741
STRATÉGIES IRRÉGULIÈRES Guerres irrégulières : de quoi parle-t-on ? La théorie du partisan de Carl Schmitt La guerre irrégulière dans le monde grec antique Stratégie et stratagèmes dans l‟Antiquité grecque et romaine Les barbares au sein de l‟armée du Bas-Empire La pacification de l‟Afrique byzantine 534 - 546 La guerre des Camisards Tradition et modernité en Hongrie aux XVI e et XVII e siècles La guerre d‟indépendance hongroise au début du XVIII e siècle La guérilla hongroise au XIX e siècle Napoléon et la guerre irrégulière L‟action de la Gendarmerie dans la pacification en Espagne 1809-1814 Les francs-tireurs pendant la guerre de 1870-1871 L‟Armée française face à Abdelkrim La guerre d‟Indochine : guerre régulière ou guerre irrégulière ? Le rôle des bases aéroterrestres dans la lutte contre la guérilla Les supplétifs ralliés dans les guerres irrégulières Les incohérences de la contre-guérilla française pendant la guerre d‟Algérie L‟artillerie dans la lutte contre-insurrectionnelle en Algérie Les trois guerres de Robert MacNamara au Viet-nam Les détachements d‟intervention héliportés dans la guerre irrégulière L‟avion à hélice dans la lutte anti-guérilla, archaïsme ou avenir ? L‟appui aérien dans la guerre irrégulière L‟emploi des armes chimiques dans les conflits asymétriques Les adaptations de la guerre irrégulière aux nouvelles conditions technologiques : vers la techno-guérilla Le “mobile” ontologique et politique de la guerre irrégulière La guerre maritime et aérienne à partir et au-delà de Carl Schmitt Otages : constantes d‟une institution archaïque et variantes contemporaines La contre-insurrection, une nouvelle confrontation idéologique ? La contre-insurrection à l'âge informationnel: le cas afghan Le barbare : une nouvelle catégorie stratégique ? Une révolution militaire en sous-sol. Le retour du modèle Templiers

L'art et la science militaires - institut-strategie.frinstitut-strategie.fr/93949596.pdf · Les incohérences de la contre-guérilla française pendant la guerre d‘Algérie L‘artillerie

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  • STRATGIES IRRGULIRES

    Guerres irrgulires : de quoi parle-t-on ? La thorie du partisan de Carl Schmitt

    La guerre irrgulire dans le monde grec antique Stratgie et stratagmes dans lAntiquit grecque et romaine

    Les barbares au sein de larme du Bas-Empire La pacification de lAfrique byzantine 534 - 546

    La guerre des Camisards Tradition et modernit en Hongrie aux XVIe et XVIIe sicles

    La guerre dindpendance hongroise au dbut du XVIIIe sicle La gurilla hongroise au XIXe sicle Napolon et la guerre irrgulire

    Laction de la Gendarmerie dans la pacification en Espagne 1809-1814 Les francs-tireurs pendant la guerre de 1870-1871

    LArme franaise face Abdelkrim La guerre dIndochine : guerre rgulire ou guerre irrgulire ? Le rle des bases aroterrestres dans la lutte contre la gurilla

    Les suppltifs rallis dans les guerres irrgulires Les incohrences de la contre-gurilla franaise pendant la guerre dAlgrie

    Lartillerie dans la lutte contre-insurrectionnelle en Algrie Les trois guerres de Robert MacNamara au Viet-nam

    Les dtachements dintervention hliports dans la guerre irrgulire Lavion hlice dans la lutte anti-gurilla, archasme ou avenir ?

    Lappui arien dans la guerre irrgulire Lemploi des armes chimiques dans les conflits asymtriques

    Les adaptations de la guerre irrgulire aux nouvelles conditions

    technologiques : vers la techno-gurilla Le mobile ontologique et politique de la guerre irrgulire

    La guerre maritime et arienne partir et au-del de Carl Schmitt Otages : constantes dune institution archaque et variantes contemporaines

    La contre-insurrection, une nouvelle confrontation idologique ? La contre-insurrection l'ge informationnel: le cas afghan

    Le barbare : une nouvelle catgorie stratgique ? Une rvolution militaire en sous-sol. Le retour du modle Templiers

  • INSTITUT DE STRATGIE COMPARE

    CONSEIL DADMINISTRATION

    Prsident : Herv COUTAU-BGARIE

    Vice-prsidents : Jean-Louis MARTRES ; Jovan PAVLEVSKI ;

    Olivier BOR DE LOISY

    Secrtaire gnral :Yves DECAUDAVEINE

    Trsorier : Philippe de PADIRAC

    Administrateurs :Bruno COLSON ; Franois CARON ;

    Jrme PELLISTRANDI ;

    CONSEIL SCIENTIFIQUE

    Prsident : le gnral Lucien POIRIER

    Mme le professeur Jacques BAYON, doyen de la Facult des Lettres de lUniversit Jean-Monnet

    de Saint-tienne ; Sir James CABLE, former ambassador (Royaume-Uni) ; MM. le professeur

    Jean-Claude ALLAIN, co-directeur du Centre Dfense et diplomatie dans le monde contemporain

    (Paris III) ; le professeur Jean-Pierre BOIS, directeur du Centre dhistoire du monde Atlantique

    (Nantes) ; linspecteur gnral des Finances Franois CAILLETEAU, ancien chef du Contrle

    gnral des armes ; le professeur Claude CARLIER, directeur du Centre dhistoire de

    laronautique et de lespace ; Grard CHALIAND, directeur du Centre europen dtude des

    conflits ; le professeur Pierre CHAUNU, de lInstitut ; le professeur Pierre DABEZIES, ancien

    prsident de la FEDN ; Olivier DARRASON, prsident de la Compagnie europenne dintelli-

    gence stratgique ; le gnral Jean DELMAS, prsident dhonneur de la Commission franaise

    dhistoire militaire ; le professeur Franois-Xavier DILLMANN, prsident de la Socit dtudes

    nordiques ; le vice-amiral descadre Marcel DUVAL ; le commandant Ezio FERRANTE,

    professeur lInstitut de guerre maritime (Italie) ; le gnral de corps arien Michel FORGET ; le

    gnral Pierre-Marie GALLOIS ; le professeur Colin S. GRAY, Universit de Hull (Royaume-Uni) ;

    le professeur Pierre GUILLEN, prsident de la Socit dtudes historiques des relations inter-

    nationales contemporaines ; le professeur John HATTENDORF, Naval War College (tats-Unis) ; le

    professeur Jean-Charles JAUFFRET, Institut dtudes Politiques dAix-en-Provence ; le professeur

    Jean-Paul JOUBERT, directeur du Centre lyonnais dtudes de scurit internationale et de dfense

    (Lyon III) ; le professeur Jean KLEIN, Universit de Paris I ; le professeur Yves LACOSTE,

    directeur de la revue Hrodote ; le professeur Ioannis LOUCAS, Helmut-Schmidt Universitat ; le

    professeur Andr MARTEL, Institut dtudes politiques dAix-en-Provence ; le professeur Jean-

    Louis MARTRES, directeur du Centre danalyse politique compare de Bordeaux ; le professeur

    Michel MOLLAT DU JOURDIN, de lInstitut, prsident dhonneur de la Commission internationale

    dhistoire maritime ; le professeur Franois MONNIER, ancien prsident de la Section des

    Sciences historiques et philologiques de lcole pratique des Hautes tudes ; le professeur Bruno

    NEVEU de lInstitut, prsident honoraire de lcole pratique des Hautes tudes ; le gnral

    darme arienne Bernard NORLAIN, ancien directeur de lInstitut des hautes tudes de dfense

    nationale ; le professeur Jovan PAVLEVSKI, Universit de Paris V ; le doyen Guy PEDRONCINI ,

    prsident dhonneur de lInstitut dhistoire des conflits contemporains ; le recteur Jean-Pierre

    POUSSOU, prsident honoraire de lUniversit de Paris-Sorbonne ; le gnral de division Maurice

    ROZIER DE LINAGE, ancien directeur du Collge Interarmes de Dfense ; lamiral de division

    Vezio VASCOTTO (Italie) ; le professeur Nuno SEVERIANO TEIXEIRA, ministre de la Dfense

    (Portugal) ; tienne TAILLEMITE, inspecteur gnral honoraire des Archives de France ; le gnral

    Manuel Freire THEMUDO BARATA, prsident de la Commission portugaise dhistoire militaire ;

    le capitaine de vaisseau Lars WEDIN, de lAcadmie royale des sciences militaires (Sude) ; le

    recteur Charles ZORGBIBE, professeur lUniversit de Paris I.

  • Stratgies irrgulires

    93-94-95-96 ditorial ............................................................................................................ 7

    Guerres irrgulires : de quoi parle-t-on ?

    Herv COUTAU-BGARIE ..................................................................... 13

    La thorie du partisan de Carl Schmitt

    David CUMIN ....................................................................................... 31

    La guerre irrgulire dans le monde grec antique

    Jean-Nicolas CORVISIER ...................................................................... 73

    Stratgie et stratagmes dans lAntiquit grecque et romaine

    Pierre LAEDERICH ................................................................................ 89

    Recruter ses ennemis pour gagner les guerres irrgulires : les barbares

    au sein de larme du Bas-Empire

    Loc PATTIER ..................................................................................... 109

    La pacification de lAfrique byzantine 534-546

    Philippe RICHARDOT .......................................................................... 129

    Une guerre irrgulire, civile et religieuse au sein de la grande guerre :

    lexemple de la guerre des Camisards

    Paul BURY .......................................................................................... 159

    Tradition et modernit dans les affaires militaires du royaume

    de Hongrie au XVIe et XVIIe sicles

    Istvn CZIGNY .................................................................................. 179

    Rgularit et irrgularit dans la guerre dindpendance hongroise

    au dbut du XVIIIe sicle

    Ferenc TTH ...................................................................................... 187

    La gurilla hongroise au XIXe sicle. La petite guerre de Hromszk

    en dcembre 1848

    Tams CSIKNY ................................................................................. 205

    Napolon et la guerre irrgulire

    Bruno COLSON ................................................................................... 227

    Soumettre les arrires de larme. Laction de la Gendarmerie impriale

    dans la pacification des provinces septentrionales de lEspagne

    (1809-1814)

    Gildas LEPETIT ................................................................................... 259

    Les francs-tireurs pendant la guerre de 1870-1871

    Armel DIROU ..................................................................................... 279

    Larme franaise face Abdelkrim ou la tentation de mener une guerre

    conventionnelle dans une guerre irrgulire 1924-1927

    Jan PASCAL ........................................................................................ 319

    La guerre dIndochine : guerre rgulire ou guerre irrgulire ?

