

Hon... hon... oui, oui, adorable Tantine, elle est demeurée très petite fille. (au

public) elle parle d’Alice au pays des merveilles, comme si j’avais encore dix ans.

(Il prend du recul pour examiner, une fois encore, l’armoire)

Au moins, si Tantine avait eu l’idée charitable de planquer au fond d’un tiroir

quelques jolis petits billets...

(il jette la lettre sur la table et se plante devant l’armoire dans une attitude de

défi.)

Bon sang de bon sang, qu’elle est laide! Plus je la regarde, plus elle

m’indispose. Je ne peux pas la laisser au milieu de la pièce, mes parents ne vont pas

apprécier.

(Il tente de la soulever)

Impossible de déplacer ce monument d’un millimètre. A cette époque, on

travaillait dans le massif, pas comme aujourd’hui: agglo et polystyrène sont les deux

mamelles de l’ameublement, mais ça offre au moins l’avantage d’être facilement

transportable… A moins qu’il n’y ait des lingots d’or dans un double-fond!...

(Il ouvre la porte de l’armoire et se trouve nez à nez avec le jeune Henri IV qui

s’apprêtait à faire le même geste!)

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(Jordan pousse un cri, referme la porte, se place la main sur le coeur pour

contenir les battements désordonnés de celui-ci, en décrochant vers la cour.)

JORDAN: Je rêve! Je rêve! Ce n’est pas possible !... J’ai des hallucinations... J’AI

CRU VOIR UN HOMME DANS L’ARMOIRE ! Un type en costume du... du XVIème

siècle probablement avec des... des trucs gonflants et une barboteuse ...

Est-ce que ça ferait partie de notre maigre héritage ?... Non, je plaisante, il

s’agit sans doute d’un mannequin. Oui, c’est cela, un mannequin, j’ai regardé trop

vite...

(Il retourne vers l’armoire à pas comptés, l’ouvre avec prudence. On voit Henri

IV qui attend sans impatience. Jordan reste masqué par la porte de l’armoire.)

Houps! Bon sang, je n’ai pas rêvé, il est toujours là et il a l’air bien vivant!

(Il s’éloigne de la porte ouverte.)

Je ne me sens pas très bien tout à coup.

(Il se laisse tomber sur un siège et prend le public à témoin.)

Je perds la boule, hein?... Est-ce un effet de la pollution atmosphérique?

(En se penchant, il jette un furtif coup d’oeil à l’armoire, puis s’adosse à

nouveau, anéanti d’avoir revu la même vision.)

Qu’est-ce que ça signifie?...

(Très royal, Henri IV sort de l’armoire.)

Et il bouge, en plus! Dans dix secondes, il parlera; et dans une minute, on

découvrira qu’on était ensemble à la maternelle!

(Henri IV examine les lieux, un peu étonné de ne rien reconnaître de son

décor habituel.)

Voyons Jordan, un peu de sang-froid, sois raisonnable et logique. (Il se pince)

Aïe! (Subitement la colère le prend, il s’approche du prince Henri et le pince.)

HENRI: Aïe! Mordiou !

JORDAN (au public): Qu’est-ce que j’avais dit: IL PARLE!

(Il se tourne vers son interlocuteur)

Monsieur, j’attends une explication. Qui êtes-vous et que faites-vous chez moi,

SCENE II

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dans MON armoire?... En fin, dans l’armoire de la tante Adèle. Répondez !

HENRI (campé avec fierté): Que ne le savez-vous, manant!

JORDAN (d’abord au public, puis au roi): Comment? Ai-je bien entendu?

HENRI: Manant, que ne le savez-vous, fichtre donc!

JORDAN (au public): Voilà autre chose, le langage aussi est d’époque.

HENRI (roulant les R): Je suis Henri de Navarre!

JORDAN: Ah! Ah! Ah! Henri IV! Hé bien, voyons, oui, pourquoi pas. Henri IV!... Nous

pataugeons dans le folklore! « La caméra explore le temps! » « Surprise sur

prise »(Il change brutalement de ton) Bon, ça suffit la comédie, vous vous payez ma

tête, sortez d’ici espèce de déguisé.

HENRI (toujours roulant les R...quand il y en a!): Sortir! Que non point. je suis céans,

j’y reste.

JORDAN: Tiens, il me semble avoir déjà entendu quelque part la même chose...

Enfin, ce n’est pas possible, je divague. Je me croyais pourtant dans un état normal

en rentrant après sept heures de cours. Je deviens fou ou je me suis trompé

d’étage... et de siècle? (se tournant vers Henri IV) Mon vieux Henri, la plaisanterie a

assez duré. S’il vous plait, qui êtes-vous réellement ?

HENRI (le toise et marche sur lui): Mordiou, quelle insolence! Qui t’autorise à

hausser le ton en présence de ton roi; je te rosserai, je te ferai courber l’échine!

JORDAN (battant légérement en retraite): Vous me prenez vraiment pour un

demeuré.

HENRI: Certes non, damoiseau, quoi que cette attitude arrogante...

JORDAN (dégageant vers le jardin): N’espérez pas me faire avaler ce gag énorme.

Je le connais le véritable “vert galant”. Croyez-moi, il n’a pas du tout votre tête. Alors,

changez de scénario.

HENRI (revient vers lui): Comment m’avez-vous nommé?

JORDAN: Heu... Le vert galant .

HENRI (se détournant pour dominer le peuple que représente le public): Le vert

galant, mordiou! Voilà bien la première fois que j’ouïe un tel surnom. Vert galant, ma

foi c’est flatteur et ça sonne bien. (revient vers Jordan) Ainsi, vous prétendez me

connaître, sans me connaître, tudieu!

JORDAN (à part): Il persiste dans son rôle ridicule. Qu’est-ce que je fais, j’en rigole

ou je lui casse la figure?... Seulement, il a l’air costaud. (à Henri) Si vous aviez

plongé votre vilain nez dans n’importe quel livre d’histoire, avant de vous introduire

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chez moi, mon vieux, vous sauriez qu’Henri IV est un honorable barbu grisonnant. Et

vous ne paraissez guère plus âgé que moi. Vous me racontez des histoires et non

l’Histoire de France. Mes parents sont en voyages, mais je suis assez grand pour me

défendre tout seul. Alors...

HENRI: Jeune hobereau plein de fougue et qui ne manque pas de panache, serais-

tu devin?

JORDAN (au public): Panache, ça aussi, ça me rappelle quelque chose.

HENRI: Serais-tu devin pour me décrire dans le futur?

JORDAN: Le futur? Ce serait plutôt le passé... Enfin, ça dépend d’où on se place.

HENRI (songeur): Porter la barbe, c’est une idée... Sache donc, cher crédule qui

certes me distrait et —je le concède— me plait pour son humeur belliqueuse digne

d’un Béarnais, sache donc qu’avant d’atteindre âge respectable, tout homme passe

par enfance et adolescence, et que moi, Henri de Navarre, ai l’âge que j’ai

aujourd’hui.

JORDAN (applaudissant): Bravo, belle envolée! Mais cela ne modifie en rien le

problème. Qui êtes-vous, imposteur ? Et pour quel motif vous êtes-vous introduit

chez moi?

HENRI (se contenant, nez à nez avec Jordan): Damoiseau, je suis homme jovial,

compréhensif et patient. La situation paraît, il est vrai, cocasse et saugrenue. C’est

pourquoi je ferme les yeux avec magnanimité sur cette outrecuidance et réitère une

ultime fois que bel et bien je me nomme Henri de Navarre. Vous n’avez aucune

raison de mettre en doute la parole d’un roi.

JORDAN (s’asseyant pour refuser plus longtemps l’affrontement): Très bien, parfait.

Dans ce cas, moi, je suis l’empereur Napoléon Bonaparte. (Il place sa main dans sa

chemise pour imiter le vrai et se descend une mèche sur le front)

HENRI: Que Dieu vous garde en sa sainte protection, Napoléon. De quel royaume

êtes-vous le monarque?

JORDAN (bondissant): Cessez vos âneries, la plaisanterie a assez duré. Mes amis

viennent me chercher dans un quart d’heure pour aller au cinéma...

