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Vous consultez Violence, norme et régulation sociale au Moyen Âge Essai de bilan historiographique parLaure Verdon Laure Verdon est maître de conférences HDR en histoire médiévale à l’université de Provence. Spécialisée dans le domaine de l’histoire politique du XIIIe siècle, ses recherches portent plus particulièrement sur les structures du pouvoir seigneurial et les relations établies entre le souverain et les nobles dans la Provence des premiers Angevins. Actuellement responsable scientifique du programme ANR Gouvaren (Gouverner par l’enquête au Moyen Age), elle a notamment publié : La terre et les hommes en Roussillon. Structures seigneuriales, rente et société d’après les sources templières, PUP, Aix-en-Provence, 2001. Rives méditerranéennes 2011/3 (n° 40) Pages : 120 Éditeur : M.M.S.H. Revue affiliée à Revues.org À propos de cette revue Site internet Le sujet de la violence au Moyen Âge est incontestablement à la mode et l’historiographie en ce domaine ne cesse de se renouveler depuis ces dernières décennies [1] Même si l’on

Laure Verdon Violence

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Vous consultezViolence, norme et rgulation sociale au Moyen ge Essai de bilan historiographique parLaure VerdonLaure Verdon est matre de confrences HDR en histoire mdivale luniversit de Provence. Spcialise dans le domaine de lhistoire politique du XIIIe sicle, ses recherches portent plus particulirement sur les structures du pouvoir seigneurial et les relations tablies entre le souverain et les nobles dans la Provence des premiers Angevins. Actuellement responsable scientifique du programme ANR Gouvaren (Gouverner par lenqute au Moyen Age), elle a notamment publi: La terre et les hommes en Roussillon. Structures seigneuriales, rente et socit daprs les sources templires, PUP, Aix-en-Provence, 2001.Rives mditerranennes2011/3 (n 40) Pages : 120 diteur : M.M.S.H. Revue affilie Revues.org propos de cette revue Site internet

Le sujet de la violence au Moyen ge est incontestablement la mode et lhistoriographie en ce domaine ne cesse de se renouveler depuis ces dernires dcennies [1] Mme si lon peut abonder en partie dans le sens de... [1] ; voil un constat ais formuler et frquemment voqu. Lobjet de ce court article nest donc pas de dresser un nime tableau de ce type, ni de fournir un point bibliographique exhaustif; son ambition voudrait plutt souligner les lignes de convergence des tudes historiographiques franaises les plus rcentes en la matire, quels que soient leurs objets particuliers et la priode plus prcise considre, afin de mettre laccent sur les interprtations nouvelles des dynamiques du lien social que la thmatique de la violence permet de mettre au jour dans le domaine de lhistoire mdivale.Violence, ordre juridique et politique 2Dans un ouvrage rcent [2] Claude gauvard, Violence et ordre public au Moyen ge,... [2] , Claude Gauvard souligne combien le thme de la violence, entendu comme tout acte ou parole qui rompt le tissu social et porte atteinte lordre public, est omniprsent dans les sources narratives du Moyen ge et a longtemps t interprt comme le tmoignage direct dune ralit sociale spcifique.3Cette somme de gestes, de comportements et de paroles dnoncs [3] Martine charageat, Dcrire la violence maritale au... [3] par les autorits et la socit comme illgitimes peut avoir des acteurs, des fondements et des formes trs divers allant de laggression physique ou verbale pure et simple la violence exerce au sein des familles en passant par les conflits engendrs par le droit de proprit. Le moteur de la vengeance [4] Dominique barthelmy, Franois bougard, Rgine le jan... [4] la faide dont le caractre obligatoire a fait qualifier les socits occidentales mdivales de socits vindicatives, apparat prgnant tout au long de la priode considre et engendre, son tour, des formes de violence cyclique en retour. Pourtant, la dnonciation de la violence telle quelle apparat dans les sources doit, elle-mme, faire lobjet dun dcryptage: il sagit le plus souvent de discours qui, sils peuvent reflter une certaine ralit, ont aussi une porte politique certaine. Ainsi, deux chantiers rcents de la recherche sur la violence mdivale permettent de souligner cette intention. Le premier est celui de la relecture actuelle de la dnonciation de la violence des milites, au tournant de lan mil, opre par les clercs en gnral et les moines en particulier [5] Sur cette question, voir notamment Dominique Barthelmy,... [5] , qui peut se comprendre comme la volont exprime par les clercs de se dmarquer de pratiques de pouvoir anciennes, daffirmer leurs liberts et dimposer un ordre social subordonn au pouvoir spirituel, dans le contexte de la rforme grgorienne qui distingue nettement les clercs des lacs. A lautre bout de lchelle chronologique, il en va de mme du discours sur la violence des mercenaires employs durant la guerre de cent ans, produit dune construction juridique et judiciaire destine stigmatiser comme criminels un certain nombre dactes, dcrits de manire strotype dans les sources judiciaires, dans lobjectif daffirmer le devoir souverain du maintien de la paix publique [6] Sverine Fargette, Rumeurs, propagande et opinion... [6] .4Se pose ainsi la question de la production de la norme, de ses fondements [7] Sur lacculturation juridique mise en uvre dans llaboration... [7] et de ce qui peut tre tolr en termes de violence par la socit. Si lon suit la dfinition quen donne Yan Thomas [8] Yan Thomas, Prsentation, Histoire et Droit, Annales... [8] , la norme nest pas ce qui sapplique directement aux faits ou aux individus, mais loutil qui sert formaliser des situations typiques qui rduisent les faits des formes juridiquement comprhensibles. Le droit oprerait de la sorte un fort remodelage de la ralit, et cest dans ce remodelage que reposerait lefficacit de laction juridique. La qualification juridique met ainsi en forme la vie sociale en dfinissant des entits (la personne, les biens, la proprit, etc) et des types de relations tablies entre elles (le contrat, le travail, etc). Au-del du simple fait dimposer une contrainte celle de respecter ces entits afin dviter le conflitle droit donne donc une ralit sociale ces catgories en les objectivant.5Or, lon constate que le degr de tolrance la violence dfini par lautorit est prcisment lun de ces outils