    Michel GRINTCHENKO ....................................................................... 339

  • Le rle des bases aroterrestres dans la lutte contre la gurilla

    Philippe KIRSCHER ............................................................................. 357

    Les suppltifs rallis dans les guerres irrgulires

    (Indochine-Algrie, 1945-1962)

    Pascal IANI ......................................................................................... 371

    La peur et le cur. Les incohrences de la contre-gurilla franaise

    pendant la guerre dAlgrie

    Michel GOYA ..................................................................................... 399

    Lartillerie dans la lutte contre-insurrectionnelle en Algrie 1954-1962

    Norbert JUNG ..................................................................................... 409

    Les trois guerres de Robert McNamara au Viet-nam (1961-1968) ou

    les errements de la raison dans un conflit irrgulier

    Jean-Philippe BAULON ....................................................................... 425

    Les dtachements dintervention hliports dans la guerre irrgulire

    Frdric BOS ...................................................................................... 445

    Lavion hlice dans la lutte anti-gurilla, archasme ou avenir ?

    Jean-Christophe GERVAIS .................................................................. 461

    Lappui arien dans le cadre de la guerre irrgulire

    Olivier ZAJEC ..................................................................................... 477

    Des armes maudites pour les sales guerres ? Lemploi des armes

    chimiques dans les conflits asymtriques

    Olivier LION ....................................................................................... 491

    Les adaptations de la guerre irrgulire aux nouvelles conditions

    technologiques : vers la techno-gurilla

    Joseph HENROTIN ............................................................................... 533

    Le mobile ontologique et politique de la guerre irrgulire

    Aymeric BONNEMAISON, Tanguy STRUYE DE SWIELANDE ................ 567

    La guerre maritime et arienne partir et au-del de Carl Schmitt

    David CUMIN ..................................................................................... 595

    Otages : constantes dune institution archaque et variantes contemporaines

    Arnaud de COUPIGNY ......................................................................... 613

    Dmocratie et guerre des ides au XXIe sicle : la contre-insurrection,

    une nouvelle confrontation idologique ?

    Franois CHAUVANCY ........................................................................ 647

    La contre-insurrection lge informationnel : le cas afghan

    Franais GR .................................................................................... 669

    Le barbare : une nouvelle catgorie stratgique ?

    Frdric RAMEL ................................................................................. 683

    Une rvolution militaire en sous-sol. Le retour du modle Templiers

    Bernard WITCH .................................................................................. 709

  • Ont collabor ce numro

    Jean-Philippe BAULON, agrg et docteur en histoire, charg de

    recherches lInstitut de Stratgie Compare. Prix Clment Ader de larme

    de lair 2008 pour sa thse LAmrique vulnrable ? (1946-1976).

    Aymeric BONNEMAISON, lieutenant-colonel, brevet de lenseignement

    militaire suprieur, doctorant lUniversit catholique de Louvain.

    Frdric BOS, chef de bataillon, stagiaire au Collge Interarmes de

    Dfense.

    Paul BURY, chef de bataillon, stagiaire au Collge Interarmes de

    Dfense.

    Franois CHAUVANCY, colonel, brevet de lenseignement militaire

    suprieur, docteur en diplomatie et organisations internationales.

    Tarns CSITRNY, lieutenant-colonel, professeur l'Universit de la

    Dfense Mikls Zrnyi (Budapest).

    Istvn CZIGNY, lieutenant-colonel, directeur-adjoint de l'Institut

    d'histoire militaire (Budapest).

    Bruno COLSON, doyen de la factult de droit des Facults universitaires

    Notre-Dame de la Paix de Namur, matre de recherches lInstitut de Stratgie

    Compare.

    Jean-Nicolas CORVISIER, professeur lUniversit dArtois, dlgu

    Nord-Artois de la Commission Franaise dHistoire Militaire.

    Olivier DE COUPIGNY, doctorant lEcole pratique des Hautes tudes.

    Herv COUTAU-BGARIE, directeur dtudes lcole pratique des

    Hautes tudes, prsident de lInstitut de Stratgie Compare.

    David CUMIN, matre de confrences (HDR) lUniversit Jean Moulin

    Lyon III (CLESID).

    Armel DIROU, lieutenant-colonel, brevet de lenseignement militaire

    suprieur.

    Franois GR, prsident de lInstitut franais danalyse stratgique.

    Jean-Christophe GERVAIS, commissaire lieutenant-colonel, stagiaire au

    Collge Interarmes de Dfense.

    Michel GOYA, lieutenant-colonel, brevet de lenseignement militaire

    suprieur, docteur en histoire.

    Michel GRINTCHENKO, colonel, brevet de lenseignement militaire

    suprieur, docteur en histoire, auditeur au Centre des Hautes Etudes Militaires.

    Joseph HENROTIN, docteur en sciences politiques, charg de recherches

    au Centre dAnalyse et de Prvision des Risques Internationaux (CAPRI).

    Pascal IANNI, chef de bataillon, stagiaire au Collge Interarmes de

    Dfense.

    Norbert JUNG, chef de bataillon (TA), stagiaire au Collge Interarmes

    de Dfense

    Philippe KIRSCHER, lieutenant-colonel, brevet de lenseignement

    militaire suprieur.

  • Pierre LAEDERICH, agrg et docteur en histoire, matre de recherches

    lInstitut de Stratgie Compare.

    Gildas LEPETIT, lieutenant, officier rdacteur la Dlgation au

    patrimoine culturel de la gendarmerie.

    Olivier LION, lieutenant-colonel, brevet de lenseignement militaire

    suprieur, doctorant lEcole pratique des Hautes tudes.

    Jan PASCAL, chef de bataillon, stagiaire au Collge Interarmes de

    Dfense.

    Loc PATTIER, chef descadrons, stagiaire au Collge Interarmes de

    Dfense.

    Frdric RAMEL, professeur de science politique lUniversit Paris

    Sud XI, directeur de recherches au Centre dEtudes et de Recherche de lcole

    Militaire.

    Philippe RICHARDOT, agrg et docteur en histoire, charg de

    recherches lInstitut de Stratgie Compare, dlgu Mditerrane-Rhne

    de la Commission Franaise dHistoire Militaire.

    Tanguy STRUYE DE SWIELANDE, professeur lUniversit catholique de

    Louvain, Facults universitaires catholiques de Mons et lEcole Royale

    Militaire.

    Ferenc TTH, professeur lUniversit de Hongrie occidentale

    (Szombathely), directeur dtudes invit lEcole pratique des Hautes tudes.

    Bernard WICHT, privat-docent lUniversit de Lausanne, chef des

    affaires internationales auprs de la Confrence suisse des directeurs

    cantonaux de linstruction publique (CDIP).

    Olivier ZAJEC, charg dtudes la Compagnie Europenne dIntelli-

    gence Stratgique.

    Directeur de la publication : Herv COUTAU-BGARIE

  • STRATGIQUE Revue trimestrielle fonde en 1979 par

    la Fondation pour les tudes de Dfense Nationale,

    continue en 1995 par lInstitut de Stratgie Compare,

    en partenariat avec lInstitut dHistoire des Conflits Contemporains

    et, depuis 2007, la Compagnie Europenne dIntelligence Stratgique

    B.P. 08 00445 ARMES http ://www.stratisc.org

    Directeur : Herv COUTAU-BGARIE,

    directeur dtudes lcole pratique des Hautes tudes

    Directeur adjoint : Franois GR,

    directeur de lInstitut Franais dAnalyse Stratgique

    COMIT DE RDACTION

    Andr Bjin, directeur de recherches au CNRS ; Alain Bru, gnral de

    brigade (C.R.) ; Franois Caron, contre-amiral (C.R.) ; Philippe Bou-

    langer, matre de confrences lUniversit de Paris -Sorbonne ; Bruno

    Colson, professeur aux Facults universitaires Notre-Dame-de-la-Paix

    de Namur ; Paul-Marie Couteaux ; Loup Francart, gnral de brigade

    (C.R.) ; Serge Gadal, charg de recherches lISC ; Jean-Jacques

    Langendorf, prsident de lInstitut fr vergleichende Taktik (Vienne) ;

    Jrme de Lespinois, chef de la division recherches au Centre dtu -

    des stratgiques arospatiales ; Jean-Louis Martres, professeur mrite

    lUniversit Montesquieu-Bordeaux IV ; Christian Malis, docteur en

    histoire, dlgu gnral de la Fondation Saint-Cyr ; Martin Motte,

    professeur aux coles militaires de Saint-Cyr-Cotquidan et au Centre

    denseignement suprieur de la Marine ; Valrie Niquet, directeur de

    recherches lInstitut franais de relations internationales ; Philippe

    Nivet, professeur lUniversit dAmiens.

    Secrtaires du comit : Joseph HENROTIN Olivier ZAJEC

    Secrtaires de rdaction : Isabelle REDON Jean-Franois DUBOS

    Les articles publis dans Stratgique ne reprsentent pas une opinion de lISC et

    nengagent que la responsabilit de leurs auteurs. Sauf indication contraire,

    ceux-ci sexpriment titre personnel.

    Toute reproduction ou traduction, totale ou partielle, de ces articles est interdite

    sans laccord pralable de lISC.

    Les rgles typographiques sont celles en usage lImprimerie nationale.

    Les manuscrits non insrs ne sont pas rendus.

    ISC - 2009

  • INSTITUT DE STRATGIE COMPARE

    BULLETIN DINSCRIPTION ET DE SOUSCRIPTION

    ( renvoyer lInstitut de Stratgie Compare

    cole pratique des Hautes tudes

    Sorbonne - 45-47 rue des coles - 75005 PARIS)

    http://www.stratisc.org

    LInstitut de Stratgie Compare est un tablissement priv,

    but non lucratif, qui a pour objet la recherche stratgique. Il a repris

    les actifs de la FEDN (revue et livres), aprs la dissolution de celle-

    ci, et en assure aujourdhui lexploitation. Il ne prend pas parti et na

    pas de doctrine qui lui soit propre.

    Ladhsion donne droit :

    au service de la revue Stratgique ; au service de la lettre dinformation Histoire militaire et stratgie ; au service des ouvrages de la collection Hautes tudes Strat -

    giques ;

    des prix prfrentiels sur les autres collections dites par lInstitut, ainsi que sur les ouvrages diffuss par lui (de la Fonda -

    tion pour les tudes de Dfense Nationale, du Centre dAnalyse

    Politique Compare de Bordeaux, de lInstitut dHistoire des

    Conflits Contemporains, du Centre dHistoire de lAronau tique et

    de lEspace) ;

    participer aux runions et journes dtudes organises par lInstitut.

    .......................................................................................

    Nom et prnom ou Raison sociale : -----------------------------------------

    ----------------------------------------------------------------------------------

    Adresse : -----------------------------------------------------------------------

    ----------------------------------------------------------------------------------

    Code postal : ------------ Ville : -------------------------------------------

    Fonction : ----------------------------------------------------------------------

    JADHRE LINSTITUT DE STRATGIE COMPARE EN QUALIT DE :

    Membre individuel .................... 50 Membre bienfaiteur individuel ........ 250

    tudiant (sur justificatif) ........... 40 Membre bienfaiteur collectif ............ 500

    Membre collectif (institutions) .. 80 Membre fondateur individuel ....... 1 500

    Membre fondateur collectif........... 3 000

  • ditorial

    Le prsent numro de Stratgique est pour le moins

    inhabituel, dune part en raison de son volume, qui correspond au

    contenu de trois ou quatre numros ordinaires (do ladoption,

    regret, dune typographie plus serre), dautre part en raison de

    son insertion dans un programme gnral de recherche sur la

    guerre irrgulire, auquel lInstitut de Stratgie Compare sest

    spontanment associ.

