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1 Laurien UWIZEYIMANA Université Nationale du Rwanda OCTOBRE ET NOVEMBRE 1990 LE FRONT PATRIOTIQUE RWANDAIS A L’ASSAUT DU MUTARA Essai d’analyse d’une géopolitique régionale en crise EDITIONS UNIVERSITAIRES DU RWANDA Ruhengeri Septembre 1992

Laurien UWIZEYIMANA - Rwandinfo de Kanyamibwajkanya.free.fr/Texte17/octobre1990.pdf · Formation et effectifs ... Tutsi étaient inaptes au travail manuel! ... renverser par les armes

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Laurien UWIZEYIMANA

Université Nationale du Rwanda

OCTOBRE ET NOVEMBRE 1990

LE FRONT PATRIOTIQUE RWANDAIS A L’ASSAUT DU MUTARA

Essai d’analyse d’une géopolitique régionale en crise

EDITIONS UNIVERSITAIRES DU RWANDA

Ruhengeri Septembre 1992

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Publié avec le concours financier

du Campus Universitaire de Ruhengeri

Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction

par tous procédés réservés pour tous pays.

(Lois n°27/1983 du 15 novembre 1983)

1992 © Editions Universitaires du Rwanda et

UWIZEYIMANA Laurien

B.P. 44 Ruhengeri, RWANDA

Montage, Tirage de la couverture :

Imprimerie Universitaire

Campus de Ruhengeri

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Avant-propos

L’objectif ultime de ce travail est de permettre aux

compatriotes de voir un peu plus clair dans les événements qui ont

endeuillé le Rwanda depuis le 1er octobre 1990. Ce n’est pas chose

facile car les risques de parti pris sont grands, faute de recul

suffisant. C’est pour cela que tous les avis et commentaires seront

accueillis avec joie par l’auteur qui en tiendra compte.

En outre, par manque de financement, les moyens du bord

ont été utilisés et la forme n’est pas des meilleurs à certains endroits.

Nous espérons alors que le fond compensera certaines déficiences de

la forme.

Le texte reproduit ici correspond exactement à celui qui a été

publié en septembre 1992 avec des affirmations qui sont devenues

parfois caduques mais qui avaient leur pertinence à l’époque et qui

peuvent servir de base de réflexion pour la recherche de solutions à

la situation actuelle. Un seul paragraphe a été ajouté, le 1.3. qui

discute de l’origine des Hutu et des Tutsi.

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TABLE DES MATIERES

Introduction générale

1. Les prodromes de la guerre

1.1. Le problème des réfugiés rwandais

1.1.1. La Révolution Sociale de 1959, base des institutions actuelles du

Rwanda

1.1.2. L’indépendance et la radicalisation du problème des réfugiés

1.1.2.1. Le terrorisme « Inyenzi »

1.1.2.2. La 1ère

République et le problème des réfugiés

1.1.2.3. L’approche de la 2°République

1.1.3. La marche vers l’inévitable affrontement

1.1.3.1. Les Réfugiés rwandais au début des années 1980

1.1.3.2. Le drame des réfugiés rwandais en Uganda

1.1.3.3. La prise de position du gouvernement rwandais face au

problème des réfugiés en 1986

1.1.3.4. La création du FPR ou l’imminence d’une confrontation

1.1.3.5. L’action du Comité ministériel conjoint rwando-ugandais

sur le problème des réfugiés rwandais vivant en Uganda

1.1.4. Hutu et Tutsi au Rwanda : sont-ils issus de races différentes ?

1.2. Marasme économique et malaise politique

1.2.1. L’euphorie de la fin des années 1970

1.2.1.1. Une production de cultures vivrières en augmentation

1.2.1.2. Des cours mondiaux favorables pour l’étain et le café

1.2.1.3. Une gestion prudente de l’économie

1.2.2. Dégradation de l’économie rwandaise avec les années 1980

1.2.2.1. La faillite de l’industrie minière

1.2.2.2. La fin de l’Organisation Internationale du Café

1.2.2.3. Gestion imprudente de l’économie du pays

1.2.2.4. Détérioration des conditions de vie de la population

1.2.2.5. Les Institutions de Bretton-Woods et la Politique

d’Ajustement Structurel

1.2.3. Le malaise politique

1.2.3.1. Détérioration du climat politique et social

- L’assassinat de la classe politique de la 1ère

République

- Le dossier des « assassinats »

- Le scandale de la nomination reportée de l’Abbé Félicien Muvara

comme Evêque Auxiliaire de Butare

- Le trafic du chanvre et l’escroquerie de la Foire aux Gorilles

- Le problème de l’équilibre ethnique et régional

1.2.3.2.De timides promesses de réformes

1.3. Hutu et Tutsi au Rwanda : sont-ils issus de races différentes

1.3.1 Le contexte de l’analyse

5

1.3.2 Mais en fait, que contient réellement le concept d’ethnie ?

1.3.3 Hiérarchisation de la société rwandaise et naissance du

sentiment d’appartenance ethnique

1.3.4 Et pourtant, les Hutu et les Tutsi ont toujours vécu en

interaction permanente

Conclusion partielle

2. L’Assaut du Mutara et l’opération « Hirondelle »

2.2. Les forces en présence

2.1.1. L’Armée rwandaise

2.1.1.1. Création et missions

2.1.1.2. Formation et effectifs

2.1.1.3. Valeur opérationnelle des unités et du commandement

2.1.2. Les combattants de la Rwandese Patriotic Army

2.1.3. L’environnement régional

2.1.3.1.Le Zaïre et le Kenya, les deux alliés régionaux du Rwanda

2.1.3.2. La Tanzanie et le Burundi, une neutralité hostile ?

2.2. De Kagitumba à Lyabega

2.2.1. Le baptême du feu de l’Armée rwandaise

2.2.1.1.La prise de Kagitumba : pourquoi le Mutara ?

2.2.1.2. Les cafouillages du 3 octobre 1990

2.2.1.3. La nuit du 4 au 5 octobre 1990

2.2.2. La contre-attaque dans le Secteur de Gabiro : la phase zaïroise du

conflit

2.2.2.1. La prise de Gabiro par les Zaïrois

2.2.2.2. Les pertes militaires au cours de la phase zaïroise

2.2.2.3. Quelques effets positifs de la présence militaire zaïroise

au Rwanda

2.2.2.4. L’action du Lieutenant-colonel Rwanyagasore

2.2.2.5. Le Secteur de Ngarama

2.2.3. Vers une contre-attaque couronnée de succès

2.2.3.1. Nyakayaga et Kabarore

2.2.3.2. Le tournant de Lyabega

2.2.3.3. La reprise de Kagitumba

2.3. Les tractations diplomatiques

2.3.1. Recherche d’un appui diplomatique et militaire

2.3.2. Le marathon belge à la recherche d’un cessez-le feu

2.3.3. La phase africaine de la diplomatie

2.3.3.1.Gbabolité I et II

2.3.3.2. Le Secrétariat Général de l’OUA

Conclusion partielle

6

3. Le reflux et le début d’une guérilla déconcertante

3. Le reflux et le début d’une guérilla déconcertante

3.1. Mort et légende de Fred Rwigema

3.2. Le piège de l’Akagera

3.2.1. Le Parc de l’Akagera

3.2.2. Le Secteur de Gabiro

3.2.3. La mort du Major BEMS Rwendeye

3.2.4. Le Secteur de Kibungo

3.3. Gatuna et Kaniga : une nouvelle phase de la guerre

3.3.1. L’influence obscure de Museveni le Crocodile

3.3.2. La prise de Gatuna et Kaniga

3.3.3. Les combats en Commune Kivuye

3.4. Effets intérieurs de la crise et leur exploitation médiatique

3.4.1. Les heurts interethniques

3.4.2. Le dossier des arrestations

Conclusion générale

Bibliographie

Liste des Tableaux

Tables des figures

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INTRODUCTION GENERALE

Les institutions rwandaises actuelles tirent leur légitimité de la Révolution sociale de 1959. Je

n’ai pas personnellement vécu les événements qui ont été à la base de cette révolution mais

mon père en parlait tous les soirs, surtout quand il avait vidé quelques gourdes de vin de

banane. Ses complaintes avaient pour objet les huit coups de chicotte (umunani w’ikiboko)

qu’il recevait tous les mercredis de toutes les semaines avec un devoir de rappel si jamais il

manquait un seul mercredi. Il recevait tous ces coups parce qu’il avait osé trainer en justice un

sous-chef qui l’avait dépouillé d’une partie de ses terres.

Quelques temps après en 1948, la chicotte cessa parce qu’on avait donné à mon père un

nouveau métier d’un type particulier. Pour souffler un peu, il avait en effet accepté avec trois

autres malheureux de tirer gratuitement le vélo du même sous-chef, avec celui-ci-dessus

évidemment, à l’instar des pousse-pousse chinois. Sur les montées, ils devaient entrainer le

vélo avec des cordes attachées au guidon et sur les descentes, ils se plaçaient derrière pour

servir de frein. Quand on connait le relief pentu du Rwanda, on peut se rendre compte que ce

genre de métier n’était pas du tout de tout repos.

Mais les récriminations de mon père n’avait pas le moindre cachet ethnique car deux de ses

compagnons étaient tutsi : ils sont d’ailleurs morts des suites de ce métier singulier. Mon père

prétend que c’était inévitable car, dit-il, ils n’avaient pas la vigueur nécessaire pour supporter

ce genre de travail. Il faisait sans doute allusion au préjugé alors répandu qui affirmait que les

Tutsi étaient inaptes au travail manuel! En fait, la plupart des Tutsi vivaient dans les mêmes

conditions d’exploitation que les Hutu et pourtant la Révolution de 1959 se fit contre les Tutsi

qui furent tous pourchassés.

La plupart des rwandais profita alors de cette Révolution mais une partie des citoyens fut

obligé de se réfugier à l’étranger, certains pour échapper aux menaces réelles dont ils avaient

fait l’objet, d’autres parce qu’ils n’acceptaient pas l’ordre nouveau. Ceux-ci tentèrent alors de

renverser par les armes le nouveau pouvoir grâce à un mouvement de guérilla appelé

« Inyenzi » (cancrelat). Les attaques meurtrières des commandos « inyenzi » cristallisèrent les

tensions interethniques de telle façon que même après l’apaisement des passions consécutives

à l’instauration de la 2°République, le problème ethnique ne put être abordé avec toute la

sérénité voulue. L’épineux dossier des réfugiés rwandais vivant dans les pays voisins fut

laissé en suspens, alors que ces mêmes réfugiés, après avoir abandonné leurs prétentions

aristocratiques, voulaient rentrer dans leur pays à tout prix.

Comme le régime rwandais trainait les pieds en alléguant les contraintes, bien réelles celles-

là, dues à la pression démographique, les réfugiés décidèrent au Congrès de Washington en

août 1988 de rentrer par la force. C’est qu’entretemps le maquis de Museveni leur en avait

offert une occasion en or car il leur avait permis de se forger une force de frappe considérable,

du moins à l’échelle du Rwanda.

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Au Rwanda justement, la situation politico-économique était très favorable à l’assaillant car le

pouvoir politique, empêtré dans ses contradictions, avait sombré dans des pratiques de

concussion, de népotisme et de régionalisme sous des apparences de libéralisme. La

paupérisation de la population avait atteint des niveaux alarmants et les promesses de

démocratisation restaient superficielles.

Saisissant l’occasion au vol, le FPR créé en 1986 se lança à l’assaut du Rwanda et, profitant

de ses succès initiaux, il fit un tapage extraordinaire au niveau mondial. Au Rwanda par

contre, la surprise fut totale et l’équipe au pouvoir, affolée, prit des mesures qui se souciaient

très peu des droits du citoyen. Il est vrai que le choc avait été tel qu’il fallait des médications

de cheval !

L’armée rwandaise, submergée au départ, parvint à rétablir la situation pendant que la

diplomatie tentait de résoudre le conflit. Ce n’était pas chose facile parce que les tentations

extrémistes restaient puissantes de part et d’autre.

C’est toute cette trame que ce travail se propose d’analyser en se limitant aux mois d’octobre

et novembre 1990 parce qu’au cours de ces mois, tous les éléments du drame rwandais actuel

peuvent être appréhendés. Ce programme relève cependant d’une gageure, parce que d’une

part les événements sont très récents et les passions restent encore vivaces. Dans ces

conditions, il n’est pas facile de recueillir des témoignages objectifs, sans oublier que je suis

moi-même profondément impliqué dans les événements. D’autres parts, il ne me sera pas

possible, pour des raisons évidentes, de présenter correctement le point de vue du FPR car

pour le moment ce mouvement agit à partir de l’Uganda. Nous avons pensé pouvoir remédier

à cette faiblesse en utilisant la littérature émanant des milieux du FPR, essentiellement des

revues et des livres.

Du côté rwandais, en ce qui concerne les événements militaires, nous avons pu avoir accès à

une grande partie des messages échangés entre l’Etat-major et les commandants des secteurs

opérationnels. Nous avons également utilisé les dépêches de l’Agence France Presse, ainsi

que les journaux belges qui couvrirent les événements du Rwanda avec une assiduité

sentimentale. D’autres documents ont été glanés ici ou là mais nous avons surtout pu effectuer

des enquêtes sur le terrain. Malgré le caractère passionnel du sujet, nous avons tenté de

présenter les événements avec le plus d’objectivité possible mais évidemment on se rend

compte que ce n’est pas facile du tout. Cependant, les faits ont été présentés sans la moindre

altération et le lecteur se fera une opinion lui-même.

En outre, faute d’une documentation complète pour les raisons d’accessibilité évoquées plus

haut, de nombreuses hypothèses seront lancées et nous considérons que c’est autant de pistes

de recherche possibles, recherches qui confirmeront ou infirmeront le contenu de nos

périphrases. Nous espérons malgré tout que ce travail est une contribution sérieuse à la

recherche de solutions aux problèmes de ce pays. C’est dans ce cadre que certains dossiers ont

été présentés avec une franchise parfois téméraire. Ainsi le comportement de certains

personnages sera sérieusement mis en cause, non pas pour attirer sur eux la vindicte populaire

mais plutôt pour baliser le chemin qu’il nous faudra dorénavant suivre, en pointant du doigt

les écueils dont il est parsemé.

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Ce travail s’articule justement autour de trois parties : la première tente de disséquer les

racines du mal rwandais mais en retenant essentiellement les faits saillants car d’autres écrits

ont déjà abordé ce sujet. La 2°partie se propose de raconter les péripéties des affrontements

tandis que la 3°partie présente les drames qui en ont résulté. Une petite conclusion ouvrira

peut-être des perspectives.

Il faut dire enfin qu’au cours de ces conflits on a entendu des affirmations horrifiantes comme

« Tutsi, retournez chez vous en Ethiopie » ou encore « On va vous envoyer chez vous en

Ethiopie par la rivière Nyabarongo ». Toutes ces aberrations ont été lancées avec cette

conviction que les Tutsi ont été des envahisseurs qui ont conquis le Rwanda et asservi les

populations hutu et twa. Cela suppose que Hutu et Tutsi soient de races différentes. Qu’est ce

qu’on peut en dire raisonnablement?

10

I. LES PRODROMES DE LA GUERRE

Ce chapitre a pour objectif de tenter d’analyser les processus qui sont à l’origine du conflit

qui a secoué le Rwanda à partir du 1er octobre 1990. Nous pensons pouvoir les situer dans les

événements qui ont été à la base de la Révolution Sociale de 1959 ainsi que dans les

gouvernements républicains successifs qui n’ont pas pu aborder les diversités ethniques et

régionales avec toute la sérénité voulue.

1.1. Le problème des réfugiés rwandais

L’origine des événements qui ont endeuillé le Rwanda depuis une trentaine d’années a été

analysée par d’éminents spécialistes, chacun éclairant à sa façon une certaine facette de cette

histoire. Qu’on nous permette de citer entre autres Filip Reyntjens (1985), Alexis

Kagame(1974), Emmanuel Ntezimana (1976), Jean Gualbert Rumiya (1983), Jean Paul

Harroy (1984), Guy Logiest (1988), Gamaliel Mbonimana (1982), Nkundabagenzi Fidèle

(1962) et Murego Donat (1974). Nous ne prétendons pas apporter des éléments nouveaux sur

ces événements malheureux mais nous en retiendrons quelques faits susceptibles d’éclairer

notre problématique sur les réfugiés rwandais avant d’esquisser les phénomènes récents qui

ont rendu la confrontation inévitable.

1.1.1. La Révolution sociale de 1959, base des institutions actuelles du

Rwanda

Le Rwanda précolonial avait pu mettre en place un certain équilibre, fragile certes, entre les

trois ethnies – nous discuterons plus tard de l’opportunité d’utiliser ou non ce terme- du

Rwanda par un système complexe de promotions sociales. En outre, le système de trois chefs

sur une même circonscription administrative – chef de la terre, chef du bétail et chef de

l’armée- avait renforcé cet équilibre car l’un des trois chefs au moins était hutu. Dans

l’ensemble, le pouvoir appartenait essentiellement aux Batutsi mais en réalité à une infime

minorité de ceux-ci, comme le constatait le Dr. Richard Kandt étonné par le fait que 3%de la

population avait pu dominer le pays pendant plusieurs siècles (Kandt, 1921).

Quoi qu’il en soit, le pouvoir colonial brisa bien vite ce fragile équilibre en mettant en place

des auxiliaires indigènes issus d’une seule ethnie en excluant catégoriquement les autres. Le

principal artisan de ces bouleversements sociaux fut incontestablement Mgr Léon Classe. En

effet, comme le signale F.Reyntgens, la résistance passive des chefs et sous-chefs tutsi vis-à-

vis de la réforme administrative de 1926 avait poussé l’administration coloniale à vouloir

remplacer un certain nombre de chefs et de sous-chefs tutsi par des Hutu qui seraient sans

doute plus réceptifs vis-à-vis de la politique belge. Mgr Classe réagit vigoureusement en

condamnant cette politique et les lettres qu’il adressa à la Résidence sont célèbres car elles

sont citées dans tous les documents sur l’histoire du Rwanda. La première lettre adressée au

Résident Mortehan le 21/09/1927 était libellée en ces termes : « Si nous voulons nous placer

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au point de vue pratique et chercher l’intérêt vrai du pays, nous avons dans la jeunesse

mututsi un élément incomparable de progrès, que tous ceux qui connaissent le Rwanda ne

peuvent sous-estimer. Avides de savoir, désireux de connaître ce qui vient d’Europe, ainsi que

d’imiter les européens, entreprenants, se rendant suffisamment compte que les coutumes

ancestrales n’ont plus de raison d’être, conservant néanmoins le sens politique des anciens et

le doigté de leur race pour la conduite des hommes, ces jeunes gens sont une force pour le

bien et l’avenir économique du pays. Qu’on demande aux Bahutu s’ils préfèrent être

commandés par des roturiers ou par des nobles, la réponse n’est pas douteuse : leur

préférence va aux Batutsi, et pour cause. Chefs nés, ceux-ci ont le sens du commandement…

C’est le secret de leur installation dans le pays et de leur mainmise sur lui ».

Ayant appris que le Résident Mortehan voulait quand même nommer des responsables hutu

sans suffisamment tenir son opinion en considération, Mgr Classe lui adressa une seconde

lettre en le mettant en garde car, disait-il, « le plus grand tort que le gouvernement pourrait se

faire à lui-même et au pays serait de supprimer la caste mututsi. Une révolution de ce genre

conduira le pays tout droit à l’anarchie et au communisme haineusement antieuropéen. Loin

de procurer le progrès, elle annihilera l’action du gouvernement, le privant d’auxiliaires nés

capables de le comprendre et de le suivre… En règle générale, nous n’aurons pas de chefs

meilleurs, plus intelligents, plus actifs, plus capables de comprendre le progrès et même plus

acceptés du peuple, que les Batutsi ».

A l’époque, il y avait très peu d’agents belges au Rwanda et ils connaissaient mal les réalités

du pays ; dans les grandes décisions, ils s’en tenaient presque exclusivement aux avis des

missionnaires censés mieux connaitre le milieu. C’est ainsi que le Résident Mortehan adopta

le point de vue de Mgr Classe et les Bahutu furent systématiquement exclus de toutes les

fonctions politiques, même inférieures.

Qui est finalement Mgr Classe qui a joué un rôle aussi néfaste sur l’histoire du Rwanda ?

Plusieurs études ont été effectuées sur la personnalité de ce prélat. L’étude la plus fouillée fut

sans doute celle de Rutayisire Paul (1984) mais elle est malheureusement plus une apologie

qu’une analyse objective. Celle qui fut faite par le Père A. Van Overschelde (1946), un ami

personnel du Père Classe, est encore moins objective. Quant à nous, nous nous contenterons

d’ajouter à cette riche collection un fait en soi anodin mais qui, s’il était vérifié, serait riche

d’enseignement sur le comportement de Mgr Classe. Dans les archives de la Maison

Généralice des Pères Blancs à Rome, on trouve en effet un certain nombre de lettres de Pères

Blancs compagnons de Classe, lettres adressées à leurs supérieurs et qui s’étonnaient de voir

souvent sortir de la chambre de Mgr Classe de jeunes éphèbes batutsi.

On sait bien que parmi les missionnaires régnait alors un climat de rivalités sordides (le retour

précipité du Père Brard en Europe serait dû à ces mésententes) et ces affirmations peuvent

relever de la mauvaise foi mais il n’est pas impossible non plus que l’Honorable Mgr Classe

se soit adonné à l’amour grec avec de jeunes batutsi. On comprendrait alors pourquoi ce prélat

a tenu des propos si peu en rapport avec l’Evangile de Jésus Christ qu’il était censé mettre en

pratique, propos exaltant la théorie du Super Homme qu’en d’autres cieux et à la même

12

époque un certain Adolf Hitler était en train de mettre en pratique et dont les effets furent si

tragiques pour l’Humanité entière!

Au niveau du Rwanda, les Bahutu, pourtant majoritaires à 85%, furent systématiquement

exclus de toutes les fonctions politiques. Filip Reyntjens a correctement mis en évidence les

conséquences de cette réforme qui visait « la rationalisation de la structure administrative »

mais sans assurer « la protection des Hutu contre des exactions de toutes sortes »,

l’administration s’étant montrée incapable de comprendre « l’essence des concepts normatifs

sur lesquels la relation entre les chefs et leurs sujets était basée » (Reyntjens, 1985)

C’est ainsi qu’au point de vue des fonctions politiques, même si on se réfère à l’année 1959 –

tout juste avant la Révolution- où quelques sous-chefs hutu venaient d’être désignés, on

constate qu’il n’y avait aucun chef hutu et quelques sous-chefs appartenant à cette ethnie, sur

un total de 559 sous-chefs.

Tableau n°1 : Répartition des chefs et des sous-chefs par ethnie à la veille de la Révolution de

1959

Nombre de chefferies 45 Nombre de sous-chefferies 559

Chefferies vacantes 2 Sous-chefferies vacantes -

Chefs batutsi 43 Sous-chefs batutsi 549

Chefs bahutu - Sous-chefs bahutu 10

De même, le système éducatif fut lui aussi monopolisé par les Batutsi. En effet, d’après la

Commission Spéciale des Relations Sociales du Rwanda qui fut créée par le Roi Mutara le 30

mars 1958, sur un échantillon de 29 écoles primaires sur 114 recensées au Rwanda à l’époque

(soit 25%) et 29 établissements secondaires sur 49, on trouve les proportions ethniques

suivantes :

Tableau n°2 : Proportions ethniques dans quelques écoles du Rwanda en 1958

Bahutu Batutsi Batwa

Total % Total % Total %

Ecoles primaires 29 953 67.81 14 211 31.7 32 0.01

Ecoles secondaires 1 116 39.2 1 740 60.8 - -

(Source : RUMIYA, 1991)

Ces chiffres montrent clairement que les Bahutu étaient sous-représentés, surtout dans les

écoles secondaires. On ne les trouvait d’ailleurs que dans les Séminaires et les noviciats

paradoxalement moins enclins à respecter les consignes du Vicaire Apostolique du Rwanda

comme on appelait alors Mgr Classe. On se rend donc compte que l’application de ces

recommandations se traduisit par l’exaspération des clivages ethniques en mettant le pouvoir

et dons la richesse entre les mains d’une seule ethnie.

D’autres parts, en vue de réduire les charges qui pesaient sur les Bahutu, l’administration

berge entreprit des réformes sur les différentes prestations qui pesaient sur les masses

populaires (akazi, uburetwa, ikiboko, ibihunikwa…). Malheureusement ces réformes se

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traduisirent plutôt par une augmentation de ces mêmes charges. D’après les calculs de

F.Reyntjens, les réformes du système de l’Uburetwa par exemple (corvées de travail ou

journées de prestation rendues par les Bahutu aux chefs et sous-chefs) portèrent ces

prestations de 37 jours par an et par homme adulte à 107 jours, soit 70 jours en plus.

Pour échapper à une situation devenue intenable, beaucoup de rwandais s’enfuirent vers les

pays voisins en grand nombre. D’après J.P. Chrétien que cite F.Reyntjens, en 1959 350 000

rwandais étaient partis en Ouganda et 35 000 au Tanganyika. Quand on sait que ces départs

concernaient surtout les « hommes adultes valides », on se rend compte de l’ampleur du

phénomène, surtout si on sait que la population rwandaise était alors estimée à 2 624 990

personnes avec environ quelques 600 000 hommes adultes valides! De nombreuses autres

sources affirment que 75% des jeunes hommes partaient à un moment ou un autre, ce qui

avait pour conséquence d’augmenter les charges qui pesaient sur ceux qui restaient.

Plus grave encore, l’action du colonisateur était parvenue à abattre tout esprit nationaliste car

aucun notable tutsi ne put se rendre compte du danger que courait le pays, empêtrés qu’ils

étaient dans la course aux honneurs et aux richesses. Le même scénario se reproduira

d’ailleurs à la veille d’octobre 1990, mais cette fois pour les Hutu !

Pourtant, les décisions de l’administration coloniale étaient mises en application par les

notables indigènes, donc tutsi, qui servaient d’intermédiaires et ce sont ceux-là que la

population voyait, ce sont eux qui donnaient la chicotte et fatalement c’est sur eux que se

portèrent toutes les rancœurs accumulées pendant plusieurs décennies et cette haine s’étendit

par ricochet à tous les membres du groupe tutsi.

Certains membres de la diaspora de réfugiés prétendirent à un certain moment que le roi

Mutara avait senti le danger et qu’il avait initié des réformes profondes. Il est vrai que le

peuple avait crédité ce Monarque de la suppression des corvées uburetwa, de la chicotte

ikiboko et du système de clientèle ubuhake, ce qui lui avait d’ailleurs procuré une popularité

considérable auprès de la masse hutu, de sorte que certains de ces collaborateurs tutsi

l’avaient appelé « roi des Bahutu ». Mais ces réformes lui furent attribuées abusivement car

l’initiative revient aux différentes missions du Conseil de Tutelle de l’ONU, notamment celle

de 1948 qui recommanda entre autres choses la suppression des prestations en travail qui

devaient être remplacées par une taxation en numéraire, la suppression du fouet comme peine

disciplinaire…Sous la pression de l’ONU, la Belgique entreprit toutes ces réformes et c’est le

roi qui les mettaient en application, c’est lui qui, aux yeux de la population, en était le

promoteur.

Seulement, ces réformes ne furent pas assez profondes ou alors elles arrivèrent trop tard car

elles ne purent empêcher la Révolution Sociale de 1959 de se déclencher avec tous les drames

humains qui en résultèrent.

Notre propos n’est pas de raconter les péripéties de cette Révolution, car les auteurs précités

l’ont très bien fait. Qu’il nous suffise de dire que les principes qui l’ont guidée, la démocratie

et la justice sociale, sont à la base des institutions républicaines qui en ont résulté. On verra

14

dans la suite que les dirigeants du régime républicain ont pris beaucoup de libertés avec ces

mêmes principes en cultivant des méthodes ethnisantes et régionalistes.

Nous ajouterons ensuite que cette Révolution se déroula dans un climat de violences inouïes

et beaucoup d’auteurs estiment à quelques 15 000 victimes la rançon de la libération des

masses populaires. En même temps, d’après les chiffres du HCR, environ 153 000 citoyens

rwandais, presque exclusivement des Batutsi, s’étaient réfugiés dans les pays limitrophes en

1964. A ce moment, les spécialistes estimaient que les Batutsi représentaient 15% d’une

population de 3 069 000 personnes, soit 460 350 individus. Cela veut dire que près de 5% de

la population rwandaise quitta le pays, cette proportion s’élevant à 33% quand on ne

considère que les seuls Batutsi. Les jalons du drame rwandais sont alors en place.

1.1.2. L’Indépendance et la radicalisation du problème des réfugiés

Nous avons vu qu’une infime minorité de Batutsi participaient au pouvoir tandis que la plus

grande partie vivaient dans des conditions aussi misérables que celles des Bahutu. On

penserait alors qu’à priori tous les déshérités allaient faire cause commune et balayer la classe

des exploiteurs par une même Révolution. Pourtant, par un amalgame déconcertant, tous les

Batutsi furent groupés dans le même panier et pourchassés par les Bahutu. Il est vrai que par

un réflexe de groupe, presque tous les Batutsi avaient adhéré en masse au parti UNAR (Union

Nationale Rwandaise) qui, sous un masque progressiste, recherchait en réalité le maintien du

statu quo social. C’est ainsi que beaucoup de Batutsi partirent pour l’étranger et de 1960 à

1968, ils cherchèrent à reconquérir le pouvoir les armes à la main. Cette menace continuelle

radicalisa rapidement le problème des réfugiés qui furent présentés par la propagande du

régime républicain comme l’ennemi public à abattre. Dans ces conditions, malgré quelques

tentatives infructueuses, il était difficile d’envisager sereinement leur retour pacifique.

1.1.2.1. Le terrorisme « Inyenzi »

La Révolution sociale de 1959 et son cortège de violences devait fatalement entrainer une

réaction tout aussi violent de la part des anciens tenants du pouvoir qui s’étaient pour la

plupart refugiés à l’étranger. Dans ce cadre, tous les réfugiés furent invités à rester prêts au

combat contre le nouveau régime républicain.

Pour cela, sous la pression de leurs leaders, les réfugiés installés dans différents camps

refusèrent de cultiver les parcelles qui leur avaient été distribuées. C’est qu’en culture

rwandaise, on ne plante des cultures pérennes comme le bananier par exemple que dans sa

propriété dont on a la jouissance pour toujours. Ainsi à Nyamata, ils ne consentirent à se

mettre aux champs que sous la menace du gouvernement et des organismes d’aide de leur

couper les subsides.

De même, en juillet 1963, le Secrétaire parlementaire du cabinet du Vice-président du

Tanganyika, Mr John Nzunda, invita les réfugiés à travailler et ne pas continuer à vivre aux

crochets du gouvernement du Tanganyika. En Ouganda, les réfugiés se mirent au travail sous

la menace de rapatriement. En fait, ils espéraient reconquérir le pouvoir perdu par les armes et

15

dans ces perspectives, il était inutile de se mettre aux champs dans les pays d’accueil dans

lesquels ils ne comptaient pas séjourner longtemps.

Les premières attaques débutèrent dès le coup d’état de Gitarama (28/01/1961) qui mit fin à la

Monarchie et instaura la République. Au départ, les commandos partaient de l’Uganda qui

était encore sous domination britannique. Ainsi entre le 19 mars 1961 (début des coups de

main terroristes) et le 25 mars 1962, 21 attaques furent effectuées à partir de l’Uganda. Au

cours de ces attaques, 42 personnes ont été massacrées, la moitié brulée vive dans leurs huttes

dont une centaine furent incendiées ; le nombre des blessés était évidemment encore plus

élevé. Signalons ici que les commandos visaient uniquement les familles hutu, surtout les

leaders politiques qui étaient accusés d’avoir trahi le roi. En réaction, la population hutu de la

Préfecture de Byumba, exaspérée et terrorisée, massacra un millier de tutsi soupçonnés

d’héberger et protéger les assaillants.

Dans la suite, du 03 avril 1961 au 04 mai 1962, 15 attaques provoquèrent la mort de 20

victimes civiles, plusieurs centaines de huttes incendiées, sans compter les assaillants tués au

cours des attaques. En fait, les attaques ont été beaucoup plus nombreuses et plus meurtrières :

nous n’avons signalé que celles qui ont été retenues par les autorités belges.

Les Européens isolés dans les campagnes furent particulièrement visés par les commandos et

ils étaient chaque fois sauvagement massacrés. Nous avons choisi quelques cas susceptibles

de mettre en évidence la violence de ces attaques :

- Le 30 mars 1961, un certain Furisonne fut tué à Shonga en Préfecture de Byumba

sur la frontière ougandaise

- Le 21 novembre 1961, Monsieur Audulaire fut laissé pour mort à Kinigi en

Préfecture de Ruhengeri et sa voiture emportée. Grace à cette voiture, le même

commando arriva à Rutongo et massacra plusieurs familles « indigènes ». A

Kabuye près de Kigali, il croisa la famille Francotte qui rentrait Kigali. Monsieur

et Madame Francotte furent assassinés et leur petit enfant blessé agonisa sur la

route jusqu’au matin.

- Le 10 janvier 1962, Ngurumbe Aloys tua à Gabiro le conservateur du Parc

National de l’Akagera, Monsieur Deleyn et quatre autres blancs furent blessés

- Le 16 janvier à Mubuga, Préfecture de Kibuye, Mr Fontaine fut attaqué chez lui

par le commando mais il parvint à repousser les agresseurs.

- Le 14 avril 1962, à Rutongo de nouveau, Mr Geens et sa femme rwandaise furent

tués tandis que A.Geens, son frère qui était ingénieur à la SOMUKI, une société

minière, était blessé.

Le commando s’entrainait à Kamwezi en Uganda, les armes étant fournis par Mungarurire

Michel qui les acheminait jusqu’à Kizinga. Les coups de main étaient effectués par Kayitare

Jean, fils de Rukeba, Numa André, Mpambara Alexis et surtout par Ngurumbe Aloys, ancien

sous-chef à Byumba. Le même Ngurumbé fut enlevé de Goma (Zaïre) en 1981 par la Sûreté

rwandaise, c’est-à-dire 20 ans après. Condamné à la prison à vie, il fut libéré le 04 février

1992 lors de l’amnistie générale qui effaça tous les crimes politiques commis par les réfugiés.

Approché par Kanguka, un journal pro-FPR, il raconta tous ses forfaits en affirmant que lui et

16

ses compagnons avaient l’intention d’exterminer tous « les mauvais blancs » qui poussaient

les gens à s’entretuer (Kanguka n°52 du 12 février 1992). Il avait reçu une formation de

maquisard en Chine et à Cuba. Ses compagnons Numa André et Mpambara Alexis furent

extradés par la Tanzanie où ils s’étaient refugiés et ils furent fusillés à Ruhengeli en 1963.

D’après Ngurumbe, le terme « Inyenzi» qui se traduit par « cancrelat » en français est

l’abréviation de « Ingangurarugo yiyemeje kuba ingenzi », c’est-à-dire « le combattant de la

milice royale Ingangurarugo qui s’est donné comme devise d’être le meilleur ». La milice

Ingangurarugo était l’une des meilleures unités du Roi Rwabugiri à la fin du 19°siècle.

Le terrorisme Inyenzi se poursuivit jusqu’en 1968 mais l’attaque la plus violente se produisit

les 21-22-23 décembre 1963 car les assaillants s’emparèrent du petit camp militaire de Gako

au Bugesera. Tout le Bugesera fut conquis et les réfugiés tutsi de la région s’enrôlèrent ; leur

progression les porta au pont de Kanzenze sur la Nyabarongo, à quelques 20 km de Kigali et

c’est là qu’ils furent stoppés par la jeune Garde Nationale. La fuite des assaillants fut aussi

rapide que leur éphémère avance mais malheureusement les victimes de cette aventure furent

innombrables. C’est ainsi qu’un peu partout dans le pays, des populations hutu, terrorisées par

la perspective d’un retour à l’ancien régime, massacrèrent en l’espace de quelques jours des

milliers de tutsi, accusés d’avoir pactisé avec l’envahisseur.

On estime actuellement que de 10 à 15 000 personnes furent assassinées, surtout en Préfecture

de Gikongoro tandis que d’autres prirent le chemin de l’exil. Les Batutsi de l’intérieur,

traumatisés par cet holocauste, renoncèrent pour longtemps à héberger les assaillants, ce qui

rendit plus difficile les attaques ultérieures. Cependant, ces agressions inyenzi accentuèrent

considérablement les clivages ethniques qui auraient pu être plus facilement colmatées.

1.1.2.2. La 1ère

République et le problème des réfugiés

La jeune République instaurée le 28 janvier 1961 était obsédée par la possibilité d’une

restauration de l’ordre ancien à l’occasion d’une attaque inyenzi. Le carnage aurait été alors

affreux. C’est pour cela que le premier objectif du gouvernement fut d’empêcher à tout prix le

rétablissement du pouvoir tutsi et toute la propagande officielle visait à mobiliser la

population dans cette optique. Malheureusement, comme l’assaillant était essentiellement

tutsi, même ceux de l’intérieur lui étaient assimilés. De cette façon, par la force des choses,

une série de mesures vexatoires qui aboutirent à une certaine marginalisation furent petit à

petit appliquées aux tutsi. Le fossé se creusait encore plus entre les deux ethnies du fait du

terrorisme inyenzi.

En même temps, le Président Kayibanda appelait les réfugiés à ne pas prêter l’oreille à ceux

qui les poussaient à la lutte armée et à rentrer pacifiquement au Rwanda, pourvu qu’ils

acceptent l’ordre nouveau. Nous allons passer en revue les principales interventions de Mr

Grégoire Kayibanda à l’adresse des réfugiés.

Dans une déclaration gouvernementale prononcée le 26 octobre 1961 devant l’Assemblée

législative, le Président de la République qui venait tout juste d’être élu à ce poste affirma que

« le problème des réfugiés, que j’appellerais plutôt le problème des personnes déplacées,

nous préoccupe vivement… le problème est insoluble si l’on continue à se placer dans une

17

perspective « politique ». Je demande, spécialement à l’opposition, de ne pas se servir de ces

personnes pour défendre l’une ou l’autre politique, souvent d’ailleurs dépassée par les

événements de l’histoire nationale. Mon gouvernement demande que tous se placent dans une

vision plus « humaine » et aident le gouvernement à réduire la faim, le vagabondage, la

misère, le fanatisme dont sont malades beaucoup de ces personnes déplacées ».

Il continua en affirmant que pour celles d’entre elles qui ne pourront pas rejoindre leurs

communes d’origine, il faudra trouver « des régions saines, aptes au peuplement… chacun

des Ministères dans le cadre de ses compétences contribuera à aider les personnes déplacées

à se reclasser et à retrouver une vie normale ». Ce discours retraçait le programme du

gouvernement républicain et comme on peut s’en rendre compte, le problème des réfugiés et

des déplacés figurait dans les priorités.

Un mois après l’attaque du Bugesera et les massacres qui l’ont suivie, le Président Kayibanda

prononça un discours à l’occasion du 3°anniversaire de la Démocratie au Rwanda, le

28/01/1964. Dans ce discours, il expliqua à la Nation ce qui s’était passé tout en fustigeant en

termes assez violents les médias étrangers qui, pour lui, avaient déformé les faites, ainsi que le

néocolonialisme qui avait armé les agresseurs.

A l’adresse des réfugiés, il déclara : « Messieurs et Mesdames les réfugiés, nous vous invitons

une fois de plus à rentrer pacifiquement, ou à vous installer définitivement dans les pays qui

vous ont hébergé, en obéissant aux lois et règlements des autorités de ces pays. Cette

invitation, très réaliste, que nous vous avons maintes fois répétée, est la seule qui puisse vous

sauver et assurer à vos enfants un avenir souriant. Dégagez-vous de vos actuels meneurs

détraqués et inhumains, dégagez-vous du néocolonialisme dont vous ne devenez que

l’instrument peut-être inconscient, mais à coup sûr inefficace en ce qui concerne la

République rwandaise. Et vous, mes chers concitoyens, pendant que les forces nationales de

sécurité font leur devoir, restez calmes, vaquez tranquillement à vos occupations, laissez toute

tentative ou manœuvre de vengeance… »

Quelques jours après, le 11 mars 1964, Grégoire Kayibanda prononça un important discours à

l’adresse des rwandais émigrés ou réfugiés à l’étranger. Ce discours, prononcé avec la

sincérité qui caractérisait le Président Kayibanda, invitait les réfugiés à rentrer pacifiquement

au pays et participer à son essor démocratique. Il leur rappelait que leurs agissements

commandités par le néocolonialisme mettaient en danger la vie des tutsi restés au pays « qui

ont peur d’une fureur populaire que font naître vos incursions, sont-ils heureux de vos

comportements ? En effet, ceux-ci jouissent non pas évidemment du titre de seigneur à statut

spécial mais de tous les droits reconnus au citoyen dans n’importe quel pays démocratique.

Ne les trompez plus ».

Dans ce discours, le Président Kayibanda dressa une typologie des réfugiés :

- Certains d’entre vous en grand nombre ne demandent que la tranquillité pour se

faire à leur état nouveau à l’étranger, s’installer et chercher des moyens pour

faire vivre honorablement leur famille. Ils sont raisonnables et ce sont ceux-là que

nous n’avons cessé d’inviter à rentrer au pays s’ils le veulent.

18

- Un petit nombre d’entre vous sont des fanatiques et ne peuvent pas mesurer les

grands pas qu’a réalisés l’histoire du Rwanda et de l’Afrique depuis les derniers

trois ans. Ces féodaux impénitents se livrent à une propagande qui tend à

convaincre que le régime mwami pourra être réinstauré : erreur grave et si grave

que non seulement le régime mwami est condamné définitivement, mais encore

ceux qui, dans un aveuglement inouï persistent à « combattre pour le mwami » se

condamnent à périr eux-mêmes… A supposer par impossible que vous veniez à

prendre Kigali d’assaut, comment mesurez-vous le chaos dont vous seriez les

premières victimes… Vous le dites entre vous : « ce serait la fin totale et précipitée

de la race tutsi »…

Il invitait alors les réfugiés à déposer les armes et à rentrer pacifiquement, car les services

d’accueil étaient en place pour les accueillir. Pour ceux qui voulaient rester et s’établir dans

les pays qui les avaient hébergés, ils pouvaient s’établir en paix et les services diplomatiques

rwandais étaient invités à leur fournir toute l’aide nécessaire. Quant à ces « féodaux

impénitents », ils étaient invités à déposer les armes car ils ne parviendraient jamais à battre

une armée régulière bien entrainée et bien motivée.

Telle était donc la position de la 1ère

République, position qui fut codifiée par l’Arrêté

présidentiel n°25/01 du 26/02/1966 portant mesure de réintégration des réfugiés. Cet arrêté

présidentiel, composé de 8 article, était censé réglementer la réintégration des réfugiés jusqu’à

l’agression d’octobre 1990 mais on verra dans la suite que le Colonel Kanyarengwe, alors

Ministre de l’Intérieur, a pris beaucoup de libertés dans son interprétation. Au terme de cette

loi, le réfugié qui rentrait au pays devait présenter au Préfet de la Préfecture dans laquelle il

voulait demeurer des pièces d’identité qui lui auraient été fournies par le pays d’asile, ainsi

qu’un billet de recommandation du H.C.R. du pays de provenance. Il devait également faire

connaitre le chef de famille chez lequel il logerait provisoirement.

En plus, le réfugié rentrant ne pouvait en aucun cas réclamer ses terres au cas où celles-ci

avaient fait l’objet d’une affectation par les autorités publiques. Ainsi donc tout réfugié qui

voulait rentrer au Rwanda pouvait le faire sans la moindre condition, sauf que « le réfugié de

retour ne doit posséder aucune arme à feu ou des documents de propagande subversive ».

Ainsi fut défini le cadre dans lequel le réfugié était invité à rentrer au pays mais en fait

personne n’est rentré car la guérilla continuait et le fossé entre les Hutu et les Tutsi s’était

creusé encore davantage. De surcroît, une crise politique avait commencé à partir de 1968,

crise qui aboutit au coup d’état du 08/07/1973 : le problème des réfugiés fut alors relégué au

second plan, d’autant plus que des tensions d’ordre ethnique aboutirent au départ de nouveaux

réfugiés, surtout des intellectuels.

1.1.2.3. L’approche de la 2°République

Après le coup d’état du 05/07/1973, il semble que le Président Habyalimana ait voulu

résoudre sincèrement le problème des réfugiés rwandais comme en témoigne la mise sur pied

d’une Commission Ministérielle mixte Rwanda-bugandaise pour le rapatriement des réfugiés

rwandais vivant en Uganda. Cette commission s’est réunie à Kampala du 21 au 28 juillet 1974

19

mais elle n’a pas pu continuer ses travaux à cause des problèmes conjoncturels qui ont suivi.

En effet, les réfugiés ont préféré tenter leurs chances avec le régime d’Amin Dada, d’autant

plus que le Rwanda était alors frappé par une grande disette.

En outre, des divisions importantes commençaient déjà à apparaitre au sein de l’équipe

dirigeante, car le Colonel Kanyarengwe, Ministre de l’Intérieur et de la Fonction Publique,

était farouchement opposé au retour des réfugiés. C’est dans ce cadre qu’il édicta, en

collaboration avec le Ministre de la Justice, Monsieur Habimana Bonaventure, la circulaire

n°2420/A.09 du 25/10/1973, relative à l’Arrêté Présidentiel n°25/01 du 26/02/1966 portant

mesures pour réintégration des réfugiés et réclamations diverses.

Cette circulaire avait théoriquement pour objectif d’expliciter les dispositions à prendre

devant les problèmes posés par la réintégration des réfugiés, notamment les éventuelles

réclamations de ceux-ci. Mais en réalité elle rendait plus difficile leur retour en soumettant

cette possibilité au bon vouloir du Préfet qui lui-même connaissait les dispositions de son

autorité directe, le Ministre de l’Intérieur.

De plus, se basant sur l’interprétation de cet arrêté présidentiel, le Colonel Kanyarengwe fit

dépouiller les familles tutsi d’une partie de leurs terres sous le fallacieux prétexte que si le

frère ou le cousin réfugié à l’étranger n’était pas parti, ils auraient dû partager ! Ainsi des

ménages tutsi qui avaient un vague parent à l’étranger furent obligées de diviser en deux leurs

propriétés, une partie étant récupérée par la Commune qui la vendit aux enchères. Devant le

tollé soulevé par cette injustice, l’application de cette mesure se limita à quelques communes

du pays, comme la Commune Nyaruhengeri dont le bourgmestre était à la solde de

Kanyarengwe.

Toujours dans l’interprétation de l’arrêté présidentiel de 1966, le Colonel Kanyarengwe

exigea du réfugié une demande individuelle de rapatriement à partir du pays d’asile, alors que

cela n’était stipulé nulle part dans l’arrêté de 1966. C’est ainsi que les portes du Rwanda

furent fermées aux réfugiés qui ne pouvaient plus rentrer librement d’exil alors que le climat

intérieur s’était considérablement détendu et que ceux-ci avaient abandonné leurs prétentions

aristocratiques.

En réalité, le Colonel Kanyarengwe qui publia les « Règlements et instructions relatives à la

réintégration des réfugiés et réclamations diverses destinés aux autorités communales,

préfectorales et judiciaires » dans un petit document de 54 pages en 1979, avait fait partie de

la 1ère

promotion de l’Ecole d’Officiers, en compagnie de Habyalimana. Il figurait donc parmi

ces jeunes officiers qui avaient repoussé les agressions Inyenzi. On raconte que, capturé par

ceux-ci, il aurait été attaché par les jambes sur une jeep et trainé par terre. Ses cheveux

auraient été arrachés sur une partie de sa tête. Il aurait alors juré de ne pardonner aux tutsi que

quand ses cheveux auraient repoussé. En fait, ses cheveux avaient été arrachés par la teigne

mais cette anecdote peut aider à caractériser l’individu. Il semble même que ses démêlés avec

le Président Habyalimana ont eu pour origine des divergences sur le problème ethnique et

régional. C’est ainsi que le Colonel Kanyarengwe ne voulait pas entendre parler de la grâce

présidentielle donnée au Président déchu, Grégoire Kayibanda dont la condamnation à mort

20

avait été commuée en prison à perpétuité. Finalement, Mr Kanyarengwe participa à la

tentative de coup d’état du sinistre Lizinde et il s’enfuit du pays en 1980.

On peut donc conclure que la résolution du problème ethnique avec en corollaire celui des

réfugiés fut rendu impossible par les incursions inyenzi et sous la 2°République par quelques

politiciens anti-tutsi.

1.1.3. La marche vers l’inévitable affrontement

Par une exceptionnelle conjonction des circonstances, c’est à partir de l’Uganda que le

problème des réfugiés se posa au Rwanda avec avec grande acuité. En effet, la prise du

pouvoir par Yoweri Museveni leur permit de mettre sur pied une force considérable qui leur

servit de pression sur le Rwanda. Les négociations sur le retour des réfugiés trainèrent en

longueur, rendant par là l’affrontement inévitable, le FPR créé entretemps se sentant en

position de force.

1.1.3.1. Les réfugiés rwandais au début des années 1980

Le nombre total des réfugiés rwandais n’est actuellement pas connu avec toutes les précisions

voulues. On ne peut se baser uniquement sur les chiffres du HCR qui ne concernent que ceux

qui sont secourus par cet organisme. D’autres parts, les données fournies par les pays d’asile

sont exagérées vers le haut pour avoir plus d’aide et les différences peuvent aller parfois du

simple au triple. Dans cette étude, nous avons préféré présenter les chiffres les plus élevés,

c’est-à-dire ceux présentés par les pays hôtes et pour les chiffres les plus récents (1990), nous

présentons les données fournies au Comité Exécutif du HCR lors de sa session d’octobre 1990

à Genève.

Tableau n°3 Effectif des réfugiés rwandais dans les pays limitrophes

Année

Réfugiés

1982 1989 Octobre 1990

Burundi 234 000 242 280 267 455

Uganda 80 000 118 000 74 372

Tanzanie 14 000 21 000 22 300

Zaïre 22 000 11 000 75 294

Kenya - 1 960 1 966

Total 350 000 393 960 441 387

Comme on peut le constater, le nombre total des réfugiés est extrêmement fluctuant mais il

oscille sans doute autour du demi-million. En plus, les réfugiés sont surtout concentrés dans

les pays voisins du Rwanda mais un certain nombre a pu se caser dans des pays lointains

jusqu’aux USA ou en Europe occidental, essentiellement des intellectuels. C’est donc sur le

statut de ces personnes que vont porter les réflexions suivantes.

Au début des années 1980, la législation rwandaise sur les réfugiés se basait sur la loi de 1966

mais qui avait été manipulée, on se le rappelle, par le Colonel Kanyarengwe. Ainsi, les

réfugiés ne pouvaient rentrer au Rwanda que sur une demande individuelle mais le

21

rapatriement était accordé à compte goutte ; très peu de réfugiés purent en bénéficier. La

procédure était la suivante d’après le rectificatif publié par le Ministère des Affaires

Etrangères en mars 1983:

- Le réfugié doit exprimer par écrit le désir de rentrer

- Cette demande est adressée au pays d’origine via le HCR et le gouvernement du

pays d’asile

- Le gouvernement du pays d’origine se prononce sur la demande, sa réponse est

transmise à l’intéressé via le HCR et le gouvernement du pays d’asile

- Le réfugié dont la demande est rejetée reste dans le pays d’asile à moins qu’il ne

soit accepté dans un autre pays.

Dans l’examen du dossier, en plus de considérations purement arbitraires, on n’acceptait que

ceux qui pouvaient prouver leur aptitude à subvenir à leurs besoins, c’est-à-dire en fait les

intellectuels alors que ceux-ci pouvaient se débrouiller facilement ailleurs. La porte du pays

était ainsi pratiquement fermée pour la majorité des réfugiés, surtout les couches les moins

favorisées qui avaient le plus besoin de protection.

Cependant, beaucoup de réfugiés, surtout ceux de 1973, rentrèrent illégalement au Rwanda et

retrouvèrent leurs familles. Quand ils n’avaient pas de problème avec les autorités locales,

l’affaire en restait là et après quelques mois, ils obtenaient leurs pièces d’identité leur

permettant d’obtenir un emploi. Dans le cas contraire, ils étaient transférés au Service Central

de Renseignement qui les mettait en prison pour un mois ou deux, au terme desquels ils

retournaient dans leurs familles au Rwanda. Plus tard, vers les années 1986, la situation avait

beaucoup évolué et plus aucun réfugié rentré clandestinement n’était inquiété.

En fait, les autorités rwandaises, alléguant les problèmes de pauvreté et de surpopulation,

aurait préféré la naturalisation dans les pays d’accueil, comme cela fut fait en Tanzanie où

4 796 rwandais furent naturalisés en 1980. Malheureusement, dans nos contrées, la

naturalisation confère un statut extrêmement précaire car il est soumis aux aléas de la

politique et aux caprices des autorités des pays d’accueil. Le cas des rwandais vivants au

Zaïre prouve à suffisance la véracité de cette affirmation.

En effet, des populations d’origine rwandaise avaient été installées au Congo pour diverses

raisons comme les territoires rwandais rattachés à l’Etat Indépendant du Congo en 1908. La

main d’œuvre transférée par le pouvoir colonial vers l’Union Minière du Haut Katanga, les

populations transférées dans le Nord Kivu par la colonisation ainsi que les réfugiés politiques

de 1959.

Le statut juridique et politique de ces personnes fut modifié à plusieurs reprises chaque fois au

détriment de leurs intérêts. En effet, le 26 mars 1971, le Président Mobutu promulgua une

ordonnance-loi libellée en ces termes : « les personnes originaires du Ruanda-Urundi établies

au Congo à la date du 30 juin 1960 sont réputées avoir acquis la nationalité congolaise à la

date susdite ». (Rukatsi, 1988)

22

Il est clair que cette ordonnance donnait la nationalité congolaise aux ressortissants rwandais

établis au Congo avant l’indépendance de ce pays. Pourtant, comme le montre avec brio

Hakiza RUKATSI (1988), la loi 72/002 du 5/01/1972 prit deux dispositions particulières

concernant des personnes originaires du Rwanda. Le premier accorda la nationalité zaïroise à

toutes les personnes originaires du Rwanda et du Burundi installées au Congo avant le

01/01/1950. En effet, l’article 15 de cette loi stipulait que « les personnes originaires du

Ruanda-Urundi et qui étaient établies dans la province du Kivu avant le 01/01/1950 et qui ont

continué depuis lors à résider dans la République du Zaïre jusqu’à l’entrée en vigueur de la

présente loi ont acquis la nationalité zaïroise à la date du 30 juin 1960 ». (Rukatsi, 1988)

On constate que par rapport à l’ordonnance-loi du 26 mars 1971, la loi n°72/002 du

05/01/1972 retirait la nationalité zaïroise aux rwandais et aux barundi installés au Zaïre entre

1950 et 1960 : ils devenaient de ce fait des apatrides. La 2°disposition annula l’ordonnance-

loi du 26 mars 1971.

Dans la suite, le Conseil Législatif (Assemblée Nationale) du Zaïre vota en juin1978 une loi

portant abrogation de l’article 15 de la loi 72/002 du 05/01/1972 car, pour les parlementaires

zaïrois, des réfugiés politiques des années 1960 avaient profité de la médiocrité des services

de l’Etat civil du Zaïre pour usurper la nationalité zaïroise en se basant sur cet article. Cette

loi ne fut pas directement promulguée par le Président Mobutu mais elle le sera dans le cadre

de la loi n°81/002 du 29 juin 1981 qui stipulait que : « est zaïrois, aux termes de l’article 11

de la Constitution, à la date du 30 juin 1960, toute personne dont un des descendants est ou a

été membre d’une des tribus établies sur le territoire de la République du Zaïre dans ses

limites du 1er

août 1908 telles que modifiées par les conventions subséquentes ». (Rukatsi,

1988)

Ainsi donc, par un simple trait de plume, tous les citoyens zaïrois d’origine rwandaise

installés au Zaïre après 1908 et qui n’avaient plus de lien avec le Rwanda devenaient

automatiquement des apatrides. On comprend dès lors que les perspectives de naturalisation

comme solution au problème des réfugiés ne pouvaient séduire ceux-ci car cette alternative

restait très aléatoire et incertaine. Cette gymnastique pour le moins étrange du législateur

zaïrois traduit en réalité l’hostilité grandissante des populations autochtones vis-à-vis des

immigrés rwandais en général et des réfugiés en particulier. C’est que les réfugiés rwandais,

poussés par l’instinct de survie, avaient pu pénétrer en grand nombre les sphères politiques et

économiques des pays d’accueil où ils occupèrent des postes importants, au grand dam des

nationaux. C’est ainsi que par exemple, pour ne citer que quelques ces typiques, Monsieur

Bisengimana Rwema fut pratiquement le n°2 au Zaïre après Mobutu, que les commerçants

rwandais comme Rujugira, Mutangana et beaucoup d’autres dominèrent l’économie du

Burundi pendant quelques années. En réaction, le Président BAGAZA du Burundi fit

promulguer une loi qui interdisait aux étrangers d’investir dans les secteurs-clés de

l’économie du Burundi, comme l’import-export.

1.1.3.2.Le drame des réfugiés rwandais en Uganda.

En Uganda, les ressortissants rwandais, persécutés sous le régime d’Obote, accueillirent avec

soulagement le coup d’état d’Idi Amin Dada qu’ils soutinrent massivement car il mit fin aux

23

persécutions du régime précédent. En effet, en 1969, Mr Obote avait élaboré un projet de loi

visant à mettre fin aux prestations des ressortissants étrangers. Ce projet de loi visait surtout

les Rwandais, majoritaires parmi les étrangers car en 1970, l’Uganda comptait environ

500 000 ressortissants d’origine rwandaise. Après le coup d’état, les rwandais s’engagèrent en

grand nombre dans les unités d’élite de l’armée ugandaise come le Simba Battalion basé à

Mbarara, le Malile Mechanized battalion, le Suicide Commando…

Cette armée comptait d’ailleurs de nombreux officiers d’origine rwandaise, comme le Colonel

Jacques Bunyenyezi, frère du futur Major Chris Bunyenyezi qui commandera les opérations

au Mutara et qui sera tué à Lyabega le 23/10/1990. En plus, des officiers d’origine rwandaise

coiffaient le sinistre « State Research », la sûreté ugandaise qui compte à son palmarès

plusieurs centaines de victimes tuées dans des conditions atroces. Le Major Kameya présidait

d’ailleurs les tribunaux militaires d’Amin Dada.

Au moment de la guerre avec la Tanzanie en 1978-1979, de nombreux ressortissants rwandais

se battirent dans les rangs de l’armée du redoutable dictateur. A la défaite, les Rwandais

furent accusés d’avoir soutenu le régime sanguinaire d’Amin Dada et d’avoir ainsi participé

aux massacres d’Ugandais.

Cependant, d’autres ressortissants rwandais comme Fred Rwigema avaient rejoint les rangs

du FRONASA et avaient combattu aux côtés des Tanzaniens contre le dictateur. En fait, les

réfugiés étaient prêts à s’engager dans n’importe quelle armée, pourvu qu’à la victoire, ils

aient la possibilité d’entrer en force au Rwanda, ce Rwanda qui refusait de les accueillir et qui

voulait, pensaient-ils, les rendre apatrides. Ils venaient d’ailleurs de créer en 1979 la

Rwandese Refugees Welfare Foundation (R.R.W.F.) qui avait un objectif essentiellement

socioculturel mais aussi la Rwandese Alliance for National Unity (R.A.N.U.) avec un

programme nettement politique. Son organe de presse s’appelait « The Alliancer ». D’après le

dossier sur le Programme Politique du FPR, le RANU « n’eut pas d’impact pour plusieurs

raisons, notamment le manque de leadership expérimenté et l’absence de contact entre le

groupe des initiateur pour la plupart des intellectuels et la masse des réfugiés. Cependant,

des membres du RANU parvinrent à rejoindre la lutte armée du National Resistance Movment

(N.R.M.) dès 1981. Ils profitèrent de l’expérience ainsi acquise durant la guerre de

libération ».

En fait, la situation des réfugiés rwandais allait de mal en pis et nous allons tenter de la

présenter brièvement en nous basant sur l’article d’Ananie Nkurunziza paru dans Dialogue

n°127 de mars-avril 1988. Rappelons tout d’abord que les réfugiés rwandais avaient été

installés par le HCR dans divers camps comme ceux de Nshungerezi et Nakivala dans

l’Ankole, Gahunge et Kyaka dans le Toro ainsi que Kyangwale dans le Bunyoro. La chute de

Milton Obote à la suite du coup d’état d’Amin Dada le 25/01/1971 soulagea les rwandais

jusqu’alors persécutés par Oboté. On a vu qu’ils avaient soutenu le régime Amin jusqu’à se

compromettre dans ses autodafés. Ils ne furent pourtant pas inquiétés lors des gouvernements

éphémères de Godfrey Binaisa et Yusuf Lule.

Malheureusement, en décembre 1980, l’Uganda People’s Congress, le parti de Milton Obote

gagna les élections législatives –élections contestées par toutes les parties et par la majorité de

24

la population- et Obote fut investi Président de la République. Les ressortissants rwandais qui

n’avaient pas oublié les projets d’Obote, avaient adhéré dans les mêmes proportions à

l’U.M.P. (Uganda Patriotic Movment) de Yoweri Museveni et au Democtatic Party (DP) de

Semmogerere, ce qui eut comme effet de réveiller les vieilles rancœurs anti-rwandais de

Milton Obote.

Entretemps, en mars 1981, Yoweri Museveni échappa à un attentat à Kampala ; il rejoignit

aussitôt le maquis et créa le National Resistance Movment (N.R.M.). Beaucoup de jeunes

rwandais le rejoignirent dans la brousse et pour Milton Oboté, tout rwandais devint l’homme à

abattre, d’autant plus que Yower Museveni était lui-même qualifié de rwandais, pays dont il

parle la langue.

C’est ainsi qu’en mai 1981, dans un discours prononcé à Soroti au Nord de l’Uganda, Milton

Obote attribua aux rwandais l’origine de tous les maux de l’Uganda, comme les massacres

d’Idi Amin Dada, la déliquescence de l’économie… et il les invita à rentrer chez eux. Le

Président de l’Uganda lançait en réalité une invitation à la chasse à l’homme et les

protestations du HCR et de l’opinion internationale ne feront que retarder l’échéance.

Le prétexte pour lancer l’hallali contre les rwandais se présenta le 15/09/1981 quand de jeunes

rwandais des camps de réfugiés de Nshungerezi et Nakivala volèrent des vaches de

Banyankole alors que ceux-ci avaient adhéré massivement au parti UPC de M.Obote. Les

Banyankore portèrent plainte à la police de Mbarara qui dépêcha des policiers et des membres

de la jeunesse de l’UPC pour récupérer le bétail volé. L’expédition trouva les voleurs de bétail

dans le district de Rakaï et ceux-ci furent dispersés, laissant leur bétail aux assaillants. Mais la

station de police de Kalisizo, en voyant les bandes de fuyards, se figura qu’il s’agissait d’une

attaque des guérilléros de Museveni et cette unité se porta à la rescousse des fugitifs. Dans la

confrontation, la police de Mbarara perdit trois hommes et un jeune de l’UPC fut tué. Comble

de malheur, le jeune de l’UPC était le propre frère du Docteur Rubaihayo, un ministre du

gouvernement Oboté. Aussitôt, la nouvelle que des réfugiés rwandais avaient tué trois

policiers et un jeune de l’UPC se répandit comme une trainée de poudre et un appel à la

vengeance fut lancé.

Ce fut le 02/10/1982 que débuta l’opération d’expulsion des rwandais dans le district de

Mbarara, la sale besogne étant effectuée par les jeunes de l’UPC sous la surveillance des

forces de l’ordre. Comme les Rwandais s’attendaient déjà à ces événements, la panique les

gagna et ils partirent rapidement. Le premier contingent arriva le 06/10/1982 au poste

frontalier de Kizinga dans le Mutara. Les hommes étaient accompagnés de leur bétail et ils se

déplaçaient dans une mêlée inextricable. Le mouvement d’expulsion des rwandais s’étendit

aux districts de Bushenyi mais celui de Kigezi refusa de s’y associer. Au total, quelques

43 000 réfugiés rwandais franchirent la frontière nord du Rwanda en poussant devant eux un

cheptel de 70 000 têtes de bétail.. Le gouvernement rwandais fut stupéfait par l’ampleur du

phénomène mais il réagit rapidement et les réfugiés furent installés dans les camps de

Kibondo et de Nasho, dans des conditions de dénouement extrême.

Heureusement, les secours furent rapidement organisés mais la situation restait précaire, étant

donné les mauvaises conditions hygiéniques et le manque d’eau potable. En tous cas, on

25

s’étonnait du côté rwandais car parmi les expulsés, on ne trouvait que des femmes, des

vieillards et des enfants : on pensait que les jeunes avaient été massacrés. En réalité, tous les

jeunes avaient rejoint en masse le maquis de Yoweri Museveni avec, pointant à l’horizon,

l’espoir de revenir au Rwanda les armes à la main et mettre ainsi fin à l’odyssée des réfugiés.

Entretemps, le Président Obote rentra d’Italie où il était en convalescence. Il lança un message

de pacification qui condamnait la persécution sous toutes ses formes mais en fait la mal était

déjà fait. La situation se stabilisa tout de même car les gouvernements et les organismes

internationaux s’étaient mis en branle.

Restait alors le délicat problème de ceux qui avaient été installés dans les camps de Kibondo

et Nasho. Les gouvernements des deux pays initièrent des négociations en vue de trouver des

solutions équitables à cette situation dramatique. En effet, lors des entretiens à Arusha en

Tanzanie, le Président Habyalimana et Monsieur Paulo Mwanga, Vice-président de la

République de l’Uganda décidèrent de créer une commission mixte chargée de se réunir le

plus tôt possible et faire des recommandations pratiques devant servir de base à une solution

durable au problème des réfugiés. La première réunion de la « Commission Ministérielle

Mixte » se tint à Gabiro du 22 au 27 octobre 1982. La délégation ugandaise était conduite

par :

- Monsieur Wilson Okwenje, Ministre de la Fonction Publique et des Affaires du

Cabinet,

- Le Colonel William Omaria, Ministre d’Etat chargé des Affaires Intérieures

- Monsieur Olanya Olenge, Vice-ministre de la Culture et du Développement

communautaire, ainsi que d’autres fonctionnaires du gouvernement.

Le Rwanda était représenté par Félicien Gatabazi, alors Ministre des Affaires Sociales et du

Développement communautaire, Monsieur Joseph Nsengiyunva, Secrétaire Général au

Ministère des Affaires Etrangères et de la Coopération, Monsieur Kanyarushoki Pierre Claver,

Secrétaire Général au Ministère de l’Intérieur ainsi que d’autres fonctionnaires du

gouvernement.