dobjectivation au Moyen ge; il se trouve formalis, sur le plan juridique et judiciaire, par la qualification pnale qui va dterminer comme dlictueux un nombre de plus en plus important de gestes partir du XIIIe sicle, cest--dire pour aller vite partir de laffirmation idologique de lminence de la justice souveraine. En particulier les catgories de lexcs, de lenormia, vont contribuer dilater la notion de violence en ltendant tout comportement rprhensible parce que considr comme illgitime [9] Cest notamment lobjet de larticle de Martine Charageat... [9] . Le contexte est ici celui bien connu dsormais de laffirmation, partir de la seconde moiti du XIIe sicle, dune hirarchie judiciaire qui subordonne les juridictions considres comme subalternes au pouvoir de justice souverain et organise les procdures dappel auprs de linstance la plus haute [10] Olivier Guillot, Albert Rigaudiere, Yves Sassier, Pouvoirs... [10] . Ainsi, la distinction que lon trouve dj dans le droit romain [11] Chez Ulpiennotamment. [11] entre diffrents niveaux de justice ce que lon appelle au Moyen ge le mre et le mixte empire va-t-elle servir de fondement, associe au prcepte contenu dans la dcrtale Ut Fame du pape Innocent III qui enjoint que nul crime ne demeure impuni, laffirmation de catgories dlictueuses fondes sur lapprciation du geste violent. Relveront ainsi, partir de cette poque, de la justice de mre empire tous les cas dits royaux, dont les homicides mais galement les rixes ayant entran effusion de sang, alors que les simples bagarres demeurent du ressort des justices locales. [12] Cette distinction entre niveaux hirarchiss de juridictions... [12] Le cas du vol, tudi par Valrie Toureille montre, partir dune catgorie prcise de dlit, comment ce procd dobjectivation juridique de la ralit sociale contribue galement terme dfinir lespace public [13] Il existe donc bien ds lpoque mdivale une rflexion... [13] , puisque les vols commis sur les chemins publics relvent du mre empire, en mme temps que la progressive dtermination dune catgorie dlictueuse nouvelle celle du brigandage dont les exactions revtent la fois un caractre public et violent accrdite laffirmation du devoir souverain de justice [14] Valrie Toureille, Vols et brigandage au Moyen ge,... [14] . Cest la poursuite de ce mme devoir qui permet au souverain de criminaliser les actes perptrs par les tueurs gages dans la France de la fin du Moyen ge, dont la violence commandite et prmdite soppose lacte violent exerc en public et qui vise rparer un honneur bafou [15] Claude Gauvard, La violence commandite. La criminalisation... [15] .6La construction juridique de catgories pnales fondes sur le degr de violence ayant accompagn lacte dlictueux rpond ainsi la vise politique du maintien de lordre public, mais aussi, et au-del, la mise en place dun ordre social clairement hirarchis. Prenons un exemple concret, parmi dautres, celui des statuts criminels de la ville de Manosque dats de 1235 [16] Patricia Mac Caughan, La justice Manosque au XIIIe... [16] . Ce texte se prsente sous la forme dun arbitrage portant sur les crimes pour lesquels la cour seigneuriale (celle des Hospitaliers) peut agir ex officio. Le contenu des 25 articles de cette charte dfinit prcisment les critres de la paix sociale lintrieur de la ville en stigmatisant toutes les sources de violence et de dchirement potentiel du tissu social. Les peines pcuniaires sont gradues en fonction de la gravit estime des dlits envisags du strict point de vue du droit naturel qui protge les personnes et les biens et de lintrt de la communaut: les faits les plus svrement punis sont ainsi les violences perptres avec des armes, lamende tant plus forte si le coup a t port en un endroit du corps o la blessure peut tre mortelle. Il sagit, de fait, de stigmatiser par l le comportement dune certaine catgorie sociale celle des milites urbani, ou nobles rsidant en ville dont le privilge est prcisment de porter les armes nobles, une catgorie rpute violente et dont tous les statuts urbains du XIIIe sicle se proccupent [17] Sur ce sujet, voir Thierry Dutour, Les nobles et... [17] . Les atteintes portes aux biens dautrui, si ces biens ont t endommags dans leurs capacits de production ou de rapport (incendie de rcoltes, arrachage de plantes portant fruits, dlits contre le btail), sont galement svrement punis [18] Ce genre de dlit fait galement partie des actions... [18] .7La violence et le discours qui laccompagne peuvent galement tre instrumentaliss des fins politiques. Un ensemble dtudes portant sur la violence aristocratique au tournant de lan mil [19] Cest le cas notamment des travaux de Dominique Barthelmy... [19] use ainsi dsormais du concept de violence symbolique pour qualifier le comportement des seigneurs du XIe sicle, dnonc par les clercs, qui useraient de la force ostentatoire pour revendiquer leurs droits et contraindre de la sorte les tablissements ecclsiastiques avec lesquels ils se trouvent en conflit rechercher le compromis. Certains types de violence acquirent ainsi une forme de tolrance sociale en ce quils reprsentent un outil daffirmation dun statut social. Cest le cas notamment dune figure particulire de disputes nommes calumpniae, que Bruno Lemesle dfinit de la sorte: Les calumpniae sont la fois des disputes, des contestations, des revendications de droit [elles] sont le mode par lequel quelquun revendique un droit contre une autre personne. Elles peuvent tre verbales, et en ce cas il importe de les faire connatre publiquement; elles peuvent prendre des formes de prdation ou de destruction souvent partielle et symbolique[] Lacception sociale de cette pratique se voit ce quaucune entit nen rejette le principe. Les tablissements religieux, via leurs dpendants laques, y recourent linstar des autres lacs. Quand, par contre, ils parlent de violence, ils veulent dire que la calumpnia est injuste car illgitime [20] Bruno Lemesle, Conflits et justice, p.8-9. [20] . La violence peut ds lors changer de camp et se retrouver manipule par les clercs eux-mmes, au nom de la dfense des faibles, par le recours la fiction de la vengeance du saint offens par exemple et sa mise en scne [21] Ces rflexions ont essentiellement t menes par les... [21] . Laccaparement du discours de la dnonciation de la violence, la capacit mettre une opinion autorise sur le degr dapprciation de celle-ci, ainsi que la condamnation