HENRI: Cinéma? Qu’est-ce donc?

JORDAN: Si vous ne filez pas immédiatement, je vous attrape par le fond de la

barboteuse et je vous flanque dehors!

HENRI: Quelle fougue! Quelle hargne! Et quel besoin de pérorer!

JORDAN (se posant sur un autre siège): J’en ai marre, je vais craquer... Mais d’où

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débarquez-vous?

HENRI: Débarquer?... Ah! D’où je viens ? (il désigne l’armoire) Mais de cette alcôve,

bien évidemment.

JORDAN (à part): Il se fiche de moi. ( à Henri) Je sais bien que vous êtes sorti de

l’armoire. Je ne suis ni débile, ni aveugle. Mais pour en sortir, il a fallu y entrer. D’où

venez-vous, à la fin?

HENRI: Entrer, sortir? Tudieu quel charabia! Dites donc, l’impertinent, mon sang

béarnais commence à s’échauffer. Il me vient à l’idée d’appeler à la garde et de vous

jeter en quelque cul de basse fosse ! Le roi se lasse! A la garde! A la garde!

JORDAN (anéanti, à part): Il va ameuter les voisin et la gardienne... C’est un fou en

cavale ou un habile simulateur. Il faut que j’en sache plus... (Apostrophant Henri) Hé!

Riton! Nierez-vous, soi-disant Béarnais, que vous vous trouvez en MA demeure?

HENRI (se plante au milieu de la scène): Etant roi de Navarre, en tout lieu est ma

demeure.

JORDAN (à part): Il s’obstine... Ne pensez-vous pas, sire, que vous vous êtes

quelque peu fourvoyé. Regardez autour de vous. Reconnaissez-vous ici les objets, le

mobilier de votre époque ? (plus bas) Hormis peut-être cette horrible armoire.

(Henri fait un tour d’horizon, quelques pas hésitants; un doute soudain

l’envahit.)

HENRI: Mordiou! Il est vrai; l’étrangeté de l’endroit avait déjà effleuré mon esprit. Ce

mobilier dénote pauvreté d’âme et manque de goût flagrant.

JORDAN (à part): Ce sont mes parents qui seraient heureux d’entendre ça. (à Henri)

Sont-ce les meubles de votre XVIème siècle?

HENRI: Force m’est de reconnaître ne plus me trouver en mes habituels

appartements, ce qui justifie ma belle patience. Avant d’ouvrir la porte d’un certain

petite cabinet particulier, je me trouvais encore en Béarn et... Je suis votre hôte,

Napoléon.

JORDAN (bondissant): Mais ça y est, je comprends votre cinéma mon vieux!

HENRI: Cinéma! encore? Mais qu’est-ce donc, mordiou?

JORDAN: Tu n’es qu’un vulgaire cambrioleur qui a trouvé astucieux de se déguiser.

HENRI (soudain sur ses gardes): Qu’est-ce à dire?

JORDAN: Laisse-moi terminer mon raisonnement. Dans l’éventualité où le... le

client involontaire surgirait à l’improviste, hop! tu joues la folie: “Je suis HenRRRi de

NavaRRRe”, en roulant bien les R pour faire couleur locale. Bravo! Bien imaginé.

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Alors, la victime (moi, en l’occurrence ) excédée flanque le bon roi à la poule au pot à

la porte et tu t’en sors avec les honneurs! Pas de bavure, pas de casse, c’est très

habile!...

HENRI (hors de lui, poings serrés, prêt à bondir): Prétends-tu que ton souverain est

fol? Bien que ne me trouvant plus, par oncque sait quelle diabolique machination, en

mes terres et ne pouvant appeler mes soldats, cet affront sera lavé dans le sang.

Défends ton honneur, si le coeur ne te fais pas défaut, mordiou! (Il dégaine son

épée)

JORDAN: Changement de tactique: les menaces à présent! Si tu approches,

j’appelle les flics (il plonge sur le téléphone et décroche, tend le combiné comme une

arme.)

HENRI: Flic, mordiou, qu’est-ce encore? Ah! Voilà qu’on rampe à présent! Pleutre!

J’y souillerai ma lame, mais n’aurai de cesse de pourfendre ce maroufle! (Il place

attaque sur attaque, esquivées de justesse par Jordan qui roule au sol, saute

derrière le canapé, s’abrite comme il peut.) Goret! Couard ! Coquin! Faquin!

Foutriquet ! Tue ! Tue ! Tue !...

JORDAN: Il est bien capable de me trucider!

HENRI: Je te percerai le foie!

JORDAN (au public): Si ce n’est pas Henri IV jeune, c’est rudement bien imité!...

HENRI : T’embrocherai la rate !

JORDAN : Et il sait manier la rapière, le bougre!...

HENRI : Te crèverai le poumon !

JORDAN : Et si ce n’était ni un fou, ni un simulateur?...

HENRI : Te larderai la panse !

JORDAN : Non, c’est trop délirant...

HENRI : Et te clouerai le cœur !

JORDAN : C’est tout ?…Pour vérifier mon hypothèse, il faudrait que je relise cette

lettre de Tantine, trop vite parcourue... (Se défendant avec une chaise comme

devant un fauve) Stooop!... Stop Je demande une trêve dans les hostilités, sire.

HENRI: Une trêve? Et pourquoi cela?

JORDAN: Je dois vérifier un détail important dans cette missive (désigne la lettre de

loin.)

HENRI: Soit, mais ne t’en crois pas quitte pour autant. (Il salue avec son épée sans

la rengainer.)

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JORDAN: Merci, sire. Si vous avez soif, il y a du jus d’orange et du coca au frigo, de

l’eau au robinet, du Bordeaux, du cinzano et du ricard dans le bar (qu’il désigne).

Mais ne touchez pas au whisky de mon père, il n’apprécierait pas.

HENRI: Boire? Excellente idée. Mais sont-ce là boissons que ces breuvages aux

noms barbares? (Il va vérifier dans le bar)

JORDAN (à part): Ouf, il s’est calmé, voyons la lettre...

(enregistrée pour soulager la voix de l’acteur qui la parcourt seulement des

yeux.)

“Mes chers neveux.

Quand les vautours se seront repus de mes maigres biens, vous

qui vous présentez en troisième ligne, il ne vous restera pas même les

os. Cependant, je pense pouvoir arracher de leurs serres, sans trop de

peine, ma précieuse armoire. Elle sera donc pour vous. Je sais, elle

n’est pas trop moderne, seulement, ce n’est pas une armoire ordinaire.

Ils vous la laisseront car ils ne distingueront jamais la différence. Tant pis

pour eux, elle vaut largement le reste. Vous êtes comme moi, et

particulièrement mon petit neveu Jordan qui est un rêveur. Mon armoire

ne pourra donc tomber en de meilleures mains. Faites-en bon usage et

utilisez à bon escient sa formidable capacité. Pour cela, songez

seulement au miroir d’Alice au pays des merveilles, volume 2. Je ne

peux en dire davantage. Si cette lettre tombait entre leurs sales mains,

elles risqueraient de leur mettre la puce à l’oreille... Ne m’oubliez pas

totalement.

Grosses bises affectueuses.

TANTINE ADÈLE”

JORDAN: Naïve et formidable Tantine. Il suffisait d’écrire cette petite phrase pour

mettre la puce à l’oreille de n’importe qui... “ Songe seulement au miroir d’Alice”.

“Alice de l’autre côté du miroir” de Lewis Carroll. Que veut-elle dire par là ? je ne suis

pas passé à travers le miroir... Armoire à glace ! Euréka ! Je comprends tout !

HENRI: Comprends-tu paltoquet que la trève est consommée?

JORDAN: Quelle trêve?... Ah! Tu es toujours là, toi?

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HENRI: Toujours céans et toujours prêt à te rompre les os car infâme piquette est ce

vin.

JORDAN: Tu le diras à mon père. Henri, j’ai trouvé l’explication de cet étonnant

mystère. Assieds-toi mon cher Henri, je te dois des excuses.

(Henri pose son épée sur la table basse et ils vont s’asseoir l’un à côté de

l’autre sur le canapé.)

HENRI : Je suis tout ouïe.