Les divergences de vue étaient totales car la délégation rwandaise demandait le retour des

réfugiés en Uganda alors que les Ugandais ne voulaient pas en entendre parler. D’après un

commentaire fait à Radio Rwanda le 28/10/1982 par le Ministre Gatabazi, les deux

délégations ne purent même pas dresser un procès-verbal commun des travaux. Néanmoins,

après d’âpres échanges de vue sur les facteurs historiques qui sous-tendent le problème actuel

des réfugiés, sur la nature du mouvement des réfugiés à travers la frontière, sur les mesures

prises par les deux gouvernements pour maîtriser la situation, sur la nationalité des réfugiés…

les deux délégations publièrent un communiqué conjoint que nous nous permettons de

commenter.

D’après ce communiqué, le gouvernement ugandais s’engage d’abord à arrêter le flux de

réfugiés et à assumer ses responsabilités envers les ressortissants rwandais, les réfugiés de

1959 devant être placés dans des zones déterminées conformément aux lois et procédures

26

internationales. En outre, les deux pays s’engageaient à maintenir la loi et l’ordre à la frontière

en appliquant la législation en matière d’immigration et de douane aux frontières.

En fait, les Ugandais affirmaient que toutes ces personnes qui avaient traversé la frontière

étaient des réfugiés rwandais qui rentraient chez eux, le Rwanda quant à lui contestant cette

position. C’est pour cela qu’on décida de procéder à l’identification individuelle des réfugiés

afin de déterminer leur nationalité. Le gouvernement rwandais prit l’engagement de garder au

Rwanda ceux qui auraient présenté des pièces prouvant leur citoyenneté rwandaise. Aussitôt

après la rencontre de Gabiro et prenant prétexte de l’engagement de l’Uganda d’arrêter le flux

de réfugiés, le gouvernement rwandais, manifestement dépassé par les événements, décida de

fermer sa frontière avec l’Uganda.

Seulement, les Ugandais n’avaient pas la moindre envie de respecter leurs engagements et de

nombreux réfugiés continuèrent à affluer vers la frontière. C’est ainsi que des milliers de

réfugiés furent bloqués dans le « no man’s land » de la frontière et ils furent plaqués à Mirama

Hill en face de Kagitumba, à Gakamba et à Musenyi : ils ne pouvaient ni entrer au Rwanda ni

retourner en Uganda ! Estimés également à quelques 40 000 personnes, ils vivaient dans des

conditions atroces, en proie à des maladies et des carences de toutes sortes. Les enfants

mourraient comme des mouches et on pouvait voir de nombreux cadavres jonchant la terre.

Le bétail fut exterminé et les boucheries de Kigali firent des bénéfices substantiels, les vaches

étant bradées pour une bouchée de haricots.

Finalement, sous la pression internationale, le gouvernement Oboté accepta de les laisser

retourner chez eux. Le gouvernement rwandais par contre décida d’accélérer les opérations

d’identification de toutes les personnes déplacées. Mais comment distinguer ceux qui étaient

rwandais de ceux qui ne l’étaient pas, étant donné que tous parlaient le kinyarwanda ?

Comment déterminer leurs statuts et leur nationalité, alors que tous voulaient rentrer dans ce

Rwanda pauvre mais en paix ? En effet, le conseil du gouvernement rwandais, réuni le

29/10/1982 entendait « faire une nette distinction entre, d’une part, les rwandais émigrés en

Uganda pour des raisons économiques et les réfugiés rwandais porteurs de la carte de

réfugiés délivrée par le HCR et d’autres parts les ressortissants ugandais d’expression

rwandaise » (d’après le Communiqué du Conseil du Gouvernement du 29/10/1982).

A la fin, on décida de considérer comme rwandais celui qui pouvait présenter une pièce

quelconque prouvant que l’intéressé avait eu à un certain moment la citoyenneté rwandaise,

ensuite le réfugié ayant la possibilité de présenter une carte du HCR. Il est évident que peu de

personnes étaient en possession de ces pièces car elles avaient toutes quitté leur domiciles en

catastrophe ; de plus, la plupart avaient quitté le Rwanda depuis de nombreuses années et ces

pièces ne leur servaient plus à rien : ils les avaient alors, soit perdus, soit déposés à un endroit

où ils n’eurent pas le temps de les récupérer lors de la fuite. Finalement, environ 5 500

personnes furent reconnues comme rwandaises et elles seront installées un peu partout dans le

pays mais surtout dans les paysannats du Mutara.

Le Communiqué de Gabiro avait mis en évidence les divergences entre les deux pays mais il

invitait les deux gouvernements à poursuivre les négociations pour éviter d’aboutir à une

impasse. Les négociations se poursuivirent alors à Kabare du 6 au 8 mars 1983. La délégation

27

rwandaise était de nouveau conduite par Félicien Gatabazi qui était accompagné par Charles

Nkurunziza, Ministre de la Justice, par Jean Marie Viannéy Mugemana, Procureur Général

près la Cours de Cassation ainsi que d’autres fonctionnaires du gouvernement rwandais.

La délégation ugandaise était conduite par le Docteur John Luwuliza-Kirunda, Ministre des

Affaires Intérieures et Secrétaire Général du parti UPC. Comme Ministre des Affaires

Intérieures, il était le patron de la « Special Branch » du Criminal Investigation

Departement (CID), la Sûreté ugandaise. Il était connu comme un anti-rwandais notoire. La

délégation comprenait ensuite Stephen Ariko, Ministre Délégué à la Culture et au

développement communautaire et par d’autres fonctionnaires ougandais. La délégation du

HCR était conduite par Michel Moussali, Directeur de la Protection Internationale ; il était

accompagné par Antoine Noel, Chef du Bureau Régional pour l’Afrique et par d’autres

fonctionnaires du HCR.

D’après le communiqué conjoint publié à l’issue des travaux de la commission, les

engagements pris à Gabiro furent confirmés. Il s’agissait donc, comme le stipulait le point 2

du communiqué, de procéder à une « opération d’identification pour distinguer les catégories

de, personnes se trouvant dans les camps de réfugiés ainsi que les personnes déplacées à la

suite de mouvements qui ont affectés les réfugiés et les personnes déplacées à la fin de

l’année 1982 ». Ceux-ci furent alors regroupés en quatre catégories :

- Les réfugiés rwandais enregistrés auprès du Haut Commissariat pour les Réfugiés

(HCR)

- Les personnes qui se disent être des réfugiés rwandais mais qui ne sont pas

enregistrées comme tel auprès du HCR

- Les personnes qui se disent être des nationaux de l’Uganda

- Les étrangers

Le gouvernement ugandais accepta le rapatriement volontaire en Uganda des personnes dont

il aura déterminé la nationalité ugandaise dans les camps au Rwanda. En contrepartie, le

gouvernement rwandais en coopération avec le HCR devait élaborer une solution pour les

réfugiés et les personnes déplacées au Rwanda qui ne souhaitaient pas retourner dans les pays

d’origine ou de nationalité et installer définitivement ceux d’entre eux qu’il aura reconnu

comme ses propres nationaux.

Mais le Gouvernement ugandais, harcelé par les guérilleros de Museveni, ne put jamais tenir

ses engagements et les réfugiés de 1982 ne furent rapatriés vers l’Uganda qu’en 1985 sous

l’action de Yoweri Museveni qui contrôlait déjà le sud de l’Uganda. On se rappelle que tous

les jeunes rwandais avaient déjà rejoint la National Resistance Army (NRA) et c’est

essentiellement grâce à eux que Museveni put s’emparer de Kampala : ils avaient saisi

l’occasion de se venger de la soldatesque de Milton Oboté et de Tito Okello. En contrepartie,

Museveni leur promit de les aider à rentrer au Rwanda par les armes une fois le pouvoir

conquis à Kampala. Leur encadrement politique était assuré par le RANU.

En conclusion, du point de vue strictement humanitaire, le gouvernement rwandais se

comporta correctement dans l’ensemble envers les réfugiés entrés au Rwanda en 1982,

28

emportant même l’estime internationale. Il y eut sans doute des bavures comme ce sous-

officier de l’armée rwandaise qui, le 29 mai 1984, tira aveuglément sur les réfugiés de

Kibondo, tuant un père de famille et blessant six réfugiés. Il n’est pas impossible non plus,

comme l’affirme The Alliancer, l’organe du RANU, que des responsables rwandais des

camps de Nasho et Kibondo aient utilisé l’intimidation pour pousser les gens à retourner en

Uganda, étant donné l’obsession de la surpopulation (The Alliancer, n°3 de décembre 1985).

En plus, certains politiciens profitèrent de l’occasion pour éliminer leurs adversaires, comme

Monsieur Nsekalije Aloys, alors Ministre de l’Enseignement Primaire et Secondaire qui

parvint à éliminer Félicien Gatabazi qui fut mis incontinent en prison sous le fallacieux

prétexte d’avoir détourné les secours destinés aux réfugiés.

Le grand reproche qu’on doit faire à l’endroit des responsables rwandais est de n’avoir pas

profité de la situation pour régler convenablement le problème des réfugiés. En effet, on

constate dans les autres pays que les gouvernements mettent leur point d’honneur à protéger

leurs compatriotes où qu’ils se trouvent et dans toutes les circonstances. Le gouvernement

rwandais au contraire s’évertua à refouler des citoyens talonnés par des bandes déchaînées. Le

fait d’avoir verrouillé la frontière nord du Rwanda pour empêcher les fuyards d’entrer est une

opération pour le moins criminelle ! Le Ministère des Affaires Etrangères publia plutôt

plusieurs rectificatifs démentant les informations diffusées par Radio Kampala et reprises par

la Deutsche Welle le 10 mars 1983. Radio Kampala avait en effet affirmé que le Rwanda avait

accepté le rapatriement volontaire des réfugiés rwandais se trouvant en Uganda.

C’est le désespoir consécutif à ces événements malheureux qui convainquit les réfugiés qu’il

n’y avait d’autres solutions que la lutte armée. La guérilla de Museveni leur en fournit une

occasion inespérée et le gouvernement rwandais n’avait plus qu’à se bien tenir.

1.1.3.3.La prise de position du gouvernement rwandais face au problème des

réfugiés en 1986

Le gouvernement rwandais était conscient des menaces qui se profilaient à l’horizon du ciel

ugandais. Il lui fallait couper au plus tôt le fil de l’épée de Damoclès suspendu sur le Rwanda

et permettre ainsi une plus grande stabilité dans la région. Mais les responsables rwandais

restaient obnubilés par les problèmes de surpopulation du pays par ailleurs bien réels et se

refusaient à envisager le retour massif des réfugiés dans le pays. Ils redoutaient de rompre le

fragile équilibre social en laissant venir un grand nombre de Tutsi étant donné que le

problème ethnique n’avait jamais été abordé avec toute la sérénité voulue. Le problème des

réfugiés rwandais était devenu un sujet tabou que personne n’abordait jamais en public.

Plusieurs personnes commençaient déjà à murmurer que le régime avait laissé les Tutsi

dominer l’économie du pays. Il fallait donc que les pouvoirs publics se prononcent sur ce

sujet délicat. La première allusion officielle au problème des réfugiés date du 01/07/1982, à

l’occasion du 20°anniversaire de l’Indépendance nationale. A cette occasion, le Chef de l’Etat

affirma que son gouvernement estimait que le problème des réfugiés devait être abordé

« d’une manière essentiellement humanitaire mais en tenant compte des impératifs de paix et

de sécurité ». D’après lui, pour les réfugiés rwandais qui avaient réussi à s’établir dans les

pays d’asile, « le gouvernement rwandais soutient l’idée qu’ils puissent s’installer

29

définitivement et contribuer au développement économique et social de ces pays ». Le Chef de

l’Etat réitérait à cette occasion la position du Gouvernement rwandais face au problème des

réfugiés qui désiraient rentrer au pays, leur cas serait « examiné à la lumière des dispositions

de la législation et des règlements en vigueur depuis 1966, tels que complétés à ce jour et

inspirés par les conventions internationales dont le Rwanda est partie prenante ».

Mais comme les menaces se précisaient de plus en plus en Uganda, le Comité Central du

Mouvement Révolutionnaire National pour le Développement (M.N.R.D.) rendit public le

27/07/1986 un document qui définit la position officielle du Rwanda à l’égard des réfugiés.

Nous ne reprendrons pas ce texte in extenso mais nous en résumerons le contenu dans les

points suivants que nous avons emprunté au Mémorandum présenté à la délégation ugandaise

le 15 février 1989 :

- Le problème des réfugiés rwandais est d’ordre humanitaire et il trouvera une

réponse à travers la solidarité internationale et dans l’esprit des instruments

internationaux sur la question

- La contrainte de la pression démographique que subit le Rwanda et le manque

subséquent de terres cultivables, l’absence de ressources naturelles génératrices

d’emplois rémunératrices ainsi que les difficultés qu’éprouve le pays à instruire et

à soigner ses enfants, mettent le Rwanda dans l’incapacité d’assurer ne serait-ce

que la sécurité alimentaire d’un surcroit de population qui proviendrait d’un retour

massif des réfugiés rwandais. Or l’absence de la sécurité alimentaire est

génératrice de toutes les autres insécurités.

- Le Rwanda exprime sa gratitude vis-à-vis de pays et gouvernements amis qui ont

facilité l’établissement, voire la naturalisation des réfugiés rwandais qu’ils

hébergent. Dans le cadre de sa politique de bon voisinage, le Gouvernement

rwandais continuera à faire appel à pareille solidarité internationale pour

l’intégration de ces réfugiés dans les populations autochtones. Les organismes

internationaux tels que le HCR ont été priés de faire leur cette option et en faire

partager la logique et la justesse aux intéressés.

- Le Gouvernement rwandais a de son côté accordé et accordera toujours à ceux des

réfugiés établis, naturalisés ou non, les facilités de venir visiter leurs familles et

compatriotes pour autant que leur entrée et séjour au Rwanda ne constituent pas

des germes d’insécurité.

- Le Rwanda continuera à examiner avec bienveillance les demandes de

rapatriement individuel, libre et volontaire à la lumière des conventions dont le

Rwanda est partie et des règlements en vigueur au Rwanda.

- La politique africaine de promouvoir les ensembles régionaux intégrés avec

notamment la libre circulation des personnes et des biens permettra de nous

rassembler tous et constituera un cadre supplémentaire de règlement définitif du

problème des réfugiés.

Ainsi donc pour le Comité Central du MRND, la seule solution possible pour résoudre de

façon durable le problème des réfugiés rwandais réside dans leur intégration par naturalisation

ou par établissement dans les pays d’accueil. On se doute de prime abord que cette position

30

n’emportera jamais l’assentiment des réfugiés car comme nous avons tenté de le montrer dans

les paragraphes précédents, ils risquaient de devenir des apatrides. Nous avons estimé pouvoir

refléter le point de vue des réfugiés en nous basant sur le travail de François Ndagijimana qui

a été publié à Genève en 1990 et intitulé « L’Afrique face à ses défis. Le problème des

réfugiés rwandais. Contribution à la recherche d’une solution ». L’auteur lui-même réfugié,

analyse avec une grande objectivité le document du Comité Central du MRND et présente

d’autres alternatives.

Pour François Ndagijimana, ce document contient des aspects positifs. En effet, il reconnait

officiellement et solennellement l’existence du problème qui est national, urgent et

préoccupant mais aussi difficile. Cet aspect est positif car jusqu’alors « une certaine croyance

populaire largement répandue avait plutôt tendance à considérer les réfugiés rwandais

comme des criminels ». L’auteur signale ensuite comme aspects positifs :

- La confirmation de la normalisation de la situation intérieure du pays

- La décision de trouver une solution adéquate

- Le souci de se conformer aux dispositions du droit international

- Aborder le problème dans un esprit calme et serein

- La nécessaire collaboration des parties prenantes avec notamment la coopération

régionale et internationale.

Mais pour l’auteur, la solution préconisée « à savoir le refus du retour massif, refus assorti de

conditions trop sélectives et quelque peu curieuses d’acceptation du rapatriement ainsi que la

demande de réintégration et d’assimilation dans les pays d’accueil, conserve au problème

toute son intégralité quand elle ne le complique pas encore davantage » (Ndagijimana, 1990).

Dans une présentation quelque peu caricaturale, bien qu’il s’en défende, Monsieur

Ndagijimana dissèque le scénario proposé de manière suivante :

« - A l’adresse de la Communauté internationale : la situation intérieure au Rwanda s’est

tout à fait améliorée. Les causes qui ont été à l’origine des exodes successifs des réfugiés

rwandais ont bel et bien disparu. En principe, tous ceux qui voudraient revenir pourraient

très bien le faire. Mais voici plutôt comment il faut résoudre le problème

« - A l’adresse des réfugiés : renoncez à la nationalité rwandaise. Demandez celle des pays

qui vous hébergent.

« - A l’adresse des pays d’asile impliqués : naturalisez-les

« - A l’adresse du HCR :

- Expliquez aux uns et aux autres le bien-fondé de notre solution. Elle se justifie par

le fait que le pays est trop petit pour tous.

- N.B. Une petite réserve : s’il y en a qui insistent pour revenir, ils seront gentiment

soumis un à un à un test, notamment de capacité d’épanouissement et devront

remplir un certain nombre d’autres conditions que nous jugerons utiles. Et nous

arrêterons quand nous l’estimons nécessaire » (Ndagijimana, 1990)

31

Cette présentation bien caricaturale quoi que véridique de Monsieur Ndagijimana montre

clairement que la solution préconisée par le Rwanda ne pouvait en aucun cas satisfaire les

réfugiés qui risquaient de signer la mort de leur identité propre. D’ailleurs, les arguments

avancés par les responsables rwandais pour refuser le retour des réfugiés sont tout simplement

inacceptables car il est indéfendable de réduire à l’exil éternel une partie des citoyens sous

prétexte de pauvreté.

Il est vrai que les difficultés qui résulteraient d’un retour massif sont proprement titanesques

et il serait illusoire de se figurer que le Rwanda pourrait à lui seul en venir à bout. Ainsi donc

la prise de position du Comité Central du MRND qui se voulait aussi conciliante que possible

ne pouvait satisfaire les réfugiés qui exigeaient un retour sans condition dans leur pays natal,

au besoin les armes à la main. Au lieu de désamorcer la tension, la déclaration du Comité

Central réussit plutôt à l’exaspérer car les réfugiés sont désormais convaincus que leur pays

voulait les rejeter définitivement. Dans ces conditions, le recours aux armes devient légitime.

1.1.3.4. La création du F.P.R. ou l’imminence d’une confrontation

Nous avons déjà signalé que les militants de la Rwandese Alliance for National Unity

(RANU) avaient rejoint le maquis du National Resistance Movement de Yoweri Museveni.

Les persécutions du régime Obote vont grossir leurs rangs et après la victoire de Museveni,

les réfugiés rwandais disposent d’une force armée considérable et très expérimentée car ils

constituaient le fer de lance de la NRA, l’armée de Museveni. Il va sans dire que tous les

sacrifices ont été consentis dans l’espoir et dans le but de tourner leurs armes le moment venu

contre le Rwanda pour, non seulement rentrer dans le pays mais encore y entrer en position de

force et pourquoi pas, reconquérir le pouvoir perdu en 1959.

C’est dans cette optique qu’en 1986, le RANU fut transformé en Rwandese Patriotic Front

(FPR) et les combattants furent regroupés dans une « Task Force » qui s’appellera plus tard la

Rwandese Patriotic Army (RPA) ; Mr Fred Rwigema qui s’était illustré dans la guerre de

libération de l’Uganda et qui jouissait d’un charisme extraordinaire parmi les réfugiés fut

placé à la tête du FPR et même de la RPA. Le FPR tint en 1987 son premier congrès au cours

duquel son programme politique fut adopté. Dans une introduction où il présente à sa façon la

genèse des problèmes actuels du Rwanda, le FPR propose son programme politique en huit

points :

- la consolidation de l’unité nationale

- le renforcement des institutions démocratiques

- l’édification d’une économie nationale dynamique

- l’élimination de toutes les formes de corruption et de détournement des fonds

publics

- la sécurité des biens et des personnes

- la solution du problème des réfugiés

- l’institution des services sociaux

- la coopération avec tous les pays sur base de rapports mutuellement bénéfiques et

le soutien aux mouvements nationaux de libération.

32

On se rend compte que le FPR avait dépassé le simple cadre de réclamation du droit de

retour au pays natal car il se présente comme une véritable alternative politique au Rwanda.

Mais une analyse objective du programme du FPFR fait ressortir une profonde

méconnaissance des réalités rwandaises et tout observateur admettra que ce n’est pas avec ce

programme que les problèmes du Rwanda peuvent être résolus. En effet, ce texte n’aborde par

exemple pas clairement le problème de la pression démographique avec la paupérisation qui

en découle. Comment remédier à la carence dramatique de ressources ? Par quel miracle

trouvera-t-on les moyens de mettre en place cette économie dynamique ? Au fait, quels

mouvements nationaux de libération le Rwanda va-t-il soutenir ? S’agira-t-il plutôt de

déstabiliser les voisins ?

Comment assurer la formation de cette nombreuse jeunesse rwandaise et lui trouver des

emplois non agricoles ? Comment désengorger les campagnes ? Comment assurer à manger à

tous les citoyens et comment les soigner ? Autant de questions auxquelles le FPR ne cherche

pas à trouver des solutions alors qu’ils sont au cœur du drame rwandais.

Les aspects qui se rapportent à la corruption et au retour des réfugiés ainsi que les problèmes

ethniques et régionaux peuvent être faciles à aborder si la volonté politique existe. C’est donc

un programme léger de contenu mais qu’à cela tienne, le handicap n’était pas insurmontable

pour le FPR qui estimait pouvoir réadapter son programme aux réalités du pays une fois le

pouvoir conquis.

Le grand problème était que le monde des réfugiés restait extrêmement dispersé et leurs

associations étaient innombrables. Comme nous pouvons le lire par exemple dans Impuruza

n° 15 de décembre 1989, on comptait à ce moment 22 associations de réfugiés rwandais, le

FPR n’étant même pas cité alors que c’est lui qui disposait d’une force armée. Cette formation

n’avait alors aucune audience dans la diaspora rwandaise et quand Mr. Alexandre Kimenyi,

dans Impuruza n° 16 de Juin 1990, présente le programme du parti politique idéal pour lui, il

ne fait pas la moindre allusion au FPR ; d’ailleurs les douze points qu’il considère comme

fondamentaux n’ont rien à voir avec le programme du FPR. Cela veut donc dire que le

programme politique de cette formation ne traduisait pas nécessairement les aspirations de

tous les réfugiés rwandais mais tous sont d’accord au moins sur un point, à savoir le retour

inconditionnel dans leur pays natal : cette assertion ressort clairement du compte-rendu du

Congrès de Washington tenu en août 1988. Rappelons que ce congrès a réuni les délégués des

réfugiés rwandais venus de tous les coins du monde et il avait pour objectif principal d’unir

toutes les tendances des réfugiés et uniformiser leurs stratégies, cela en réaction contre la prise

de position du Comité Central du MRND.

Les positions paraissaient alors inconciliables aux deux parties concernées et chacun

commença déjà à fourbir ses armes, les combattants de la Rwandese Patriotic Army (RPA)

étant impatients d’en découdre avec l’armée rwandaise. D’autres démarches seront tout de

même entreprises pour tenter d’éviter l’affrontement mais comme on le verra, elles

n’aboutiront pas, le recours aux armes étant devenu inévitable.

33

1.1.3.5.L’action du Comité ministériel conjoint rwando-ugandais sur le

problème des réfugiés rwandais vivant en Uganda

Mr Yoweri Museveni s’était engagé à aider les réfugiés à s’emparer du pouvoir au Rwanda et

il était résolu à tenir ses promesses. Mais il ne pouvait pas le faire aussitôt après son accession

au pouvoir car il ne maîtrisait pas encore totalement la situation : les combats se poursuivaient

au Nord de l’Uganda et la Prêtresse Alice Lakwena venait de soulever l’Est du pays. C’est

pour cela que des éléments rwandais avec Fred Rwigema à leur tête furent envoyés guerroyer

au Nord de l’Uganda, ce qui poussait Museveni à temporiser. Aussi, lors de sa visite au

Rwanda en 1986, il affirma solennellement que nul n’attaquerait le Rwanda à partir de

l’Uganda.

Mais quand son pouvoir se fut suffisamment consolidé, il songea à honorer ses engagements

envers les réfugiés rwandais qui l’avaient si bien servi. Pour ce faire, il mit en demeure le

gouvernement rwandais à accueillir ses réfugiés sans condition alors que celui-ci, on se le

rappelle, avait opté pour un rapatriement individuel. Sous la pression de l’Uganda, le

Président Habyalimana, lors de sa visite à Kampala du 4 au 6 février 1988, accepta de créer

un comité ministériel conjoint chargé d’examiner les voies et moyens de trouver une solution

au problème des refugiés rwandais vivant en Uganda. Ce comité tint sa première réunion à

Kigali du 15 au 17 février 1989. La délégation ougandaise était conduite par Monsieur

Ibrahim Mukibi, Ministre de l’Intérieur et elle comprenait Monsieur Joseph N.Mulenga,

Ministre de la Coopération régionale, Monsieur John Katatumba, Ambassadeur de l’Uganda à

Kigali ainsi que d’autres fonctionnaires ugandais.

La délégation rwandaise avait à sa tête Monsieur François Ngarukiyintwali, Président de la

commission spéciale sur le problème des émigrés rwandais qui venait d’être créée. Elle

comprenait également le Professeur Pierre Claver Karenzi, un tutsi membre du Comité central

du MRND, Monsieur Casimir Bizimungu, Ministre des Affaires Etrangères et de la

Coopération, Monsieur Jean Marie Mugemana, Ministre de l’Intérieur et du Développement

communal, Monsieur Antoine Ntashamaje, un tutsi Ministre des Relations Institutionnelles

ainsi que neuf autres hauts fonctionnaires rwandais. On remarquera que les plus hauts

responsables du Rwanda faisaient partie de la commission mais il n’y avait aucun représentant

des réfugiés et cette lacune sera lourde de conséquences car ceux-ci ne se sentiront pas

concernés par des décisions prises sans leur participation.

Lors de cette première rencontre, la délégation rwandaise présenta un mémorandum axé sur

trois points principaux :

- Narration des efforts du gouvernement rwandais dans la recherche d’une solution

durable au problème des réfugiés rwandais

- Principales contraintes du Rwanda dans la recherche de solutions au problème des

réfugiés, à savoir : la pression démographique et le manque subséquent de terres

cultivables, l’absence de ressources naturelles génératrice d’emplois

rémunérateurs.

34

- Propositions concrètes pour une solution durable au problème des réfugiés

rwandais en Uganda : intégration par naturalisation ou par établissement dans les

pays d’accueil.

En somme, rien de nouveau sous le soleil et en réponse à ce mémorandum, la délégation

ugandaise fit remarquer, non sans raison, que tout Etat a le devoir de protéger ses citoyens et

de subvenir à leurs besoins dans les limites des ressources disponibles, celles-ci étant toujours

limitées. Pour elle, le rapatriement volontaire constitue non seulement la solution idéale mais

aussi la plus pratique et la plus permanente.

La divergence de vues était donc totale mais on décida tout de même de se retrouver à

Kampala du 14 au 17 novembre 1989. Les travaux de la 2° réunion débutèrent dans l’après-

midi du 14 novembre 1989 dans la salle du Centre de Conférence International de Kampala.

C’est le même Ibrahim Mukibi qui conduisait la délégation ugandaise qui comprenait

également Monsieur Bidandi Ssali, Ministre de l’Administration locale, Monsieur Georges

Kanyeihama, Ministre de la Justice et Monsieur B.Katureebe, Vice-ministre des Affaires

étrangères et régionales ainsi que d’autres hauts fonctionnaires. Celle du Rwanda comprenait

les membres de la commission spéciale sur les problèmes des émigrés rwandais et d’autres

fonctionnaires.

Au cours des travaux, la délégation rwandaise est revenue sur les problèmes et les contraintes

qui ne permettent pas au Rwanda d’envisager un retour massif des réfugiés. Ces problèmes et

ces contraintes se rapportent à la sécurité intérieure et extérieure, à l’emploi et à la formation,

à la santé, à la situation démographique et alimentaire, ainsi qu’à la situation économique du

Rwanda, car un peuple exposé au chômage et à la faim ne recule devant aucun moyen pour

survivre, créant par là une insécurité permanente. Elle fit également remarquer que le

problème des réfugiés rwandais dépasse le cadre bilatéral : il doit être envisagé dans sa

globalité étant donné que le nombre de réfugiés dépasse largement ceux qui vivent en

Uganda. Elle souhaitait que les réfugiés disposent d’informations complètes sur les véritables

réalités prévalant au Rwanda.

La délégation ugandaise a réaffirmé les mêmes principes du droit inaliénable au retour des

réfugiés, retour qui ne saurait être subordonné aux conditions économiques prévalant dans le

pays d’origine. Si le retour massif pose problème, il y a lieu d’envisager un rapatriement par

étapes, après évaluation de l’ampleur de la situation. Finalement, les deux parties se mirent

d’accord sur un certain nombre d’actions à entreprendre. La plus significative demande au

HCR de mettre sur pied un comité d’experts indépendants chargé de déterminer et étudier

tous les contours du problème des réfugiés vivant en Uganda avec entre autres comme

missions :

- La détermination du nombre de réfugiés rwandais vivant en Uganda

- La détermination du nombre de réfugiés désireux de retourner au Rwanda

- La détermination du nombre de réfugiés désireux de rester en Uganda pour y être

naturalisés

- Le recensement des biens dont dispose chaque réfugié

35

En outre, les deux parties devaient se retrouver en avril 1990 pour examiner le rapport du

comité d’experts indépendants.

A travers la mission confiée à ces experts du HCR, on se rend compte que le Rwanda

commence à lâcher du lest et à envisager sérieusement la possibilité d’un retour massif des

réfugiés. Il était temps car l’examen des comptes-rendus de ces deux rencontres montre que le

Rwanda tient une position juridique intenable même si les réserves qu’il exprime sont

compréhensibles. En fait, quand on se souvient des difficultés que l’Allemagne a éprouvé

pour accueillir les quelques 50 000 personnes venues de l’Europe de l’Est en 1989-1990, on

peut comprendre qu’un pays comme le Rwanda puisse hésiter à accueillir près de 500 000

personnes tout d’un coup ! Mais pouvait-il s’y soustraire ?

La 3°et dernière réunion du comité ministériel conjoint se tint à Kigali du 27 au 30 juillet

1990. On adjoignit aux délégations de l’Uganda et du Rwanda des représentants du HCR et de

l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA). A l’issue des travaux, la mission qui avait été

confiée au HCR lors de la 2°réunion fut confirmée. Le HCR devait donc mener une enquête

auprès des réfugiés vivant en Uganda pour déterminer ceux qui voulaient retourner au

Rwanda, rester en Uganda avec le souhait d’y être naturalisés ou alors être réinstallés ailleurs.

En plus de cela, il fut recommandé au HCR d’entreprendre une étude sur la capacité

d’absorption du Rwanda en recourant aux services d’experts crédibles et impartiaux.

Le Rwanda s’engagea alors à respecter les conclusions de l’enquête et à les mettre en

application en accueillant les réfugiés ayant choisi de rentrer au pays. Mais pour permettre

aux réfugiés de se décider en connaissance de cause, il fut également décidé qu’un groupe

représentatif de la communauté des réfugiés accompagné par le HCR viendrait effectuer une

visite au Rwanda avant l’enquête proprement dite. Cette visite devait être effectuée du 27

septembre au 10 octobre 1990. Elle n’eut évidemment pas lieu car le premier octobre 1990, le

FPR s’était lancé à l’assaut du Rwanda.

Les résultats de cette 3°réunion prouvent à suffisance que le Rwanda avait enfin accepté de

remplir ses responsabilités envers les réfugiés et de mettre fin à leur odyssée, cela dans des

conditions acceptables par tous. La première question qui vient à l’esprit est de savoir

pourquoi les réfugiés ont juste attaqué à ce moment alors qu’ils venaient d’obtenir ce pour

quoi ils s’étaient battus pendant tant d’années. Mais d’abord les résultats de ces travaux ont-ils

été portés à leur connaissance puisque, comme on l’a vu, ils n’avaient pas été associés aux

débats ? Est-ce pour cette raison qu’ils ont jugé qu’ils n’étaient pas concernés ?

Quoi qu’il en soit, il était apparemment inutile de porter à la connaissance des réfugiés les

résultats de la 3°réunion car le 16 mars 1990 s’était tenue à Nakasero (Kampala) une réunion

extraordinaire du groupe FPR-Inkotanyi qui avait décidé de faire la guerre. Cette réunion

regroupait les chefs du FPR et de nombreux autres délégués :

- Général Fred Rwigema, Président de la réunion

- Major Bayingana, coordinateur

- Monsieur Paul Kagame, Directeur du Service militaire de renseignement

- Capitaine Kayitare

36

- Monsieur Kabanda, membre du comité d’organisation

- Trois étudiants de l’Université Nationale du Rwanda, Butare

- 75 autres personnes venues de part et d’autre de l’Uganda

Au cours de cette réunion, on a fait état de la situation de la collecte de fonds qui se présentait

ainsi :

- 1 500 000 francs rwandais récoltés au Mutara

- 200 000 francs récoltés à Kigali

- 100 000 shillings récoltés à Gashenyi

D’après un rapport confidentiel fait sur cette rencontre, le fond alloué à l’opération attaque

était gardé et géré dans les camps des réfugiés de Toro. Cette réunion avait en fait pour

objectif de décider, non s’il fallait attaquer le Rwanda mais plutôt quand il faudrait le faire,

comme le demanda Fred Rwigema à l’assistance. Il semble que ce seraient les étudiants de

l’U.N.R. qui auraient affirmé que c’était le moment ou jamais car « le Président

Habyalimana, les membres de sa famille, ses proches et les hauts responsables du pays »

étaient entrain de puiser dans le trésor public et de retirer de l’argent des banques pour le

placer en Occident, en vue de préparer leur fuite à la moindre alerte.

Ce serait d’ailleurs à cette occasion que le capitaine Kayitare aurait demandé à Rwigema :

« Si Dieu nous aidait à livrer et à gagner le combat, pourrons-nous cohabiter avec les gens

qui avaient usurpé nos propriétés ou seront-ils à leur tour des réfugiés dans d’autres pays ? »

Fred Rwigema lui aurait affirmé qu’ils allaient quand même cohabiter, même si le Rwanda

est petit. Un autre officier aurait rétorqué que dans ces conditions, il vaudrait mieux ne pas

attaquer et rester en Uganda avec l’étiquette d’éternel réfugié.

Cette réunion semble s’être terminée sans décider de la date de l’attaque mais ce n’était que

partie remise, d’autant plus que le projet d’attribuer des terres vacantes à des « squatters »

avait soulevé beaucoup d’indignation au sein des populations autochtones et avait ravivé

l’incertitude des réfugiés quant à leur sort futur. En effet, les populations ougandaises, surtout

les Baganda, étaient convaincues que ce projet était un subterfuge pour donner leurs terres aux

réfugiés tutsi. On se souvient que les terres ne sont jamais vacantes en Afrique et les anglais

l’apprirent à leurs dépens lors de la révolte des MAU MAU au Kenya.

N’oublions pas que plusieurs de ces réfugiés occupaient des places de choix dans l’armée

ougandaise alors qu’il était inconcevable qu’ils rentrent armés au Rwanda : en cas de retour,

ils risquaient de redevenir de simples citoyens. Si on ajoute à cela que l’armée rwandaise avait

été affaiblie au point de n’avoir aucun effet dissuasif, que la situation sociopolitique et

économique au Rwanda était difficile, on peut comprendre que le FPR ait pensé avoir la tâche

facile et décider d’attaquer.

Certaines personnes affirment que les Occidentaux ont poussé le FPR à attaquer pour forcer la

main au Président Habyalimana récalcitrant à adopter le multipartisme. Ce n’est pas

impossible car comme nous pouvons le lire dans le Vif l’Express du 12 octobre 1990,

Monsieur Serge Dumont affirme que le Service Général de Renseignement de l’armée berge

37

était au courant de l’attaque que le Rwanda allait subir, sur base d’informations en provenance

de l’OTAN. Il ajoute que l’attaque n’avait en tout cas pas surpris certains cercles militaires

proches de l’OTAN et certains responsables belges avaient été avertis à l’avance. On peut

penser que les Occidentaux étaient sans doute au courant de l’imminence de l’agression mais

de là à affirmer qu’ils ont poussé à le faire, il y a un pas que nous hésitons à franchir.

Toutefois, la détérioration de la situation intérieure au Rwanda a sans aucun doute pesé lourd

dans la décision du FPR en lui faisant croire que le mécontentement de l’intérieur lui

apporterait des milliers de partisans et que l’attaque ne serait qu’une simple promenade

d’agrément!

1.2. Marasme économique et malaise politique

Après des débuts prometteurs, la II° République sombra rapidement dans une gestion

économique imprudente qui, soumise à des chocs d’origine externes conduisit pratiquement le

pays à la banqueroute. Comble de malheur, les conditions climatiques défavorables se

mêlèrent de la partie et la disette frappa une partie du pays. Pour tenter de se maintenir en

place, le régime recourra à des pratiques de culte de la personnalité du Chef de l’Etat par

l’intermédiaire de l’ »animation ».Malgré tout, le malaise politique était profond et il fut

aggravé par une série d’« accidents » qualifiés d’assassinats par l’opinion publique, ainsi que

par des scandales politico-financiers qui éclaboussèrent la famille et les proches

collaborateurs du Chef de l’Etat.

1.2.1. L’euphorie de la fin des années 1970

D’après le PNUD (1991), au cours de la période 1975-1980, l’économie rwandaise a connu

une forte expansion grâce à une combinaison de facteurs positifs externes et internes. Le

document du PNUD cite notamment des conditions climatiques favorables aux cultures

vivrières et de rente, des cours mondiaux du café et du thé assez favorables, des entrées

importantes de capitaux extérieurs et une gestion prudente de l’économie par les autorités

rwandaises. Nous n’avons pas l’intention d’effectuer une étude de l’économie rwandaise de

cette période mais nous choisirons quelques exemples qui peuvent illustrer ce processus

1.2.1.1. Une production de cultures vivrières en augmentation

Il faut d’abord rappeler que l’économie rwandaise est basée sur une agriculture centrée sur les

cultures vivrières de subsistance : plus de 90%de la population est agricole!

Quand on considère les statistiques agricoles du MINAGRI entre 1975 et 1980, on constate

que le volume total de la production agricole a augmenté à un rythme annuel moyen de 4.1%.

Au même moment, la population est passée de 4 420 466 habitants à 5 256 000, soit une

croissance annuelle de 3.15%. Cela veut dire que la production agricole a légèrement

augmenté plus vite que la population, le phénomène se traduisant sans doute par une plus

grande disponibilité alimentaire par habitant.

Cette augmentation de la production vivrière a été considérable pour certains produits comme

le riz (11.9% par an), le sorgho (8.2%), la pomme de terre (7.49%), les patates douces

38

(6.57%) et le manioc (6.25%). Elle a été relativement faible pour les haricots (3.1%) et les

bananes (3.18%).

Tableau n°4 : 2volution de la production des cultures vivrières principales de 1975 à 1980 (en

tonnes)

Années

Culture

1975 1980 Accroissement annuel

moyen (%)

Haricot 152 744 181 164 3.1

Sorgho 114 321 170 903 8.2

Maïs 67 457 85 059 4.3

Riz 2 583 4 430 11.9

Pomme de terre 149 745 217 060 7.49

Patate douce 624 587 870 857 6.57

Manioc 394 400 542 360 6 26

Banane 1 734 070 2 063 067 3.16

TOTAL 3 311 264 4 134 900 4.1

Population 4 420 466 5 257 000 3.15

Mais cette augmentation relativement satisfaisante de la production vivrière ne doit pas faire

oublier qu’elle s’est faite, non pas par l’augmentation des rendements mais par l’extension des

surfaces cultivées. En effet, comme le montre le tableau n°5, les superficies exploitées pour

ces mêmes cultures sont passées de 723 200 ha à 891 947 ha, soit une augmentation annuelle

moyenne de 3.88% : la différence n’est donc pas grande avec les 4.1% de la production.

Pour certaines cultures, l’extension des surfaces cultivées est de loin supérieure à celle de la

production, ce qui signifie qu’en réalité les rendements ont baissés. C’est le cas des haricots

dont les superficies ont augmenté de 5.8% alors que la production l’a été de 3.1% seulement,

le riz (15.12 contre 11.9%), la banane (3% contre 3.16%), le manioc (7% contre 6.25%). Pour

les autres cultures, l’augmentation moyenne de la production est supérieure à celle des

surfaces cultivées.

Tableau n°5 : Evolution des superficies consacrées aux principales cultures vivrières de 1975

à 1980 (en ha)

Année

Cultures

1975 1980 % moyen d’accroissement

annuel

Haricot 190 600 257 154 5.8

Sorgho 132 782 144 591 1.48

Maïs 62 745 71 820 2.41

Riz 1 016 1 938 15.12

Pomme de terre 26 676 32 040 3.35

Patate douce 86 992 114 176 6.2

Manioc 32 034 45 589 7

Banane 190 358 224 640 3

Total 723 203 891 947 3.88

39

Dans ces conditions, on peut dire que la situation alimentaire du pays ne se détériorera pas

tant qu’il y aura encore des terres libres et que le ciel sera clément. La situation s’inversera

aussitôt que les surfaces agricoles seront épuisées, surtout si à cela s’ajoutent des irrégularités

climatiques.

1.2.1.2. Des cours mondiaux favorables pour le café et l’étain

Les cours mondiaux du café dépendent en grande partie de la production brésilienne, la plus

importante du monde. Quand celle-ci est bonne, le marché est inondé et les cours

s’effondrent. Cependant, l’orientation méridienne du relief du continent américain avec des

chaînes de montagnes jeunes à l’Ouest (Rocheuses, Andes), des plaines au centre et des

plateaux anciens à l’Est (Appalaches, Nordeste brésilien), permet la remontée de masses d’air

froid d’origine polaire jusqu’à l’Equateur, d’où des gelées périodiques des caféiers brésiliens.

A ce moment, les cours mondiaux remontent et les pays producteurs autres que le Brésil

vivent des périodes de vaches grasses.

Justement, au mois de juin 1975 se produisit une grande gelée au Brésil et les cours mondiaux

du café se mirent à grimper à un rythme vertigineux. C’est ainsi que le prix du café qui était

inférieur à US 50 cents/livre au mois de mai 1975 remontèrent à 150 US cents/livre en juin

1976 et à 310 US cents/livre en avril 1977 (fig. n°1). Pendant ce temps, la production

brésilienne avait repris alors que les consommateurs avaient réduit leur consommation du

café, de sorte que les prix retombèrent à moins de 115 US cents/livre en février 1979.

Heureusement car à ce moment-là la guerre entre la Tanzanie et l’Uganda battait son plein et

le Rwanda ne put exporter la production de la campagne 1978, justement quand les cours

étaient bas. C’est en avril 1979 qu’une petite gelée eut lieu au Brésil et les cours remontèrent

à un peu moins de 200 US cents/livre en juillet 1979. Le Rwanda en profita alors pour écouler

la production de 1978 et 1979 au moment où les cours étaient intéressants. Les recettes furent

substantielles mais comme on peut s’en rendre compte, ces opérations relèvent de la

spéculation et ne reposent pas sur une base saine. En effet, les cours du café ne firent que

dégringoler depuis lors, surtout qu’il n’y eut plus de gelée au Brésil. (Fig. n°1)

40

Figure n°1. Evolution du prix de vente du kilo de café type « Arabica standard » de 1962 à

1990

L’évolution des cours de l’étain sur le marché mondial fut sensiblement la même que celle du

café car ils se caractérisent par une progression en dents de scie mais avec une tendance

générale à la hausse. Il faut dire que la politique de contingentement pratiquée alors que

l’International Tin Council (ITC) qui fixait des prix planchers et des prix plafonds a permis de

maintenir des prix élevés. Quand les prix plafonds étaient atteints, le stock régulateur était

écoulé sur le marché ; par contre, quand les prix descendaient jusqu’aux prix planchers, le

stock régulateur achetait de l’étain sur le marché. (Figure n°2)

41

En plus de ces prix planchers et plafonds, les exportations des pays producteurs étaient

limitées par la fixation de quotas en fonction de la consommation. Le résultat de toutes ces

mesures fut une augmentation régulière des prix de l’étain qui passèrent de 3 107£/tonnes en

1975 à 7 550£-tonnes en 1980 au London Metal Exchange (L.M.E.). Les cours étaient alors

tellement intéressants que le Rwanda exportait son étain par avion.

Tableau n°6 : Evolution des cours de l’étain au LME de 1975 à 1980 (en £/tonne)

Années 1975 1976 1977 1978 1979 1980

Cours 3 107 4 733 6 376 6760 7 344 7 550

La conjonction de tous ces facteurs favorables fit que les recettes en francs courants passèrent

de 3 918 496 400 rwandais en 1975 à 10 573 300 000 francs en 1979 ! C’était la période des

vaches grasses mais les mêmes recettes tombèrent l’année suivante à 7 025 090 800 francs, ce

qui aurait dû faire réfléchir et pousser à plus de prudence et moins d’optimisme. En tout cas,

les réserves en devises passèrent de 2 283 millions de francs rwandais à 14 842 millions en

1980, c’est-à-dire l’équivalent de près de 8 mois d’importations.

42

Tableau n°7 : Evolution des réserves en devises de 1975 à 1980 (en millions de francs

rwandais)

Années 1975 1976 1977 1978 1979 1980

Réserves 2 283 4 673 6 664 7 028 13 693 14 842

Augmentation

par rapport à

l’année

précédente

+ 1 234

+ 2 390

+ 1 991

+ 364

+ 6 665

+ 1 149

(Source : Banque Nationale du Rwanda)

1.2.1.3. Une gestion prudente de l’économie

Pendant la même période qui va de 1975 à 1980, la gestion de la chose publique a été dans

l’ensemble assez prudente car le gouvernement a évité le piège de ces dépenses publiques

ostentatoires qui proliféraient ailleurs. C’est ainsi que comme le montre le graphique n°3, le

déficit de la balance des paiements est resté dans des limites raisonnables, même s’il est passé

de 5 004 à 7 282 millions, différence qui fut facilement comblée par l’aide extérieure (Figure

n°3).

Figure n°3. Evolution des importations et des exportations de 1964 à 1985 (en valeurs

absolues)

43

De même, le budget ordinaire de l’Etat qui était déficitaire de 15 millions en 1975 devint

largement positif à partir de 1976, le solde étant de 1 474.2 millions, 1976.9 millions en 1977,

981.5 millions en 1978, 2 235.4 millions en 1979 et 1755.1 millions en 1980. Cependant, la

dette extérieure fut multipliée par 3.6 car elle passa de 4 534.1 millions en 1975 à 16 368.4

millions en 1980 mais cela ne représentait alors que 15.1% du PIB. Celui-ci était justement

passé de 52 767 millions à 107 955 en 1980, ce qui veut dire qu’il a été multiplié par 2 en

francs courants. En effet, d’après le Ministère du Plan, le taux de croissance annuel moyen du

PIB pour cette période a atteint 7% en termes réels et plus de 3% en termes de revenus par

habitant (MINIPLAN, 1989).

Cette situation apparemment favorable était de nature à attirer le capital étranger qui ne

cherchait qu’à se placer, étant donné l’afflux de pétrodollars dans les banques occidentales.

Justement la géopolitique régionale était alors favorable au Rwanda car le Zaïre venait

d’effectuer sa désastreuse « zaïrianisation », l’Uganda était sous la coupe d’Idi Amin Dada, la

Tanzanie poursuivait son processus de villagisation « Ujamaa » pendant que l’ombre des

massacres de 1972 planaient encore sur le Burundi.

1.2.2. Dégradation de l’économie rwandaise avec les années 1980

Le second volet de l’analyse du PNUD (1991) est beaucoup moins enthousiaste car avec les

années 1980, la situation s’est renversée et l’économie rwandaise connut une dégradation

progressive, particulièrement à partir de 1987. Depuis cette année, affirme le PNUD, les

difficultés économiques et financières du Rwanda sont essentiellement dues aux effets

combinés de la chute brutale des cours mondiaux du café, de la fin de l’industrie minière, de

la surévaluation du franc rwandais, de conditions climatiques défavorables et de problèmes

structurels. Mais comme le PNUD ne fait pas de politique, il se garde de parler de la mauvaise

gestion de la chose publique qui caractérisa ces années, se contentant de parler de « problèmes

structurels ». Ce paragraphe se propose de retracer les grandes lignes de ce processus.

1.2.2.1. La faillite de l’industrie minière

La création de la Société des Mines du Rwanda (SOMIRWA) en 1973 avait pour objectif

principal de tenter d’améliorer la productivité par l’augmentation des moyens investis.

Malheureusement, les objectifs des deux partenaires de la SOMIRWA, la multinationale belge

GEOMINES et l’Etat rwandais, ne convergeaient pas. La GEOMINES, une société

spéculative avec une assise financière très fragile, était parfaitement consciente du caractère

marginal de l’activité minière au Rwanda et elle voulait en tirer le maximum possible pour

tenter d’éponger les nombreux déficits de ses autres succursales.

A ce moment, elle avait d’ailleurs à sa tête M. Jean Luc Van den Branden, une sorte d’escroc

international qui parvint à berner les responsables rwandais, sans doute peu récalcitrants après

de substantiels pots de vin judicieusement distribués ici et là. Cette divergence d’intérêts et

d’objectifs, jointe à un environnement international défavorable avec la montée des cours du

dollar, entraina la faillite de la SOMIRWA qui déposa son bilan le 12 août 1985. Le Tribunal

de Première Instance de Kigali prononça le jugement déclarant la faillite le 22/10/1985. Par

44

un simple trait de plume, cette décision délestait le trésor public d’environ 20% de ses recettes

d’exportation, rien ne pouvant combler ce manque à gagner.

Tableau n°8 : Valeurs des exportations minières par rapport aux exportations totales (en

millions de francs rwandais)

Années Valeur des

exportations totales

Valeurs des

exportations minières

Rapport en %

1969 1 423.5 699.6 42.12

1970 2 480.5 858.9 34.6

1971 2 233.3 853.6 38

1972 1 795.4 645 35.9

1973 2 786.9 591 21

1974 3 459.1 541.2 15.6

1975 3 918.5 706.7 18

1976 7 535.2 666.3 8.8

1977 10 785 2 135 19.8

1978 8 160 2 080 25.5

1979 17 303 2 428 14

1980 10 163 2 295 22.5

1981 9 826 1 790 18

1982 9 611 1 468 15.2

Cependant, en dépit de la faillite de la SOMIRWA, l’industrie minière au Rwanda pouvait se

restructurer rapidement et reprendre son rang dans l’économie rwandaise. Il se fait que,

quelques jours après la déclaration de faillite de la SOMIRWA, le marché mondial de l’étain

s’effondra subitement le 24/10/1985 et il n’y eut plus de cours de l’étain. C’est que, comme

signalé plus haut, le Conseil International de l’Etain, avec sa politique de protection des prix

par la fixation d’un prix plancher et d’un prix plafond, par la constitution d’un stock

stratégique régulateur du marché et par le contingentement de la production, avait maintenu

les prix de l’étain à un niveau deux fois plus élevé que le prix réel du marché (Uwizeyimana,

1988).

Tableau n°9 : Evolution des cours de l’étain de 1981 à 1985 au London Metal Exchange (en

£/tonnes)

Années 1981 1982 1983 1984 1985

Cours 7 142 7 448 8 765 8 987 9 273

Ce processus eut un double effet : d’une part, les prix élevés de l’étain rendirent possible

l’exploitation de gisement auparavant non rentables et la production augmenta

considérablement. D’autres parts, la cherté de l’étain poussa les consommateurs à lui trouver

des substituts moins chers tout en ayant une qualité identique, ce qui se traduisit par une chute

progressive de la consommation. On assista alors à un curieux phénomène malheureusement

fréquent sur le marché mondial, où le producteur est encouragé par les prix à produire plus,

alors que ceux-ci découragent le consommateur. Au moment où ce déséquilibre entre

45

consommation et production atteignait des niveaux inquiétants, le marché fut inondé par les

stocks stratégiques américains et par les productions des pays non membre du Conseil

International de l’Etain. La fin de l’effondrement des cours qui s’en suivit est difficile à

prévoir dans un avenir prochain (Figure n°’4).

1.2.2.2. La fin de l’Organisation Internationale du Café (O.I.C.)

Le début des années 1980 a vu les cours du café, qui avaient atteint leurs niveaux les plus

élevés en 1977, s’effondrer progressivement. C’est ainsi que la valeur des exportations du

café, qui étaient de 12 milliards de francs rwandais en 1979 retomba à 6 milliards en 1982. La

situation s’améliora en 1986 car les prix mondiaux du café ont de nouveau atteint des valeurs

élevées. Le Rwanda exporta cette année-là 46 043 tonnes de café pour une valeur de 13 903.5

millions de francs rwandais. Cependant, l’exportation de 46 404 tonnes l’année suivante ne

46

rapporta que 8 495.1 millions car les cours du café étaient descendus à 103 cents/Lb ! Le

déficit de la balance commerciale grimpa jusqu’à 11 596 millions mais à 20 152 millions si on

considère la balance constante en excluant les transferts officiels.

Tableau n°10 : Exportation du café usiné de 1981 à 1988

Années 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987

Exportations

en tonnes

20 956 27 029.7 30 075 31 418 34 064 46 043 46 404

Valeur en

millions de

francs

rwandais

5 864.3 5 191.7 - 9 711.0 13 903.5 8 495.1

Le cours moyen mondial du café connut une légère amélioration en 1988 car il remonta à

135.1 cents/Lb et les fluctuations furent peu marquées cette année avec d’ailleurs une

ascension régulière à partir du mois d’août

Cette évolution laissait présager une situation encore plus favorable en 1989. C’est ainsi que

sur base de ces signes de redressement apparent, les exportations de 1988 furent suspendues

en attendant que les prix atteignent leur niveau optimal. De la sorte, sur 42 836 tonnes de café

usiné en 1988, seulement 29 927 ont été commercialisés ; le reste a contribué au gonflement

des stocks qui passèrent de 5 080 tonnes fin 1987 à 16 270 tonnes en 1988.

Entre temps, des divergences inconciliables étaient apparues au sein de l’O.I.C. qui n’est pas

parvenu à un accord entre producteurs et consommateurs pour stabiliser le marché

d’exportation. Le brésil constituait alors la pomme de discorde car sa production de café avait

augmenté de 40% et il n’était pas prêt à respecter les quotas qui lui avaient été assignés.

Effectivement, pour le Brésil, la vente de toute sa production à bas prix rapportait plus que le

respect des quotas et son intérêt immédiat prévalut. En conséquence, les stocks mondiaux de

café gonflèrent considérablement alors que la demande était en stagnation (augmentation de

0.9% en 1988) et les cours mondiaux du café furent cassés. Malgré d’interminables

négociations, on ne put aboutir à un accord et le 03/07/1989, l’O.I.C. cessa de fonctionner car

on n’avait pas pu s’entendre sur le système des quotas.

Les cours mondiaux du café s’effondrèrent alors et le manque à gagner pour le Rwanda fut

considérable, d’autant plus que la qualité du café rwandais avait sensiblement baissé puisque

le cours moyen du café rwandais en 1988 (132.9 cents/Lb) était inférieur à la moyenne

mondiale (135.1 cents/Lb). Comme on peut le voir avec la figure n°5, le prix de réalisation du

café rwandais était inférieur au seuil de rentabilité de ce produit à partir de 1989, ce qui veut

47

dire que le pays perdait de l’argent chaque fois qu’il mettait du café sur le marché mondial .

Figure n°5 : Prix de réalisation du café rwandais de 1988 à 1991 (en US cents par livre)

Le déficit de la balance commerciale atteignit des niveaux impressionnants comme le montre

le tableau n°11 et la figure n°5 bis.

Tableau n°11 : Balance des paiements au Rwanda de 1985 à 1990 (en millions de francs)

Années 1985 1986 1987 1988 1989 1990

Exportations FOB 12 767 16 360 9 675 9 007 8 380 9 026

Importations CAF 22 183 22 719 21 271 21 292 20 326 19 334

Balance commerciale -9 416 -6 583 -11 596 -12 285 -11 946 -10 308

Balance courante exclus

transferts officiels

-17 810 -16 321 -20 152 -20 121 -18 601 -20 593

Balance courante inclus

transferts officiels

-6 461 -6 070 -10 702 -9 470 -8 401 -8239

(Source : PNUD Rwanda, Rapport 1990, décembre 1991)

48

Figure n°5 bis : Balance des paiements au Rwanda (1985-1990) en millions de francs

rwandais

1.2.2.3. Gestion imprudente de l’économie du pays

Dès le début des années 1980, l’économie rwandaise avait déjà commencé à manifester des

signes d’essoufflement, surtout à cause de la baisse des cours du café. Cependant, obnubilé

par le gonflement temporaire des recettes à cause des cours intéressants du café et de l’étain

de la fin des années 1970, le gouvernement pratiqua une politique beaucoup moins prudente

que par le passé. Cette politique entraina l’augmentation des dépenses publiques alors que les

recettes diminuaient. Mais pouvait-il faire autrement dans ce contexte d’effondrement

généralisé de l’économie coloniale ?

C’est ainsi qu’en 1980 par exemple, le gouvernement décida d’augmenter les salaires des

fonctionnaires de 15% en moyenne, ce qui augmentait d’autant la masse salariale totale. En

plus, les quelques rares ressources furent investies dans des secteurs administratifs, spéculatifs

ou d’infrastructure (commerce d’importation, transports, constructions, administration, projets

publics, import-substitution surprotégé, infrastructure générale) au détriment des secteurs

d’activités productrices de biens échangés sur le marché mondial (production agricole,

industries potentiellement exportatrices, tourisme, artisanat) (PNUD, 1991). C’est ainsi que le

gouvernement finança la constriction des centres administratifs de toutes les communes du

pays, de toutes les préfectures … alors que les projets visant l’augmentation de la productivité

agricole était négligés. On pensa également pouvoir encourager le processus

d’industrialisation en exonérant de toutes les taxes pendant cinq ans toutes les petites

industries naissantes dans l’import-substitution pendant que l’importation d’articles identiques

était prohibée.

La tentation d’investir dans des secteurs de prestige gagna également l’équipe au pouvoir.

C’est ainsi que furent par exemple construits le palais du Conseil National de Développement,

l’Hôpital du Roi Fayçal… qui n’avaient aucun intérêt réel pour le pays mais qui coûtèrent

chacun près de 2 milliards de francs rwandais. Pourtant, l’exploitation du gaz méthane du lac

0

5000

10000

15000

20000

25000

1985 1986 1987 1988 1989 1990

Exportations FOB

Importations CAF

49

Kivu ne demandait pas plus de fonds ! On vit même certaines projets de développement

comme le projet GBK engloutir des milliards mais être accaparés par une sorte de « pègre »

composée d’individus proches du pouvoir. La plupart de ces projets publics étaient d’ ailleurs

confiés, pour des raisons de népotisme, à des individus incompétents mais qui n’avaient de

comptes à rendre à personne. Aussi des entreprises publiques potentiellement rentables furent

conduites à la faillite alors que, mieux gérées, elles auraient pu générer une plus-value

considérable.

Paradoxalement, au moment où les recettes de l’Etat se réduisaient comme peau de chagrin, la

demande d’importation de biens de consommation et d’équipement augmentait dans de

grandes proportions, ce qui se traduisait par le déficit du compte courant extérieur. En

réaction, le gouvernement adopta en 1983 une politique budgétaire et monétaire restrictive : la

situation de finances publiques s’améliora un peu, particulièrement en 1986 où elles furent

excédentaires. Cependant, ces ajustements ne furent pas assez profonds, surtout à partir de

1985 avec la faillite de l’industrie minière qui privait l’Etat de 20% de ses recettes

d’exportation. Plus grave encore, la chute des cours mondiaux du café se confirma à partir de

1987 pendant que de l’autre côté les malversations et les détournements des fonds publics

s’intensifiaient.

1.2.2.4. Détérioration des conditions de vie de la population

La conjugaison de tous ses facteurs avec d’autres que nous n’avons pas évoqués comme la

surévaluation du franc rwandais de 30% en termes réels entre 1980 et 1989, des conditions

climatiques défavorables… entraina une situation économique qui frisait la banqueroute. Le

déficit du compte courant extérieur fut financé par des transferts officiels nets sans

contrepartie (5.9% du PIB en 1989), par des emprunts à l’étranger à des conditions

concessionnelles et par une ponction sur les réserves officielles de change nettes. C’est ainsi

qu’à la fin de 1989, celles-ci ne représentaient plus que deux mois d’importations et en 1990,

il n’y avait plus rien dans les caisses de l’Etat. Cela veut dire en termes plus clairs que le pays

a eu de plus en plus recours à l’aide extérieure pour résoudre ses problèmes de trésorerie : cela

transparaît à travers le tableau n°12 relative à l’aide extérieur.

Tableau n°12 : Evolution de l’aide extérieure de 1986 à 1990 (en milliers de dollars US)

Années Coopération

technique

Projets

d’investissement

s

Aide

programm

e appui

balance

paiements

Aide

alimentaire

Assistance

et secours

d’urgence

Total

1986 90 951 135 781 - - - 226 732

1987 70 637 113 133 - - - 183 970

1988 87 438 130 755 - - - 218 193

1989 115 980 105 494 21 780 2 916 2 155 248 325

1990 112 701 122 908 35 758 5 236 3 723 280 326

TOTAL 477 907 608 071 57 538 8 152 5 878 1 157

546

(Source : PNUD Rwanda, 1991)

50

Cette aide provient de donateurs multilatéraux (46.3% en 1990) et bilatéraux (53.7% en

1990). Parmi tous ces donateurs, la C.E.E. occupe la première place avec une contribution de

37 279 000 dollars US en 1990 contre 31 285 000 en 1989. Vient ensuite la France qui, en

1990, déboursa 36 703 000 dollars US contre 20 948 000 en 1989. La Banque Mondiale

fournit au Rwanda 23 298 000 dollars en 1990 et elle fut suivie par l’Allemagne dont la

contribution s’éleva à 21 213 000 US dollars en 1990 (contre 18 181 000 en 1989) Les ONG

participèrent à l’aide extérieure à concurrence de 7.7% en 1990 (contre 10.03% en 1989)

(Figure n°6).

Figure n°6. Déboursements de l’aide extérieure en 1990 suivant les dix principaux donateurs

(en %)

On constate alors que le pays ne parvenait plus à fonctionner qu’au rythme de l’aide

extérieure qui, naturellement, s’accompagnait de nombreuses exigences dans le domaine de la

démocratisation par exemple. Malgré un volume aussi impressionnant de l’aide extérieure, le

niveau de vie de la population ne cessa de se détériorer, le PIB par habitant passant de 29 436

francs en 1986 à 20 496 en 1990, soit une baisse de 28% en l’espace de 4 ans

Tableau n°13 : Evolution globale du PIB de 1985 à 1990

Années 1985 1986 1987 1988 1989 1990

PIB au prix du marché (en

milliards de francs)

173.7 170.3 171.9 177.9 174.2 176.1

PIB par habitant (en francs

courants)

27 964 28 436 27 368 26 283 23 040 20 496

Part des cultures

d’exportations (en milliards de

francs)

6.2 6.7 3.9 5.1 2.9 1.5

(Source : PNUD Rwanda, 1991)

Il est intéressant de noter la chute vertigineuse de la part des cultures d’exportation dans le

PIB qui est passée de 6.7 milliards en 1986 à 1.5 milliards en 1990 ! Ceci nous permet

0

5

10

15

20

25

51

d’affirmer que l’aide extérieure servait de ballon d’oxygène dans les grands équilibres

macroéconomiques mais elle atteignait très peu les milieux ruraux dont l’appauvrissement

s’accentuait. Habituellement, les revenus monétaires des campagnes proviennent

essentiellement de la vente du café ainsi que de la mise sur le marché de quelques produits

agricoles.

Jusqu’alors, le prix du café était garanti par l’Etat à 125 francs par kilo de café parche.

Cependant, les pesticides utilisés dans les caféiers ne purent être livrés en 1989 par une de ces

escroqueries qui se répandaient dans le pays. En effet, un individu parvint à convaincre les

responsables qu’il pouvait importer ces pesticides à des prix inférieurs à ceux du fournisseur

habituel. La Présidence somma le Ministère des Finances et la Banque Nationale à changer de

fournisseur et à prendre leur protégé. Malgré les protestations du Ministère des Finances qui

connaissait la moralité de l’individu, celui-ci fut chargé d’importer les pesticides et à la fin de

l’année, il n’avait fourni que quelques sacs !

C’est ainsi que la production paysanne de café s’effondra et le paysan rwandais fut privé

d’une partie essentielle de ses revenus. Comble de malheur, des conditions climatiques

catastrophiques avec des pluies torrentielles et donc mal réparties dans l’année, la grêle, les

épizooties, provoquèrent l’effondrement de la production agricole et la disette frappa le sud

du pays.

D’après Pie Ntavyohanyuma, chercheur au Centre IWACU, cette famine a provoqué la mort

de 1053 personnes et 33 801 réfugiés (voir Imbaga n°1, Kigali, mai 1991, pp.8-9). Les

secours furent lents à être rassemblés car, trompés par la récolte excédentaire de 1986, les

autorités avaient suspendu toutes les organisations caritatives qui fournissaient de l’aide

alimentaire. On pensait alors que le Rwanda pouvait atteindre son autosuffisance alimentaire.

C’est pour perpétuer cette illusion que les autorités refusèrent de reconnaitre l’existence de

cette famine. On peut citer comme exemple d’aveuglement le Préfet de Butare, Mr Frédéric

Karangwa, un individu nommé préfet parce qu’il s’était illustré dans l’animation et

l’umuganda. Monsieur Karangwa proclama partout qu’il n’y avait pas de famine dans sa

préfecture et il menaça de prison quiconque oserait affirmer le contraire. Il entra alors

rapidement en conflit avec une équipe caritative qui s’était créée spontanément pour venir en

aide aux sinistrés.

Cette équipe, dénommée « Action Butare » était composée de Sœur Gratia Kangofero de la

Caritas Butare, de Claver Buzizi, de l’Union des Eglises Baptistes du Rwanda, de l’Abbé

Modeste Mungwarareba, Recteur du Petit Séminaire de Karubanda et de Monsieur Michaël

Loevinsohn. Ce groupe de bienfaisance avait pour but la lutte contre la faim et il avait

organisé des campagnes de collecte car l’aide alimentaire internationale d’urgence restait

insuffisante, étant donné l’ampleur des besoins.

En réaction, Monsieur Karangwa écrivit au groupe la lettre n°621/04.09.01/4 du 10 mars 1990

qui ordonnait au groupe de stopper les activités de collecte, sous prétexte qu’elles avaient

commencé sans son autorisation. Le groupe refusa d’obtempérer et adressa le 14 mars 1990

une lettre de protestation au Ministre de la Justice. Par l’intermédiaire de son Directeur

52

Général de la Législation et des Affaires Administratives , Monsieur Cyubahiro Constantin, le

Ministre de la Justice désavoua l’action du groupe de Butare sous prétexte que toutes les

collectes devaient être autorisées par le Préfet de préfecture (Lettre n°2040/05.14 du 14 avril

1990.