de gestes ou paroles stigmatiss du sceau de lillgitimit accompagnent, de la sorte, un processus qui tient du rapport de force, par lequel se lisent les recompositions sociales et politiques qui affectent lOccident au tournant du XIe sicle.8 lautre bout de lchelle chronologique mdivale, la violence est galement une arme de revendication de droits entre les mains des princes du bas Moyen ge [22] Claude Gauvard, Les htels princiers et le crime:... [22] . Lusage de cliques militaires, notamment, devient dune efficacit redoutable pour ngocier avec le pouvoir et imposer une certaine prminence sociale qui repose sur lhonneur. Les travaux de Claude Gauvard ont montr, en effet, que cette notion dhonneur reprsente le fondement de tous les comportements sociaux du bas Moyen ge; son respect, voire sa restauration lorsque celui-ci a t offens publiquement, se retrouve lorigine de bien des comportements aggressifs et dlictueux [23] Ead., De grace especial. Crime, tat et socit en... [23] . Un cas de violence politique particulirement clbre lassassinat du duc dOrlans, frre de Charles VI, linstigation de son cousin le duc de Bourgogne en 1407 a ainsi fait lobjet rcemment dune relecture qui souligne la place relle prise par la rflexion juridique sur lusage de la violence des fins politiques au bas Moyen ge. Si le crime a t justifi par certains juristes au nom de la prservation du bien de ltat Louis dOrlans ayant t accus de tyrannie et dune certaine conception du pouvoir, qui aurait donc autoris le recours tous les moyens possibles, un personnage aussi minent que Jean Gerson le chancelier de lglise de Paris cette poque demeure quant lui impuissant imposer la condamnation de lhomicide en vertu de principes thiques [24] Corinne Leveleux-Texeira, Du crime atroce la qualification... [24] .9Car lobligation de prserver lhonneur du roi et de la couronne guide galement, et dune certaine manire, lvolution de la justice souveraine. On peut alors envisager lusage du geste violent comme instrument de la justice, un aspect li lvolution de la procdure qui introduit, par la recherche de la vrit, la ncessit dobtenir laveu [25] Sur cette thmatique, voir notamment larticle de Xavier... [25] . La violence au service de la justice pose galement la question du systme pnal et de son volution, de la place en particulier quy occupent les peines corporelles et infamantes. La littrature est dsormais abondante sur le sujet; soulignons plus particulirement en ce domaine les travaux pionniers de Jean-Marie Mglin sur la pnitence publique et ses usages qui montrent que loin dtre un simple thtre judiciaire, la performance de la peine corporelle rpond un vritable rituel dans le sens o elle transforme le statut de celui qui sy soumet, ce qui reprsente la condition sine qua non du pardon, et contribue dessiner les contours de lespace public dans lequel la norme peut se dployer [26] Jean-Marie Mglin, La pnitence publique, Revue... [26] .Conflits et rgulation sociale 10Dans le sillage des rflexions mises par les anthropologues, les mdivistes sinterrogent galement, depuis les annes 1980, sur le rapport entre geste violent et modes de rgulation sociale, un concept forg par lanthropologie juridique plus particulirement [27] Xavier Rousseaux, Violence et Judiciaire en Occident:... [27] . Ainsi lanalyse sest-elle peu peu dplace du conflit lui-mme et de ses composantes aux modes de rsolution de ce dernier [28] Le rglement des conflits au Moyen ge, Actes du XXXI... [28] . La question est de savoir, en effet, en quoi ces modes font sens, produisent de lordre social et reprsentent, au final, un medium dacculturation juridique [29] On trouvera un point historiographique complet sur... [29] .11Dans ce domaine galement, la priode du XIe sicle et de ses bouleversements apparents a suscit nombre de travaux. La thse dfendue en son temps par Georges Duby reposait sur lide selon laquelle la dnonciation des exactions seigneuriales opre par les clercs refltait un rel bouleversement des structures sociales, la violence ayant servi dans ce cadre accaparer et privatiser le pouvoir de justice. Ce dbat sarticulait donc sur la question de labsence suppose dtat en Occident entre XIe et XIIe sicle, ou plutt sur lide dun recul, dun affaiblissement des structures judiciaires de lautorit publique conscutifs la disparition de lempire carolingien. Cette absence aurait gnr lapparition dautres modes de rsolution des conflits, fonds sur la ngociation et la recherche du compromis [30] Voir notamment larticle fondateur de Patrick Geary,... [30] . Cette thse est aujourdhui fortement nuance, voire remise en cause, les historiens insistant notamment sur la prsence dlments juridiques forts, issus du droit crit romain et canon ou de la coutume, dans les procdures de rglement des conflits mdivaux. Ainsi, ds le dbut des annes 2000, Stephen D. White rexaminait le fonctionnement des plaids tenus dans la rgion de Mcon entre Xe et XIe sicle, ceux-l mmes qui avaient fourni Georges Duby les lments de sa thse [31] Stephen D. White, Tenth-century courts at Mcon and... [31] . Il soulignait notamment les lments de continuit prsents dans les modes de rsolution des conflits luvre dans cette rgion, plaidant contre une certaine tendance surinterprter la force de la justice publique du Xe sicle. Dautre part, la finalit du compromis, loin dtre une procdure nouvelle au tournant de lan mil, reprsenterait plutt llment commun aux modes judiciaires de part et dautre du XIe sicle. Ltat, au sens de lensemble des procdures qui visent ordonner la socit sous lautorit publique, ne serait donc pas un lment exogne venu progressivement, partir du XIIe sicle, restructurer une socit en dliquessence, mais reprsenterait bel et bien le produit dun processus juridique et politique arriv au stade de son achvement.12La question des procdures judiciaires qui constituent les modes de rglement des conflits de la priode des XIe-XIIe sicles, et de leur degr dintgration dlments juridiques, peut tre aborde travers ltude du systme probatoire, qui a fait couler beaucoup dencre dj! Cest lobjet, entre autres, des travaux de Bruno Lemesle sur la rgion angevine [32] Bruno Lemesle, Conflits et justice. [32] , pour lequel le renforcement de lautorit piscopale quaurait connu cette rgion au XIIe sicle, sous leffet de la rforme grgorienne, aurait conduit la mise en place de techniques de jugement plus rationnelles