JORDAN: Voilà, ce n’est guère facile à expliquer, encore moins à comprendre... Je

vais tenter d’être clair. Résumons-nous : tu es né à Pau en... je crois me souvenir...

en 1553.

HENRI: Exact, mordiou !

JORDAN: Cramponne-toi, Henri, tu vas avoir un choc. En ce moment, tu es en l’an

2007.

HENRI (se lève d’un bond): Diantre, par quel sortilège!...

JORDAN (le saisit par l’avant-bras pour le rasseoir): Cette armoire par laquelle tu es

sorti est une sorte de... de passage secret entre nos deux époques. Tu as vu “les

visiteurs” avec Jean Reno et Christian Clavier : O-kkkaayyy !?... Non, suis-je bête. Je

comprends à présent l’allusion de Tantine, suis-moi bien, Henri...

HENRI (déjà debout): Où ça?

JORDAN (le rassied encore): Non, c’est une façon de parler pour dire: suis mon

raisonnement: la glace du l’armoire agit un peu comme le miroir d’Alice… Là non

plus, tu ne peux pas connaître… Excuse. Le miroir contient notre reflet, seulement,

c’est un peu particulier, celui-ci restitue notre image, DANS LE TEMPS! Cela signifie

en clair que nous sommes deux incarnations du même individu à deux époques

différentes.

HENRI: Mordiou! Tu oses affirmer que nous sommes un être unique!... Je serai donc

toi dans quatre siècles! et cette armoire serait cause...

JORDAN: Voilà ! Tu phosphores super ! Tu as saisi. Tu fus moi au XVIème siècle.

HENRI: Nous sommes... jumeaux.

JORDAN: En... quelque sorte.

HENRI (se lève): Sur mon coeur, mon cher frère!

JORDAN (se lève aussi): Dans mes bras Henri.

(Ils se congratulent, au grand soulagement de Jordan, puis se rasseyent.)

JORDAN: Ainsi, je fus Henri IV, c’est flatteur.

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HENRI: Quant à moi qui serai-je?

JORDAN: Jordan Mesquelin, collégien pour l’instant.

HENRI: C’est moins flatteur.

JORDAN: Attends que je fasses mes preuves! Ayant encore quelques gouttes de

sang royal (Il se lève et marche en se pavanant.) je suis promis çà un brillant avenir.

Evidemment , je ne serai pas roi puisque la royauté a été abolie...

HENRI (debout à son tour et s’avançant vers le garçon): La royauté abolie! Mordiou!

Est-ce possible ! (se laissant tomber sur une chaise.)

JORDAN (lui posant paternellement la main sur l’épaule): C’est sévère à encaisser,

mais c’est ainsi, mon pauvre Henri. Hé oui, en 1789, le peuple s’est emparé de la

Bastille, puis a décapité le roi en 1793.

HENRI (anéanti): Décapiter un roi... Quelle horreur ! Epoque décadente...

JORDAN (fataliste): C’est l’Histoire, mon vieux Henri, l’Histoire de France. Entre

nous, si j’ai un conseil à te donner, un conseil secret... (en confidence): Evite à tout

prix de te promener en chariot découvert, le 14 mai 1610, rue de la Ferronnerie.

HENRI: Est-ce tout?

JORDAN: C’est tout, mais c’est capital.

HENRI: Je tâcherai de m’en souvenir d’ici... quarante années.

JORDAN (à part) : Je crains que ce soit en vain.

HENRI: Puisque tu es si savant de mon avenir, compte-moi d’autres événements,

cela m’évitera peut-être quelque bourde d’importance.

JORDAN: L’Histoire de France est ma passion. Je sais que tu vas échapper au

massacre de la Saint-Barthélémy en 1572 et que, si tu fais quelques concessions, tu

deviendras roi de France en 1589...

HENRI (sautant au cou de Jordan) : Un réformé roi de France ? Fantastique mon

frère! Et quelle revanche. Quel pied-de-nez.

JORDAN: Calme ta joie, Henri. Oh! J’oubliais: des copains passent me chercher

dans quelques minutes pour aller au cinéma.

HENRI: Cinéma? Voilà trois fois que tu emplois ce mot. Que signifie-t-il ?

JORDAN: Trop long à t’expliquer. Il ne faut pas que mes amis te trouvent ici, ils ne

comprendraient pas et ça sèmerait une belle pagaille. Il est presque l’heure. (Il

cherche autour de lui) Tiens, tu vas te... (coup de sonnette) Les voilà, ponctuels pour

une fois. Cache-toi dans la salle de bain.

HENRI: Salle de bain?

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JORDAN: C’est vrai qu’au XVIème siècle, l’hygiène..

(Il le pousse vers la coulisse jardin. Nouveau coup de sonnette)

Dans cette pièce carrelée. Ne bouge pas tant que je ne viens pas te chercher.

(Seul, au public) Je vais me débarrasser d’eux en prétextant n’importe quoi. Voilà!

Voilà! J’arrive!

(Il se dirige vers la coulisse cour, ouvre la porte.)

(Entrent Julien, Laura, Christophe et Elodie)

JULIEN: Hé bien, dis donc, Jordan, tu en mets un temps pour ouvrir.

LAURA: Tu roupillais comme une vieille marmotte, je parie.

JORDAN: Bonsoir... Non, non, Laura, je... j’étais dans la salle de bain.

CHRISTOPHE: On se pomponne comme une cocotte! Tu dois être fin prêt.

ELODIE: Nous avons juste le temps d’aller au cinéma avant le début de la séance.

LAURA: Pour une fois que nous sommes à l’heure.

JULIEN: Heureusement car j’ai horreur d’arriver quand le film est commencé.

CHRISTOPHE(ramassant le vêtement de son copain et le lui tendant): Tiens, enfile-

le vite, il fait un froid de canard ce soir.

LAURA: Ne traîne pas comme ça, on dirait que tu n’as pas envie de voir le film.

JORDAN: Ben justement... Il y a un petit changement au programme.

ELODIE: Qu’est-ce que tu veux dire?

LAURA: C’est un film super.

JORDAN: Je n’en doute pas, mais...

JULIEN: Ma soeur l’a vu la semaine dernière, elle a été enthousiasmée.

CHRISTOPHE: Bon, Jordan, tu te secoues?

JORDAN: Désolé, allez-y sans moi, je ne me sens pas très bien. J’ai dû attraper

froid.

ELODIE: Ne fais pas la mauvaise tête. Viens, ça te passera au cinéma.

JORDAN: Je vous assure, j’ai la migraine. (Il se laisse choir dans le fauteuil)

LAURA: Allons, allons, un peu de courage. Tu n’es pas encore à l’agonie. Il y a une

demi-heure, tu étais en pleine forme.

ELODIE: Ne nous joue pas la grande scène du deux.

SCENE III

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JULIEN: Viens, ne te fais pas prier.

CHRISTOPHE: Profite de l’absence de tes parents.

LAURA: Tu avales deux aspirines dans un verre d’eau et tu te sentiras mieux. La

pharmacie se trouve dans la salle de bain, je crois... (elle se dirige vers le côté cour)

JORDAN (répondant machinalement): Oui, oui... (Puis, réalisant) Non, NON! Laura,

pas par là!

LAURA: Ce n’est plus la salle de bain?

JORDAN: Si... Non... Je veux dire... Je crois que l’aspirine se trouve dans la cuisine.

LAURA: Ce n’est pas la peine de te mettre en transe pour un malheureux tube

d’aspirine.

(Elle traverse la scène et sort à l’opposé)

JORDAN (au passage): Je t’assure, Laura, que ce n’est pas nécessaire.

CHRISTOPHE: Tu es malade, oui ou non?

JORDAN: Bien sûr, mais...

CHRISTOPHE: Alors, pas d’histoire, laisse-toi soigner.

ELODIE: Nous avons déjà raté le dessin animé, nous ne serons jamais à l’heure

pour le film.

JULIEN (découvrant l’épée de Henri IV): Tiens, tu collectionnes les armes,

maintenant?

JORDAN: Non. Heu... Oui, oui... J’ai acheté cette épée chez un brocanteur.