    Les coles militaires de Saint-Cyr Cotquidan et la Fonda-

    tion Saint-Cyr ont, en effet, lanc lide dun grand colloque

    international coupl la runion annuelle du Forum des acad-

    mies militaires qui se runit cette anne Cotquidan. Le thme

    retenu a t la guerre irrgulire. Il est vite apparu au conseil

    scientifique du colloque (dont le signataire de ces lignes fait

    partie) que le thme posait de multiples questions quil ne serait

    pas possible dvoquer, mme sommairement, en un seul collo-

    que, do lide de prparer celui-ci par un certain nombre de

    travaux et de manifestations destins enrichir et largir la

    problmatique du colloque, afin que celui-ci puisse sappuyer sur

    des rflexions pralables. Plusieurs partenaires ont rpondu

    cette invitation : le Kings College (Londres) a organis une jour-

    ne dtude en novembre dernier, suivi par lInstitut dHistoire du

    Temps Prsent (CNRS). En dcembre 2008, le Centre dEtudes

    Stratgiques Arospatiales a organis des ateliers dont les actes

    doivent tre publis dans un numro prochain de Penser les ailes

    franaises. Le Centre dEnseignement Suprieur de la Marine a

    organis, en fvrier 2009, une journe dtude Guerre sur mer et

    irrgularit, dont les actes vont paratre dans la prochaine

    livraison du Bulletin dtudes de la marine. La Commission Fran-

    aise dHistoire Militaire, par le canal de sa dlgation Artois, a

    organis deux journes dtude sur la petite guerre, runies dans

  • 8 Stratgique

    un numro de la Revue internationale dhistoire militaire (n 85,

    mai 2009). LInstitut de Stratgie Compare a galement promis

    une contribution, cest le prsent numro de Stratgique.

    Pour raliser celui-ci, tous les rseaux de lInstitut ont t

    actionns. Dabord les deux sminaires : le sminaire dhistoire

    des doctrines stratgiques lEcole pratique des Hautes Etudes et

    le sminaire de thorie stratgique au Collge Interarmes de

    Dfense. Naturellement, les chercheurs rguliers de lInstitut

    ont rpondu cet appel. Mais aussi, des correspondants plus

    occasionnels en France et ltranger. Mention spciale doit tre

    faite de la Hongrie, grce au dynamisme du professeur Ferenc

    Toth : pas moins de trois contributions hongroises ont pu tre

    runies en des dlais trs courts.

    La contrainte majeure tait, en effet, celle des dlais, puis-

    que lobjectif est de pouvoir mettre ce numro la disposition

    des participants au colloque de Cotquidan les 12 et 13 mai 2009,

    alors que les appels contribution nont vritablement t lancs

    qu la rentre 2008-2009. La consquence a t limpossibilit

    dorganiser, ce stade, une quelconque rflexion sur les textes ici

    runis. Il ne sagit que de matriaux dont lexploitation va main-

    tenant tre entreprise, dj lors du colloque de Cotquidan, puis,

    ultrieurement, dans des enceintes diverses qui restent dfinir.

    Le sminaire dhistoire des doctrines stratgiques de lEcole pra-

    tique des Hautes Etudes en fera lun de ses thmes durant lanne

    2009-2010 ; lInstitut organisera vraisemblablement une journe

    dtude sur Pense militaire et guerre irrgulire. Il y aura aussi

    des initiatives manant dhorizons diffrents. Cest une illustra-

    tion de ce que lon appelle aujourdhui le travail en rseau, dont

    on parle beaucoup, mais quon pratique moins souvent.

    Pourtant le rsultat est l, puisquen quelques mois seule-

    ment, et avec une assise bureaucratique pour le moins lgre, ce

    sont pas moins de 32 contributions qui ont pu tre runies. Les

    retardataires fournissent dj la matire dun deuxime tome.

    Cela prouve au moins que cette pense stratgique franaise

    quon nous dcrit trop souvent comme anmie, sinon comateuse,

    recle encore des rserves de dynamisme quil ne tient qu

    quelques initiatives bien choisies de faire sortir. 13 stagiaires et

    brevets du Collge Interarmes de Dfense ont apport leur

    concours. Voil qui devrait tre de bon augure lheure o le

    lancement de lInstitut de Recherches Stratgiques de lEcole

  • ditorial 9

    militaire (IRSEM), dont on parlait beaucoup depuis des mois,

    semble enfin tre sur les rails.

    Les matriaux ici runis sont trs divers. Ils dmontrent

    lintrt dune vritable pluridisciplinarit bien comprise. La

    dimension historique est dterminante pour en finir avec les

    dclarations premptoires, gnralement peu argumentes, sur la

    radicale nouveaut des conflits actuels. Il y a indiscutablement

    des aspects nouveaux, lis tantt la mondialisation (change-

    ments politiques et stratgiques), tantt la rvolution des armes

    et des procds (changements techniques). Mais il y a aussi des

    lments trs anciens, voire archaques, comme la rsurgence du

    fanatisme religieux ou le retour des guerres paysannes. Cest le

    travail de lhistorien que de montrer et dvaluer les parts respec-

    tives des permanences et des innovations. Que reste-t-il des

    guerres irrgulires du pass ? Quels enseignements peut-on

    encore en extraire ? Quelle est la part de nouveaut radicale ? La

    rflexion sur ces thmes a commenc dans les annes 1990, elle

    est domine par quelques auteurs connus, avec des thses pas

    toujours conciliables et souvent une base historique un peu trop

    troite. Lun des objectifs majeurs de la recherche devrait tre

    prcisment llargissement de cette base historique, pralable

    indispensable un raffinement thorique.

    Parmi les multiples autres dimensions quil faudrait aborder

    pour une pese globale de la guerre irrgulire, la dimension

    juridique, longtemps mprise par les stratgistes, devrait tre

    mieux prise en compte. Il y a beaucoup de travaux juridiques,

    mais qui restent dans la sphre des spcialistes du droit ; un effort

    considrable devrait tre consenti dans ce domaine pour mieux

    apprhender cette contrainte juridique dornavant dterminante.

    Il en va de mme de la contrainte mdiatique : des thmes comme

    la rvolution de linformation ne sont pas simplement des lubies

    de thoriciens, ils expriment une ralit particulirement forte et

    qui pse dornavant directement sur la conduite des guerres et

    particulirement des guerres asymtriques ou irrgulires.

    Le plan technico-oprationnel est videmment dcisif.

    Cest un lieu commun, malheureusement assez fond, de dire que

    les armes rgulires sont, en rgle gnrale, peu aptes la guerre

    irrgulire. Pourtant, il y a eu de multiples tentatives dadaptation

    et certaines ont t couronnes de succs. Cela tait vrai lpo-

    que des guerres coloniales, cela lest rest, au moins partielle-

    ment, dans la deuxime moiti du XXe sicle : la guerre rvo-

  • 10 Stratgique

    lutionnaire ou asymtrique la souvent emport, notamment dans

    les guerres les plus spectaculaires (Indochine, Algrie, Viet-nam),

    elle ntait pas invincible pour autant : de la Grce la Malaisie

    on peut opposer quelques contre-exemples moins connus, mais

    qui mritent un examen attentif. Aujourdhui, le problme se

    pose de nouveau. Cest un aspect peu remarqu du renouveau

    doctrinal des armes amricaines au lendemain de la dbcle du

    Viet-nam. Ce magnifique effort de rflexion avait une contrepar-

    tie, savoir la volont de tourner la page vietnamienne en partant

    du principe que les forces armes amricaines ne se laisseraient

    plus entraner dans de telles impasses. Do la fixation sur la

    guerre centrale, o pouvait pleinement exprimer la supriorit de

    la puissance de feu et de la technique. Le rsultat a t cette

    floraison de doctrines : Airland Battle, Maritime Strategy, la

    guerre parallle de Warden Mais la guerre irrgulire a quand

    mme fini par rattraper les tats-Unis en Afghanistan et en Irak

    et ils doivent, une nouvelle fois, sadapter une ralit quils

    avaient prtendu nier. Do des programmes lancs dans lur-

    gence, aussi bien sur un plan doctrinal avec la redcouverte, faute

    de mieux, de lcole franaise de contre-insurrection, spcia-

    lement Galula et Trinquier, que sur un plan matriel, avec la

    multiplication des crash programs, par exemple sur la protection

    des personnels dans le combat urbain ou face aux engins

    explosifs improviss.

    Stratgique ne pouvait videmment pas couvrir un champ

    aussi immense et on a privilgi ici, en complment des ateliers

    du CESA, le problme de lappui arien. De la mme manire,

    des contributions sintressent des aspects, non pas marginaux,

    mais probablement sous-estims. On trouvera ici deux tudes de

    fond sur lemploi darmes chimiques dans les conflits asym-

    triques et sur les prises dotages. Ce sont deux sujets importants

    qui ont donn matire, encore une fois, une littrature spcia-

    lise ; mais, comme souvent, celle-ci reste trop peu prise en

    compte dans la rflexion gnrale.

    Enfin, et peut-tre surtout, fidle la vocation de lInstitut

    de Stratgie Compare qui est de privilgier la recherche fonda-

    mentale, ce numro essaie, malgr ses limitations de tous ordres,

    desquisser quelques dveloppements thoriques. On a souvent

    dit que la notion de guerre irrgulire tait vague, trop vague pour

    fonder des analyses utilisables. Le fait est quon lui a prfr,

    dans les dernires dcennies, des notions juges plus opratoires,

  • ditorial 11

    plus modernes, notamment celle de guerre asymtrique.

    Pourtant, le concept de guerre irrgulire se refuse disparatre, il

    semble mme resurgir, y compris sur un plan institutionnel avec

    la mise en place de groupes de travail sur la guerre irrgulire au

    sein des organismes doctrinaux des forces amricaines. Peut-tre

    est-il possible de donner ce concept apparemment flou une

    substance ? Cest ce quessaie de montrer David Cumin partir

    de cet auteur de rfrence inpuisable quest Carl Schmitt.

    On le voit, le programme de recherche est immense. Il faut

    remercier les coles militaires de Saint-Cyr Cotquidan et de la

    Fondation Saint-Cyr davoir lanc cette initiative qui procure, en

    un temps remarquablement court, des rsultats dj notables.

    LISC se flicite davoir pu y apporter une premire contribution

    qui devrait tre suivie par deux contributions historiques

    majeures1, en attendant dautres dveloppements venir.

    Herv COUTAU-BGARIE

    1 Avec la publication prochaine de la thse de Sandrine Picaud-Monnerat sur

    la petite guerre au XVIIIe sicle et de la recherche collective sur lhistoire

    militaire des guerres de Vende.

  • Guerres irrgulires : de quoi parle-t-on ?