au sens mdival du terme, cest--dire fondes sur la ratio, soit le raisonnement logique, au dtriment de ce quil nomme une culture du dfi et un systme probatoire fond sur lordalie. Cet auteur crot mme pouvoir dceler, ds les annes 1130, la mise en place dun ensemble juridique de rfrences savantes qui permet aux vques de fonder sur le droit romain leur capacit juger et se dfendre en cas de calumpnia. Mme si ces citations savantes ne sont encore que ponctuelles et ne constituent sans doute pas un systme, il est indniable que le recours aux juristes professionnels par les autorits en charge de juger, ds le courant du XIIe sicle, entrane un essor de la tendance qualifier sur le plan pnal un nombre de plus en plus important dactes et doter ces mmes autorits dun arsenal rhtorique et juridique suffisant pour lancer des procs. Pour autant, la pratique du rituel judiciaire ne disparat pas; il convient donc de nuancer, son tour, la thse dune rationnalisation de la justice, tant il est vrai que les procdures voluent lentement, les modes accusatoire et inquisitoire coexistant parfaitement et de manire complmentaire jusqu une date avance.13Lun des acquis fondamentaux de lapproche anthropologique fut nanmoins de souligner le dcoupage squentiel auquel donne lieu la rsolution dun conflit dans les socits anciennes, qui rejette le jugement et sa mise en scne en aval de la chane. Auparavant, bien des moyens peuvent tre mis en uvre afin de trouver une solution qui vite la confrontation directe des parties devant la justice [33] On reconnat l le thme de linfrajudiciaire, ou parajudiciaire,... [33] .14Ainsi, lobligation apparente de satisfaire un besoin de vengeance sclaire dun jour nouveau; elle nest plus seulement perue comme une incapacit contrler les motions fortes qui entourent lexpression de la violence mais bel et bien comme un lment intrinsque de la procdure. Les socits mdivales sont lvidence fondes sur des pratiques vindicatives quil ne sagit pas de nier mais de replacer dans un processus social spcifique. Ce trait a, en effet, longtemps t considr par lhistoriographie comme disqualifiant, preuve de sauvagerie et antagoniste avec la prsence dlments juridiques comme fondements des jugements. Le colloque tenu Rome en 2003 [34] cf. note 4. [34] a permis de revenir sur ces ides reues et dentamer en quelque sorte une rhabilitation du systme judiciaire mdival, clair dun jour nouveau par le biais notamment des outils de lanthropologie juridique africaine et des pratiques contemporaines de la faide dans ces rgions. Ce colloque a ainsi pu rvler limportance des stratgies dployes au moment du rglement du conflit qui sordonne autour de trois temporalitssuccessives: celle de la confrontation, celle de la ngociation et celle du compromis de la recherche de la rconciliation, voire du pardon, de la prgnance enfin de la discussion entre les parties, qui peut parfois prendre laspect de la polmique et aboutit a posteriori la construction de rcits justificatifs.15Dans ce schma squentiel, les deux parties affrontes ne sont pas les seuls acteurs possibles. Laccent a t mis aussi, relativement rcemment, sur limportance des mdiateurs et des procdures de mdiation tout fait fondamentales la bonne marche de lensemble [35] Nous nvoquons pas ici la question des suppliques... [35] . Ces mdiateurs peuvent tre de statut divers, tels les agents auxiliaires de la justice qui joueront le rle dinterface entre les autorits et la population [36] Claire Dolan (dir), Entre justice et justiciables:... [36] , voire le souverain lui-mme, comme le montre Stphane Pquignot propos de Jacques II dAragon, qui use de ses rseaux familiaux et de la dette affective quils engendrent pour mener une vritable politique pacificatrice lchelle du bassin occidental de la Mditerrane au tournant des XIIIe et XIVe sicles [37] Stphane Pequignot, Au nom du roi. Pratique diplomatique... [37] .16Une catgorie de personnes semble au Moyen ge plus particulirement destine tenir ce rle cependant, et ce nest pas le moindre apport de la recherche rcente que de lavoir soulign: il sagit des femmes. La question a notamment t envisage trs rcemment par Rgine Le Jan sur la base dune tude de quelques rcits hagiographiques lotharingiens du XIe sicle [38] Rgine Le Jan Mdiation, genre et construction des... [38] . Elle montre comment peu peu se dessine la figure de la mdiatrice, entendue hors de tout contexte religieux, qui repose sur les qualits de persuasion reconnues aux femmes, allies leur rle dans les circuits du don et de lamiti spcifiques ltablissement des rseaux de pouvoir. Cette construction a une porte considrable: le tournant de lan mil reprsente, en effet, la priode o lon passerait dune conception sexue de la violence une interprtation genre des comportements lis aux conflits. Les figures fminines, en effet, durant le haut Moyen ge, sont trs souvent dcrites dans les sources narratives comme les instigatrices de la vengeance, car la femme relve par nature de la sauvagerie, et participe galement aux pratiques et stratgies visant prserver lhonneur aristocratique [39] Nira Pancer, Sans peur et sans vergogne. De lhonneur... [39] . Plus avant dans le Moyen ge, il semble que les frontires sexues se brouillent au profit dune conception genre des comptences qui autorise lapparition de la figure de la mdiatrice. Ce constat peut galement se faire partir des sources de la pratique: ainsi, Marseille au bas Moyen ge, le degr de masculinit des individus, quel que soit leur sexe, est-il apprci devant les cours de justice en fonction du type de dlit commis et du degr de violence qui la accompagn [40] Daniel L. Smail, The Consumption of Justice: Emotions,... [40] .17La violence nest pas seulement un instrument de la distinction des genres; elle reprsente aussi un outil de domination qui tablit et fixe lordre social de manire hirarchique mais galement lintrieur mme des groupes sociaux. Les anthropologues distinguent, en effet, deux types de violence: examinons tout dabord la violence dite horizontale, entre gaux, qui concerne pour ce que les sources peuvent en montrer pour le Moyen ge, les aristocrates entre eux ou vis--vis des tablissements ecclsiastiques contre lesquels ils sont en conflit. Ce type de violence, qui consiste affirmer un droit que lon considre comme lgitime, est souvent la consquence de la revendication de ce mme pouvoir par une autre personne. Se