L’équipe put malgré tout poursuivre ses activités car les choses avaient entretemps évolué. En

effet, le Chef de l’Etat avait été amené à intervenir lui-même et à visiter certaines des familles

éprouvées pour constater l’ampleur du désastre. Il prétendra d’ailleurs aussi que ses services

ne l’avaient pas informé de la situation alors que par sa lettre n°5029/09.30 du 30 octobre

1989, le Ministre de l’Agriculture, de l’Elevage et des Forêts, Monsieur Anastase Ntezilyayo,

lui avait envoyé un rapport détaillant la situation alimentaire catastrophique du pays. C’est

que le mythe de l’autosuffisance alimentaire restait vivace et les autorités se refusaient à

reconnaitre que c’était une illusion qui sanctionnerait l’échec global de leur politique

économique.

Signalons pour mémoire que l’Abbé Modeste Mungwarareba fut qualifié de subversif par les

autorités locales pour avoir joué un rôle prépondérant dans la lutte contre la famine. Il fut

effectivement arrêté au moment de l’agression d’octobre 1990 et il passera six mois en prison

avec l’accusation d’être de connivence avec les assaillants.

1.2.2.5. Les Institutions de Bretton-Woods et la politique d’Ajustement

Structurel.

Au cours des années 1989-1990, le Rwanda avait frôlé la banqueroute : des déficits colossaux

(du moins à l’échelle du Rwanda) dans les finances publiques et la famine constituaient alors

la principale caractéristique de l’économie rwandaise. L’année 1990 vit même l’épuisement

des réserves de change : il ne restait plus qu’à recourir aux remèdes de cheval du F.M.I. et de

la Banque Mondiale. En fait, les recettes du FMI sont bien connues et elles sont les mêmes

pour tous les pays.

Moyennant un apport de ressources en devises, le FMI impose une politique économique

destinée à réaliser l’ajustement structurel des économies nationales aux nouvelles conditions

de l’économie mondiale. Monsieur Christian Coméliau a bien décrit ce processus :

- … Au nom de la philosophie libérale qui domina leurs conceptions économiques, les pays

industrialisés et les organisations financières internationales exigent la réduction au

minimum du rôle économique de l’Etat et le respect scrupuleux des seuls critères du marché

dans la mise en œuvre des politiques économiques

«- D’abord résorber les principaux déséquilibres : les pays endettés vivent au dessus de leurs

moyens, ils doivent réduire leurs déficits externes et internes.

- Déficit de la balance des paiements : en dévaluant leurs monnaies, en réduisant leurs

importations au minimum incompressible, en réorientant au maximum leur appareil productif

vers l’exportation sur les marchés mondiaux

53

- Déficit des finances publiques : en accroissant la pression fiscale et les tarifs des entreprises

publiques, en réduisant autant que possible l’emploi et les salaires dans la fonction publique,

ainsi que les subventions» (Coméliau, 1988).

C’est en octobre 1990 que le gouvernement rwandais signa les accords d’ajustement structurel

avec la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International mais son application fut un peu

retardée à cause de l’agression d’octobre 1990. Les objectifs du PAS sont les suivants :

« - réaliser une croissance économique durable avec un taux de croissance du PIB réel estimé

à 4% vers 1993

- Réaliser un taux d’inflation modéré (environ 5%)

- Accélérer le retour à une situation viable de la balance des paiements et des

finances publiques » (PNUP, 1991)

Pour cela, les politiques suivantes devaient être appliquées :

- Dévaluer le franc rwandais et instaurer un système libéral d’allocation des devises

- Libéraliser les échanges extérieurs et le commerce intérieur

- Pratiquer une politique budgétaire restrictive avec une réforme du système fiscal

et l’amélioration de la programmation des dépenses publiques en protégeant les

secteurs sociaux et en réduisant le déficit des finances publiques

- La privatisation, le désengagement de l’Etat ou la liquidation des entreprises

publiques non viables

- La mobilisation des ressources intérieures

- Une politique monétaire restrictive et des modifications des taux d’intérêt pour

maintenir des taux positifs en termes réels.

- La mise en place des services de planification familiale dans tous les centres de

santé » (République Rwandaise : Programme d’Ajustement Structurel, septembre

1990)

En plus des actions, un Programme National d’Action Sociales (PNAS) fut élaboré en théorie

pour atténuer les répercussions sociales négatives de certaines mesures d’ajustement et pour

protéger les groupes socio-économiques les plus vulnérables. Toutes ces mesures paraissent

en apparence extrêmement logiques mais en réalité elles entrainent la paupérisation

progressive d’une grande partie de la population. En effet, le PAS risque d’achever un malade

déjà agonisant et encore ces mesures sont relativement clémentes envers le Rwanda si on les

compare avec les autres pays africains qui ont été proprement étranglés.

1.2.3. Le malaise politique

L’effondrement progressif de l’économie rwandaise s’est traduit sur le plan intérieur par la

détérioration croissante du climat politique, le pouvoir en place étant évidemment rendu

responsable de toutes les difficultés. Il est vrai que plusieurs affaires louches ainsi que des

scandales politico-financiers émaillèrent la vie politique du pays. Le régime Habyalimana se

rendait parfaitement compte de la situation et il esquissa des réformes politiques. Ces

54

réformes qui étaient au demeurant très superficielles n’eurent pas le temps d’être appliquées

car la guerre éclata entretemps.

1.2.3.1. Détérioration du climat politique et social

Nous tenterons d’aborder ce thème à partir de quelques dossiers qui rendent compte du

profond malaise qui rongeait la société rwandaise. La plupart de ces dossiers aboutissaient

dans l’antichambre du pouvoir qui fut dangereusement éclaboussée, spécialement la famille

du Chef de l’Etat. Tout ce processus sapa insidieusement l’unité nationale qui fut mise à mal,

le pouvoir en place étant incapable d’opérer les réformes indispensables.

1.2.3.1.1. L’assassinat de la classe politique de la première République

Le coup d’état du 05/07/1973 s’est déroulé dans des circonstances obscures mais il parait

actuellement admis que les troubles ethniques de 1973 furent provoquées au départ par les

responsables de la première République qui voulaient revigorer le parti MDR Parmehutu alors

déchiré par des dissensions internes. Ils furent cependant pris de court par les officiers

originaires du Nord conduits par le Colonel Kanyarengwe Alexis et le Commandant Lizinde.

Ces deux individus étendirent les troubles à tout le pays et le contrôle de la situation échappa

au pouvoir.

Quand le contexte fut suffisamment mûr, ces officiers sommèrent le Général Habyalimana de

diriger le coup d’état ; dans le cas contraire, il serait effectué sans lui et donc contre lui.

Monsieur Habyalimana aurait accepté d’être placé à la tête de la junte militaire, devenant de

ce fait prisonnier de ces jeunes Turcs qui avaient sans aucun doute l’intention de le renverser

à la première occasion. Ils constituèrent par là une certaine opposition, malsaine il est vrai, car

en cherchant à les ménager, le Chef de l’Etat écoutait des avis émanant de plusieurs horizons.

La tentative de coup d’état de la fin de l’année 1979 permit au Chef de l’Etat d’éliminer cette

opposition car le Major Lizinde et ses compagnons furent mis en prison tandis que le Colonel

Kanyarengwe, au retour d’une mission qu’il avait dirigé à l’occasion de l’indépendance du

Zimbabwe, s’enfuit en Tanzanie en décembre 1980. Le Général Habyalimana devint alors

prisonnier d’une autre clique, celle de sa belle-famille et des officiers originaires de sa région,

avec le Colonel Nsekalije en tête. Cette clique mit le pays en coupe réglée car elle se plaça au

dessus de la loi et les pires exactions furent commises.

Cependant, on apprenait entretemps que le Tribunal de Première Instance de Ruhengeri avait

été saisi d’une affaire macabre qui concernait le massacre de toute la classe politique de la

première République. Le Major Lizinde, ancien Directeur du Service Central de

Renseignement, avec onze compères, furent accusés d’avoir perpétré ce forfait. Le verdict fut

rendu le 29 juin 1985.

On se rappelle en effet qu’après le coup d’état du 05/07/1973, tous les anciens dignitaires du

régime déchu avaient été arrêtés et mis en prison. Trente cinq d’entre eux, embastillés à la

sinistre prison de Ruhengeri, avaient été jugés et condamnés par une Cours de Sûreté de l’Etat

dont Lizinde était membre. Il y avait eu quelques condamnations à mort, dont celle du

Président Kayibanda et du Capitaine Bizimana mais elles furent commuées en détention à

55

perpétuité par le nouveau Chef de l’Etat, auparavant pratiquement le filleul de Kayibanda. Les

gens racontent que c’est de là que date la première brouille entre Habyalimana et

Kanyarengwe qui aurait voulu que les sentences soient exécutées sans la moindre pitié !

Ceux qui n’avaient pas encore comparu, au nombre de 21, étaient gardés dans la prison de

Gisenyi dont le directeur, Monsieur Ntibandeba Joachim était un homme de main de Lizinde,

de même d’ailleurs que celui de la prison de Ruhengeli, Sembagare Théodomir. Les deux

prisons étaient devenues leur chasse-gardée et nul ne pouvait y entrer sans l’autorisation

expresse de Lizinde : le Ministre de la Justice, Monsieur Nkurunziza Charles, fut éconduit

quand il voulut y entrer.

D’après le tribunal, 55 personnes furent assassinées dans des conditions horribles, sur l’ordre

de Lizinde. Celui-ci présentait une liste des condamnés à mort au chef de la sécurité de

Ruhengeli, Sebahunde Jean Maurice qui la transmettait au Commandant Biseruka Stanislas,

commandant de place à Ruhengeri et à Sembagare, directeur de la prison. Les malheureux

étaient alors privés d’eau et de nourriture pendant une longue période et quand ils étaient à

bout, -l’un d’entre eux put subsister pendant 59 jours- le commandant Biseruka fournissait

une escorte de militaires qui les conduisait à Gisenyi où des fosses communes avaient été

creusées. Toujours d’après le tribunal, quand ils n’avaient pas été achevés en cours de route,

ils étaient tout simplement enterrés vivants! Ceux qui étaient emprisonnés à Gisenyi furent

assassinés dans les mêmes conditions d’une sauvagerie bestiale. Certains d’entre eux,

terrassés par la soif, déchiraient leurs habits et trempaient les morceaux dans les canalisations

des ordures des autres prisonniers pour avoir un peu d’eau !

C’est dans ces conditions que six ministres, trois députés, deux dirigeants du parti, sept

officiers de l’armée, onze fonctionnaires, de nombreux fonctionnaires subalternes et plusieurs

commerçants furent massacrés alors que leur crime n’était pas évident. Le Président

Kayibanda lui-même mourut dans des circonstances obscures et les gens racontent qu’il est lui

aussi mort de faim.

Bien qu’on se douta un peu du sort de ces prisonniers, la proclamation du verdict provoqua la

consternation de tout le pays et un gouffre profond sépara le Sud (le Nduga) du Nord (les

Bakiga) rendu collectivement responsables de l’holocauste. Le verdict du Tribunal crédita le

Major Lizinde et son équipe d’avoir organisé le forfait à l’insu des autorités et ils furent

condamnés à des peines très sévères.

Malgré tout, de nombreuses interrogations subsistèrent dans l’esprit da la population qui

soupçonnait le pouvoir d’avoir trouvé en Lizinde et ses compagnons des boucs-émissaires. Il

est en effet inconcevable que de telles forfaitures aient pu être commises sans que le Chef de

l’Etat par exemple en soit informé, surtout que son propre beau-frère, Monsieur Zigiranyirazo

Protais, un redoutable personnage, était Préfet de Ruhengeli. Justement des révélations

récentes affirment que le Docteur Rusizana Janvier, alors Directeur du Centre de Formation

en Nutrition de Ruhengeli (C.F.N.R.) a été mis en prison en 1981 dans l’affaire du coup d’état

Lizinde-Kanyarengwe par Protais Zigiranyirazo, en réalité pour avoir refusé de signer des

attestations de décès bidons des personnes assassinées. Monsieur Zigiranyirazo aurait

56

d’ailleurs cyniquement cherché à séduire l’épouse du Docteur Rusizana qu’il venait de faire

emprisonner.

Beaucoup de personnes affirment que le Président Habyalimana, depuis le début prisonnier

des officiers qui avaient organisé le coup d’état du 05/07/1973, était bien au courant du

massacre mais qu’il n’avait pas osé réagir, de peur d’être liquidé lui-même à l’occasion d’un

coup d’état. C’est ce qu’affirma Monsieur Habyalimana en termes voilés dans son discours du

1er juillet 1990 quand il déclara que s’il ne sévit pas contre certains délits, c’est qu’il n’a pas la

tache facile.

A propos de ces assassinats, une information stupéfiante m’a été donnée par des personnes

pourtant bien informées. Cela n’a pas été facile de la reproduire dans ce document tant elle est

invraisemblable mais comme on nous l’a souvent répété, on ne doit pas repousser une

hypothèse tant qu’elle n’est pas infirmée. D’après les sources évoquées plus haut, la décision

d’exterminer les membres du précédent régime, c’est-à-dire Kayibanda et ses compagnons,

aurait été « soufflée » à Habyarimana par Monseigneur Bigirumwami, Evêque de Nyundo qui

lui aurait dit que « deux têtes de chèvres ne peuvent pas être cuites dans la même marmité »!

On se rappelle que celui-ci était un descendant direct des anciens rois du Gisaka, vaincus et

tués par les rois du Rwanda. Il connaissait donc très bien les pratiques de l’époque dans les

cours des petits Royaumes de l’Afrique interlacustre ! On se rappelle également que le

Président Kayibanda avait reçu le soutien de Monseigneur Perraudin, ce qui n’aurait pas plu à

Bigirumwami. Le Général Habyalimana par contre avait suivi sa formation au Séminaire de

Kabgayi dans le contingent du Diocèse de Nyundo et son père avait été catéchiste à la

paroisse de Rambura : c’était en somme son dauphin. C’est hallucinant et incroyable mais qui

sait ?

Quoi qu’il en soit, l’opprobre consécutif à de telles abominations planera toujours sur la

2°République qui en portera éternellement le cachet.

1.2.3.1.2. Le dossier des « assassinats »

A partir de 1988, une série d’assassinats et de curieux accidents de route frappèrent des

personnalités très en en vue dans le pays. Les enquêtes entreprises à ce propos aboutirent

souvent à des impasses et toute une série d’ « histoires » furent brodées par la rumeur

publique qui attribua ces morts à de simples éliminations politiques.

Le Colonel Mayuya, commandant du camp Kanombe et surtout du Bataillon para commando

qu’il avait personnellement mis sur pied, fut la première personnalité à être assassinée. Il faut

dire que le Président Habyalimana, pour échapper un peu à la tutelle de son entourage

immédiat, avait mis toute sa confiance dans cet homme intègre et loyal qui dirigeait le camp

militaire le plus puissant du pays. On racontait qu’il avait même l’intention de le nommer chef

d’état-major de l’armée, en remplacement du colonel Serubuga dont il se méfiait beaucoup.

Par ce fait même, le colonel Mayuya devenait dangereux pour le groupuscule qui entourait le

Chef de l’Etat et il était condamné à brève échéance.

57

On tenta d’abord de l’emprisonner comme semble le prouver la cure de désintoxication qu’il

subit en Belgique au mois de février 1988. A son retour, des rumeurs sur son empoisonnement

par des émissaires du colonel Serubuga circulait déjà au sein du bataillon para. L’enquête

commandée à cet effet aurait réveillé révélé que ces rumeurs provenaient de la 2°compagnie

du bataillon para qui fut aussitôt dissoute, certains éléments étant même mis en prison. La

presse privée affirma par la suite que cette compagnie était surtout composée de gens

originaires de Gitarama, ce qui alimenta la controverse sur le régionalisme dans l’armée.

On remarquera ici que cette unité d’élite fut supprimée à quelques deux ans de l’attaque

d’octobre, alors qu’il faut beaucoup plus de temps pour la reconstituer. Des bruits coururent

d’ailleurs qui affirmaient que certains éléments de cette compagnie furent recrutés par le Front

Patriotique Rwandais.

Ce fut le 19 avril 1988 que le sergent Birori abattit à bout portant le Colonel Mayuya qui

sortait de son bureau vers 13 heures. Le meurtrier en fuite fut arrêté par la gendarmerie à

Gitarama mais il mourut sous la torture avant d’avoir fait la moindre révélation. La rumeur

publique affirma cependant que le sergent Birori avait accepté de faire des révélations au Chef

de l’Etat lui-même mais il fut étouffé sous un oreiller à l’hôpital de Kigali où ses blessures

étaient soignées.

La même rumeur affirma que le Colonel Mayuya avait été assassiné par la belle-famille du

Chef de l’Etat avec la complicité du Colonel Serubuga. Dans un article intitulé « Une

atmosphère de fin de règne » paru dans la Libre Belgique, la journaliste Marie France Cros se

fit l’écho de ces rumeurs qui ne sont évidemment étayées par aucune preuve tangible. Le fait

est cependant que la famille du Chef de l’Etat fut gravement éclaboussée par cette affaire qui

n’a pas encore été élucidée.

Puis ce fut le tour de madame Félicula Nyiramutarambirwa, député au Conseil National de

Développement, qui fut écrasée par un véhicule à Kigali le 29/04/1989 alors qu’elle marchait

sur le trottoir. Transférée d’urgence dans un hôpital de Bruxelles, elle devait décéder le

08/05/1989. Qualifiée de « femme forte » comme dans l’Evangile par Mgr André Perraudin,

Madame Nyiramutarambirwa, morte à 45 ans, s’était rendue célèbre par son intelligence et

son franc-parler. Elle n’avait justement pu rester que pendant deux ans (1988-1989) membre

du Comité Central du parti au pouvoir (MRND) car ses critiques indisposaient bon nombre de

barons du régime. Sa mort fut alors interprétée par le public comme une liquidation pure et

simple.

La 3°personne à mourir dans les circonstances douteuses fut l’Abbé Silvio Sindambiwe qui

fut écrasé dans sa voiture par un camion remorque le 7/11/1989. L’Abbé Sindambiwe avait

été directeur du journal Kinyamateka à partir de 1980, c'est-à-dire au moment où des

dissensions au sein de l’équipe au pouvoir avaient éclaté au grand jour. C’est sous sa direction

que ce journal se mit à fustiger les tares du régime, comme le culte de la personnalité, la

corruption, la dilapidation du patrimoine, la violation des droits de l’homme. Il avait introduit

un entrefilet intitulé BAZUMVALYALI, un personnage qui jetait un œil critique, une critique

impitoyable, sur tout ce qu’il rencontrait. Il devint alors la cible de tout un cortège de

58

pressions et de menaces de la part notamment du Service Central de Renseignement qui

l’interpella à plusieurs reprises.

Le 10 octobre 1985, on alla même jusqu’à lui jeter au visage dans son bureau un sceau de 5

kg d’excréments humains qu’il put éviter de justesse. Découragé car il n’était pas soutenu par

ses autorités hiérarchiques, spécialement l’archevêque de Kigali, Mgr Nsengiyunva, l’abbé

Sindambiwe présenta sa démission le 28 décembre 1985, démission qui fut acceptée par la

Conférence épiscopale dans sa réunion du 08/01/1986. C’était donc un personnage redoutable

pour le régime et sa mort fut interprétée comme un assassinat politique.

De nombreux autres exemples de ce type peuvent être répertoriés et les esprits s’échauffaient

progressivement, surtout que la rumeur dispose d’une audience extraordinaire au Rwanda.

Comme l’a si bien décrite Virgile, « mobilitate viget, vires adquirit eundo », elle atteignit tout

les coins du Rwanda car « elle vit de mobilité et ses forces augmentent par ses

déplacements ».

1.2.3.1.3. Le scandale de la nomination reportée de l’Abbé Félicien Muvara

comme évêque auxiliaire de Butare

Depuis 1981, dans la paroisse catholique de Kibeho, la Sainte Vierge aurait apparu à plusieurs

reprises à un groupe de jeunes filles de l’école des Lettres auxquelles elle donnait des

messages pour les croyants. Avant les apparitions, elle leur donnait des rendez-vous qu’elle

respectait avec une régularité d’horloge –et pour cause, personne d’autre ne la voyait- et des

foules immenses venaient des quatre coins de l’Afrique centrale pour écouter ces jeunes gens.

Vraies apparitions ou simple charlatanerie, ce phénomène qui se poursuivit jusqu’en 1990 fut

à la base d’un renouveau de la foi extraordinaire et des associations charismatiques se

développèrent sur toutes les collines du pays.

Toutefois, l’histoire de l’Eglise nous apprend que ces manifestations ne se produisent que

quand l’Eglise est moralement décadente. Serait-ce le cas pour celle du Rwanda ? En tout cas,

la nomination reportée de l’Abbé Félicien Muvara semble s’inscrire dans ce processus de

décadence. En effet, le 30 décembre 1988, la communauté chrétienne du Rwanda apprit que

l’Abbé Félicien Muvara avait été retenu par le pape pour être nommé évêque auxiliaire du

diocèse de Butare. Il devait être sacré le 01/04/1989 mais trois jours avant, c’est-à-dire le 29

mars, un communiqué laconique radiodiffusé annonça que l’abbé Muvara avait renoncé à son

sacre pour des raisons personnelles. Ce communiqué ne portait pas de signature et l’évêque de

Butare, Mgr Jean Baptiste Gahamanyi accepta d’en endosser la responsabilité.

La communauté chrétienne stupéfaite ne reçut aucune explication supplémentaire, ce qui

donnait libre cours à toutes les imaginations et toutes les suppositions. En réalité, le clergé

catholique paraissait profondément divisé, semble-t-il, pour des raisons ethniques. Pour tenter

de désamorcer cette tension, l’évêque de Butare convoqua le 10 avril 1989 une réunion de

tous les prêtres du diocèse. Toutefois, il ne put rien leur dire de concret car, disait-il, le secret

professionnel lui interdisait toute forme de commentaire.

59

Le surlendemain 12 avril 1989, dix prêtres du diocèse de Butare révoltés par ces pratiques,

envoyèrent une lettre ouverte au Nonce apostolique Mgr Morandini et aux évêques

catholiques du Rwanda. Dans cette lettre, ils exprimèrent leur indignation et leur soutien à

leur collègue, car, disaient-ils, « depuis plus de douze ans que Muvara sert l’Eglise du

Rwanda… nous n’avons qu’à nous louer de ses bons et loyaux services »… Seulement, le fait

que ce texte ne porte que dix signatures alors que le diocèse compte plusieurs dizaines de

prêtres montre à quel point ce clergé était divisé.

Petit à petit cependant, on devait connaitre approximativement ce qui s’était réellement passé.

En effet, le 20 avril 1989, l’abbé Muvara envoya une lettre aux évêques du Rwanda dans

laquelle il protestait de son innocence tout en dénonçant la responsabilité de ceux-ci dans

cette affaire : « J’aurais voulu dire mon innocence à mes confrères prêtres dans la réunion du

10 avril 1989 à Butare. Si je ne l’ai pas fait, c’était par égard pour vous, Excellences. J’ai

évité le scandale… ». Ainsi donc en termes à peine voilés, il accusait les évêques du Rwanda

d’être à la base du scandale.

Mais de quoi l’accusait-on au fait ? Dans la même lettre adressée aux Evêques du Rwanda,

l’Abbé Muvara écrivait : « Je suis innocent devant l’accusation portée contre moi. Je ne suis

pas père de l’enfant de Véronique Nyirandegeya… Ce qui m’étonne davantage, c’est

l’empressement avec laquelle elle a été crue sur parole sans prendre la précaution de vérifier

ses dires… ». C’est que des inconnus avaient soudoyé une femme de mœurs légères, nommée

Nyirandegeya qui avait attesté par écrit avoir eu un enfant avec l’Abbé Muvara. Cette femme,

tenaillée par le remord, était plus tard revenue sur son témoignage mais le mal était déjà fait.

L’Archevêque de Kigali, Mgr Nsengiyumva, une fois en possession de ce document, se rendit

en compagnie du Nonce apostolique à Gihindamuyaga où l’Abbé Muvara était en retraite :

celui-ci fut conduit illico presto à Rome, une semaine avant la date de son sacre ! Le calcul

était bon car Rome, faute de temps, serait forcée de prendre des mesures dans la précipitation,

l’accusation étant très grave. Plus subtil encore, cette affaire fut portée à Rome au moment où

le Préfet de la Sacrée Congrégation pour l’Evangélisation des Peuples était absent alors que

c’était lui qui s’occupait des dossiers de ce type.

La décision fut alors prise par le Secrétaire Général de la Sacrée Congrégation, Mgr Sanchez,

qui n’avait pas le sang-froid voulu en ces circonstances. L’Abbé Muvara affirma dans la lettre

précitée qu’il avait été surpris par la tournure des événements devant Mgr Sanchez et il

considérait cet épisode comme une ruse de la part de ses supérieurs hiérarchique.

A l’heure qu’il est, tout le monde s’accorde pour affirmer que l’Archevêque de Kigali, le

Nonce Apostolique et l’Evêque de Byumba, Mgr Ruzindana, alors Président de la Conférence

Episcopale, ont joué un grand rôle dans cette ténébreuse et scandaleuse affaire. Nos enquêtes

révèlent que Messeigneurs Nsengiyumva et Morandini, très proches du pouvoir politique de

Kigali jusqu’à se compromettre avec lui, avaient accepté de marcher dans la combine

échafaudée par un groupe lié à la belle-famille du Chef de l’Etat pour contrecarrer le sacre de

Félicien Muvara, un Tutsi, comme évêque auxiliaire de Butare. Pourtant, le Chef de l’Etat

avait envoyé personnellement un message de félicitation et on ne réalise pas clairement les

60

intérêts politiques qu’aurait pu menacer la nomination de l’Abbé Muvara, surtout que Rome

consulte toujours auparavant les autorités politiques qui doivent donner leur accord.

Pour le moment, les différentes responsabilités ne sont pas clairement établies mais on ne se

tromperait pas beaucoup en affirmant que des rivalités d’ordre ethnique sont à la base de ce

scandale qui accentua le désarroi moral de la population. On raconte d’ailleurs que les

problèmes de santé morale de l’évêque de Byumba résultent de l’affaire Muvara dont le

dernier mot n’est pas encore dit. L’Eglise Catholique au Rwanda, de même d’ailleurs que

l’Eglise Episcopale avec les démêlés épiques entre Mgr Ndandali, Evêque de Butare et Mgr

Sebununguli, Evêque de Kigali, sont encore plus malades que la société qu’elles devraient

éclairer. Qu’on n’attende pas d’elles des paroles prophétiques puisqu’elles sont incapables de

faire la lumière sur elles-mêmes.

1.2.3.1.4. Le trafic du chanvre et l’escroquerie de la Foire aux Gorilles

La lutte contre le « Cartel de Medeline » entreprise par le Président américain Georges Bush

eut ses répercussions au Rwanda. En effet, les enquêtes des équipes internationales de lutte

contre la drogue révélèrent qu’au Rwanda se trouvait une importante antenne de ce trafic. Le

Ministère de la Justice fut saisi de la situation et ordonna en mai 1989 à tous les parquets

d’arrêter préventivement tous les suspects et de l’informer régulièrement. C’est ainsi qu’en

juin 1989, 300 détentions préventives avaient été enregistrées dans tout le pays.

Mais entretemps, en mai 1989, on apprenait que la Forêt Naturelle de Nyungwe abritait 150

hectares de plantation de canabis. L’émoi fut grand dans le pays car ce chanvre était cultivé de

façon intensive avec engrais chimique, pesticides, culture en ligne…, ce qui supposait toute

une logistique d’agronomes, de travailleurs agricoles et de transporteurs. En effet, les

plantations de chanvre situées au centre de la forêt de Nyungwe, se trouvaient à 5 heures de

marche à pied à partir de la piste la plus proche. Il fallut alors tout un branle-bas pour

mobiliser les militaires, les magistrats et les porteurs pour aller détruire la plantation.

Il était cependant évident que le chanvre produit dans la seule forêt de Nyungwe dépassait de

loin la consommation nationale, ce qui suppose qu’il était exporté. Mais par qui ? Vers quelle

destination ? Qui en supervisait la production ? On procéda bien sûr à l’arrestation de

quelques commerçants et petits fonctionnaires, de même d’ailleurs que le Bourgmestre de la

Commune Kivu. Les autorités judiciaires lui reprochaient d’avoir connu à l’avance l’existence

de ces plantations et de ne pas les avoir dénoncées ; il aurait par contre protégé certaines

personnes qui en faisaient la culture et la commercialisation, moyennant de substantiels pots-

de vin. En réalité, personne n’était dupe car le bourgmestre de la commune Kivu a servi de

bouc émissaire à une équipe de mafiosi qui s’adonnait au commerce de la drogue. Mais quels

étaient les membres de ce groupe ? La population soupçonnait un certain nombre d’officiers

supérieurs, ainsi que des hauts fonctionnaires proches du pouvoir. On raconta d’ailleurs que le

chanvre était exporté dans les tonnelets de thé avec la complicité du directeur de l’OCIR-Thé.

Nous n’avons malheureusement pas pu vérifier l’authenticité d’une lettre adressée le

02/08/1990 au Chef de l’Etat par la « Section Antidrogue de Paris » et qui a circulé un certain

moment dans Kigali. Cette lettre affirmait que le chanvre était entreposé et préparé dans la

61

prison de Butare dont le directeur aurait été « un maillon très actif du réseau international de

la drogue ». Mais quel crédit accorder à ce document ?

Signalons pour terminer que la trentaine de jeunes porteurs qui avaient été mobilisés pour

participer à la destruction des plantations de la forêt de Nyungwe revinrent de la forêt avec

des provisions de drogue pour leur propre compte. Ils furent cependant attrapés et 24 d’entre

eux furent condamnés à une année de prison et neuf à six mois. Décidément, la drogue, c’est

comme l’argent et personne ne peut prévoir les réactions de ceux qui sont exposés à son

contact !

Ce fut l’année suivante qu’éclata le scandale de l’escroquerie de la Foire aux Gorilles. En

effet, le Rwanda avait pensé organiser du 18 au 25 août 1990 « la Première Foire

Internationale pour la Protection des Gorilles » avec comme objectif premier la promotion du

tourisme au Rwanda. On avait alors invité 260 américains et 100 français, ce contingent étant

composé d’hommes d’affaires, de journalistes et de stars internationales comme la célèbre

chanteuse sud-africaine Myriam Makeba à laquelle on avait promis des honoraires de 40 000

US dollars. A la tête du comité organisateur, on plaça un jeune guinéen de 22 ans, Monsieur

Mamadou Dury Barry qui était parvenu à s’introduire dans la famille du Chef de l’Etat par

l’intermédiaire d’un de ses fils.

Malencontreusement, Monsieur Mamadou Barry ne se présenta pas le 16 août à l’aéroport de

Paris pour accueillir les invités et les orienter vers Kigali. La disparition de Mr Mamadou

Barry, -disparition toute relative car il est revenu tranquillement à plusieurs reprises à Kigali-,

coûta très cher au pays. D’après un article de Munyarugerero François Xavier paru dans Jeune

Afrique n°1549 du 5 au 11 septembre 1990, le bilan fut le suivant :

- Un million de dollars subtilisés à différents associations américaines

- Deux millions de francs rwandais d’appels téléphoniques non payés au Rwanda

- 200 000 francs français de factures impayées à Paris et Washington

- 145 000 dollars américains payés par le Rwanda pour affréter un charter destiné à

transporter vers Kigali quelques 97 invités.

Madame Makeba ne put venir car le pays ne pouvait pas lui payer les 40 000 dollars. Ce

scandale a considérablement éclaboussé la famille du Chef de l’Etat dans laquelle Monsieur

Barry avait ses entrées pendant ses séjours au Rwanda.

1.2.3.1.4. Le problème de l’équilibre ethnique et régional

Nous avons déjà signalé que l’une des causes de la Révolution de 1959 résidait dans la

monopolisation de l’emploi salarié et de l’enseignement par les Tutsi. En réaction contre cette

situation, le Manifeste des Bahutu du 24 mars 1957 avait souhaité que : « l’enseignement soit

particulièrement surveillé. Que l’on soit plus réaliste et plus moderne en abandonnant la

sélection dont on peut constater les résultats dans le secondaire. Que ce souci soit dès les

premières années, de façon que l’on n’ait pas à choisir parmi presque les seuls Batutsi en

cinquième année. Il faudrait que pour éviter la sélection de fait, caeteris aequalibus, s’il n’y a

pas de places suffisantes, l’on se rapporte aux mentions de livrets d’identité pour respecter

62

les proportions. Non pas qu’il faille tomber dans le défaut contraire en bantouisant là où l’on

a hamitisé. Que les positions sociales actuelles n’influencent en rien l’admission aux écoles ».

En clair, les leaders hutu souhaitent l’instauration d’un système de quotas par ethnie, étant

donné que les places disponibles étaient insuffisantes. Curieusement, après la victoire des

partis hutu et l’indépendance, cette politique ne fut jamais mise en pratique et en 1973, des

déséquilibres considérés comme graves étaient apparus. Nous lisons alors dans Reyntjens

(1985) que « loin de se cantonner dans 10% des emplois rémunérés, les Tutsi avaient repris

de plus en plus d’importance dans les rouages économiques, sociaux et administratifs du

pays. Les institutions d’enseignement secondaire et supérieurs comptaient souvent près de

50% d’enseignants et d’étudiants tutsi… 120 tutsi (ou 46%) sur 260 élèves au Groupe

scolaire de Butare et 200 tutsi (ou 40%) sur 500 étudiants à l’Université Nationale en 1972,

pour ne citer que ces deux exemples ».

Filip Reyntjens estime qu’appliqué objectivement, le système d’examens nationaux de

classement sans référence ethnique aboutit fatalement à ce déséquilibre, étant donné que « la

pression de réussite exercée sur eux était plus grande ». Pour lui, les Tutsi étaient obligés de

travailler davantage car la chance de faire des études secondaires ou supérieures était

exceptionnelle pour eux. Nous rappelons tout de même simplement que ce déséquilibre fut en

partie à la base des troubles de 1973 au cours desquelles les Hutu s’en prirent aux étudiants,

aux élèves et aux fonctionnaires tutsi car le Président Kayibanda voulait rétablir des

proportions normales. Mais il fut lui-même dépassé par les événements qui aboutirent au coup

d’état du 05/07/1973.

La 2° République quant à elle pensa que le meilleur moyen d’éviter ces déséquilibres serait

d’institutionnaliser le système de quotas ethniques. Mais entretemps avait surgi le problème

du régionalisme car les officiers qui avaient pris le pouvoir étaient presque tous originaires du

Nord. Ils estimaient alors que leurs régions avaient été négligées par le régime Kayibanda et

ils voulaient eux aussi rétablir l’équilibre. Le système des quotas devait pour cela être

appliqué non pas uniquement aux ethnies mais aussi aux régions, c’est-à-dire que les places

disponibles devaient être distribuées suivant le poids démographique des ethnies et des

régions.

En soi, ce principe n’est pas répréhensible car il tient de la justice distributive. Mais sa mise

en pratique exige une transparence sans faille et une réadaptation continuelle pour tenir

compte de réalités nouvelles. Par malchance, les départements de l’enseignement secondaire

et supérieur furent confiés à partir de 1981 et 1983 à des individus sans moralité, le Colonel

Aloys Nsekalije et Monsieur Charles Nyandwi.

Le Colonel Nsekalije, peut-être le personnage qui a le plus contribué à saper l’unité nationale,

désorganisa l’enseignement secondaire au profit du Nord, sous prétexte que cette partie du

pays devait réparer les torts qui lui avaient été faits par le régime précédent. Il distribua les

places de l’enseignement secondaire, un secteur extrêmement sensible dans le pays, comme il

l’entendait, en avantageant Gisenyi, sa préfecture d’origine. Il ne changea jamais de ligne de

conduite malgré les protestations continuelles des autres parties du pays. On raconte qu’il en a

63

même tiré des profits financiers considérables car il était parvenu à monnayer les places de

l’enseignement secondaire.

Nous présentons en exemple les données des admissions en première année secondaire de

l’année scolaire 1989-1990, la première année où ces données furent publiées par le nouveau

ministre de l’Enseignement primaire, Monsieur Mbangura Daniel. A ce moment, Monsieur

Mbangura n’avait pas encore pu maîtriser la machine administrative laissée par son

prédécesseur Nsékalije et les déséquilibres antérieurs subsistaient, bien qu’atténués.

Tableau n°14 : Admission à l’enseignement secondaire public en septembre 1989 par

préfecture.

Préfectures Places disponibles

suivant le poids

démographique

Places attribuées Différence

Butare 836 696 -140

Byumba 722 662 -60

Cyangugu 461 443 -18

Gikongore 514 466 -48

Gisenyi 649 1 046 +396

Gitarama 836 792 -44

Kibungo 501 426 -76

Kibuye 468 412 -56

Kigali 970 1 005 +35

Ruhengeri 736 747 +11

Total 6 693 6 693 442- 442 = 0

(Source : Kinyamateka n°1308 d’octobre 1989)

Ce tableau montre que la préfecture de Gisenyi dont le poids démographique représente 9,7%

de la population s’est vu attribuer 15,61% des places, soit 5,9% en plus (396 places) ! La

préfecture de Butare a été malmenée car elle a perdu 140 places contre 76 pour Kibungo, 60

pour Byumba et 56 pour Kibuye. Ainsi donc trois préfectures (Gisenyi, Kigali et Ruhengeli)

se sont partagé les 442 places qui revenaient aux autres.

Quand on considère les places attribuées par commune, on constate que sur 13 communes qui

ont reçu les quotas les plus élevées, huit sont de Gisenyi et quatre de Kigali. Par contre, sur les

13 communes les moins favorisées, huit sont de Butare et quatre de Byumba. On constate

également que la commune de Ramba qui est la moins favorisée à Gisenyi (58 places) a reçu

plus que la commune la plus favorisée de Cyangugu (Kamembe avec 56 places), de

Gikongoro (Nyamagabe : 44 places) et de Kibungo (Rukara : 56 places). Les quatre

premiéres communes de Gisenyi (Karago : 146, Giciye : 143, Satinski : 97 et Kayove : 94,

soit 480 places) ont pu disposer de plus de places que les préfectures de Gikongoro (466),

Cyangugu (443) Kibungo (425) et Kibuye (412).

64

Tableau n° 15 Effectif attribuées aux 13 communes les plus favorisées.

Communes Préfectures Places attribuées

1. Karago Gisenyi 146

2. Giciye Gisenyi 143

3. Nyarugenge Kigali 125

4. Satinski Gisenyi 97

5. Kayove Gisenyi 94

6. Nkuli Ruhengeri 90

7. Rubungo Kigali 89

8. Kanombe Kigali 88

9. Bicumbi Kigali 82

10. Mutura Gisenyi 82

11. Rubavu Gisenyi 81

12. Kibilira Gisenyi 79

13. Gaseke Gisenyi 78

Tableau n°16 : Effectifs attribués aux 13 communes les plus défavorisées

Communes Préfecture Places

attribuées

1. Kivu Gikongore 23

2. Rutare Byumba 24

3. Huye Butare 24

4. Gituza Byumba 25

5. Kivuye Byumba 25

6. Ndora Butare 25

7. Muganza Butare 25

Monsieur Charles Nyandwi quant à lui mit l’Université Nationale du Rwanda en coupe

réglée et nul ne pouvait éternuer sans son autorisation! Il distribua les bourses de 2°cycle de

l’UNR sans tenir compte des compétences et très souvent les bourses étaient données aux

moins bons. Il nommait et démettait les professeurs sans consulter personne (qu’on se

rapporte pour cela au cas de Rutayisire Antoine, un tutsi recruté par le Département d’anglais

mais chassé par Charles Nyandwi parce que tutsi), tout en rançonnant les entrepreneurs qui

construisaient les bâtiments de l’UNR, dit-on.

Toutes ces pratiques contribuèrent à saper l’unité nationale, l’accès à l’enseignement

secondaire entre autres étant très sensible au Rwanda, cela d’autant plus que le Chef de l’Etat,

saisi à plusieurs reprises par les instances du MRND, n’osa pas réagir à temps. Le

régionalisme fut alors exaspéré mais ce processus s’accompagna du recul de l’ethnisme, car

8. Kibayi Butare 27

9. Kigembe Butare 27

10. Muyaga Butare 28

11. Ruhashya Butare 29

12. Mugusa Butare 29

13. Muhura Byumba 29

65

les deux phénomènes ne peuvent pas avoir en même temps la même vigueur. C’est pour cela

que les Tutsi poussaient discrètement les Hutu du Sud au régionalisme car de cette façon, on

les oubliait.

1.2.3.2. De timides promesses de réforme

Tous les problèmes que nous venons d’évoquer entrainèrent un mécontentement général de la

population qui attribuait ces maux à la corruption et à l’incapacité de l’équipe au pouvoir,

spécialement les proches parents du Chef de l’Etat qui étaient détestés par le peuple. Madame

Marie France Cros aura justement beau jeu de parler d’atmosphère de fin de règne. Le

Président Habyalimana était conscient des problèmes et il aurait voulu leur trouver des

solutions. Cependant, les tentatives de réforme furent superficielles alors que s’exaspérait le

culte de la personnalité par l’intermédiaire de l’animation.

Dans une rencontre en 1976 avec Sœur Moulart, Responsable de Kinyamateka, Monsieur

Habyalimana lui a demandé : « Pourquoi avez-vous écrit que l’Animation qui veut dire

« sensibilisation des gens », signifie faire du tapage ? Parce que je savais que parmi les

rédacteurs de Kinyamateka et ses lecteurs, beaucoup croient en Dieu, je lui ai posé la

question suivante : est-ce que nous faisons du tapage lorsque nous sommes à l’Eglise en train

de chanter que « là où sont l’amour et la concorde, Dieu y est présent ? » Moi j’estime que

quand nous chantons Dieu, nous louons l’amour de Dieu et nous louons notre concorde qui

fait que Dieu vient vivre parmi nous. Voilà comment nous devons considérer l’animation au

sein de notre mouvement »

(Cité d’après Jean Marie Vianney Higiro dans Dialogue n°155 de juin 1992)

On constate donc que le Chef de l’Etat comparait l’animation à la prière et le MRND à Dieu !

Comme la prière est inséparable du chrétien, l’animation devrait être une activité quotidienne

de chaque rwandais embrigadé dans le MRND. On remarquera ici que cette pratique est

courante dans les régimes totalitaires et le Président Habyalimana l’avait copiée chez son

voisin Mobutu qui l’avait lui-même apprise de Corée du Nord.

Au départ, l’animation visait effectivement la « sensibilisation des gens » mais petit à petit

elle glissa vers le culte de la personnalité, après être devenue obligatoire. Les concours

d’animation préoccupèrent singulièrement les chefs de services car les promotions

dépendaient du classement obtenu. C’est ainsi que des fonctionnaires désertèrent les bureaux

pour s’entrainer, que des sommes considérables étaient gaspillées dans l’achat de costumes ou

les déplacements, alors que beaucoup de gens mourraient de faim un peu partout dans le pays.

On verra ainsi des ministres, des professeurs d’université… tous en culottes, sautiller en

chantant la gloire et les hauts faits de Monsieur Habyalimana, proclamé Sauveur de la Nation.

Malheur à celui qui faisait un faux pas, comme ce Directeur général de l’administration

centrale qui défila en première ligne avec une photo du Chef de l’Etat à l’envers ou comme ce

Préfet de préfecture qui glissa et tomba par terre alors qu’il sautait à la gloire de Monsieur

Habyalimana. Le pouvoir espérait consolider ses assises dans le pays mais en réalité il obtint

un résultat contraire, car ces extravagances le ridiculisaient plutôt.

66

Plus sérieuse peut-être furent les promesses de démocratisation contenues dans le discours du

Chef de l’Etat prononcé le 05/07/1990 à l’occasion du 28°anniversaire de l’Indépendance.

Rappelons d’abord qu’au sommet de La Baule en juin 1990, le Chef de l’Etat français,

Monsieur François Mitterrand avait imposé « la conditionnalité » de l’aide française à la mise

en place d’une démocratie multipartite. Monsieur Habyalimana s’était alors rebellé en

affirmant que le système démocratique rwandais était aussi valable que celui du monde

occidental !

Quelques jours après, Monsieur Habyalimana changea de langage car dans le discours précité,

il annonça l’ « aggiornamento » politique avec trois grandes réformes :

- D’abord la révision de la Constitution de 1978 qui affirmait la prééminence du

MRND sur les institutions de l’Etat. Il s’agira alors d’« envisager la séparation des

organes du MRND de ceux de l’Etat » et « donner aux institutions de l’Etat la

suprématie sur la ou les formations politiques ».

- La révision de l’organisation interne du MRND qui doit faire son « auto-

évaluation » et proposer des améliorations à son fonctionnement, étant donné le

contexte politique nouveau.

- L’élaboration d’un nouveau projet de manifeste politique ou Charte Politique

Nationale qui redéfinit les règles du jeu démocratique selon les aspirations du

peuple rwandais. Cette Charte devrait servir de garde-fou aux futures formations

politiques pour éviter « les forces centrifuges régionales ou ethniques ». En tout

cas, « toute formation politique qui voudrait se constituer, y compris le cas

échéant, le MRND nouvelle formule, pourrait le faire en adhérant à cette charte »

Pour mettre en place cet aggiornamento politique, le Président Habyalimana annonça la

constitution prochaine d’une « Commission Nationale de Synthèse » chargée d’engager le

dialogue avec toutes les forces vives du pays, sur tous les aspects de la problématique

politique. La commission était invitée à faire son rapport au 7° Congrès Ordinaire du MRND

prévu en décembre 1990. Le 21 septembre 1990, Monsieur Habyalimana nomma les trente

membres de la commission de synthèse qui devait fonctionner en dehors du MRND et qui

avait un mandat large. Le Décret présidentiel du 24/09/1990 précisa en son article 2 les

objectifs de la Commission Nationale de Synthèse :

« 1. Identifier ce que le concept de la démocratie signifie pour la majorité de la population

rwandaise

2. définir et approfondir les nouvelles règles du jeu démocratique

3. préparer la Charte Politique Nationale fixant les règles qui garantiront le respect du jeu

démocratique et la cohésion nationale et qui préciseront les principes auxquels la constitution

de toute formation politique sera subordonnée

4. élaborer un avant-projet de révision de la constitution. »

Les futurs partis devront dépasser, d’après le discours du 21/09/1990, les clivages habituels,

de religion, d’ethnie, de région et de classe. Le problème du financement des partis,

67

l’organisation du système électoral, l’accès à l’information et les conditions de la compétition

politique devront également être résolue. L’échéance de la mise en place de ce système

démocratique fut fixée en 1992 mais entre temps la guerre éclata et le processus fut accéléré,

au détriment du parti au pouvoir auquel on dut forcer la main.

1.3. Hutu et Tutsi au Rwanda : sont-ils issus de races

différentes ?

En octobre 1990 débuta au Rwanda une guerre civile qui opposait les deux ethnies

majoritaires du Rwanda, les Hutu et le Tutsi et qui se termina en 1994 par l’extermination

d’une grande partie du groupe ethnique Tutsi. Ces hécatombes furent qualifiées de génocide

par les Nations Unies. Décidément, l’Afrique semble maudite et il est évident que le

phénomène ethnique dominera certainement la vie politique de ce continent pour plusieurs

années encore, dans la mesure où la popularité d’un leader politique se mesure, non pas à son

projet de société mais plutôt à son appartenance ethnique. Pourtant, le fait ethnique reste une

réalité peu évidente et les drames qui ont ensanglanté le Rwanda et le Burundi voisin pendant

plusieurs décennies semblent reposer sur un terrible malentendu. Le présent paragraphe a pour

ambition de proposer une lecture différente de celle qui a été développée par l’anthropologie

coloniale au début du 20°siècle à propos des ethnies au Rwanda et au Burundi.

1.3.1. Le contexte de l’analyse

Le problème de l’origine des Hutu et des Tutsi a été longuement discuté mais jusqu’à

présent, c’est la lecture de l’anthropologie coloniale qui s’est imposée. Que pourrait-on en

dire raisonnablement ? En effet, dès l’arrivée des premiers explorateurs européens au

Rwanda, les deux principales composantes de la société rwandaise, les Hutu et les Tutsi, ont

été catégorisées comme appartenant à des races différentes. Les Tutsi furent apparentés aux

Hamites, peuplade mythique qui serait originaire d’Ethiopie ou d’Egypte et qui aurait essaimé

dans toute l’Afrique orientale, avec des branches importantes en Somalie, ainsi qu’au Kenya

et en Tanzanie : les Masaï en seraient des cousins proches. En Ouganda, ils seraient

représentés par les Hima.

Au Rwanda et au Burundi, ils se seraient imposés par la force ou la ruse aux peuplades

bantoues (les Hutu) qui s’étaient installées avant eux et qui étaient pourtant plus nombreux.

Les Tutsi auraient alors construit un ordre hiérarchisé à leur avantage, avec une organisation

sociopolitique qui n’avait rien à envier au modèle occidental. Il suffisait tout simplement de

leur apporter l’Evangile pour qu’ils soient identiques aux Blancs !

L’administration coloniale et l’Eglise catholique, pour asseoir leur domination, ont

rapidement conclu avec eux une alliance qui a rendu caduques les différentes formes de

solidarité horizontales qui contribuaient à l’équilibre de la société rwandaise. Le poids des

redevances et des prestations qui pesaient sur les Hutu, auparavant extrêmement légères, est

devenu insupportable en l’espace des quelques décennies de la présence belge. Des

différences que j’ai qualifiées de sociales ont été cristallisées en races différentes et

antagonistes.

68

Cependant, les revendications pour l’autonomie après la Conférence de Bandoung en 1955 se

traduisirent par la rupture de l’alliance qui liait les Tutsi à l’administration belge et à l’Eglise

catholique. Avec leur soutien, la révolte des Hutu aboutit au renversement du système dominé

par les Tutsi au profit des Hutu, au prix de centaines de morts et de milliers de réfugiés dans

les pays voisins. Tous ces réfugiés n’avaient alors qu’une envie, revenir au pays au besoin par

les armes. C’est ce qui est arrivé avec l’attaque des réfugiés venus d’Ouganda en octobre

1990.

En tant qu’acteur plus ou moins impliqué dans les événements qui ont parsemé toutes ces

péripéties, j’ai été conduit à donner mon point de vue sur ce qui se passait. Les Hutu et les

Tutsi proviennent-ils de races différentes ? Question délicate s’il en fut, dans la mesure où les

processus qui ont conduit à cette hiérarchisation sociale sont très anciens et ont laissé peu de

traces. En plus, le climat est tellement passionnel que toute discussion constructive paraît

impossible. Pouvait-il en être autrement après tant d’horreurs ?

Et pourtant des indices pertinents m’ont conduit à postuler que l’existence des deux groupes

n’est pas le fait de races différentes mais plutôt le résultat d’un processus de différenciation

sociale étalé sur plusieurs générations. Mais alors comment expliquer la violence et l’horreur

des massacres d’avril-mai 1994 ? J’ai proposé de situer une partie des explications dans la

contradiction entre un processus de démocratisation irrésistible de la société rwandaise face à

un système politique peu disposé à faire des concessions. L’effondrement de ses recettes

d’exportation qui lui permettait de se légitimer avait affaibli un Etat par ailleurs gangrené par

le clientélisme et la prévarication. Pour se maintenir au pouvoir ou pour y accéder, les

responsables politiques en place ou de l’opposition n’hésitèrent pas à recourir aux

manipulations ethniques, au risque de conduire la société rwandaise à son autodestruction.

1.3.2. Mais au fait, que contient réellement le concept d’ethnie ?

Les malheurs qui ont endeuillé le Rwanda et auxquels j’ai assisté impuissant, comme tant

d’autres, m’ont poussé forcément à m’interroger sur ce phénomène1. Le problème réside dans

le fait que les ethnologues ne sont jamais parvenus à donner un contenu conceptuel à cette

notion d’ethnie, du fait de sa grande complexité. Il s’agit en fait d’un concept d’origine

occidentale2 qui a été plaqué sur l’Afrique avec des aberrations méthodologiques évidentes.

S’agirait-il d’un ensemble culturel et territorial d’une certaine importance ? On rencontre

pourtant en Afrique des groupes partageant la même langue, les mêmes mœurs et le même

territoire mais qui ne partagent pas la même filiation identitaire.

La difficulté d’appréhender ce concept par les anthropologues date déjà des années 1960.

Pour illustrer ce propos, nous nous baserons sur le travail de Frédéric Barth et spécialement

1 Mes réflexion ont été enrichies par les travaux de François Gaulme, alors rédacteur en chef de Marchés

tropicaux et méditerranéens, avec notamment son article sur “ Tribus, ethnies, frontières ” paru dans Afrique

contemporaine, n°164, octobre-décembre 1992 et surtout par le travail d’Y.DROZ sur les migration Kikuyus au

Kenya. 2 D’après F.GAULME, le terme tribu aurait une origine juive avec les douze tribus d’Israël et romaine avec les

trois tribus primitive, tandis que le terme ethnie, d’origine grecque, traduirait l’expression du sentiment commun

à tous les grecs de l’époque classique à l’opposé des barbares, c’est-à-dire tous les non grecs.

69

sur sa contribution dans le document dont il a assuré la direction en 19693. F.Barth part de la

définition donnée par les anthropologues au terme de groupe ethnique et généralement reprise

par la plupart des scientifiques pour mettre en évidence la complexité de cette notion. En

effet, en 1964, Naroll avait désigné le groupe ethnique comme une population qui :

1. « se perpétue biologiquement dans une large mesure

2. a en commun des valeurs culturelles fondamentales, réalisées dans des formes

culturelles ayant une unité manifeste ;

3. constitue un espace de communication et d’interaction

4. est composée d’un ensemble de membres qui s’identifient et sont identifiés par les

autres comme constituant une catégorie que l’on peut distinguer des autres

catégories de même ordre. »

(Cité d’après F.Barth, 1969)

Pour Frédéric Barth, cette définition reste insuffisante et peu opérationnelle car elle ne permet

pas de comprendre le phénomène des groupes ethniques et leur place dans la société et la

culture. En prétendant fournir un modèle type d’une forme récurrente et universellement

transposable, elle fait l’impasse sur les questions essentielles relatives à la nature des facteurs

significatifs dans la genèse, la structure et la fonction de tels groupes. Cette définition suppose

un isolement relativement long pour que se mettent en place les éléments qui caractériseront

ces groupes, différence raciale, différence culturelle, séparation sociale, barrière des langues,

hostilité spontanée ou organisée…

En réalité, cet isolement n’est que très relatif car chaque groupe construit sa forme sociale en

relation avec les facteurs écologiques au long d’une histoire faite d’adaptations par inventions

ou par des emprunts sélectifs à d’autres groupes. L’une des failles dans la définition des

groupes ethniques réside dans le fait d’accorder une importance centrale au fait de partager la

même culture. F.Barth préfère considérer cet aspect, certes primordial, comme un résultat et

non comme une caractéristique première dans l’organisation d’un groupe ethnique. Des

différences considérables peuvent en effet apparaître au sein d’un même groupe, du fait par

exemple d’une adaptation différentielle aux éléments écologiques. L’étude des groupes

ethniques à partir de la culture n’est donc pas toujours pertinente, dans la mesure où il n’existe

pas de relation univoque entre les entités ethniques et les différences ou les ressemblances

culturelles.

On pourrait également être tenté de les caractériser par l’organisation sociale, en partant du

postulat que si les individus s’identifient à travers leurs groupes, c’est qu’ils partagent les

mêmes valeurs fondamentales qui fondent leur organisation sociale. En réalité, estime

F .Barth, « les catégories ethniques forment une coquille organisationnelle à l’intérieur de

laquelle peuvent être mis des contenus de forme et de dimension variées. Les écarts de

comportement entre les membres d’un même groupe peuvent exister sans que cela ait une

quelconque influence sur les sentiments d’appartenance. Quand un individu se réclame de tel

ou tel groupe, c’est qu’il entend être traité comme tel ». Le fait de partir de l’organisation

3 Frédéric BARTH.- Les groupes ethniques et leurs frontières.- in dir.F.BARTH « Ethnic groups and boundaries.

The social organisation of culture difference.- Bergen, Oslo, Universitetsforlages , 1969

70

sociale pour mieux appréhender le fait ethnique n’est donc pas toujours décisif. Les travaux

plus récents de J.L.Amselle4 confirment cette façon de voir.

L’erreur des anthropologues, me semble-t-il, réside dans le fait d’avoir raisonné en termes de

peuples différents, avec des histoires et des cultures différentes. Il serait sans doute plus

judicieux de partir des conditions indispensables pour que des distinctions ethniques émergent

dans une région géographique donnée. On partirait de l’hypothèse que des différentiations

peuvent se mettre en place et se maintenir, avec une catégorisation exclusive et impérative

librement consentie ou imposée, avec à la longue une acceptation des normes appliquées à

telle ou telle catégorie, ce qui n’exclut pas des contestations éventuelles ou même une remise

en cause de toute la construction C’est à partir de ce principe à mon sens fondamental que

j’ai porté ma réflexion sur les circonstances historiques qui ont été à la base de l’élaboration

du phénomène ethnique au Rwanda. Cette approche me permettait de contourner les travaux

de l’anthropologie coloniale sur le Rwanda qui me semblent s’être fiée à des évidences

trompeuses en partant de l’idée de peuples différents. La plupart des historiens qui ont écrit

sur le Rwanda ou le Burundi ont maintenu le même postulat sur l’existence de peuples

différents, souvent d’ailleurs pour défendre des intérêts plus partisans que scientifiques. Les

travaux de l’abbé Alexis Kagame5 ou de Jean Pierre Chrétien

6 par exemple cherchaient à

légitimer le pouvoir tutsi, tandis que ceux de Ferdinand Nahimana7 s’évertuaient à justifier la

mainmise des Hutu sur l’appareil étatique au Rwanda. Mais s’agit-il réellement de peuples

différents ?

Pour mieux comprendre les processus qui ont conduit à cette distinction, on doit d’abord

insister sur le fait que cette grande incertitude sur ce que désigneraient les termes tribus ou

ethnie s’explique en réalité par le fait qu’il s’agit d’une réalité mouvante, dans la mesure où

un même ensemble ethnique ou tribal peut correspondre à une réalité à un moment donné par

opposition aux groupes qui l’entourent, cette même réalité pouvant changer dans le temps.

Les ethnies ou les tribus sont composées de lignages et de clans qui évoluent, apparaissent et

s’éteignent ou assimilent des éléments étrangers.

Cela est d’autant plus vrai que dans certaines circonstances, les gens pouvaient jouer sur le

registre ethnique quand cela les avantageaient, sur une parenté mythique ou non, sur les

affiliations religieuses, ou au contraire mettre en avant l’appartenance à tel clan, à tel lignage,

ce qui compliquait les observations des premiers explorateurs. Dans la suite, le terme tribu a

été progressivement remplacé par ethnie qui comportait moins de connotation raciste. C’est

donc un avatar de la colonisation mais les deux termes ont tenté de figer des réalités sociales

fuyantes et leur caractère nécessairement subjectif en fait une notion sans contenu

épistémologique. Y.Droz8 aurait préféré la notion de registre identitaire, notion qui pose “ sur

un même plan les diverses caractéristiques qui construisent une identité polymorphe et

4 voir notamment Amselle,J.L.&Mbokolo,E.- Au cœur de l’ethnie.- Paris, La Découverte, 1985, 225p.

5 Kagame,A.- Un abrégé de l’ethnohistoire du Rwanda.- Butare, Ed.Universitaires, 1972

6 Chrétien,J.P.-Hutu et Tutsi au Rwanda et au Burundi.- in Amselle,J.L.&Mbokolo,E., (dir.), Au cœur de

l’ethnie, Paris, La Découverte, 1985. 7 Nahimana,F.- Le Rwanda : émergence d’un état.- Paris, L’Harmattan, 1993.

8 Droz,Y.-Migrations kikuyus. Des pratiques sociales à l’imaginaire.- Neuchatel, Ed. de l’Institut d’ethnologie,

1999, 451p.

71

essentiellement enchâssée dans le contexte singulier des relations sociales” (Droz, 1999).

Dans ce sens, il faut signaler les risques de manipulations politiques du marqueur identitaire

suivant les circonstances et les stratégies des individus.

Pour illustrer ces propos, Y.Droz tord le cou aux montages essentiellement idéologiques et

politiques des travaux ethnographiques de Jomo Kenyatta et Louis Leakey sur le mythe

d’origine des Kikuyus9 au Kenya. Sans nier l’apport scientifique de ces deux textes, Il regrette

“ les influences politiques qui ont modelé la reconstruction historique de la société kikuyu

précoloniale, les motivations personnelles qui ont présidé à la rédaction du texte, l’absence

d’une vision dynamique de la reproduction sociale ” (Droz, 1999). En effet, le mythe

d’origine des Kikuyu présenté par Jomo Kenyatta et qui remonterait à plusieurs décennies

auparavant relève plutôt d’une manipulation politique que de la réalité historique. En fait,

l’acte fondateur de l’ethnie “ imaginaire ” kikuyu répond à des besoins de légitimation des

prétentions hégémoniques des différents groupes réunis dans la réserve tribale des futurs

Kikuyu. Ce mythe sera à plusieurs reprises réutilisé chaque fois que des violences politiques

ont secoué le Kenya, notamment à l’occasion de la révolte des MAU MAU ou lors des

événements qui ont précédé l’Indépendance, comme la création de partis politiques.

Le texte de Louis Leakey quant à lui traduirait un usage académique du mythe, du fait de la

rivalité scientifique et politique avec Jomo Kenyatta. Louis Leakey aurait voulu, à travers la

connaissance de pratiques normalement fermées aux blancs, prouver son assise locale auprès

de populations qui l’ont accepté en lui révélant leurs secrets les plus intimes.

A la fin, on se rend compte qu’à l’instar des Bamiléké étudiés par Claude Tardits10

, les

Kikuyus n’existaient pas en tant que groupe constitué avant la colonisation, même si le

sentiment de partager les mêmes pratiques sociales, comme le défrichage de terres conquises

sur la forêt, les mêmes techniques culturales, le même idéal d’accomplissement de soi, se

retrouvait bel et bien au sein de groupes locaux fluides, vaguement apparentés. En fait, le

sentiment d’appartenance à une ethnie kikuyu ou bamiléké est extrêmement récent et date du

20° siècle. Chez les Kikuyu, il a pour origine les luttes politiques et territoriales induites par la

colonisation, avec notamment la création des réserves tribales. Les Bamiléké ont pour leur

part profité de la colonisation pour développer et étendre leurs stratégies d’accomplissement

de soi à travers les échanges lointains et donc la migration, la compétition dans la solidarité, et

ces pratiques singulières les ont identifiés par rapport à d’autres groupes. Cependant, ce

sentiment d’appartenance identitaire a été réapproprié et intériorisé par les différents groupes

locaux jusqu’à constituer actuellement l’élément dominant dans la construction territoriale. Il

a été souvent utilisé par les classes politiques pour assouvir leurs ambitions de conquête du

pouvoir, accentuant par là les clivages sociaux.

1.3.3. Hiérarchisation de la société rwandaise et naissance du sentiment d’appartenance

ethnique.

9 Leakey,L.- The southern Kikuyu before 1903.- London, Academic Press, 1977, 3vol. 1340p.

Kenyatta,J.- Facing Mount Kanya : the traditional life of the Kikuyu.- London, Heinemenn, 1978, 339p., (1er

édition en 1938) 10

Tardits,Cl.- Les Bamiléké de l’ouest Cameroun.- Paris, Ed. Berger-Levrault, 1960, 139p.

72

Cette crispation identitaire et les manipulations politiques qui en ont été faites ont atteint des

niveaux dramatiques au Rwanda. Et pourtant, nous avons apparemment affaire à une même

ethnie si on se réfère aux définitions des anthropologues : même langue, mêmes coutumes,

même savoir-faire, même territoire et surtout même parenté mythique. L’article que j’ai

publié dans Historiens et Géographes11

précise ma position sur la réalité du problème

ethnique au Rwanda. Il présente une vision différente de celles propagée par les

anthropologues au début du 20°siècle et retenue par leurs épigones nationaux pour des intérêts

divers. Je me suis permis d’en présenter les lignes essentielles.

Les descriptions des premiers anthropologues qui ont visité le Rwanda ont été en effet

biaisées par l’ambiance de supériorité raciale qui imprégnait la pensée occidentale au début

du 20°siècle, phénomène qui avait été magnifié par Nietzsche et chanté par Richard Wagner

et qui ont connu leur paroxysme à travers Mein Kampf. On en connaît le résultat pour

l’humanité. Les analyses de ces chercheurs12

présentèrent les Tutsi comme un peuple

supérieur égaré près de l’Equateur et qui avait une affiliation avec les peuples “ hamites13

qui avaient été décrits comme dominant le Nord Est de l’Afrique. L’un des premiers ouvrages

sur l’historiographie du Rwanda, celui du Père Pagès, ne s’intitulait-il pas “ Un Royaume

hamite au centre de l’Afrique 14

” ? Les Tutsi seraient ainsi venus d’Ethiopie et grâce à leur

organisation supérieure, ils se seraient imposés à des Hutu décrits comme lourds, trapus avec

un nez épaté, peu intelligents mais grands travailleurs…

Les fortes densités démographiques, une centralisation politique assez poussée, une grande

stratification sociale avaient en fait émerveillé les premiers explorateurs qui, jugeant à l’aune

de leurs propres schémas culturels, jugèrent qu’un tel système ne pouvait être que l’œuvre de

peuples supérieurs qu’il suffirait d’évangéliser pour les rendre semblables aux Blancs ! On

comparait ainsi le Rwanda à la France préchrétienne et plus d’un prélat se compara à Saint

Rémy ; l’une des reines mères qui venait d’être baptisée reçut le prénom de Radegonde, sainte

et reine des Francs !

Refusant des stéréotypes qui ne rendaient nullement compte des vraies réalités de la société

rwandaise, je fus amené à proposer comme hypothèse centrale l’antériorité des clans sur les

ethnies (Uwizeyimana, 1997). Si on admet cette position, on parvient à comprendre certains

phénomènes qu’on s’était évertué à expliquer sans succès, comme le fait de retrouver toutes

11

Uwizeyimana,L.- Populations, territoires, et conflits en Afrique interlacustre.- in Historiens et Géographes,

n°358, juillet – août 1997, pp.361-378. 12

Lire à ce propos Czekanowski,J.- Forschungen im Nil-Kongo-Zwischengebiet. Band I : Ethnographie.-

Leipzig, Klinkhardt&Biermann, 1917, ensuite DE Lacger,L .- Ruanda.- Kabgayi, 1939, 729p. ; Macquet,J.J.- Le

problème de la domination Tutsi.- Zaïre, 6, 1952, pp.1011-1016. ; Desmarais,J.C.- Idéologie et races dans

l’ancien Rwanda.- Montréal, Université de Montréal, 1977, 232p. (Ph. D. Thesis) ; Kagame,A.- Un abrégé de

l’ethno-histoire du Rwanda.- Butare, Ed. universitaires, 1972. 13

Le terme Hamite ou Chamite désignerait une peuplade mythique qui comprendrait les Egyptiens, les

Ethiopiens, les Somalis et qui descendrait de Cham, personnage biblique, fils de Noé et père de Canaan. Il aurait

été maudit par son père à cause de son irrévérence. On comprend dès lors que cette filiation relève plus d’un

fantasme que de la réalité historique. En tout cas, personne n’a jamais su ce que représente réellement le peuple

hamite. 14

Pagès,A.- Au Rwanda, sur les bords du lac Kivu (Congo belge). Un royaume hamite au centre de l’Afrique.-

Bruxelles, IRCB, mémoire in-8°, 1, 1933.