    Herv COUTAU-BGARIE

    omme aurait pu le dire le trs regrett M. de La

    Pallice, la guerre irrgulire est cense sopposer

    la guerre rgulire. Dans la pratique, lappellation

    guerre rgulire nest jamais usite ; en revanche,

    les historiens parlent souvent de guerre rgle. Lide est la

    mme, savoir que la guerre, correctement entendue et faite, doit

    tre gouverne par des lois. Celles-ci peuvent tre de deux

    ordres :

    juridique, avec le droit de la guerre qui se dcompose en deux branches : le droit la guerre (jus ad bellum) et

    le droit dans la guerre (jus in bello). Le premier dfinit

    les acteurs qui ont lgitiment comptence pour faire la

    guerre (au-del de toute linfinie diversit des situations

    historiques, on retrouve un critre fondamental qui est

    celui de la souverainet). Le deuxime dfinit des

    rgles de conduite observer afin de limiter les effets

    destructeurs de la guerre (protection accorde aux civils

    ou au moins certaines catgories dentre eux, propor-

    tion observer entre les fins et les moyens). La

    synthse de ces deux branches trouve sa forme la plus

    acheve dans la doctrine de la guerre juste, esquisse

    ds lAntiquit tardive avec saint Augustin et porte

    sa perfection par les canonistes mdivaux.

    stratgique, avec les principes de la guerre dgags par la science militaire. Ces principes sont de vritables lois

    (pour les dterministes) dont lobservance ou la non-

    CC

  • 14 Stratgique

    observance peut et doit conduire la victoire ou la

    dfaite.

    La guerre sera donc dite irrgulire ds lors quelle nobser-

    ve pas lun de ces codes. On mesure demble toute lampleur et,

    en mme temps, toute lambigut du sujet qui relve de deux

    champs nettement diffrents : dun ct, le droit avec ses prolon-

    gements ou ses consquences morales, philosophiques ou reli-

    gieuses ; de lautre, la stratgie avec sa dualit politique et mili-

    taire. Lapprciation sur la guerre irrgulire est un jugement de

    valeur du premier point de vue, alors que, du deuxime, elle nest

    quune froide valuation de lefficacit de la conduite adopte.

    Il est ds lors trs difficile de dfinir la guerre irrgulire,

    puisquil est pratiquement impossible denserrer les deux ordres

    de considrations dans une seule dfinition. Le critre juridique

    de comptence varie en fonction de la dfinition de la souve-

    rainet : le droit international moderne identifie celle-ci ltat,

    mais celui-ci nest pas une donne permanente et universelle :

    comment en faire application des socits non-tatiques comme

    lAfrique ou lAmrique avant larrive des Europens ou au

    Moyen ge ? Par ailleurs, le droit international contemporain a

    connu une volution remarquable provoque par le phnomne

    de la rsistance contre le nazisme durant la seconde guerre mon-

    diale, puis par les guerres dindpendance des peuples coloniss.

    Il en est ainsi arriv (en 1977, par le protocole I de la convention

    de Genve) reconnatre un statut des combattants qui auraient

    t auparavant considrs comme irrguliers, donc non protgs

    par le droit de la guerre, ce qui pose aujourdhui un problme ds

    lors que nimporte quel mouvement de libration, voire des

    mouvements terroristes, se rclament dune tel statut. Sur le plan

    stratgique, les choses sont galement loin dtre simples : les

    principes ne sont que des vrits trs gnrales qui sincarnent

    dans des procds trs divers, sinon parfois antagonistes. Depuis

    lAntiquit, on se trouve confront un problme rcurrent : le

    mme procd sera qualifi de stratagme, valide au regard du

    droit et de la stratgie, sil est mis en uvre par son propre camp,

    et de vilnie, de tricherie, de lchet, condamnable tous gards,

    sil est mis en uvre par ladversaire.

  • Guerres irrgulires : de quoi parle-t-on ? 15

    La conclusion est simple : la diversit des situations histori-

    ques est trop grande pour quil soit possible de dfinir un critre

    universel qui permettrait de caractriser lirrgularit la guerre.

    La seule solution est de recourir une dmarche que les politistes

    contemporains qualifient dhistorico-descriptive, cest--dire la

    constitution dun corpus rassemblant toutes les manifestations

    que lon peut ranger intuitivement dans la catgorie des guerres

    irrgulires, en vue didentifier quelques caractres communs qui

    permettront de pousser un peu plus loin lanalyse. Cette dmar-

    che inductive ne peut tre effectue qu partir dindices essen-

    tiellement ngatifs : la guerre sera irrgulire, dans tous les cas,

    lorsquelle sera mene par des combattants sans statut napparte-

    nant pas larme rgulire, cest--dire mise sur pied et entre-

    tenue par un pouvoir souverain. Un tel critre est suffisamment

    souple pour tre dapplication trs large sinon universelle, au-

    del de la constitution finalement trs tardive des armes perma-

    nentes. Certes il peut y avoir des cas litigieux, par exemple ceux

    des corsaires ou des francs-tireurs. La rgularit est certaine lors-

    quelle est reconnue par les deux camps, elle doit tre value au

    cas par cas lorsquelle est proclame par un camp et rfute par

    lautre.

    Sur le plan stratgique, la guerre irrgulire soppose ce

    que lon a appel, depuis le XVIIIe sicle, la grande guerre, et que

    lon appelle aujourdhui la stratgie conventionnelle, avec un lien

    troit, sinon indissoluble, entre arme rgulire et stratgie fon-

    de sur des principes. Mais les choses peuvent tre beaucoup plus

    compliques : si les armes rgulires recourent prioritairement

    la grande guerre, elles ne ddaignent pas le recours dautres

    formes de guerre, que lon peut appeler stratgies alternatives et

    qui peuvent tre regardes, du fait de leur opposition la stratgie

    classique conventionnelle, comme des guerres irrgulires.

    On peut en proposer une liste non exhaustive qui, au-del

    de ses insuffisances et raccourcis, suffit faire apparatre luni-

    versalit du phnomne et donc la ncessit et la difficult de son

    tude.

  • 16 Stratgique

    FORMES TERRITORIALES

    I Antiquit occidentale : guerre expditionnaire - guerre

    dembuscades - guerre sauvage

    Du point de vue stratgique, la guerre irrgulire est celle

    qui oppose Rome des barbares qui refusent la bataille.

    Lappellation de guerre expditionnaire apparat chez les auteurs

    romains, particulirement chez Tite Live, qui parle de furtiva

    expeditio pour dsigner les raids en territoire ennemi (sous

    lEmpire, au-del du limes). Lappellation guerre dembuscades

    (insidiae) est galement employe, pour dsigner la guerre de

    harclement conduite par des ennemis de Rome. Larme romai-

    ne y sera frquemment confronte, les deux cas les plus efficaces

    tant la guerre mene en Afrique par Jugurtha, raconte par

    Salluste, et la guerre mene en Lusitanie par Viriathe, raconte

    par Tite-Live.

    Nous sommes bien documents sur ces exemples clbres

    mais on peut en trouver dautres bien avant Rome. Les Perses,

    puis Alexandre le Grand ont ainsi t confronts la guerre trs

    mobile des Scythes.

    Du point de vue juridique, sont irrgulires toutes les

    guerres civiles et les guerres insurrectionnelles rsultant de soul-

    vements desclaves ou de mercenaires. Polybe parle de guerre

    sauvage (aspondos) propos de la guerre des mercenaires com-

    mands par Matho contre Carthage, de -241 -238 : Elle stait

    accompagne dexcs et datrocits dpassant de loin tout ce

    quon avait pu voir jusque-l1.

    II Chine ancienne : guerre errante

    Cest ainsi que lon peut rendre approximativement le

    concept chinois de youji jiangjun, que lon constate notamment

    durant la priode de guerres internes entre les Han et les Tang, du

    VIe au X

    e sicle. Alors que la guerre rgulire est trs centralise,

    avec des gnraux troitement contrls par la cour, la guerre

    errante est irrgulire double titre : le gnral jouit dune trs

    large autonomie, au point de pouvoir lever lui-mme ses troupes

    parmi la population locale et de mener ses oprations sa guise

    1 Franois Decret, Carthage ou lempire de la mer, Paris, Seuil, 1977,

    p. 177.

  • Guerres irrgulires : de quoi parle-t-on ? 17

    sur les arrires de lennemi, sans dpendre directement et en per-

    manence du commandement central. Les deux critres juridique

    et stratgique se trouvent ainsi runis, de manire discutable pour

    le premier, puisquil y a malgr tout une autorisation du pouvoir

    central, de manire indiscutable pour le second.

    III Byzance : guerre des vlites

    Cette appellation est emprunte lun des plus clbres

    traits militaires byzantins, celui attribu lempereur Nicphore

    Phokas et connu sous le titre latin de De Velitatione. Il dcrit une

    guerre base de mobilit et de harclement, gnralement

    pratique sur les frontires orientales de lempire, par opposition

    la guerre plus conventionnelle pratique sur les frontires

    europennes, selon un modle qui conserve encore le souvenir,

    sinon lhritage, des lgions romaines2.

    IV Moyen ge occidental : guerre guerrante

    Cette appellation caractrise certains pisodes de la guerre

    mdivale en Europe occidentale, dont le plus clbre est vi-

    demment celui de Du Guesclin qui, aprs les dsastres de Crcy

    et de Poitiers, permet la France de reprendre linitiative par le

    refus des batailles ranges et le recours une tactique de harc-

    lement. Le critre juridique nest ici gure utilisable dans une

    priode de fragmentation ou daffaiblissement extrme du pou-

    voir politique ; le critre stratgique est, en revanche, pleinement

    applicable.

    V Espagne mdivale : gineta et zenetes

    On trouve une variante hispanique avec la gineta mise en

    uvre par les royaumes chrtiens durant la Reconquista. La

    gineta est fonde sur une cavalerie lgre, la chevalerie de type

    classique, trop lourde, tant incapable daffronter efficacement

    2 Lopposition nest cependant pas absolue, puisque les Hongrois, hritiers

    dune culture militaire de la steppe, pratiquent aussi une guerre base de

    mobilit. Mais la spcificit hongroise sestompe progressivement, avec

    ladoption dune culture militaire de type europen partir de lpoque arpa-

    dienne, sans cependant disparatre compltement.

  • 18 Stratgique

    les combattants musulmans beaucoup plus mobiles : pour certains

    historiens, la gineta ne serait dailleurs que la transposition des

    zenetes arabes. Mme remarque pour la validit des critres que

    dans le cas prcdent.

    VI - Guerres paysannes

    toutes les poques, les masses paysannes se sont soule-

    ves contre limpt. En rgle gnrale, elles taient trop dsor-

    ganises pour reprsenter une relle menace. Certaines dentre

    elles sont nanmoins parvenues un degr dorganisation qui a

    transform les oprations de rtablissement de lordre en guerre

    civile : cest le cas de la rvolte de Wat Tyler en Angleterre

    (1381), de la rvolte de Pougatcheff en Russie (1773-1774). Des

    chefs surgis du peuple (Guillaume Carle, chef de la jacquerie de

    1358) ou parfois de larme (on a suggr une filiation entre les

    restes des routiers disperss par Du Guesclin et les tuchins

    rvolts en 1382-13833) ont su organiser de vritables forces

    armes et mettre en uvre des tactiques relativement labores,

    reposant gnralement sur lvitement de la bataille frontale et le

    harclement des forces gouvernementales. Il nest pas interdit de

    penser que le souvenir des grands soulvements paysans sous le

    rgne de Louis XIV (rvolte des Croquants, des Nu-pieds) a

    survcu et a inspir un mouvement contre-rvolutionnaire comme

    la chouannerie.