JULIEN (qui l’empoigne): Belle arme. C’est une fidèle reproduction du XVIIème?

JORDAN: Non, authentique du XVIème.

CHRISTOPHE (s’approchant): Fais voir Julien... Jolie! Elle a dû te coûter un max.

ELODIE: Dites, les gars, vous admirerez cette relique plus tard, le film va

commencer.

LAURA (revenant de la cuisine): J’ai cherché partout, pas le moindre petit cachet

d’aspirine. Je suis certaine que dans la salle de bain...

(elle s’y dirige à nouveau.)

JORDAN (jaillissant): NON, LAURA! Ne... Ne te dérange pas... j’y vais moi-même.

LAURA: Pourquoi m’interdis-tu de mettre les pieds dans ta salle de bain? Qu’est-ce

que tu y caches?

JULIEN: Une copine probablement.

CHRISTOPHE: Le butin d’un casse.

ELODIE: ou un cadavre.

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JORDAN: Simplement, je ne tiens pas à ce que tu vois le désordre, le linge sale

traîne un peu partout. Mes parents ne sont pas là, alors le ménage…

LAURA (tentant de passer): J’ai l’habitude. Quand les miens s’absentent, si tu crois

que je passe l’aspirateur tous les jours. Repose-toi, « moyen corps malade », j’y vais

en fermant les yeux.

JORDAN (s’interpose à nouveau): Non, je t’en prie Laura, j’aurais trop honte. J’y

vais.

LAURA: Bon, puisque tu insistes...

(Jordan se tourne vers la porte de la salle de bain, il tend la main vers la

poignée. La porte s’ouvre et paraît Henri IV.)

JORDAN: NOOOooooonnn!!!

LES QUATRE AUTRES: Qu’est-ce que c’est que celui-là?

JORDAN (à Henri): Disparaît, toi!... (aux copains) je vais vous expliquer.

HENRI (saluant courtoisement): Gentes damoiselles...

JORDAN: Disparaît Henri, ce n’est pas le moment.

HENRI: Fâché qu’un contretemps indépendant de ma volonté m’hors-jette de ces

lieux, Jordan...

LAURA: C’est une copine à toi, avec sa petite barboteuse?

ELODIE: Je ne savais pas que c’était déjà mardi-gras.

JULIEN: Je devine, c’est le propriétaire de l’épée.

CHRISTOPHE: Qui s’est échappé du musée Grévin.

LAURA: Que signifient tous ces mystères, Jordan?

HENRI: Voilà qu’il me siérait de connaître aussi, damoiselle.

JORDAN: Oh là là quel pastis!... Laissez-moi vous expliquer... Je ne sais pas par

quoi commencer... (il se laisse choir sur le canapé.)

LAURA: Oui, j’imagine qu’il ne doit pas être facile d’inventer un scénario à brûle-

pourpoint.

ELODIE: Brûle-pourpoint! C’est l’époque de le dire!

CHRISTOPHE: En attendant, tu pourrais nous présenter.

JORDAN: Tu as raison... (Il se lève.) Voilà Laura, Elodie, Christophe et Julien, mes

SCÈNE 4

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meilleurs amis. Et je vous présente… le future roi Henri IV.

TOUS QUATRE (ironiques, en faisant des courbettes comiques) Nos hommages,

sire!

HENRI: Les amis de mes amis sont mes amis. (se tournant vers Jordan) Puis-je te

faire part de mes craintes?

JORDAN: Je ne veux plus t’entendre!...

HENRI : Il serait bon que tu m’écoutes.

JORDAN : Mais... qu’est-ce que c’est que cette eau qui dégouline de la salle de

bain?

HENRI: C’est justement de ce sujet que...

JORDAN: Une inondation! Il m’a refait le coup des visiteurs!

(ll se précipite pour aller fermer les robinets, revient l’air épuisé.)

CHRISTOPHE: Dis donc, Jordan, sans vouloir te harceler davantage, pourrais-tu

nous fournir une petite explication?

LAURA: Une minuscule explication que diable!

ELODIE: Car, vu de l’extérieur, diantre, tout cela peut ne pas paraître très catholique.

HENRI: Mordiou! Ce qui semble parfaitement raisonnable, le roi étant huguenot.

JORDAN: Tais-toi Henri, ça n’a rien à voir, c’est une expression toute faire. Je vais

tâcher de vous expliquer succinctement... Posément… Asseyez-vous... ( il arpente la

scène) Bon. Ma vieille tante Adèle que vous ne connaissez pas vient de mourir.

LES CINQ AUTRES: Amen!

JORDAN: Dans son testament, elle nous léguait cette horrible armoire.

LES QUATRE AUTRES (sauf Henri): Beurk!

JORDAN (après un soupir de lassitude): Vous n’allez pas me croire, mais cette

armoire n’est pas ordinaire, elle possède un pouvoir étrange qui... comment dire

permet de faire se rencontrer deux incarnations d’un même individu.

JULIEN: Rien que cela.

LAURA: Croyez-vous qu’il nous mène en bateau?

ELODIE: Il improvise, c’est certain.

CHRISTOPHE: La bouteille de cinzano est sortie et presque vide, il a dû picoler.

JORDAN (désignant Henri IV): Et lui, d’où croyez-vous qu’il sorte?

HENRI: De l’armoire, mordiou!

JORDAN: Ce n’est pas moi qui l’ai dit.

LAURA: Sérieusement, tu prétends, Jordan que ton armoire est une machine à

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voyager dans le temps.

JORDAN: En quelque sorte. Il faut se rendre à l’évidence.

ELODIE: Avoue que c’est difficile à avaler.

CHRISTOPHE: Comment fonctionne-t-elle?

JORDAN: C’est très simple, il suffit de se placer devant la glace pour qu’à l’intérieur

se matérialise un autre soi-même qui a vécu à une époque différente.

LAURA: Ainsi, cet Henri costumé, c’est toi dans le passé?

HENRI: Henri de Navarre, futur Henri IV, gente et accorte damoiselle, pour confirmer

les propos de mon frère de chair. Que faites-vous ce soir, belle jouvencelle?

LAURA: Je devais aller au cinéma.

HENRI: Cinéma? Saurai-je un jour ce que cache ce terme?

JULIEN: M’ouais, pour ma part, je me faisais une autre idée de Henri IV, homme

mûr, jovial, barbu et grisonnant.

JORDAN (récitant magistralement): Nous le connaissons sous l’aspect que tu dis

depuis l’école primaire, mais ne sais-tu pas, Julien, qu’avant d’être vieillard, l’homme

passe par divers stades: enfance, adolescence, etc.

JULIEN: C’est vrai, je n’y avais pas pensé. il faut donc admettre que nous sommes

en présence du vrai Henri IV, jeune. Mes respect, majesté (tous quatre saluent à

nouveau.)

HENRI: Relevez-vous, nous sommes entre nous.

CHRISTOPHE: Tu permets que j’essaie, Jordan, histoire de vérifier.

JORDAN: Essayer quoi?

CHRISTOPHE: Le bon fonctionnement de ton armoire. (Il s’en approche)

JORDAN: Je doute que ça marche avec quelqu’un qui n’est pas de la famillle.

CHRISTOPHE (qui se contemple dans la glace): Il est un peu piqué, ton miroir. (il

prend une pause à la Louis XIV) Qu’est-ce que vous pariez que j’étais le roi soleil?

(Les autres affectent des mines qui expriment un certain doute. Henri se

désintéresse de la question pour visiter à nouveau le bar. Christophe se tourne vers

l’armoire, pour recevoir dans le nez la porte qui s’ouvre sur Gavroche chantant à

pleine voix:)

GAVROCHE :”On est laid à Nanterre

SCENE V

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C’est la faute à Voltaire,

Et bête à Palaiseau,

C’est la faute à Rousseau.”

(Jordan est complètement hébété, les autres un peu éblouis. Gavroche sort de

l’armoire, bondit sur le fauteuil et prend une pause à la Rouget de L’Isle)

Je ne suis pas notaire

C’est la faute à Voltaire.

Je suis petit oiseau,

C’est la faute à Rousseau.

LAURA: Dis donc, Christophe, Gavroche, ça ne ressemble pas beaucoup à Louis

XIV!