73

les ethnies dans les différents clans. Dans ces conditions, on est amené à accepter le fait que

les Tutsi et les Hutu ne constituent pas des groupes d’origine différente mais que c’est plutôt

le fruit d’une différenciation historique relativement récente à partir d’un même groupe. J’ai

ensuite tenté de proposer une chronologie probable du processus de formation des clans et des

ethnies.

En effet, les savanes et les forêts claires qui entourent la frange orientale de la forêt

équatoriale ont été depuis longtemps occupées par l’homme comme l’attestent les découvertes

archéologiques. Les populations étaient sans doute tour à tour migrantes ou sédentaires

suivant la disponibilité des ressources. Petit à petit, des dénominateurs communs comme la

langue, les pratiques sociales, la cosmologie se sont mis en place. Les premières formes

d’organisation sociale ont certainement privilégié les solidarités horizontales; la

complexification progressive de la société et les besoins d’autoprotection ont conduit à la

formation de clans qui regroupaient un certain nombre de lignages. Les individus se

reconnaissaient à travers leurs clans et leurs lignages et non à travers des ethnies qui

n’existaient pas encore. Cette stratification horizontale était essentiellement égalitaire, ce qui

n’excluait pas une certaine hiérarchisation, avec par exemple la prééminence des anciens.

Au fil des temps, certains clans élaborèrent des stratégies expansionnistes en constituant de

petits royaumes rivaux. Au Rwanda, un lignage du clan Nyiginya entreprit la conquête des

territoires de clans voisins. Cette politique agressive exigeait la formation d’armées

permanentes destinées à étendre les frontières, d’où une place considérable de ce corps dans la

société comme l’atteste une riche littérature guerrière. Forts de leur prestige et au fur et à

mesure des conquêtes, les chefs militaires se superposèrent aux chefs de lignages et de clans

et recrutèrent une clientèle alliée du pouvoir et qui échappait ainsi aux solidarités

traditionnelles, claniques ou lignagères.

En plus, l’augmentation de la population s’accompagnait de la progression des fronts de

peuplement au détriment de la forêt et donc de la mouche tsé tsé, endémique dans cette

région. L’élevage bovin put ainsi se développer dans des proportions considérables et cette

activité, du fait du prestige de la vache magnifiée par le clan nyiginya et ses alliés à travers

une littérature pastorale, prit un ascendant réel sur l’agriculture15

. A la longue, l’extension du

troupeau et donc des besoins en pâturage conduisirent à l’omniprésence de la vache sur tout le

territoire.

Finalement, les chefs militaires et les responsables de l’élevage bovin se superposèrent aux

chefs de lignages et de clans, progressivement confinés dans l’agriculture. Dès lors, chaque

circonscription administrative avait à sa tête trois échelons de pouvoir, le chef de l’armée, le

chef des pâturages et le chef du sol, celui-ci étant généralement issu des structures

horizontales. Ce processus conduisit à une verticalisation de la société et de nouvelles formes

d’identification et de complémentarité furent édifiées à côté des anciennes affinités

horizontales. Le groupe dominant, c’est-à-dire un lignage du clan nyiginya et ses alliés,

monopolisa la redistribution des richesses et s’identifia comme “ Tutsi ”. Les membres des

15

Voir Nkulikiyinfura,J.N.- Le gros bétail et la société rwandaise, évolution historique des XII-XIV° siècles à

1958.- Paris, L’Harmattan, 1994.

74

solidarités horizontales qui n’avaient pas pu s’intégrer dans le nouveau système furent

considérés comme “ Hutu 16

”, ce terme prenant progressivement une forte connotation

péjorative.

Ce lent processus démarra sans doute au XVII siècle et à la fin du XIX siècle, il était répandu

sur la majeure partie du Rwanda. Dans ce contexte, la vache fut sacralisée et considérée

comme l’ultime richesse et l’idéal fut d’en posséder le plus grand nombre. Le travail de la

terre fut déconsidéré au profit d’un cérémonial hiératique autour de la vache. Finalement, le

nouveau groupe social “ Tutsi ” devint plus pasteur qu’agriculteur et le contrat de

clientèle “ ubuhake ” fut mis sur pied pour pérenniser cette construction verticale de la

société. D’abord librement consenti, ce contrat devint progressivement contraignant et au

début du XX siècle, il s’était insidieusement perverti, car les droits du “ suzerain Tutsi ”

s’étaient étendus sur la terre et le bétail du client essentiellement Hutu qui n’en avait plus que

l’usufruit.

La verticalisation de la société répondait essentiellement à un besoin de capture du surplus,

sans le moindre critère racial. Il aboutit en tout cas à une certaine forme de différenciation

morphologique des individus, non pas pour des raisons raciales mais plutôt “ culturelles ”, à

travers une aisance matérielle plus grande, une alimentation à base de lait, la dispense

d’activités épuisantes comme le travail de la terre, une relative endogamie au sein de

l’oligarchie…Cependant, toutes les tentatives pour camper des individus types à travers des

mensurations morphologiques17

ont toutes lamentablement échoué, parce que justement il

n’existait pas de Hutu type ou de Tutsi type! Les archives du Musée royal de Tervuren, de

même d’ailleurs que le Musée de l’Institut National de Recherche Scientifique (INRS) à

Butare regorgent de données sur la longueur du nez des Hutu et des Tutsi, le degré de

proéminence de leur mâchoires, leur tailles…, l’abondance de ces données traduisant

l’ampleur des errements dans lesquels s’était fourvoyée l’anthropologie coloniale.

Le système devait cependant gérer de nombreuses contradictions qui résultaient de la

coexistence de solidarités horizontales et verticales avec tout ce que cela suppose de conflits,

de rivalités, d’abus…mais aussi de protection, d’entraide ou de convivialités. Comme le chef

de la terre était souvent recruté auprès des lignages et des clans, les solidarités horizontales

contribuaient à atténuer les abus consécutifs à la verticalisation de la société. Cependant, le

groupe dominant avait beaucoup de mal à maintenir son hégémonie, affaibli par l’absence

d’une quelconque supériorité culturelle ou de savoir-faire et surtout par son infériorité

numérique. Les constructions idéologiques élaborées pour tenter de maintenir la cohésion de

l’ensemble et légitimer les pouvoirs en place ne réussissaient pas vraiment à stabiliser le

système et de nombreuses révolutions de palais décimaient régulièrement le sommet de la

pyramide, comme ce fut le cas à la fin du XIX siècle. Dans ces conditions, le meurtre et

l’élimination physique à grande échelle faisaient partie de la culture politique du Rwanda, car

16

Jusqu’à présent, personne n’est parvenu à expliquer de façon convaincante l’origine et la signification de ces

deux termes, hutu et tutsi. 17

Lire à ce propos Hiernaux J.- Analyse de la variation des caractères physiques humains en une région de

l’Afrique centrale :Ruanda-Urundi et Kivu.- in Annales du Musée royal du Congo belge, Tervuren, Sciences

humaines, Série in-8°, 1956

75

on ne tolérait aucune forme d’opposition. Cette tradition de violence politique dont

l’illustration la plus tragique s’est produite en avril 1994 et qui a scandalisé le monde est le

fruit d’un héritage qu’on n’a pas encore pu transcender. Le XX° siècle avait commencé dans

le sang et il allait se terminer de la même façon.

Au moment du contact avec l’Occident, le modèle mis en place depuis des décennies

avait déjà entamé sa décadence et il ne fut sauvé de la débâcle que par la colonisation, d’abord

avec les Allemands qui matèrent militairement les révoltes qui avaient éclaté un peu partout,

ensuite par les Belges dont l’action favorisa la cristallisation des identités autour des ethnies,

les autres formes de régulation de la société ayant été anéanties. Cette cristallisation autour de

l’identité ethnique et les manipulations politiques qui en ont été faites ont conduit aux drames

que l’on connaît.

1.3.4. Et pourtant, les Hutu et les Tutsi ont toujours vécu en interaction permanente

Il faut dire que l’ouverture des marchés et l’effondrement des régimes autoritaires en Afrique

à la fin du 20°siècle ont ouvert une boite de Pandore qui avait été maintenue hermétiquement

fermée par des dictatures souvent sanglantes. Les forces centrifuges semblent prendre le

dessus et dans ce désordre apparent, les violences ethniques ont pris une ampleur sans

précédent, conduisant parfois à des tueries systématiques et même au génocide. Dans ces

conditions, peut-on dire que l’identification ethnique conduit inévitablement à la violence ? Si

les identités ethniques continuent d’exister et même se renforcent malgré des interactions

constantes à leurs frontières, ne serait-ce pas qu’elles répondent à un besoin peut-être

existentielle ? Dans quelles conditions ces formes d’identification peuvent-elles devenir

meurtrières ?

En fait, c’est seulement dans les sociétés primitives relativement isolées que le concept

d’ethnie peut avoir un sens, puisque ethnicité et culture coïncident. Dans ce cas, l’ethnie

signifie « homogénéité de la race, de la langue, des coutumes et des traditions, bref de la

culture »18

. Il existe alors en principe une réelle homogénéité de race et de culture : la

conscience de l’être ethnique n’a pas de sens, dans la mesure où le sentiment de sécurité à

travers la cohésion culturelle n’est pas menacé.

Le problème devient tout autre quand le groupe entre en contact avec la différence, avec

l’autre, celui-ci apparaissant dès le départ comme une menace : l’affirmation de l’identité de

soi est en fait une forme d’auto-défense. Comme l’affirme Selim Abou, « le problème de

l’identité ethnique ne surgit que lorsque le groupe ethnique entre en contact avec d’autres

groupes et que les systèmes culturels correspondant s’affrontent ». Mais alors, si on accepte

cette affirmation, que dire des Hutu et des Tutsi du Rwanda et du Burundi qui s’entretuent

depuis des décennies alors qu’ils partagent la même langue, la même culture et le même

savoir-faire ?

En tout cas, si la différence est systématiquement perçue comme une menace, si l’affirmation

du soi ethnique constitue un réflexe d’auto-défense, l’identité ethnique représente-t-elle une

18

Abou Salim.- Identite ethnique et identité culturelle.- in Anthropos, Paris, 19881, pp.27-81

76

source perpétuelle de violence ? Cette façon de voir présuppose que chaque groupe s’est

évertué à maintenir coûte que coûte sa culture en la préservant des influences de ses voisins,

ce qui impliquerait un isolement géographique et social. La réalité des faits montre de façon

indiscutable que les ethnies existent et se maintiennent malgré la multiplication des mobilités

et donc des interactions consécutives à l’intensification des échanges.19

Cela veut dire que la permanence des identifications ethniques n’est pas due au cloisonnement

et à l’absence de contact, mais qu’il existe un processus d’incorporation et d’exclusion qui

permet aux ethnies de se maintenir tout en intégrant des éléments nouveaux. La permanence

de ces distinctions ethniques ne résulte pas d’une absence d’interaction mais au contraire cette

interaction permet de consolider l’ensemble : l’interaction ne conduit pas à la liquidation du

système ethnique par le changement et l’acculturation, mais plutôt à sa consolidation.

L’exemple du Rwanda est explicite à ce propos, car les Hutu et les Tutsi sont en interaction

permanente, à travers notamment les alliances matrimoniales.

Ceci nous permet de dire que les groupes ethniques constituent des formes d’identification

mises en place par les membres et qui régissent leurs relations, entre eux et les autres groupes.

Il est de ce fait intéressant d’étudier la mise en place et le maintien de ces groupes, en

interrogeant en particulier les frontières ethniques et leurs modes de perpétuation. On partirait

du postulat que si une ethnie maintient son identité alors qu’elle est en contact permanent avec

d’autres, c’est qu’il y a des critères pour déterminer l’appartenance et l’exclusion. Ces critères

peuvent se maintenir, soit par un recrutement unique ou continu (exemple des Bamiléké du

Cameroun qui ont intégré des populations d’origines diverses), mais il existe aussi une

activité continuelle de validation de l’appartenance. Au Rwanda par exemple, le Tutsi était

auparavant défini par la possession d’un grand troupeau de vaches, mais avec le temps, la

vache a perdu son rôle social. Pourtant, les Tutsi, devenus presque tous agriculteurs, ont

conservé leur identité, en partie sans doute à travers leur relative exclusion du système

politique, tout en rappelant que des Hutu également exclus ont continué à s’identifier comme

hutu.

En effet, identifier quelqu’un comme appartenant au même groupe implique qu’on partage les

critères d’évaluation et de jugement. Cela implique également qu’il existe des différences

décisives par rapport aux critères de jugement des autres groupes et donc une restriction de

l’interaction à un certain niveau, qui permet de maintenir la cohésion et exclure les autres. On

peut ainsi chercher à comprendre comment ces frontières se maintiennent pour conserver

l’unité et les limites, malgré des situations de contact ininterrompues.

Pourrait-on dès lors affirmer que là où les individus d’identité différente sont en interaction,

les différences et donc les germes de violence s’altèrent, puisque l’interaction suppose qu’on

partage certains codes et certaines valeurs? Rien n’est moins sûr en fait, parce que, même si

l’interaction implique l’existence de critères partagés, cette interaction est justement

structurée de façon à ce que les différences essentielles demeurent. Cela suppose l’existence

de règles strictes régissant l’interaction, de façon à préserver les normes qui unissent les

19

Ces réflexions s’insprent largement de l’article de Frédéric Barth « Les groupes ethniques et leurs frontières »,

in Les théories de l’ethnicité, Paris, PUF, 1995, pp.203-249

77

membres de l’ethnie, pour que celle-ci ne disparaisse pas. Chaque groupe dispose d’un

ensemble de prescription qui régissent la situation de contact en facilitant les activités qui sont

à la base de ces contacts, mais en même temps avec un ensemble d’interdits qui protègent

certains secteurs d’identification pour qu’ils ne soient pas modifiés. De la sorte, les groupes

ethniques peuvent intégrer des éléments nouveaux sans être détruits.

Toutes ces considérations, quoi que séduisantes et vérifiables sur la plus grande partie de

l’Afrique subsaharienne, ne sont pas totalement validables au niveau des Hutu et des Tutsi du

Rwanda et du Burundi. Qu’est-ce qui peut avoir pérennisé l’identification ethnique dans ces

deux pays, puisque la frontière entre ces deux groupes est imperceptible? On sait bien que les

vieux stéréotypes basés sur des considérations morphologiques (longueur et largeur du nez,

épaisseur des lèvres, taille élevée, prestance d’ensemble…) n’ont aucune valeur heuristique et

de nombreux Hutu sans le moindre « métissage » ont été massacrés en 1994 à partir de ces

critères.

En fait, ce modèle d’analyse, quelle que soit sa pertinence, n’est plus opérationnel dans les cas

où le sentiment d’appartenance ethnique existe, alors qu’il n’existe pas de frontières

facilement identifiables. Comment dès lors expliquer un tel niveau de violences à l’intérieur

de ce qu’on pourrait qualifier de même ethnie ? Le cas de la Somalie est relativement

différent, dans la mesure où nous avons affaire à une « ethnie » mais avec des clivages et des

conflits au niveau inférieur, celui des clans. Au Rwanda, les différenciations ne se situent pas

au niveau des clans qui ont d’ailleurs pratiquement perdu de leurs contenus. En fait, il me

semble qu’il est illusoire de chercher à comprendre l’irrationnel et toutes les tentatives

d’explication qui ont été proposées ne sont pas parvenues à rendre compréhensibles le niveau

de violence que le Rwanda et le Burundi ont connu.

Le bilan est en tout cas terrifiant, car la fin du 20°siècle fut épouvantable pour le Rwanda. Les

antagonismes ethniques, exacerbés par les difficultés économiques et les luttes pour le

pouvoir, ont conduit au dernier génocide du 20°siècle qui en a connu tant. Pourtant, ces

sentiments d’appartenance ethnique ne reposent pas sur des différences raciales, mais sont

plutôt le résultat d’une construction historique relativement récente à partir d’un même

peuple. En effet, les formes de régulation sociale mises en place par la société rwandaise

privilégièrent d’abord les solidarités lignagères et claniques, sans qu’on parle ni de hutu ni de

tutsi. La verticalisation de la société qui fut à l’origine des termes « hutu » et « tutsi » était

d’abord une réponse à la croissance démographique mais aussi à un besoin de capture du

surplus. Ceux qui sont parvenus à s’allier au pouvoir et donc participer au partage des

richesses furent désignés comme tutsi, les autres comme hutu, avec progressivement une

connotation péjorative. Il ne s’agissait donc nullement de races différentes mais d’un seul

groupe qui s’est hiérarchisé. La colonisation cristallisa ces sentiments d’appartenance qui

furent par la suite manipulés par les responsables politiques de tous bords, avec comme

résultat les drames que l’on conait. Ce qui est sûr, c’est que les Tutsi ne sont pas venus

d’Ethiopie ou d’Egypte, ni de Somalie. Ce sont des populations bantoues autant que les Hutu,

quoi qu’en ait dit l’anthropologie coloniale et certains protagonistes du drame. Il est alors

horrible de devoir reconnaitre que tous ces forfaits qui ont ensanglanté cette région depuis

78

plusieurs décennies relèvent d’un monstrueux malentendu car les Hutu et les Tutsi sont des

enfants d’un même peuple divisés par les vicissitudes de l’histoire.

CONCLUSION PARTIELLE

L’autorité coloniale belge, par le système de l’administration indirecte, concentra le pouvoir

et donc la richesse entre les mains de l’ethnie tutsi et marginalisa les Hutu, pourtant

majoritaires avec 85% de la population. La Révolution sociale de 1959 balaya le pouvoir

colonial et monarchique et instaura des institutions républicaines avec comme ligne de

conduite la démocratisation et la justice sociale.

Malheureusement, les incursions Inyenzi radicalisèrent les clivages ethniques et poussèrent

les responsables du régime républicain vers les mirages du parti unique. Dans ces conditions,

il était illusoire de chercher à résoudre le problème des réfugiés rwandais à majorité tutsi qui

avaient été dispersés dans les pays voisins lors de la Révolution. Les conditions dans

lesquelles ils vivaient restaient extrêmement précaires et ils étaient décidés à rentrer dans la

Mère Patrie, au besoin les armes à la main.

Les négociations pour leur retour trainèrent en longueur alors que la guérilla de Museveni leur

avait permis de se constituer une force armée considérable. La tentation de rentrer par les

armes fut alors la plus forte, d’autant plus qu’au Rwanda la situation politique, économique et

sociale frisait la catastrophe.

79

II. L’ASSAUT DU MUTARA ET L’OPERATION

« HIRONDELLE »

Le 01/10/1990, les forces de la Rwandese Patriotic Army (RPA) se lancèrent à l’attaque du

Rwanda à travers la région naturelle du Mutara. L’Armée rwandaise (A.R.) réagit en lançant

l’opération « Hirondelle ». Nous allons tenter de narrer ces événements mais en partant du

côté de l’armée rwandaise car nous n’avons pas pu, on s’en rend bien compte, mener des

enquêtes du côté de la R.P.A.

2.1. Les forces en présence

Ce paragraphe se propose d’analyser les atouts, les forces et les faiblesses des deux

belligérants pour mieux camper les événements ultérieurs. Ce n’est pas facile car les

statistiques des forces de défense sont partout tenues secrètes mais on peut en avoir une idée

assez précise en confrontant plusieurs sources.

2.1.1. L’Armée Rwandaise

Au moment de l’attaque d’octobre 1990, les Forces Armées Rwandaises (F.A.R.) avaient 30

ans d’existence, ce qui est apparemment suffisant pour en faire un instrument de défense

efficace. Mais était-ce vraiment le cas ?

2.1.1.1.Création et missions

A l’époque coloniale, de par les Accords de Mandat, la Belgique ne pouvait pas recruter des

soldats au Rwanda mais la Tutelle lui permettait de lever quelques volontaires. Elle s’abstint

pourtant de créer une force armée au Rwanda. C’est pour cela que la Force Publique qui

assurait la sécurité et la défense du pays était composée de soldats congolais. Or, ceux-ci

devaient se retirer du Rwanda le 30 juin 1960 au moment de l’Indépendance du Congo. En

conséquence, en mai 1960, le Résident Spécial du Rwanda, le Colonel BEM Guy Logiest créa

une Garde Territoriale de 650 hommes avec 85% de Hutu et 15% de Tutsi.

En même temps, une Ecole d’Officiers fut créée à Kigali et sa première promotion, composée

de sept membres, avait pour major le sous-lieutenant Habyalimana Juvénal et elle comptait un

Tutsi, le sous-lieutenant Ruhashya. Cette jeune armée, appelée Garde Nationale à

l’Indépendance, fut rapidement confrontée aux incursions des terroristes Inyenzi (cancrelats)

qui refusaient l’ordre républicain et par prudence, le recrutement devint totalement hutu et

même des Hutu du Nord surtout, réputés plus purs et plus durs que les autres. Ce facteur sera

plus tard à la base d’une des plus grandes faiblesses de cette armée, le régionalisme et

l’ethnisme.

En tout cas, les escarmouches et les combats durèrent jusqu’en 1968, c’est-à-dire six ans après

l’Indépendance. Nous ne reviendrons pas sur ces événements mais pour celui qui serait

intéressé, nous conseillons la lecture de l’ouvrage de Filip Reyntjens « Pouvoir et droit au

80

Rwanda. Droit public et évolution politique, 1916-1973 » publié en 1985 à Tervuren au

Musée Royal de l’Afrique centrale. Nous conseillons également le petit document intitulé

« Toute la vérité sur le terrorisme Inyenzi au Rwanda » publié par le Ministère des Affaires

Etrangères du Rwanda en janvier 1964.

Cette longue confrontation permit à cette jeune armée d’acquérir une certaine expérience et

une grande cohésion interne. D’après Filip Reyntjens, « la mission parlementaire de 1964

avait pu, « comme l’opinion publique, admirer partout sa discipline, son dévouement et sa

renommée de vaillance et d’intrépidité pour la défense de la patrie. La Garde Nationale a

acquis une réputation immaculée d’être un corps d’élite ». Elle s’était en effet distingué par

ses excellentes performances dans la défense du territoire, par son professionnalisme, son

attitude moderne et sa neutralité politique » (Reyntjens, 1985)

Elle s’empara cependant du pouvoir par un coup d’état le 05/07/1973. Etant donné les

circonstances dans lesquelles elle a été créée, cette armée sera dès le départ anti-tutsi et

comme on l’a déjà signalé, elle recrutera surtout au nord du pays. Ainsi donc par la force des

choses, cette jeune armée porte en elle-même dès sa création, les stigmates des deux maux qui

diviseront la société rwandaise, à savoir les conflits ethniques et régionaux.

En outre, la 2°République s’attacha dès le début à promouvoir les ensembles régionaux,

convaincue à juste titre que l’intégration régionale contribuerait à résoudre les insurmontables

défis que le Rwanda devait affronter. Dans cette optique, le Rwanda joua un rôle de premier

plan dans la mise sur pied des ensembles tels que la Communauté Economique des Pays des

Grands Lacs (C.E.P.G.L.), l’Office du Bassin de la Rivière Kagera (O.B.K.)… allant même

jusqu’à cotiser presque seul pour que ceux-ci puissent survivre. C’est pour cela que la classe

politique estima dans son analyse que des agressions comme celles qui affligèrent le Rwanda

au cours des années 1960 ne pouvaient plus se reproduire, la géopolitique régionale ne s’y

prêtant pas. On verra dans la suite que c’était une erreur grossière. Ainsi, aussi paradoxal que

cela puisse paraître dans un régime de militaires, l’Armée rwandaise ne put jouir de

sollicitudes particulières, même si certains officiers se lancèrent dans une course éperdue à la

recherche de l’argent.

Effectivement, l’analyse de l’évolution des dépenses ordinaires de l’Etat montre que l’armée

accaparait à elle seule 28,4% du budget en 1973 contre 24.5% pour l’Education Nationale.

Huit ans plus tard en 1981, l’armée ne dépensait plus que 16% du budget contre 30% pour

l’enseignement et en 1987, cette valeur était tombée à 12.5% contre 25.73% pour l’éducation.

La figure n°7 illustre encore mieux cette tendance en mettant en parallèle l’évolution de tous

les items dont les dépenses excédaient 5% du budget ordinaire de l’Etat.

81

Figure n°7. Evolution des dépenses du budget ordinaire de l’Etat (en %)

Il apparaît donc à travers cette figure que le pouvoir avait opté pour une politique de

développement en consacrant de moins en moins de ressources possible à la défense

nationale, l’objectif étant d’avoir en permanence une petite mais solide armée de dissuasion.

Cette option peut être encore mise en relief en comparant les dépenses militaires de quelques

pays voisins du Rwanda par rapport à leur Produit Intérieur Brut (P.I.B.).

Tableau n°18 : Dépenses militaires par rapport à quelques indicateurs socio-économiques

dans les pays voisins du Rwanda

Pays Population

en 1990 (en

milliers)

PNB/habitant

en US $ en

1988)

Dette/PIB en

%

Forces

armées (en

milliers)

Dépenses

militaires (%

du PIB en

1988)

Burundi 5 450 230 74 7.2 2.7

Ethiopie 46 740 120 54 - 8.7

Kenya 25 130 360 71.3 23.6 4.3

Mozambique 15 660 100 436 71 8.4 (1985)

Ouganda 18 440 280 43.2 70 8.3 (1987)

Rwanda 7 230 310 28.3 5.2 1.8

Somalie 7 550 170 214.8 65 11.0 (1986)

Soudan 25 190 340 134.3 72.8 6.0

Tanzanie 27 330 180 164.6 - 3.2 (1986)

Zaïre 35 990 170 142.6 51.0 1.6

(Source : Le Nouvel Etat du Monde. Bilan de la décennie 1980-1990, pp.403-420)

Ce tableau montre clairement que, exception faite du Zaïre qui recevait d’importantes aides

militaires étant donné sa position stratégique, c’est le Rwanda qui dépensait le moins pour son

armée. Comparativement à son PIB, le Rwanda dépensait 1.5 fois moins que le Burundi, 4.6

fois moins que l’Uganda et 6.1 fois moins que la Somalie qui bat le record de toute la sous-

région. Quand on ne considère que les effectifs, c’est le Rwanda qui a la plus petite armée de

la zone et si on se rapporte à la population et aux ressources, l’Uganda possédait l’armée la

0

5

10

15

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35

1972

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1980

1981

1982

1983

1984

1985

1986

1987

1988

Education Nationale

Finances et Economie

Défense Nationale

Travaux Publics

Santé, Jeunesse

82

plus démesurée. Si on connait la personnalité de Monsieur Museveni, on pouvait augurer que

celui-ci aura tôt ou tard la tentation de s’en servir contre ses voisins.

2.1.1.2. Formation et effectifs

D’après Eric de Bellefroid, l’Armée rwandaise « forte de 8 000 hommes sans compter

l’appoint de 3 000 gendarmes, et comptant trois bataillons commando-infanterie, un bataillon

parachutiste et un escadron d’auto-blindés, est réputée bien équipée, bien préparée et bien

encadrée. Sa principale faiblesse tiendrait à l’inexistence de sa force aérienne réduite à deux

ou trois hélicoptères. Si la Belgique, à travers sa coopération technique n’apporte aucun

encadrement aux unités de l’armée rwandaise, celle-ci compte bon nombre d’officiers formés

là-bas par nos militaires et même ici en Belgique. Le Président Habyalimana qui est lui-même

Général-Major,…est licencié de l’Ecole Royal Militaire (E.R.M.) » (Libre Belgique du

04/10/1990).

Si on en croit les informations que ce journaliste a pu recueillir, l’armée rwandaise compterait

environ 11 000 combattants. Pourtant, le tableau n°18 parle de 5 200 hommes et c’est ce

chiffre qui a été retenu par la plupart des sources consultées. Ces mêmes sources qualifient

cette armée de « fantôme » car elle serait mal entrainée, mal payée, mal équipée et sans la

moindre motivation patriotique. Toutes ces affirmations rappelaient le fait que le Chef de

l’Etat rwandais a lancé un appel au secours au tout début de l’attaque avant d’avoir reçu les

informations nécessaires sur l’ampleur de celle-ci.

Brigitte Hagemann affirmera dans la Croix-l’Evénement n°3274 du 05/10/1990

qu’ « apparemment, les autorités de Kigali préfèrent ne pas tout miser sur la capacité de

l’armée régulière, forte de 5 200 hommes, dont le moral serait au plus bas face à des

adversaires dotés de mortiers, canons sans recul et automitrailleuses blindées. Entre 8 000 et

12 000 guerriers tutsi se tiendraient en réserve ».

Telle est donc approximativement l’opinion des observateurs étrangers sur l’armée

rwandaise : les opinions divergent mais dans l’ensemble la plupart s’accordent sur une armée

de 5 200 hommes sans les capacités nécessaires pour affronter la R.P.A. dotée de moyens

considérables et ayant acquis une expérience précieuse. Pourrait-on dès lors se permettre un

certain commentaire sur toutes ces observations et cela à la lumière de données accessibles à

tout le monde, puisque des statistiques précises ne sont pas disponibles ?

Nous dirions alors qu’au point de vue entrainement, la formation militaire de base est donnée

indistinctement à tous les membres de l’armée et de la gendarmerie au Centre d’Instruction de

Gako au Bugesera (C.I. Bugesera). Après 8 mois d’instruction, la jeune recrue est transférée

au Centre d’Entraînement Commando de Bigogwe (C.E Cdo Bigogwe) où elle passe un

brevet de commando après une période de 2 mois. Elle reçoit alors son numéro

d’immatriculation : les membres de l’armée sont aussitôt intégrés dans les différentes unités

tandis que les gendarmes continuent leur formation d’Officiers de la Police Judiciaire à

l’Ecole de Gendarmerie Nationale de Ruhengeri pendant 8 mois.

83

Les sous-officiers par contre qui doivent avoir accompli trois années post-primaires -

exception faite de quelques uns qui peuvent sortir de la troupe – sont formés à l’Ecole de

Sous-officiers de Butare : ils en sortent avec le grade de sergent. Ils y retourneront ensuite

pour suivre le cours « D » qui leur permet d’accéder aux grades supérieurs à premier sergent.

Quant aux officiers qui doivent avoir obtenu le diplôme des études secondaires (Baccalauréat

français), ils passent quatre années à l’Ecole Supérieure Militaire d’où ils sortent licenciés en

Sciences Humaines et Militaires avec le grade de sous-lieutenant.

Pour ce qui est des effectifs, nous allons tenter d’en avoir une idée approximative à partir des

différents camps éparpillées un peu partout dans le pays. Nos calculs se baseront sur le fait

qu’au moment de l’agression, un bataillon comptait trois compagnies d’environ 150 hommes

chacune, soit 450 personnes. Effectivement, c’est avec cet effectif que le Bataillon Para

Commando intervint à Ngarama à partir du 7 octobre 1990 et la compagnie Gitarama se rendit

sur le front de Gabiro avec 153 militaires, celle de Kibuye avec 147. Mais certaines

compagnies dites renforcées peuvent avoir jusqu’à 200 hommes, comme celles qui tiennent

certains chefs-lieux de préfecture. Ainsi, au 1er octobre 1990, l’armée rwandaise comptait

deux bataillons commando infanterie, le bataillon commando Mukamira basé à quelques 20

km de Ruhengeri et le bataillon commando Huye installé à Kibungo. Cela faisait environ 900

combattants.

Le camp Colonel Mayuya (Kanombe) abritait un bataillon d’élite, le bataillon Para commando

qui avait un effectif de 450 hommes. Il abritait également un bataillon de reconnaissance avec

trois compagnies numérotées A, B, C, ainsi que le bataillon Léger Anti Aérien (L. A .A .) et

une unité d’artillerie de campagne (Bie AC), les effectifs de ces dernières unités se

rapprochant plus d’une compagnie que d’un bataillon. Il y avait ensuite dans le même camp

une Compagnie Génie, une Compagnie Bâtiments Militaires, la Compagnie Police Militaire

ayant été récemment déplacée vers Kami et l’unité Base Armée Rwandaise occupant le camp

Kigali. Le camp Kimihurura quant à lui abritait le bataillon Garde Présidentielle, une autre

unité d’élite. Ainsi, l’armée rwandaise disposait de près de 2.000 combattants basés à Kigali,

dont environ 1.500 pour le seul camp Colonel Mayuya.

En outre, le camp Gabiro, si on lui ajoute les différents détachements disséminés ici ou là au

Mutara, avait un effectif approchant un bataillon avec plus de 300 soldats. A toutes ces unités

il faut ajouter les compagnies Gisenyi, Kibuye, Byumba, Cyangugu, Gitarama, Butare,

Bigogwe qui totalisaient 1.050 combattants. Au même moment, le centre d’instruction de

Bugesera venait d’achever la formation de 1.200 jeunes recrues qui n’avaient pas encore

passé leur brevet de commando mais qui étaient fin prêt pour le combat. Cela fait au total

5.450 combattants, c'est-à-dire pratiquement l’effectif avancé par la plupart des observateurs.

A cet effectif, il faut ajouter les éléments de la Gendarmerie Nationale. Rappelons que lors de

sa création en 1975, la gendarmerie avait reçu pour mission d’assurer la sécurité intérieure du

pays mais aussi d’épauler l’armée en cas d’agression extérieure et c’est pour cela que la

formation de base était identique. En octobre 1990, on venait d’achever la construction des

bâtiments du groupement Byumba à Ngarama mais ils n’étaient pas encore occupés. La

Gendarmerie Nationale comprenait alors les unités suivantes : le camp Kakiru avec quelques

84

deux bataillons dont le groupe mobile avec mission de combat, ainsi que les groupement

Muhima, Gisenyi, Ruhengeri, Rwamagana, Nyanza, Butare, Gilongoro et Cyangugu qui

disposaient chacun d’une compagnie, soit un total de 2 100 gendarmes environ.

Telles sont les forces dont disposait les F.A.R. au moment de l’attaque, forces auxquelles il

faut ajouter quelques 2 000 réservistes qui viendraient épauler leurs compagnons. Ils venaient

d’ailleurs d’effectuer un « rappel sous les armes » au Centre d’Instruction de Bugesera du

01/03/1989 au 13/05/1989. Serait-il alors possible d’estimer la qualité de ces unités qui

allaient affronter la R.P.A. ?

2.1.1.3. Valeur opérationnelle des unités et du commandement

Même si on ne peut pas en trouver pour le moment des preuves matérielles, il serait pour le

moins étonnant que l’armée rwandaise soit restée à l’abri des maux qui rongeaient la société

rwandaise, à savoir le régionalisme et l’ethnisme.

En plus de cela, on constate que toutes les armées africaines ont tendance à être plus des

armées au service des chefs d’état, généralement commandants en chefs, ministres de la

défense et chefs d’états-majors, plutôt que de servir la nation. Ce sont donc en fin de compte

des gardes prétoriennes plus efficaces contre les coups d’états que dans la défense du pays.

Souvent même des chefs d’états africains s’attachent à affaiblir les unités périphériques dont

certaines, comme au Zaïre par exemple, semblent formées de clochards portant des armes de

guerre.

Ils ne maintiennent près d’eux que des unités sûres, généralement formées d’éléments

originaires de la même région qu’eux. Ces unités sont très choyées et elles sont les seules à

disposer d’un armement adéquat. Il va sans dire que le Rwanda n’échappait pas à la règle car

la Garde présidentielle par exemple était pratiquement la seule unité à disposer d’un

armement et d’un encadrement satisfaisants. Pourtant, ce corps d’élite n’a presque pas

participé aux combats depuis l’agression d’octobre, exception faite d’une seule compagnie

envoyée en renfort au Lieutenant Colonel Kamanzi à Gabiro en 1991, lors d’une importante

incursion de rebelles. Il semble que la Garde présidentielle échappe au contrôle de l’état-

major qui ne la compte même pas parmi les unités de réserve, car même aux moments les plus

noirs de la mi-octobre 1990, on a failli dégarnir le secteur de Nyagatare en faisant venir le

bataillon para vers Gabiro. C’était donc plus une garde prétorienne qu’une unité ordinaire de

l’armée.

Par contre, il semble que certaines unités étaient volontairement affaiblies comme le bataillon

Huye dont les meilleurs éléments étaient systématiquement mutés et remplacés par d’autres

beaucoup moins bons. Ce serait, pensait-on, les raisons des défaillances de cette excellente

unité au début du conflit. Heureusement pour le pays et le système républicain issu de la

Révolution de 1959 que les bataillons para et Mukamira, ainsi que le Centre d’entrainement

commando Bigogwe aient été solides car elles allaient constituer les pivots sur lesquels

allaient s’accrocher les fusiliers des autres bataillons. De même d’ailleurs la Bie AC et surtout

le bataillon de reconnaissance se montrèrent à la hauteur grâce essentiellement à son chef, le

Major BEMS Rwendeye qui donnera d’ailleurs sa vie pour le pays.

85

Si on pouvait prendre comme critère de qualité des unités les performances dans les

opérations sportives, on signalera à titre indicatif le 15°Pentathlon militaire qui se déroula du

18 au 24/08/1989 au cours duquel la première place revint au Camp Kimihurura (Garde

présidentielle), la seconde au Centre d’Entrainement Commando de Bigogwe et la 3° au

Bataillon Para Commando.

Quant à la valeur du commandement, nous avons jugé instructif de connaitre ce que pensent

les proches du FPR car leur opinion, au préalable élagué du verbiage extrémiste qui

l’accompagne souvent, peut permettre une certaine autocritique. Voici alors ce que nous

lisons dans l’une des brochures proches du FPR, le Patriote n°5 d’octobre 1990, p.14 :

« grosso modo, ceux-ci (les officiers rwandais) peuvent être sériés en deux catégories :

a) La première génération a été formée à la fin de l’ère coloniale. Elle a servi pendant

deux ans sous les ordres d’officiers blancs. Elle a participé avec un enthousiasme de

novice à la répression anti-UNAR et anti-tutsi vers la fin du mandat belge. Ce sont les

prétoriens de cette première génération qui tiennent les rênes du pays.

b) La 2°génération est d’apparition récente. Elle a bénéficié d’une formation assez

poussée, le plus souvent acquise à l’Ecole Royale des Cadets en Belgique ».

Effectivement, comme on l’a déjà signalé, l’Ecole d’Officiers a été créée en 1960 et le

« major » de la première promotion fut justement le Sous-lieutenant Habyalimana aujourd’hui

Chef de l’Etat et commandant suprême de l’armée. A peine sorties des rangs de l’école, ces

jeunes officiers durent affronter le terrorisme « Inyenzi » avec un enthousiasme de novice,

comme l’affirme l’auteur de ce texte.

On se souviendra par exemple de la journée du 21/12/1963 quand les lieutenants Nyatanyi,

Ruhashya et le sous-lieutenant Buregeya arrêtèrent avec leurs pelotons l’attaque des Inyenzi

de Rukeba, son fils Jean Kayitare, Kabalisa et Sayinzoga au pont de Kanzenze, à 20 km de

Kigali. Il est vrai également que certains de ces officiers se sont dans la suite lancés dans des

affaires parfois louches mais à l’heure qu’il est, très peu sont encore en place dans l’armée, la

plupart ayant déjà été pensionnés.

La 2ème

génération d’officiers a fait également l’Ecole d’Officiers et plus tard l’Ecole

Supérieure Militaire. Certains d’entre eux ont pu poursuivre leurs études en Occident,

notamment en France (grade de BEMS), aux USA (grade de CGSS), en Allemagne (grade

d’ingénieur de guerre) mais la plupart ont fréquenté la célèbre Ecole de guerre de Bruxelles

d’où ils sont sortis brevetés d’Etat- Major (BEM). Quelles sont les relations entre les deux

catégories d’Officiers ? Le même article paru dans le Patriote n°5 poursuit en ces termes « Sur

ces deux générations d’Officiers rwandais s’articulent des antagonismes importants. Les gens

de la première génération sont autant ambitieux que ceux de la 2ème

sont extravagants.

Cependant, les plus jeunes dans la seconde génération sont, on l’a vu, nantis d’une formation

supérieure et donc plus enclins à avoir un minimum de conception de l’Etat dont leurs aînés

sont complètement dépourvus. Mais les plus jeunes ne peuvent pas réagir contre le statu quo

en l’absence d’un catalyseur extérieur. Pour l’instant, ils se contentent de gérer la situation

qu’ils savent pourtant définitivement compromise. Peut-on raisonnablement compter sur ces

« jeunes Turcs » pour transformer dans le meilleur sens l’orientation politique nationale ?

86

Espérer cela à court ou même à moyen terme, c’est aller bien vite un besogne. Car cette

deuxième génération bien que nanti d’instruments conceptuels et d’analyse n’est pas du tout à

l’abri des abus, du gâchis et d’appât du lucre ».

Quand on analyse ce texte, on se rend compte que le FPR redoutait cette 2°génération

d’officiers dont il aurait bien voulu faire des alliés. Il avait bien raison d’en avoir peur car ce

seront justement les Nsabimana, Ntabakuze, Kamanzi, Ndengeyinka, Kabiligi, Rwabalinda

Bizimungu et autres Rwendeye qui bouleversèrent les projets initiaux du FPR et enfin de

compte sauvèrent pour un moment les acquis de la Révolution de 1959. D’ailleurs, la situation

militaire sur le terrain se rétablissait partout quand ces officiers prenaient la direction des

opérations.

Disons enfin avec Monsieur de Bellefroid que la coopération militaire de la Belgique joua un

rôle de premier plan dans la formation de ces officiers et c’est d’ailleurs l’un des quelques

rares actes positifs accomplis par la Belgique dans le cadre de sa coopération bilatérale avec le

Rwanda. En effet, malgré les sommes faramineuses que nous présentent les statistiques, la

coopération de la Belgique avec le Rwanda est restée très peu efficace, étant en réalité

« belgo-belge » comme l’affirma l’ex-ministre Charles Nyandwi.

A l’Ecole Supérieure Militaire par contre, cette coopération a été efficace car elle a permis la

formation de cadres officiers très motivés. A travers un système compliqué de parrainage et

d’arbre généalogique remontant à la première promotion, un esprit d’équipe et de fraternité a

pu être maintenu entre les officiers qui, dans l’ensemble ont été à la hauteur de leur mission,

malgré les clivages résultant de l’ethnisme et du régionalisme.

Le commandement de l’Ecole Supérieure Militaire (E.S.M.) et donc de l’Etat-major était

d’ailleurs conscient des menaces qui pointaient à l’horizon car la 25°promotion n’a sorti que

20 officiers contre 47 pour les 26°, 27° et 28° promotions. La 29°promotion qui venait de

passer au grade d’adjudant quand la guerre a éclaté avait vu ses effectifs portés à 150

personnes, ce qui avait fait dire à certains que l’armée rwandaise allait avoir plus d’officiers

que d’hommes de troupe. Il est justement possible de former un homme de troupe en quelques

semaines alors qu’il faut des années pour avoir un bon officier.

Signalons pour terminer que l’Ecole Supérieure Militaire avait organisé des Cours de

Commandants de Compagnie (C.C.C.), d’Officiers Supérieurs (C.O.S) par lesquelles tous les

officiers devaient obligatoirement passer pour accéder aux grades supérieurs. Telle était donc,

avec ses forces et ses faiblesses, l’armée qui allait contrer le déferlement des hordes de la

RPA.

Disons en résumé que sa force réside dans un cadre officier bien formé et motivé, ainsi qu’un

entrainement individuel satisfaisant de l’hommes de troupe, tout cela reposant sur une

tradition bien établie de bravoure et de patriotisme. Sa faiblesse se retrouvait d’abord dans un

effectif réduit, ensuite dans le fait que les divisions de la société s’étaient insidieusement

introduites en elle, sapant sa cohésion interne. En outre, après le coup d’état du 5/7/1973, le

nouveau pouvoir s’était évertué à se forger une légitimité en bâtissant une nouvelle idéologie

basée sur la paix et l’unité nationale, principes aussitôt battus en brèche par des pratiques de

87

népotisme et de concussion. Le massacre sauvage des dirigeants de la 1ère

République qui

avaient conduit la Révolution de 1959 acheva de désorienter le peuple.

En plus, les principaux épisodes qui avaient jalonné cette révolution et qui étaient auparavant

commémorés avec dévotion par le peuple furent relégués au second plan : on peut citer en

exemple l’anniversaire de l’Indépendance (le premier juillet 1962) qui fut remplacé par celui

du coup d’état du 05/07/1973 ! Tout cela avait conduit à un désarroi et un vide idéologique

car si beaucoup de gens pouvaient accepter de mourir pour la Révolution de 1959, très peu

étaient prêts à le faire pour celle « morale » du 05/07/1973, sauf peut-être ceux qui l’avaient

faite, et encore !

Enfin, faute de moyens, l’armée n’avait pas pu depuis déjà longtemps effectuer des

entrainements d’ensemble avec plusieurs unités pour évaluer son niveau opérationnel et

corriger les lacunes qui ne manqueraient pas d’être découvertes. Le dernier exercice

d’ensemble appelé « Arc en ciel voilé » s’est déroulé en 1989 mais il ne concernait que les

officiers supérieurs, donc sans grande portée pratique.

L’une des grandes faiblesses qui va se révéler d’une façon dramatique au cours des opérations

concerne les moyens de liaison radio qui étaient en fait inexistants. C’est ainsi que, faute de

pouvoir se reconnaitre, des unités entières en vinrent aux mains comme le 03/10/1990 à

Rwamagana entre la compagnie Ecole des Sous-officiers (ESO), Le C.I. Bugesera et le

Groupement de Rwamagana qui se canardèrent pendant des heures, ou encore le Bataillon

Mukamira qui faillit décimer le C.I. Bugesera le 17/10/1990 à Gabiro. Pour remédier à la

situation, on dut faire revenir de Belgique le Commandant Mugengararo qui menait des

études sur les transmissions radio.

Les faiblesses de l’armée rwandaise étaient donc réelles et le FPR en était bien informé : c’est

pour cela qu’il comptait les exploiter par une attaque foudroyante pour ne pas permettre la

moindre possibilité de redressement. Pourrait-on alors justement se faire une idée sur cette

Rwandese Patriotic Army (R.P.A.) qui déferla sur le Mutara le 01/10/1990 ?

2.1.2. Les combattants de la Rwandese Patriotic Army (RPA)

Nous avons déjà signalé que l’une des faiblesses d’un travail comme celui-ci réside dans le

fait qu’on ne peut relater les événements que d’un côté de la barrière : nous espérons alors que

des écrits émanant des milieux du FPR combleront les lacunes que ne manquera pas d’avoir

notre travail et qui transparaissent à travers les approximations dans les informations

disponibles.

Nonobstant cette réserve, on peut tout de même évaluer la force de la RPA. Nous estimerons

notamment ses effectifs à partir de renseignements glanés ici ou là et que nous essayerons

d’interpréter. Rappelons brièvement que l’histoire de la RPA remonte à 1979 lors de la

création du RANU qui, en 1986, se transforma en RPR avec sa branche militaire, la RPA. On

se rappelle qu’en 1981, beaucoup de réfugiés rwandais vivant en Uganda avaient rejoint la

lutte armée de Yoweri Museveni. Ils constituèrent le fer de lance de la NRA et ce sont eux qui

décimèrent les hordes indisciplinées du Général Tito Okello. Ils les poursuivirent jusque dans

88

leurs sanctuaires du Nord de l’Uganda, notamment dans le district de Gulu. Ainsi la NRA

comprenait un nombre impressionnant d’officiers d’origine rwandaise qui en coiffaient le

Haut Commandement et qui se lancèrent à l’assaut du Rwanda à la tête de leurs bataillons :

- Général-major Fred Rwigema, ancien Vice-ministre de la Défense, Commandant

en chef des opérations militaires dans le Nord de l’Uganda (Overall Operation

Commander). Il était le Commandant en Chef de la RPA à la tête de laquelle il sera

tué le 02/10/1990 à Kagitumba

- Général-major Mugisha, parait-il fils de Muntuwera, Commandant en chef de la

NRA (Army Commander). On ne l’a pas aperçu sur le théâtre des opérations au

Rwanda

- Major Pierre Bayingana, docteur en médecine, chef du Service médical de la NRA,

n°2 de la RPA avant sa mort à Lyabega le 23/10/1990

- Major Chris Bunyenyezi qui commandait la 2° brigade de la NRA. Il était

commandant des opérations au Mutara mais il fut tué à côté de son compagnon

Bayingana à Lyabega. Sa sœur Anne, fonctionnaire à la Banque Mondiale à

Washington, était enregistrée sur le quota de l’Uganda

- Lieutenant-colonel Adam Waswa, chef de logistique de la NRA ; il échappa de peu

à la mort dans le Parc de l’Akagera et la leçon lui suffit car on n’entendra plus

parler de lui dans les opérations

- Major Kaka, Commandant de la police militaire de la NRA, il dirigeait l’attaque

sur Gabiro. Blessé à Nyagatare, il aurait vraisemblablement succombé à ses

blessures dans un hôpital ugandais.

- Major Nduguteye, alias Kalisoliso, commandait les troupes délites de la NRA

appelées les « Marines » par analogie aux célèbres marines américains. Il fut

encerclé dans l’Akagera avec ses bataillons et, poursuivi par l’armée rwandaise, il

put s’échapper en laissant ses insignes et ses pièces à un cadavre pour faire croire à

sa mort. Il reprit le combat dans le secteur de Gatuna vers la mi-novembre.

- Major Paul Kagame, surnommé, dit-on, Pilate à cause de sa méchanceté, il était

chef du Service de Renseignement de la NRA. Au moment de l’attaque au Mutara,

il se trouvait aux études aux USA au « Command and General Staff Collège » à

Fort Levenworth (Kansas) mais il dut abandonner précipitamment ses études car il

avait été choisi comme Commandant en chef de la RPA en novembre 1990 aussitôt

que la mort de Fred Rwigema put être annoncée.

- Capitaine Byaruhanga : il a dirigé l’attaque sur Gatuna et Kaniga le 03/11/1990 ; il

aurait été tué pendant les combats de Kaniga

- Capitaine Kayitare : membre de la Garde présidentielle de Museveni, il a participé

à tous les combats au Mutara ; le 22/02/1991, il a dirigé le spectaculaire coup de

main sur Ruhengeri

- Capitaine James Gasana : encerclé dans l’Akagera avec cinq compagnies, il put

s’en échapper

- Capitaine Musitu : encerclé lui aussi dans l’Akagera, il fut tué le 13/11/1990 dans

la vallée située entre Gisanze et Gikoma dans le Mutara au cours d’un engagement

contre la compagnie Gitarama

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- Capitaine Bitamazire : sous les ordres de Nduguteye, il put s’échapper de

l’Akagera

- Lieutenant Gatsinzi : il fut tué le 07/11/1990 à Namuhemura où il dirigeait une

compagnie d’infanterie

- Lieutenant Alexis Rutaro, tué à Bushenyi le 13/11/1990

- Lieutenant Magango, de la 5°division de la NRA, il sera tué dans l’Akagera, près

du carrefour 3, crête 1370 dans un combat contre le Ce Cdo Bigogwe

- Lieutenant Karangwa, tué le 13/11 en compagnie de son chef, le capitaine Musitu

- Lieutenant John Garonda, intercepté et tué le 13/11 à Kagitumba par un élément du

bataillon Para alors qu’il tentait de passer en Uganda

- Lieutenant Alphonse Furuma, commissaire politique du FPR, c’est lui qui

conduisait les délégations de journalistes sur le front et qui leur donnait des

informations sur le FPR.

On peut ainsi se rendre compte que plusieurs ressortissants rwandais occupaient des postes

élevés dans la NRA. Un malaise demeure tout de même au tableau car ces officiers ont gagné

des grades aussi prestigieux en quelques 7-8 années (à partir de 1981) alors qu’il faut 18 ans

au moins à un officier rwandais qui n’a pas connu de retard pour atteindre le grade de

lieutenant-colonel. On serait donc tenté de les classer dans la catégorie de ces militaires

africains de pacotille dont les poitrines et les épaules sont couvertes de quincaillerie et qui

n’ont fait que ridiculiser les armées africaines. Mais il est permis de penser qu’ils avaient bien

gagné leurs galons sur le terrain au cours de la guerre de libration en Uganda. Ils payèrent

d’ailleurs largement de leurs personnes au cours de l’assaut du Rwanda car comme on s’en

rend compte, ils furent presque tous décimés au début des combats.

En ce qui concerne les effectifs de la RPA, il n’est pas facile de les estimer avec exactitude

mais on peut s’en faire une idée convenable. Déjà avant le conflit, le Gouvernement rwandais

avait suivi avec inquiétude le recrutement massif de rwandais dans la NRA et il en avait une

idée assez exacte. C’est pour cela que le 04/10/1990, le Colonel Rusatira Léonidas, Secrétaire

général au Ministère de la Défense, parla d’une troupe de 5 à 10 000 assaillants qui se

trouvaient dans la région du Mutara. En outre, le 08/10/1990, le Ministre des Affaires

Etrangères et de la Coopération, Monsieur Casimir Bizimungu affirma que le Rwanda avait

été attaqué par 10 000 hommes avant d’affirmer que ce chiffre pourrait doubler ou tripler, si

les recrutements à partir de l’armée ugandaise se poursuivaient.

Brigitte Hagemann affirma également qu’entre 8 et 12 000 guerriers tutsi se tiendraient en

réserve (La Croix-l’Evénement n°3274 du 05/10/1990). De même, le 08/10/1990, le Premier

Ministre belge, Monsieur W. Martens affirma croire savoir que les rebelles comptaient entre

5 et 7 000hommes qui pratiquaient une stratégie de « bush warfaring », la guerre des buissons.

D’après un fonctionnaire ugandais cité par l’A.F.P. le 04/10/1990, Fred Rwigema aurait

déclaré à ce fonctionnaire qu’il avait au moins 7 000 hommes à sa disposition. En outre,

d’après les renseignements recueillis par le Lieutenant-colonel Nsabimana, Commandant du

secteur de Ngarama (télégramme du 17/10/1990), Monsieur Museveni avait mis à la

disposition des rebelles quelques unités de la NRA pour une période allant du 17 septembre

90

au 17 octobre. A cette dernière date, la victoire des rebelles sur les forces rwandaises avait été

jugée certaine. Mais on n’en connait pas exactement l’importance.

D’autres sources par contre citent des chiffres moins élevés, comme l’A.F.P. qui dans une

dépêche du 09/10/1990 affirmait : « La plupart des rebelles sont des réfugiés rwandais ou

leurs enfants, membres de l’ethnie tutsi, minoritaires au Rwanda, qui ont fui leur pays après

les massacres en 1959 avec les Hutu, majoritaires. Environ 4 000 de ces 200 000 tutsi

installés en Uganda sont entrés dans l’armée ugandaise ». L’A.F.P. répétera ce chiffre à

plusieurs reprises.

La plupart de toutes ces statistiques se rapprochent en fait de celles du Ministère rwandais de

la Défense et on peut estimer que l’effectif de rwandais de la NRA oscille entre 4 000 et

10 000 combattants, ce qui malheureusement représente un intervalle trop grand. Nous serions

alors tentés d’affirmer avec Eric de Bellefroid que cet effectif devait se rapprocher de 7 000

hommes. La valeur exacte peut varier vers le haut car les recrutements, même de jeunes

garçons de 12-14 ans, se sont intensifiés en prévision de l’assaut du Rwanda. Ainsi donc les

quelques 5 000 – 6 000 soldats rwandais auront fort à faire si tous les rwandais de la NRA se

lancent à l’attaque !

Peut-on dès lors estimer la proportion de ceux qui partiront à l’assaut du 01/10/1990 ? Au

cours d’une rencontre avec les délégations étrangères en Uganda le 16/10/1990, le Président

Museveni, pour prouver qu’il n’était pas au courant de l’invasion du Rwanda, affirmera entre

autres choses : « Why didn’t all the Banyarwanda soldiers go ? Why should we send only a

few hundred, why didn’t we allow all of them to go?” C’est que depuis le début, Monsieur

Museveni maintenait avec force que le Rwanda avait été attaqué par quelques 500 rebelles,

tous les autres rwandais étant restés dans la NRA. Mais on aurait alors beaucoup de mal à

croire que des gens qui ne sont entrés dans la NRA que dans l’éventualité de leur prochain

retour en force au Rwanda se soient abstenus de remplir leur rêve le plus cher, à savoir rentrer

dans leur pays en position de force.

Il est vrai qu’en décembre 1990, Monsieur Museveni promulgua un décret chassant les

rwandais de la NRA mais nous pensons qu’en réalité il ne devait pas en rester beaucoup.

Quant à leur équipement, beaucoup d’observateurs neutres parlèrent d’automitrailleuses

blindées, de canons sans recul, de mortiers de 120 mm, de Katioucha…, bref d’un armement

moderne. Effectivement, on verra dans la suite qu’à Lyabega par exemple, l’armée rwandaise

capture des mortiers, des canons bitubes et même un lance-roquette multiple Katiousha appelé

communément « orgue de Staline » qui avait jeté l’effroi dans les rangs d’une armée

rwandaise médusée. Pourtant, dans la rencontre avec les diplomates, Monsieur Museveni

affirma sans vergogne : « Why should we have given these boys only small calliber guns ?

They went to invade with only personnal weapoms, sub-machines guns, a heavy machine gun

here and here. Why didn’t we give them bigger caliber guns to ensure that they succeed?”

Pour lui, les assaillants n’avaient que des armes légères et s’il avait participé à l’opération, il

leur aurait livré des armes suffisantes pour assurer leur succès.

91

Ainsi donc, pour autant qu’on puisse se fier aux sources utilisées, la RPA était composée

d’environ 7 000 hommes bien équipés et surtout bien rodés dans la technique de la guérilla et

même de la guerre classique. Cet avantage considérable, joint à l’effet de surprise, lui assurera

ses premiers succès mais, faute d’un appui massif de la population, ces avantages

s’effilocheront au fur et à mesure que l’armée rwandaise terminera son baptême de feu. Il faut

ajouter en outre à ces éléments le produit du recrutement massif effectué dès le début des

hostilités dans les écoles primaires, secondaires et même dans les universités en Uganda, au

Burundi, au Zaïre et en Tanzanie : ces institutions se vidèrent de leurs populations rwandaises

au profit de la RPA.

Dans le New Vision du 18/10/1990, le Major Pierre Bayingana affirma que des rwandais qui

servaient dans l’armée kenyane avaient eux aussi rejoint la RPA. Les Chefs de cette armée

tentèrent enfin de retourner les prisonniers rwandais capturés au combat, au mépris

évidemment des conventions internationales qui interdisent ce genre de pratique. Le

Lieutenant Alphonse Furuma affirma que l’intention de la RPA était de tuer en eux leur

volonté de faire la guerre aux rebelles. Certains de ces prisonniers déclarèrent à des

journalistes ugandais qu’ils étaient prêts à combattre dans les rangs de la RPA (New Vision

du 15/10/1990) et d’après le journaliste Teddy Sseezicheeye qui avait visité la zone contrôlée

par la RPA, le Major Chris Bunyenyezi se vantait d’avoir parmi ses gardes du corps un soldat

rwandais retourné (Topic n°43 du 02/11/1990). Nous ne pouvons savoir à l’heure qu’il est si

des militaires rwandais ont accepté de servir dans la RPA mais il serait pour le moins étonnant

qu’ils l’aient fait de gaîté de cœur.

C’est que le FPR était confronté à un grave problème de recrutement et il était prêt à recourir

à tous les subterfuges pour avoir des combattants. En effet, si on accepte l’hypothèse d’un

recrutement optimal des réfugiés rwandais vivant en Uganda (± 200 000 hommes en

arrondissant vers le haut) à l’instar de l’Irak où un citoyen sur 17 était militaire en 1990, la

RPA pouvait disposer de 11 764 soldats. En comptant tous les réfugiés rwandais, ce chiffre

pourrait monter à 26 500 combattants. Quand on sait que les conditions de vie en Afrique ne

permettent pas une telle optimisation du recrutement étant donné le nombre élevé d’inaptes,

on se rend compte que les problèmes de manque d’effectifs paralyseront à la longue les

activités du FPR, ou alors il sera obligé de recourir à des éléments n’ayant pas les mêmes

motivations avec tous les risques que cela comporte ! Le seul vivier inépuisable se trouverait

alors parmi les Tutsi restés au Rwanda mais cette hypothèse est à exclure étant donné les

dangers que cela comporterait pour les Tutsi.

2.1.3. L’environnement régional

Lors de l’agression du 01/10/1990, le Rwanda appela à l’aide tous les pays amis mais, à

l’exception de la Belgique et de la France qui envoyèrent des contingents pour protéger leurs

ressortissants, seul le Zaïre envoya des unités avec la possibilité d’intervention directe si

nécessaire. Quelle était alors l’image du Rwanda sur l’échiquier de la géopolitique régionale?

Il est évident que des documents sur une période aussi « actuelle » ne sont pas encore

accessibles mais on peut se permettre de faire des supputations qui, sans aucun doute, se

92

rapprochent de la réalité. Nous n’avons pas jugé nécessaire de traiter de l’Uganda dans ce

paragraphe car sa position vis-à-vis du Rwanda transparaît tout au long de ce récit.

2.1.3.1. Le Zaïre et le Kenya, les deux alliés régionaux du Rwanda

Ces deux pays prirent des positions claires vis-à-vis de l’agression dont le Rwanda venait

d’être la victime, agression qu’ils condamnèrent sans ambiguïté, comme le Zaïre qui alla

jusqu’à envoyer des renforts en hommes.

Le cas du Zaïre peut aisément se comprendre car le Rwanda et le Zaïre font partie avec le

Burundi de la Communauté Economique des Pays des Grands Lacs, un ensemble ayant pour

objectif ultime une intégration régionale entre les trois pays. D’ailleurs, ces pays avaient signé

une série d’accords destinés à assurer la sécurité sur leurs frontières communes.

En outre, en plus de ces textes, le Rwanda et le Zaïre avaient signé le 12/3/1985 à Gdabolité le

traité d’accord confidentiel n° 129-42/ZA- RWA 85 qui prévoyait une assistance mutuelle en

matière de défense et de sécurité. L’article 12, paragraphe 2 de ce traité prévoyait que « les

militaire de l’armée zaïroise pénètrent sur le territoire rwandais pour besoin de renfort

chaque fois que le territoire rwandais est menacé. L’entrée avec les armes est autorisée » ….,

le contenu de cet article ayant une valeur de réciprocité. Il n’est donc pas surprenant que

l’armée zaïroise ait répondu aussi vite à l’appel du Rwanda.

Par contre, il n’y avait aucun accord de ce type entre le Rwanda et le Kenya et à première vue,

le Kenya n’était pas directement concerné par les problèmes du Rwanda. Mais ce serait

oublier que le Kenya a été lui-même menacé à plusieurs reprises par l’Uganda, spécialement

lors de la lutte de l’Uganda contre la prêtresse Alice Lakwena dans l’Est du pays en 1987.

Celle-ci s’était réfugiée au Kenya avec une partie de ses hommes et une brouille entre les

deux pays s’en était suivie. C’est pour cela que l’attaque du Rwanda par les éléments en

provenance de l’Uganda concernait le Kenya au premier chef, étant donné le risque de

déstabilisation que cette opération pouvait provoquer dans la région.

C’est ce qu’affirma publiquement le 13 octobre 1990 Mr Joseph Kamotho, Secrétaire Général

du Kenya African Union (KANU) et Ministre des Transports et des Communications qui

condamna fermement l’ingérence de l’Uganda dans les affaires intérieures du Rwanda.

D’après Mr Kamotho, deux raisons rendent cette flagrante ingérence dans les affaires

intérieures du Rwanda particulièrement ennuyeuse. D’une part, le chef de l’Etat ugandais

Yoweri Museveni est président en exercice de l’OUA, ce qui devait le contraindre à jouer un

rôle modérateur ou de médiation au sein des états membres. S’il commence à se ranger aussi

ouvertement d’un côté dans un conflit interne d’un autre pays, alors le Président Museveni ne

remplit plus son rôle modérateur sur le continent.

D’autres parts, affirma Monsieur Kamotho, l’Uganda a signé avec les pays de l’Afrique de

l’Est un traité engageant ses Etats à ne pas héberger ni soutenir des éléments cherchant à

déstabiliser leur pays. Ainsi, l’Uganda viole ce traité en soutenant des éléments subversifs qui

s’entrainent à des actions de guérilla dans plusieurs pays voisins, notamment le Kenya. Pour

lui, le Kenya est lui aussi menacé par la politique aventureuse de Museveni et c’est dans ce

93

cadre que le Secrétaire Général de la KANU exprime la sérieuse inquiétude de son parti après

les événements du Rwanda, non seulement pour ces deux raisons évoquées plus haut mais

aussi parce que le Président rwandais Juvénal Habyalimana est un ami solide du Kenya.

Dans la même perspective, le 15/10/1990, le Président kenyan Arap Moï ordonna le

rapatriement des réfugiés rwandais du Kenya peu de temps avant d’engager des conversations

avec le Président rwandais à Nakuru, à quelques 160 km à l’ouest de Nairobi. Le Président

Arap Moï annonça cette décision au cours d’un rassemblement au stade de Nakuru peu avant

l’arrivée de Habyalimana. Il affirma que le Kenya n’accordera plus l’asile à tout réfugié dont

il sera prouvé qu’il est engagé dans des activités de déstabilisation du régime de son pays

d’origine. Il demanda alors au HCR de rapatrier ou d’installer ailleurs les réfugiés rwandais se

trouvant au Kenya qui se sont engagés dans des activités répréhensibles dans leurs pays.

2.1.3.2. La Tanzanie et le Burundi, une neutralité hostile ?

Au cours du conflit rwandais, ces deux pays ont fait preuve d’une certaine neutralité mais

sans éprouver beaucoup de sympathie envers le régime rwandais, le Burundi allant d’ailleurs

jusqu’à pratiquer peut-être un double jeu. Nous allons tenter d’illustrer cette assertion par

quelques aspects qui permettent au lecteur de se faire une opinion lui-même.

Sous l’impulsion du Président Yulius Nyerere, la Tanzanie s’est faite une réputation bien

établie dans le monde entier d’un pays qui s’est cherché une voie propre basée sur le

socialisme de type « ujamaa », sur la solidarité africaine, sur la lutte contre l’impérialisme.