    VII Europe moderne 1 : guerre de partis - guerre des

    partisans

    Lpoque moderne voit lapparition de groupes qui oprent

    indpendamment de lArme runie et que lon va appeler partis.

    Au XVIIe sicle, on se mettra parler plutt de guerre de

    partisans. Le critre juridique est ici peu prs inapplicable mal-

    gr lapparition des premires troupes soldes, la frontire entre

    le soldat et lhritier des grandes compagnies tant pour le moins

    permable ; le critre stratgique est, en revanche, tout fait

    applicable, avec lvitement de la bataille et le recours une

    tactique de harclement.

    3 M. Mollat et P. Wolff, Ongles bleus, Jacques et Ciompi, Paris, Calmann-

    Lvy, 1970, p. 181.

  • Guerres irrgulires : de quoi parle-t-on ? 19

    VIII Europe moderne 2 : petite guerre

    Le genre atteindra sa perfection au XVIIIe sicle sous

    lappellation de petite guerre, transpose dans toute lEurope :

    piccola guerra, klein Krieg, war in detachments Il sera thoris

    par des auteurs importants comme La Croix, Grandmaison,

    Jeney, La Roche La petite guerre est un complment de la

    grande guerre, mene par des soldats dment enregistrs et dont

    les chefs sont pourvus de commissions dofficiers. La petite

    guerre nest donc pas irrgulire dun point de vue juridique ; elle

    lest, en revanche, dun point de vue stratgique, tant la conti-

    nuation pure et simple de la guerre de partis et de la guerre de

    partisans.

    IX Europe moderne 3 : guerre de milices

    Au plan local, la dfense territoriale est assure par des

    milices dont le statut, quoique rgl par des ordonnances royales,

    est pour le moins incertain : lors de linvasion de la Provence par

    larme du duc de Savoie, en 1707, les milices harclent larme

    ennemie en retraite : Cestoit partout comme une chane dem-

    buscades et de continuelles attaques et dchanges de mousque-

    terie Ceux que les ennemis ont pu prendre ont t pendus aux

    arbres, ce qui na pourtant pas effray les autres, ny ralenti leur

    poursuite4. On trouve lquivalent sur les confins autrichiens

    gards par des soldats-colons.

    X Guerre de course

    Elle est le pendant de la guerre de partisans sur mer.

    Lautorit souveraine dlivre des lettres de marque par lesquelles

    elle concde un particulier le droit de faire la guerre, au nom du

    souverain mais pour le profit dudit particulier. Le problme est

    que certains tats, victimes des agissements des corsaires ou

    flibustiers, refusent de reconnatre la validit de telles lettres de

    marque et assimilent les corsaires et flibustiers de vulgaires

    pirates ; la sanction quils encourent en cas de capture est gnra-

    lement la mort. Le statut juridique de cette guerre de course est

    4 Lettre du marquis de Grignan cite dans Fernand Braudel, LIdentit de la

    France. Espace et histoire, Paris, Arthaud Flammarion, 1986, p. 331.

  • 20 Stratgique

    donc pour le moins ambigu, toujours partag entre la reconnais-

    sance et la condamnation. Le critre stratgique fait rentrer la

    course dans la guerre irrgulire, ds lors quelle refuse laffron-

    tement militaire pour sattaquer des objectifs conomiques,

    cest--dire civils, dans le cadre dune stratgie dusure.

    XI - Rvolution franaise 1 : gurilla

    La Rvolution franaise marque une rupture avec lappari-

    tion dun nouveau genre que lon va appeler gurilla, partir de

    la guerre dEspagne. Gurilla est simplement le mot espagnol

    pour petite guerre, mais les deux concepts vont dsormais recou-

    vrir des ralits diffrentes : la petite guerre dsignera, comme

    lorigine, un complment de la grande guerre, mene par des

    combattants rguliers, alors que la gurilla ne sera plus un com-

    plment, mais une alternative la grande guerre, mene par des

    combattants irrguliers.

    Il y a de nombreuses expriences localises la fin du XVIIe

    sicle et au XVIIIe sicle :

    les Chenapans du Palatinat,

    les Barbets de Savoie,

    les Camisards des Cvennes,

    les chasseurs sudois dans la grande guerre du Nord 1700-1721 ,

    la crochetta corse.

    Mais la premire gurilla de grande ampleur est la guerre

    de Vende aprs lchec de lArme catholique et royale (vaincue

    dans la Vire de Galerne) qui avait essay de reproduire le

    modle de la grande guerre. Le grand homme de cette adaptation

    est le chevalier de Charette, ancien officier de marine (donc

    dpourvu des strotypes et des prjugs des officiers de

    larme). Le modle aura un grand retentissement dans toute

    lEurope (Charrette recevra mme une lettre de Souvoroff) et il

    sera reproduit spontanment par les insurgs espagnols.

    La petite guerre dsignera donc, lpoque contemporaine,

    une ralit tactique et stratgique, alors que la gurilla dsignera

    une ralit juridique et stratgique. Dautres appellations seront

  • Guerres irrgulires : de quoi parle-t-on ? 21

    employes, gurilla tant parfois rendue par guerre de partisans,

    par corps francs, parfois mme par corsaires terrestres (Napolon

    dlivrera des lettres de marque pour une course terrestre lors de la

    campagne de France en 1814).

    XII Rvolution franaise 2 : chouannerie

    Une variante de la gurilla est la chouannerie que lon peut

    dfinir comme une micro-gurilla, mene avec des effectifs trs

    restreints dans un primtre rduit. Cette symbiose entre un

    terroir et les combattants interdira toute extension du phnomne,

    mais contribuera sa prennit (on trouvera encore des Chouans

    en Bretagne jusquen 1850).

    XIII Empire franais : guerre nationale

    La guerre nationale est le contraire de la chouannerie, cest-

    -dire une gurilla organise lchelle dun pays. Cest le rve

    des patriotes allemands qui appellent la formation dune

    Landwehr issue dun soulvement national qui doit harceler

    larme franaise. Par rapport la gurilla, les diffrences sont

    notables sur les deux plans :

    dun point de vue juridique, la Landwehr est cense avoir un statut, car rsultant dune dcision du pouvoir

    souverain, mais ladversaire refuse de reconnatre ce

    statut ;

    dun point de vue stratgique, la Landwehr se rapproche plutt de la petite guerre largie, ds lors quelle est

    conue comme un complment et non comme une alter-

    native la grande guerre. Dans les faits, elle naura

    quune efficacit trs limite, bien en de des espran-

    ces de ses promoteurs, dont le plus clbre est un jeune

    officier dtat-major alors inconnu, Carl von Clausewitz.

    XIV - XIXe sicle : guerre insurrectionnelle

    Le XIXe sicle va voir lmergence dun genre nouveau, la

    guerre dinsurrection ou insurrectionnelle, qui va prendre le relais

    des rvoltes dAncien rgime. Du point de vue juridique, elle est

    tout fait irrgulire puisque issue de mouvements sans lgiti-

  • 22 Stratgique

    mit politique, plus forte raison sans souverainet. Du point de

    vue stratgique, elle se diffrencie des rvoltes informes des

    sicles prcdents par un essai dorganisation et mme de thori-

    sation : des traits sont crits par divers auteurs italiens, alle-

    mands ou polonais. La guerre insurrectionnelle commence gn-

    ralement comme gurilla, mais avec lobjectif de se muer ds que

    possible en grande guerre conduite par des troupes rgulires,

    puisque son but est de semparer de ltat ou de crer un nouvel

    tat. Ainsi agiront les insurgs hongrois en 1848 ou les insurgs

    polonais lors de leurs soulvements rpts contre les Russes.

    Dautres en restent au stade primitif, faute de moyens ou de

    vision : cest le cas des guerres carlistes en Espagne.

    Une autre nouveaut est la fin du caractre rural des soul-

    vements, qui pourront dornavant se drouler en milieu urbain :

    ce sera le cas en Pologne, durant les soulvements du XIXe sicle,

    en France avec la Commune de Paris en 1871 et en Irlande au

    dbut du XXe sicle, lors de la Pque sanglante de 1916 (le soul-

    vement est cras en une semaine) et durant la guerre dindpen-

    dance en 1919-1921 (gurilla de Michael Collins, combattue par

    les Black and Tans).

    Ces guerres insurrectionnelles, ainsi que les multiples

    soulvements populaires ou nationaux qui jalonnent le XIXe si-

    cle, susciteront une riposte qui sera mme thorise sous lappel-

    lation de guerre des rues. Sa figure emblmatique est la marchal

    Bugeaud, dont on a rcemment retrouv le manuscrit sur La

    guerre des rues et des maisons. Moins connu, le gnral Roguet

    est redcouvrir.

    XV - Guerres coloniales 1 : le modle ibrique

    La guerre coloniale nest pas une invention du XIXe sicle,

    puisquelle apparat ds les dbuts de lexpansion europenne.

    Elle fait mme lobjet dune amorce de thorisation au XVIe sicle

    avec le Soldado Pratico de Diogo do Couto. Dans lAmrique

    lusophone, on parle dabord de guerra brasilica, dcrite par le

    pre Manuel Calado dans O Valoroso Lucideno e Triunfo da

    Liberdade (1650), partir de la guerre contre les Hollandais ;

    puis de guerre noire (guerra preta) contre les esclaves noirs

    rvolts ; enfin de guerra da emboabas contre les Indiens.

  • Guerres irrgulires : de quoi parle-t-on ? 23

    XVI - Guerres coloniales 2 : les guerres indiennes

    En Amrique du Nord, les Anglais font face aux Indiens,

    dont les mthodes de guerre se rvlent souvent efficaces,

    bloquant la progression des colons vers lintrieur sur de longues

    priodes (un sicle dans la valle de lOhio). Au Canada, les

    Franais font alliance avec les Indiens, do lappellation

    anglaise dIndian and French Wars. dfaut de thorisation,

    elles ont donn lieu des rcits parfois pntrants (Bouquet). Les

    colons ont retourn ces mthodes contre les Anglais durant la

    guerre dIndpendance.

    XVII - Guerres coloniales 3 : le XIXe sicle

    Mais cest au XIXe sicle que la guerre coloniale se dve-

    loppe vritablement, avec le dbut de la pntration en profon-

    deur lintrieur des continents africain et asiatique en vue dune

    colonisation de peuplement. Face un adversaire de culture

    stratgique radicalement diffrente, il faut inventer dautres

    mthodes fondes sur la mobilit. La France donne le signal avec

    lexpdition dAlgrie. Va ainsi apparatre une cole coloniale

    qui commence avec Bugeaud et qui va tre mise en pratique et

    thorise par de grands noms comme Pennequin, Gallieni,

    Lyautey

    Lcole britannique, domine par le major-gnral Callwell

    (Small Wars, 1900), est galement active.