pose ainsi, de manire lie, la question des droits de la parentle et de la prgnance du sytme de la donation qui repose sur le maintien au mimimum dun droit de regard de la famille du donateur sur le bien alin. Les solutions juridiques ne manquent pas dtre trouves trs vite pour viter, autant que faire se peut, les conflits sur les terres. Ainsi, ds le Xe sicle, la revendication par les tablissements ecclsiastiques des droits lis limmunit passe par larrt des concessions de prcaires aux lacs et laffirmation de la pleine proprit de lglise sur ses terres [41] Florian Mazel, Amiti et rupture de lamiti. Moines... [41] . On peut galement envisager la mise en place du contrat demphytose et sa progressive diffusion entre XIe et XIIIe sicle comme une manire de garantir la paix en prvenant les conflits ventuels qui pourraient surgir autour de la possession des tenures. Ce type de contrat permet, en effet, de garantir les droits du tenancier et ceux de ses successeurs la libre jouissance de la terre [42] Pour une dfinition de lemphytose et des pistes de... [42] .18Il existe aussi une violence verticale, qui sexerce dans le cadre de la seigneurie lencontre des dpendants. Cette violence l peut avoir plusieurs traductions: il sagit soit dune violence physique directe souvent considre comme la marque par excellence de la coercition soit dune pression fiscale trop leve ou encore du maintien dans un statut considr comme humiliant tel le servage. La violence peut alors jouer dans lautre sens et camper le seigneur en victime en soudant contre lui lensemble des dpendants. Les sources sont, en ce domaine, fort peu nombreuses mais pas totalement inexistantes. Ainsi pour la Flandre des XIe-XIIe sicles, un ensemble de sept chroniques et textes hagiographiques font le rcit du meurtre dun seigneur et soulignent tous les rles possiblement attribus la violence en tant que mode de rgulation sociale [43] Robert Jacob, Le meurtre du seigneur dans la socit... [43] . La mise en scne de la violence, en particulier, renverse ici le schma narratif de la colre qui conduit la vengeance, normalement associ au comportement seigneurial. Le droulement de laction ordonn en une srie de squences successives conjuration, moment du passage lacte, mode dexcution, rpression souligne le ressort de la violence qui est la recherche de la vengeance poursuivie deux niveaux: celui de la communaut qui, en situation de crise, na pas encore dautres moyens, en ces temps de mise en place des structures de la seigneurie, que de sen prendre directement au seigneur ou ses agents; celui de Dieu qui, en autorisant laccomplissement du meurtre, rend manifeste limmanence de la justice divine. Le seigneur tait dailleurs, dans la plupart de ces rcits, connu pour ses excs associs au mpris des commandements divins.19La violence peut, de la sorte, galement tre lun des ciments dune communaut. Ici les sources sont plus prolixes, qui voquent les attaques ritualises contre les troupeaux trangers au terroir, par exemple, et le rle de catharsis que le geste violent va alors jouer [44] Pour la Provence, voir notamment Jean-Paul Boyer, Hommes... [44] .Violence et motion 20Lordonnancement social mdival est souvent considr comme reposant sur la dichotomie motionnelle fondamentale haine/amiti, la haine reprsentant un moteur puissant daction. Le besoin dexprimer cette motion, de la rendre publique surtout afin de mettre au jour les rseaux quelle permet de tisser, serait mme lorigine de vritables stratgies dployes par les justiciables qui, forts dune connaissance approfondie des diffrentes possibilits eux offertes, opreraient de vritables choix dans les modes de rglement de leurs conflits, choix que certains auteurs interprtent comme une forme de consommation de la justice [45] Cest en tout cas la thse, trs discute, dfendue... [45] .21La question des motions sous jacentes lexpression de la violence est une thmatique rcente de la recherche [46] Dans le domaine de lhistoriographie franaise concernant... [46] dont le terrain se trouve bien souvent min par les sources elles mmes. Les sources narratives, le plus souvent, dans lesquelles sont donnes voir de manire explicite la haine et la colre sont, en effet, suspectes dans la mesure o leurs auteurs peuvent tre souponns de manipulation et dcrivent, sans doute, au final beaucoup plus des comportements types que de vritables motions ressenties [47] La question du ressenti de lmotion est un sujet ... [47] . Les historiens qui travaillent sur les sources narratives sont ainsi partags lheure actuelle entre deux tendances interprtatives. La premire consiste ne voir dans lmotion exprime quun lment dun langage culturel formel et matris, un schma narratif possible parmi lensemble des vhicules que peut prendre la communication politique. Dautres, au contraire, empruntant leurs outils danalyse la sociologie de laction et lanthropologie, soulignent la part des rituels dans le langage politique mdival et le rle de moteur que jouent, ce titre, les motions exprimes publiquement dans ces occasions [48] Pour un bilan exhaustif, en forme de rflexion mthodologique,... [48] . Le cas de la colre a, ainsi, fait lobjet dtudes approfondies [49] Barbara Rosenwein (ed.), Angers Past. The social uses... [49] . Laurent Smagghe, par exemple, dans un article consacr au courroux des ducs de Bourgogne la fin du Moyen ge, souligne le rle tenu par les affects et leurs modes dexpression publique dans les prescriptions normatives destines guider les princes dans lapprentissage de leur fonction. La distinction qui sopre alors entre la mauvaise colre qui sexprime notamment par un changement brutal de la physionomie et des gestes dsordonns et la colre efficace et juste, limage de celle de Dieu, sert tablir les rgles du bon gouvernement [50] Laurent Smagghe, Sur paine dencourir nostre indignation.... [50] .22La colre nest pas lapanage du prince, loin sen faut cependant. Celle des masses est tout aussi redoutable et efficace parfois. Les tendances historiographiques en ce domaine prsentent une volution trs marque depuis le milieu du XXe sicle, qui tend interprter le geste de la rvolte comme port par des motivations politiques et non simplement comme une explosion de colre due la conjoncture [51] Il convient de rattacher ces tudes dsormais celles... [51] . On peut retracer cette volution de manire schmatique.23Entre le XIXe sicle et la premire