CHRISTOPHE: L’armoire est détraquée.

JULIEN: Détraquée, et pourquoi cela?

CHRISTOPHE: Réfléchis un peu: Gavroche est né de l’imagination de Victor Hugo.

En conséquence, je n’ai jamais pu être par le passé un personnage imaginaire.

(Gavroche saute sur la table pour continuer sur un autre ton.)

Joli est mon caractère

C’est la faute à Voltaire.

Misère est mon trousseau,

C’est la faute à Rousseau.

JULIEN: Il s’agit peut-être de Joseph Bara, mort sur les barricades, ou un habile

mélange des deux personnages.

CHRISTOPHE: Prétendrais-tu que je suis un sang mêlé?

JORDAN: Moi, je préfère avoir été Henri IV.

ELODIE: Remarquez, tous les deux ont fini de la même façon.

JORDAN (désignant Henri distrait par le spectacle de Gavroche): Tais-toi, ils ne

sont pas au courant.

GAVROCHE (qui a sauté sur le canapé libéré):

Je suis tombé par terre,

C’est la faute à Voltaire.

(II se laisse rouler à terre sous l’impact d’une balle imaginaire.)

Le nez... dans le... ruisseau

C’est... la... faute à...

(Une deuxième balle semble l’atteindre. Il s’écroule et demeure immobile.)

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TOUS (en chœur, sauf Henri) : Rousseau !!!

(Tous applaudissent. Gavroche se relève et salue.)

GAVROCHE (pas très modeste): Pas mal, hein?

LAURA: Dis donc, mon vieux, on serait curieux de connaître ta véritable identité?

GAVROCHE: Sans problème. Je m’appelle Ernest Ragon, comédien de talent , né à

Bordeaux en 1878, génial interprète du héros de Victor Hugo au théâtre municipal...

(Tous s’esclaffent, sauf Henri qui ne comprend pas et Christophe.)

JULIEN : Voilà une explication rationnelle.

LAURA: A mon tour de tenter l’expérience, puisque l’armoire fonctionne avec

n’importe qui.

CHRISTOPHE (doublement vexé): Merci pour le n’importe qui.

LAURE: J’hésite entre la Pompadour, Blanche de Castille et la comtesse de Ségur

née Rostopchine.

CHRISTOPHE: Tu n’étais peut-être que la camériste de la première ou la femme de

chambre de la dernière.

LAURA: Jaloux! (Elle se place devant l’armoire. Ernest contemple le costume de

Henri.)

JORDAN (sortant de sa léthargie): Ah! Non, Laura, ça suffit comme ça!

JULIEN (retient Jordan et, très fataliste, style série noire): C’est trop tard, l’armoire

fatale a encore frappé.

(Sort de l’armoire, Jehanne d’Arc en armure.)

JEHANNE: O! Dieu tout puissant! Dieu éternel! Dieu du ciel!... Oh! C’est vous,

archange Saint-Michel Et voilà Saint Gabriel, sainte Catherine, sainte Marguerite!

(Elle se jette à genoux au milieu de la scène.)

Mon Dieu! Mon Dieu!, je suis au paradis! Au paradis, Dieu sois béni. Au nom

du Père, du Fils, du Saint-Esprit, ainsi soit-il...

(Tous sont restés médusés à leur place.)

Jusqu’à présent, je n’avais eu que le bonheur d’entendre vos chères voix

célestes. A présent, je vous vois, mer chers saints, mes chers anges. Je pourrais

vous toucher, si vous aviez un corps matériel, mais vous êtes des saints. Que dois-je

faire, maintenant. Dictez-moi ma conduite, mes chers saints, je vous suis dévouée

SCENE VI

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corps et âme. Voyez, j’ai scrupuleusement suivi vos instructions. J’ai été bonne et

pieuse, puis j’ai revêtu comme vous me l’avez ordonné l’habit et l’armure de soldat.

Dictez-moi ma mission, pour l’amour de Dieu, archange Saint-Michel.

(Elle se traîne aux genoux de Jordan éberlué.)

JORDAN (aux autres): Qu’est-ce que je fais, elle me prends pour Saint-Michel?

ELODIE: Enseigne-lui ce qu’elle doit réaliser, l’Histoire doit s’accomplir.

JULIEN: Oui, vas-y, ne te dégonfle pas.

JORDAN: Vous croyez que... Ne me laissez pas tomber, les copains.

CHRISTOPHE: Vas-y Jordan, et redresse-toi.

LAURA: N’oublie pas que tu es l’archange Saint-Michel.

JORDAN: Et toi Jehanne d’Arc, Laura!

HENRI (abandonnant le bar avec une moue de déception): S’agit-il de la pucelle

d’Orléans, brûlée vive en 1431 par...

(Tous se mettent à chanter des cantiques de leur invention qui se terminent

par un amen collectif.)

JULIEN (à Henri): Chut, ne dis rien, elle n’est pas encore au courant. Ca pourrait la

traumatiser et lui faire renoncer à sauver la France. Et toi, tu ne serais jamais

couronné.

HENRI : Mordiou !

JEHANNE: J’ai l’ouïe fine, mes bons anges, j’ai tout entendu. Que la volonté du

Seigneur soit faite sur la terre comme au ciel. Si je dois succomber, qu’importe. Je

ne faillirai point à ma mission. J’ai foi en vous, Saint-Michel. (Elle s’abîme en prières.)

LAURA: Vas-y Saint-Michel.

JORDAN : J’ai ni ailes, ni auréole !

LAURA : Tu n’en a pas besoin, tu es rayonnant.

GAVROCHE: Excusez-moi de m’immiscer dans la conversation, il y a quelques

détails qui m’échappent. Il s’agit probablement d’une autre pièce...

ELODIE: Tais-toi, ringard!

GAVROCHE (offusqué) : Oh!

JORDAN: Hum... (Il se racle la gorge, prend un ton solennel) Jehanne!

JEHANNE (en transe): Oui, Oh! Oui, archange Saint-Michel...

ELODIE: Vas-y, les duvets commencent à te pousser.

JORDAN: Jehanne, tu iras trouver le sieur de... j’ai un trou. (à ses copains)

Comment s’appelait-il déjà, ce seigneur?

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CHRISTOPHE: Bouge pas, garde la ligne, je vais chercher dans le dictionnaire. (Il

quitte la pièce et revient avec un petit Larousse qu’il feuillette.)

JORDAN : Jehanne, j’ai confiance en toi, il faut que tu sois forte.

LAURA: Je me souviens, c’est Baudricourt.

JORDAN: Jehanne, tu iras trouver le seigneur de Baudricourt et convainc-le de te

fournir une escorte. Puis, rends-toi auprès du roi, à…

JULIEN (souffle) : Chinon.

JORDAN : A Chinon. Tu lui manderas une armée et tu bouteras les Anglois hors

d’Orléans... Et hors de la France pendant que tu y seras! (à ses copains) Ca va

comme ça?

LAURA (qui avait pris le dictionnaire des mains de Christophe): Impeccable...

Jehanne, contemple le portrait de ton roi bien aimé. Ainsi, même s’il se dissimule

parmi ses courtisans, ce qui ne m’étonnerait pas de sa part, tu pourras le

reconnaître.

JORDAN: Merci Laura. L’émotion m’avait fait oublier ce détail historique. (à

Jehanne) Jehanne! Tu conduiras ensuite ton souverain Charles le VIIème du nom à

Reims pour l’y faire sacrer. Et maintenant va Jehanne, la France compte sur toi.

LES QUATRE AUTRES: Amen!

JORDAN: Va, Jehanne! Et prie le Seigneur.

JULIEN: Et ferme bien la porte derrière toi.

(Les autres lui font signe de se taire. Jehanne se signe, puis entre dans

l’armoire comme dans une église. Julien referme la porte.)

CHRISTOPHE: Je crois que l’Histoire de France nous doit une fière chandelle.

JULIEN: Ne parle pas de flammes devant Laura.

LAURA: En tout cas, je ne suis pas mécontente. Avoir été Jehanne, c’est pas mal du

tout.