    XVIII Guerre de 1870 : francs-tireurs

    Lappellation francs-tireurs va tre mise la mode lors de

    la guerre de 1870, lorsque aprs leffondrement du rgime

    imprial et la capitulation de larme rgulire Sedan, la

    Rpublique essaie de ressusciter lesprit de la leve en masse de

    1793 et encourage, non sans rticences parfois, la constitution de

    corps francs ou francs-tireurs. Si les effets proprement stratgi-

    ques sont relativement limits, limpact psychologique sera

    immense et durable, contribuant largement au durcissement de la

    guerre contre les civils ds 1914.

  • 24 Stratgique

    XIX Deuxime guerre mondiale : rsistance - maquis

    La premire guerre mondiale a vu une remise en cause du

    droit de la guerre traditionnel, avec les civils qui peuvent

    dornavant tre la cible des oprations militaires (principalement

    par le bombardement arien). Avec la seconde guerre mondiale,

    ils deviennent dornavant des acteurs. Dans une guerre totale,

    idologique, tous les moyens sont utilisables, y compris ceux qui

    taient auparavant proscrits par le droit de la guerre. On va parler

    de rsistance, avec une modalit spcifique lorsque les rsistants

    se regroupent dans les montagnes ou les forts pour constituer

    lembryon dune force combattante future : on parlera alors de

    maquis.

    Toutes les modalits stratgiques sont utilises : la gurilla

    mene par les maquis est la plus frquente, mais on trouve aussi

    la guerre psychologique et le terrorisme en milieu urbain, voire le

    passage la grande guerre dans des circonstances exception-

    nelles : cest notamment le cas de linsurrection communiste

    yougoslave conduite par le marchal Tito.

    Du point de vue juridique, la lgalit et la lgitimit des

    mouvements de rsistance sont immdiatement reconnues par les

    allis, alors que les Allemands les qualifient sans rserve de

    terroristes.

    XX Monde contemporain : guerre rvolutionnaire

    La gurilla sous ses multiples formes ntait gnralement

    quun pis-aller, impos par limpossibilit de mener une grande

    guerre. Le gurillero tait dans une situation de faiblesse, inca-

    pable de prendre linitiative, au-del de son horizon immdiat.

    Labsence dencadrement politique limitait, le plus souvent, son

    efficacit au seul plan tactique. Les choses changent lorsque la

    gurilla se dote dune idologie et dun cadre thorique, fournis

    par le marxisme, pour devenir la guerre rvolutionnaire. Le

    gurillero nest plus ds lors en situation dfensive, se battant

    pour la prservation de son identit ou de lordre ancien, il prend

    linitiative en vue dun changement radical. Il ne lui suffit pas de

    prserver son pr carr, il recherche la destruction de son

    adversaire, labolition du systme existant. Lidologie lui fournit

    une lgitimit que le droit lui refuse. Dun point de vue

    stratgique, il part dune gurilla impose par les circonstances

  • Guerres irrgulires : de quoi parle-t-on ? 25

    pour passer la grande guerre ds que le rapport de forces sest

    suffisamment rquilibr.

    Le grand thoricien de la guerre rvolutionnaire est Mao Ze

    Dong, dans Problmes stratgiques de la guerre rvolutionnaire

    (1938) et Problmes stratgiques de la guerre rvolutionnaire en

    Chine (1940). Mao dmontrera lefficacit de ses thories durant

    la guerre civile chinoise. Aprs lui viendront de multiples pi-

    gones en Asie (Giap), en Afrique (Amilcar Cabral), en Amrique

    latine (Che Guevara), prsentant des variantes parfois consid-

    rables. La plupart de ces mouvements cherchent dabord sim-

    planter en zone rurale, un seul prnera la gurilla urbaine (les

    Tupamaros dUruguay, sous la conduite de Marcos Marighella)

    qui se terminera par un chec lamentable. Les succs de la guerre

    rvolutionnaire sont bien connus : Chine, Indochine, Viet-nam

    On y mle souvent des luttes pour lindpendance qui ne sont pas

    communistes (Algrie).

    La guerre rvolutionnaire suscitera logiquement son oppos

    avec la guerre contre-rvolutionnaire, domine par lcole fran-

    aise qui se forge en Indochine et parvient maturit en Algrie

    avec des thoriciens comme Trinquier (La Guerre moderne,

    1964), Lacheroy, Galula (Contre-insurrection, 1964), et les

    multiples collaborateurs de la Revue militaire dinformation. Il

    existe galement une cole britannique, dont la figure la plus

    connue est sir Edward Thompson, le pacificateur de la Malaisie

    (Defeating Communist Insurgency, 1966). Cette cole de guerre

    contre-rvolutionnaire thorise la pacification et la guerre

    psychologique, ayant bien compris que face ladversaire mar-

    xiste, les moyens militaires sont insuffisants et doivent sappuyer

    sur une riposte politique et psychologique (on dira ultrieurement

    mdiatique). Moins connus que ceux de ses adversaires, ses

    succs ne sont cependant pas nuls : victoires sur les Mau-Mau au

    Kenya, sur les Huks aux Philippines, sur les communistes chinois

    en Malaisie

    XXI - XXIe sicle : conflits de basse intensit - conflits

    asymtriques

    Lre nuclaire rendant impossible la guerre centrale entre

    grandes puissances, on assiste, partir des annes 1960-1970,

    la prolifration de crises rgionales et locales qui prennent la

    suite des guerres de libration nationale. La doctrine amricaine

  • 26 Stratgique

    les qualifie, partir des annes 1980, de conflits de basse inten-

    sit. Dans les annes 1990, certains auteurs se mettent parler de

    conflits de moyenne intensit. Depuis le milieu des annes 1990,

    ces deux catgories aux contours assez flous sont regroupes

    dans un conglomrat encore plus informe, que lon appelle

    conflits asymtriques, la notion tant apparue dans les annes

    1970, au lendemain de la guerre du Viet-nam (Andrew Mack,

    1975). Consacre par la Quadriennal Defense Review de 1997, la

    notion a connu une clatante fortune au point dinclure aujour-

    dhui peu prs tous les conflits en cours. Sa thorisation est tout

    juste amorce.

    Le recours par les adversaires asymtriques des moyens

    modernes conduit certains commentateurs parler de techno-

    gurilla. Le thoricien pionnier est un Franais, le lieutenant-

    colonel Guy Brossollet (Essai sur la non-bataille, 1976), qui

    raisonnait encore dans le contexte de la guerre froide face la

    menace dune invasion sovitique. Le concept a paru trouver une

    premire mise en application avec la guerre mene par le Hezbol-

    lah chiite contre Isral au Liban lt 2006. Franck G.

    Hoffmann a rcemment propos lappellation de guerres hybrides

    (Conflict in the 21st

    century : the rise of hybrid wars, 2007), pour

    rendre compte de ce mlange de motivations religieuses ou triba-

    les, juges archaques par la modernit, et de moyens perfec-

    tionns. On se met aussi parler de nouvelles guerres, appellation

    commode et encore plus indistincte (Mary Kaldor, Old and New

    Wars, 1999. Herfried Munkler, Die neuen Kriege, 2003 ; traduc-

    tion franaise 2006), de guerres btardes (Arnaud de La Grange

    et Jean-Marc Balencie, Les Guerres btardes, 2008) Les

    affaires dIrak et dAfghanistan sinscrivent dans cette catgorie.

    FORMES NON TERRITORIALES

    XXII - Guerre subversive

    Avec la guerre froide, les Occidentaux accusent lUnion

    sovitique de prparer la rvolution mondiale par des actions

    subversives au cur mme des pays libres. La guerre subversive

    se distingue donc de la guerre rvolutionnaire qui se droule dans

    les pays coloniss et se caractrise par une dimension militaire

  • Guerres irrgulires : de quoi parle-t-on ? 27

    active. La guerre subversive ne fait pas encore appel aux armes,

    mais recourt divers procds de dmoralisation et dintoxication

    de la population. Elle peut aussi inclure des actions spciales,

    avec la constitution de rseaux dormants susceptibles de lancer,

    le moment venu, des actions de terrorisme ou de sabotage dans la

    perspective dune guerre classique. Le thme est lanc ds la fin

    des annes 1940, par exemple par Fritz Otto Miksche (Secret

    Forces, 1950). Il deviendra un vritable lieu commun de la

    pense militaire franaise dans les annes 1950-1960. Mais il y

    aura galement dimportants prolongements dans dautres pays,

    jusqu Roger Mucchielli (La Subversion, 1971).

    Lexistence mme de ces actions subversives suscite,

    encore aujourdhui, un dbat, certains niant lexistence dune

    direction centralise de la contestation et y voyant plutt des

    phnomnes spontans. Les pays occidentaux ont rpondu, sur

    leur propre sol, par des ripostes, lgales (interdiction du parti

    communiste allemand en 1959) ou secrtes (opration Gladio de

    mise sur pied de mouvements dormants anti-communistes, dont

    certains chapperont tout contrle pour glisser vers la mafia et

    le terrorisme, particulirement en Italie). Ils ont galement lanc

    des actions subversives en direction des pays communistes, soit

    ouvertes (avec Radio Free Europe), soit secrtes (avec le soutien

    des mouvements anti-communistes).

    XXIII Terrorisme 1 : les terrorismes historiques

    Lobjectif du terrorisme nest pas de prendre le contrle

    dun territoire, ni daffaiblir militairement son adversaire, mais

    damener le pouvoir, de lui-mme ou sous la pression de

    lopinion, composer, sinon capituler.

    Le phnomne est universel : zlotes juifs du Ier

    sicle,

    secte des Assassins au Moyen-Orient au XIIIe sicle. Au XIX

    e

    sicle, certains rvolutionnaires, anarchistes plus que marxistes,

    choisissent loption du terrorisme, avec lespoir de prcipiter un

    soulvement gnral. Le terrorisme anarchiste sera particulire-

    ment spectaculaire dans la deuxime moiti du XIXe sicle, avant

    de steindre progressivement sous la pression conjugue de

    rformes politiques et dune rpression policire efficace. Mais il

    peut aussi y avoir un terrorisme mis au service dune cause natio-

    nale, comme dans le cas des Carbonari italiens et des Fenians

    irlandais qui cherchent tirer parti du dveloppement de la

  • 28 Stratgique

    presse. Cest le dbut du terrorisme publicitaire. Il y a aussi le

    terrorisme des Thugs indiens contre les Anglais.

    Le terrorisme resurgira au XXe sicle, combin avec la

    gurilla, en Irlande durant la guerre dindpendance (1919-1921),

    puis dans la guerre civile qui sensuivra (1921-1922) ou seul,

    lappui de revendications nationalistes dans les Balkans (Main

    noire serbe avant 1914, qui organise lattentat de Sarajevo ;

    Oustacha croate et ORYM macdonienne dans lentre-deux-guer-

    res), puis en Palestine la fin des annes 1940, o le terrorisme

    du groupe Stern se combine avec la gurilla de lIrgoun.