Monsieur Louis de Guiringaud, Ministre français des Affaires Etrangères sous Giscard

d’Estaing, en fera l’amère expérience en 1979, lors d’une visite à Dar-es-Salaam. En plus, les

pratiques courantes en Afrique comme la corruption, le népotisme, l’étalage de richesses mal

acquises, le tribalisme, … ont pu être efficacement contenues dans ce pays, même si les

résultats économiques du socialisme tanzanien furent une catastrophe. Ce pays avait donc

acquis un certain respect de la légalité et le Président Nyerere avait horreur de ces coups

d’états devenus monnaie courante en Afrique. Vis-à-vis de ses voisins, la Tanzanie faisait

figure de géant d’autant plus craint qu’il évitait soigneusement de se mêler des problèmes

internes de ses voisins et qui souvent laissait passer certaines provocations mais qui réagissait

avec détermination quand il le fallait comme en fit l’amère expérience le pitre Amin Dada.

A l’époque du Président Kayibanda, le Rwanda entretint des relations privilégiées avec la

Tanzanie. Ce pays avait d’ailleurs accepté d’accueillir et d’établir un million de citoyens

rwandais. C’est ainsi que lors de l’affaire Schramme et ses mercenaires qui avaient occupé la

ville de Bukavu au Congo et qui, vaincus, s’étaient réfugiés au Rwanda en 1969, le Président

Nyerere fut pratiquement le seul en Afrique à soutenir Grégoire Kayibanda qui refusait de

livrer les transfuges au Général Mobutu. Les relations de Mobutu avec Grégoire Kayibanda

ne furent jamais très chaudes, alors que celui-ci était un ami personnel de Nyerere

Dans ces conditions, la Tanzanie n’approuva jamais le coup d’état du 05/07/1973. Celui-ci

suivait d’ailleurs de peu celui que venait d’effectuer en Uganda Idi Amin Dada et la Tanzanie

se sentait encerclée par des régimes militaires avec à leur tête des individus parfois

grotesques. La Tanzanie n’éprouvait pas la moindre sympathie pour le régime Habyalimana et

94

cela fut aggravé par le massacre sauvage de toute l’équipe dirigeante de la 1ère

République,

dont le Président Kayibanda lui-même. Plus récemment encore, quand les pays africains

élirent un nouveau Secrétaire Général de l’OUA en 1989, le Rwanda donna sa voix au

candidat du Gabon alors que la Tanzanie avait présenté Salim Ahmed Salim qui fut élu ! Les

Tanzaniens le surent et n’oublièrent pas. En fait, la diplomatie rwandaise avait oublié que le

Gabon se trouve à plus de 2 000 km alors que la Tanzanie se trouve tout juste à côté.

Par réalisme politique, la Tanzanie maintint avec le Rwanda ses relations habituelles de

coopération, mais celle-ci ne furent jamais chaudes et ainsi le dossier du transfert de

populations fur enterré, la Tanzanie posant des conditions impossibles. Elle expulsa d’ailleurs

début 1990, sans la moindre pitié, des milliers de paysans rwandais qui, chassés par la famine,

avaient tenté de s’installer clandestinement en Tanzanie. C’était peut-être la première fois que

ce pays transgressait son principe de solidarité africaine.

C’est ce climat qui régnait entre les deux pays lors de l’agression d’octobre 1990. Il était

prévisible que même si la Tanzanie n’allait sans doute pas soutenir les agresseurs, il ne fallait

pas s’attendre à un soutien quelconque de sa part en dehors des relations d’affaires

habituelles. C’était en fait déjà beaucoup car lorsque la principale voie d’approvisionnement

du Rwanda par l’Uganda fut bloquée, c’est par la Tanzanie que le Rwanda put rester en

contact avec les ports de Mombasa et de Dar-Es-Salaam, ce pays allant jusqu’à fournir des

escortes pour assurer la sécurité des convois. En outre, la Tanzanie joua un rôle non

négligeable en servant de terrain de rencontre entre le Président rwandais et Monsieur

Museveni mais elle n’alla jamais jusqu’à condamner l’implication de l’Uganda dans le conflit.

N’oublions pas que Museveni avait fait ses études à l’Université de Dar-es–Salaam vers la fin

des années1960 avec la plupart des dirigeants actuels de la Tanzanie, dont Salim Ahmed

Salim, actuel Secrétaire Général de l’OUA. L’Université de Dar-es-Salaam était alors le

principal foyer de propagation des idées dites progressistes et panafricanistes, pour ne pas dire

révolutionnaires. En tout cas, la plupart des responsables tanzaniens ont été des condisciples

de Museveni, si non ses amis et il serait illusoire de s’attendre à ce qu’ils le condamnent.

Les rebelles du FPR tentèrent évidemment d’utiliser cette amitié pour attaquer le Rwanda à

partir du territoire tanzanien mais ils ne purent jamais y arriver car la Tanzanie s’y opposa

avec la dernière énergie. Nous allons illustrer cet aspect à partir de quelques exemples.

Quand une partie des combattants de la RPA fur encerclés dans le Parc de l’Akagera, ils

utilisèrent le territoire tanzanien pour essayer de se ravitailler ou de s’enfuir. Mais le

04/11/1990, le Groupe mobile de la Gendarmerie Nationale rwandaise qui participait au

ratissage dans l’Akagera informa l’Etat-major de la Gendarmerie que 37 rebelles qui étaient

parvenus à traverser l’Akagera sur un pont flottant furent tués par l’armée tanzanienne qui,

apparemment, contrôlait la frontière. De même, toutes les tentatives de détruire le pont de

Rusumo reliant le Rwanda à la Tanzanie furent déjouées grâce à la vigilance des tanzaniens.

Malgré cette vigilance, la RPA put recruter de nombreux soldats en Tanzanie, notamment

parmi les réfugiés rwandais résidant à Mwanza en Tanzanie. D’après les renseignements

recueillis par la position Cyamutara (Armée rwandaise), le 06/11/1990, environ 600 recrues

95

en provenance de Mwanza furent embarquées vers l’Uganda par le Lac Victoria. Ils furent

entrainés en Uganda par quatre commandos d’élite de la NRA avant de chercher à entrer au

Rwanda par l’itinéraire de Bukoba, Kiyaka et Karagwe, avec comme objectif la destruction du

pont de Rusumo. Leur ravitaillement était assuré par des commerçants rwandais réfugiés en

Tanzanie, entre autres Sasaba, Kabayiza Alphonse alias Sénégalais, Kidule, Kajyambere,

Nyilinkindi, Kayihura… Cependant, certains rebelles étaient interceptés par les Tanzaniens.

Ainsi le 15/11/1990, 400 combattants de la RPA furent arrêtés au Karagwe pour être

emprisonnés à Shinyanga en Tanzanie, comme l’affirma le lieutenant tanzanien chef du

détachement qui gardait la douane et le pont de Rusumo.

Disons enfin que la Tanzanie qui avait commencé à chasser les paysans rwandais installés

illégalement suspendit l’opération à la demande du Rwanda qui redoutait que des assaillants

ne s’infiltrent dans ce type particulier de réfugiés pour entrer au Rwanda et perpétrer des actes

de sabotage. Ces paysans seront chassés dans la suite quand la situation se fut stabilisée au

Rwanda.

Om peut donc conclure que la Tanzanie qui ne nourrit aucune sympathie à l’égard du régime

rwandais, a pratiqué une politique de neutralité dans l’ensemble favorable au Rwanda, une

neutralité qui ne peut donc pas être qualifiée à proprement parler d’hostile.

Par contre, la position du Burundi fut beaucoup plus ambigüe. On se rappelle que

contrairement à ce qui s’est passé au Rwanda, la minorité tutsi put se maintenir au pouvoir au

prix de massacres encore plus horribles qu’au Rwanda. Normalement, le Burundi ne verrait

pas d’un mauvais œil le renversement du pouvoir hutu au Rwanda et son remplacement par

une équipe tutsie. Ce serait alors une épée de Damoclès en moins, l’exemple du Rwanda étant

une invitation permanente aux Hutu du Burundi à se révolter. En tout cas, les relations entre

ces deux pays n’ont jamais été vraiment sincères, étant donné que trop de choses les opposent.

Ainsi les premières attaques Inyenzi se sont effectuées avec le soutien du Burundi qui avait

comme objectif l’instauration d’un pouvoir tutsi au Rwanda.

Au moment où le conflit éclata au Rwanda, le Burundi s’est retrouvé dans une position peu

confortable et franchement embarrassante. C’est que la première réaction du Burundi serait de

soutenir les assaillants en leur permettant d’ouvrir un autre front au Sud et enlever ainsi cette

épine plantée au Nord du Burundi. Seulement, c’était une arme à double tranchant car en cas

d’échec, le Rwanda n’aurait plus de raison de ne pas soutenir ouvertement les Hutu du

Burundi qui ne cherchaient que l’occasion de se révolter. Dans ces conditions, les Tutsi du

Burundi seraient sur des charbons ardents, car les éventuels guérilléros futurs du Burundi se

déplaceraient dans la population comme un « poisson dans l’eau » : le pouvoir tutsi serait

alors sur le grill !

Il faut ajouter à cela les informations faisant état de la volonté de Museveni de créer un

empire « Hima » englobant l’Uganda, le Rwanda, le Burundi et le Kivu zaïrois. A la tête du

Burundi serait placé l’ex-président Bagaza, chassé du pouvoir en 1987. Ces perspectives ne

faisaient qu’inquiéter les autorités du Burundi qui choisirent de rester officiellement neutres

en invoquant les accords conclus entre les deux pays et le fait d’appartenir aux mêmes

Organisations régionales.

96

Ainsi le territoire du Burundi ne servit jamais de base arrière au FPR pour attaquer le Rwanda.

Le Burundi offrit même ses bons offices pour régler le conflit et on vit Monsieur Fridolin

Hatungimana, un Hutu, Secrétaire d’Etat à la Coopération, prendre son bâton de pèlerin pour

tenter de résoudre le conflit rwandais. Mais en même temps, des facilités considérables étaient

discrètement accordées aux menées du FPR. C’est ainsi que la RPA, décimée en grande partie

au Mutara, vit ses rangs renfloués par de nouvelles recrues en provenance du Burundi, au vu

et au su des autorités.

Ensuite, bien que le droit de manifestation ne soit reconnu aux nationaux du Burundi, les

réfugiés rwandais purent manifester contre l’Ambassade de Belgique au Burundi le

10/10/1990. Ces mêmes réfugiés distribuèrent partout des tracts vilipendant le Rwanda et des

photos souvenirs de Fred Rwigema furent vendues comme des objets sacrés. De même, le

08/11/1990, la Compagnie Cyangugu apprit d’un tailleur de Bujumbura que celui-ci était

engagé depuis 15 jours dans des ateliers de réfugiés rwandais pour confectionner 5 000 tenues

militaires pour la RPA.

D’après une lettre ouverte adressée au Chef de l’Etat du Burundi par un groupe de 10 Hutu et

datant du 31/12/1990, des centres d’entrainement furent clandestinement accordés à des

recrues du FPR à Kwibuye-Rukoko dans la vallée de la Rusizi, dans la forêt de Gihanga, dans

la commune de Ruhoro en Province de Gitega… Les recrues auraient été encadrées par des

officiers de l’armée du Burundi. Cependant, nous n’avons pas pu trouver de preuve matérielle

de ces entrainements, sauf peut-être ces renseignements obtenus par la Compagnie Cyangugu

auprès d’un fraudeur qui faisait la navette entre Bujumbura et Cibitoke.

D’après lui, près de 2 500 hommes subissaient un entrainement intensif sur les collines de

Nyamitanga et Rukoko en commune Gihanga, Province de Bubanza, c’est-à-dire aux mêmes

endroits signalés par la lettre ouverte précitée. Ainsi donc, le Burundi, ne pouvant se décider à

soutenir officiellement les assaillants, choisit de jouer un double jeu. Des recherches

ultérieures préciseront sans doute ces affirmations qu’il faut bien l’avouer, ne reposent pas

pour le moment sur des éléments suffisamment solides.

En tout été de cause, on peut conclure que le problème ethnique au Rwanda et au Burundi

ainsi que la présence dans la région de réfugiés provenant de ces deux pays, s’il n’est pas

rapidement résolu, restera une source permanente de déstabilisation régionale. Aucune forme

d’intégration ne sera par exemple possible tant que ce problème subsistera et il lui faut une

solution globale car il serait illusoire de vouloir le résoudre localement.

97

2.2. De Kagitumba à Lyabega.

Cette période va du 1er

octobre 1991 au 23 octobre et correspond approximativement à la

période du succès du FPR avant le grave revers de Lyabega. C’est en effet pendant cette

période que la RPA, poussant une armée rwandaise sous le choc du baptême du feu, atteindra

les hauteurs de Nyakayaga près de Kiziguro, la route vers Kigali semblant dès lors ouverte.

Mais la mort de Fred Rwigema paralysa la RPA pendant un temps très précieux. Cela permit à

l’armée rwandaise de se restructurer et de contrattaquer, galvanisée par de jeunes chefs qui

étaient encore indemne de l’épidémie de corruption et d’affairisme qui paralysait le Rwanda.

Il faut également noter que l’arrivée de contingents français, belges et zaïrois revigora l’armée

rwandaise, même si, exception faite des zaïrois, ces éléments n’avaient pas de mission de

combat.

2.2.1. Le baptême du feu de l’armée rwandaise

Les spécialistes nous disent que toutes les armées du monde, après une certaine période de

paix, quel que soit leur niveau d’instruction initial, subissent toujours un baptême du feu au

début des opérations. Pendant ce temps, à l’exception de quelques cas isolés, le comportement

des unités laisse souvent à désirer, avec parfois même des épisodes franchement honteux.

L’armée rwandaise n’échappait pas à la règle et ce chapitre se propose de relater les péripéties

correspondant à son baptême du feu.

Ajoutons également cette réflexion du Général chinois Se Ma qui écrivait au 4°siècle avant

Jésus-Christ que « l’homme, quel qu’il soit, n’est jamais bien aise de mourir lorsqu’il peut,

sans ignominie, conserver encore des jours qui ne lui sont point à charge. La vertu, la valeur,

l’amour du devoir, de gloire et de la patrie peuvent bien lui faire affronter les périls et la

mort, mais il gardera toujours dans le fond de son cœur cette répugnance naturelle ». (Cité

d’après Emile Wanty, 1967)

2.2.1.1. La prise de Kagitumba : pourquoi le Mutara ?

Le 1er

octobre 1990 à 9 heures du matin, une troupe d’environ 500 personnes se présenta à la

douane de Kagitumba au Mutara. L’adjudant Gasore, qui commandait le peloton de 30 soldats

qui gardaient cette position, se figura qu’il s’agissait d’éléments de la NRA en manœuvres et

qui venaient, comme cela se faisait souvent auparavant, vider quelques bouteilles de bières

Primus ou Mutzig, ces bières étant très renommées en Uganda. L’adjudant Gasore, parti

accueillir les nouveaux arrivants, fut rapidement neutralisé et un feu d’enfer s’abattit sur la

garnison rwandaise qui fut vite dispersée. Mais l’opérateur-radio de la garnison avait eu le

temps de lancer un message de détresse qui fur capté dans beaucoup de camps militaires,

surtout celui de Cyangugu.

L’émoi fut grand dans toutes les unités car si l’attaque imminente du Rwanda par les réfugiés

était devenue un secret de polichinelle, personne n’y croyait vraiment, étant donné que

comme toujours dans ces circonstances, on se persuade que le malheur n’arrive qu’aux autres.

Les combattants de la RPA passèrent la journée du 1er octobre à consolider la tête de pont de

Kagitumba pendant que le tocsin était sonné dans toutes les garnisons de l’armée rwandaise.

98

Ainsi donc l’irréparable venait de s’accomplir et tout un cortège de malheurs allait s’abattre

sur le Rwanda, s’ajoutant aux préoccupations quotidiennes du paysan rwandais, la misère et la

faim.

Mais pourquoi choisir le Mutara alors que pratiquement toutes les frontières du Rwanda

étaient ouvertes ? En effet, depuis 1989, des unités de la RPA avaient pénétré à plusieurs

reprises au Rwanda pour tâter le terrain. Elles avaient notamment parcouru tout le Mutara,

volant du bétail, pillant des boutiques, rançonnant la population et brulant le Parc de

l’Akagera. Le Major Hakizimana, commandant du Camp Gabiro, pensait qu’il s’agissait de

bandes de pillards échappés de la NRA. C’est pour tenter de les contrer que l’Etat-major avait

installé des détachements aux principaux point de passage comme Kagitumba, Nyagatare…

Les mêmes exactions avaient été commises en commune Butaro et dans la région de Byumba.

Les responsables de la RPA avaient dû conclure que les frontières du Rwanda, si non tout le

Rwanda, étaient une passoire car tous ces actes de provocation n’alertèrent personne. Cette

constatation embarrassa en fin de compte les dirigeants de la RPA qui devaient adopter la

stratégie à employer ainsi que le point d’attaque. En effet, ils avaient le choix entre deux

alternatives également alléchantes, la guerre classique ou la guérilla. La technique de la

guérilla aurait été surtout défendue par le Major Bayingana ; des bruits ont d’ailleurs couru

qui affirmaient que cette façon de voir avait été à la base de divergence, voire de conflit avec

le Général Fred Rwigema.

Si on en croit un article incendiaire paru dans Impuruza n°14 de juin 1989, pour autant que ce

texte reflète le point de vue du FPR, la guérilla au Rwanda devait recourir au sabotage

systématique de toutes les infrastructures économiques, puisque celles-ci ne profitent qu’à une

infime minorité qui ne représente même pas 1% de la population totale. On commencerait

d’abord par bruler le Parc National de l’Akagera, (10% du territoire national) qui avait été

réservé aux fauves et aux Blancs qui s’en délectent, alors qu’une partie des citoyens continue

à errer. Les guérilleros s’en prendraient ensuite aux voies de communications qui relient le

Rwanda au monde, ceci étant facilité par le fait que le Rwanda est enclavé et ces mêmes voies

ne sont pas nombreuses : Gatuna et Kagitumba vers l’Uganda, Rusumo vers la Tanzanie et

Akanyaru vers le Burundi. D’après l’auteur de ce texte, cette stratégie n’exigerait pas de gros

moyens alors que les résultats ne tarderaient pas à être recueillis ; en effet, les dirigeants

seraient vite désemparés, après tous ces actes de sabotage. C’est donc cette stratégie que

privilégiait une partie de l’Etat-major de la RPA.

Une autre partie par contre, préférait une attaque directe qui viserait la capitale Kigali. Les

tenants de cette option mettaient en exergue les difficultés de la guérilla quand la population

est hostile alors que la RPA pouvait disposer d’effectifs et d’un armement supérieur à ceux de

l’armée rwandaise, de même d’ailleurs que cette expérience du combat souvent si décisive au

début des conflits. Le problème était de choisir judicieusement la zone d’attaque.

Le Colonel Kanyarengwe fit valoir l’avantage de déferler des volcans pour s’emparer de

Ruhengeri et donc de Gisenyi ainsi isolé. Monsieur Kanyarengwe exploiterait alors sa

popularité encore intacte dans cette partie du Rwanda pour ressembler un armée de partisans

et marcher irrésistiblement sur Kigali, même si le terrain est plus favorable à la défense qu’à

99

l’attaque. On fit poliment savoir au Colonel Kanyarengwe qu’une attaque de Kigali à partir de

Ruhengeri prendrait nécessairement beaucoup de temps étant donné un relief tourmenté. En

plus, la population de cette région, composé essentiellement de hutu farouchement hostiles à

une alliance avec le FPR, rendrait difficile la progression de la RPA.

On comprend aisément que les raisons profondes ne sont pas celles qui ont été avancées. En

réalité, le Colonel Kanyarengwe, une recrue de fraiche date qui ne disposait pas de la moindre

influence au sein de la RPA composée exclusivement de tutsi, aurait voulu attaquer par

Ruhengeri pour recruter ses propres partisans et contrebalancer le monopole tutsi et même

pourquoi pas, en venir aux mains contre ses anciens alliés, une fois le régime Habyalimana

anéanti. Il est en effet difficile de croire à la sincérité de la métamorphose du Colonel

Kanyarengwe, jadis viscéralement anti-tutsi. Les responsables du FPR qui n’étaient pas dupes

mais qui avaient momentanément besoin du lui pour montrer au monde que leur mouvement

était multiethnique, ne pouvaient évidement pas souscrire à ses projets. La possibilité

d’attaquer par Gatuna et Byumba, la voie la plus proche de Kigali, fut également abandonnée

pour les même raisons de difficulté du terrain et de populations hostiles.

Finalement, le point de vue de Fred Rwigema qui préconisait une attaque-éclair par le Mutara

prévalut. Le Général Rwigema mit en évidence les avantages de l’attaque par le Mutara où la

population était en partie favorable, étant donné le fort taux de Batutsi, l’existence de

population Bahima vivant à cheval sur la frontière avec leurs troupeaux de vaches ainsi que le

fait que c’est au Mutara qu’on avait installé une partie des réfugiés chassés d’Uganda en

1982.

En outre, l’attaque par le Mutara permettrait d’occuper rapidement le carrefour routier de

Kayonza et de couper ainsi la voie de ravitaillement par la Tanzanie, celle de Kagitumba étant

déjà bloquée, de même que celle de Gatuna que le Président Museveni ne manquerait pas de

fermer pour leur prêter main forte. Il était également prévisible que le Burundi trouverait un

prétexte quelconque pour fermer la frontière Sud du Rwanda !

Effectivement, comme nous pouvons le lire dans le New Vision du 15 octobre 1990, des

camions qui transportaient des marchandises pour le Rwanda furent bloqués à Mbarara dès le

début du conflit. Pourtant d’après l’accord sur le corridor Nord signé à Kampala, les convois

qui empruntaient cette voie devaient être escortés par les forces de sécurité ougandaise à partir

de Malaba (frontière de l’Uganda avec le Kenya), jusqu’à Gatuna et ils ne devaient être

fouillés en aucun cas. Ces convois furent pourtant arrêtés à Mbarara par des barrières

militaires qui leur refusèrent le passage alors qu’ils étaient convoyés par la police ugandaise

comme auparavant.

Les chauffeurs retournèrent à Kampala, laissant leurs camions à Mbarara pour aller solliciter

le concours de l’Ambassade du Rwanda. Mais les protestations de l’Ambassade rwandaise à

Kampala ne purent modifier la position du Gouvernement ugandais et le 13/10/1990,

l’Ambassade conseilla aux camionneurs de retourner au Kenya et emprunter la voie

tanzanienne. Elle s’étonnait cependant que « des camions escortés par des policiers ugandais

ne puissent dépasser le barrage de l’armée ugandaise à Mbarara », mais en fait cette

situation était prévisible depuis le début.

100

En tout cas, après avoir occupé le nœud routier de Kayonza, le FPR espérait que la route vers

Kigali serait ainsi ouverte, toutes les voies de sortie ayant été bloquées. En cas d’échec, on

disposerait toujours de la ressource de se retrancher dans le Parc de l’Akagera où le

ravitaillement en viande ne poserait aucun problème, le gibier étant abondant dans ce parc. On

verra dans la suite que ceux qui ne sont effectivement repliés dans ce parc sont morts de faim,

nul ne pouvant vivre uniquement de viande pendant longtemps.

C’est dans ces circonstances que l’option d’attaquer le Mutara fut privilégiée par la RPA et

que le poste de Kagitumba fut pris d’assaut. Mais comme on l’a déjà signalé, l’alerte avait pu

être donnée et les unités d’avant-garde de l’armée rwandaise furent dépêchées sur les lieux. Il

s’agissait essentiellement de la garnison de Gabiro formée d’une compagnie renforcée ainsi

que de renforts venus de Kigali, c’est-à-dire la 3°compagnie para commando, l’escadron de

reconnaissance A et un peloton de mortiers de 120 mm de la BIAC. La 3° compagnie para

commando fut chargée de garder le camp Gabiro à près de 60 km de Kagitumba et les autres

unités passèrent la nuit du 1er au 2 octobre à Matimba, une colline en face de Kagitumba. Il

s’agissait de prendre contact avec l’ennemi et reconnaitre sa force.

Le matin du 02 octobre 1990, le Major Hakizimana Stanislas commença son action par le

pilonnage des positions de la RPA à Kagitumba. Cependant, une partie des envahisseurs

s’infiltrèrent à travers la vallée de Nyabwishongwezi et surprirent la BIAC qui abandonna sur

place ses trois mortiers de 120 mm. La compagnie Mutara se débanda tandis que l’escadron

de reconnaissance A parvint à se dégager mais en laissant sur place deux véhicules blindés et

une jeep Land Rover.

Les unités qui s’étaient portées sur Kagitumba furent donc dispersées et le Major Hakizimana

qui dirigeait l’attaque se retrouva seul avec son second, le Commandant Bagambiki. Ils

effectuèrent une retraite épique par Nyagatare et Ngarama, tantôt à pied, tantôt à vélo. Le

09/10/1990, le Major Hakizimana arriva à Cyamutara d’où il tenta de reconstituer la

compagnie Mutara. Ce n’était pas facile car les rescapés avaient essayé de rejoindre les camps

militaires les plus proches : ainsi par exemple la compagnie PM de Kami avait pu recueillir 47

militaires échappés de Matimba, d’autres étaient arrivés jusqu’à Kigali même. Il est difficile à

l’heure actuelle de se faire une idée sur les pertes de l’armée rwandaise lors de l’engagement

du 1er et 2 octobre car les documents ne sont pas assez précis.

Mais le New Vision du 15 octobre 1990 rapporte que quatre prisonniers avaient été

interviewés par des journalistes. L’un d’eux, Emmanuel Sekabanza âgé de 25 ans affirma

avoir été capturé le 2 octobre. Il raconta qu’il avait assisté à la capture d’un véhicule blindé de

l’armée rwandaise avant que son groupe, commandé par le Major Hakizimana Stanislas, ne

soit dispersé. Les autres prisonniers Emmanuel Byaruhanga, Cyrille Bagaragaza et Cyprien

Ntezimana affirmèrent avoir été capturé le 08 octobre à Gabiro alors qu’ils combattaient avec

les zaïrois : ils appartenaient sans doute au Bataillon Huye.

Ils avaient rejoint l’armée rwandaise en 1989 et ils se déclarèrent prêts à rejoindre la RPA

étant donné qu’ils n’avaient pas été maltraités. Par ailleurs, d’après un fonctionnaire ugandais

cité par l’AFP, Monsieur Rwigema aurait déclaré avoir tué 30 soldats lundi le 1er octobre dans

la vallée de la Kagitumba et avoir fait des dizaines de prisonniers dont trois officiers.

101

Pourtant, la garnison de Kagitumba ne comptait que 30 soldats sans un seul officier. Par

contre, la RPA put capturer beaucoup d’armes et de munitions, dont un véhicule blindé, des

mortiers et beaucoup de fusils d’assaut FAL.

2.2.1.2. Les cafouillages du 3 octobre 1990

La dispersion des éléments du Major Hakizimana avait montré que la RPA avait une force

considérable : il fallait donc mettre en action un plus grand nombre d’unités. C’est alors qu’un

manque d’entrainement d’ensemble de l’armée rwandaise lui joua des tours car les unités se

déplaçaient sans la moindre coordination entre elles. Des troupes considérables furent

mobilisées dans la précipitation, parfois même en dépit du bon sens. C’est ainsi que tous les

sous-officiers en formation à l’Ecole des Sous-officiers (ESO) de Butare furent amenés à

former eux-mêmes une compagnie de combat au lieu d’être affectés dans les autres unités qui

manquaient cruellement de cadres sous-officiers. Ils devaient se rendre à Musha près de

Rwamagana pendant que deux compagnies du Groupe Mobile étaient envoyées près de

Kiziguro sans la moindre arme d’appui ; des unités du Centre d’Instruction de Bugesera ainsi

que la 1ère

compagnie Commando Mukamira devaient rejoindre Rwamagana. Toutes ces

troupes arrivèrent à peu près au même moment aux environs de Rwamagana.

Pendant ce temps, il semblerait que le Commandant du Groupement de Rwamagana avait

ordonné à ses hommes d’ouvrir le feu à intervalle régulier pour signaler à un ennemi éventuel

que ses hommes étaient vigilants. Quand la garnison de Rwamagana ouvrit le feu, la CIE

ESO, le CI Bugesera, la 1ère

Compagnie Mukamira étaient aux environs et une confusion

extrême s’empara des hommes qui en vinrent aux mains. C’est ainsi que le bruit courut que le

centre urbain de Rwamagana avait été attaqué par la RPA mais comme on peut s’en rendre

compte, il n’en était rien.

Les dégâts ne furent pas considérables mais trois militaires furent tués dans ces

affrontements : ils furent inhumés au cimetière de la paroisse catholique de Rwamagana le 6

octobre 1990. Cependant, le caporal Nkukamazina François du CI Bugesera se suicida le

19/11/1990 parce que ses camarades lui rappelait chaque fois sa lâcheté du 03/10/1990 à

Kayonza : pris de panique, il avait pris la fuite et on l’avait retrouvé le 04/10/1990 en tenue

civile. Le même jour, un hélicoptère de l’armée rwandaise mitrailla près de Kiziguro (à

Ndatemwa) une colonne de réfugiés qui fuyaient les zones de combats et plusieurs civils

furent blessés. On avait pensé qu’il s’agissait de rebelles qui avaient abandonné leurs tenues

militaires pour des habits de civils, ce qu’ils avaient effectivement fait plus au nord.

Tant de bavures discréditaient l’armée rwandaise et comme partout ailleurs dans les mêmes

circonstances, il fallait trouver des boucs émissaires pour leur faire endosser la responsabilité

des erreurs commises. De cette façon, le Major BAM Sabakunzi, jusqu’alors chargé de mettre

en place une antenne logistique à Kiziguro-Nyakayaga, fut arrêté et accusé de trahison, sous

prétexte qu’il avait ordonné aux militaires de se battre entre eux ! Dans la suite, il fut reconnu

innocent par une cours martiale. En fait, le Major Sabakunzi, de même d’ailleurs que le Major

BEM Mutambuka ne s’entendait pas avec le Colonel Serubuga, Chef d’Etat-major adjoint, qui

profita de l’occasion pour les éliminer. Devant l’ampleur des cafouillages, l’Etat-major

ordonna à toutes les unités au combat, même celles qui défendaient Gabiro, de regagner

102

Kigali pour repartir à l’attaque dans de meilleures conditions. La 3° compagnie du bataillon

commando Mukamira rejoindra Ruhengeli en désordre le 11/10/1990 car 96 militaires

seulement dont deux sans leurs armes arrivèrent à Mukamira et 18 sont restés au Camp

Kanombe.

La seule opération bien menée fut la destruction du poste de commandement de la RPA à

Kagitumba par des hélicoptères de l’armée rwandaise, opération au cours de laquelle fut peut-

être tué le Général Fred Rwigema. En outre, comme le Colonel Rusatira l’annonça le

04/10/1990 dans une conférence de presse, des hélicoptères rwandais interceptèrent et

détruisirent une colonne de près de trente camions transportant des hommes et du matériel.

Cette attaque paralysa pendant un certain temps les opérations de la RPA.

2.2.1.3. La nuit du 4 au 5 octobre 1990

On se rappelle que lors de son passage à Bruxelles, Paris et Kinshasa le 03/10/1990, le

Résident Habyalimana avait appelé à l’aide les gouvernements de ces pays. Seul le Zaïre

répondit en envoyant officiellement 500 militaires de la Division spéciale présidentielle avec

éventuellement une mission de combat. La France et la Belgique par contre envoyèrent des

unités avec des objectifs humanitaires, à savoir protéger les ressortissants étrangers au

Rwanda. La France envoya 300 légionnaires du 2°Régiment Etranger de parachutistes

(2°REP) basé à Bangui en République Centrafricaine. Ils arrivèrent à Kigali dans la soirée du

04/10/1990.

Le corps expéditionnaire belge (opération « Green beans » « Haricots verts ») comprenait 535

parachutistes. Il s’agissait d’un bataillon de parachutistes composé de quatre compagnies :

trois compagnies du 2° Commando de Flawinne (unité francophone) et une du 3° para de

Tielen (unité néerlandophone) car même en Belgique, équilibre ethnique oblige. Ajoutons à

ces trois unités un détachement de l’escadron de reconnaissance de Stocken-Arlon

(francophone) qui utilisait non pas ses blindés légers CVRT mais des jeeps, ensuite un peloton

mortier, un détachement de transmission, une antenne médicale, un auditeur militaire, son

greffier et deux gendarmes de la prévôté.

Ces troupes étaient équipées d’un armement léger, d’armes antichars, d’armement anti-aérien,

de mortiers et d’une dizaine de jeeps. Les premiers détachements belges débarquèrent à Kigali

vendredi matin 5 octobre, tout le bataillon devant être reconstitué dans la nuit de vendredi à

samedi. Quelques jours auparavant, le 3 octobre 1990, la Belgique avait envoyé au Rwanda

plusieurs dizaines de tonnes de munitions mais cette livraison faisait partie des contrats

négociés avant le conflit. Ces contrats furent d’ailleurs suspendus sous la pression de

l’opinion publique belge, alors qu’ils avaient déjà été payés par le Rwanda.

La présence de contingents belges et français a été réprouvée par plusieurs milieux politiques

étrangers ainsi que bien sûr des milieux du FPR. Les média contestèrent l’aspect uniquement

humanitaire de ses unités qui, pour le moins, cautionnait le pouvoir en place à Kigali. Mais

d’après le porte-parole du Ministère belge des Affaires Etrangères, ce caractère sécurisant de

l’intervention franco-belge, résultait d’un effet indirect et non recherché. Effectivement, les

éléments français et belges furent chargés de la protection de l’aéroport international Grégoire

103

Kayibanda ainsi que de certaines ambassades occidentales. Les belges devaient en plus

effectuer de jour des patrouilles montées en ville pour rassurer leurs compatriotes ; le circuit

qu’ils empruntaient était le suivant : aéroport-place du 5 juillet-centre ville et au retour, centre

ville-Nyarugenge-Gikondo-aéroport. Ce faisant, ils rendaient indirectement disponibles

plusieurs unités de l’armée rwandaise libérées des opérations de sécurité dans la capitale et

donc prêtes au combat. En outre, la présence de ces contingents dissuadait Monsieur

Museveni de s’engager plus massivement car de cette façon, il serait obligé de dévoiler son

jeu et d’accepter la perspective d’en découdre avec eux.

Malgré cela, nous ne partageons pas l’opinion de Brigitte Hagemann (La Croix-l’Evénement

n°32714 du 09/10/1990) qui stipule que : « l’arrivée des 1 300 soldats belges, français et

zaïrois avait brisé l’espoir des rebelles de s’emparer rapidement des points stratégiques.

Expérimentés et bien équipés, les partisans pensaient sans doute avoir la partie facile face à

une armée rwandaise peu aguerrie au combat ». Si cette opinion peut être exacte pour le

contingent zaïrois, elle est beaucoup moins évidente pour le corps expéditionnaire franco-

belge qui, pour participer aux combats, doit tenir compte de leurs opinions publiques. On ne

peut évidemment pas présager de ce qui se serait passé si la RPA était arrivée aux portes de

Kigali mais ce ne sont certainement pas eux qui les ont empêchés d’y arriver. On peut

supposer avec beaucoup de vraisemblances que ces unités auraient quitté Kigali comme les

américains Saigon en 1975 si la RPA avait investi Kigali, tout ceci ne relavant évidemment

que de simples conjectures sans le moindre document objectif.

En tout cas, la présence de militaires belges et français fut diversement appréciée par les

rwandais et comme toujours dans des circonstances difficiles à expliquer, l’imaginaire

populaire se mêla de la partie.

La Belgique, dont la presse et l’opinion avaient été extrêmement hostile à la cause du

Rwanda, avait refusé de livrer des munitions à l’armée rwandaise, même celles qui avaient été

commandées avant le conflit, alors que les FAR s’approvisionnaient presque exclusivement à

la Fabrique Nationale de Herstal. L’opinion rwandaise traita alors la Belgique de « traitre » et

ses parachutistes furent abordés avec beaucoup de suspicion par tous les rwandais civils ou

militaires, car ils étaient soupçonnés d’être de connivence avec le FPR. Cette façon de voir fut

renforcé quand on raconta que des Iliouchine libyens bourrés sans doute de rebelles tentèrent

de se poser sur Kigali lundi 15/10/1990 au soir!

L’information fut donnée par Monsieur Casimir Bizimungu, Ministre des Affaires Etrangères

au député socialiste Yvon Harmegnies qui venait d’effectuer une mission de trois jours au

Rwanda. Celui-ci la répétera jeudi 18 octobre lors d’une conférence de presse donnée à

Bruxelles après sa mission. C’est pour cela que l’opinion publique rwandaise croyait

mordicus que les paras belges avaient été envoyés en fait pour accueillir les rebelles du FPR

et que leurs plans furent déjoués par la présence de légionnaires français : ils auraient

d’ailleurs failli en venir aux mains, raconte-t-on. En tout cas, à l’instar des soldats zaïrois sur

lesquels nous reviendrons dans la suite, il semble à peu près certain que les paras belges ont

pillé et emporté les objets d’arts de l’aéroport de Kanombe. Si cette information se confirmait,

104

on pourrait en conclure que la soldatesque est la même sous tous les cieux et sous toutes les

latitudes.

Finalement, les paras belges se retirèrent du Rwanda au début de novembre 1990. Entre

temps, le corps expéditionnaire belge avait envoyé le 14 octobre 1990 une compagnie para

commando renforcée d’une section de reconnaissance vers Ruhengeli et Gisenyi avec comme

mission de ramener à Kigali les coopérants belges. La même opération fut dirigée vers

Byumba le 15 octobre. Les coopérants rejoignirent Kigali en protestant parce que les zones où

ils vivaient n’avaient pas encore été affectées par les combats. Ils redoutaient surtout la

perspective de revenir, honteux, parmi la population, une fois l’alerte passée.

Certains refusèrent même d’obtempérer, en particulier ceux qui n’étaient pas fonctionnaires

du Gouvernement, comme les hommes d’affaires, les religieux. L’Ambassadeur de Belgique

au Rwanda, Monsieur Swinnen fut d’ailleurs malmené par l’opinion et la presse belge, sous

prétexte qu’il n’avait pas suffisamment encadré ses compatriotes et fait pression sur le

gouvernement rwandais. En réalité, l’Ambassadeur Swinnen, personnage de grande valeur,

avait refusé de pousser à la panique d’abord parce qu’il n’en voyait pas la raison, ensuite

parce qu’il était conscient du fait que le départ de tous les coopérants laisserait le Rwanda

désemparé et prêt à tous les extrémismes, car il n’y aurait plus personne pour prêcher la

modération.

Les militaires français, par contre, jouissaient d’une grande sympathie vis-à-vis de l’opinion

rwandaise car on pensait que la France avait accordé au Rwanda une aide militaire

substantielle. Aussi les militaires rwandais plaçaient-ils une grande confiance dans les

légionnaires et leur présence à l’aéroport atténuait les suspicions nourries à l’encontre des

paras belges. La présence de ces légionnaires au Rwanda ne posa pas de problèmes malgré

quelques heurts avec les civils dans les débits de boissons de Kimihurura et Remera.

Cependant, on raconta que les légionnaires français exterminèrent les fous de Kigali parce

qu’on leur avait dit que les rebelles se déguisaient en fous pour s’approcher des positions des

militaires. Ainsi, chaque fois qu’un fou s’approchait d’eux, ils l’abattaient sans état d’âme et

c’est pour cela, disait-on, qu’on ne voyait plus de fous se baladant dans les rues de Kigali.

Entretemps, comme signalé plus haut, toutes les unités de l’armée rwandaise avaient été

rappelées du front et elles s’étaient regroupées à Kigali. Elles furent toutes affectées à la

défense de la capitale. Ainsi, l’escadron de reconnaissance et le Bataillon Para furent placés le

4 octobre respectivement à Mburabuturo et au Parc Industriel. Le Major Nzapfakumunsi fut

envoyé avec les élèves de la 29ème

promotion de l’E.S M. garder le pont de la Nyabarongo sur

la route vers Gitarama pendant que le Major Kamanzi gardait le pont de Kanzenze. Les unités

de gendarmerie furent éparpillées un peu partout dans la ville pour garder les points

stratégiques et les bâtiments officiels comme la radio, la Présidence … Les position de nuit

devaient chaque fois être abandonnées à 6 heures du matin. Après le 5 octobre, le

détachement belge effectuait des patrouilles dans les zones de Remera, Kimironko, Munini et

Nyarugunga. Dans le cadre de la défense périphérique de Kigali, l’Etat-major demanda au

Bataillon L.A.A. de se porter à la hauteur de Kigali-Mugambazi-Gasambya-Taba-

Rutangampundu et Murambi pour y organiser une défense solide, compte tenu de son

105

importance stratégique. Le repli des unités de l’armée rwandaise laissa la voie libre à la RPA

qui, contre toute attente, n’exploita pas suffisamment cette situation en d’autres circonstances

inespérée. Comment cela a-t-il été possible alors qu’au départ les consignes étaient celles

d’une offensive éclair ? A l’heure qu’il est, il est difficile de répondre à cette question mais on

ne serait sans doute pas loin de la vérité en supposant que la mort de Rwigema avait

certainement provoqué une grande consternation et une confusion à la base d’une certaine

léthargie.

Cependant, on raconte que l’Etat-major de l’armée rwandaise avait appris par des sources

diplomatiques que la RPA avait l’intention d’attaquer Kigali par l’intermédiaire de ses

éléments infiltrés depuis longtemps dans la capitale. On se rappellera que c’est la même

tactique qui avait été employée par Museveni pour s’emparer de Kampala. A ce moment, le

front se trouvait Lukaya à une trentaine de km au sud de Kampala. Parmi les civils qui

s’enfuyaient vers la capitale se trouvaient des unités de la NRA –surtout des éléments

rwandais- qui attaquèrent Kampala privée de ses défenseurs. Prise entre deux feux, l’armée

régulière ugandaise se débanda aussitôt en évitant Kampala et le tour était joué.

Quoi qu’il en soit, dans des circonstances qui paraissaient identiques, des fusillades éclatèrent

un peu partout dans la capitale rwandaise au cours de la nuit du 4 au 5 octobre 1990. Elles

débutèrent vers 01h30 du matin et elles prirent fin à 6 heures. La violence des tirs fut telle que

la panique s’empara de tous les habitants de Kigali, nationaux ou expatriés, car de mémoire

d’hommes, on n’avait jamais entendu de choses pareilles au Rwanda! Les expatriés ne

cherchèrent plus qu’à rentrer chez eux et les rwandais prirent conscience de la gravité de la

situation, convaincus qu’au matin ils allaient retrouver leur ville en cendres. Leur angoisse fut

aggravée par le fait qu’au matin, la radio nationale annonça que tous les citoyens étaient

consignés chez eux jusqu’à nouvel ordre.

Ce même jour, le 5 octobre dans l’après-midi, le Chef de l’Etat prononça un discours en

kinyarwanda et en français sur les ondes de la radio nationale. Il s’efforçait de rassurer les

rwandais en affirmant que les tires de la nuit de jeudi à vendredi étaient dus à des complices

des assaillants se trouvant depuis longtemps dans Kigali et non à la progression d’une colonne

de rebelles. Il continua en affirmant que le couvre-feu permanent était destiné à permettre à

l’armée de ratisser la capitale et arrêter les auteurs des tirs. Il invitait ensuite la population à la

solidarité et à ne pas céder à la panique car l’armée avait le dessus grâce à l’aide de pays amis.

Mais entretemps, la radio nationale lança un appel à la délation des suspects et demanda aux

citoyens d’aider les autorités à les démasquer. Comme toujours, de telles méthodes ouvrent la

voie aux règlements de compte et cela va se vérifier dans la suite.

Quant à ce qui concerne les pertes, on raconta que les combats avaient fait une dizaine de

morts et quelques blessés, dont deux veilleurs d’Electrogaz dont les corps se trouvaient à la

morgue de l’hôpital de Kigali. Certains expatriés affolés parlèrent cependant de centaines de

morts et de ruisseaux de sang, informations répercutées par les médias occidentaux, surtout

Radio France Internationale et qui jetèrent la consternation dans le monde mais surtout parmi

les rwandais.

106

On devait se rendre compte dans la suite que, malgré l’intensité des tirs, les dégâts matériels

et humains étaient infimes, ce qui alimenta la controverse sur ce qui s’étaient réellement passé

lors des événements de la nuit du 4 au 5 octobre 1990. Plusieurs hypothèses furent

échafaudées un peu partout avec plus ou moins de bonheur. Marie-France Cros,

autoproclamée spécialiste du Rwanda, affirma à plusieurs reprises que tous les tirs étaient dus

à la « trouille » des soldats rwandais qui ont peur la nuit et qui tirent sur tout ce qui bouge.

Pour elle, les soldats rwandais se canarderaient les uns les autres à cause de leur panique

nocturne alors qu’il n’y avait pas le moindre rebelle (voir notamment la Libre Belgique du 8

octobre 1990 et du 13-14 octobre 1990).

Plus libre et moins entaché d’esprit partisan fut le point de vue de Roger Rosart dans la Libre

Belgique du 2 au 8 octobre 1990. Pour lui, il n’était pas évident que des rebelles aient

bénéficié d’une 5°colonne dans la capitale mais il était à peu près certain que des éléments de

l’armée rwandaise avaient déclenché des tirs mais peut-être sans raison. Il rappela que des

troupes non aguerries, en début d’opération, avaient tendance à répondre à un coup de feu

isolé, parfois simplement accidentel, par des rafales tous azimuts. Monsieur Roger Rosart alla

même jusqu’à se demander si des légionnaires du 2°REP français installés en défensive

autour de l’Ambassade de France n’avaient pas ouvert le feu sans raison valable.

D’après des renseignements qu’il avait recueillis, beaucoup de personnes se demandaient si,

pour le seul plaisir de rompre le silence nocturne et manifester leur présence armée, des

légionnaires n’auraient pas tiraillé à tort et à travers, suscitant des réactions identiques chez

les soldats rwandais. Pour affirmer cela, il se basait sur le fait que des soldats français avaient

ouvert le feu à Kolwezi en 1978 pour faire du cinéma et il allait même jusqu’à se demander si,

à l’époque, des légionnaires n’auraient pas pu être tués accidentellement par leurs collègues.

Beaucoup de milieux belges se demandaient alors si un phénomène identique ne s’était pas

produit à Kigali.

Jusqu’à l’heure actuelle, ces événements sont restés mystérieux et il est encore trop tôt pour

avoir accès aux documents susceptibles d’éclairer la situation et on en est réduit à des

conjectures. On peut cependant affirmer qu’il y a beaucoup de probabilités que des éléments

de la RPA ont profité de l’inauguration de la ligne de bus Kigali-Kampala pour s’infiltrer à

Kigali. Le Service Central de Renseignement parla d’un déficit de 2 000 personnes

enregistrées à la douane de Gatuna depuis l’inauguration du bus et qui ne sont pas retournées

en Uganda.

De fait, le Ministre Bizimungu affirma que vingt caches d’armes furent découvertes dans la

capitale lors des opérations de ratissage. Mais où seraient disparus tous ces éléments infiltrés

puisque malgré les nombreuses fouilles consécutives aux événements de la nuit du 4 au 5

octobre, on n’en a presque pas attrapé ? Personne n’ayant pu répondre à cette interrogation,

tout le monde est actuellement convaincu au Rwanda que les événements de la nuit du 4 au 5

octobre relèvent plutôt d’une mise en scène que d’une attaque réelle de la RPA sur Kigali.

Quand on accepte cette éventualité, beaucoup de choses peuvent s’expliquer.

Il faut d’abord rappeler que, comme évoqué plus haut, l’Armée rwandaise compte un grand

nombre d’officiers supérieurs de grande valeur, qui connaissent parfaitement les techniques

107

de la guérilla. L’un d’eux, le Colonel Léonidas Rusatira, avait analysé dans un document

datant de 1988 les techniques de guérilla pratiquée par Mao et Museveni notamment. La

tactique employée dans la prise de Kampala avait été spécialement analysée et les parades

éventuelles ébauchées (Rusatira, 1988). On peut évoquer également le Colonel BEM

Ndindiliyimana qui enseignait les pratiques de la « guerre révolutionnaire » à l’Ecole

Supérieure Militaire, les Lieutenants-colonels BEM Nsabimana et Rwabalinda pour ne citer

que ceux-là. Ces officiers savaient bien qu’avant toute opération au Mutara, il faudra d’abord

mettre Kigali à l’abri d’un éventuel coup de main de la RPA et la meilleure tactique consiste

évidemment à prendre les devants. Les avantages de cette ligne de conduite sont multiples :

- Neutraliser d’abord les éléments éventuellement infiltrés dans la capitale et dans

les provinces en justifiant les arrestations par les périls encourus par Kigali

- Mobiliser les populations en les frappant de stupeur et les amener à collaborer

étroitement avec les forces de l’ordre, car ce type de guerre réussit rarement sans le

soutien de la population

Cette stratégie est parfaitement valable et elle a d’ailleurs bien réussi si on s’en tient à l’aspect

strictement militaire. On verra dans la suite que les effets de cette tactique dépassèrent de loin

les prévisions, d’où des débordements qu’il sera difficile à juguler.

Cependant, lundi 8 octobre 1990, l’interdiction de déplacements dans la capitale fut levée et

les gens purent aller se ravitailler en ville, beaucoup de familles ayant été bloquées chez elles

sans la moindre provision. D’après Monsieur Christophe Mfizi cité par l’AFP, les prix ont été

multipliés par 10 ou par 20 d’un seul coup lorsque les habitants purent sortir de chez eux.

Mais cette tendance se résorba rapidement et les problèmes d’approvisionnement de la

capitale furent vite résolus. Ainsi les commerces, les banques, restaurants et l’administration

rouvrirent leurs portes, de même d’ailleurs que certains marchés périphériques, le marché

central restant fermé. Seuls les transports en commun et les taxis ne fonctionnaient pas car la

circulation des véhicules était encore soumise à l’autorisation du Ministère de la Défense.

Pour cela, on introduisit le système du « gong unique » dans l’administration pour pallier au

manque de moyens de transport. La situation semblait donc se normaliser rapidement et le

seul signe visible de la tension régnant dans la capitale était la présence de véhicules blindés

aux principaux carrefours et devant les principaux bâtiments publics, ainsi que les

vérifications d’identité auxquelles procédait systématiquement l’armée. Le même jour, c’est-

à-dire le 8 octobre, l’état de siège fut décrété afin de légaliser une situation de fait qui

prévalait depuis le 5 octobre. C’est tout ce qu’on peut dire pour le moment sur les événements

de la nuit du 4 au 5 octobre 1990 mais on en saura sans doute plus dans l’avenir.

108

2.2.2. La contre-attaque dans le secteur de Gabiro : la phase zaïroise du

conflit

Le camp militaire de Gabiro avait été abandonné, on s’en souvient, le 4 octobre et avait été

aussitôt occupé par les rebelles. La stratégie de l’état-major de l’armée rwandaise semble

avoir été de réserver le gros des forces pour connaitre d’abord la force des assaillants et le

lieu de leur attaque car ils pouvaient surgir de n’importe où. C’est pour cela que des avant-

gardes furent placées le long de la frontière Nord du pays pour retarder la progression d’une

attaque éventuelle : la Compagnie Gitarama fut envoyé à Kaniga, la Compagnie Butare à

Nshili, l’ESM et le C. I. Bugesera, une partie du Bataillon Huye sur la frontière Sud–est, une

compagnie du Bataillon Mukamira à Cyanika.

2.2.2..1. La prise de Gabiro par les zaïrois

C’est pour cela que pour contenir l’assaillant, l’Etat-major s’appuya sur le corps

expéditionnaire zaïrois renforcé par le Bataillon Huye. Ils s’ébranlèrent vers le Mutara le 6

octobre. Mais la coordination entre les forces zaïroises et rwandaises était difficile. D’après

une dépêche de l’AFP datant du 13 octobre 1990, il y aurait eu des accrochages entre le

contingent zaïrois et l’armée rwandaise, accrochages dus à une confusion et qui auraient fait

près de 40 morts ! A la suite de cet accrochage, le commandant zaïrois, le Général Mayele

aurait pris la direction des opérations, reléguant l’armée rwandaise opérationnelle qui était

alors sous les ordres du Major Munyarugarama à des missions d’intendance et d’occupation

de l’arrière. Ce sont peut-être ces confusions qui ont poussé le Ministre de la Défense à doter

les forces armées en opération « Hirondelle » d’un seul insigne distinctif à partir de 6 octobre

à 24 heures. Il s’agissait d’un brassard rose accroché sur le bras droit.

Le corps expéditionnaire zaïrois se porta au combat le 7/10/1990 et s’empara lundi 8 octobre

de Gabiro, petite localité située en bordure du Parc de l’Akagera, où se trouvent un hôtel et un

camp militaire d’une capacité de 300 hommes. Ils essayèrent ensuite de progresser vers la

frontière ugandaise le long de la route reliant Gabiro à Kagitumba pour tenter de dégager cette

voie par laquelle transitaient les importations du Rwanda. Ils avançaient en mettant le feu à la

savane afin de contraindre les rebelles à se dévoiler. Cependant, le 8 octobre, une partie du

contingent zaïrois rentra d’opération au Mutara. Arrivé tout près de l’EFOTEC, une école

secondaire située près du quartier zaïrois de Kigali, un militaire zaïrois tira deux coups de feu

en l’air. Le dispositif de défense du « camp zaïrois » riposta au feu pendant cinq minutes et

deux élèves de l’EFOTEC furent blessés dont un gravement. Il n’y eut pas de blessé du côté

zaïrois.

La prise de Gabiro constitue le titre de gloire des Zaïrois mais ils ne purent s’y maintenir car

d’après une dépêche de l’AFP datant du 14 octobre, le détachement zaïrois se serait replié sur

son point de base situé à une dizaine de km au sud de Gabiro, « après avoir fait ce qui

l’intéressait, à savoir piller l’hôtel ». Effectivement, des télévisions occidentales comme la

RTBF, la RTL, TF1… montrèrent des soldats zaïrois portant des machines à écrire, des

téléviseurs… qu’ils auraient pillés à l’hôtel mais beaucoup d’observateurs pensèrent que ces

images étaient truquées. Le lendemain 15 octobre, on apprit que les zaïrois avaient commencé

à évacuer le Rwanda à la demande du gouvernement rwandais. Interrogé, le Président

109

Habyalimana affirma qu’il s’agissait d’une simple relève. Cependant, ils ne revinrent plus au

Rwanda.

Arrivés dès les premiers jours de l’attaque dans le cadre des accords de défense existant entre

les deux pays, ils étaient officiellement au nombre de 500 soldats mais ils étaient estimés à

1 500 hommes par des sources diplomatiques, certains allant même jusqu’à parler de 2 500

soldats.

La présence du contingent zaïrois au Rwanda provoqua des remous au Zaïre car lundi 22

octobre 1990, le directeur du quotidien du soir de Kinshasa Elima, Monsieur Essolomwa

Nkoy Ea Linganga, fut arrêté après une plainte déposée par les autorités militaires zaïroises. Il

fut libéré après 48 heures de garde à vue. Le propriétaire du plus important journal de

Kinshasa avait été interpellé à son bureau par le Parquet de Kinshasa à la suite de la

publication d’une série d’articles écrits sur l’intervention des troupes zaïroises au Rwanda.

Ces écrits portaient essentiellement sur les pertes zaïroises au combat, sur le comportement

des troupes accusées de pillages, de rançonnement et même de viols lors de leur intervention

dans le nord du Rwanda. Ils se posaient également des questions sur le statut de ces soldats

dans la société zaïroise qui ne se reconnaissait pas en eux. Cette arrestation fut vivement

critiquée par la presse et par la Ligue des Droits de l’Homme au Zaïre.

A l’heure qu’il est, il est difficile de se faire une idée exacte sur le comportement du

contingent zaïrois. Mais même si on ne peut pas parler de pillage dans le sens complet du

terme, il est certain que les éléments placés sur les barrières pour le contrôle des pièces

d’identité ont exigé de l’argent à la population scandalisée par la manière directe des zaïrois, à

l’aise en exigeant du passant l’équivalent de deux ou trois bouteilles de bière (± 2 $ US) :

n’oublions pas qu’ils ne comprennent rien au dédale de nos affaires ethniques ! Les gens se

demandaient d’ailleurs à quoi ils servaient car n’importe qui pouvait passer moyennant

espèces sonnantes et trébuchantes !

Mais pourquoi sont-ils justement partis à ce moment alors qu’il n’était pas du tout évident que

l’armée rwandaise soit prête à prendre la relève? D’après la presse du monde occidental,

spécialement la presse belge, le Président Habyalimana aurait demandé leur départ, étant

donné leur comportement. Ces mêmes milieux évoquent le fait que l’alliance avec Mobutu

devenait gênante pour le Rwanda à cause de sa détestable renommée dans le monde

occidentale. N’oublions pas que c’est à ce moment-là que Wilfried Martens entreprit sa

mission de médiation en vue d’aboutir à des négociations et un cessez-le feu. Pour ne pas

créer des difficultés au Ministre belge dans l’opinion belge, Habyalimana aurait demandé à

son allié zaïrois de se retirer.

Le soldat rwandais qui était à côté des zaïrois à Gabiro avance une autre raison. Selon lui,

pendant les combats autour de Gabiro, la RPA aurait formé trois rangs de tirailleurs et elle

s’était fait accompagner de plusieurs jeunes garçons qui faisaient un « boucan » terrible en

frappant sur des bidons vides, des tambours… Le feu nourri des zaïrois semblait n’avoir

aucun effet sur les assaillants qui continuaient à avancer. Les zaïrois eurent alors l’impression

qu’ils étaient immortels. Après la mort d’un de leurs officiers supérieurs, ils auraient quitté

Gabiro avec la ferme résolution de ne plus y remettre les pieds. Dans leur retraite, ils

110

dérobèrent les moyens de transport du bataillon Huye qui fut laissé dans une position

inconfortable. Comme toujours, il y a sans doute du vrai dans toutes ces considérations car

« in medio stat veritas ».

Nous ajouterons tout de même une autre considération. En fait, les éléments zaïrois ne

s’éloignèrent pas de la frontière avec le Rwanda qui pouvait sans doute faire appel à eux en

cas de besoin. Mais le Rwanda ne le fit pas, même aux heures les plus sombres du 17-18

octobre. En effet, les services de sécurité du Groupement de gendarmerie de Gisenyi avaient

appris que les militaires de la Garde Spéciale Présidentielle rentrés de Gabiro avaient été

approchés et soudoyés par des « extrémistes » tutsi de Goma pour éliminer certains officiers

rwandais, si jamais ils y retournaient. Décidément, avec les zaïrois, rien n’est jamais gagné et

comme le disait François 1er

de France, « souvent femme varie, bien fol qui s’y fie » ! Le

Lieutenant-colonel Ruhashya, un tutsi qui, au milieu des années 1960, avait dirigé des

opérations de l’armée rwandaise contre les attaques des Pères des Inkotanyi au sud du pays,

figurait parmi les cibles. Si on ajoute cette information au comportement peu orthodoxe des

zaïrois, on peut comprendre que le gouvernement rwandais ait hésité à faire de nouveau appel

à eux !

2.2.2.2. Les pertes militaires au cours de la phase zaïroise

Il est très difficile de se faire une idée sur les pertes militaires de cette période, spécialement

dans les rangs des zaïrois, tellement les sources divergent. Dans la soirée du lundi 8 octobre,

Monsieur Casimir Bizimungu s’adressant à la presse et au corps diplomatique, a parlé de 200

ennemis tués contre 30 soldats rwandais et environ une trentaine de civils. Il ne parle pas de

pertes zaïroises. Ce même 8 octobre, une dépêche de l’Agence zaïroise de presse indiqua que

les troupes zaïroises étaient entrées en contact avec un régiment des forces rebelles. D’après

cette Agence, l’ennemi, bien que supérieur en nombre, avait été amené à décrocher.

L’AZAP, citant l’Etat-major zaïrois, affirma que les combats avaient fait deux blessés parmi

les zaïrois et un mort parmi les militaires rwandais combattant à leur côté. Par ailleurs,

mercredi 10 octobre, dans une conférence de presse tenue en début de soirée, le Chef de l’Etat

rwandais donna un bilan des événements des jours précédents et indiqua que les pertes

rwandaises s’élevaient à 14 morts et blessés pour l’ensemble du pays. Il affirma que ce même

jour six rebelles avaient été tués dans la région de Ngarama. Citons enfin cet article du journal

« La Croix-l’Evénement » n°32718 du 13 octobre 1990 qui affirmait que 57 soldats zaïrois

avaient été tués jeudi 11 octobre lors de la prise-reprise de Gabiro.

Le moins que l’on puisse dire est que les affrontements furent certainement meurtriers et que

les pertes furent importantes de part et d’autre. En tout cas, les morts dans le camp zaïrois

durent être nombreux et ce fait a certainement joué plus que d’autres dans le départ précipité

des zaïrois. Celui-ci réconforta justement les rebelles qui, d’après une dépêche de l’AFP

datant du 15 octobre, affichaient ce jour-là un air confiant à l’annonce d’une prochaine retraite

des soldats zaïrois. Ils répétaient tous les mêmes propos à l’adresse des journalistes, affirmant

que si les zaïrois s’en allaient, ils prendraient Kigali en quelques jours. Ils n’étaient d’ailleurs

pas les seuls car comme cela transparait à travers les médias occidentaux, personne ne croyait

111

plus à la survie du régime politique rwandais. On pourrait citer en exemple ce commentaire de

la RTBF qui se demandait qui allait remplacer les zaïrois.

De même, Marie-France Cros dont la sympathie agissante envers les rebelles était manifeste,

se demandait sur quelle nouvelle carte pouvait compter le Chef de l’Etat rwandais quand il

affirmait qu’il ne discutait pas avec des gens qui lui tiraient dessus et que les assaillants

devaient quitter le Rwanda avant tout cessez-le feu. Pour Marie-France Cros, la situation

militaire de Habyalimana n’était guère favorable, à moins qu’il ne se décide à rappeler les

zaïrois qui étaient toujours à Goma (Libre Belgique du 24 octobre 1990). On oubliait que

l’armée rwandaise restait intacte et comme on le verra dans la suite, les soldats rwandais

apprenaient à se battre par leurs revers même.

Malgré tout, le départ précipité des zaïrois emportant le charroi du bataillon commando Huye

laissa celui-ci en désarroi alors qu’il était déjà affaibli par ses problèmes propres.

2.2.2.3. Quelques effets positifs de la présence militaire zaïroise au Rwanda

Comme le dira plus tard le journaliste Kantano dans un numéro du périodique

gouvernemental Imvaho, en prêtant main forte à une armée rwandaise encore inexpérimentée,

les zaïrois ont permis à celle-ci d’avoir le temps de se reconnaitre et de se réorganiser. Ils ont

également laissé le temps au pays pour assurer ses arrières en mobilisant la population contre

les infiltrations. Le pays a surtout pu dans ce laps de temps assurer ses sources

d’approvisionnement taries après la décision de la Belgique de suspendre ses livraisons

d’armes au Rwanda.

En effet, tout l’équipement utilisé par l’armée rwandaise était jusqu’alors acheté presque

exclusivement en Belgique. On a vu comment la Belgique avait suspendu ses livraisons

d’armes, même celles qui avaient été commandées et payées avant le conflit. L’intervention

zaïroise permit au Rwanda de mettre sur pied de nouveaux circuits d’approvisionnement à

partir de l’Egypte et de l’Afrique du Sud. L’Egypte voyait sans doute là un moyen de damer

le pion à Kadhafi qui était derrière Museveni. L’Afrique du Sud quant à elle profitait de

l’occasion pour créer des difficultés à Museveni, agacée qu’elle était par les fanfaronnades

révolutionnaires de celui-ci. C’est évidemment par l’intermédiaire de Mobutu que le Rwanda

put entrer en contact avec l’Afrique du Sud.

La présence zaïroise a également permis à l’armée rwandaise de renforcer ses capacités de

défense en procédant à un recrutement massif de combattants. Dès le début de l’agression, des

renseignements affluaient à l’Etat-major de l’armée rwandaise, renseignements qui signalaient

un recrutement intensif d’Inkotanyi à partir de leurs bases logistiques située à Mbarara.

D’après un télégramme envoyé par l’Ecole de la Gendarmerie Nationale (EGENA) à l’Etat-

major de la Gendarmerie le 10 octobre (INT/OBS/90/302) qui faisait état de renseignements

en provenance de l’Uganda, Fred Rwigema aurait eu le feu vert de Museveni pour attaquer le

Rwanda et pour recruter de nouveau combattants. Les recrues étaient payées en monnaie

rwandaise et le bureau de recrutement de Mbarara disposait d’assez d’argent rwandais pour

intéresser des milliers de volontaires. Après une courte période d’entrainement, les recrues

étaient transportées de nuit tous feux éteints jusqu’à Kizinga ou à Gikagati près de la

112

frontière ; ils continuaient ensuite à pied jusqu’au Rwanda. Comme critère de recrutement, il

suffisait de parler correctement kinyarwanda, ce qui ne posait aucun problème car jusqu’à

Mbarara, tout le monde parle plus ou moins cette langue.

Le même télégramme de l’EGENA signalait que la carte d’identité utilisée au Rwanda allait

être imitée conformément à la carte officielle en usage. Effectivement, par son télégramme

RT INT/OBS/PO/7698 du 11 octobre, l’Etat-major de l’armée rwandaise informa toutes les

unités qu’il venait d’être informé de la mise en circulation de cartes d’identité qui auraient été

fabriquées en grande quantité dans l’établissement Sisi Evariste (SIEVA), cela pour faciliter

l’action des assaillants. La pièce d’identité ressemblerait à celle délivrée par les communes

mais sans porter la mention « mod.3 » se trouvant sur la partie supérieure gauche de la 2°page

du document officiel. Certains cas commençaient à être découverts. Seulement, Monsieur Sisi

Evariste devait être reconnu innocent dans la suite.

En réaction à ces recrutements massifs, l’Etat-major de l’armée rwandaise ordonna à tous les

bureaux de recrutement (RT AOM.OPS/90/7791) de procéder immédiatement et en

collaboration avec les autorités locales au recrutement de volontaires âgés de 18 à 24 ans à

raison de 200 recrues par préfecture pour l’armée et 60 pour la gendarmerie. Cette opération

devait être d’autant plus facile que depuis le début de la guerre, comme le souligne une

dépêche de l’AFP datant du 13/10/1990, les habitants du pays , spécialement ceux du Sud

(Butare, Gikongoro, Gitarama), s’étaient mobilisés pour venir en aide à l’armée en mettant

notamment à sa disposition des camions et des camionnettes, les jeunes réclamant

l’enrôlement dans l’armée pour aller combattre.

Les tests de recrutement devaient se limiter aux aptitudes physiques et médicales. Avant la

guerre, chaque recrue devait impérativement exhiber un certificat d’études primaires en plus

des autres exigences. En outre, il fallait recruter des éléments sûrs (entendez « hutu »),

motivés et engagés. Ils seront effectivement très engagés et très motivés comme ils l’ont

prouvé à Gatuna, Kaniga et dans les autres engagements ultérieurs. Malheureusement, on n’y

a pas regardé de trop près au point de vue moralité et plusieurs éléments douteux se sont

engagés. C’est ainsi que des attaques à mains armées, surtout à la grenade devenue un objet

courant, se multiplièrent d’une façon prodigieuse aussitôt que la pression sur la frontière se fut

relâchée.