moiti du XXe sicle, les historiens qui se sont penchs sur ce sujet cherchaient avant tout reconstruire le droulement vnementiel de la rvolte, qui bouleverse lordre tabli, et dresser une typologie de ces mouvements. Les sources narratives mettent laccent, en effet, sur la violence insense qui les accompagne, sur les crimes des rvolts, et en donnent une image ngative, reprise par liconographie, qui place les insurgs du ct de la sauvagerie.24 partir des annes 1960-1970, lhistoriographie marxiste favorisa le dveloppement des recherches sur les protestations sociales qui introduisirent un premier renversement de perspective. Des historiens comme Rodney Hilton, Eric Hobsbawm, ou Philippe Wolff et Michel Mollat en France utilisrent alors la notion de classe dans leurs analyses et lirent le conflit comme lexpression dune dynamique sociale. Lide tait que les systmes sociaux de domination gnraient, par nature, rgulirement de la contestation. Dans la tradition marxiste, en effet, la violence est perue comme la seule expression de la conscience des masses dans la mesure o dautres formes dexpression, lies la culture lettre, leur sont nies.25Depuis les annes 1990, la rvolte est envisage par les mdivistes comme un outil daction politique, clairement pens et choisi par un groupe ou une communaut structure. Celle-ci est capable de dterminer des stratgies collectives et de forger des outils politiques pour porter ses revendications. Ainsi, la rvolte des Tuchins, en Languedoc, est-elle interprte par Vincent Challet [52] Vincent Challet, Au miroir du Tuchinat. Relations... [52] comme un mouvement politique de protestation face lautorit royale qui le traite comme tel en le qualifiant de crime de rbellion. En Angleterre, la rvolte dite des Travailleurs peut aussi tre lue comme un instrument de rsistance mani par les communauts et de tentative dimposition dun programme juridique et politique [53] Claire Valente, The Theory and Practice of Revolt in... [53] . Ce sujet permet, ainsi, dclairer sous un autre angle la question du dveloppement de la socit politique et, pour lAngleterre en particulier, du rle jou par les lites urbaines. Au fond, la rvolte mdivale est dsormais envisage par les historiens comme un mode de communication politique qui se joue dans le cadre de lespace public et peut tre mis en scne par la manipulation des motions collectives. La peur, la haine peuvent tre utilises par les autorits urbaines des fins de propagande et canalises afin de pouvoir ngocier avec le pouvoir. On aboutit ainsi une autre lecture de la rvolte, non plus perue comme une explosion violente et spontane mais comme une stratgie opre par les lites pour utiliser lmotion populaire, influencer lvnement et en retirer des avantages politiques.26Si dsormais la violence sous toutes ses formes a acquis pleinement le rang dobjet historique, cest pour aller bien au del dune vision partielle et partiale de la socit mdivale, traverse de bruits et de fureurs face auxquels lautorit publique naurait eu dautres recours que la confiscation de la violence son profit. Les interprtations qui en sont faites tendent souligner plutt la plasticit et, au final, lefficacit politique confre progressivement cet outil de rgulation sociale. Dans cet ordre dides, la priode des XIe-XIIe sicles peut retrouver le rle de charnire que les dtracteurs de la thse de Georges Duby avaient fini par lui nier: la dnonciation des violences seigneuriales opre par les clercs ds le Xe sicle, mme si elle ne rflte sans doute pas un tat de faits toujours avr, la mise en place des structures seigneuriales puis la construction qui samorce, la fin du XIe sicle, de la sphre publique, la distinction genre des sphres de comptences enfin, tout ceci contribue confrer la violence un rle social nouveau. La violence, son exercice et sa rpression sont, en effet, au cur des discours qui fondent lordre social. Plus quun outil de domination, il sagit dun instrument de gouvernement. La loi, les statuts urbains, les lments normatifs qui fondent ltat, objectivent les pratiques sociales vindicatives et transforment la violence en un lment de dfinition de lespace public. La prgnance de la fama, qui allie besoin de vengeance et ncessit de lordre public, devient le principal instrument dacculturation juridique des populations, dont les modes daction sont encadrs et contrls au nom de lautorit souveraine.27Lhistoriographie de la violence mdivale ouvre ainsi dsormais la voie un largissement des champs dinterprtation du lien social et fait de ce paradigme singulier lune des dynamiques majeures de la production de lordre politique tout au long de la priode considre.Notes[1] Mme si lon peut abonder en partie dans le sens de Jean-Clment Martin lorsquil crit que le mot violence est suffisamment indtermin pour quaucune dfinition claire ne lui soit accroche et quil ne soit pas un mot-vedette dans les classifications bibliographiques courantes (art. Violence et rvolution, dans Christian delacroix, Franois fosse, Patrick garcia, Nicolas offenstadt (dir), Historiographies, II. Concepts et dbats, Paris, Folio, 2010, p.1276-1283, ici p.1276), le concept et le mot ont fait nanmoins leur apparition de plus en plus prgnante dans lhistoriographie mdivale. De mme, on ne peut rduire la rflexion et la condamnation de la violence lpoque mdivale aux seuls dbats sur la guerre juste comme le fait cet auteur. Voir notamment, et en dernier lieu pour lpoque mdivale, Antoine follain, Bruno lemesle, Michel nassiet (dir), La violence et le judiciaire du Moyen ge nos jours. Discours, perceptions, pratiques, Rennes, PUR, 2008 et Franois foronda, Christine barralis, Bndicte sere (dir), Violences souveraines au Moyen ge. Travaux dune cole historique, Paris, PUF, 2010. On consultera galement avec profit la riche introduction dans Lucien faggion et Christophe regina (dir), La violence. Regards croiss sur une ralit plurielle, Paris, CNRS ditions, 2010.[2] Claude gauvard, Violence et ordre public au Moyen ge, Paris, Picard, 2005.[3] Martine charageat, Dcrire la violence maritale au Moyen ge. Exemples aragonais et anglais (XIVe-XVIe sicle), Tracs, 2010/2 (n19), p.43-63, ici p.43.[4] Dominique barthelmy, Franois bougard, Rgine le jan (dir), La vengeance, 400-1200, Paris-Rome, De Boccard, 2006 (coll. EFR, n357).