    XXIV Terrorisme 2 : les terrorismes contemporains

    Le terrorisme va renatre partir des annes 1970, comme

    expression la plus extrme du nihilisme contemporain plutt que

    comme projet politique (RAF en Allemagne, Action directe en

    France, Brigades rouges en Italie), mais il sera galement remis

    au service de causes minoritaires ou nationales (Fatah palestinien,

    IRA en Ulster, ETA basque, FLB breton). Dans les annes 1980,

    le terrorisme nihiliste dextrme-gauche sera peu prs jugul,

    certains terrorismes politiques glisseront vers le banditisme

    (FNLC corse) ou les trafics mafieux (FARC en Colombie). Dans

    les annes 1990, le relais sera pris par le terrorisme fondamen-

    taliste islamique et par de nouveaux mouvements sparatistes

    (UCK au Kosovo, Tigres tamouls au Sri Lanka, mouvements

    tchtchnes, Front Pattani en Birmanie, Front Rohringa en

    Thalande).

    La caractristique commune la plupart de ces nouveaux

    mouvements est leur radicalisation, avec le passage dun terro-

    risme cibl (contre les symboles et les agents de ltat) ou de

    prises dotages non sanglantes, dans un but mdiatique (enlve-

    ment de Fangio par les castristes, premiers dtournements

    davions par les Palestiniens) un terrorisme aveugle qui vise

    tuer et crer le chaos. La grande nouveaut est le recours, par

    les islamistes et les Tamouls, aux attentats-suicides. La riposte

    repose sur une panoplie tendue de moyens combinant prven-

    tion, rpression et persuasion (Hoching, 2003) :

    emploi de lois dexception ;

    gnralisation du renseignement ;

  • Guerres irrgulires : de quoi parle-t-on ? 29

    contrle prventif des activits politiques ;

    intervention militaire en cas de dsordres ;

    stratgie de communication de crise.

    XXV Terrorisme 3 : hyperterrorisme ?

    Les attentats du 11 septembre 2001 ont conduit Franois

    Heisbourg forger le concept dhyperterrorisme, voulant signi-

    fier quil tait dornavant possible dobtenir par des actions terro-

    ristes des rsultats matriels immenses, alors que le terrorisme

    classique ne cherchait que des effets psychologiques, les seuls qui

    lui taient accessibles. La validit du concept reste encore

    dmontrer : Grard Chaliand le rcuse (Les Guerres irrgulires,

    2008). Les attentats qui ont suivi le 11 septembre (Madrid, 2004 ;

    Londres, 2005 ; Bali, 2006 ; Bombay 2008) restent conformes

    au modle traditionnel, avec des effets matriels trs limits.

    Mais le risque dattaque des infrastructures essentielles existe, de

    mme que celui de mise en uvre darmes de destruction mas-

    sive (apparition du bioterrorisme : secte Aoum au Japon, lettres

    lanthrax aux tats-Unis ; spectre du terrorisme nuclaire).

    Les tats-Unis prennent la menace au srieux et recourent

    des ripostes globales (Global War On Terror), combinant action

    militaire extrieure (Afghanistan, 2001 ; Irak, 2003) et scurit

    intrieure (Homeland Security), avec des rsultats contrasts.

    Lerreur de base rside dans labsence de discrimination entre

    djihadisme global et terrorismes locaux qui appellent des rpon-

    ses diffrentes : aucune ngociation nest envisageable avec le

    djihadisme global, alors que des solutions politiques peuvent

    contribuer lradication de terrorismes locaux.

    *

    * *

    Ce survol extrmement cursif suffit suggrer, la fois,

    luniversalit et la diversit du phnomne des guerres irrgu-

    lires. Lhistorien, sensible la spcificit de chaque situation

    historique, soulignera les caractres propres chaque phnomne

    et limpossibilit de les runir tous sous une seule dfinition,

    voire mme en quelques grandes catgories. Le stratgiste et le

    politiste ne peuvent se satisfaire dun tel constat, ils doivent

  • 30 Stratgique

    essayer didentifier des points communs de manire faire appa-

    ratre des invariants constitutifs dune thorie stratgique uni-

    versellement valide et, quand cela est possible, une gnalogie

    faisant ressortir les continuits, les filiations, entre des mouve-

    ments apparemment disjoints. Ce travail de comparaison est

    difficile, sinon impossible, dun point de vue juridique, tant il

    oblige une prise en compte de tous les facteurs sociaux : les

    catgories du droit des gens moderne, devenu le droit internatio-

    nal contemporain, largement issu du droit romain, sont diffici-

    lement transposables dans des socits non-europennes qui peu-

    vent avoir dautres catgories, dautres conceptions du droit :

    quest-ce quun combattant irrgulier lorsquil ny a pas dauto-

    rit politique souveraine, lorsquil ny a pas darme perma-

    nente ? On la dj dit, les situations la marge sont frquentes.

    En revanche, la comparaison est plus facile dun point de vue

    stratgique, ds lors que le domaine peut plus facilement tre

    isol de son contexte social. Au-del dinfinies variantes, on voit

    apparatre quelques points communs qui peuvent nous servir de

    guide et, surtout, un dnominateur commun fondamentalement

    ngatif : le refus de la grande guerre avec ce qui en est le

    paroxysme, au moins dans la thorie stratgique contemporaine,

    la bataille range, du dnouement du conflit par la confrontation

    directe des forces militaires. Pour reprendre une distinction

    popularise par Liddell Hart, toutes les guerres irrgulires

    relveraient de la stratgie indirecte. Mais une stratgie indirecte

    nest pas forcment irrgulire.

  • La thorie du partisan de Carl Schmitt

    David CUMIN

    arl Schmitt (1888-1985)1 a t un universitaire et

    un partisan intellectuel : en parlant ainsi de

    Rousseau2, cest de lui-mme quil parlait, linstar

    de ses crits sur Machiavel, Hobbes, Savigny, Tocqueville ou

    Donoso Corts, vritables autobiographies3 dguises. Avec sa

    Thorie du Partisan4, Schmitt a voulu faire uvre scientifique : il

    a analys le phnomne dun point de vue historique, philoso-

    phique, politologique, juridique, soit une relle contribution la

    polmologie contemporaine, sintressant aussi bien aux guerres

    napoloniennes et la guerre franco-prussienne de 1870 qu la

    1 Cf. notre thse de doctorat : La pense de Carl Schmitt (1888-1985), ainsi

    que notre livre : Carl Schmitt. Biographie politique et intellectuelle, Paris,

    Cerf, 2005. 2 Dem wahren Johann Jakob Rousseau, Zrcher Woche, 29 juin 1962,

    article crit loccasion du 250e anniversaire de la naissance de Rousseau,

    dans lequel Schmitt se rfre longuement louvrage de Rolf Schroers, Der

    Partisan. Ein Beitrag zur politischen Anthropologie (Cologne, Kiepenheuer u.

    Witsch, 1961). 3 Cf. Ex Captivitate Salus. Expriences des annes 1945-1947, Paris, Vrin,

    2003 (1950), prsent et annot par A. Dormus. 4 Paris, Calmann-Lvy, 1972 (1963), 96 pages. complter avec les deux

    textes suivants : Conversation sur le partisan. Carl Schmitt et Joachim

    Schickel (1970), in La Guerre civile mondiale (recueil de six textes de

    Schmitt parus entre 1943 et 1978), Maisons-Alfort, Ere, 2006, prf. C. Jouin,

    pp. 113-136 ; Clausewitz comme penseur politique (1967), in Carl Schmitt :

    Machiavel, Clausewitz. Droit et politique face aux dfis de lhistoire (recueil),

    Paris, Krisis, 2007, pp. 43-85, tude de fond sur Clausewitz, Fichte, les

    rformateurs prussiens, le choc des lgitimits dynastique et populaire, la

    formation du nationalisme et la lutte contre Napolon. Cf. notre article :

    Linterprtation schmittienne de Clausewitz, Stratgique, n 78-79, 2000.

    CC

  • 32 Stratgique

    seconde guerre mondiale et aux guerres dIndochine ou dAlg-

    rie. Mais, contre-rvolutionnaire allant sur le terrain de la rvolu-

    tion, Schmitt a aussi voulu faire uvre militante : le nationaliste

    antimarxiste a contre-distingu le partisan patriote et le partisan

    communiste5 ; le juriste hostile aux juridictions de Nuremberg

    6,

    utilisant lanticommunisme, a cherch rhabiliter la Wehrmacht

    confronte la guerre de partisans en URSS et a entendu dnon-

    cer les consquences de ce type de guerre sur le jus in bello7 ; le

    5 Telle quelle sest dveloppe, tout dabord au cours de la guerre sino-

    japonaise depuis 1932, puis dans la seconde guerre mondiale et enfin, aprs

    1945, en Indochine et dans dautres pays, la guerre de partisans de notre

    poque conjugue deux processus opposs, deux formes de guerre et dhostilit

    totalement diffrentes : dune part, la rsistance autochtone, de nature dfen-

    sive, que la population dun pays oppose linvasion trangre, et, dautre

    part, le soutien et le tlguidage de cette rsistance par des tiers intresss,

    des puissances dagression jouant au plan mondial (prf. La Notion de

    politique-Thorie du partisan, Paris, Calmann-Lvy, 1972, 1963, p. 55). 6 Sur cet aspect, cf. Thorie du partisan, op. cit., pp. 218-227, 231-253, 267,

    286-289. Rappelons que deux types de crimes internationaux commis par des

    Allemands furent distingus par les Allis : les crimes localiss ou mineurs,

    soumis rpression par les Puissances allies sparment, notamment par

    leurs tribunaux nationaux ou leurs tribunaux doccupation en Allemagne ; les

    crimes majeurs, sans localisation gographique particulire, soumis rpres-

    sion par les Puissances allies conjointement, travers le Tribunal militaire

    international pour lEurope, sis Nuremberg (en zone amricaine). Du 14

    novembre 1945 au 1er octobre 1946, le TMIE constitua le procs principal,

    celui des dirigeants et des organisations accuses dtre criminelles (Cabinet

    du Reich, Corps des chefs du NSDAP, SS et SD, Gestapo, SA, tat-Major

    gnral et Haut Commandement des forces armes). Le TMIE fut suivi par

    une srie dautres procs contre les cadres des organisations juges criminelles

    (Corps des chefs du NSDAP, SS, SD, Gestapo), notamment les douze procs

    tenus par le Tribunal militaire amricain Nuremberg, du 9 novembre 1946 au

    14 avril 1949, contre 195 accuss. Britanniques, Franais et Sovitiques

    conduisirent galement des procs en Allemagne, de moindre importance. Par

    la suite, la rpression fut confie aux Allemands eux-mmes, via lOffice

    central pour linstruction des crimes de guerre, bas Ludwigsburg. Fut

    notamment institu le procs des gardiens dAuschwitz Francfort en 1963-

    65 (celui des ingnieurs dAuschwitz eut lieu Vienne en 1972). Sajoutent

    les jugements rendus lencontre de ressortissants allemands par les cours des

    pays ayant t occups par lAllemagne, ou encore laffaire Eichmann en

    Isral. 7 Rappelons que le jus in bello, ou droit de la guerre au sens strict (relatif

    laction de guerre), rgit lusage de la force arme en dterminant qui a le droit

    de faire la guerre et comment, autrement dit, qui sont les acteurs (les combat-

    tants) et quels sont les instruments (les armements) et les modalits des

    conflits arms ; le jus ad bellum, ou droit de la guerre au sens large (relatif

  • La thorie du partisan de Carl Schmitt 33

    thologien politique a renouvel son affirmation thique du poli-

    tique lencontre du libralisme et du pacifisme8. Schmitt na pas

    plus rdig un manuel de stratgie consacr la guerre irrgulire

    ou la contre-guerre irrgulire, quil na rdig des manuels de

    droit constitutionnel, de droit international ou de science

    politique.