En tout cas, exception faite de ces problèmes de discipline sommes toutes essentielles dans

une armée, ces éléments et ceux recrutés dans la suite, passé le flottement consécutif au

baptême du feu –une vingtaine d’entre eux seront massacrés à Gatuna et Kaniga au début de

novembre 1990- constituèrent des combattants de premier ordre et ils formeront certainement,

après un indispensable élagage, l’ossature de l’armée rwandaise.

Une dépêche de l’AFP datée du 26 octobre affirme que pour venir à bout des rebelles, l’armée

rwandaise avait ouvert deux centres de recrutement et avait déjà enrôlé 3 200 soldats : ceux-ci

seraient envoyés au front après une courte période d’entrainement d’une dizaine de jours.

L’objectif du gouvernement serait de porter les effectifs des forces armées à 10 000 hommes,

soit le double de ce que les troupes régulières comptaient au début des opérations le 1er

octobre 1990, continuait la même dépêche. En fait, les recrutements se poursuivirent et

113

l’armée rwandaise compte dans la suite près de 40 000 hommes. Une seule cohorte

comptaient 2 000 recrues pour l’armée : elles arrivèrent le 15 octobre 1990 au Centre

d’Entrainement Commando de Bigogwe où ils furent encadrés pendant 15 jours (d’où leur

nom de « quinze jours ») par les élèves-officiers de la 28° promotion de l’ESM. Cette

promotion venait tout juste de terminer le brevet de commando à Bigogwe et il ne leur restait

pour avoir leur grade de sous-lieutenant qu’à confectionner leurs mémoires de licence. Les

600 gendarmes quant à eux furent dirigés vers l’EGENA de Ruhengeli où ils reçurent une

formation de combattants.

2.2.2.4. L’action du Lieutenant-colonel Rwanyagasore

Les considérations précédentes montrent que jusqu’au départ des zaïrois, le gros de l’armée

rwandaise n’avait pas encore été sérieusement engagé. Il semble que cette lenteur dans le

déploiement des forces disponibles se justifiait tactiquement par la prudence. En effet, il était

possible que les assaillants ouvrent un nouveau front après celui de Kagitumba et

Rwempasha !

Effectivement, le 8 octobre 1990, le commandant de la compagnie Cyangugu signala à l’Etat-

major qu’il venait d’apprendre que l’ennemi avait traversé la frontière de la Ruhwa en

provenance du Burundi, dans la commune Bugarama, secteur Gikundamvura, cellules Kizuba

et Mpinga. Selon les informations fournies par le Conseiller du secteur Gikundamvura, les

habitants de deux cellules avaient vu des lampes torches qui se dirigeaient vers la frontière du

Rwanda à partir du Burundi. Les habitants de deux cellules prirent la fuite avec leurs animaux

domestiques et ils se groupèrent dans les cellules Kinyahi, secteur Muganza, commune

Bugarama. On pensait alors que l’ennemi s’était concentré à la confluence Ruhwa-Rubyiro.

Le Commandant de la place de Cyangugu se rendit sur place en vue de se concerter vers les

autorités communales pour les mesures à prendre. Une section de la Compagnie Cyangugu fut

dépêchée sur place et un peloton de la même compagnie fut installé aux environs de

Cyangugu. Finalement, une opération de reconnaissance en profondeur dans la région montra

qu’il n’y avait pas d’ennemi pouvant menacer le pays.

Quelques jours plus tard, le 11/10/1990, le Commandant Karemera du groupement de

gendarmerie de Ruhengeri fit part à l’Etat-major de la Gendarmerie (OPS/448) qu’il redoutait

une attaque ennemie au poste frontalier de Cyanika et même dans la ville de Ruhengeri.

Cette appréhension fut étayée par une dépêche de l’AFP du 12 octobre 1990 qui faisait état

d’une concentration d’importantes forces anti-gouvernementales dans le Nord-Ouest du

Rwanda dans la région de Cyanika depuis jeudi 11 octobre 1990. Ce même jour, Radio

Rwanda avait annoncé que 70 rebelles dont un colonel avaient été arrêtés dans la ville de

Ruhengeri alors qu’ils tentaient de s’infiltrer dans la population. Ces craintes avaient eu pour

effet le maintien du Bataillon Commando Mukamira en position défensive à Cyanika, face à

la frontière ougandaise.

Finalement, il s’avéra que l’attaque principale avait été dirigée contre le Mutara et qu’il n’y

aurait certainement pas d’attaque de grande envergure dans d’autres régions du pays. C’est

sans doute pour cela que l’Etat-major décida d’opérer dans le secteur de Gabiro sans le

114

soutien des zaïrois. Pour cela, il concentra dans ce secteur d’importantes forces. A côté du

Bataillon Huye qui avait opéré avec les zaïrois, on créa de toutes pièces un nouveau bataillon

d’infanterie dénommé « Bataillon Gitarama » ou 12°Bataillon, composé des compagnies de

Gitarama (153 militaires), Kibuye (147 militaires) et Cyangugu. Cependant, c’était la

première fois que ces éléments entraient en contact : ils n’avaient donc pas le moindre esprit

d’équipe. Le Lieutenant-colonel Rwanyagasore fut nommé à la tête du bataillon.

Quelques temps après, deux unités d’élite furent également envoyées dans le secteur de

Gabiro : il s’agit de la Compagnie Centre d’Entrainement Commando de Bigogwe

(Commandant Tulikunkiko) composée exclusivement d’instructeurs commando, ainsi que le

bataillon commando Mukamira (Major BEM Bizimungu) qui devait arriver à Kiziguro le

16/10. C’était donc des unités d’élite qui feront d’ailleurs parler d’elles dans la suite.

Parallèlement, l’Etat-major procéda à un remaniement du commandement opérationnel.

Jusqu’alors, les opérations du côté rwandais dans le secteur de Gabiro étaient dirigées par le

Major BEM Munyarugarama auquel on reprochait de ne pas se remuer suffisamment. C‘est

pour cela que l’Etat-major décida de supprimer le commandement opérationnel intégré qui

groupait les secteurs de Gabiro (Major Munyarugarama) et de Ngarama (Lieutenant-colonel

BEM Nsabimana) sous les ordres du Général Mayele (RUL n°3.026/G3.1.2.5 du 13/10/1990).

Le commandant du bataillon Gitarama fut alors désigné comme le commandant des

opérations à Gabiro en remplacement du Major Munyarugarama. Ainsi donc le lieutenant-

colonel Rwanyagasore, avant même d’avoir rejoint son unité, fut bombardé Commandant des

opérations à Gabiro.

A ce moment justement, les patrouilles de reconnaissance avaient renseigné que l’ennemi était

solidement installé autour de l’aérodrome et dans le Guest-House de Gabiro. La mission de

Rwanyagasore consistera à conquérir rapidement l’aérodrome pour continuer vers le Guest-

House et le Camp Gabiro (OPS/90/006). L’Etat-major enjoignit au Lieutenant-colonel de

passer rapidement à l’attaque alors qu’il n’avait pas encore eu le temps de connaitre et

organiser ses hommes, avant même l’arrivée du bataillon Mukamira. La première attaque fut

lancée l’après-midi du 15 octobre mais comme le signale le commandant des opérations à

Gabiro, par son message à l’Etat-major, cette attaque s’est heurtée à une résistance très forte

qui a imposé un repli en débandade jusqu’à Kiziguro où les unités furent rassemblées. Le

commandant avait d’ailleurs perdu la liaison avec certains éléments qui s’étaient perdus

pendant la débandade. On put dénombrer un mort et de nombreux blessés. Les pertes

matérielles furent considérables, car une automitrailleuse légère et une jeep notamment furent

perdues. Malgré tout, le moral des hommes restait élevé car ils étaient décidés à affronter

l’ennemi pour le lendemain, pensait le Colonel Rwanyagasore.

L’Etat-major lui envoya en retour un télégramme d’encouragement et il lui demanda de se

servir des cadres officiers pour maîtriser la situation en constituant une défense à Kiziguro où

il fallait recueillir les éléments en retraite, d’autant plus que le Bataillon commando

Mukamira allait arriver dans la soirée du 16 octobre 1990.

Cependant, les renseignements affluaient de partout signalant que les rebelles étaient en train

de concentrer d’importantes forces dans le secteur de Gabiro où ils comptaient sans aucun

115

doute lancer leur principal offensive vers Kayonza et Rwamagana. On estimait les forces

concentrées à Gabiro à près de 3 000 combattants en face desquels se trouvaient les 1 200

hommes des bataillons Huye, Mukamira et Gitarama, les 150 hommes de la compagnie

Bigogwe, les 350 hommes de la compagnie du Centre d’instruction Bugesera (Commandant

Niyonsaba) ainsi qu’une compagnie de l’escadron de reconnaissance, soit environ 2 000

hommes. Ce sont ces éléments qui passèrent la nuit du 16 au 17 octobre à Kabarore à la lisière

de la forêt. Ils commencèrent à se mettre en place dès 6 heures du matin et la première attaque

de l’objectif à l’entrée du parc fut fixée à 7h30. Il faut signaler ici que la logistique ne suivait

pas du tout car les soldats qui allaient se porter à l’attaque n’avaient pas été ravitaillés depuis

la veille et ils passèrent la journée du 16 octobre sans avoir rien mangé. Malgré tout, ils

s’ébranlèrent dans la matinée, s’engagèrent en profondeur dans le Parc et arrivèrent à

l’alignement Gatoke-Gisharara sans entrer en contact avec l’ennemi. Ils procédaient donc à un

ratissage lent et minutieux mais sans avoir préalablement délogé l’ennemi.

Vers le début de l’après-midi, ils entrèrent en contact avec la RPA : les combats durèrent tout

l’après-midi et la nuit du 17 au 18 octobre. L’ennemi put être contenu, le Ci Cdo Bigogwe

étant même parvenu à atteindre l’aérodrome de Gabiro avec le sous-lieutenant Sekimonyo.

Cependant, le ravitaillement en munitions restait précaire comme l’indique le télégramme du

Colonel Rwanyagasore dans lequel il réclame d’urgence des munitions pour M.A.G. et FAL,

de même que les bombes pour les mortiers 81 et 82 mm. Au même moment, dans leur

progression vers l’objectif, le CI Bugesera passa devant le bataillon Mukamira. Faute de

liaison radio, le bataillon Mukamira prit les hommes du commandant Niyonsaba pour des

rebelles et il faillit les anéantir.

En plus, les hommes du Major Kaka, chef des opérations à Gabiro, parvinrent à contourner les

soldats du Colonel Rwanyagasore et à les attaquer par derrière. Ce fut une débandade encore

plus catastrophique que celle du 15 octobre car tous les éléments qui avaient été lancés à

l’attaque se dispersèrent dans toutes les directions. C’est ainsi que le 18 octobre 1990, 38

militaires du bataillon Huye et 14 du CI Bugesera arrivèrent dans la soirée à Kibungo ; 6

soldats du bataillon Huye et 4 du CI Bugesera arrivèrent à Byumba à 17h30 : ils déclarèrent

avoir été dispersés à l’aérodrome de Gabiro et ils ne savaient plus où se trouvaient leurs

unités.

Le Commandant de la compagnie Byumba qui effectuait une patrouille de reconnaissance au

Bureau communal de Muhura rencontra le commandant du bataillon Huye, le major BEMS

Alphonse Ntezilyayo. Il semblait se diriger vers le lac Muhazi en direction de Rwamagana.

Trois militaires du bataillon Huye se présentèrent au Groupement Byumba à Ngarama et

demandèrent comment ils pourraient rejoindre leur unité. Enfin trois militaires du bataillon

Mukamira arrivèrent à Rwamagana à 7 heures : ils déclaraient s’être perdus lors des

mouvements de repli de leur unité le 18 octobre. Le commandant du groupement Rwamagana

se plaignit que ces éléments démoralisaient la population et les autres militaires par leurs

propos et il demandait à l’Etat-major de l’en débarrasser.

On constate par ces quelques cas que le bataillon Huye et le CI Bugesera avaient été

totalement désorganisés ; le bataillon Gitarama quant à lui s’était volatilisé. La situation était

116

donc grave et l’Etat-major demanda au Colonel Rwanyagasore qu’en attendant le

regroupement et le ravitaillement des unités, il devait défendre solidement et freiner l’ennemi

à hauteur de Nyakayaga. Une autre ligne de défense devait être prévue derrière la position

Munkomane et tous les officiers étaient invités à user de tous les moyens pour contenir les

hommes sur la position de défense avancée, c’est-à-dire Nyakayaga.

En même temps, l’Etat-major, manifestement gagné par la panique, ordonna au Commandant

des opérations de Ngarama, le lieutenant-colonel Nsabimana, de rendre disponible d’urgence

le bataillon Para qui devait se rendre rapidement à Kiziguro en passant par Kigali et

Rwamagana. Cette unité d’élite devait s’installer en défensive avec les autres unités qui s’y

trouvaient et les renforcer. Ce faisant, le secteur de Ngarama restait pratiquement sans

défense.

C’est que la ligne de défense recommandée par l’Etat-major à la hauteur de Nyakayaga ne put

être tenue, faute de troupes car le repli avait été plus important qu’on ne le pensait. Dans ce

cadre, le Colonel Rwanyagasore signala à l’Etat-major en date du 19 octobre que la position

de Kiziguro était uniquement défendue par une compagnie P.M., deux pelotons du bataillon

Mukamira, une section de reconnaissance et la BIE AC. Il ajouta à cette occasion qu’il n’était

plus en contact avec le CE Bigogwe et le reste du bataillon Mukamire et il demanda à l’Etat-

major d’ordonner à leurs commandants de le rejoindre à cette position.

En réalité, le reste du bataillon Mukamira et le CE Bigogwe s’étaient repliés jusqu’à Kayonza,

nœud routier vers la Tanzanie et vers Kagitumba. Le Major Bizimungu, commandant du

bataillon Mukamira, fut blessé dans le repli car une ancienne entorse au genou se rouvrit

quand il sauta un ravin.

La grogne était grande au sein de ces soldats et ils huèrent le Colonel Serubuga, Chef d’Etat-

major adjoint de l’armée qui les avait rejoints à Kayonza et qui les exhortaient à reprendre le

combat pour ne pas laisser le pays sans défense. Les militaires lui firent connaitre leurs

problèmes de ravitaillement et le Colonel Serubuga leur offrit à boire et à manger tout en leur

promettant que le ravitaillement allait être mieux assuré. Il leur présenta ensuite un jeune

garçon nommé Budeyi Pierre capturé dans le secteur de Ngarama et ramené par la Major

Ndahimana, en vue d’une exploitation psychologique. Présenté aux soldats du bataillon

Mukamira et du CE Bigogwe, ceux-ci eurent honte d’avoir fui devant un adversaire de cet

acabit et ils acceptèrent de se reporter au combat. Il est vrai aussi qu’ils venaient de

consommer force bouteilles de bière et ils étaient passablement éméchés après plusieurs jours

de privation. En tout cas, le bataillon para ne dut pas se déplacer de Nyagatare.

Au cours des combats de Gabiro, une demi-dizaine de militaires rwandais furent faits

prisonniers et ils furent présentés à la presse occidentale. Le FPR en fit une admirable

exploitation médiatique : après un simulacre de bastonnade de rebelles qui, soi-disant, avaient

rançonné les paysans, ils montrèrent aux journalistes le sergent Karangwa du Bataillon

Mukamira qui affirma que tous ses compagnons avaient certainement péri.

C’est dans ces conditions que l’Etat-major remania le commandement du secteur Gabiro car

le Colonel Rwanyagasore fur remplacé par la Major BEMS Rwendeye, jusqu’alors

117

commandant du bataillon de reconnaissance ; en fait, ce sont les militaires du bataillon

Mukamira et du CE Bigogwe qui imposèrent sa nomination au commandement du secteur.

Mais qui est justement le Colonel Rwanyagasore ? Né à Cyangugu, il fit ses études

secondaires au Collège du Christ-Roi de Nyanza. Il entra à l’Ecole d’Officiers et passa ses

brevets de commando dans plusieurs centres européens. Il dirigea le Centre d’Entrainement

Commando de Bigogwe (CE Cdo Bigogwe) et plus tard le bataillon Mukamira jusqu’en 1987.

Il a été entretemps nommé membre des tribunaux d’exception qui ont jugé le Major Lizinde,

en compagnie d’ailleurs du Colonel Mayuya. Il connaissait à ce titre certains des secrets parmi

les plus sordides du régime. Cependant, le Colonel Mayuya fut assassiné quand il venait

d’être affecté au Camp Kanombe. Comme il était promotionnel et ami du Colonel Ndibwami

arrêté –injustement comme on devait s’en rendre compte dans la suite- dans l’affaire Mayuya,

il tomba brusquement en disgrâce.

Il fut malmené par des inconnus jusque chez lui dans sa famille qui fut traumatisée par des

individus qui téléphonaient tout le temps chez lui pour s’étonner par exemple qu’il était

encore en vie, qu’il n’était pas encore en prison… Sa vie professionnelle semblait

irrémédiablement compromise car lui qui était un commandant de bataillon expérimenté, fut

affecté à l’Ecole Supérieure Militaire sans la moindre attribution. C’était donc pour lui une

longue traversée du désert, peut-être même une mise en quarantaine avant le coup final. Il

s’en rendait d’ailleurs bien compte lui-même et il attendait patiemment le coup de grâce.

Et puis voilà que brusquement, le 12 octobre 1990, alors que la guerre venait de commencer,

que les perspectives paraissaient sombres, l’avance des rebelles semblant irrésistibles, il est

nommé successivement commandant de bataillon, puis commandant des opérations dans le

secteur de Gabiro, avec l’ordre d’attaquer sur le champ. Il doit s’être dit sans aucun doute que

ses détracteurs profitaient de l’occasion pour l’envoyer à l’abattoir ! D’ailleurs d’après les

spécialistes, le commandement des opérations de ce type est toujours très difficile à effectuer

quand le commandant n’a pas une unité à lui sur laquelle il peut compter sans réserve. Bien

sûr il avait commandé le bataillon Mukamira mais il l’avait quitté depuis trois ans déjà et

étant donné la mobilité dans les unités, très peu de militaires avaient été sous ses ordres. En

plus, il eut le malheur de commander des unités très disparates et de valeur inégale alors qu’il

avait en face de lui le gros des assaillants! Il mourut enfin dans des circonstances très

obscures et d’aucuns affirment qu’il a été purement et simplement assassiné. Que son âme de

grand soldat repose en paix !

2.2.2.5. Le secteur de Ngarama

Au début du conflit, un document anonyme intitulé « le pays mène une guerre causée par le

Président de l’OUA » circula à Kigali. Ce document paraissait drôlement bien renseigné et on

peut raisonnablement supposer qu’il émane des milieux du Service Central de

Renseignements rwandais. D’après ce document, Monsieur Museveni, devant le piétinement

de ses hommes lancés sur le Rwanda, aurait décidé d’engager dans le conflit la 2°division de

la NRA avec des hommes frais et du nouveau matériel. Ces contingents auraient franchi la

frontière le 7 octobre 1990 à Rwempasha, un peu plus à l’ouest de Kagitumba

118

Effectivement, le 7/10/1990, le bourgmestre de la commune Muvumba signala à la compagnie

Byumba une attaque de rebelles sur le centre de Rukomo où ont été installés les réfugiés

burundais de 1972. Les assaillants avaient atteint le bureau communal à 13h30 avec comme

objectif de délivrer les prisonniers, ce qu’ils firent effectivement après avoir forcé les portes

du bureau communal. Ils raflèrent des tenues de la police communale qu’ils portèrent

incontinent, de même d’ailleurs que le drapeau de la République qu’ils réduisirent en torchon.

Ils réquisitionnèrent les véhicules de civils, y compris un minibus des Frères de Rukomo ; ils

commencèrent à enrôler de force les jeunes du centre, après avoir installé leur quartier général

au bureau communal.

C’est contre ce nouveau danger que fut envoyé les 450 hommes du bataillon para

(Commandant CGSC Ntabakuze) le meilleur du pays, si on excepte le bataillon Garde

Présidentielle. Le bataillon para établit ses quartiers à Gatsibo-Ngarama et curieusement, c’est

du même endroit que partaient naguère les expéditions du roi Rwabugiri allant guerroyer dans

l’Ankole, patrie de Yoweri Museveni. Le même jour, l’Etat-major enjoignit aux unités du

Centre d’Instruction de Gako (CI Bugesera) de faire mouvement vers Ngarama avec un

ravitaillement pour trois jours de combat au moins. Le commandant de ce contingent devait

passer d’abord à l’Etat-major pour recevoir les détails de sa mission. C’est ainsi qu’entrait en

scène le Lieutenant-colonel BEM Nsabimana Déogratias par l’action duquel les espoirs des

assaillants de s’emparer de Kigali s’évanouirent.

A ce moment, une avant-garde de la RPA formée d’environ 200 personnes avait déjà dépassé

le bureau communal et se dirigeait en file indienne vers le Sud, en direction de Ngarama. Elle

n’avait devant elle que la compagnie d’infanterie de Byumba qui ne faisait que retarder sa

progression. Le 9 octobre, les assaillants arrivèrent dans la région de Ngarama à 7 km de la

position occupée par le bataillon para. Des civils Bahima armés de lances et de machettes

progressaient devant eux, le FPR ayant décidé de les sacrifier pour prouver au monde que

l’armée rwandaise massacrait des civils. Malgré cela, l’Etat-major donna l’ordre au bataillon

Para, aidé par la compagnie Byumba, le CI Bugesera n’étant pas encore arrivé, de ne pas

hésiter à utiliser tous les moyens pour détruire la colonne ennemie. Le bataillon Para démarra

l’attaque vers 7h30 du matin alors que le lieutenant-colonel Nsabimana n’était pas encore

arrivé pour coordonner les opérations ; il devait quitter Kigali par hélicoptère ce même

mercredi 10 octobre à 7h00.

Le contact avec l’ennemi permit de stopper l’avance de la RPA et d’après un message de

l’Etat-major à toutes les unités, plusieurs rebelles furent tués, des armes et divers documents

récupérés. Le message ne précise pas le nombre de rebelles tués mais le soir du même

mercredi 10/10, dans sa seconde intervention publique depuis le début du conflit, le Chef de

l’Etat affirma que 6 rebelles avaient été tués à Ngarama. La tentative contre Ngarama avait

échoué mais une centaine de rebelles restaient retranchés à Mimuli à 9 km de Ngarama.

Ce même 10/10/1990, des journalistes belges dont Marie-France Cros purent se rendre à

Ngarama où ils rencontrèrent les réfugiés qui avaient fui les zones de combat. Dans un article

publié dans la Libre Belgique du 11/10 intitulé « les rebelles rwandais promettent la

3°République », Marie-France Cros rapporte les propos que lui aurait tenu un officier du

119

bataillon para. Cet officier semble s’adresser à Marie-France comme à confesse, ce qui jette

un grand doute sur ce que raconte cette journaliste qui n’en serait d’ailleurs pas à une

exagération près pour ce qui se rapporte au Rwanda. Des prisonniers ? « Non, pas de

prisonniers, si non on se déforce : il faut des soldats pour les garder et nous, nous voulons

foncer. Et puis, il faut les nourrir, les soigner… alors on les tue. Ca sape leur moral. Nous

nous sommes engagés à les tuer, pas à les repousser. Si non, ils reviendront plus tard ». Il est

vrai que des guerres de cette nature sont extrêmement cruelles et les prisonniers de part et

d’autre ont peu de chance de survivre.

Et les Batutsi ? « Ah les Tutsi, ils ne sont jamais contents. Même ceux qui ont un poste élevé

ont trahi. Dans l’armée rwandaise, il y avait des traitres tutsi qui se sont coalisés pour

récupérer nos moyens de transmission et indiquer nos mouvements à l’ennemi. Depuis 1975,

on avait injecté des tutsi dans l’armée. On avait fraternisé. Mais on est quand même comme

chats et rats ». Et le Colonel Kanyarengwe, ce militaire hutu qui a fait alliance avec les

rebelles ? « Il a été tué lundi soir, dans la résidence du Chef de l’Etat à Gabiro, dans le Parc

de l’Akagera ». On peut se demander pourtant comment il est possible de fraterniser et en

même temps être chiens et rats. En tout cas, même si on laisse de côté les incohérences de ce

discours, il est difficile de s’imaginer un officier de l’armée rwandaise tenant un tel langage

devant des étrangers ! Il n’est pas inconcevable que ce soit encore une fois une trouvaille de

Marie-France Cros qui veut à tout prix faire de nos misères un tremplin pour sa promotion

personnelle dans le journalisme.

A ce moment, d’autres réfugiés essentiellement les Bahima qui avaient aidé les assaillants,

traversèrent la frontière et arrivèrent en Uganda au nombre de 500. Ils s’empressèrent

d’affirmer à la presse que l’armée rwandaise avait massacré au moins mille civiles dans des

conditions horribles, sous prétexte qu’ils avaient « aidé les rebelles en lueur donnant de la

nourriture et des fusils ». Ainsi le jeune Férésian Rudakubana (15ans) affirma avoir vu

beaucoup de cadavres car « les soldats ont lancé une grenade à l’intérieur d’une maison où

nous étions une trentaine à nous cacher et je pense être le seul à avoir survécu ». De même le

prêtre Stephen Kabaleka affirma que l’armée rwandaise avait rayé de la carte trois des dix

villages où ces événements se sont déroulés, alors que chaque village avait au moins 500

personnes : « il n’y avait aucun moyen d’échapper parce que les soldats ont isolé par des

cordons chaque village avant d’ouvrir le feu ». Toutes ces allégations provoquèrent un émoi

considérable en Occident car elles furent répercutées par tous les média. Pourtant, ces

informations n’ont jamais été vérifiées et la véracité de ces massacres n’a pas été établie

malgré de nombreuses missions de vérifications.

Entretemps, les unités du Colonel Nsabimana continuèrent leur progression vers le Nord,

c'est-à-dire vers Nyagatare en enlevant au préalable la position de Mimuli. C’est ainsi que

vendredi le 12/10/1990, le Lieutenant Colonel Nsabimana put affirmer à un groupe de

journalistes que les rebelles ne cessaient de reculer depuis plusieurs jours. En effet, les

rebelles qui, quelques jours auparavant, se trouvaient aux portes de Ngarama, avaient été

repoussés de 20 km vers le Nord. Le Lieutenant Colonel affirma encore que la ligne des

combats entre les rebelles et les forces gouvernementales se situaient désormais à Muvumba,

120

à moins de 10 km de la frontière ougandaise à vol d’oiseau et à une cinquantaine de km du

poste de douane de Kagitumba.

Cela voulait dire que le prochain objectif des unités de l’armée rwandaise serait sans aucun

doute le centre de Nyagatare situé à une cinquantaine de km de Kagitumba. Ce sera

effectivement vite fait car d’après la dépêche n°7894 du 14 octobre à 13 heures de l’après-

midi (INT/OPS/90/35), le Colonel Nsabimana fit savoir à l’Etat-major de l’armée que le

Centre de Nyagatare avait été libéré. Le ratissage et la fouille systématique de Nyagatare

furent menées tambour battant. Les résultats de l’opération furent les suivantes :

- Quatre cadavres d’assaillants furent prouvés : en fait, plusieurs assaillants tombés

sur le champ de bataille avaient été jetés dans les marais ou alors emportés

- Le bétail et les magasins avaient été pillés et la région présentait un air de

désolation après 14 jours de présence des assaillants ; Nyagatare ne comptait plus à

ce moment qu’une trentaine d’habitants

- La population avait également signalé la fuite de leurs conseillers et responsables

de secteur, sans doute des Bahima proches des assaillants

- L’information concernant la présence de Kanyarengwe dans la région ne put être

vérifiée. En réalité, celui-ci se trouvait déjà en Belgique où il était arrivé samedi

13/10/1990 comme le confirme son apparition à la RTBF ce même jour.

Dans la libération de Nyagatare, l’armée rwandaise n’avait subi aucune perte. La prise de

Nyagatare fut confirmée par un témoin indépendant, le belge Paul van Vinck qui tenait un

garage à Nyagatare. D’après Monsieur van Vinck, blessé lui-même par une grenade pendant

les combats, le centre de Nyagatare fut repris par l’armée rwandaise dimanche 14 octobre à 11

heures locales après vingt-quatre heures de combats violents. Il était resté à Nyagatare malgré

les combats en compagnie de trois infirmières japonaises qui travaillaient à l’hôpital de

Nyagatare dans le cadre de la coopération rwando-japonaise. Il s’agit de Lisa Fujiwara et sa

sœur Minka ainsi que Michito Goto : elles n’ont pu rejoindre Kigali que le lundi 15/10/1990.

Monsieur van Vinck confirma le bilan fait à l’Etat-major par le Lieutenant-colonel Nsabimana

après la prise de Nyagatare. Il affirma que les combats pour la reprise de Nyagatare avaient

duré de samedi matin 13 octobre à dimanche 14/10 à 11h00 locale mais il y avait eu peu de

victimes malgré la violence des affrontements : à un certain moment, les deux adversaires

n’étaient séparés que par une centaine de mètres. Soudain, continue Monsieur Vinck, en fin de

matinée, les rebelles avaient décroché et avaient fui en débandade. Certains avaient

abandonné leurs uniformes et revêtu des tenues civiles afin d’échapper à l’armée régulière.

D’après ce témoin, les rebelles qui ont pénétré au Rwanda formaient une troupe hétéroclite ;

ils portaient toutes sortes d’uniformes, ugandais, rwandais, anglais et même français. Leurs

armes étaient également hétéroclites avec des fusils belges, des kalachnikovs… Au départ, ils

avaient un comportement correct avec les habitants qui n’avaient pas pu s’enfuir. Mais au fur

et à mesure qu’augmentait la pression militaire des forces régulières sur eux, ils devenaient

menaçants envers la population. Avant de fuir, ils avaient détruit l’hôpital, rançonné les

médecins, dévasté l’école et volé des vaches. Monsieur Van Vinck a vu parmi les rebelles des

enfants de 12 à 15 ans auxquels on n’avait mis un uniforme et donné un fusil. On verra dans

121

la suite que Monsieur Vinck démentit les informations selon lesquelles l’armée rwandaise

avait perpétré des massacres sur les civils.

Les combats pour le contrôle de Nyagatare provoquèrent de nouvelles vagues de réfugiés

bahima qui se réfugièrent en Uganda : ils accusèrent de nouveau l’armée rwandaise d’avoir

massacré au moins 200 personnes. Un certain Mathias Sejyojyo, blessé au dos et à la jambe

rapporta à l’Agence Reuter ce qui suit : « Douze cars de soldats sont arrivés alors que nous

nous occupions du bétail. Ils nous ont ordonné de rentrer dans nos maisons. Ils ont

commencé à abattre le bétail, puis nous ont ordonné de sortir. Nous pensions être libérés

mais ils nous ont alignés et ont commencé à abattre les gens ». Il aurait lui-même perdu huit

membres de sa famille et c’est lui qui estimait le nombre de tués à 2 000 personnes dans trois

ranches

Pourtant, Monsieur Vinck avait démenti qu’il y ait eu des massacres dans la région de

Nyagatare comme le montre une dépêche de l’Agence France Presse du 15 octobre. Ces

massacres ont-ils été réellement commis ou était-ce tout simplement un épisode de cette

guerre médiatique que le Rwanda avait perdu dès le début de la guerre? En tout cas, nous

espérons que l’armée rwandaise n’a pas commis d’actes aussi ignobles qui étaient d’ailleurs

contraires à ses intérêts.

Le FPR de son côté tenta d’expliquer le revers de Nyagatare par la présence de mercenaires

blancs. C’est ce qu’affirma le Major Pierre Bayingana à l’AFP en prétendant que des blancs

avaient été vus avec les forces gouvernementales rwandaises près de Nyagatare. Il pensait

qu’il pouvait s’agir de militaires belges. Bruxelles opposa aussitôt un démenti catégorique à

ces allégations.

Pour récupérer Nyagatare, la RPA lança une contre-attaque de grande envergure le 15 octobre

et le Lieutenant-colonel Nsabimana signala à l’Etat-major que son secteur subissait des tirs de

mortiers 120 mm à partir de l’aérodrome de Nyagatare. Les tirs étaient si intenses qu’il ne

pouvait organiser une riposte avec la Bie AC et il demandait une action par hélicoptère. En

fait, il s’agissait des premiers tirs par orgue de Staline « Katioucha », arme dont les militaires

rwandais n’avaient pas la moindre idée : ils seront d’ailleurs ahuris quand ils en eurent capturé

un à Lyabega car jamais jusqu’alors, affirmèrent-ils plus tard, ils n’avaient vu une arme à 12

bouches. L’attaque put être contenue malgré ce qu’affirma le New Vision du 19 octobre sur la

fois de renseignements fournis par des officiers de la RPA. Ceux-ci faisaient sans doute

allusion à l’attaque qu’ils avaient lancée sur la position de Nyagatare le 18 octobre mais qui

avait échoué.

Signalons aussi que c’est le 15 octobre que l’Etat-major de la gendarmerie rendit disponible le

groupement de gendarmerie de Ngarama (Major Higaniro) comme unité de combat avec

comme mission principale de tenir le nœud routier Ngarama-Gabiro et Ngarama-Nyagatare. Il

devait en même temps assurer les arrières du secteur de Ngarama. Après des débuts

décevants, cette unité va jouer un rôle considérable dans les combats ultérieurs, notamment en

assurant le service de renseignement sur les déplacements ennemis.

122

Cependant, par l’instruction du 12 octobre 1990, le Lieutenant-colonel Nsabimana reçut

l’ordre de ne pas dépasser la transversale de Nyagatare sans autorisation spéciale de l’Etat-

major ; il devait d’abord attendre l’évolution des événements dans le secteur de Gabiro.

2.2.3. Vers une contre-attaque couronnée de succès

L’armée rwandaise termina son baptême du feu le 18 octobre 1990 avec la débandade de

Gabiro. A partir de ce moment là, elle se restructura profondément et assura ses sources

d’approvisionnement ; la logistique fut mieux organisée et de jeunes chefs furent placés à la

tête des opérations. Elle était alors prête pour la contre-attaque.

2.2.3.1. Nyakayaga et Kabarore

Le Major Rwendeye, qui sera nommé lieutenant-colonel à titre posthume, reprit la situation en

main avec comme principal atout la présence du bataillon de reconnaissance dont il était le

Commandant. Comme première mesure, le bataillon Huye fut ramené dans ses baraquements

de Kibungo pour restructuration car il avait été jugé défectueux : nous avons déjà vu que

c’était prévisible. Il fut effectivement réorganisé par le Major Kamanzi et il participa à tous

les combats ultérieurs. La plupart de ses officiers furent d’ailleurs mis en prison comme

traîtres mais ils seront reconnus innocents par les tribunaux militaires. Le bataillon Gitarama

fut lui aussi ramené dans ses casernes mais pour une courte période car dès le 20 octobre, les

éléments du 12°bataillon renforcèrent les dispositifs de défense des positions de Cyamutara et

de Rwagitima.

Il ne restait alors au Major Rwendeye que le bataillon Mukamira, le CE Biggwe, une

compagnie P.M., la BIE AC et une unité du bataillon de Reconnaissance. Si on y ajoute le

bataillon C.I. Bugesera qui se trouvait à Kiziguro comme réserve du secteur Gabiro, cela

faisait 1 000 combattants.

Au moment où le Major Rwendeye prend le commandement des opérations, les assaillants

s’étaient retranchés à Kabarore, après avoir pillé les boutiques du petit centre, notamment un

lot de 16 vélos qui furent distribués aux éclaireurs devant les utiliser pour détecter les

positions de l’armée rwandaise. Ils avaient distribué de fausses cartes d’identité à la

population et forcé les jeunes gens à s’enrôler, les plus âgés devant chasser le gibier pour eux.

Par le télégramme RT OBS/LOG/90/05, le Major Rwendeye proposa à l’Etat-major de se

porter à la hauteur de Rwagitima avec le CE Gigogwe à Matare, le bataillon Mukamira à

Nyabubare, la Bie AC à Nyagahanga et la Compagnie P.M. avec des unités de reconnaissance

sur l’axe principal asphalté. Il comptait poursuivre l’action dans l’après-midi en fonction des

résultats. Le 20 octobre, les différentes unités, mieux ravitaillées, se portèrent à l’attaque et

accrochèrent les avant-postes de l’ennemi. Le lendemain 21 octobre, environ 600 rebelles

attaquèrent les positions tenues par le bataillon Mukamira et le CE Bigogwe. Le bataillon

Mukamira repoussa l’attaque mais le Ce Bigogwe, submergé, se replia à l’est vers Nyarunazi,

côte 1648. Comme l’ennemi risquait de revenir en masse, l’Etat-major conseilla à Rwendeye

de se replier en ordre sur la position défensive précédente.

123

Ce demi-échec s’expliquait par le retard de la compagnie Cyangugu qui devait servir de

renfort et par des défaillances de l’appui qui n’exécuta pas les ordres reçus. A ce moment, des

prisonniers déclarèrent que le moral des assaillants avait commencé à baisser, que beaucoup

d’entre eux cherchaient à déserter, malgré les renforts en hommes qui arrivaient en masse.

Pour cette raison, des opérations de harcèlement de l’ennemi furent menées à Nyakayaga par

une partie de la P.M. et de la compagnie Cyangugu qui venait d’arriver. Le CE Bigogwe et le

bataillon Mukamira se reposaient en préparation d’une action plus vigoureuse pour le 22

octobre, pendant qu’une autre partie de la P.M. et un peloton de reconnaissance verrouillait

l’axe asphalté à Rwagitima.

En attendant, une attaque par hélicoptère fut effectuée sur le Centre de Kabarore pour

désorganiser l’ennemi au repos dans les bivouacs. Un hélicoptère fut abattu au cours de

l’attaque et le Commandant Kanyamirwa Jacques, grièvement brûlé, fut transporté d’urgence

dans un hôpital de Paris tandis que son compagnon, le Capitaine Tuyilingire Javan, fut brûlé

vif dans la carcasse de l’appareil. Le bataillon Mukamira assistait, impuissant, à cet épisode.

Dans une interview rapportée par le New Vision du 23 octobre 1990, le Lieutenant Alphonse

Furuma affirma que l’armée rwandaise continuait à reculer mais que les attaques

d’hélicoptères avaient augmenté depuis le 22/10. Il affirma que les hélicoptères rwandais

violaient l’espace aérien de la Tanzanie par où ils passaient avant d’attaquer leurs positions.

D’après lui, les rebelles ne pouvaient pas abattre ces appareils car auparavant, ils avaient cru

que c’étaient des appareils tanzaniens qui effectuaient des patrouilles aux frontières. On

sentait dans ces propos une grande inquiétude chez les rebelles qui s’aperçoivent que les

soldats rwandais commencent à se battre sérieusement. Cependant, il affirmait que l’avance

des rebelles les avait portés à 8 km de Kabarore, une « ville » capturée la semaine précédente.

Ce 22 octobre justement, le CE Bigogwe entra en contact avec 3 pelotons ennemis au centre

de Nyakayaga : le Ce Bigogwe fur repoussé et se regroupa sur la crête Cyabusheshe. Le 23

octobre, toutes les unités se portèrent à l’attaque. Le CE Bigogwe se porta vers le centre de

Nyakayaga et neutralisa deux pelotons ennemi mais il subit la contre-attaque d’un bataillon et

dut se replier. Pendant ce temps, les compagnies Byumba et Cyangugu ainsi que le bataillon

Mukamira réussirent à percer les lignes ennemies, au moment où deux pelotons P.M. et un

peloton de reconnaissance tenaient la route asphaltée à hauteur de Rwagitima.

Les hauteurs de Nyakayaga furent conquises car le CE Bigogwe atteignit la crête 1674 qui

domine le centre de Kabarore et l’ennemi, après des tirs de démoralisation par orgue de

Staline, s’enfuit vers Gabiro. De petites actions de patrouilles furent organisées pour connaitre

ses positions mais sans se laisser accrocher, en attendant de poursuivre l’action vers Kiburara.

En plus, le Major Rwendeye profita de l’interruption momentanée des combats pour fouiller

les vallées de Nyakayaga et celle de Nyacyonga située entre Nyakayaga et Rwagitima où

deux rebelles furent tués, dont un sous-lieutenant et leurs effets pris. Une patrouille de combat

envoyée vers Kabarore ne put atteindre ce centre encore truffé d’ennemis. Les pertes de la

journée de Nyakayaga furent de 3 tués : la recrue Maburuki du CI Bugesera, le sergent

Ndereyimana et le soldat Ngabonziza du bataillon Mukamira.

124

La journée de Nyakayaga fur le premier succès palpable dans le secteur de Gabiro : l’Etat-

major félicita le major Rwendeye et offrit une bouteille de bière Primus à chaque homme.

Mais le bataillon Mukamira avait des problèmes de cadres car son commandant, le Major

Bizimungu avait été blessé le 18/10 ainsi que deux officiers ; le Commandant du bataillon

Kibuye avait un problème de respiration. C’est dans ce cadre que le Commandant Ntamagezo,

le lieutenant Ntagugura et le sous-lieutenant Habyalimana Joseph furent dépêchés à Kiziguro

pour renforcer le bataillon Mukamira. La Compagnie Gitarama fut envoyée en renfort avec le

capitaine Ndamage avec comme autres renforts d’officiers, les sous-lieutenants Niyibizi et

Musabyimana provenant de l’ESO, le sous-lieutenant Ndangamira devant rejoindre quant à

lui la compagnie Kibuye sur le terrain. Le major Ntirurashira du bataillon Gitarama fut mis à

la disposition de l’Etat-major pour une autre mission.

Cependant, le ravitaillement devenait de plus en plus difficile car les positions s’éloignaient

de la route et il y avait carence de petites marmites pour la cuisine. Malgré tout, l’objectif du

secteur Gabiro restait de reprendre Kabarore et la crête Kiburara, ce qui sera fait le 25 octobre

simultanément par Kuburara, Nyarubuye et Kabarore. Mais l’ennemi avait déjà fui vers le

Nord ; même une mission d’observation aérienne envoyée plus au nord le long de l’Akagera

et vers Matimba montra que l’ennemi avait fui vers la région de Ntoma. Effectivement, le 26

octobre, les unités du secteur Gabiro atteignirent la crête au dessus du Guest-house et de la

maison de passage du Chef de l’Etat sans aucune résistance ennemie et les patrouilles de

combat signalèrent l’absence d’ennemis dans la région de Gabiro. Le Major Rwendeye

n’avait alors aucune idée sur la direction prise par l’ennemi. C’est que les choses avaient

rapidement évolué dans le secteur de Ngarama où le carrefour routier de Lyabega, vital pour

le ravitaillement de Gabiro, venait d’être coupé par le Lieutenant-colonel Nsabimana.

125

Figure n°8. La région Nord du Rwanda

2.2.3.2. Le tournant de Lyabega

Si on essayait de faire le point au 18/10/1990, on pourrait dire que les forces de la RPA

tiennent solidement les positions de Gabiro et son hinterland jusqu’à Nyakayaga, avec des

éléments avancés ayant déjà pénétré dans la commune Muhura. Par contre, les tentatives pour

reprendre le centre de Nyagatare ont échoué, ce bourg étant solidement défendu par les

meilleurs soldats de l’armée rwandaise. En tout cas, en dépit des tractations diplomatiques

visant l’établissement d’un cessez-le feu, les deux adversaires fourbissaient leurs armes en

vue de l’assaut final.

C’est ainsi que le FPR multiplie le recrutement de jeunes gens même mineurs, qui seront

transférés dans la suite à Maziba, localité située en Uganda en face du poste douanier de

Buziba-Byeya. Les armes lourdes qui étaient stockées à Kabare et des camions chargés de

munitions s’ébranlèrent pour Kagitumba. Pour matérialiser leur détermination, les

combattants du FPR se déplacent avec leurs familles comme les hordes des Cimbres et des

Teutons avant leur décimation par Marius. Ainsi, les unités rwandaises seront étonnées de

voir des cohortes de femmes et d’enfants qui accompagnaient les rebelles jusqu’aux zones de

combat.

126

En même temps, ils continuaient à recruter des partisans et des sympathisants. Ce n’était pas

chose difficile dans cette zone du Mutara peuplée de pasteurs Bahima. C’est ainsi que la

compagnie Byumba se plaint à l’Etat-major qu’au fur et à mesure que nos forces avancent

vers Tabagwe-Shonga-Kazaza, la région se vide de population qui est remplacée par des

rebelles déguisés en paysans. Quant aux sympathisants, le FPR pouvait compter sur quelques

religieux devenus hostile à la cause du Rwanda, comme les Pères Otto Mayere de Rukomo,

Castagnara de Muhura, Jean Carlo de Nyarurema, l’Abbé Médard Kayitakibwa originaire de

Rukomo. Etant donné l’ampleur et l’influence de ce groupe, on proposait d’en référer à

l’Evêque de Byumba.

La partie rwandaise quant à elle multiplia les patrouilles de reconnaissance, notamment sur les

axes Tabagwe-Nyagatare, Ngarama-Gabiro, dans la région de Rwempasha et le ravitaillement

en munitions de toutes sortes fut accéléré. En attendant, les escarmouches se multiplient,

comme cette unité du CI Bugesera patrouillant au centre de Tabagwe qui essuie le feu des

rebelles. Les rebelles tentent même de semer le désarroi dans les rangs rwandais par une

guerre psychologique comme cette lettre anonyme envoyé au Colonel Nsabimana à Nyagatare

et qui invite les soldats à déserter les rangs et à rejoindre les rebelles car le régime

Habyalimana n’en avait plus pour longtemps, affirmait-on.

C’est sans doute pendant les périodes sombres des retentissants échecs des attaques sur

Gabiro (17-18-19 octobre 1990) que le Lieutenant Colonel Nsabimana mit au point les détails

de l’opération qui réduisit à néant les espoirs initiaux du FPR. Celui-ci avait en effet espéré

qu’à défaut de foncer rapidement sur Kigali, il pourrait au moins garder les positions

conquises et à l’occasion d’un cessez-le feu, négocier en position de force. Rappelons que

c’est l’une des alternatives qui avait été retenue au début du conflit. Il s’agira pour le Colonel

Nsabimana de faire sauter le verrou de Lyabega par où transite tout le ravitaillement du FPR

et de foncer ensuite vers Kagitumba pour enfermer les combattants du FPR dans la nasse du

Parc de l’Akagera. Ils seraient alors coincés entre la barrière de l’Akagera et les forces

rwandaises.

C’est le 20/10/1990 que les détails de la manœuvre furent finalisés avec le Major BEM

Rwabalinda, G3 à l’Etat Major et le Lt Colonel BEM Nsabimana reçut le feu vert. Il

commença d’abord par multiplier les patrouilles de reconnaissance et d’occupation des points

stratégiques. Ainsi un peloton du Groupement Byumba fut chargé d’occuper le nœud routier

de Tabagwe. D’autres éléments furent chargés d’effectuer des patrouilles en direction de

Nyagatare et au Nord de la rivière Rwagitunga-Muvumba jusqu’à Rwempasha. Le Bataillon

CI Bugesera (Major Musonera) fut installé à l’Ouest de Nyagatare à Uwabahemba pour

repousser toute tentative ennemie sur Nyagatare. Ce Bataillon sera encerclé par le RPA.

D’après Alphonse Furuma, Commissaire politique en chef de la RPA (New Vison du 24

octobre 1990), cette unité, estimée par lui à 300 hommes, repoussa les offres de reddition de

la RPA qui avait l’intention de lui porter le coup fatal le 22 octobre 1990, surtout que son

ravitaillement ne pouvait plus se faire que par hélicoptères. Le Lieutenant Furuma ne se

rendait pas compte que le Major Musonera et ses hommes servaient plutôt d’écran de fumée,

l’action principale de Nsabimana se trouvant ailleurs ; le Major Musonera et son bataillon

parvinrent d’ailleurs à briser l’encerclement.

127

Mais c’est surtout l’axe Ngarama-Gabiro qui inquiétait le commandant des opérations de

Ngarama car la RPA pouvait facilement foncer de Gabiro vers Ngarama et couper ses lignes

de ravitaillement et ainsi de chasseur devenir gibier. En effet, les renseignements signalaient

la présence de rebelles sur les hauteurs de la commune Muhura et les patrouilles du

groupement Ngarama (Major Biganiro) signalaient la présence des rebelles à Rebero. La

population leur avait appris avoir vu l’ennemi se ravitailler en eau dans la vallée de

Rwangingo et se diriger vers Marimba-Kabarore très tôt le matin. Le même groupement

récupéra une mine ATK de 5 kg qui avait été déterrée par la population sous le pont de

Nyamuraza, secteur Gitoke sur la route Gituza-Gisaka. La RPA semblait plutôt redouter une

attaque du secteur Ngarama sur Gabiro. Le Colonel Nsabimana insista auprès du groupement

Byumba pour qu’il poursuive les patrouilles dans la région de Gituza en collaborant au

maximum avec la population et les autorités locales, surtout le long de l’axe Gabiro-Ngarama

pour détruire ou fixer l’ennemi éventuel.

La manœuvre est mise en branle le 21 octobre avec la compagnie de Byumba (Commandant

Mugaragu), qui arrive sur sa position de Gasheshe, position qui domine la route de

Kagitumba, à trois ou quatre km de Lyabega. Nous ne raconterons pas le détail des opérations

de Lyabega car de nombreux officiers qui y ont participé ont l’intention de le faire avec plus

de précisions et de professionnalisme, grâce à leurs cahiers de campagne. Nous dirons tout

simplement que les combats débutèrent le 22 octobre et le 23, le carrefour de Lyabega était

entre les mains des forces rwandaises grâce au bataillon Para, surtout sa 3°compagnie.

L’équipe du génie réalisa aussitôt deux bouchons sur la route Gabiro-Kagitumba, le premier à

la hauteur de Lyabega, le second à la hauteur de Gasheshe sur la route vers Kagitumba.

Le Colonel Nsabimana fit pour l’Etat-major le bilan des combats qui s’étaient déroulé à l’est

et à l’ouest de la Muvumba. A l’Ouest de la Muvumba, on se rappelle que le major BEM

Musonera et le bataillon CI Bugesera avaient été encerclés par la RPA. Au cours des combats,

27 rebelles furent tués par le bataillon CI Bugesera qui perdit 7 hommes. A l’est, le bataillon

para qui s’était emparé de Lyabega fit le bilan suivant :

Côté ennemi : 40 tués, 5 véhicules détruits dont un chargé de munitions, un fût d’essence, un

bitube de 37 mm, 1 Katioucha, 1 canon sans recul, un major capturé. Il s’agit en fait de

Nyiligira Bosco qui ne serait que lieutenant mais qui prétendit être major pour être traité avec

égard.

Côté bataillon para : un soldat tué, un blessé grave et 2 blessés légers.

Le même jour, la compagnie Byumba fut attaquée sur sa position de Gasheshe par un

adversaire venu de Kagitumba et estimé à 200 hommes. Les combats évoluèrent jusqu’au

corps à corps et le commandant Mugaragu demanda à son chef l’autorisation de décrocher. Le

Colonel Nsabimana refusa catégoriquement mais Mugaragu reçut la 3°compagnie para qui

traversa la route asphaltée et attaqua la RPA à revers. Ce fut un carnage dans les rangs

rebelles qui perdirent 100 hommes. Le Colonel Nsabimana rapporta les événements à l’Etat-

major en ces termes : « l’attaque ennemi sur notre position en provenance de Kagitumba a

débuté à 6h30. Les combats ont eu lieu entre nos forces et les rebelles qui ont laissé sur le

terrain plus de 100 morts, une soixantaine d’armes individuelles et leurs munitions, un

128

blindicide et des documents. Le matériel récupéré a été acheminé à Rukomo pour envoi à

Kigali. Parmi les tués se trouve l’ex-sergent Gahutu ayant détourné de l’argent à la Banque

Populaire de Gabiro et un officier rebelle nommé Mugisha Charles. Du côté ami, deux morts

et deux blessés de la compagnie Byumba. En outre, deux soldats rebelles faits prisonniers ont

succombé sous leurs blessures. La position de Lyabega est actuellement tenu et nous ne

redoutons pas d’action ennemie de grande envergure en provenance de Kagitumba, la

menace en provenance de Gabiro étant la plus probable mais avec des forces ennemies

déliquescentes. Le moral des troupes reste très haut. Ils restent sensibles aux soins que vous

ne cessez pas de leur prodiguer ».

Ce que Nsabimana ne savait pas, c’est que parmi les morts se trouvaient les Majors

Bayingana et Bunynyezi, les deux grands chefs de la RPA qui était proprement décapitée. Les

combats continuèrent dans les environs de Lyabega, comme ce peloton du CI Bugesera qui

tomba dans une embuscade à Uwabahemba le 25 octobre à 5h20. Il y eut même une attaque

sur Nyagatare le même jour à 10h30 et la compagnie Byumba perdit un sous-officier, un

caporal brancardier et eut trois blessés. Le chauffeur d’une camionnette officielle fut

également tué. La RPA perdit quatre hommes et deux armes furent récupérées par la

population locale. Les combats continuaient mais en fait une phase de la guerre a été clôturée

à Lyabega, car cette journée constitue un cuisant revers pour les combattants de la RPA. Selon

le Colonel Nsabimana, 320 morts auraient été dénombrés, ce qui n’est pas invraisemblable car

le RPA fut amené à un certain moment à combattre dans des conditions épouvantables.

D’après le témoignage d’officiers rwandais présents sur le théâtre des opérations, les

Inkotanyi sont arrivés en position « administrative », c’est-à-dire qu’ils avançaient sans s’être

déployés au préalable, tellement ils tenaient l’armée rwandaise en peu d’estime. Ils avaient

probablement l’intention de constituer à Lyabega une base fortifiée avant de se porter vers

Nyagatare ou alors constituer des réserves vers Gabiro. En tout cas, l’orgue de Staline qui

avait pilonné Nyagatare fut prise : c’était la première fois que les unités rwandaise voyaient ce

type d’armes qu’ils avaient pris auparavant pour une batterie de mortiers de 120mm.

Quelques jours auparavant, l’envoyée spéciale de la RTBF, Mme Elisabeth Burdot avait fait

un reportage auprès de la RPA. Elle s’était entre autres entretenue longuement avec le Major

Bayingana qui l’avait profondément impressionnée, jusqu’à la séduire pratiquement. Elle sera

d’ailleurs réellement affectée par sa mort le lendemain alors qu’au Rwanda, l’annonce des

événements de Lyabega provoqua des manifestations de joie et d’allégresse. La RPA tenta de

minimiser la portée de la journée en attribuant la défaite à la participation des troupes belges

dans les combats de Gabiro et de Nyagatare. D’après eux, 35 véhicules militaires belges et 20

minibus non belges seraient arrivés de Tanzanie le 17 octobre et des soldats belges

participeraient aux combats depuis le 22 octobre 1990. C’est Marie France CROS qui

rapporte ces propos dans la Libre Belgique du 25 octobre 1990 mais elle ajouta également les

démenties d’un Major belge qui niait catégoriquement la participation de Blancs dans les

combats. Quant à l’utilisation d’avions, il s’agissait en réalité des hélicoptères qui sont

intervenus à Kabarore et Nyagatare.

La RPA accusa également l’armée rwandaise d’avoir violé le cessez-le feu. Rappelons que ce

cessez-le feu avait été obtenu à l’issue de la seconde mission en Afrique du Premier Ministre

129

belge Wilfried Martens. Il devait entrer officiellement en vigueur mercredi 24 octobre à 10

heures locales (8 heures GMT). Le Ministre Bizimungu Casimir avait confirmé à son

homologue belge, Mr Mark Eyskens, que le Rwanda avait accepté le principe du cessez-le feu

mais en même temps il accusait déjà les rebelles de ne pas respecter la trêve des combats, ce

que ceux-ci démentirent dans un communiqué transmis à l’AFP à Bruxelles.

On pourrait ici se demander qui a réellement violé le cessez-le feu mais comme toujours en de

pareilles circonstances, il est difficile de se prononcer là-dessus. Ce qu’on peut dire avec

certitude, c’est que ce cessez-le feu n’arrangeait personne en réalité. Le FPR par exemple, fort

de ses récents succès à Kabarore et Nyakayaga devant une armée rwandaise en débandade,

aurait voulu frapper un grand coup pour arriver à Kigali et prendre le pouvoir au lieu de le

partager, ce que supposaient les négociations qui auraient suivi le cessez-le feu. Les

importants préparatifs interrompus à Lyabega semblent le prouver. Quant au gouvernement

rwandais, il n’est pas nécessaire d’être sorcier pour comprendre qu’il n’avait pas le moindre

avantage à accepter un cessez-le feu qui consacrerait en fait la victoire du FPR. En effet,

accepter de négocier, c’était accepter de revenir sur les acquis de la Révolution sociale de

1959 que la majorité des rwandais considèrent comme non négociables.

Les positions étaient de par trop inconciliables et c’est ce que ne comprenaient pas les

occidentaux car au delà des injustices du régime Habyalimana envers une partie des citoyens,

il y avait les rancœurs accumulées pendant plusieurs générations et qu’on n’efface pas d’un

coup de baguette magique ! C’est ce que voulait exprimer le Président Habyalimana lors de

son message adressé à la Nation le 29 octobre quand il affirmait qu’il ne peut être question

pour le Rwanda de négocier directement avec les agresseurs tant et aussi longtemps que leur

départ du territoire rwandais n’interviendra pas comme partie intégrante d’un quelconque

règlement. Mais d’après Monsieur Eyskens, lors d’une mission pour la paix au Rwanda, le

cessez-le feu s’entendait in situ, c'est-à-dire sur les positions conquises par le FPR dans le

Nord-est du Rwanda. C’était faire la part trop belle aux assaillants alors que le Rwanda

n’avait pas encore épuisé toutes les possibilités.

2.2.3.3. La reprise de Kagitumba

Après avoir pris et consolidé le verrou de Lyabega, le Colonel Nsabimana avait hâte de foncer

vers Kagitumba pour empêcher la fuite des rebelles vers l’Uganda. Mais il fallait d’abord

attendre les éléments du Major Rwendeye venant de Gabiro car l’Etat-major avait interdit

toute action au-delà de Ntoma, avant l’occupation de Gabiro. Nsabimana envoya un élément

du bataillon Para sur la crête de Rwisirabo à quelques 6 km au Sud-est du carrefour de

Lyabega pour accueillir et réaliser la jonction avec les unités du secteur Gabiro.

En attendant, des fouilles furent effectuées dans la vallée de la Muvumba en collaboration

avec la population locale : le P.C. des rebelles fut découvert, des documents saisis et un dépôt

de munitions de petit et de gros calibre retrouvé à l’aérodrome de Nyagatare. Une patrouille

de combat fut envoyée dans la région de Rwempasha : elle trouva le centre entièrement libre

d’ennemis mais la population locale signalait la présence de quelques éléments suspects au

delà du pont de Kazaza.

130

Pendant ce temps, le Major Rwendeye dirigeait la fouille de Gabiro mais sans résistance

ennemie et le commandement en profita pour consolider la défense. Les véhicules de combat

abandonnés lors de la prise de Gabiro avaient été réparés et emportés par les rebelles. On

trouva tout de même un mortier de 60 mm, un canon de MI.50, un trépied MAG et des

munitions dont deux bombes de mortier 120 mm, une arme automatique de type Bren, ainsi

qu’un tube lanceur de fabrication soviétique non autrement identifié. C’était manifestement

trop peu par rapport à toutes les armes et munitions capturées par les rebelles lors de

l’occupation de Gabiro.

Dès ce moment, la mission du Major Rwendeye fut de défendre Gabiro mais aussi et surtout

de poursuivre l’action vers Lyabega pour opérer la jonction avec le secteur de Ngarama. Cette

jonction sera réalisée le 27 octobre avec comme dispositif avancé le bataillon Mukamira, le

CE Bigogwe, l’escadron de reconnaissance B sur la crête Muwinkuba, la position de

Kabonaro-Kangundu proposée par l’Etat-major n’ayant pas pu être atteint. Pour raccourcir la

ligne de la communication, le Centre logistique de Kayonza fut déplacé vers Kabarore le 28

octobre 1990. Depuis lors, après la réunion de coordination du 28 octobre, on décida que les

unités du Lieutenant Colonel Nsabimana progresseraient vers Kagitumba à l’ouest de la route

asphaltée, celle de Rwendeye à l’Est. Ainsi le 28 octobre 1991, la disposition des éléments du

secteur Ngarama était la suivante :

Le C.I. Bugesera à Rwempasha, le Bataillon Para avec un élément du Génie sur la hauteur de

Nyagatare II, .la Compagnie Byumba répartie en deux groupes : le premier tient solidement

Lyabega, l’autre Nyagatare avec comme mission de protéger la ligne de ravitaillement et le

Centre logistique en effectuant en même temps des patrouilles vers Tabagwe.

Le 29 octobre, ces éléments atteignirent la transversale recommandée par l’EM AR à la

hauteur de Gihinga sans rencontrer de résistance. Mais les renseignements signalaient la

présence d’un groupe de réfugiés évalués à près de 10.000 personnes à Kizinga ainsi que le

mouvement de cinq véhicules ennemis en provenance de Namuhemura vers Matimba.

Au secteur de Gabiro, la progression continua le 28/10/1990 en direction de Kagitumba mais

à partir de 15 heures, les unités furent accrochées par l’ennemi dans une embuscade tendue

sur la crête Gacunderi. En fait, la plupart des ennemis estimés à une centaine n’avaient pas

d’armes et ils s’enfuirent en laissant sur place un canon sans recul de 75mm, un canon sans

recul de 57mm et leurs munitions, 7 fusils Kalachnikov, un sac de médicaments et des

bombes de mortiers 82mm.

C’est à ce moment que l’Etat Major recommanda aux deux secteurs Gabiro et Ngarama

d’opérer de nouveau leur jonction à Ntoma pour mieux assurer leur sécurité arrière et protéger

leur ligne de communication. Les unités de défense de Gabiro devaient en même temps

continuer à envoyer des patrouilles aux alentours du Camp pour repérer les activités de

l’ennemi.

Après la jonction de Ntoma, le commandement opérationnel de Gabiro évolueraient vers

Matimba, le secteur de Ngarama vers Nyabwishongezi, pendant que la Bie AC tiendrait

compte de l’évolution sur le terrain de façon à pouvoir intervenir au profit des deux secteurs

(RT OP5/90/8389). La jonction se fit à Ntoma le 29 octobre 1990 sans rencontrer de

résistance ennemi sauf du côté de Namuhemura où des installations de la RPA avaient été

observées. Des patrouilles de combat furent envoyées dans cette direction.

131

Le 30 octobre 1990, les commandants des deux secteurs annoncèrent par leur message RT

OPS/90/193 que Kagitumba avait été libérée et des mouvements spontanés d’allégresse

éclatèrent dans tout le pays. Pourtant, la prise de Kagitumba et les actions qui l’ont précédée

n’eurent pratiquement aucun écho dans la presse étrangère. Dans une dépêche de l’AFP datant

du 29 octobre, on fit tout de même état de l’avance des forces rwandaises vers Kagitumba en

citant des sources militaires ougandaises. Le commandant de l’armée ougandaise dans la

région, le Colonel Reuben Ikondere indiqua à l’AFP qu’à la suite de la progression des

troupes rwandaises vers la frontière, il avait conseillé aux populations locales de quitter les

lieux. Du côté ougandais de la frontière, il n’avait vu, affirmait-il, que quelques soldats

rebelles. Une autre dépêche de l’AFP datant de 30 octobre affirma également que la prise de

Kagitumba signifierait un revers important pour le FPR dont les quelques 3.000 combattants

seraient alors réduits à se disperser par petites unités dans la région du Parc de l’Akagera.

C’est effectivement ce qui s’est passé car une partie des assaillants fut encerclé dans ce parc

mais une fraction importante put échapper à la tenaille et se réfugier en Uganda., malgré ce

qu’affirmait le Colonel Ikondere : on allait s’en rendre compte dans les jours qui suivirent

avec les attaques de Gatuna et Kaniga.

Vis-à-vis de la frontière ugandaise, par la directive RT OP5/INT/90/8416, l’Etat Major

interdit strictement aux militaires rwandais de tirer en direction de l’Uganda ou de riposter à

des tirs en provenance de ce pays, pour ne pas créer des incidents diplomatiques et militaires.

Cet ordre fut scrupuleusement respecté.

Après la prise de Kagitumba, les unités rwandaises trouvèrent une série de biens abandonnés

par les Inkotanyi. Il s’agit essentiellement de véhicules et de produits vivriers. On avait

d’abord pensé que les véhicules civils abandonnés à Kagitumba avaient été piégés, mais après

contrôle, on se rendit compte qu’ils étaient en bon état. Le Major Rwendeye demanda à l’Etat

Major d’inviter les propriétaires à venir récupérer leurs véhicules car ils avaient été identifiés :

. la camionnette Daihatsu CB 1715 appartenait à Mr Rudahunga de Butare, .un camion Fiat

Iveco semi-remorque AB 9543 de Nsabimana Bonaventure, .une voiture Peugeot 505 sans

plaque appartenant au Commandant Bagambiki, un camion citerne mazout Bn 8013 du

Burundi.

Il y avait également un camion militaire ugandais Tata DO3 RA 113, une jeep Isuzu RA 682

et un camion Benz UWT 886 auxquels il faut ajouter une camionnette Unimog 8187 de la

Compagnie Mutara et une jeep camionnette 8571 du Bataillon de reconnaissance. Le camion

semi-remorque était rempli de riz, de maïs, de haricots et d’autres produits vivriers : si on y

ajoute les quantités de vivres disséminées ici ou là dans la poste de Kagitumba, le stock

atteignait 50t et on se demandait ce qu’il fallait en faire. Craignant que ces vivres n’aient été

empoisonnés, l’Etat-major ordonna au Major Rwendeye de les brûler sur place. Celui-ci, ne se

résignant pas à cette destruction, conseilla à l’Etat-major de revoir sa décision et proposa de

les récupérer pour la Croix Rouge et les orphelinats, quitte à les analyser au préalable. A la

fin, tout le stock fut détruit, la crainte de l’empoisonnement étant la plus forte. On découvrit

également l’épave de l’avion de reconnaissance abattu au début du conflit à Kagitumba. Le

corps du Lieutenant Havugimana Anatole fut récupéré.

Le mois d’octobre se termina donc par la prise de Kagitumba et la libération du territoire

national. L’allégresse fut totale à travers tout le pays. Le FPR affirma à Bruxelles mardi 5

novembre qu’il avait retiré ses forces de Gabiro, Kagitumba et Nyagatare afin de préserver les

populations civiles et que Habyalimana en avait profité pour occuper le terrain abandonné.

132

La libération du territoire national ne signifiait pas pour autant la fin de la guerre car un grand

nombre de rebelles avait été enfermé dans le Parc de l’Akagera : il fallait donc procéder au

ratissage de cette zone inhabitée, infestée de fauves, de serpents venimeux… Enfin et surtout

une autre partie des rebelles avait pu s’échapper vers l’Uganda et elle allait sans aucun doute

repasser à l’attaque, prouvant par là que Museveni n’avait pas dit la vérité en prétendant que

les rebelles qui retourneraient en Uganda seraient désarmés et mis en prison. C’est ce

qu’affirmait aux journalistes le Colonel Nsabimana quand il disait que la plupart des rebelles

avaient fui vers l’Uganda et que l’avenir de la sécurité de la région dépendait beaucoup des

autorités ugandaises.