ELODIE: On voit bien que ce n’est pas toi, Laura du XXIème siècle qui est montée

sur le bûcher.

LAURA: Elle et moi, c’est la même chose... mais je préfère que ce soit elle.

JULIEN: Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, c’est à mon tour, à présent.

JORDAN: Non, ça suffit la plaisanterie, je t’interdit de te servir de mon armoire!

SCENE VII

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JULIEN : Sois sympa.

(Christophe, Laura et Elodie immobilisent Jordan, tandis que Julien se place

face à la glace.)

JORDAN (gesticulant): Tu n’as pas le droit! Lâchez-moi, vous autres!

JULIEN: Les paris sont ouverts: qui étais-je? Sésame, ouvre-toi!

(La porte refuse de s’ouvrir. Jordan est relâché. Julien insiste.)

Sésame, ouvre-toi, s’il te plait !

CHRISTOPHE: Ca n’a pas l’air de fonctionner.

JORDAN: Avec ta tête de clown, tu l’auras détraquée, Julien.

(Par curiosité, Julien ouvre la porte de l’armoire. Assis dans le fond, Marat,

unes serviette autour de la tête, est en train d’écrire avec une plume d’oie.)

MARAT: Bonsoir messieurs et mesdemoiselles. Veuillez m’excuser, quelques

pensées capitales à noter avant qu’elles ne fuient mon esprit fécond.

HENRI: Je commence à trouver l’aventure cocasse.

JULIEN: Heu... avant tout, est-il indiscret de vous demander votre identité?

MARAT: En quoi cela vous concerne-t-il?

JULIEN: Cela me concerne plus que vous ne croyez . Qui êtes-vous, s’il vous plait ?

MARAT (tout en écrivant) : Je me nomme Jean-Paul Marat. Mon nom ne vous dit

certainement rien, mais je vous garantis qu’un jour, je ferai parler de moi .

JULIEN: Marat, l’homme à la baignoire, le médecin, le journaliste, le créateur de

“l’ami du peuple”. Ca oui, vous ferez parler de vous, c’est certain .

MARAT: Je suis déjà connu ? A qui ai-je l’honneur... et où me trouvai-je ?

HENRI: Je suis Henri le quatrième, futur roi de France et de Navarre .

JORDAN: Heu... Henri, sans te commander, je crois que tu ferais mieux de conduire

notre ami Ernest à la cuisine... heu, à l’office (il désigne la coulisse jardin). Tu ouvres

le frigo et vous cassez une petite croûte, à la fortune du pot, si je puis dire .

HENRI: Dîner ? Voilà qui n’est pas pour nous déplaire .

(Il entraîne Ernest Ragon dans la direction indiquée .)

SCENE VIII

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JORDAN: Marat, ne prêtez pas attention à notre ... ami. Il plaisante quand il affirme

être ...

HENRI (revenant seul) : Mordiou, mon ami, que nommez-vous donc “frigo”?

JORDAN: C’est cette grande armoire blanche dans le coin à droite ... à votre dextre!

HENRI (se dirigeant de nouveau vers la cuisine) : J’y retourne; que les affamés, se

rallient à...

LES CINQ JEUNES: Ton panache blanc !!!

HENRI : Je ne pensais pas à cela, mais mordiou, un panache blanc, ça doit avoir de

l’allure . Je tâcherai de m’en souvenir. (reste un instant à écouter la suite.)

MARAT: Serais-je tombé dans un asile d’aliénés?

CHRISTOPHE: Pas du tout! Sortez de cette armoire et nous allons vous expliquer .

JORDAN (l’entraînant à part par le bras): Tu ne vas pas tout lui dévoiler ?

CHRISTOPHE: Et pourquoi pas ?...

JORDAN: Je t’interdis ...

CHRISTOPHE (se dégageant et revenant à Marat): Asseyez-vous confortablement...

C’est un peu obscur pour un esprit du siècle des lumières, le XVIIIème, mais je vais

tâcher d’être clair . Cette armoire dans laquelle vous vous trouviez est, en quelque

sorte, une machine à voyager dans le temps . Vous avez atterri au XXIème siècle, le

décor en témoigne .

ELODIE: Et Henri IV a fait, comme vous, un saut dans le temps .

MARAT: Une machine à traverser le temps, qui aurait imaginé cela ... Mais j’ai

souvenance d’un Henri IV plus âgé, bon vivant et barbu.

LAURA: Et d’un bon père de famille qui faisait le cheval pour amuser ses enfants .

JULIEN: Et d’un roi généreux qui voulait que tous ses sujets puissent mettre la poule

au pot le dimanche .

JORDAN: Le roi au cheval blanc !

CHRISTOPHE: Au fameux panache blanc !

HENRI (toujours sur le point de sortir): Tiens donc, aurai-je si bonne renommée ? Et

l’idée de la poule au pot est à retenir .

JORDAN: Retiens surtout la date de la rue de la Ferronnerie !

ELODIE (à part, à Jordan): Pourquoi insistes-tu ? Tu sais bien qu’on ne peut pas

modifier le cours de l’Histoire.

JORDAN: Je sais, je sais, mais que veux-tu, il m’est tellement sympathique .

MARAT: Si un jour, je crée mon journal, comme j’en ai l’intention, tout ceci y sera

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consigné en bonne place .

JULIEN: N’en faites rien, Marat. Cette rencontre historique doit rester absolument

secrète . D’autant que dans cette période trouble de la Révolution, je me demande si

ce n’est pas ce qui risque de vous jouer des tours .

MARAT: Il y aura donc une révolution ?

HENRI (jouant les affranchis): N’est-ce pas pendant cette révolution que sera

décapitée la royauté ?

MARAT: Non, est-ce possible !... Dites, vous avez l’air bien renseigné sur mon

époque pour un homme du XVIème siècle .

HENRI (lui tapant amicalement sur l’épaule) : C’est ce que j’ai appris tantôt, mon

ami. mais mon estomac commande, je regagne l’office !

(Il sort .)

MARAT: Révolution ! Révolution ! C’est fantastique !

ELODIE: Changeons de sujet, si vous voulez bien . Je suis la seule à ne pas avoir

testé l’armoire, les copains . Il ne serait pas juste que j’en sois privée .

LAURA: En effet .

JORDAN: Au point où j’en suis, un de plus...

CHRISTOPHE: Moi, je parie pour Marie de Médicis, à la rigueur Agnès Sorel .

LAURA: Elle ressemble plutôt à Madeleine Béjart .

JULIEN: Moi, ce que je souhaite, c’est qu’elle ne soit pas Charlotte Corday .

MARAT: Charlotte Corday ? Pourquoi détestez-vous cette femme ? Je ne la connais

pas, mais son nom sonne bien?

CHRISTOPHE: Pour rien, pour rien . Vous comprendrez plus tard votre douleur,

Marat .

(Elodie se poste devant l’armoire, prend un attitude avantageuse, replace une

mèche rebelle .)

ELODIE: Hé bien moi, je n’ai pas de préférence, pourvu qu’il s’agisse de quelqu’un

de bien ... et il ne peut en être autrement .

(Elodie ouvre la porte. Une jeune fille pieuse en apparence, en train de lire un

missel se tient debout. Elle regarde le groupe qui la dévisage en silence . Intimidée,

elle descend malgré tout de l’armoire.)

SCENE IX

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CHARLOTTE: Je suis désolée, j’ai dû m’égarer . J’étais absorbée par cette lecture

pieuse et je n’ai pas pris garde où me conduisaient mes pas .

CHRISTOPHE: Elle a plutôt l’air mignonne et inoffensive . Tu n’as rien à redouter

Julien, c’est une oie blanche .

JULIEN: Je préfère cela .

ELODIE (à Charlotte, coiffée d’une... charlotte) : Ne craignez rien, mademoiselle,

nous sommes des amis. Puis-je seulement vous demander qui vous êtes ?

CHARLOTTE: On m’appelle Marie-Anne .

JULIEN (un peu dragueur): Charmant prénom .

ELODIE: Je ne connais aucune personnalité portant ce prénom, quel est votre nom

de famille ?

CHALOTTE: Oh!... Veuillez excusez ma distraction . Je m’appelle d’Armont ...