    Pourtant, sa Thorie du partisan peut tre considre

    comme lquivalent de la Thorie de la Constitution10

    , du Nomos

    de la Terre11

    ou du Concept du politique12

    , cest--dire comme

    un ouvrage de rfrence, en tout cas, une tape incontournable

    dans lapprhension du phnomne. Il y a l un paradoxe logique.

    Figure de la Rvolution conservatrice allemande, Schmitt a t

    le doctrinaire de lEglise catholique et de ltat. Il a aussi t le

    Kronjurist de la Reichswehr, le laudateur puis le dfenseur de

    linstitution militaire prussienne : cest ainsi quon peut interpr-

    ter le sens de son uvre. Or, cet adepte de lautorit, expert du

    droit de crise, thoricien de la dictature et promoteur de la

    dfense de la constitution, donc de la lutte contre lennemi

    intrieur13

    , sintresse la rbellion et linsurrection ! Il sy

    intressait, comme toujours, de son point de vue de juriste rudit

    et engag. Le connaisseur de la tradition chrtienne, le philoso-

    phe de ltat et le taxinomiste des droits fondamentaux, mais

    ltat de guerre), rgit le recours la force arme en dterminant qui a le droit

    dordonner la guerre et pourquoi, autrement dit, qui sont les auteurs (les

    belligrants) et quels sont les causes ou les buts des conflits arms. 8 Cf. Heinrich Meier : Carl Schmitt, Lo Strauss et la notion de politique. Un

    dialogue entre absents, Paris, Commentaire/Julliard, 1990, prf. P. Manent. 10 Paris, PUF, 1993 (1928), prf. O. Beaud. 11 Le Nomos de la Terre dans le droit des gens du jus publicum europaeum,

    Paris, PUF, 2001 (1950), prf. P. Haggenmacher. 12 Rappelons que le Concept du politique, toujours traduit en franais par La

    notion de politique, a connu diffrentes versions. La version de 1963 a t

    prsente par Julien Freund et traduite par Marie-Louise Steinhauser en 1972

    sous le titre : La notion de politique - Texte de 1932 avec une prface et trois

    corollaires, plus la Thorie du partisan (Paris, Calmann-Lvy), le tout rdit

    en collection Champs, Flammarion en 1999. Cf. Piet Tommissen : Contribu-

    tions de Carl Schmitt la polmologie, Revue europenne des sciences

    sociales. Cahiers Vilfredo Pareto, n 44, 1978, pp. 141-170, pp. 142-145. 13 Schmitt dveloppe les lments de la lutte contre lennemi intrieur : tat

    dexception, dictature, interdiction des partis rvolutionnaires, limitation

    matrielle de la rvision constitutionnelle, mutation politique du droit pnal...

    Cf. notre article : Lennemi intrieur dans luvre de Carl Schmitt, Strat-

    gique, paratre.

  • 34 Stratgique

    aussi lopposant la Rpublique de Weimar comme la Rpu-

    blique de Bonn, voquait non seulement la distinction -aussi

    rvolutionnaire quantipositiviste- de la lgalit et de la lgiti-

    mit, mais encore le droit de rsistance loppression14

    . Lorsque

    ltat ne protge plus, le devoir dobissance la loi cesse (prote-

    go ergo obligo, tel est le cogito ergo sum de ltat hobbsien,

    disait Schmitt). Si du refus dobir aux autorits on passe la

    dsobissance puis, violence ajoute, la rsistance, souvre la

    perspective de la guerre civile, antithse de ltat. La problma-

    tique du droit de rsistance loppression mne ainsi la ques-

    tion de savoir si une guerre civile peut tre lgitime : de mme

    quil existe, dans toutes les traditions religieuses, thiques ou

    juridiques, des guerres justes, existerait-il des guerres civiles

    justes ? Il savre donc que le thme de la guerre civile tait lun

    des horizons de sens de luvre du Juriste de lArme ! Cest

    pourquoi Schmitt ne pouvait qutre amen saisir la question du

    Partisan, celle de linsurg qui dsigne lui-mme lennemi, soit

    ltranger, soit lautorit, et le combat ou appelle le combattre

    les armes la main. Tel est le point commun entre ceux quon

    appelle terroristes, tous les partisans de lhistoire universelle, le

    gnral York en 1813, le gnral de Gaulle en 1940 ou le gnral

    Salan en 196115

    : ce sont des individus qui ont dclar la

    14 Thorie de la Constitution, op. cit., pp. 301-312 ; La Notion de politique,

    op. cit., pp. 95-96 ; Lgalit et lgitimit, in Du politique. Lgalit et

    lgitimit et autres essais (recueil de quinze textes de Schmitt parus entre

    1919 et 1952), Puiseaux, Pards, 1990, prf. A. de Benoist, pp. 39-79, p. 62 ;

    Le Fhrer protge le droit (1934), Cits, n 14, 2003, pp. 165-171 ; Ltat

    comme mcanisme chez Hobbes et Descartes (1937), Les Temps modernes,

    1991, pp. 1-14, pp. 7-8 ; Il Leviatano nella dottrina dello stato di Thomas

    Hobbes. Senso e fallimento di un simbolo politico (1938) et Il compimento

    della Riforma. Osservazioni e cenni su alcune nuove interpretazioni del

    Leviatano (1965), in Scritti su Thomas Hobbes (recueil des cinq textes de

    Schmitt sur Hobbes), Milan, Giuffr, 1986, prf. C. Galli, pp. 60-143, 159-

    190, pp. 119-120, 175 ; Fhrung und Hegemonie, Schmollers Jahrbuch,

    LXIII, 1939, pp. 513-520, p. 514 ; Entretien sur le pouvoir (1954),

    Commentaire, n 32, 1985-86, pp. 1113-1120, pp. 1114-1115. 15 Carl Schmitt compare les trois personnages dans les pages 300 302 de la

    Thorie du partisan. Raymond Aron a rpondu cette comparaison dans

    Penser la guerre, Clausewitz, Paris, 2 t., Paris, Gallimard, 1976, t. 2, pp. 117-

    123, 219-222. Rappelons que le 18 juin 1940, jour de lAppel, le gouverne-

    ment en place, de manire parfaitement lgale, en France, ntait pas celui de

    Vichy, mais celui de la IIIe Rpublique, qui sapprtait, de manire tout

    aussi parfaitement lgale, signer un armistice avec lAllemagne et lItalie.

  • La thorie du partisan de Carl Schmitt 35

    guerre, y compris la guerre civile, sans tre des autorits

    publiques lgales, qui ont fait la guerre, y compris la guerre

    civile, sans tre des agents publics lgaux ou sans bnficier

    dune dlgation publique lgale.

    Avec la Thorie du partisan, Schmitt se concentre sur le

    concurrent et ladversaire du Soldat, lun, acteur de la guerre irr-

    gulire ou subconventionnelle, lautre, acteur de la guerre rgu-

    lire ou conventionnelle. Il en tablit la gnalogie, la typologie

    et la critriologie. proprement parler, sa rflexion nest pas

    dordre stratgique : pour pluridisciplinaire et multidimension-

    nelle que ft son uvre, le savant na pas t un stratgiste ; elle

    sinscrit dans la poursuite de la rflexion sur le politique. La

    Thorie du partisan est troitement lie au Concept du politique,

    comme lindique son sous-titre : Note incidente relative au

    Concept du politique. Lune a t publie et lautre a t rdit

    la mme anne 1963 ; les deux livres ont t runis en un seul

    volume dans la traduction franaise de 1972. On y retrouve la

    mme ide fondamentale : le politique dfini par la relation

    dhostilit, do rsulte la tension dialectique entre le politique et

    ltat. Le noyau de ltat, cest la relation de protection et

    dobissance ; le noyau du politique, cest la relation ami-ennemi.

    Ltat, en tant quunit politique, doit conserver le monopole de

    la dsignation de lennemi (le monopole de la violence lgitime,

    disait Max Weber) sil veut continuer dassurer la protection et

    dimposer lobissance ; mais tout antagonisme nest jamais com-

    pltement supprim au sein de ltat ; les situations exception-

    nelles que sont la rvolution ou la guerre civile montrent que le

    monopole tatique peut voler en clats. Cette ide fondamentale

    exprime dans les annes 1930, Schmitt lexpose dans un nou-

    veau contexte, celui de la guerre froide et des guerres de dcolo-

    nisation, propice aux guerres civiles internationalises dans

    lesquelles sillustrent les partisans. La Thorie renouvelle ainsi

    les rflexions schmittiennes sur le problme de la dsignation de

    lennemi, la distinction lgalit/lgitimit, la thorie et le droit de

    la guerre, le contraste entre la guerre sur terre et la guerre sur

    mer, le dclin du jus publicum europaeum et la problmatique du

    nouveau nomos du globe. Cest dire si la Thorie du partisan ne

    contient pas quune thorie du partisan ! Connue et traduite

  • 36 Stratgique

    depuis longtemps, commente par Raymond Aron16

    , on la pr-

    sentera en la compltant et en montrant en quoi elle a t une

    tape indispensable au dveloppement de lanalyse du phno-

    mne17

    , videmment mene par dautres auteurs18

    .

    DTERMINATION DE LIRRGULARIT ET DUALIT

    DE LA FIGURE DU PARTISAN

    En faisant la rtrospective des guerres irrgulires, Carl

    Schmitt prsente un matriau empirique trs diversifi. En ressor-

    tent, dune part, un point commun fondamental, qui rside dans

    lirrgularit, dautre part, la dualit de la figure du Partisan.

    Daprs Schmitt, la gurilla espagnole de 1808 1813 fut le

    point de dpart historique du phnomne partisan au sens

    moderne, mme si les protagonistes taient encore anims par des

    idaux traditionnels. Toutes les poques ont connu des rgles de

    la guerre et, par consquent, des transgressions de ces rgles.

    Lgalit et rgularit, illgalit et irrgularit ne se confondent

    cependant pas : des combattants irrguliers (des partisans) peu-

    vent tre des combattants lgaux sils respectent les conditions

    poses par les Conventions pertinentes19 ;

    inversement, des

    16 Op. cit., pp. 61-79, 97-123, 187-207, 219-222. Cf. aussi Herv Savon :

    Lennemi absolu, Guerres et paix, n 12, 2-1969, pp. 76-79 (recension de

    Thorie du partisan), ainsi quEmile Perreau-Saussine : Raymond Aron et

    Carl Schmitt lecteurs de Clausewitz, Commentaire, n 103, 2003, pp. 617-

    622. 17 Les ouvrages rcents dAlain de Benoist (Carl Schmitt actuel. Guerre

    juste, terrorisme, tat durgence, nomos de la terre, Paris, Krisis, 2007)

    ou de Jrme Monod (Penser lennemi, affronter lexception. Rflexions crit