2.3. Les tractations diplomatiques

L’attaque du 1er octobre 1990 semble avoir surpris les autorités rwandaises alors que de

nombreux indices auraient dû les alerter depuis longtemps. Le Rwanda semblait alors

totalement démuni et le rôle de la diplomatie fut de lui trouver des alliés et en même temps

des sources d’approvisionnement en armes, tout en cherchant à résoudre le conflit par des

négociations.

2.3.1. Recherche d’un appui diplomatique et militaire

Au moment où le FPR déclencha son attaque sur le Rwanda, le Président Habyalimana se

trouvait en visite aux USA et il devait prononcer un important discours aux Nations-Unies.

Son homologue ugandais, Yoweri Kaguta Museveni s’y trouvait également. Aussitôt qu’il

connut l’agression du Rwanda, Habyalimana eut une entrevue avec Museveni. Qu’est-ce que

les deux hommes ont-ils pu se dire dans des circonstances pareilles ?

Au retour de sa tournée aux USA, en Grande Bretagne, au Danemark et en Belgique,

Monsieur Museveni affirma mercredi 10 octobre qu’il avait fait part au Président rwandais

que ce conflit pouvait avoir une issue pacifique à travers une conférence réunissant autour

d’une table de négociation tous les pays concernés par les réfugiés rwandais. Cela est

certainement vraisemblable. Mais il est non moins vraisemblable qu’il doit avoir utilisé un

langage d’intimidation et même de chantage, surtout que, puisque la rencontre n’avait pas de

témoin, Monsieur Museveni n’était pas astreint à la réserve habituelle du langage

diplomatique. Il peut par exemple lui avoir fait comprendre que l’Uganda allait engager toutes

ses forces dans le combat, auquel cas l’armée rwandaise n’aurait aucune chance. Il n’est pas

impossible qu’il lui ait même conseillé de rester aux USA et de ne pas retourner au Rwanda,

c’est-à-dire en fait de se constituer réfugié!

En effet, Monsieur Museveni affirma lui-même dans la même conférence de presse du 10

octobre qu’il était convaincu que l’armée rwandaise ne pourrait jamais battre militairement les

rebelles, même avec l’aide de troupes zaïroises, belges ou françaises. « Je ne pense pas

qu’une solution militaire soit possible. Ces garçons sont militairement très expérimentés. Je

doute qu’ils puissent être battus par des troupes, qu’elles soient rwandaises, belges ou

zaïroises », précisa-t-il.

Dès lors, le Président Habyalimana dut sortir de cette entrevue convaincu que le Rwanda allait

avoir affaire en fait à l’armée ugandaise et dans ce cas, le pays n’avait aucune chance de se

défendre avec succès, surtout qu’il ne s’était pas préparé à cela. Dans ce cadre, il affirma le 15

octobre avant son départ de Kigali pour Nairobi à propos d’une éventuelle rencontre avec des

représentants rebelles, que « pour arrêter un ruisseau, il faut remonter à la source », cette source étant évidemment l’Uganda de Museveni. Cependant, étant donné la rapidité et

l’importance de l’intervention de la France, on peut supposer qu’il existait un protocole

133

d’accord de défense entre le Rwanda et la France avant l’agression, si non on comprendrait

difficilement la rapidité de l’intervention de la France et la persistance de son soutien.

En tout cas, Monsieur Habyalimana écourta son séjour aux USA pour faire jouer à fond ses

relations personnelles et appeler au secours les pays amis, avant même que l’ampleur de

l’agression ne soit connue : jusqu’alors, les rebelles s’étaient contentés de consolider la tête de

pont de Kagitumba et on ne connaissait donc pas leur force réelle. On raconte que Museveni

et Habyalimana ont des litiges personnels entre eux car, dit-on, au moment de la guerre civile

en Uganda, Museveni, ne pouvant utiliser la voie ferrée de Jinja vers Nairobi et Mombasa, se

servit du Rwanda pour exporter du café et de la cassitérite. Il semblerait que Museveni n’ait

reçu qu’une partie de son dû, le reste ayant été détourné par les proches parents du Chef de

l’Etat rwandais, spécialement sa belle famille. Mais quel crédit accorder à des propos de ce

type ? Seulement, sont-ce uniquement des élucubrations? En tout cas, le Président

Habyalimana hésita pendant longtemps à dénoncer officiellement la responsabilité directe de

l’Uganda, se bornant à dire que Museveni n’avait pas tenu sa promesse d’empêcher toute

attaque du Rwanda à partir de l’Uganda.

En raison de ces événements, Monsieur Habyalimana dut écourter son séjour aux USA et dans

la matinée du 3 octobre 1990, il arriva à Bruxelles où il fut reçu d’abord par le roi Baudouin,

ensuite par le premier Ministre Wilfried Martens. Celui-ci confirma que Habyalimana avait

sollicité une aide militaire de la Belgique. De Bruxelles, il se rendit à Paris et à Kinshasa où il

effectua la même démarche. Ces pays répondirent chacun à sa façon à la demande du Chef de

l’Etat rwandais. La Belgique envoya 535 parachutistes officiellement pour protéger les

quelques 1 600 ressortissants belges vivant au Rwanda tandis que la France envoya 300

légionnaires. Le Zaïre fut le seul à envoyer des troupes qui pouvaient le cas échéant participer

aux combats. Le contingent zaïrois était officiellement estimé à 500 hommes mais certaines

sources iront jusqu’à 2 500 hommes.

Toutes ces unités arrivèrent pratiquement au même moment à Kigali car les Français

arrivèrent dans la soirée du 4 octobre, les Belges et les Zaïrois le 5 octobre. Il aurait été sans

doute curieux de voir comment les Belges et les Zaïrois se regardaient car à ce moment-là, la

brouille entre les deux pays était à son paroxysme. Il est probable que ces soldats auraient

souhaité en découdre alors qu’ils étaient venus théoriquement pour la même cause. Le

Président rwandais sollicitera d’ailleurs plus tard une aide supplémentaire en hommes et en

matériel à la Belgique. Mais jeudi 11 octobre, le Gouvernement belge décida de ne pas

envoyer de troupes supplémentaires au Rwanda, ni de fournir une aide militaire avec toutefois

cette réserve que « si les événements dans le Nord est du pays le rendait nécessaire, les forces

belges sur place pourraient être amenées à prendre de nouvelles initiatives dans le strict

respect de leur mission de protéger des civils belges », déclara Monsieur Martens au Sénat

belge.

Le Gouvernement belge dut d’ailleurs se justifier à propos de la livraison de munitions au

Rwanda au début de l’invasion en affirmant qu’il s’agissait de l’exécution de contrats conclus

avant la crise en cours. Le Ministre de la Défense Guy Coeme dut démentir qu’il y ait eu de

livraisons supplémentaires de munitions belges au Rwanda. Pourtant, par des moyens presque

rocambolesques, l’armée rwandaise put tout de même récupérer une grande partie du matériel

apporté par le contingent belge au Rwanda, sans doute par l’intermédiaire de complicités au

sein de ce corps expéditionnaire.

L’intervention occidentale fut assortie de conditions précises, notamment l’exigence de

concessions politiques. Ainsi le Quai d’Orsay exigea le 10 octobre des autorités rwandaises

l’ouverture d’un dialogue interne avec toutes les composantes ethniques et politiques du pays,

134

tout en demandant que tout excès soit évité dans le règlement de la crise : il faut entendre par

là l’ouverture au multipartisme.

C’est le 9 octobre 1990 que le Président rwandais rencontra son homologue tanzanien,

Monsieur Ali Hassan Mwinyi à l’aéroport de Chake-Chake sur l’île de Pemba au nord de

Zanzibar. L’entretien dura seulement trente minutes et on n’en connut pas l’objet. Radio-

Zanzibar se borna à indiquer que Monsieur Habyalimana avait informé le Président Mwinyi

des derniers développements des combats au Rwanda. Cependant, la semaine précédente, la

Tanzanie avait protesté contre le bombardement effectué par un avion rwandais sur les

réfugiés rwandais sur le territoire tanzanien. L’entretien avait-il porté en réalité sur cet

incident?

Entretemps, le Burundi avait offert ses bons offices pour tenter de régler le conflit rwandais.

C’est ainsi que le Secrétaire d’Etat burundais à la Coopération, Monsieur Fridolin

Hatungimana effectua une mission au Rwanda, mission qu’il termina le 12 octobre. A son

retour de Kigali, il affirma que le Burundi avait offert ses bons offices pour que soit

rapidement trouvé une solution pacifique à la crise rwandaise. Le Président Pierre Buyoya

avait mené des consultations auprès des pays concernés en vue de faciliter un retour à la paix

au Rwanda, cela en sa qualité de Président en exercice de la CEPGL et de l’OBK. Monsieur

Hatungimana ajouta que « le gouvernement burundais est avant tout attaché au bon

voisinage, à la non-ingérence et au respect des accords en matière de sécurité qu’il a conclus

avec des Etats de la sous-région ». Cette initiative devait évidemment tourner court. Mais le

Burundi ne pouvait rester indifférent à la crise rwandaise qui risquait de se transposer dans ce

pays, d’autant plus que des milliers de réfugiés rwandais vivaient au Burundi.

2.3.2. La Marathon belge à la recherche d’un cessez-le feu.

Comme toujours en de pareilles circonstances, la solution de ce type de crises se trouve en

Occident et spécialement à Bruxelles pour le Rwanda, du moins le pense-t-on. Or à ce

moment-là, les milieux politiques belges étaient en effervescence car la classe politique belge

était profondément divisée sur l’attitude à prendre à l’égard du Rwanda. C’est ainsi que

l’opposition libérale soutenue par les socialistes et les nationalistes flamands (Volksunie)

poussent notamment au départ rapide des paras belges et au rapatriement des civils belges.

Cela aurait permis, affirmaient-ils, de lever l’ambigüité sur une opération militaire

humanitaire qui, pour eux, permet aux forces rwandaises de mener ses opérations de maintien

de l’ordre, un euphémisme pour désigner les exactions prétendument commises par l’armée

rwandaise. On y reviendra.

On se rappelle que ces informations avaient ému l’opinion belge et le gouvernement de ce

pays avait à deux reprises exprimé son inquiétude à ce propos. Il avait même ordonné à

l’Ambassadeur de Belgique à Kigali, Mr Johan Swinnen d’intervenir au plus haut niveau

auprès du gouvernement rwandais. Le quotidien financier l’« Echo » renchérit en affirmant

que le gouvernement de Mr Martens s’était égaré dans la savane rwandaise et que

l’intervention belge avait montré les limites du consensus.

Ainsi donc les drames rwandais ou zaïrois devenaient comme d’habitude des occasions de

règlement de compte dans la politique intérieure belge sans le moindre souci des calvaires que

vivaient les populations concernées. C’ainsi que le député libéral Jean Gol -Goldsmith pour

ses détracteurs- profita de l’occasion pour damer le pion aux sociaux-chrétiens. Pour lui, le

gouvernement des socio-chrétiens soutenait la dictature cléricale rwandaise par

l’intermédiaire du soutien aux missionnaires belges.

135

Dans le respect des droits de l’homme en Afrique, affirmait-il le 12 octobre 1990, notre

gouvernement pratique deux poids deux mesures : sous l’influence de certains milieux

politiques, -entendez les socio-chrétiens-, dont le Rwanda a été l’enfant chéri, on ne demande

pas de commissions d’enquête internationales alors que dans d’autre cas, on le fait (allusion

au Zaïre avec les incidents sanglants de Lubumbashi). Comme on le voit, le drame que vit le

Rwanda est passé au second plan et la classe politique belge profite de l’occasion pour régler

ses comptes.

Pour se défendre à propos de l’envoi de paras belges, le porte-parole du Ministère des

Affaires Etrangères déclara que l’envoi de paras pour protéger des belges ne constituait en

aucun cas un soutien formel au régime de Mr Habyarimana. Pour lui, même si la présence de

militaires belges peut constituer un élément sécurisant, il s’agit d’un effet non recherché et

indirect. En fin de compte, le gouvernement belge fut mis en demeure de suspendre toute

livraison d’armes au Rwanda même les armes et les munitions commandées et payées avant le

conflit. Pour cela, le Rwanda dut chercher à la hâte d’autres sources d’approvisionnement qui

furent trouvées en Egypte (mortiers, AK-47, hélicoptères) et en Afrique du Sud (surtout des

fusils d’assaut R4 et des lances roquettes multiples). La France quant à elle, avait continué à

fournir des équipements pour hélicoptères et mortiers, ce qui portera très haut la côte de ce

pays à un certain moment.

Par contre, la Belgique qui jusqu’alors avait soutenu le Rwanda et qui était considérée comme

son meilleur allié fut taxée par la plupart des rwandais de les avoir vendus aux assaillants.

C’est pour sortir de ce « bourbier » rwandais que le Gouvernement belge prit l’initiative d’une

mission de paix dans la région de l’Afrique Centre-orientale. Ainsi les Ministres Martens,

Eyskens et Coeme prirent leurs bâtons de pèlerin pour tenter de « nouer des connexions

délicates sur la trêve au Rwanda » et obtenir un cessez-le feu comme le souligne Eric de

Bellefroid dans la Libre Belgique du 17 octobre 1990.

La Belgique décida donc de prendre l’initiative d’une rencontre au sommet avec le Président

rwandais ainsi que les autres Chefs d’Etats de la région en vue de mettre fin aux hostilités et

de résoudre le problème des réfugiés. Les trois ministres se rendirent au Kenya dimanche 14

octobre peu avant minuit et ils rencontrèrent d’abord le Président rwandais dans la matinée du

15 octobre à la résidence de l’Ambassadeur de Belgique au Kenya, Madame Critina Funes

Noppen. Après cette rencontre, Monsieur Habyalimana se rendit en Tanzanie pour rencontrer

le Président Museveni dans l’après-midi du 15 octobre. comme il l’avait annoncé lui-même

dans son discours à la Nation. Toute fois, dans l’après-midi de ce même jour, la radio

rwandaise annonça sans autre explication que cette rencontre avait été annulée.

A ce moment, le Rwanda avait voulu saisir le Conseil de Sécurité de l’ONU mais on lui fit

savoir que le Secrétaire Général de l’ONU, Monsieur Javier Perez de Cuellar ne souhaitait pas

du tout voir le conflit rwandais porté devant cette instance, Museveni étant parvenu à le faire

passer pour un problème interne au Rwanda. Cette demande avait été d’ailleurs conseillée par

le Premier Ministre Martens car pour lui, le fait de saisir le Conseil de Sécurité de l’ONU

pouvait aider à clarifier l’engagement de l’Uganda. Il s’était justement demandé au micro de

la RTL-TVI si l’Uganda était oui ou non engagée dans le conflit. Pour sa part, la Belgique

décida de porter la question du Rwanda à l’ordre du jour de la réunion ministérielle de

coopération politique des Douze.

L’objectif de la troïka belge était au préalable de parvenir « à la cessation des hostilités,

laquelle peut prendre les diverses formes d’une trêve, d’un désarmement des rebelles, d’un

retrait de ceux-ci ou d’une force d’interposition africaine. En contrepartie, la Belgique

escompte du Rwanda qu’il amorce à bref délai un dialogue de bonne volonté en vue

136

notamment de trouver une solution pour la question fondamentale des réfugiés rwandais.

C’est au prix d’une solution pacifique et durable que nos coopérants pourront rester au

Rwanda » (Libre Belgique n°289 du 16 octobre 1990).

Martens affirma à la RTL-TVI le 15 octobre que le Président et le Gouvernement rwandais

voulaient arriver le plus vite possible à une trêve et pour lui, c’était la première étape : « Cette

trêve est très importante pour nous. C’est la garantie que nos coopérants peuvent travailler

dans ce pays », dit-il. En fait, ce n’était pas chose facile car au même moment, le FPR

exigeait le 16 octobre à Bruxelles le départ de Habyalimana et de toutes les forces étrangères

comme conditions préalables à une éventuelle trêve des combats. « Pour nous, il n’est pas

question de négocier avec le régime Habyalimana », déclarèrent à la RTBF Monsieur Jean

Baptiste Barayahinyura et Jean Bosco Rwiyamilira.

Quoi qu’il en soit, Messieurs Martens, Eyskens et Coeme eurent le 15 octobre vers 16 heures

un entretien de 45 minutes avec le Président Arap Moi au State House. On pourrait se

demander ce que ces hommes ont pu dire car à première vue le Kenya n’est pas directement

concerné par la crise rwandaise. Mais il ne faut pas oublier que ce pays a été à plusieurs

reprises menacé par l’Uganda de Museveni et il était prévisible qu’il fasse cause commune

avec le Rwanda. Dans le cadre de cette solidarité, le Président Arap Moi décida de chasser du

Kenya quelques 2 000 réfugiés rwandais qui seraient tentés, disait-il, de mener des opérations

subversives contre le Rwanda à partir du Kenya.

Le lendemain 16 octobre, la Délégation belge devait se rendre en Uganda pour rencontrer le

Chef de l’Etat ugandais, de qui dépendait en fait toute possibilité de solution de la crise

rwandaise. Mais avant son départ pour Nairobi, le Ministre des Affaires Etrangères, Monsieur

Mark Eyskens, avait clairement indiqué à la BRT qu’il n’était pas question pour la mission

gouvernementale belge, de rencontrer des représentants de la rébellion. Il avait affirmé que

l’objectif de la Belgique était de tenter de prendre contact avec l’Uganda et de réunir les

diverses tendances existant au Rwanda.

Après Kampala, la délégation belge avait l’intention de se rendre également au Burundi dont

le Président Pierre Buyoya avait, on se le rappelle, offert ses bons offices pour tenter de régler

le conflit rwandais. Les trois ministres auraient ainsi parcouru tous les pays où vivaient des

réfugiés rwandais, exception faite du Zaïre où ils ne pouvaient se rendre étant donné le climat

explosif existant entre les deux pays. Réagissant à une dépêche de l’agence Reuter qui

affirmait que Martens avait l’intention de se rendre au Zaïre, le Porte-parole du Premier

Ministre, Madame Marie-Paule Meert démentit cette information pour ne pas diviser

l’opinion intérieure belge. Comme on peut s’en rendre compte, l’objectif de la Troïka belge

était d’aboutir d’abord à un cessez-le feu pour réunir ensuite une conférence sous-régionale

comprenant le Rwanda, le Burundi, l’Uganda, la Tanzanie et le Zaïre. La Belgique espérait

que dans ces conditions, le Rwanda pourrait alors aisément se passer des militaires zaïrois.

Finalement, l’initiative de paix menée tambour battant par la troïka belge s’est achevée jeudi

18 octobre 1990 par un accord de principe impliquant plusieurs pays de la région, d’autant

plus que les Chefs d’Etat de l’Uganda et du Rwanda s’étaient réunis la veille 17 octobre à

Mwanza. Ils avaient discuté de la crise rwandaise en présence du Président tanzanien Ali

Hassan Mwinyi et ils étaient parvenus à un accord contenu dans le communiqué de Mwanza

que nous livrons au lecteur dans son intégralité :

«1. A l’initiative du Président Ali Hassan Mwinyi, Président de la République Unie de

Tanzanie, le Président de la République de l’Ouganda, S.E. Yoweri K. MUSEVENI et le

137

Président de la République Rwandaise, S.E. le Général-Major HABYALIMANA se sont

rencontrés à Mwanza en République Unie de Tanzanie le 17 octobre 1990.

2. Les trois présidents ont examiné le conflit armé actuellement en cours au Rwanda et ont

convenu de résoudre le problème par des moyens pacifiques ; Ils ont également pris note des

mesures positives prises récemment par le gouvernement rwandais en ce qui concerne

l’ouverture du système politique au Rwanda. Concernant ce conflit, le gouvernement

rwandais s’est engagé à initier un dialogue avec l’opposition tant intérieure qu’extérieure

sous les auspices du Secrétaire Général de l’O.U.A.

3. A la suite de cette déclaration solennelle faite par le Président de la République

Rwandaise, les Présidents de la République Unie de Tanzanie et de la République de

l’Ouganda se sont engagé à persuader l’opposition armée au Rwanda à observer un cessez-le

feu. Le cessez-le-feu devra être contrôlé par des troupes neutres qui seront déterminées de

commun accord par les parties concernées. A la suite de ce cessez-le-feu, une conférence

régionale à laquelle participeront les parties concernées par le problème des réfugiés sera

organisée pour discuter de manière exhaustive du problème des réfugiés dans la région.

4. Les Présidents de la République rwandaise et de la République de l’Ouganda ont exprimé

leur profonde gratitude au Président Ali Hassan Mwinyi de la République Unie de Tanzanie

pour l’hospitalité dont ils ont été l’objet au cours de leur courte visite. Les trois Présidents

ont convenu de se rencontrer à une date qui sera précisée ultérieurement.

Fait à Mwanza, le 17 octobre 1990.

Il s’agit donc de tenter de résoudre le problème rwandais par des moyens pacifiques, le

Rwanda s’engageant à une ouverture politique tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays,

tandis que l’Uganda et la Tanzanie se chargèrent d’obtenir des rebelles un cessez-le-feu qui

serait contrôlé par des troupes neutres. A la fin, une conférence régionale serait organisée

pour régler le problème des réfugiés rwandais.

Mais comme on peut s’en rendre compte, le texte ne précise pas si le cessez-le-feu se fera à

même la ligne de front ou s’il implique au contraire le retrait de l’adversaire. Ainsi beaucoup

de malentendus voulus ou pas découlèrent de ce flou. En tout cas, on peut comprendre

l’intérêt des rebelles pour ce cessez-le-feu qui, s’il n’implique pas leur retrait du Rwanda – ce

qu’ils n’accepteraient jamais – leur permettrait de contrôler une portion du territoire. Pour le

Président Habyalimana par contre, les rebelles devraient profiter du cessez-le-feu pour se

retirer : « Je ne discute pas avec des gens qui me tirent dessus, qu’ils se retirent de mon

territoire », affirma-t-il à des journalistes à Kigali.

Quoi qu’il en soit, quel qu’allait être le résultat de l’initiative de paix de la Belgique, celle-ci

était décidée à rapatrier rapidement les quelques 535 soldats envoyés au Rwanda. En effet, si

le succès de la mission se réalisait, il n’y aurait plus de raisons de maintenir les troupes belges

au Rwanda. Par contre, si les affrontements devaient se poursuivre, la Belgique était décidée à

évacuer les 1 300 ressortissants belges qui restaient encore au Rwanda, avant de rapatrier ses

troupes.

Entretemps, le Chef de l’Etat rwandais qui avait sollicité une entrevue au Président

Mitterrand, put se rendre à Paris jeudi 18 octobre dans l’après-midi. Il s’entretint avec le

Président français de la crise rwandaise. A l’issue de cette entrevue, Monsieur Habyalimana

réaffirma sa volonté d’étendre l’ouverture politique à l’ensemble de l’opposition interne et

138

externe. Il ajouta que Monsieur Martens ne lui avait pas fait part de son intention de rapatrier

les forces belges car « ces forces sont venues pour protéger les ressortissants belges. Dans la

mesure où des résidents de ce pays sont encore au Rwanda, elles n’ont pas de raisons de

partir ». Le président Habyalimana avait en outre demandé à Mitterrand son appui

diplomatique pour que « ceux qui envoient les éléments qui nous attaquent cessent leur

agression ». Le Président rwandais avait enfin annoncé à François Mitterrand le souhait de

l’envoi au Rwanda d’une force de la CEE en vue de contrôler un éventuel cessez-le feu entre

les belligérants. Monsieur Mitterrand lui avait répondu qu’il s’agissait d’un problème qui

devait être examiné dans un cadre européen. Mais en l’état actuel des structures européennes,

il n’existait aucun cadre juridique qui se prêterait à la constitution d’une telle force.

Effectivement, la CEE, réunie le 18 octobre, demanda la cessation immédiate des combats au

Rwanda et l’ouverture d’un dialogue permettant de trouver une solution au problème des

réfugiés rwandais. Mais le communiqué des douze ne mentionnait nullement l’envoi d’une

force de la CEE chargée de faire respecter le cessez-le feu. Par contre, la Communauté

Européenne et ses Etats membres exprimèrent leur inquiétude au sujet du respect des droits de

l’homme, soulignant l’importance et la nécessité d’engager un dialogue afin de trouver une

solution au problème des réfugiés rwandais. Dans ce cadre, la Communauté appuyait toute

initiative de concertation régionale afin qu’un dialogue puisse s’instaurer en vue d’un

règlement pacifique de nature à assurer la stabilité dans la région. En bref, il s’agissait d’un

refus poli de s’enliser dans le bourbier rwandais.

Avant d’arriver à Paris, le Président Habyalimana avait fait une escale d’une heure au Caire,

escale au cours de laquelle il s’était entretenu avec le Président égyptien Hosni Moubarak.

D’après Boutros Boutros-Ghali, alors Ministre des Affaires Etrangères, le Chef de l’Etat

rwandais souhaitait consulter le Président Moubarak à propos des problèmes rencontrés par le

Rwanda après l’incursion des rebelles venus d’Uganda. Rappelons que l’Egypte et l’Afrique

du Sud s’étaient substituées à la Belgique pour ravitailler le Rwanda en armes et en

munitions, après le refus de ce dernier pays d’honorer les contrats d’achats d’armes passés

avant les hostilités.

Signalons enfin que le 6 novembre 1990, le Ministre français de la coopération, Monsieur

Jacques Pelletier, accompagné de Monsieur Jean Christophe Mitterrand, fils du Président

français et son conseiller aux affaires africaines, effectuèrent une mission en Afrique Centrale

pour tenter de trouver une solution à la crise rwandaise. Leur première étape fut Kigali où ils

furent reçus mardi 6 novembre par le Président Habyalimana. Le ministre français déclara

alors qu’il effectuait une mission d’information et d’évaluation de la situation pour chercher

une solution pacifique au conflit rwandais.

Il ajouta qu’il allait rencontrer tous les chefs d’Etats de la région concernés par la guerre civile

au Rwanda. La délégation française, après avoir été reçue par le Ministre Bizimungu, s’envola

mardi après-midi pour Dar-Es-Salaam où elle fut reçue par le Président tanzanien Ali Hassan

Mwinyi. En plus, Messieurs Pelletier et Mitterrand devaient également rencontrer les

Présidents du Kenya, de l’Uganda, du Zaïre et du Burundi, c’est-à-dire les pays concernés par

la guerre au Rwanda, étant donné qu’ils hébergent tous un certain nombre de réfugiés

139

rwandais. A cette occasion, Monsieur Pelletier affirma que les forces françaises (300

légionnaires) devaient rester sur place tant que la situation le justifierait.

Auparavant, le Ministre français de la coopération avait rencontré lundi 5 novembre à

Bruxelles Monsieur Mark Eyskens. Cette visite avait pour but de s’assurer que le

gouvernement français était en parfaite harmonie avec la Belgique en ce qui concernait le

Rwanda. Le lendemain 7 novembre 1990, Monsieur Jacques Pelletier et J.C. Mitterrand

rencontrèrent à Gbadilité le Président Mobutu et s’entretinrent du problème rwandais. Le Chef

de l’Etat zaïrois venait d’effectuer une visite officielle de cinq jours au Caire ; il avait

notamment participé à l’inauguration de l’Université Francophone d’Alexandrie. Monsieur

Pelletier et sa délégation ont quitté Gbadolité en fin d’après-midi pour se rendre dans la

capitale rwandaise où ils rencontrèrent encore le Chef de l’Etat rwandais.

Avant de regagner Paris, Mr Pelletier se rendit jeudi 8 novembre à Bujumbura où il fut reçu

par le Président Buyoya ; ils évoquèrent ensemble la situation du Rwanda, notamment le

cessez-le-feu et l’organisation d’une conférence régionale sur les réfugiés. A l’issue de cet

entretien, Mr Pelletier s’est adressé à la presse et a affirmé que la France et la Belgique étaient

d’accord sur la philosophie de ce qu’il fallait faire mais ne souhaitaient pas imposer des

solutions car celles-ci devaient venir des africains eux-mêmes. Le Ministre français a

également annoncé que les Présidents qu’il avait rencontrés étaient tous de bonne volonté et

prêts à faire le maximum pour que la paix revienne dans la région, d’autant plus que Mr

Habyarimana était très ouvert à une solution proposée par l’ensemble des pays voisins. Il était

alors relativement optimiste mais, poursuivit-il, encore fallait-il qu’il y ait une véritable

ouverture intérieure et extérieure et qu’il y ait un cessez-le-feu. D’après lui « certains

réfugiés – je crois que c’est une minorité – souhaitent rentrer au Rwanda. Il faut qu’il aient

cette possibilité ». La France et la Belgique étaient alors prêtes à aider financièrement le

Rwanda à résoudre le problème de ses réfugiés.

A son retour à Kigali, Mr Pelletier répétera le 9 novembre ce qu’il avait déjà affirmé à

Bujumbura, à savoir que « nous européens,- je parle surtout des français et des belges –nous

ne sommes pas là pour imposer des solutions. Ce sont des africains qui doivent régler leurs

problèmes eux-mêmes ». D’après lui, il n’y aurait pas eu de pressions à l’endroit des africains

mais en réalité ce n’était qu’un euphémisme car les occidentaux n’avaient fait que cela. Mr

Habyarimana et son équipe doivent en savoir quelque chose, eux qui n’ont fait que subir toute

une cascade de pressions depuis le début du conflit, cela de la part de la Belgique et de la

France surtout. C’est ainsi que ces termes d’ « ouverture intérieure et extérieure », d’

« accueil des réfugiés », de « cessez-le-feu » lui auront sans aucune doute été imposés par ses

interlocuteurs occidentaux, puisque comme on a pu s’en rendre compte, on les retrouve

d’abord chez eux avant que Habyalimana ne les prononce dans ses discours officiels. On se

rappellera d’ailleurs que beaucoup de personnes ont affirmé que les Occidentaux étaient bien

au courant de l’agression d’octobre 1990 et qu’ils lui auraient même prêté main forte pour

punir Habyalimana de sa « rébellion » de la Baule et lui forcer la main en vue de réformes

démocratiques..

140

Quoi qu’il en soit, le moins que l’on puisse dire, c’est que toute ces considérations sur la

diplomatie occidentale au Rwanda nous prouve à suffisance que l’indépendance du Rwanda

avait bien vécu ou tout simplement qu’elle n’avait jusqu‘alors été qu’un leurre, le pays étant

trop faible ou trop mal gouverné pour pouvoir assurer sa défense. C’est un constat amer mais

sans appel.

On ne peut pas non plus manquer de signaler l’incurie dont ont fait preuve les missions

diplomatiques rwandaises dans le monde occidental alors que c’est essentiellement là-bas que

se joue le sort du Rwanda. En fait, le personnel des ces missions diplomatiques était le reflet

même des maux de la société rwandaise, notamment quand on considère la manière dont ils

ont été mis en place. Effectivement, quand on jette un coup d’œil sur la composition de ces

« diplomates », on se rend bien vite compte que leur affectation dépend non pas de leur

compétence professionnelle dans le service mais plutôt de leurs origines sociales ou

régionales. Ainsi, faute d’adversaires crédibles, les représentants du FPR auront beau jeu de

ternir le Rwanda en lançant toutes sortes d’affirmations non démenties par la suite.

2.3.3. La phase africaine de la diplomatie

Nous avons déjà évoqué les efforts infructueux du Président Buyoya du Burundi pour tenter

de trouver une solution au conflit rwandais. D’autres Chefs d’Etat de la région tentèrent de

prendre la relève, en poursuivant notamment l’action initiée par les ministres belges.

2.3.3.1.Gbadolité I et II

Pour faire suite au sommet de Mwanza, une réunion des pays de la CEPGL fut préparée. Dans

ce cadre, le Président Mobutu du Zaïre reçut jeudi 18 octobre une délégation de deux proches

collaborateurs du chef de l’Etat Rwandaise, pendant que des émissaires des présidents

ougandais et burundais étaient attendus dans la même journée à Gbadolité. La rencontre au

sommet eut lieu les 23 et 24 octobre à Gbadolité. Les trois Présidents de la CEPGL étaient

présents tandis que l’Uganda était représentée par son premier Vice-Premier Ministre. A

l’issue de la réunion, les chefs d’Etat lancèrent un appel pour la cessation des hostilités et

décidèrent la constitution d’une force de maintien de la paix, force chargée de superviser le

cessez-le-feu.

Mais cet hypothétique accord de cessez-le-feu n’était pas encore accepté par toutes les parties

en conflit et Mr Jean Gol aura beau jeu d’ironiser sur ces accords de « Zwanza » ou de la

« Zwanze ». Pour cela, Mr Martens dut entreprendre un nouveau voyage en Afrique. Après un

transit au Kenya, il se rendit en Uganda et rencontra Mr Museveni à Entebe pendant toute une

heure ! C’est à l’issue de cet entretien que Mr Museveni lui déclara que « les rebelles m’ont

envoyé un message ce matin disant qu’ils ont accepté un cessez-le-feu ». Une autre manche

semblait être gagnée par le Premier Ministre Belge. Mercredi 24 octobre, il se rendit à

Zanzibar (Tanzanie) où il rencontra le Président Mwinyi. Celui-ci confirma à Martens que les

rebelles du FPR avaient accepté l’offre de cessez-le-feu issue du sommet de Mwanza mais

qu’ils en limitaient la portée à trois semaines. Dans un communiqué qui clôtura la rencontre,

M. M Martens et Mwinyi lancèrent « un appel au gouvernement rwandais et à l’opposition,

tant intérieure qu’extérieure, afin qu’ils enclenchent un dialogue politique sous les auspices

141

de l’OUA », ce « rien sonore », suivant l’expression du Général de Gaulle à propos de l’ONU.

Le Secrétaire Général de l’OUA était prié « d’exercer les pressions nécessaires sur les parties

afin qu’elles œuvrent ensemble à la réalisation, pleine et urgente, des accords de Mwanza ».

Pour Martens, les trois semaines étaient suffisantes pour trouver un accord sur la force

d’interposition et sur l’agenda d’une négociation sur une ouverture politique.

Le FPR avait donc accepté le principe du cessez-le-feu mais à ce moment-là, l’Ambassadeur

du Rwanda à Bruxelles, Mr Ngarukiyintwali, dans une déclaration à la presse, reposa le

problème du retrait de la RPA des positions conquises. Pour lui, c'est-à-dire en fait pour le

gouvernement rwandais, l’idée d’un cessez-le-feu à même la ligne du front était d’office à

rejeter. Cette prise de position plaçait Mr Martens dans une position délicate face à l’opinion

belge et la presse commençait à écrire qu’il n’était plus loin de battre le record des déboires

africains détenu par son ami Léo Tindemans (libre Belgique du 25 octobre 1990).

Heureusement, mercredi 24 octobre 1990 vers 13 heures, Mr Bizimungu Casimir téléphona à

son homologue belge Mark Eyskens pour lui annoncer que le Rwanda avait enfin accepté le

cessez-le-feu qui deviendrait effectif le même jour à partir de 10 heures. Ainsi donc Kigali

venait d’abandonner l’exigence du retrait des rebelles comme condition préalable à tout

cessez-le-feu.

Même si le cessez-le-feu avait déjà été violé au moment de son entrée en vigueur, Mr Martens

avait malgré tout pu tirer la coalition gouvernementale par ailleurs déjà très fragile, d’une

situation très délicate. Il pouvait surtout rapatrier le corps expéditionnaire belges qui en fait

était à la base de toutes ces controverses en Belgique.

Le sommet de la CEPGL fut suivit le 26 octobre 1990 au même endroit (Gbadolité II) par une

autre rencontre elle aussi organisée par le Président Mobutu mais cette fois-ci avec la

participation du Chef de l’état ougandais lui-même. Le communiqué de Gbadolité fut signé et

approuvé par les quatre chefs d’état et nous le reproduisons ci-après in extenso :

« A l’invitation du Maréchal Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu wa Za Banga, Président de la

République du Zaire, les Président Juvénal Habyarimana du Rwanda, Pierre Buyoya du

Burundi et Kaguta Yoweli Museveni de l’Ouganda se sont réunis à Gbadolité le 26 octobre

1990. Son Excellence Monsieur Pierre Buyoya, Président en exercice de la CEPGL a informé

le Président Museveni du résultat de leurs entretiens tenus à Gbadolité les 23 et 24 octobre

1990. Le Président Museveni a apporté un appui total aux conclusions du sommet de la

CEPGL sur la question rwandaise. Les quatre Chefs d’Etat ont réaffirmé leur adhésion à

l’accord de Mwanza qui constitue une base idéale pour la résolution du conflit au Rwanda.

Dans ce conteste, les quatre Chefs d’Etat ont pris des mesures concrètes suivantes :

1. S’agissant du cessez-le feu, les quatre Chefs d’Etat ont convenu de la nécessité d’avoir une

force africaine d’interposition et, à cet effet, ils ont mandaté leur homologue de l’Ouganda en

sa qualité de Président de l’OUA de prendre les contacts utiles pour la mise en place de cette

force.

142

2. Comme mesure d’urgence, les quatre Chefs d’Etat ont convenu de mettre sur pied un

groupe d’observateurs composés de 15 officiers par pays détachés des armées régulières

émanant du Zaïre, du Burundi et de l’Uganda. A ce groupe se joindront au maximum cinq

représentants de l’armée rwandaise ainsi que cinq de l’opposition armée. Ce groupe

d’observateurs qui travaillera sous la supervision du Secrétaire Général de l’OUA, se

rassemblera à Goma, au Zaïre, le 29 octobre 1990. Chaque partie accordera un soutien

logistique et financier à son groupe.

3. Concernant le dialogue, les quatre Chefs d’Etats ont mandaté le Président Mobutu pour

servir d’intermédiaire entre les deux parties belligérantes en vue de favoriser l’instauration

d’un dialogue. A cet égard, il tiendra le Secrétaire Général de l’OUA régulièrement informé

de l’évolution de ses démarches.

4. Abordant le problème des réfugiés, les quatre Chefs d’Etat ont une fois de plus réaffirmé

que le dialogue devra aboutir à la tenue d’une conférence régionale pour le règlement

définitif de la question des réfugiés. Les Présidents du Burundi, du Rwanda et de l’Uganda

ont exprimé leur profonde gratitude au Président de la République du Zaïre et au peuple

zaïrois pour l’hospitalité authentiquement africaine qui leur a été réservée ainsi qu’à leurs

délégations respectives.

Fait à Gbadolité, le 26 octobre 1990 ».

Si on peut se permettre une brève interprétation, les résultats du sommet de Gbadolité II sont

contenus dans les points ci-après :

. soutien à l’accord de Mwanza considéré comme la base idéal de la résolution du conflit

rwandais

. confier au Président Mobutu la responsabilité de la médiation entre les parties en conflit

. mettre sur pied une équipe d’observateur militaires qui comprendrait 15 officiers de chacun

des pays suivants : le Burundi, l’Uganda et le Zaire à laquelle se joindrait cinq officiers du

Rwanda et cinq du FPR sous la supervision du Secrétaire Général de l’OUA, en vue de

surveiller l’application du cessez-le-feu

. charger le Président Museveni en sa qualité de Président en exercice de l’OUA

d’entreprendre les consultations nécessaires en vue de la mise en place au Rwanda d’une

force africaine de maintien de la paix.

Ainsi donc les modalités d’application du cessez-le-feu étaient progressivement mise en place

mais il convient de signaler tout de même que Mr Mobutu qui était un allié sûr au Rwanda

était neutralisé par sa nouvelle fonction de médiateur qui ne pouvait décemment plus prendre

parti. Gbadolité II constituait donc de ce fait un certain revers pour le Rwanda qui perdait un

allié inconditionnel, le rôle de médiateur ne compensant pas cette perte.

143

2. 3. 3. 2. Le Secrétaire Général de l’OUA

On se rappelle que lors de l’élection du Secrétaire Général de l’OUA, le Rwanda avait donné

sa voix au candidat du Gabon, on ne sait pour quelle raison. La Tanzanie et son candidat

Salim Ahmed Salim l’avaient bien su et ils n’avaient pas oublié. C’est dans ce contexte que le

Secrétaire Général de l’OUA interviendra dans la crise rwandaise. D’après le Rapport du

Secrétaire Général de l’OUA sur les activités du groupe neutre d’observateurs militaires au

Rwanda (novembre 1990-août 1991), le Secrétaire Général de l’OUA avait été de façon

permanente en consultation avec le Président en exercice de l’OUA et les représentants des

gouvernements rwandais et ougandais.

Effectivement, Mr Salim Ahmed Salim avait publié le 15 octobre 1990 à Addis Abeba un

communiqué dans lequel il affirmait que l’OUA allait participer à des discussions ave des

représentants des gouvernements rwandais ou ougandais afin de trouver une solution à la crise

rwandaise, source d’inquiétude pour l’OUA à cause des implications quant à la sécurité du

Rwanda et à la stabilité politique de la région. Il aurait également consulté le Président en

exercice de l’OUA, Mr Museveni sur l’aide que l’Organisation pouvait apporter afin de faire

cesses les combats. Il a en outre indiqué qu’une délégation de haut niveau de l’OUA quitterait

Addis Abeba mardi 16 octobre 1990 mais sans préciser dans quel pays elle se rendrait. On

devait apprendre plus tard qu’il avait envoyé son Secrétaire Général Adjoint chargé des

questions politiques au Rwanda et en Uganda, ainsi qu’à Nairobi où il put rencontrer le

Premier Ministre Belge.

A la suite de toutes ces consultations, le Secrétaire Général de l’OUA, étant donné le fait que

les événements du Rwanda étaient une menace pour la paix et la sécurité dans la région, a

exprimé la disponibilité de l’OUA pour apporter sa contribution à la restauration prompte de

la paix au Rwanda.

Entretemps, le Chef de l’Etat Rwandais envoya à Addis Abeba un émissaire spécial, le

Colonel Ndindiliyimana Augustin. Celui-ci était chargé d’informer le Secrétaire Général de

l’OUA et le consulter sur les différentes initiatives susceptibles de résoudre rapidement le

conflit. Le Colonel Ndindiliyimana eut un entretien avec le Secrétaire Général le 20 octobre

1990.

Mais le Secrétaire Général de l’OUA fit valoir qu’on avait commis l’erreur de ne pas

l’associer aux rencontres de Gbadolité I et II : l’occasion ne lui aurait donc pas été donné

d’apporter sa contribution aux décisions qu’il était par ailleurs chargé de mettre en application

ou d’en superviser l’application.

Effectivement, Gbadolité II avait décidé que l’équipe d’observateurs militaires devait se

retrouver à Goma, Zaïre, le 29 octobre 1990. Mais d’après le Rapport précité, c’est seulement

deux semaines plus tard que le Secrétaire Général fut informé par l’ambassadeur du Zaire à

Addis Abeba que le Groupe d’Observateurs Militaires était déjà en place à Goma et qu’on

attendait que le Secrétaire Général ou son représentant les déploie pour suivre l’application du

cessez-le-feu. Le Président Museveni n’avait donc pas rempli la mission qui lui avait été

confiée par Gbadolité II !

144

Malgré tout, le Secrétaire Général de l’OUA envoya à Goma son représentant, le Général de

Brigade Hashim I. Mbita et deux fonctionnaires du Secrétaire Général pour présider les

délibérations de l’équipe d’Observateurs militaires. Mais, pour lui, un accord formel de

cessez-le –feu était un préalable incontournable avant toute forme de déploiement. Pour cela,

du 12 au 19 novembre 1990, les observateurs militaires, y compris ceux du Rwanda et du FPR

discutèrent de leur rôle au cas où ils seraient déployés au Rwanda. A l’issue de leurs

discutions, ils adoptèrent quatre documents fondamentaux :

. projet d’accord de cessez-le-feu entre le gouvernement rwandais et le FPR

. projet d’accord entre le gouvernement rwandais et l’OUA sur le statut du Groupe

d’Observateurs Militaires (G.O.M) au Rwanda

. le Groupe d’ Observateurs Militaires et les modalités pratiques de sa mise en place

. Organigramme du Groupe d’Observateurs Militaires.

La délégation rwandaise conduite par le Colonel Rwagafirita accepta la plupart des éléments

contenus dans ces documents, exception faite des dispositions relatives à la libération des

prisonniers politiques et des prisonniers de guerre ainsi qu’au retrait des troupes étrangères.

Elle estimait que le G.O.M. n’était pas compétent pour traiter ces questions relevant plutôt de

la politique.

Quelques jours plus tard un sommet des Chefs d’Etat du Burundi, Zaïre, Rwanda et du 3ème

Vice-Premier Ministre de l’Uganda eut lieu à Goma le 20 novembre 1990. Le Représentant du

Secrétaire Général de l’OUA informa les Chefs d’Etat des délibérations et des conclusions du

G.O.M., en insistant sur la nécessité de conclure un cessez-le-feu entre les deux parties en

conflit avant de déployer les observateurs militaires. Le Président Mobutu rendit également

compte à ses collègues de ses efforts en vue d’instaurer le dialogue entre les parties en conflit.

Le Président Museveni, pourtant absent, fut chargé d’informer le Président Mwinyi des

conclusions du sommet de Goma et de prendre d’urgence des mesures en vue d’organiser une

conférence régionale sur les réfugiés.

L’accord de cessez-le-feu sera signé beaucoup plus tard à Nsele au Zaïre le 29 mars 1991 et le

Groupe d’ Observateurs Militaires put se déployer au Rwanda. Dans la suite, sa mission fut un

échec total car les combats ne cessèrent jamais jusqu’à la fin de son mandat en août 1991.

Conclusion partielle

Le 1/10/1990, les combattants de la RPA se lancèrent à l’assaut du Mutara avec la complicité

du Président de l’Uganda, alors Président en exercice de l’OUA, Mr Yoweli Museveni. Ils

disposaient d’un effectif et d’un armement supérieurs à ceux de l’armée rwandaise qui fut

rapidement submergée. Le Chef de l’Etat rwandais appela à l’aide les pays amis : la France et

la Belgique envoyèrent des continents pour protéger leurs ressortissants. Seul le Zaïre

disponibilisa des unités de combat. La présence zaïroise permit à l’armée rwandaise de subir

son baptême du feu, ce qui lui permit de contrattaquer efficacement.

145

La journée de Lyabega le 23 octobre 1990 fut suivie par le repli de la RPA dont une partie fut

encerclée dans le Parc de l’Akagera tandis qu’une autre put retourner en Uganda. Les

tractations diplomatiques ne purent aboutir à l’instauration de la paix car les divergences entre

les deux parties restaient profondes.

146

III. Le reflux et le début d’une guérilla déconcertante

Les cuisants revers de la RPA n’entrainaient nullement la fin des hostilités car d’une part,

malgré l’annonce de la mort de son chef Fred Rwigema, la détermination du FPR était

inébranlable. D’une part, l’Uganda de Museveni, beaucoup plus puissant que le Rwanda, leur

prêta un concours inestimable en leur assurant une base arrière ainsi qu’un ravitaillement en

vivres En fait, une conjoncture aussi favorable est proprement exceptionnelle et o pouvait

d’ores et déjà parier que le FPR formé à l’école de Museveni, placerait très haut ses

revendications. Pour cela, la pression militaire sur la frontière devait s’intensifier avec l’espoir

que le Rwanda, dont l’économie est à bout de souffle, serait rapidement exsangue, ce

processus étant accéléré par les tiraillements internes engendrés par les nombreuses

arrestations de suspects et par la mise en place d’un système démocratique.

3.1. Mort et légende de Fred Rwigema

D’ordinaire, il n’est pas facile de cerner la personnalité d’un individu, même quand il vous est

familier, aussi est-il plus difficile à fortiori de connaitre un personnage sorti de l’ombre aussi

brusquement que Fred Rwigema. En effet, c’est l’attaque du 1er octobre qui a porté au premier

plan le Général Fred Rwigema et forcément un tissu de légendes a été brodé autour de cet

homme. Que pourrait-on dire raisonnablement pour le moment ?

Il semblerait que Fred Rwigema soit né en 1956 quelque part au Rwanda de parents sans

doute pauvres ; il serait parti en Uganda, à l’âge de 4 ans en compagnie des autres réfugiés.

Mais où serait-il né précisément au Rwanda ? C’est jusqu’à présent un mystère épais car on

ne peut ajouter foi à tout ce qu’on raconte sur ses origines. Même les Services de

Renseignement rwandais ne doivent pas le savoir avec précision et pour affirmer cela, nous

nous basons sur une anecdote rapportée par Casimir Bizimungu, alors Président de la

Commission spéciale sur le Problème des émigrés rwandais dans la lettre du 18 novembre

1989. Cette lettre était adressée au Chef de l’Etat et lui faisait un rapport sur la 2°réunion du

Comité conjoint sur le problème des réfugiés rwandais vivant en Uganda. Ainsi, lors d’un

entretien avec Museveni, celui-ci a dit au Ministre Bizimungu que Fred Rwigema avait peur

de se rendre au Rwanda car il pourrait y être assassiné. D’après Museveni, un des oncles de

Fred Rwigema avait été arrêté au Rwanda pour la simple raison qu’il avait des liens de

parenté avec lui. Le Ministre Bizimungu fut étonné car en fait on ne savait pas grand-chose de

Rwigema et de ses parents restés au Rwanda. Il promit à Museveni que des vérifications

allaient être faites aussitôt que les services de sécurité ugandais auraient transmis le nom de la

personne arrêtée.

En fait, le Lieutenant-colonel Muhwezi, de la Sûreté intérieure ugandaise informa Bizimungu

en aparté que les arguments présentés au Président Museveni par Rwigema étaient des

échappatoires : en réalité, la véritable raison était que le Général Rwigema avait peur de se

voir attaqué par les réfugiés extrémistes farouchement opposés à tout contact avec le

gouvernement rwandais. Cette explication semble plausible car le Professeur Alexandre

Kimenyi, de l’Université de Californie et un des leaders du FPR fut pris à partie en 1985 et fut

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accusé d’avoir vendu ses compagnons d’exil à cause des contacts qu’il avait noués avec l’Etat

rwandais. Pour ne pas compromettre son avenir politique, il adopta lui aussi un langage

extrémiste (voir The Alliancer, vol2, n°3, déc.1985 avec le titre de « Dr Kimenyi atuliriye ku

itabaro », c’est-à-dire le Dr Kimenyi nous abandonne en pleine guerre). De même, Cécile

Kayirebwa, la célèbre chanteuse belgo-rwandaise, fut sommée de s’expliquer après la tournée

musicale qu’elle venait d’effectuer au Rwanda : elle était accusée de trahison pour avoir

accepté d’aller au Rwanda (Impuruza n°16 de juin 1990). Elle dut d’ailleurs insister sur son

appartenance ethnique ainsi que sur des termes ethnisants pour prouver sa bonne foi : « elle

est mututsikazi, son sponsor est tutsi, sa chanson exprime une culture à connotation tutsi »…

qui, cela dit en passant, n’existe pas !

Cela ne veut pas dire que Fred Rwigema était totalement inconnu des services secrets

rwandais car il était déjà venu à plusieurs reprises au Rwanda, à l’occasion des échanges entre

la NRA et l’armée rwandaise. On raconte même qu’un hélicoptère de combat de la NRA s’est

égaré dans la ville de Byumba avec Fred Rwigema à bord. Appréhendé, il aurait été relâché

aussitôt son identité établie. Il était donc connu des services secrets rwandais qui, sans aucun

doute, le redoutaient beaucoup. Il est d’ailleurs plus que probable que les autorités rwandaises

ont fait connaitre leurs inquiétudes au gouvernement ugandais mais on admettrait

difficilement que l’expression de ces inquiétudes ait été à la base son limogeage comme Vice-

ministre de la Défense en Uganda, surtout quand on sait que les préparatifs de l’agression

étaient à ce moment-là très avancés. En tout cas, il semble évident qu’au Rwanda on ne

connaissait pas grand-chose de Fred Rwigema ni du lieu de sa naissance, ainsi que d’une

parenté éventuelle restée au Rwanda, qui elle non plus n’avait aucun intérêt à le proclamer sur

tous les toits. Il faut dire que trente ans d’exil, c’est tout de même beaucoup!

On peut supposer cependant que Rwigema connut les privations inhérentes à ce genre de

situation, d’où une volonté inébranlable de retourner au Rwanda par tous les moyens. Il put

malgré tout s’inscrire dans une école secondaire qu’il abandonna en 1976 après 3 années post-

primaire. Le journal ugandais New Vision prétend qu’il a abandonné ses études sous

l’influence de la littérature révolutionnaire chinoise pour aller subir un entrainement à la

guérilla au Mozambique. De même, le Bulletin d’information du FPR « le Front » affirme que

Rwigema « avait dû interrompre ses études secondaires pour aller lutter contre l’oppression

dans les rangs du FRELIMO au Mozambique, contribuant ainsi indirectement à la libération

ultérieure de l’Afrique du Sud » (le Front, S.l.n.d.)

Il ressort de tout ce qui précède que la formation de Fred Rwigema au niveau du secondaire

fut extrêmement tronquée mais la fable sur sa participation aux guerres du Mozambique est

invraisemblable. En effet, le Mozambique est devenu indépendant en 1974 au moment où

Fred Rwigema était encore aux études. En outre, il est peu probable qu’il ait combattu dans

l’armée mozambicaine contre la RENAMO, car à ce moment-là, le Mozambique a eu recours

à des armées nationales bien rôdées, comme celles de la Tanzanie, du Zimbabwe… Dans ces

circonstances, on conçoit difficilement ce que pourrait faire un individu isolé sans la moindre

spécialisation. Le « Front » affirme également « qu’on le verra ensuite dans l’avant-garde du

Front de Libération Nationale de l’Uganda qui mit fin à la dictature sanglante d’Idi Amin

Dada, puis comme une figure de proue de la NRA ». Ce n’est pas invraisemblable mais nous

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accorderons quant à nous plus de crédits au New Vision qui affirmait qu’en 1981, Fred

Rwigema s’est engagé aux côtés de Yoweri Museveni dont il devint à la fois le chauffeur et le

garde du corps. Mais comme l’affirme « The Citizen » du 10 octobre 1990, sa carrière

politique a peut-être commencé un peu plus tôt quand il a rejoint le FRONASA (Front for

National Salvation) de Yoweri Museveni en 1980. Appartenait-il alors au RANU ?

Probablement mais nous ne disposons pas d’assez d’éléments de réponse.

Quoi qu’il en soit, il devint effectivement la « figure de proue de la NRA ». Il semblerait que

c’est sous son commandement que le sud de l’Uganda fut libéré des exactions de la

soldatesque d’Obote 2 et il aurait dirigé lui-même la prise de Kampala. Après la victoire de

Museveni fin 1985, il a été nommé Chef d’Etat-major adjoint de la NRA et en même temps

Vice-ministre de la Défense. En plus, comme Museveni n’est jamais parvenu à pacifier le

Nord du pays, notamment le district de Gulu, le Général Rwigema fut nommé commandant et

chef des opérations dans le Nord de l’Uganda (Overall Operations Commander). De même,

lors de la révolte de la prêtresse Alice Lakwena dans l’est de l’Uganda en 1987, c’est à Fred

Rwigema que recourra Museveni. Il était donc devenu son homme à tout faire ! Pourtant en

1989, Fred Rwigema fut limogé de son poste de Vice-ministre de la défense et de chef d’Etat-

major adjoint de la NRA. Beaucoup de personnes se sont demandé pourquoi Museveni avait

écarté aussi facilement son vieux compagnon d’armes, en fait comme si il le mettait en

disponibilité.

Certain prétendent qu’il a été limogé pour corruption mais cela parait peu vraisemblable car

ce genre de motif est peu fréquent en Afrique, surtout à des sphères aussi élevées ! D’autres

observateurs affirmèrent, comme Brigitte Hagemann dans la Croix-l’Evénement n°3274 du

octobre 1990, que Museveni avait cédé à une pression rwandaise demandant d’écarter ce

militaire aguerri des plus hautes sphères de l’armée. En fait, Madame Hagemann reprend ce

qu’affirmait les Inkotanyi comme quoi « c’est bel et bien sous l’influence de Monsieur

Habyalimana qui ne veut pas voir un réfugié rwandais se faire une place au soleil dans un

pays d’accueil que Fred Rwigema s’est demis de ses fonctions dans le haut Etat-major de la

NRA » (le Front, sdnl). Ici ce journal prétend même que c’est Rwigema qui s’est démis de ses

fonctions. Avec l’analyse que peut permettre un recul de 2 ans, il ne serait pas trop hasardeux

de penser que Rwigema a été mis en disponibilité pour pouvoir attaquer le Rwanda avec le

moins de suspicion possible, du moins vis-à-vis des occidentaux. Il est probable également

que le courant anti-rwandais alors à son paroxysme en Uganda a joué un grand rôle dans son

limogeage, Museveni parvenant par là à apaiser son opinion intérieur et en même temps à

exécuter ses desseins.

Quoi qu’il en soit, grâce à ses exploits guerriers, Fred Rwigema s’était acquis auprès de la

diaspora rwandaise un charisme quasi religieux car il était considéré comme celui qui pourrait

leur faire retrouver une patrie perdue mais chérie jusqu’au fanatisme. Marie-France Cros qui

ne tarit pas d’éloges envers les membres du FPR trouve que « Rwigema était la main de fer de

Museveni dans un gant de velours » (Libre Belgique du 13-14 octobre 1990). Citant le New

Vision, elle affirma que Rwigema était « probablement de tous les guérilleros qu’a produit

l’Uganda le plus expérimenté et le plus endurci au combat ». On raconte même que Rwigema

préférait aller au front plutôt que de rester à Kampala et qu’il prenait personnellement part aux

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combats. Le Rwanda n’avait manifestement qu’à bien se tenir avec un tel adversaire mais ce

trait de caractère, probablement véridique, devait lui être fatal à Kagitumba.

Présenté comme ayant la taille et la prestance des rois tutsi par la Radio Télévision Belge

(RTBF), il serait calme et réservé, exprimant rarement sa pensée. Il ne se mêlait jamais aux

bagarres, il ne s’adonnait pas à la boisson. Marié, il serait père de deux enfants. Il n’avait

jamais renié sa culture ni ses origines rwandaises, n’ayant jamais tenté de changer de nom

comme la plupart de ses compagnons d’exil. C’est tout juste si on ne dit pas qu’il n’a jamais

trompé sa femme, tellement on en faisait un personnage exceptionnel, en somme le « rara

avis in terris » du poète latin Juvénal !

De toutes ces observations, on peut conclure que Rwigema possédait sans doute à un haut

degré les qualités qui font un grand chef : tacticien chevronné, audace frisant la témérité…

mais il lui manquait certainement cette formation militaire de base indispensable pour faire un

grand chef de guerre complet. Il y a en effet loin entre pourchasser les hordes fanatiques

d’Alice Lakwena ou les apprentis militaires corrompus de Tito Okello et d’autres parts

combattre une armée régulière disciplinée avec des chefs militaires bien formés, même si

cette armée manque encore de l’expérience du combat.

Ce qui est sûr, c’est que les succès de Rwigema en Uganda l’ont conforté dans la conviction

qu’il avait une mission sacrée à remplir, à savoir ramener au bercail cette diaspora rwandaise

qui venait d’errer pendant 30 ans en terre étrangère et souvent inhospitalière, à l’instar du

fameux roi Ruganzu Ndoli. Celui-ci avait pu vers le fin du 16°siècle, chasser, à partir du

Karagwe (actuel Tanzanie) les peuplades Bashi (dans l’actuel Zaïre) qui avaient dominé le

Rwanda pendant 11 ans, comme le rapporte les traditions populaires du Rwanda. Si on peut

se permettre un commentaire, on peut dire que Fred Rwigema n’a pas échoué sur ce point, car

même si un retour triomphal avec le pouvoir au bout paraît exclu à l’heure qu’il est, le retour

des réfugiés dans les prochains jours est une donnée inéluctable. Ils n’ont donc pas totalement

tort, ceux-là de la diaspora qui le qualifient, avec ses compagnons Bayingana et Bunyenyezi,

de Batabazi, ces héros qui allaient s’immoler en terre étrangère pour le salut du Rwanda

(malheureusement ceux-ci sont morts au Rwanda !) car leur sacrifice rend incontournable le

retour des réfugiés.

Voilà justement que nous parlons de sacrifices comme si ces trois personnages étaient déjà

morts. C’est que précisément on allait apprendre au début de novembre 1990 que Fred

Rwigema, Pierre Bayingana et Chris Bunyenyezi étaient morts sur le champ d’honneur, si on

peut utiliser ce terme pour celui qui attaque son pays.

Mais quelles sont les circonstances de la mort de Fred Rwigema ? A l’heure qu’il est, il est

très difficile de le savoir avec certitude car beaucoup de rumeurs ont circulé à ce propos. En

tout cas, beaucoup d’observateurs avaient été étonnés dès le départ de ne pas voir la moindre

apparition publique du chef des rebelles qui menaient la vie dure au Rwanda. Pour tenter de

calmer les esprits, le Major Bayingana, mort plus tard, affirma le 15 octobre à l’AFP que

Rwigema s’était rendu à l’étranger pour chercher des armes. Mais il devenait de plus en plus

difficile de cacher la mort du chef de la RPA, d’autant plus que des prisonniers capturés par

les forces rwandaises commençaient à fournir des bribes d’informations. C’est ainsi que le

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Lieutenant-colonel Nsabimana, à partir d’informations obtenus auprès de prisonniers de

guerre, déclara aux journalistes le 30 octobre à Kagitumba que le Général Rwigema avait été

blessé au combat et transporté par avion aux USA pour y être soigné. Il ajoutait que Rwigema

avait été blessé au cours d’un combat à Gabiro sans en préciser la date. En fait, les

combattants de la RPA n’étaient pas non plus mieux informés de la disparition de leur chef,

comme on devait l’apprendre par la suite

Ce sera finalement le 3 novembre que, dans une conférence de presse tenue à Bruxelles, un

représentant du FPR, Monsieur Tito Rutaremara, annonça que Fred Rwigema avait été tué le

2 octobre en sautant sur une mine. Il avait été tué sur le coup et n’avait donc pas été blessé et

transporté par avion aux USA. D’après Rutaremara, la nouvelle avait été cachée pendant un

mois pour ne pas démoraliser la troupe. Il ajouta que deux autres commandants des forces des

rebelles, les Majors Pierre Bayingana et Chris Bunyenyezi avaient également été tués dans les

combats du 23 octobre. Dans la même conférence de presse, il affirma que les rebelles étaient

toujours présents au Rwanda et qu’ils n’avaient pas été chassés de l’ensemble du territoire car

ils tenaient l’ensemble du Parc de l’Akagera, soit 1/7 de la superficie totale du pays : ils

allaient y rester jusqu’à la chute de la dictature.

Ainsi donc on apprenait avec stupéfaction et consternation que Fred Rwigema était mort, cette

nouvelle plongeant les réfugiés dans le plus noir désespoir mais aussi dans une détermination

encore plus farouche à poursuivre les combats. Au Rwanda par contre, des manifestations de

joie et d’allégresse éclatèrent partout dans le pays, surtout que quelques jours plutôt, on avait

appris la libération de Kagitumba. C’est que l’alerte avait été chaude !

Pourtant, les autorités de Kigali manifestaient encore des signes de doute, étant donné les

explications données à la mort de Rwigema. En effet, il semblait impossible que Rwigema ait

pu sauter sur une mine à cette époque à Kagitumba car l’attaque avait été une surprise totale

pour l’armée rwandaise qui avait été rapidement dispersée. Le terrain était donc entre les

mains des rebelles et il n’avait pas du tout été miné auparavant. Comment pouvait-il sauter sur

une mine alors que justement il n’y avait pas de mines ? C’est pour cela que les milieux

politiques rwandais penchaient pour la thèse d’une lutte pour le pouvoir au cours de laquelle

Bayingana aurait tué Rwigema, celui-là étant à son tour assassiné par les fidèles de Rwigema.

Cette thèse paraît également un peu trop simpliste car des luttes de ce type ont effectivement

lieu mais après la victoire. On imagine mal des chefs aussi convaincus du caractère sacrée de

leur mission la compromettre pour des ambitions personnelles ou pour des divergences

relevant de la simple stratégie. En effet, certains observateurs affirment que des divergences

étaient apparues sur la stratégie à appliquer, certains étant pour une guérilla typique, d’autres

pour une guerre classique. On en a déjà parlé. D’ailleurs, le 7 novembre 1990, les veuves des

trois chefs de la RPA, Jeanette Rwigema, Hilda Bayingana et Jacqueline Bunyenyezi

rendirent publique une lettre qui protestait contre de telles allégations : « l’ennemi fait de son

mieux pour semer la discorde parmi nous au moyen de désinformation. Il a répandu sans

honte les rumeurs faisant état des rivalités qui auraient été la cause de la mort de nos maris.

Il s’agit de menées qui dépassent toute absurdité et mettent en évidence le désespoir d’un

ennemi sentant sa défaite prochaine », écrivaient-elles.

151

A la fin, ce sera par l’intermédiaire du sous-lieutenant Buhinja Canisius qui se rendit à

l’armée rwandaise le 20/3/1991 qu’on a connu une version qui semble se rapprocher le plus

de la vérité. Né à Kabare, Buhinja était entré dans la NRA en 1985 et il avait commencé les

combats au Rwanda dès octobre 1990. Au début des hostilités, racontait-il, il était garde du

corps et « coureur » du capitaine Kayitare, commandant du 5°bataillon de la RPA. Il était

donc dans l’antichambre du pouvoir de la RPA car le capitaine Kayitare était un des grands

chefs de cette armée, sans doute d’ailleurs aussi le plus extrémiste.

D’après le sous-lieutenant Buhinja, c’est le 2 octobre que Rwigema a eu sa poitrine

déchiquetée par une bombe tirée d’un hélicoptère rwandais alors qu’il tentait lui-même de

détruire au canon une automitrailleuse rwandaise qui faisait sans doute une diversion. Les

hélicoptères de l’armée rwandaise attaquèrent en passant derrière la colline de Mirama en

Uganda, ce qui explique la surprise. Le corps de Rwigema aurait été emporté par des officiers

qui racontèrent à la troupe qu’on allait le faire soigner à l’étranger. Mais Buhinja aurait

entendu un message-radio disant que « umusilikare mukuru yiyoroshe ikote » (un officier

supérieur s’est couvert d’un veston), terme codé qui annonçait la mort d’officier de haut rang.

Quand il s’agissait d’un soldat ordinaire, on disait « umufuka wapfumutse » (un sac s’est

troué). Le Général Rwigema étant le seul officier supérieur à avoir été blessé, Buhinja en

conclut qu’il s’agissait certainement de lui.

C‘est donc cette version qui paraît la plus plausible et c’est elle que les officiels rwandais

considèrent comme la plus probable. Cependant, le Commandant Kanyamibwa qui a dirigé

l’attaque héliportée sur le Quartier Général des rebelles affirme qu’il n’y a pas eu d’attaque

d’hélicoptères le 2 octobre mais plutôt le 3 ! Dans ce cas, Rwigema serait mort le 3 octobre et

non le 2 ! Allez donc savoir ! Il est également possible qu’il ait été tué lors des combats qui, le

2 octobre, opposèrent la RPA aux éléments d’intervention du Major Hakizimana posté à

Matimba.