JULIEN (même jeu): Marie-Anne d’Armont .

CHARLOTTE: Oui . Mon nom complet est un peu long: Marie-Anne Charlotte Corday

d’Armont .

TOUS: QUOI ???

JULIEN (s’effondrant sur un siège): Charlotte Corday, la fatalité, c’était à prévoir .

CHARLOTTE: Oui, c’est ainsi qu’on me nomme plus couramment .

JULIEN: Charlotte Corday, j’avais un pressentiment .

LAURA: Vous n’avez pas l’air bien féroce pour une révolutionnaire .

CHARLOTTE: Moi, révolutionnaire, vous plaisantez !

MARAT: Je ne vois vraiment pas ce que vous lui reprochez (s’interposant entre elle

et Julien pour lui saisir la main .) Elle me paraît tout à fait craquante .

LAURA: Il ne faut pas se fier aux apparences .

MARAT: Pourtant, je serais ravi de lui faire un brin de conduite .

CHRISTOPHE: Gardez-vous en bien .

LAURA: Pourtant, s’ils s’amourachent tous les deux, ça pourrait peut-être changer la

suite .

JORDAN: Ou l’aggraver.

CHRISTOPHE: Avant qu’il ne soit trop tard, agissons . Julien, donne-moi un coup de

main .

(Ils saisissent Charlotte chacun par un bras, la soulèvent presque et la

conduisent vers l’armoire.)

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JULIEN: Désolé Charlotte, mais on vous réclame à l’intérieur .

(Ils la font disparaître, referment l’armoire.)

CHRISTOPHE ET JULIEN: Ouf !

JULIEN: Excuse, Elodie, désormais, tu restes à dix pas de moi, je me méfie .

ÉLODIE (haussant les épaules): Idiot !

MARAT: Allez-vous m’expliquer pour quelle raison vous harcelez cette pauvre jeune

fille qui ne ferait pas de mal à une mouche .

JULIEN: Pour l’instant ! Ce serait trop long à vous expliquer . Tout ce que je vous

conseille, c’est de fuir les baignoires .

MARAT: Ah! Bon. (Il se gratte) Vous avez peut-être de bonnes raison ...

(En allant s’asseoir, il se remet à écrire .)

JORDAN (prenant le centre de la scène): Bon, à présent, vous êtes satisfaits tous

les quatre . Vous avez bien fait joujou avec mon armoire, alors écoutez-moi . Nous

ne sommes pas sortis de l’auberge Il nous reste sur les bras Henri IV, le faux Bara

et Marat. Mes parents rentrent de voyage demain . Ils ne doivent absolument pas

trouver nos doubles ici . Il faut les renvoyer à leur époque respective .

CHRISTOPHE: Tu as raison, la plaisanterie a assez duré . Imaginons un stratagème

pour leur faire réintégrer l’armoire sans heurt .

ELODIE: Ca va pas être commode .

JULIEN (voyant revenir Henri IV): J’ai une idée !

JORDAN: J’espère qu’elle est bonne .

JULIEN (exagérément emphatique): Mon cher Henri ! Approchez ! Vous vous êtes

bien restauré ?

HENRI: Pour être franc, la qualité nous a paru douteuse .

JULIEN: Nous nous disions, mes amis et moi, que ces deux demoiselles, Jehanne et

Charlotte nous ont quitté un peu précipitamment . Nous aimerions réparer cette

bévue, en les priant de revenir quelques instants pour boire le verre de l’amitié .

Seulement, nous craignons de manquer de diplomatie ...

HENRI: Et vous pensâtes qu’un roi, par essence, aurait plus de doigté pour emporter

l’affaire .

LAURA: Tout juste, majesté. Alors, si accompagné de Jean-Paul et d’Ernest, vous

SCENE X

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aviez la gentillesse ...

HENRI (charmeur): Pour vos beaux yeux, gente damoiselle, je ne saurais rien vous

refuser. J’accepte de grand cœur. Je vous ramène sur-le-champ ces doulces

jouvencelles.

(Il fait un pas vers l’armoire et l’ouvre.)

JORDAN: Ce serait miraculeux si ça réussissait. … Attends une seconde ! Où sont

les deux autres?...

(Il sort de l’armoire, massue à la main, un horrible homme de cro-magnon . Il

repousse la porte, renverse Henri IV, l’assommant à moitié, bondit sur la table, après

avoir fait un tour d’horizon menaçant . Accroupi, il dévore à belles dents les fruits du

compotier. Elodie et Jordan relèvent Henri et le guident vers le fauteuil . Gavroche

profite de l’intermède pour revenir de la cuisine , zigzaguant et chantant à tue-tête.)

GAVROCHE: Si j’suis tombé par terre ,

C’est la faute à Voltaire .

Le nez dans le ruisseau

C’est la faute à...

(Il s’interrompt brusquement)

C’est idiot, j’ai oublié la rime...

CHRISTOPHE: C’est la faute à Boileau, ce que tu aurais dû faire ! Mais si tu ne la

fermes pas immédiatement, je te flanque mon poing sur la ...

GAVROCHE (reculant): Ne me frappez pas ! Je suis fragile, ne me frappez pas !

(Il voit l’armoire ouverte, plonge s’y réfugier, referme la porte .)

LAURA: Il ne pouvait pas mieux agir pour servir nos intérêts . Bon débarras .

ELODIE: En échange, il nous reste tout de même le préhension . S’il y a un

volontaire pour le convaincre de retourner d’où il vient ...

JORDAN: Lui, j’en fais mon affaire . Il me reste un os de gigot dans le frigo (fausse

sortie)... si toutefois Henri n’a pas tout dévoré !

(Il sort. )

ELODIE: Quant à nous, cherchons une idée pour les deux autres .

(Tous quatre se consultent du regard ., puis se regroupent pour se concerter )

SCENE XI

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MARAT (s’approchant d’Henri): De toute évidence, ces charmants jeunes gens

cherchent à se débarrasser de nous .

HENRI: Mordiou! Pensez-vous qu’ils veuillent nous assassiner ?

MARAT: Je ne saurais dire. Je redoute que vous et moi ne finissions pas notre vie

dans notre lit .

HENRI: Ils sont un peu étranges, mais pas méchants . Morbleu, on ne poignarde pas

un roi !

MARAT: Connaissez-vous un certain Ravaillac ?

HENRI: Jamais entendu ouïr ce nom .

MARAT: Alors, permettez-moi un conseil, Henri de Navarre: évitez de croiser cet

individu rue de la Ferronnerie en mai 1610.

HENRI (à part): Se seraient-ils concertés ?

JORDAN (revient avec son os de gigot): Julien, donne-moi un coup de main, tu

ouvriras la porte de l’armoire .

CHRISTOPHE: Je vais attirer son attention vers l’os ... Hé, l’affreux ! Oh ! O h! Cro-

magnon analphabète ! Ca y est, il l’a vu (il désigne l’os) Là... là !...

(L’homme primitif grogne et s’avance pesamment vers l’os. Jordan l’attire vers

l’armoire que Christophe ouvre . Jordan jette l’appât au fond . Le primitif s’y précipite

tandis que ressort dans la seconde suivante un Gavroche affolé.)

GAVROCHE: A moi ! A moi ! Au secours ! Vous êtes complètement cinglés de

m’enfermer avec ce sauvage !

JORDAN: Gavroche! Catastrophe !

LAURA: Ce n’est pas possible, il a réussi à revenir !

ELODIE: Retour à la case départ .

CHRISTOPHE: Tiens bien la porte fermée, Julien que le cro-magnon ne reparaisse

pas à son tour .

JORDAN: J’ai la poisse! J’ai la poisse !

CHRISTOPHE: Il faut vite trouver autre chose .

LAURA: On aurait mieux fait d’aller au cinéma.

HENRI (à part): Ce cinéma leur tient bougrement à cœur .

ELODIE: Qui a une idée géniale ?

SCENE XII

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(Coup de sonnette, tous se figent .)

JORDAN: Qui cela peut-il bien être ? Je n’attends personne .

LAURA: Faisons comme s’il n’y avait personne dans l’appartement .