[5] Sur cette question, voir notamment Dominique Barthelmy, Chevaliers et miracles. La violence et le sacr dans la socit mdivale, Paris, Armand Colin, 2004 ainsi que Florian Mazel, Pouvoir aristocratique et glise aux Xe-XIe sicles. Retour sur la rvolution fodale dans luvre de Georges Duby, Mdivales, 54, 2008, p.137-152. Plus nuanc: Jean-Herv Foulon, Rflexions autour de lapplication de la rforme pontificale en France: le cas du Val de Loire, Revue dHistoire de lglise de France, 96, 2010, p.7-34.[6] Sverine Fargette, Rumeurs, propagande et opinion publique au temps de la guerre civile (1407-1420), Le Moyen ge, 2007/2, p.309-334.[7] Sur lacculturation juridique mise en uvre dans llaboration du systme normatif au Moyen ge, voir notamment lexemple de la rgion angevine dvelopp par Bruno Lemesle dans Conflits et justice au Moyen ge. Normes, loi et rsolution des conflits en Anjou aux XIe et XIIe sicles, Paris, PUF, 2008.[8] Yan Thomas, Prsentation, Histoire et Droit, Annales HSS, 57/6, 2002.[9] Cest notamment lobjet de larticle de Martine Charageat cit ci-dessus qui montre comment les juges ecclsiastiques forgent au bas Moyen ge la catgorie du crime conjugal en qualifiant comme excessifs certains comportements masculins cest--dire excdant le simple devoir de correction et portant atteinte la vie de lpouse. Sur la catgorie des enormia, voir Julien Thery, Atrocitas/Enormitas. pour une histoire de la catgorie dnormit ou crime norme au Moyen ge et lpoque moderne, Clio@Themis. Revue en ligne dhistoire du droit, 4, 2011.[10] Olivier Guillot, Albert Rigaudiere, Yves Sassier, Pouvoirs et institutions dans la France mdivale, t.2, Paris, Armand Colin, 1994.[11] Chez Ulpiennotamment.[12] Cette distinction entre niveaux hirarchiss de juridictions permet de discrditer les justices seigneuriales en particulier, rduites la connaissance des cas de mixte empire, moins que le seigneur ne reconnaisse tenir son pouvoir de justice sous lautorit souveraine cest--dire sous la forme dun privilge. Pour une approche dtaille et riche du fonctionnement de la justice seigneuriale, voir notamment Isabelle Mathieu, Les justices seigneuriales en Anjou et dans le Maine la fin du Moyen ge, Rennes, PUR, 2011.[13] Il existe donc bien ds lpoque mdivale une rflexion sur la violence qui distingue les sphres publique et prive, lespace public tant le domaine exclusif de la justice souveraine. Cette distinction se retrouve dans la dfinition pnale des dlits qui seront apprcis diffremment selon quils ont t commis au grand jour et au vu de tous ou cachs et de nuit. Bien videmment, au-del de lapprciation du degr de justice auquel ces considrations renvoient, il faut y voir galement la prgnance de la fama ou rumeur publique dans la socit mdivale qui peut seule suffire dclencher la machine judicaire. Voir sur ce dernier point Julien Thery,Fama: lopinion publique comme preuve judiciaire. Aperu sur la rvolution mdivale de linquisitoire (XIIe-XIVe sicles), La preuve en justice de lAntiquit nos jours, Rennes, PUR, 2003, p.119-147.[14] Valrie Toureille, Vols et brigandage au Moyen ge, Paris, PUF, 2006.[15] Claude Gauvard, La violence commandite. La criminalisation des tueurs gages aux derniers sicles du Moyen ge, Annales HSS, 2007/5, p.1005-1029.[16] Patricia Mac Caughan, La justice Manosque au XIIIe sicle. volution et reprsentation, Paris, Champion,2005 et Laure Verdon, La justice seigneuriale face ses administrs au XIIIe sicle: les voies de lquit, Gens de robe et gibier de potence en France du Moyen ge nos jours, Marseille, Images en Manuvres ditions, 2007, p.69-80.[17] Sur ce sujet, voir Thierry Dutour, Les nobles et la ville la fin du Moyen ge dans lespace francophone, CRMH, 13, 2006, p.151-164. Cest galement ce qui justifie linterdiction des guerres prives partir du XIIIe sicle, une mesure que lon trouve exprime dans tous les tats occidentaux.[18] Ce genre de dlit fait galement partie des actions strotypes reproches aux brigands et autres mercenaires, une qualification qui permet, au bas Moyen ge, de les considrer comme des ennemis et de leur faire encourrir la peine capitale.[19] Cest le cas notamment des travaux de Dominique Barthelmy qui a pris le contre-pied de la thse dveloppe par Georges Duby sur la mutation de lan mil, lequel voyait dans les dnonciations clricales des exactions seigneuriales lcho de pratiques sociales nouvelles.[20] Bruno Lemesle, Conflits et justice, p.8-9.[21] Ces rflexions ont essentiellement t menes par les tenants de la legal anthropology anglo-saxonne. Voir notamment, propos du maniement des reliques sur lequel ces procds reposent, Patrick Geary, Lhumiliation des saints, Annales ESC, 34, 1979, p.27-42.[22] Claude Gauvard, Les htels princiers et le crime: Paris la fin du Moyen ge, dans Anthropologie de la ville mdivale, Varsovie, d. DiG, 1999, p.11-30 et Entre justice et vengeance: le meurtre de Guillaume de Flavy et lhonneur des nobles dans le royaume de France au milieu du XVe sicle, dans Guerre, pouvoir et noblesse au Moyen ge, Mlanges en lhonneur de Philippe Contamine, Paris, Presse de lUniversit de Paris-Sorbonne, 2000, p.291-311. Ces deux articles sont repris dans le recueil Violence et ordre public, p.227-244 pour le premier et p.245-264 pour le second.[23] Ead., De grace especial. Crime, tat et socit en France la fin du Moyen ge, Paris, Presses de la Sorbonne, 1991.[24] Corinne Leveleux-Texeira, Du crime atroce la qualification impossible. Les dbats doctrinaux autour de lassassinat du duc dOrlans (1408-1418), Violences souveraines, p.261-270.[25] Sur cette thmatique, voir notamment larticle de Xavier Rousseaux Crime, Justice and Society in Medieval and Early Modern Times: Thirty Years of Crime and Criminal Justice History, Crime, histoire et socits/ Crime, History and Societies, vol.1, n1, 1997, accessible en ligne: http://chs.revues.org/index1034.html[26] Jean-Marie Mglin, La pnitence publique, Revue historique, 1998.[27] Xavier Rousseaux, Violence et Judiciaire en Occident: des traces aux interprtations (discours, perceptions, pratiques), La violence et le judiciaire, p.345-362.[28] Le rglement des conflits au Moyen ge, Actes du XXXI congrs de la SHMESP, Paris, Publications de la Sorbonne, 2001.[29] On trouvera un point historiographique complet sur lapproche anthropologique des conflits mdivaux dans Bruno Lemesle, Conflits et justice, p.5-9.