ÉLODIE: C’est une idée . Pas un bruit . Compris les ancêtres ?

GAVROCHE: mais enfin, allez-vous me dire quelle pièce on joue ici ?

HENRI: Je trouve cette époque de plus en plus ...

JORDAN (à mi-voix, mais fermement): Taisez-vous, mordiou !

HENRI: Bien, bien, je ne dis plus mot .

JULIEN: Plumeau ... à poussière .

LAURA: C’est malin .

JULIEN: C’est juste pour détendre l’atmosphère .

(Deuxième coup de sonnette .)

ELODIE: Nous ne pouvons pas faire les morts plus longtemps: la lumière est

allumée.

(Troisième coup de sonnette .)

JORDAN: A la grâce de Dieu comme aurait dit Henri . (fort) Entrez, la porte n’est pas

fermée à clef !

(La gardienne de l’immeuble passe la tête, côté cour.)

JORDAN (vers les autres) : C’est la gardienne de l’immeuble.

GARDIENNE: Bonsoir tout l’monde . J’vous dérange pas, au moins ?... (fait une

drôle de tête en découvrant le spectacle) Tiens, vous donnez une soirée costumée,

m’sieur Jordan ? (Elle prononce “Jordan” comme Armand .)

HENRI: Qu’est-ce à dire ?

JORDAN: Rien Henri... Comme vous voyez, madame Gazul, c’est une petite fête

entre amis, très calme . Si vous pouviez ne pas en parler à mes parents, vous les

connaissez, ils en feraient une montagne .

GARDIENNE (lui adresse un clin d’oeil): Quand j’veux, j’sais tenir ma langue ... Ah !

Au fait, je suis remontée pass que j’ai oublié d’vous laisser une lettre tandis qu’on

vous livrait cette belle armoire . J’l’avais glissée dans ma poche .

(Elle lui remet une enveloppe froissée.)

SCENE XIII

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ELODIE: Vous trouvez qu’elle est belle ?

GARDIENNE: Parole ! Un peu qu’elle est belle . Une armoire comme ça, c’est mon

rêve (elle s’en approche. pour la flatter de la main) . Tous les mois un p’tit coup

d’encaustique, tous les matins le chiffon doux. .C’est du solide, ça passe les siècles.

ELODIE & LAURA : Vous ne croyez pas si bien dire.

JORDAN (incapable de faire un pas): Non, non, n’approchez pas!

GARDIENNE: Vous tourmentez pas m’sieur Jordan, j’ai l’habitude du beau meuble,

j’fais l’ménage chez une ancienne comtesse qu’a une villa truffée de meubles à

moulures, au 9 d’la rue Marat .

MARAT (se dressant): Rue Marat? Vous avez bien dit: rue Marat !

GARDIENNE (qui, au soulagement de tous, se détourne de l’armoire): Pour sûr, rue

Marat, j’connais l’quartier .

MARAT (à la cantonade, l’oeil brillant): Vous avez entendu: rue Marat! Il existe une

rue Marat ! L’Histoire se souviendra donc de moi .

GARDIENNE: Qu’est-ce qu’il raconte ce gugusse ?

HENRI: Aucun doute qu’en la capitale, une artère importante porte aussi mon nom:

Henri IV roi de France et de Navarre !

GARDIENNE: Mais qu’ess qu’i disent ?

CHRISTOPHE: Mieux que ça, il doit exister un boulevard ou une avenue Henri IV

dans chaque grande ville, et des lycées et des collèges.

(La gardienne commence à regarder le groupe d’un oeil inquiet. et

soupçonneux .)

GAVROCHE: Et moi, est-ce qu’une rue porte mon nom ?

JULIEN: Toi, ce n’est pas la même chose . Je connais une rue Bara, quant à une rue

Ernest Ragon, ne te fais pas trop d’illusions .

ELODIE: C’est ton vrai nom ou un pseudonyme de théâtre?

GAVROCHE: C’est mon vrai nom .

ELODIE: Hé bien, ton papa ne manque pas d’humour .

GAVROCHE : (haussant les épaules) Je ne comprends pas…Dites-moi, chère

madame, voilà bien un quart d’heure que je demande désespérément le nom de la

pièce que l’on joue ici, pourriez-vous m’aider ?

GARDIENNE : Ah mon pauv’ jeune homme ! Si j’devais être au courant de toutes les

idées farfelue de m’sieur Jordan, j’srais secrétaire à plein temps. (Plus bas) Entre

nous, y sont du genre bizarroïdes ses nouveaux copains.

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GAVROCHE : A qui le dites-vous ?! Tout à l’heure, ils ont voulu m’enfermer avec un

primitif de la pire espèce qui a failli m’assommer, (prétentieux) heureusement, j’ai

gardé mon sang-froid... Mais dites-moi, pourriez-vous au moins m’indiquer où se

trouve le souffleur… Parce qu’en dépit de mon extraordinaire mémoire, j’ai

l’impression d’avoir oublié quelques répliques.

GARDIENNE : J’vous dis qu’j’en sais rien, j’m’occupe pas d’ses sauteries, moi !

GAVROCHE : Mais, enfin, les bons théâtres sont toujours équipés d’un souffleur,

normalement ! Dans quel théâtre suis-je tombé ? (Il cherche dans les moindres

recoins) Souffleur ? Souffleur ?

GARDIENNE (à part): Aussi barjo que les autres !

ÉLODIE : Tel ancêtre, tel descendant ?

CHRISTOPHE : Oh, ça va… Je voudrais t’y voir !

LAURA : Arrêtez-le, il va tout casser !

GAVROCHE (s’adressant à un spectateur): C’est donc vous le souffleur ? Mais enfin

que faites-vous ?

JORDAN : Là, on entre dans une autre dimension…

GAVROCHE : Dépêchez-vous, j’ai un trou ! Ah, vous ne savez plus quoi souffler.

(Désespéré) Alors si même les souffleurs se mettent à avoir des trous de mémoire…

HENRI IV : Allez, c’est le roi qui régale !

CHRISTOPHE : Non, non, merci, sans façon…

LAURA : Doucement, quand même Henri ! La bouteille était pleine !

GAVROCHE : Dites-moi, j’ai cru comprendre que vous vous appeliez Marat…

MARAT :Vous avez l’esprit vif, mon ami..

GAVROCHE : Savez-vous que j’ai joué votre rôle dans une de mes dernières

pièces ?

MARAT : (intéressé) Ah oui ?

GAVROCHE : Oui, cela s’intitulait « La fin tragique d’un visionnaire ».

MARAT : (Inquiet) Tiens donc…

GAVOCHE : (très pompeux) Ah ! la scène finale dans la baignoire…

ÉLODIE : (s’interposant) Monsieur Marat, vous allez bien boire un petit coup et vous

aussi Ernest, (regardant Jordan) c’est la maison qui offre !

MARAT : (à Elodie) Un instant ! j’aimerais bien connaître de quelle façon fut

retranscrite ma vie, mon œuvre…

ÉLODIE : Ne faites pas attention à tout ce qu’il dit, vous savez, c’est un acteur ! Et

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vous avez remarqué comme sa mémoire est fragile.

JORDAN: Voyons cette lettre, elle m’était complètement sortie de l’esprit .... Tiens,

elle est déjà décachetée .

GARDIENNE (sans se démonter): Ah! C’est l’humidité des gants de caoutchouc .

J’faisais les escaliers à la javel . Bon j’m’attarde pas, j’ai quelqu’ chose sur le feu, je

crois . Bonsoir tout l’monde !

(Elle sort . Distraitement, ils répondent bonsoir tandis que Jordan parcourt la

carte postale que contenait l’enveloppe.)

JORDAN: Zut! Ecoutez ça . “Séjour agréable, paysages merveilleux, mais

voyage écourté de 24 heures . Problème d’avions, paraît-il. Nous

rentrerons samedi prochain, 20h48 à Roissy. Grosses bises. Papa,

maman .”LAURA: Ce soir, c’est la tuile. Ils seront ici dans moins d’une heure .

(…)

POUR OBTENIR L’INTÉGRALITÉ DE LA PIÈCE, VEUILLEZ VOUS ADRESSER À L’AUTEUR : [email protected]