[30] Voir notamment larticle fondateur de Patrick Geary, Vivre en conflit dans une France sans tat, Annales HSS, 1986, dont le titre volontairement provocateur voulait souligner la pertinence de lusage des outils de lanthropologie juridique port de manire pionnire par les historiens anglo-saxons dans le domaine de lhistoire mdivale pour comprendre des socits dans lesquelles labsence apparente dtat conduit lorganisation de rapports de force aux quilibres instables parce que contractuels et temporaires.[31] Stephen D. White, Tenth-century courts at Mcon and the perils of structuralist history: re-reading Burgundian judicial institutions, Conflict in Medieval Europe. Changing Perspectives on Society and Culture, Ashgate, Aldershot-Burlington, 2003, p.37-68.[32] Bruno Lemesle, Conflits et justice.[33] On reconnat l le thme de linfrajudiciaire, ou parajudiciaire, que plusieurs tudes ont cependant dsormais tendance considrer comme une part intgrante du processus judiciaire lui-mme. Voir notamment sur ce dernier point Patricia Mac Caughan, Justice Manosque.[34] cf. note 4.[35] Nous nvoquons pas ici la question des suppliques et autres formes de demandes de grce qui relvent dun dialogue direct entre lautorit et le justiciable, mme si le recours la plume dun juriste est parfois ncessaire.[36] Claire Dolan (dir), Entre justice et justiciables: les auxiliaires de la justice du Moyen ge au XXe sicle, Laval (Qubec), Presses de lUniversit de Laval, 2005. Pour une approche plus spcifique de la mdiation mdivale, voir A. Kosto, Making Agreements in MedievalCatalonia: Power, Order and the Written World, 1000-1200, Cambridge, Cambridge University Press, 2001.[37] Stphane Pequignot, Au nom du roi. Pratique diplomatique et pouvoir durant le rgne de Jacques II dAragon (1291-1327), Madrid, Casa de Velzquez, 2010.[38] Rgine Le Jan Mdiation, genre et construction des rcits: une comtesse mdiatrice en Lotharingie au XIe sicle, Un Moyen ge pour aujourdhui. Mlanges offerts Claude Gauvard, Paris, PUF, 2010, p.110-118.[39] Nira Pancer, Sans peur et sans vergogne. De lhonneur et des femmes aux premiers temps mrovingiens, Paris, Albin Michel, 2001.[40] Daniel L. Smail, The Consumption of Justice: Emotions, Publicity, and Legal Culture in Marseille, 1264-1423, Ithaca, Cornell University Press, 2003.[41] Florian Mazel, Amiti et rupture de lamiti. Moines et grands lacs provenaux au temps de la crise grgorienne (milieu XIe- milieu XIIe sicle),Revue historique, 307, 2005, p.53-95.[42] Pour une dfinition de lemphytose et des pistes de lecture anthropologique de son usage, on pourra se reporter Laurent Feller, Paysans et seigneurs au Moyen ge (VIIIe-XVe sicle), Paris, Armand Colin, 2006.[43] Robert Jacob, Le meurtre du seigneur dans la socit fodale. La mmoire, le rite, la fonction, Annales HSS, 2/1990, p.247-268.[44] Pour la Provence, voir notamment Jean-Paul Boyer, Hommes et communauts du haut pays niois mdival. La Vsubie (XIIIe-XVe sicles), Nice, 1990.[45] Cest en tout cas la thse, trs discute, dfendue par Daniel Smail dans The consumption of Justice.[46] Dans le domaine de lhistoriographie franaise concernant lhistoire mdivale, les motions ne sont vritablement considres comme un objet dhistoire que depuis peu. En ce domaine, le programme ANR EMMA (Pour une anthropologie historique des motions au Moyen ge), codirig par Damien Boquet et Piroska Nagy entre 2006 et 2009, a ouvert la voie. Loriginalit de ce programme fut notamment de croiser les approches et de faire dialoguer les historiens mdivistes avec des spcialistes de lmotion en sciences humaines. Les travaux de ce groupe se poursuivent lheure actuelle; on consultera avec profit le site des Carnets dEMMA: http://emma.hypotheses.org/[47] La question du ressenti de lmotion est un sujet combien pineux pour lhistorien qui se heurte en ce domaine aux sources et leurs limites. On trouvera quelques rflexions ce sujet dans Damien Boquet, Piroska Nagy (dir), Le sujet des motions au Moyen ge, Paris, Beauchesne, 2009.[48] Pour un bilan exhaustif, en forme de rflexion mthodologique, sur les motions et leur interprtation en histoire politique, on se rferrera en dernier lieu Damien Boquet et Piroska Nagy, Lhistorien et les motions en politique: entre science et citoyennet, Politiques des motions au Moyen ge, Florence, Sismel-Edizioni del galluzzo, Micrologus Library 34, 2010, p.5-30, ici p.20-30.[49] Barbara Rosenwein (ed.), Angers Past. The social uses of an Emotion in the Middle Ages, Ithaca-Londres, Cornelle University Press, 1998.[50] Laurent Smagghe, Sur paine dencourir nostre indignation. Rhtorique du courroux princier dans les Pays-Bas bourguignons la fin du Moyen ge, Politiques des motions, p.75-92.[51] Il convient de rattacher ces tudes dsormais celles sur lhistoire des modes de rsolution des conflits et, dune manire plus gnrale, lhistoire de la violence, comme le souligne lintroduction au volume Haro sur le seigneur! Les rvoltes anti seigneuriales dans lEurope mdivale et moderne, Flaran, 29, 2009.[52] Vincent Challet, Au miroir du Tuchinat. Relations sociales et rseaux de solidarit dans les communauts languedociennes la fin du XIVesicle, CRMH, 10, 2003, p.71-87.[53] Claire Valente, The Theory and Practice of Revolt in Medieval England, Londres, 2003.RsumFranaisSous limpulsion notamment des travaux de Claude Gauvard sur la justice souveraine, la violence est devenue ces dernires dcennies lun des moteurs du renouvellement de lhistoire politique du bas Moyen ge. Au-del, croisant les approches juridiques sur la mise en place de la norme, lvolution de la procdure judiciaire et anthropologique qui voit dans la violence un mode de rgulation sociale, lhistoriographie de la violence mdivale ouvre dsormais la voie un largissement des champs dinterprtation du lien social. Ainsi, la distinction genre qui place la violence dans la sphre fminine, le processus de la faide fodale ou encore lconomie des motions princires, font de la violence et de ses modes dexpression la dynamique de la production de lordre politique tout au long de la priode considre.Mots-cls (fr) violence justice pouvoir souverain motions historiographieEnglishmaintaining political order throughout the period under study.Plan de l'article 1. Violence, ordre juridique et politique2. Conflits et rgulation sociale3. Violence et motionPour citer cet articleVerdon Laure, Violence, norme et rgulation sociale au Moyen ge,Rives mditerranennes 3/ 2011 (n 40), p.11-25URL : www.cairn.info/revue-rives-mediterraneennes-2011-3-page-11.htm.