Dans tous les cas, la mort de leur chef porta un coup dur à l’Etat-major de la RPA qui s’en

releva difficilement mais cette mort constituait pour le Rwanda un coup de chance inouï, le

malheur des uns faisant le bonheur des autres! En effet, comme le nez de Cléopâtre, si

Rwigema n’était pas mort, les choses auraient certainement été plus dures pour l’armée

rwandaise. Le Président Museveni organisa des veillées funèbres à Kampala mais en réalité

les auspices étaient déjà trop défavorables.

Interrogé par l’AFP sur la sépulture du Commandant Fred et des autres chefs tués, Monsieur

Rutaremara a répondu qu’ils avaient été enterrés sur place sur le champ de bataille au

Rwanda. Cela parait plausible et compatible avec leur mission de « Batabazi » qui devaient

être enterrés en territoire ennemi, sauf que dans le temps, l’ennemi devait se trouver

obligatoirement en dehors du Rwanda : le terme de « mutabazi » n’était jamais utilisé quand il

s’agissait de convulsions internes par exemple. Ici aussi, on constate une entorse et une

manipulation de l’histoire.

Aussitôt après la mort de Fred Rwigema, la Major Paul Kagame, semble-t-il frère du

précédent, fut choisi comme nouveau chef du FPR. Paul Kagame, âgé d’une trentaine

d’années, était jusqu’alors chef de la Sûreté de la NRA. Ce choix n’a certainement pas dû

152

plaire au Colonel Kanyarengwe qui se présentait comme n°2 du FPR ! Il va sans dire qu’il

n’avait aucune chance d’être choisi, ce Hutu qui trainait derrière lui sa renommée d’anti-tutsi

notoire. Il ne se faisait d’ailleurs lui-même aucune illusion là-dessus.

La mort du Général Fred Rwigema explique probablement les lenteurs de la RPA entre le 2 et

le 8 octobre où l’on constate un grand flottement dans la direction des opérations, et cela aux

moments décisifs.

3.2. Le piège de la Kagera

Le 30 octobre 1990, l’armée rwandaise atteignit Kagiyumba sans rencontrer de résistance.

L’Etat-major ne savait pas exactement où étaient disparus les combattants de la RPA.

Cependant, des patrouilles de combat et des missions de reconnaissance aérienne révélèrent

une présence massive d’ennemis dans le Parc de l’Akagera. Il semblait donc que les 3 000

hommes du Major Kaka avec ses adjoints Nguguteye et Mico avec le concours du Colonel

Adam Waswa, qui combattaient à Gabiro, s’étaient repliés dans ce parc. Rappelons également

que le « training center » des rebelles était localisé à Namuhemura au bord de l’Akagera, sous

les ordres du Capitaine Kayitare.

Le repli dans le Parc avait en fait été envisagé dès le début du conflit. L’armée rwandaise

devra alors procéder à un ratissage lent et minutieux pour déloger l’ennemi par une succession

d’embuscades et de mesures de contre infiltration. Mais celui-ci, par des soubresauts

désespérés, frappa quelques coups qui firent beaucoup de mal aux forces rwandaises.

3.2.1. Le Parc de l’Akagera

D’une superficie de 300 000 ha dont 50 000 pour le Domaine de Chasse du Mutara, le Parc

National de l’Akagera est formé d’une vaste savane arbustive avec des forêts galeries dans les

vallées pour la plupart sèches. En effet, les précipitations sont comprises entre 800 et 900 mm

de pluies par an contre 1 200 mm pour tout le pays. Il s’agit donc d’une région sèche, infestée

de mouches tsé tsé et peuplée de plusieurs milliers d’antilopes, de zèbres, de buffles ainsi que

des carnassiers dont le lion et le léopard. Le gibier ne manquera donc pas pour les guérilleros

mais ceux-ci devront rejoindre les zones habitées pour se procurer les autres denrées

alimentaires car il est difficile de vivre uniquement de viande. La survie dans le Parc sera

également rendue difficile par la rareté des sources d’eau pour le ravitaillement en eau

potable : il suffira à l’armée rwandaise de contrôler les points d’eau et attendre les rebelles,

tout comme le font les lions ou les léopards au cours de leur chasse. On verra que les rebelles

se sont toujours appuyés sur l’Akagera pour ne pas manquer d’eau.

Au nord ouest, le parc est limité par l’axe asphalté reliant Kagitumba à Kigali en passant par

Kayonza : la route sort du parc à Kabarore pour entrer dans les zones habitées. De Kabarore

jusqu’au lac Nasho, le parc n’a pas de frontière clairement matérialisée sur le terrain et les

paysans profitent de ces limites indécises pour grignoter un peu d’espace sur le parc.

A l’est, le parc est limité par l’Akagera, rivière dont le débit moyen au pont de Rusumo est de

180 m3/seconde mais qui peut atteindre 400 m3 en période de crues : on se rend compte que

la traversée avec du matériel de fortune est très difficile. Plus grave encore, étant donné la

153

présence d’une série de seuils le long de cette rivière, son parcours est jalonné d’un grand

nombre de lacs et de marécages infranchissables. Il sera extrêmement périlleux pour la RPA

de tenter de traverser cette zone pour s’enfuir vers la Tanzanie aussitôt que la résistance dans

le Parc s’avérera impossible.

Quand l’Etat-major se rendit compte que les hommes du Major Kaka et Nduguteye s’étaient

repliés vers le parc, il décida de procéder à son ratissage. Des garnisons destinées à bloquer

l’exfiltration vers Nyagatare et l’Uganda furent placées le long de l’axe Gabiro-Kagitumba,

d’autant plus que le Lieutenant-colonel Nsabimana du secteur de Ngarama bloquait le flanc

ouest de la route asphaltée, avec le bataillon para et le CI Bugesera et une compagnie du

bataillon de reconnaissance.

En plus, des éléments du secteur opérationnel de Gabiro (Major Rwendeye) composés

essentiellement du bataillon Mukamira (Major Bizimungu), du Centre d’Entrainement

Commando de Bigogwe (Commandant Tulikunkiko), du bataillon Gitarama (Major

Singirankabo), du Centre d’Instruction Bugesera (Major Niyonsaba) devaient descendre de

Kagitumba vers le sud du parc. Au même moment, les unités du secteur Kibungo (Major

BEM Kamanzi) avec le bataillon Huye, le 5°bataillon de gendarmerie (Major Rwarakabije)

ainsi que le bataillon réserviste ESO (Major BEM Gasarabwe) allaient remonter du sud du

parc vers le nord. Le Major Kamanzi avait en plus comme mission de protéger l’hôtel

Akagera et le pont de Rusumo avant la création du secteur opérationnel de Rusumo le 4

novembre 1990 (OPS/90/8616).

154

Figure n°9. Le Parc National de l’Akagera et les différents carrefours routiers

155

3.2.2. Le secteur de Gabiro

Le premier problème qui se posait au Major Rwendeye était d’abord de localiser l’ennemi

dans cette vaste zone forestière. Déjà, dès le premier novembre, une patrouille de combat

envoyée par le Major Musonera intercepta deux jeunes étudiants ugandais enrôlés dans la

RPA depuis le 2 octobre 1990. Ces jeunes déclarèrent qu’ils s’enfuyaient vers l’Uganda car

leurs compagnons estimés à quelques 600 personnes étaient coupés de ravitaillement en vivre

dans le parc de l’Akagera, à quelques 15 km de Gabiro. Comme matériel, les rebelles

disposaient de deux canons bitubes, deux mitrailleuses quadruples, quatre jeeps et deux

camions.

D’autres renseignements signalaient des mouvements de va-et-vient dans la vallée de

Namuhemura où se trouvait le training center des rebelles. Effectivement, une opération de

ratissage dans cette vallée donna les résultats suivants : plusieurs cadavres de rebelles

répertoriés, des munitions récupérées dans les maisonnettes, 7 vélos, un dépôt de haricots et

un matériel culinaire, des documents divers, plusieurs vaches, un groupe électrogène Honda.

Plusieurs autres opérations de ratissage seront effectuées dans cette vallée où se trouvait le

quartier général des rebelles dans le parc. Le 3/11/1990, des accrochages entre le CE Bigogwe

et les éléments de la RPA se reproduisirent entre Karizo et Nyarwata. Ceux-ci se replièrent

vers le sud en passant derrière les crêtes de Nyarwata en direction de Kamakaba. Au même

moment, le bataillon Mukamira tombait dans une embuscade et un militaire fut blessé mais un

rebelle fut capturé. Le prisonnier signala alors la présence de près de 300 combattants dans

cette vallée de Kamakaba, sous les ordres du lieutenant Gatsinzi. C’était donc là que la RPA

voulait se regrouper.

Le bataillon Gitarama quant à lui évoluait un peu plus à l’ouest car il effectuait des ratissages

dans le secteur compris entre le carrefour 9 et Ryamikoni avec comme limite de la

progression le carrefour 9 et la route vers le carrefour 10. La jonction avec les éléments du

bataillon Mukamira était prévue pour le 4 novembre mais elle ne put être réalisée. Le

ratissage se faisait de crête en crête mais il était impossible de tout boucler et les rebelles

parvenaient souvent à passer entre les mailles du filet. C’est ainsi que le 5/11/1990 la jonction

entre les bataillons Gitarama et le CE Bigogwe fut réalisée au carrefour 10 sans qu’il y ait eu

contact avec l’ennemi. Le Major Rwendeye pensait que l’ennemi chassé de son bivouac de

Nyarwata s’était replié, soit vers le nord par la vallée de l’Akagera, soit traversé le marais de

l’Akagera, soit pris la direction de l’ouest. Mais un garçon de 14 ans capturé au carrefour 10

déclara que près de 100 rebelles étaient cachés à Namuhemura dans la vallée boisée de

l’Akagera derrière Gatoyo-Busetsa en attendant son départ vers l’ouest.

L’Etat-major quant à lui disposait de renseignements faisant état du repli des rebelles vers les

lacs de l’est et il enjoignait au Major Rwendeye de continuer la progression vers l’est.

Effectivement, le major Rwendeye informa l’Etat-major que d’importantes forces ennemies

étaient cachées dans la vallée de l’Akagera d’où ils cherchaient à rejoindre la région habitée

de Nyagatare pour se ravitailler. De fait, les rebelles étaient alors confrontés à l’épineux

problème du ravitaillement en vivre et ils tendaient des embuscades aux colonnes de

ravitaillement pour s’emparer des vivres. C’est ainsi que les 6 et 7 novembre, ils détruisirent

156

un camion citerne et blessèrent deux militaires. Au même moment, une compagnie rebelle

accrochée se replia vers l’Akagera derrière Namuhemura-Gatoyo. Le lieutenant Gatsinzi qui

commandait cette compagnie fut tué dans les combats. Justement, un prisonnier nommé

Ladislas Murekezi signala qu’il existait un passage sur l’Akagera, passage qui reliait le

Karagwe à Namuhemura et qui servait de lieu de ravitaillement.

Le Major Rwendeye conseillait d’intervenir diplomatiquement pour que les Tanzaniens

surveillent ce passage que 40 ennemis venaient d’emprunter pour s’infiltrer de Rwimiyaga

vers le ranch de Gasinga et le ranch militaire. A ce moment, le bataillon Mukamira essuya le

feu des deux sections ennemies dans la zone de Gasinga. Les rebelles perdirent douze

hommes pendant qu’un bivouac de 300 personnes était découvert. Mais le lieutenant

Ntagugura et le sous-lieutenant Mutabaruka Jean Paul furent blessés dans l’opération.

Cependant, le 8 novembre, le CE Bigogwe et le bataillon Mukamira furent de nouveau

envoyés vers Namuhemura. Le bataillon Mukamira occupa la crête de Gatoyo pendant que le

CE Bigogwe s’empara du carrefour 3. Au cours de l’engagement contre le CE Bigogwe, le

lieutenant Magango de la 5° division de la NRA et le caporal Rurangirwa Moss furent tués.

Le Major Rwendeye décida alors d’entreprendre la fouille de la vallée de l’Akagera à partir de

Namuhemura vers le sud jusqu’à Kariza avec le bataillon Mukamira et le CE Bigogwe. La

compagnie Gitarama était envoyée vers Nyarwata pour bloquer l’ennemi qui tenterait de

s’infiltrer vers le sud. Le bilan de l’opération fut de 17 rebelles tués dont 13 sur l’Akagera en

tentant de traverser la rivière sur un radeau. Le caporal Hakizamungu fut blessé pendant les

combats.

Le 10 novembre 1990, les combats se poursuivirent et deux jeeps radio de la NRA furent

capturées. La compagnie Gitarama entra en contact avec l’ennemi dans la vallée entre

Gisanze et Gikoma. Avec le renfort d’une compagnie CI Bugesera, la compagnie Gitarama

attaqua et tua 10 rebelles dont le capitaine Musitu et le lieutenant Karangwa. Un rebelle

capturé signala que 500 combattants conduits par le Colonel Adam Waswa se trouvaient

encore à Nyarwata avec l’intention de s’enfuir vers Rwempasha. Il y avait également une

compagnie ennemie dans la vallée de Karangaza au nord de Bitete en infiltration vers l’ouest.

Deux compagnies du CI Bugesera furent dépêchées dans cette vallée à l’est de Rwimiyaga

mais les rebelles parvinrent à s’enfuir vers l’Uganda en laissant 5 des leurs sur le terrain.

Cependant, la fouille de la vallée de l’Akagera se poursuivait et le 13 novembre, 10 rebelles

furent tués pendant que les éléments qui occupaient Nyarwata et le carrefour 7 effectuèrent

des patrouilles dans les environs. Cinq autres rebelles furent tués dont le sergent Ntambiye de

la NRA. Avant de succomber, le sergent Ntambiye affirma que Majyambere Silas et un

commerçant de Kampala nommé Grégoire finançait les Inkoyanyi. En outre, un rebelle appelé

Rutabona Justin originaire de Nyakizu, Butare, déclara quant à lui qu’avant de se faire

recruter, il travaillait à l’hôtel chez Lando; il aurait également travaillé à la Galerie Ikirezi. Il

avait quitté Kigali en mai 1990. De même, le Ce Bigogwe en progression vers l’Hôtel

Akagera abattit deux rebelles et en captura deux autres, dont l’ex soldat Twagirayezu.

Celui-ci déclara avoir fréquenté le Centre d’entrainement de Mbarara avec beaucoup de chefs

rebelles comme Nyiligira. Il faisait partie d’une compagnie de 160 personnes sous les ordres

157

du Capitaine Bitamazire délogé de Ndago. La mission du capitaine était de placer des mines

sur l’axe Kayonza-Rusumo et après obtention de renforts, il devait se diriger vers Rusumo en

passant par l’hôtel Akagera dont l’attaque était prévue en fin de semaine. Le Capitaine

Bitamazire avait laissé à Ndago 15 blessés et un médecin ainsi qu’une cache d’armes. Le

major Rwendeye envoya des éléments pour les neutraliser. L’Etat-major, satisfait, félicita le

Major Rwendeye pour sa « persévérance dans le harcèlement de l’ennemi » et chaque

militaire reçut une bouteille de bière en récompense. L’Etat-major attirait cependant

l’attention du Major Rwendeye sur les « soi-disant tombes de rebelles le long de l’Akagera »

car il pouvait s’agir de caches d’armes.

3.2.3. La mort du Major Rwendeye

Après le ratissage minutieux de la vallée de l’Akagera à partir de Namuhemura et

l’occupation des principales crêtes et carrefours, le Major Rwendeye estima sans doute que

les rebelles n’avaient plus que des forces déliquescentes. Pourtant, dès le 17 novembre, le

Major Kamanzi informa l’Etat-major qu’il avait appris d’un prisonnier qu’un bataillon

conduit par le Major Nduguteye et le lieutenant Kazungu était en progression vers la vallée de

Kizi. L’Etat-major avertit le Major Rwendeye de la présence de cet ennemi qui semblait se

diriger vers le carrefour 19. Il lui recommandait une vigilance constante car la RPA pouvait se

rabattre sur le camp de Gabiro à la recherche de nourriture ou alors tenter de rejoindre ses

anciens campements le long de l’Akagera. (RT.OPS/90/9074)

En outre, déjà dès le 3 novembre, l’Etat-major avait mis en garde les commandants de

secteurs car la tactique de la RPA consistait à attaquer ou contrattaquer vers 9 heures du matin

et tendre des embuscades surtout le soir. Il conseillait alors d’attaquer très tôt le matin et de

faire attention le soir. Justement dans la soirée du 18 novembre, le Major Rwendeye décida de

rejoindre son quartier général situé à Gabiro, en passant par le carrefour 10 qui avait été

ratissé par le CI Bugesera et le bataillon Gitarama. On conseilla au Major Rwendeye de ne pas

emprunter cette voie car une jeep radio du Commandant Niyonsaba avait échappé de justesse

à une embuscade au carrefour 10 une heure auparavant. Le major décida de passer outre et

comme les anciens gentilshommes, il refusa de se déplacer à bord du blindé qui faisait partie

du convoi.

Arrivés aux carrefours 10 et 11, le Major Rwendeye et son escorte tombèrent dans une

embuscade tendue par une compagnie de combattants de la RPA qui disposait de plusieurs

mitrailleuses et de lance-roquettes. Le Major reçut plusieurs balles dans le thorax mais son

chauffeur, le 1er sergent Uwimana put se dégager et atteindre Gabiro. Le Major Rwendeye

expira dans l’hélicoptère qui l’évacuait vers Kigali.

Le bilan de l’embuscade fut extrêmement lourd car en plus du Major Rwendeye, les

personnes suivantes furent tuées : Major médecin Ntamuhanga Lazare, Capitaine

Byukusenge, S3 du CI Bugesera, Sous-lieutenant Maniragaba du CI Bugesera ainsi que 15

sous-officiers et soldats. Du côté de la RPA, un seul rebelle fut tué et son arme récupérée.

Aussitôt après le début de l’action, une compagnie du CI Bugesera se dirigea directement vers

le carrefour 10 pour secourir les éléments tombés en embuscade. Elle arriva sur les lieux à

158

18h30, c’est-à-dire trente minutes après l’action. La RPA était encore en dispositif et

s’apprêtait à bruler les véhicules immobilisés. Les rebelles se replièrent aussitôt vers le nord

sans être inquiétés car la nuit était déjà tombée.

La mort du Major Rwendeye frappa de stupeur tous les rwandais, qui avaient jusqu’alors

tendance à penser que la guerre était finie. Il fut depuis lors considéré comme un héros

national. La RPA quant à elle jubila car elle estimait que les mânes du Général Rwigema

étaient vengés.

L’Etat-major réagit en ordonnant au Major ingénieur Ndahimana de prendre le

commandement du secteur Gabiro jusqu’à nouvel ordre pendant que le Commandant

Ntambabazi cumulerait ses fonctions de logistiques habituelles avec ceux de S4 du secteur de

Gabiro. Plus tard, le Major Stanislas Hakizimana, l’homme du 2 octobre à Matimba fut

désigné comme commandant du secteur opérationnel de Gabiro pendant que le Major

Ndekezi devait assurer le commandement du secteur Rusumo jusqu’à nouvel ordre. Mais pour

des raisons médicales, le Major Hakizimana ne put rejoindre Gabiro et le Major Ndahimana

continua à assurer le commandement en attendant une nouvelle réarticulation. Celle-ci fut

réalisée le 20 novembre avec la fusion des secteurs opérationnels de Gabiro et de Ngarama

sous l’appellation de secteur Mutara.

Après leur embuscade au carrefour 10, les hommes du Major Nduguteye s’étaient repliés vers

le nord. Le Major Ndahimana pensait qu’ils allaient se diriger vers Nyarwata et le carrefour 7

pour tenter de s’infiltrer à travers le dispositif vers Muyumba et l’Uganda. Il demandait alors

que les éléments du Camp Gabiro et du CI Bugesera fassent mouvement vers le nord pour

essayer d’intercepter l’ennemi. Ce mouvement devait commencer le 19 novembre à partir du

carrefour 10. Le CE Bigogwe effectuerait le ratissage du carrefour 9 vers le carrefour 6

pendant que le bataillon Ruhengeri se dirigerait vers Nyarwata. Le bataillon Gitarama

assurerait la défense du camp Gabiro.

On se rend compte qu’on était revenu à la situation de départ car il faudra de nouveau

reconquérir Namuhemura et les crêtes Nyarwata, ensuite fouiller de nouveau la vallée de

l’Akagera. On remarquera également que les hommes de la RPA semblent être attirés par

Namuhemura comme par un aimant. En fait, c’est là qu’était installé leur quartier général à

l’abri de grottes que l’armée rwandaise n’avait pas pu découvrir malgré les différentes

opérations de ratissage. A la fin, on dut obstruer les accès de ces grottes au bulldozer et on

estime que la plupart des rebelles périrent dans l’opération. Cependant un certain nombre put

s’échapper vers le sud où ils durent affronter les unités du Major Kamanzi, Commandant du

secteur opérationnel Kibungo.

159

3.2.4. Le secteur Kibungo

On se rappelle que le Major Kamanzi avait été chargé de restructurer le bataillon Huye qui

avait été jugé défaillant après les événements du 18 octobre. C’est avec cette unité qu’il

démarra le ratissage du Parc de l’Akagera à partir du Sud. Plus tard, il recevra en renfort le

5°bataillon composé de gendarmes du Groupe Mobile (Major Rwarakabije) et à partir du 4

novembre, le bataillon réservistes ESO (Major Gasarabwe) fut constitué.

Rappelons ici que les 2 000 réservistes avaient été mobilisés vers la mi-octobre et qu’ils

avaient été envoyés en renfort dans les différentes unités. Mais l’Etat-major n’avait pas songé

à régler les problèmes matériels de ces soldats qui, pour la plupart, laissaient des familles à la

campagne. Aussi tôt engagés dans les combats, ces réservistes réclamèrent non seulement de

pouvoir envoyer leurs soldes à leurs familles mais aussi de bénéficier de rations ou équivalent

pour leurs famille au même titre que les autres militaires en activité. Ils menacèrent d’ailleurs

d’arrêter le combat au cas où leurs problèmes ne trouvaient pas de solutions.

L’Etat-major s’empressa de satisfaire leurs revendications et le moral des réservistes remonta.

Cependant, l’Etat-major demanda le 6 décembre au Ministère de la Défense d’intervenir

auprès des échelons habilités pour rappeler à tous les employeurs de ne pas licencier les

réservistes au front. En effet, le soldat réserviste Karenzo qui était agent recenseur à la

commune Bwisige avait été licencié, ce qui avait semé le désarroi dans les rangs des

réservistes : cela risquait de compromettre le déroulement des opérations dans les secteurs où

les réservistes étaient engagés. Ils furent plus tard démobilisés quand la pression sur la

frontière se relâcha alors que les effectifs de l’armée avaient été considérablement augmentés.

Le Major Kamanzi entra en contact avec la RPA le 4 novembre entre les carrefours 30 et 20 ;

il avait alors l’intention d’atteindre les carrefours 24 et 25 le lendemain 5 novembre. Mais le

même jour, l’Etat-major l’informa que l’ennemi avait l’intention d’attaquer par Rusumo et lui

demanda de prendre les dispositions nécessaires pour éviter toute surprise. D’autres

informations recueillies auprès d’un prisonnier faisaient état d’une colonne de rebelles qui

progressait sur l’axe des lacs Rwanyakizinga-Mihindi-Gishanju-Hago pour s’emparer de

l’hôtel Akagera. Le Major Kamanzi devait alors continuer le ratissage tout en tenant compte

des deux menaces. Dans la suite, la défense du pont de Rusumo fut confiée au

Commandement opérationnel de Rusumo confié au Major BEM Ndengeyinka.

La tâche du Major Kamanzi était encore compliquée par le fait que les rebelles pouvaient

facilement rejoindre les zones habitées pour se déguiser en paysans ou alors prendre ceux-ci

en otage. C’est ainsi par exemple que le Bourgmestre de la Commune Rukara captura à

plusieurs reprises des rebelles qui avaient rejoint les habitations à la recherche de nourriture.

En outre, les combattants rebelles pouvaient facilement descendre par la vallée de Matinza et

couper le ravitaillement du Commandant secteur Kibungo en bloquant les deux routes de

Nyamiyaga et Rwinkwavu.

Justement, le 11 novembre, une compagnie du bataillon Huye sous les ordres du lieutenant

Niyomugabo qui progressait à portée de l’hôtel Akagera tomba vers 10h30 dans une

embuscade tendue par une centaine de combattants de la RPA qui s’étaient cachés dans le

160

marais de Nyaruhururu. Une vingtaine de rebelles furent tués mais le lieutenant Niyomugabo

dut décrocher en laissant sur le terrain 5 morts dont le premier sergent-major Munyaneza, les

caporaux Ngiruwonsanga et Bayundo, ainsi que le soldat Nzabakurana. Le lieutenant

Niyomugabo fut lui-même blessé au bras. Il fut remplacé à la tête de cette compagnie par le

Commandant Twambaze rappelé de Belgique où il poursuivait des études à l’Ecole de Guerre.

Le Commandant Twambaze sera d’ailleurs lui-aussi blessé à la main plus tard, étant à la tête

de ses hommes.

La Major Kamanzi proposa alors à l’Etat-major que Nyamiyaga soit gardé en permanence par

un détachement du Groupement Kibungo pendant que Matinza, l’hôtel Akagera, Rwinkwavu

et la ville de Kibungo seraient placés sous la garde du secteur opérationnel de Rusumo. C’est

que l’ennemi repoussé du nord s’étaient fortement reconstitué entre les carrefours 25 et 34. Le

Major Kamanzi demandait que des unités du nord continuent la progression vers le sud. Il

continuerait alors lui-même le ratissage entre les carrefours 25 et 21. Cependant, le sergent

Gasangwa Moussa, capturé par le bataillon Huye déclara que le Major Kalisoliso (Nduguteye)

se trouvait aux abords du lac Ihema avec 600 hommes armés entre autres de deux

mitrailleuses à gaz, une mitrailleuse anti-aérienne, deux mortiers de 60 mm et de deux

mitrailleuses lourdes.

Beaucoup plus au Sud, en Commune Rukara, une colonne de 40 rebelles avait attaqué le 19

novembre la population du secteur Ryamanyoni. Ils avaient alors pillé le petit bétail et

massacré un certain nombre de paysans. De même, un rebelle capturé dans le secteur de

Twinsure fournit les informations suivantes :

- Cinq compagnies du Capitaine Gasana James progressent autour du carrefour 19

- Le bataillon du Capitaine Bitamazire est dispersé à l’ouest du marais de Kizi

- Le Major Nduguteye accompagné du Capitaine Dodo serait parti pour Gatuna

On peut alors se rendre compte que le Major Kamanzi et le Major Nduguteye se sont livrés un

jeu de cache-cache qu’il est impossible de suivre au jour le jour. On peut cependant noter que

les hommes de la RPA se trouvaient dans une position extrêmement délicate car ils ne

pouvaient compter sur aucune forme de ravitaillement. Finalement, faute de munitions et de

vivres, la plupart des rebelles furent massacrés ou moururent de faim, certains ayant été

amenés à brouter de l’herbe comme des herbivores, disait-on.

A la fin, les unités venues du Nord firent leur jonction avec ceux venus du Sud dans la région

de Gabiro et c’est le 7/12/1990 que le Chef de l’Etat proclama à Gabiro la fin du ratissage

dans le Parc de l’Akagera.

161

3.3. Gatuna et Kaniga : une nouvelle phase de la guerre

Après l’échec de son offensive d’envergure au Mutara, le RPA adopta une nouvelle stratégie :

au lieu et en place d’une guerre classique avec à court terme l’objectif de s’emparer de Kigali,

il s’agira dorénavant de pratiquer une guérilla de déstabilisation. On se rappellera que cette

potion avait été rejetée au début, sous l’impulsion de Fred Rwigema. La consigne sera alors

de mener des attaques sur des objectifs ponctuels et de décrocher aussitôt que l’armée

rwandaise, manifestement devenu plus forte et plus aguerrie, organisera une contre attaque.

On évitera alors d’occuper du terrain étant donné le risque de pertes trop élevées, le système

étant d’ailleurs très souple car des portions de territoire seront occupées tant que l’ennemi ne

sera pas assez organisé pour attaquer.

Mais comme le principe suppose l’impossibilité d’opérer de l’intérieur du Rwanda, il faudra

impérativement que le territoire ougandais serve de base arrière, ce qui risquait de mettre le

gouvernement ougandais en position délicate. De plus cette option entraine comme corollaire

un lourd handicap car il sera impossible de montrer un territoire « libre » à des observateurs

neutres, lors des négociations de paix.

3.3.1. L’influence obscure de Museveni le Crocodile.

C’est par ces termes que le journaliste belge Eric de Bellefroid qualifia le Président ougandais

dans un article publié dans le Libre Belgique du 22 octobre 1990. Mr de Bellefroid avait

commencé son article en citant les propos tenus par Museveni à Wilfried Martens : « Vous,

vous parlez français, arrangez-vous avec les rwandais. Moi je parle anglais, je vais

m’occuper des rebelles ». Le journaliste continua en affirmant que la Belgique était incline à

investir sa confiance dans cet homme qui était alors Président en exercice de l’OUA et qui

était qualifié de personne « habile et futé », cachant une personnalité singulière. Mr de

Bellefroid rappela que Museveni avait eu le culot d’affirmer, lors de son passage à Bruxelles,

qu’il n’était pas avisé des desseins de son ami Fred Rwigema alors qu’il était impossible que

des milliers de déserteurs équipés de matériel ougandais aient pu quitter l’armée ougandaise

sans qu’il en soit informé.

Il narra ensuite les péripéties de la vie aventureuse de Museveni jusqu’à la prise du pouvoir à

Kampala, avec le soutien de Kadhafi et de la puissante multinationale anglaise « London-

Rhodesia » (Lonrho) détentrice de vastes intérêts en Afrique Centrale et Orientale : elle avait

misé sur lui par opportunisme. L’article évoqua également la traîtrise de Museveni lors de la

rencontre de Nairobi entre les différentes factions ougandaises pendant trois mois sous

l’arbitrage des Présidents Arap Moi, Mobutu et Habyarimana, en vue d’une réconciliation

nationale. La rencontre avait abouti à la conclusion d’une trêve et les contacts continuaient

pour conclure un accord définitif. Mais voilà qu’en pleine trêve et l’accord étant sur le point

d’être conclu, Museveni se retira des discussions pour recourir à la solution par les armes.

Museveni était donc incapable de respecter sa parole et à plusieurs reprises, il tenta même

d’attaquer le Kenya. Pour Mr de Bellefroid, Museveni avait non seulement cautionné mais

supervisé l’opération de Fred Rwigema. Mais pourquoi attaquer le Rwanda, se demanda-t-il.

162

Il donna alors ce qu’il appelait une hypothèse plausible ; « faire de ce pays voisin un ami

fiable » et punir le Rwanda d’avoir pris ses distances avec Mouammar Kadhafi.

Le Chef de l’Etat ougandais est effectivement un homme étrange, d’un machiavélisme

diabolique. Lors de sa visite au Rwanda en 1986 après son accession au pouvoir, il avait

affirmé haut et fort que, quoi qu’il arrive, le Rwanda ne serait jamais attaqué à partir du

territoire ougandais. A ce moment-là, il cherchait en réalité le concours du Président

Habyarimana pour qu’il serve de médiateur entre lui et Mobutu qui lui était très hostile car,

fin renard, celui-ci avait senti en Museveni un perturbateur. Cette médiation porta ses fruits

car les chefs d’Etats de la région se rencontrèrent à Goma en 1987, rencontre qui consacra la

reconnaissance du régime de Museveni grâce, ironie du sort, à l’action de Habyarimana.

Cependant, on se rappellera qu’au moment de l’attaque du 1èr octobre 1990, Museveni se

trouvait aux USA avec Habyarimana. Il poursuivit son périple en Europe Occidentale en

commençant d’abord par Bruxelles où il affirma que son ami Fred Rwigema avait agi à son

insu, tentant par là de se démarquer de l’initiative de son ancien vice-ministre de la défense. Il

affirma même que les assaillants seraient arrêtés si jamais ils revenaient en Uganda.

L’Ambassadeur de l’Uganda à Bruxelles précisa lui aussi le 4 octobre que les exilés rwandais

seraient arrêtés et jugés s’ils cherchaient à revenir en Uganda en cas de défaite. Le Vice-

président du National Resistance Mouvement (NRM, le partie unique de Museveni), Moses

Kigongo, envoya la NRA fermer les frontières avec le Rwanda, afin que les assaillants ne

puissent revenir en Uganda. Le Président Museveni rejeta de nouveau à Copenhague les

accusations de complicité de son gouvernement avec les rebelles et il répéta la même chose à

Entebbe le 10 octobre 1990 à son retour de sa tournée européenne.

Ces affirmations inlassablement répétées jetèrent le doute dans l’esprit des occidentaux quant

à son implication dans le conflit rwandais. C’est qu’il espérait que la victoire des assaillants

allait être une affaire de quelques jours. Dans ce cas, le problème de fermeture des frontières

ne se poserait pas. Pourtant, les rebelles continuaient à recevoir leur ravitaillement par

l’Uganda mais personne n’était là pour vérifier. Cette conviction d’une victoire rapide ressort

de plusieurs de ses affirmations quand il déclara à plusieurs reprises qu’il était convaincu que

l’armée rwandaise ne pourrait jamais battre militairement les rebelles, même avec l’aide des

troupes étrangères quelles qu’elles soient, car estimait-il, ces garçons étaient militairement

très expérimentés.

Dans son calcul, cette période de flottement et d’indécision des occidentaux ne leur

permettrait pas de faire une analyse correcte de la situation et dans la suite les placerait devant

le fait accompli. Pour cala, il déclara le 7 octobre 1990 à Martens que « les pays européens ne

doivent pas se mêler des affaire africaines », parole qu’il devait répéter à Copenhague, le 9

octobre quand il mit en garde les européens, spécialement la France et la Belgique, contre

toute ingérence dans les affaires africaines. Son intention était alors de dissuader les

occidentaux de toute forme d’intervention et laisser le temps à la RPA de régler rapidement la

question rwandaise. Pour gagner du temps, il proposa d’ailleurs le 10 octobre à Entebbe, en

tant que Président en exercice de l’OUA, l’organisation d’une conférence régionale de paix

163

pour résoudre le conflit rwandais. Mais entre quels partenaires cette conférence aurait-elle pu

être organisée si, comme il l’espérait, la RPA avait rapidement gagné la guerre ?

Dans le même ordre d’idées, le Président Museveni réunit le 16 octobre 1990 les représentants

des pays étrangers (Allemagne, Zaire, Rwanda, Burundi, Kenya, Tanzanie, USA, Grande

Bretagne, Italie, France) pour leur dire qu’il n’avait pas eu connaissance du plan d’attaque du

Rwanda. Il développa une argumentation qui, pensait-il, prouvait qu’il n’était pas au courant

de ce plan. Pourquoi laisser la RPA attaquer le Rwanda alors que je suis encore Président en

exercice de l’OUA ? J’aurai pu tout de même attendre la fin de mon mandat. Pourquoi

attaquer sur le front de Kagitumba uniquement alors que toute la frontière était ouverte ?

Pourquoi leur aurais-je donné uniquement des armes de petit calibre et non des armes de gros

calibre pour assurer leur succès ? Pourquoi tous les soldats rwandais ne sont pas partis ?

Pourquoi envoyer quelques centaines plutôt que tous les rwandais ? Pourquoi n’aurais-je pas

résolu le problème des véhicules si j’avais été de connivence avec eux ? Ils n’auraient pas dû

voler les véhicules des écoles, du gouvernement, de l’armée… pour se déplacer …

Pour lui, tous ces arguments prouvaient que les accusations du Rwanda n’avaient aucun

fondement.

Comme pour le démentir, on apprenait au même moment de source diplomatique à Nairobi

que le Général Salim Saleh, son demi-frère, était l’un des dirigeants des rebelles du FPR. Le

Général Salim Saleh, qui avait le même père que Museveni, avait été limogé de la NRA à la

fin de 1989 avec le Général Rwigema. Les deux hommes entretenaient d’ailleurs des liens

étroits au sein de l’armée ougandais. Mais on ignorait quelles étaient les fonctions exactes de

Salim Saleh dans le FPR; sa présence avait été signalée à plusieurs reprises à la frontière entre

le Rwanda et l’Uganda depuis le début de l’invasion du 1er octobre 1990.

En tout cas, le moins que l’on puisse dire est que Mr Museveni, « habile et futé », avait bien

joué son rôle car il avait presque convaincu les occidentaux de son innocence dans cette

affaire et son périple en Europe avait sans aucun doute été programmé pour cela. Son succès

fut d’ailleurs facilité par l’incurie de la diplomatie rwandaise incapable de défendre l’image

de marque du Rwanda dans les mass-médias, largement infiltrés par les représentants du FPR.

Il faut ajouter à cela les bavures commises par les autorités rwandaises qui, prises de panique,

avaient pris beaucoup de libertés avec les droits de l’homme en cherchant à démasquer

d’éventuelles complicités intérieures.

L’embarras de Museveni apparaîtra quand les Français et les Belges interviendront quand

même pour officiellement protéger leurs ressortissants, ensuite quand l’avance de la RPA sera

moins rapide que prévue et surtout quand le reflux sera inévitable. Allait-il réellement fermer

la frontière comme il l’avait promis ? Dans ce cas, le Rwanda sortirait victorieux de cette

épreuve et son gouvernement en serait conforté, contrairement à ce qui se passerait pour lui

car son crédit serait sérieusement entamé. IL ne pouvait donc pas logiquement fermer sa

frontière.

Les autorités rwandaises agirent malgré tout comme si le Président Museveni allait respecter

ses engagements. C’est ainsi que dès le 30 octobre, aussitôt que l’armée rwandaise atteignit la

164

frontière, des consignes très strictes furent données aux militaires pour respecter la frontière

ougandaises. On en a déjà parlé. Ces ordres furent plusieurs fois répétés par l’Etat-major car

entre le 30 octobre et le 20 novembre 1990, une demi-douzaine de messages de ce type

émanant de l’Etat major peuvent être répertoriés. Effectivement, si l’Ouganda fermait sa

frontière, le Rwanda serait soulagé et la vie pourrait reprendre un cours plus normal, déclara

un diplomate occidental en poste à Kigali. Il ne resterait alors qu’à régler le problème des

réfugiés, affirma-t-il.

Dans cette optique, le Lieutenant-colonel Munyengango François, Chef de la mission chargée

de surveiller la frontière ougandaise, déclara le 16 novembre 1990 à l’AFP que le

gouvernement rwandais allait demander aux autorités ougandaises de l’aider à combattre les

rebelles en se joignant aux forces gouvernementales rwandaises opérant dans la zone

frontalière. Le concours évoqué par le Lieutenant Colonel Munyengango consistait en un

désarmement des rebelles qui franchiraient la frontière, comme l’avait affirmé M. Museveni

au début du conflit. Celui-ci répéta d’ailleurs les mêmes promesses au Président Habyarimana

lors d’une brève rencontre à Cyanika le 20 novembre. Il alla même jusqu’à lui confier que des

rebelles du FPR avait été désarmés et conduits dans la ville de Mbarara au Sud Ouest de

l’Uganda. Cependant, le lendemain 21 novembre, un communiqué gouvernemental ougandais

devait démentir cette information qui avait été diffusée par Radio Rwanda. Ce communiqué la

qualifiait de totalement fausse et mal intentionnée. En réalité, affirmait le gouvernement

ougandais, le Rwanda voulait tromper le monde en faisant passer le conflit interne qui

l’agitait pour une agression extérieure. Avec de telles affirmations contradictoires, on ne sait

plus évidemment sur quel pied danser et M. Museveni était passé maître dans cet art de

brouiller les cartes.

En tout état de cause, le moins que l’on puisse dire, c’est que si les responsables du FPR ont

été à l’école de Museveni – et là personne ne peut en douter –les négociations en vue de la

paix seront très ardues, car la prudence imposera beaucoup de circonspection. En effet,

comme l’affirma avec cynisme et délectation Marie France Cros dans la Libre Belgique du

18/10/1990, le FPR pourrait être tenté d’appliquer la technique Museveni de négociation,

pratiquée avec succès face à l’ex-Président Obote et au Général Tito Okello qui lui succéda :

faire durer les discussions tout en maintenant la pression militaire, afin d’arracher une

concession à chaque rencontre, jusqu’à dépouiller l’adversaire, c'est-à-dire en fait la technique

de « piranha », ces poissons qu’on trouve dans l’Amazone et qui sont célèbres par leur

férocité. Attirés par le sang, ils dépècent totalement leur proie avec une rapidité proverbiale.

C’est pour cette raison d’ailleurs que le Kenya qui connait bien la valeur des négociations

avec Museveni n’envoya jamais de représentants dans les rencontres organisées sur le conflit

rwandais et auxquelles Museveni était directement impliqué, le Kenya en connaissant

d’avance les résultats !

Voilà donc l’individu qui tient en main l’avenir des négociations entre le Rwanda et le FPR !

165

3.3.2. La prise de Gatuna et Kaniga.

Dès le 1èr novembre 1990, des patrouilles du groupement Byumba avaient informé l’Etat-

major que des éléments ennemis déguisés en civils semblaient progresser le long de la

frontière avec l’intention évidente d’attaquer Gatuna. D’autres groupes de la RPA estimés à

une compagnie par les patrouilles de combat du 17° Bataillon Byumba semblaient se diriger

vers le Sud du secteur Byumba. Le détachement de Gatuna composé de 60 réservistes avait

lui aussi signalé à l’Etat-major qu’une population civile de près de 1000 personnes avait fui

les centres de Karama et Tovu pour se réfugier dans ceux de Cyondo et Muhambo où

campaient des éléments de la gendarmerie. Cette population avait fui devant l’ampleur des

déplacements des rebelles le long de la frontière, signe avant coureur d’un empoignement

imminent.

L’Etat-major avait donc été averti de la menace et dès le 31 octobre, il avait demandé aux

commandants des opérations de Ngarama et Gabiro de disponibiliser le Bataillon Byumba

pour une autre mission urgente, de même d’ailleurs que l’Escadron C et la BIE AC. Dans le

même ordre d’idées, par le message RT OPS/90/8462 du 1 novembre 1990, l’Etat-major

rappela au Commandant des opérations de Ngarama qui avait demandé un peu de repos pour

ses hommes que le combat n’était pas terminé. Il devait s’organiser de façon à récupérer sur

place en attendant que la situation permette la relève. L’Etat-major rappelait que les

prélèvements effectués visaient à parer aux menaces qui se dessinaient ailleurs et non le repos.

On tiendrait en compte l’état de fatigue des unités quand la situation le permettrait. Tous ces

éléments montrent que l’Etat-major ne fut pas surpris par l’attaque de Gatuna.

Effectivement, les rebelles du FPR étaient repassés à l’offensive mais en changeant de front :

ils s’emparèrent le 3 novembre de Gatuna et Kaniga, deux postes de douane contigus situés à

la frontière avec l’Uganda. En prenant Gatuna, les rebelles ont affirmé qu’ils s’étaient assurés

une position plus importante qu’à Kagitumba, parce qu’ils tenaient la route principale reliant

Kigali et l’Uganda et au Kenya. De fait, c’est par ce « Corridor Nord » que transitait

l’essentiel des approvisionnements du Rwanda et du Burundi. Mais en réalité depuis le

déclanchement des hostilités, cette voie n’était plus utilisée pour des raisons évidentes de

sécurité. Mais comme elle était beaucoup plus commode et plus rapide, quelques

transporteurs continuaient encore à vouloir l’utiliser, profitant de la prétention de Museveni à

la neutralité dans ce conflit. Une demi-douzaine de camions seront ainsi détruits en

stationnement lors de la prise de Gatuna, la plupart appartenant à la société Interfreight. Le

gros des approvisionnements du Rwanda passaient par la Tanzanie sur une route mal

entretenue mais plus sûre, l’armée tanzanienne protégeant les convois. La RPA chercha

d’ailleurs l’asphyxie totale du Rwanda en tentant de détruire le pont de Rusumo sur

l’Akagera.

C’est dans ce contexte que l’Etat-major informa toutes les unités de l’armée et de la

gendarmerie que l’ennemi avait attaqué et bousculé la position de Kaniga dans la matinée de 3

novembre 1990, et qu’il se dirigeait vers l’usine à thé de Mulindi où il avait été contenu. En

même temps, il ordonnait au 17° bataillon de Byumba, à l’escadron C et à la BIE AC de se

porter d’urgence du Mutara à Byumba pour renforcer l’action de retardement. L’Etat-major

166

demanda également au CE Cdo Bigogwe où les recrues s’entrainaient intensivement depuis le

16 octobre 1990 d’apprêter un bataillon pour renforcer le Camp Byumba. Il s’agissait donc de

repousser cette nouvelle agression mais sans pour autant perturber les actions de nettoyage

entreprises dans l’Akagera. Jusqu’alors, on n’avait pas encore pu estimer la force de l’ennemi

car on pensait, comme l’avait suggéré le Commandant des opérations à Ngarama, qu’il

s’agissait uniquement d’éléments échappés du ranch de Rwempasha. En réalité, d’importantes

forces s’étaient échappées du Mutara et c’est elles qui avaient surpris les postes douaniers de

Gatuna et Kaniga. D’après le Commandant Emmanuel Kanyandekwe, les rebelles étaient au

nombre d’environ 300 à 400 hommes lorsqu’ils ont attaqué Gatuna qui n’était gardé que par

60 réservistes.

L’Etat-major devait se rendre compte dans la suite de la force de ces éléments par l’échec de

la contre attaque lancée par le 17° Bataillon de Byumba le 4 novembre. Cette attaque échoua

totalement et d’importantes quantités de matériel furent perdues dont :

. 4 véhicules transportant 3 canons sans recul

.une mitrailleuse anti aérienne et un mortier de 60mm avec leurs munitions

.une jeep Radio avec TRC 372 et VP213.

Le commandant du bataillon attirait l’attention sur la possibilité d’utiliser ces armes contre

l’armée rwandaise, surtout qu’un exemplaire du code utilisé par le 17° bataillon était tombé

aux mains de l’ennemi; il demandait un renfort massif pour effectuer une attaque sur tout le

front car l’ennemi occupait les hauteurs de Maya, Mukono, et Kaniga. Les pertes humaines

devaient être précisées le lendemain 5 novembre mais nous n’avons pas pu trouver le

télégramme qui en faisait état.

Les responsables du FPR affirmèrent le 6 novembre 1990 à Bruxelles que 26 soldats rwandais

furent tués lors de cette contre-attaque ; nous ne disposons pas d’autres versions pour

confronter les chiffres. D’après des chauffeurs des camions interrogés par l’AFP à Kabare à

22 km de Gatuna, la RPA a lancé son assaut sur Gatuna vers 8h00 du matin (06hGMT)

samedi 3 novembre et ils se sont emparés du poste vers 11h45’. L’armée ougandaise donna

aussitôt l’ordre aux habitants de la région de quitter la frontière et des centaines de personnes

fuyaient dimanche 4 novembre vers Kabale.

Les rebelles affirmèrent également avoir pénétré de 6 km à l’intérieur du territoire rwandais

en direction de la ville de Byumba que les responsables du FPR affirmèrent avoir prise,

(dépêche de l’AFP du 6 novembre 1990). A cette occasion, ils affirmèrent avoir tué 53 des 60

réservistes qui gardaient le poste de Gatuna, contredisant ainsi les informations antérieures

donnée le 4 novembre. Celles-ci évaluaient à sept soldats rwandais et un civil pris dans les

combats les pertes lors de l’attaque sur Gatuna. Le Commandant Kanyandekwe avoua ne pas

être en mesure de faire le bilan global de l’attaque du 3 novembre sur Gatuna, excepté les

cadavres de deux civils découverts plus tard à Gatuna : il est vrai qu’il n’avait pas encore pu

rassembler ses réservistes dispersés.

167

On peut penser en tout cas que le chiffre de sept morts est plausible car les réservistes du

Commandant Kanyandekwe ont résisté pendant quelques heures avant de décrocher et se

disperser dans toutes les directions. Ils ne disposaient d’ailleurs que d’armes semi-

automatiques pour se défendre, ce qui était un tantinet désuet. Le 9 novembre 1990, le

Commandant Kanyandekwe déclara à la presse que les rebelles n’étaient pas intervenus par la

route principale goudronnée qui vient de l’Uganda mais qu’ils avaient longé la frontière sur

plusieurs km, prenant Gatuna par le territoire rwandais.

C’est qu’ils avaient d’abord commencé par s’emparer du petit poste voisin de Kaniga à partir

duquel ils avaient déferlé sur Gatuna. Ils pénétrèrent à quelques km à l’intérieur du Rwanda

car le hameau de Rukuzi situé à 5 km de la frontière en bordure de la route asphaltée avait été

endommagé par eux ; de même d’ailleurs une chapelle de l’Eglise Episcopale, une bâtisse

sommaire construite à flanc de colline avait été trouée par un obus de mortier tandis qu’un

autre n’avait pas explosé et restait fiché dans le sol aux milieux d’objets domestiques. Mais

les plantations de thé dans la vallée de Mulindi restaient intactes jusqu’à la frontière

ougandaise.

En fait, l’armée rwandaise avait mis tout le paquet pour défendre cette usine située à 5 km de

la frontière et elle ne put être prise par les rebelles.

Devant la gravité de la situation, l’Etat-major dépêcha une compagnie du Bataillon Para qui

arriva sur les lieux dans la matinée du 5 novembre 1990. En attendant, la Compagnie du

Bataillon de Reconnaissance fut chargée de contenir l’ennemi : elle se porta sur le carrefour

Ngondore, en attendant que l’ennemi soit délogé des hauteurs entourant Gatuna et Kaniga.

Après avoir reçu les renforts indispensables, les unités occupèrent à partir du 6 novembre

différentes hauteurs auparavant occupées par l’ennemi mais sans rencontrer de résistance.

Ainsi le 7 novembre à 6 heures du matin, l’Etat-major annonça à toutes les unités la

récupération de Gatuna et Kaniga pendant que l’ennemi se dirigeait vers les communes

Kivuye et Butaro.

D’après des informations recueillies par l’AFP, il semble en réalité que le gros des rebelles

avait abandonné le poste de Gatuna dimanche 4 novembre dans la soirée, c'est-à-dire après

l’échec de l’attaque du 17° bataillon. Craignant un piège, l’Armée rwandaise n’avait pas

réoccupé directement le poste de Gatuna, les derniers éléments rebelles étant partis mardi 6

novembre dans la soirée.

Le Commandant des opérations à Byumba n’eut à déplorer lors de la récupération de Gatuna

et Kaniga qu’un mort, le caporal réserviste Karangwa et deux blessés, les soldats réservistes

Gatwaza et Ndereyimana. Lors de cette attaque, les trois canons sans recul qui avaient été pris

furent récupérés à moitié brulés, de même que différentes munitions, 2 camions, 3 jeeps et 3

camionnettes trouvés brulés. Ulcérée par le peu d’empressement manifesté par la population

pour leur idéologie lors de l’attaque au Mutara, la RPA changea de comportement envers les

civils. On se rappelle qu’au Mutara la RPA s’était dans l’ensemble bien comporté dans

l’espoir de détourner la population du pouvoir en place et d’en faire des alliés. Au contraire,

les paysans avaient installés partout dans le pays des barrages doublant ceux de l’armée en

disposant des obstacles de toutes sortes dans les routes. Ces postes improvisés étaient gardés

168

par des dizaines d’hommes armés d’arcs, de flèches, de lances, de machettes ou de gourdins.

C’est pour cela qu’après l’attaque sur Gatuna et Kaniga, les combattants de la RPA adoptèrent

une attitude très violente envers la population et des civils furent massacrés, des femmes et

des jeunes filles furent violées, des animaux domestiques volés, des propriétés et des maisons

saccagées….

Au cours de leur brève occupation de Gatuna, les rebelles avaient détruit les locaux de la

douane et mis le feu à huit camions semi-remorques qui assuraient le ravitaillement du

Rwanda par l’Uganda et le Kenya. Ils ont défoncé le coffre-fort de la douane, cassé les

meubles et les vitres du bâtiment administratif et pillé les conteneurs des camions, pour la

plupart immatriculés en Uganda. D’après l’AFP, des obus de mortiers de 60 mm de

fabrication chinoise, des douilles d’AK 47 et des emballages de postes de radio volés dans les

camions trainaient sur le parking de Gatuna.

Ainsi le RPA venait d’inaugurer une nouvelle stratégie basée sur des raids ponctuels de

sabotage le long de la frontière avec l’Uganda et en attaquant par surprise les positions des

forces gouvernementales. D’après des diplomates en poste à Kigali, les rebelles avaient été

obligés d’adopter cette stratégie face à une armée régulière qui avait repris son souffle depuis

le début de l’invasion du 1er

octobre 1990.

Mais dans un communique rédigé au « Rwanda » et transmis à l’AFP à Bruxelles le 16

novembre 1990 par le Colonel Kanyarengwe, celui-ci affirmait que l’armée rwandaise était

exsangue car elle subissait de très lourdes pertes. C’est ainsi que, d’après Kanyarengwe, Vice-

président du FPR, du 3 novembre 1990, date de l’attaque du poste de Gatuna, au 12

novembre, les forces gouvernementales ont enregistré 157 morts pendant que les rebelles ne

déploraient que 8 morts et 16 blessés. Il continuait en affirmant qu’au cours de l’engagement

le plus grave, le 8 novembre à Gatuna, 40 soldats gouvernementaux avaient été tués, les

rebelles n’ayant eu à déplorer que 7 blessés légers. Le 11 novembre 1990 à Nyaruhuhu, 30

gouvernementaux avaient été tués tandis que le FPR enregistrait 7 morts et 8 blessés. Le

communiqué se terminait en ajoutant que le 3 novembre à Gatuna, 36 soldats rwandais

avaient été tués pendant que la RPA ne subissait aucune perte ce jour là.

Il est évident que tous ces chiffres sont en grande partie fantaisistes et relèvent de la pure

propagande. Cependant, le 8 novembre 1990 à Kaniga, les forces rwandaises connurent

effectivement les pertes les plus importantes enregistrées jusqu’alors en un seul combat. Cette

position était défendue par le bataillon des jeunes recrues appelés depuis lors les « quinze

jours » parce que leur période d’entrainement intensif n’avait duré que 15 jours ! Etant donné

leur inexpérience et celle de leurs cadres, ils ne purent reconnaitre à temps les combattants de

la RPA déguisés en paysans et 18 d’entre eux furent massacrés dans leurs trous. C’était leur

sanglant baptême du feu. Il a fallu alors l’intervention du Bataillon Para pour rétablir la

situation.

Dans les autres engagements, du moins pour la période qui nous concerne, c'est-à-dire octobre

et novembre 1990, les pertes dans les rangs de l’armée rwandaise ne dépassèrent jamais la

dizaine au cours d’un seul combat. Depuis ce sanglant incident de Kaniga, l’Etat-major

interdit l’approche des positions par la population, surtout les vagues en fuite car la tactique

169

de la RPA consistait à se déguiser en paysan pour approcher les positions et les attaquer par

surprise.

Relevons également que la presse internationale mentionna uniquement Gatuna étant donné sa

position stratégique mais en réalité les combats se déroulèrent à Kaniga qui domine la zone, le

poste de douane de Gatuna se trouvant dans une vallée difficile à attaquer.

3.3.3. Les combats en commune Kivuye

Le Commandant Emmanuel Kanyandekwe, avait affirmé le 9 novembre que les rebelles

s’étaient déplacés vers l’ouest, vers la Commune Kivuye, mais toujours le long de la frontière

ougandaise. C’est donc en Commune Kivuye que les combats allaient se dérouler. Déjà, le 8

novembre 1990, des éléments de la RPA se trouvaient sur le flanc ouest de Mudagali et en

face de la douane de Buhita, d’après les informations fournies par le Bourgmestre de cette

commune. Les premiers contacts eurent lieu ce jour-là près du bureau communal de Kivuye et

le Sergent Kavamahanga fut tué à 10 heures tandis que l’adjudant Uwiragiye était blessé à

l’épaule : tous les deux étaient auparavant élèves à l’Ecole Supérieure Militaire.

Les unités de la RPA tentèrent alors de se porter en avant mais elles furent repoussées et les

hauteurs de Nyabyondo furent occupées par l’armée rwandaise. Ceux qui occupaient la zone

de Rubaya furent également repoussés mais avant de se retirer en Uganda, ils prirent en otage

9 civils pour transporter leurs blessés. Arrivés à la frontière, ces paysans furent assassinés

avec parmi eux un conseiller communal et deux membres de la famille du bourgmestre.

L’école primaire de Bungwe dut être fermée pour des raisons de sécurité. De même, le 12

novembre, un nouveau contact entre les deux belligérants eut lieu à Bushenyi. Les rebelles

furent repoussés avec 12 tués mais ceux qui arrivèrent en Uganda tirèrent sur les militaires

rwandais qui ne pouvaient riposter, étant donné les consignes qu’ils avaient reçues.

La mobilité des combattants de la RPA déconcertait considérablement le commandant

opérationnel rwandais, qui ne pouvait déterminer les positions menacées, puisque les rebelles

se déplaçaient comme ils voulaient en territoire ougandais. Ayant choisi leur objectif, ils

fonçaient dessus et se retiraient avant l’arrivée de renforts. Ils n’avaient des lourdes pertes que

quand ils cherchaient à occuper le territoire. L’Etat-major qui suivait de près leurs

mouvements ne pouvait cependant pas déterminer la position menacée. Tantôt l’ennemi était

signalé à Karama, tantôt à Tovu, secteur Gatsilima. Le commandement opérationnel ne savait

comment réagir, ce qui impatientait l’Etat-major qui lui donna l’ordre de «devoir

ASAP dépêcher des éléments près de Gatsilima pour contenir l’ennemi, l’empêcher de se

déverser dans la population et l’obliger de passer par l’Ouest où il est attendu par le

groupement Byumba… Cesser cette attitude contemplative pour passer à l’action ASAP ». Le

commandement du secteur de Byumba appliqua les ordres reçus et le 12-13 novembre 1990,

le contact fut pris à Bushenyi où 27 rebelles furent tués, dont le Lieutenant Rutaro Alexis ; les

rescapés retournèrent en Uganda et ceux qui étaient à Tovu se retirèrent à Cyondo. L’Etat-

major fut satisfait et adressa de chaleureuses félicitations au 17° Bataillon de Byumba et

chaque militaire ayant participé à l’opération reçut une bouteille de primus de gratification.

170

. Mais les rebelles étaient toujours signalés à Cyondo après avoir pillé Tovu, ensuite

Kanyantanga, puis en face du poste de Gatuna, à Nyakagera et puis de nouveau à Bushenyi où

ils étaient revenus cacher les cadavres des leurs.

Le 15 novembre, l’ennemi signalé à Nyakagera et estimé à 500 hommes quitta cette position

avec l’intention de prendre Gatuna via le centre logistique de Rwene en Uganda. La RPA était

donc tantôt en Uganda tantôt au Rwanda et le Commandant Opérationnel de Byumba, le

Colonel Nshizirungu avait toutes les peines du monde à trouver une parade. En effet, toutes

les options étaient possibles, certains mouvements laissant même penser à une possibilité

d’infiltration vers Ruhengeri pour saboter les centrales hydro-électriques de Ntaruka et

Mukungwa, ce qui imposait à l’Etat-major le contrôle du marais de Rugezi.

L’Etat-major intervint de nouveau vigoureusement en faisant savoir au Colonel Nshizirungu

qu’il était inacceptable de laisser stationner indéfiniment les rebelles sur le sol rwandais. Il

fallait les empêcher à tout prix de reprendre Kaniga et les désorganiser sur leur nouvelle

position tout en tenant compte des consignes du respect des frontières. Il lui demandait enfin

d’inviter le Commandant du détachement ougandais de Gatuna à se porter à l’endroit pour

constater ce rassemblement des rebelles. Mais sur ce dernier point, le Colonel Nshizirungu

informa l’Etat-major que les contacts avec le Commandant ougandais étaient jugés inutiles.

En effet, il l’avait invité à plusieurs reprises mais malgré ses promesses, le secteur avait subi

plusieurs attaques à partir de l’Uganda et non loin du lieu de stationnement de la NRA.

En réalité, la RPA avait installé ses bases arrière à Rwene en Uganda, à Nyagasimu et à

Karujanga : c’est de là qu’ils partaient pour lancer leurs raids et que se trouvaient leurs centres

d’entrainement, ainsi qu’à Busanza dans le Bufumbira, sous la direction d’extrémistes tutsi de

la région, Mugisha et Kabagambe. Tous ces centres se trouvaient à portée de fusil de l’armée

rwandaise qui ne demandait qu’à pénétrer en Uganda mais les ordres de l’Etat-major étaient

catégoriques comme le montre la consigne donnée à tous les commandants d’opérations :

« l’intégrité du territoire ougandais devait être respectée car des tirs au-delà de la frontière,

le survol du territoire ougandais pourrait dégénérer en incident diplomatique ou servir de

faux prétexte pour déclencher des réactions imprévisibles ».

Finalement, le 20 novembre 1990, la RPA fonça en Commune Kivuye où elle occupa le

bureau communal et le centre de négoce ; 1056 réfugiés furent enregistrés et regroupés à la

sous-préfecture de Kirambo, ils seront 1959 le 22 novembre. En même temps, elle attaqua sur

l’axe Bushenyi –Nyabyondo mais il fut repoussé hors des frontières. Une autre attaque fut

dirigée contre Kaniga où l’ennemi se scinda en plusieurs groupes : seul un groupe de 20

hommes environ se manifestait sporadiquement pour masquer l’infiltration. Le détachement

de gendarmerie de Tabagwe fut également attaqué le 21 novembre. Selon les renseignements

recueillis par l’Etat-major, la RPA avait l’intention d’attaquer simultanément plusieurs

positions de l’armée rwandaise, notamment Rwempasha, Kagitumba, Gabiro, Kayonza,

Rusumo, Kinigi…

Il conseillait de prévoir des positions de rechange et l’utilisation de guetteurs. Cette confusion

était d’ailleurs volontairement entretenue par les militaires da la NRA qui avait multiplié leurs

171

mouvements de patrouille le long de la frontière alors qu’ils avaient la même tenue que la

RPA.

La contre attaque fut rapide car comme on l’a déjà signalé, le RPA tirait sa force de sa

mobilité et elle devenait vulnérable aussitôt qu’elle essayait d’occuper du terrain. Repoussée

du bureau communal, la RPA se replia vers le centre de négoce et vers la languette Rugarama-

Gikuro. Les pertes furent de 20 rebelles abattus sur l’axe Bungwe – Bushenyi et 16 sur l’axe

Kivuye. Côté armée rwandaise, il y eut un mort et un blessé léger. L’action du Bataillon Para

fut déterminante, surtout au moment de la reprise du centre de Kivuye le 22 novembre où le

bilan suivant fut enregistré :

. côté ennemi : 45 corps, 4KV, 15 bombes, 3 roquettes ;

-côté ami : 10 hommes hors de combat.

Le Commandant des opérations à Byumba donna l’ordre au 17e bataillon Byumba de

contacter les bourgmestres des communes Kivuye et Cyumba pour inviter la population à

réoccuper les habitations dans les zones nettoyées. Les conseillers et les responsables de

cellules devaient veiller à ce que l’ennemi ne se mêle dans la population. Il ne restait plus

alors qu’à reprendre la crête de Buheta où se trouvait également un poste de douane.

On peut donc dire que cette tactique déconcertante maintenait une pression continue sur

l’armée rwandaise ainsi qu’une psychose sur les subterfuges de l’ennemi qui pouvaient

prendre toutes les formes et tous les déguisements possibles. C’est ainsi que le 25 novembre,

l’Etat-major annonça aux commandants des opérations l’arrivée de journalistes ugandais dans

leurs secteurs respectifs selon un calendrier qui devait leur être précisé dès que connu. Le

Commandant des Opérations de Byumba demanda alors à l’Etat-major de vérifier si ces

journalistes ne venaient pas plutôt faire la reconnaissance des positions au profit de l’ennemi.

Il demandait également de lui préciser ce qu’il pouvait leur montrer et ce qu’ils ne devaient

pas voir. Finalement, cette visite fut ajournée sine die.

Il faut signaler aussi que la population civile ougandaise des zones frontalières en avait assez

de la présence des rebelles qui évidemment vivaient sur le pays en volant des vivres et du

bétail. Toutes ces exactions étaient attribuées par le Gouvernement ougandaise à l’armée

rwandaise. C’est ainsi que le Capitaine Sam Bishuba, Commandant de la NRA dans le secteur

de Gatuna déclara le 16 novembre que l’Uganda allait riposter si les troupes rwandaises

continuaient à violer son espace aérien et son territoire en poursuivant les rebelles au-delà de

la frontière. D’après le Capitaine Bishuba, des centaines d’ougandais vivant le long de la

frontière avaient fui leurs maisons après que des combats entre la RPA et les troupes

rwandaises eurent débordé en territoire ugandais. Il ajouta que les élèves d’une école proche

de la frontière avaient dû s’enfuir après que des troupes rwandaises eurent pénétré en Uganda

et entrepris de pilonner les positions des rebelles. Selon lui, un avion de reconnaissance

rwandais a pénétré le 15 novembre dans l’espace aérien ugandais sur une distance de 3 km. Il

conclut en affirmant qu’il n’allait pas « rester les bras croisés alors que les ugandais sont

soumis à des souffrances injustifiées. Les guerres du Rwanda concernent ce pays. L’Ouganda

a le pouvoir de riposter et il le fera si le Rwanda ne met pas un terme à ces provocations ».

172

Toutes ces affirmations furent démenties par le Rwanda par l’intermédiaire du Lieutenant

Colonel François Munyengango qui dirigeait un groupe de 15 militaires chargés de surveiller

la frontière ougandaise, suivant des accords conclus entre les deux pays avant le

déclanchement des hostilités. Cette mission était extrêmement délicate car cette équipe devait

se déplacer au milieu de rebelles qui se faisaient passer pour des militaires de la NRA. Le

Lieutenant Colonel Munyengango affirma à l’AFP le 16 novembre que ces violations étaient

le fait de la RPA car les troupes rwandaises avaient reçu des instructions strictes pour ne pas

violer le territoire ougandais. Ces instructions avaient été respectées pendant un certain temps

et on assista souvent à des scènes étranges où des rebelles poursuivis par l’armée rwandaise se

mettaient à l’aise aussitôt la frontière franchie et narguaient les militaires rwandais arrêtés en

face d’eux à quelques pas. Mais à un certain moment, la RPA tira à partir de l’Uganda et

certaines unités de l’armée rwandaise transgressèrent les ordres reçus et pénétrèrent en

Uganda. Les affirmations du Capitaine Bishura n’étaient donc pas totalement dénouées de

fondement.

Le Lieutenant-colonel Munyengango précisa à l’AFP que son groupe avait demandé de

pouvoir accéder à des localités longeant la frontière qu’il suspectait d’être des points de transit

pour l’approvisionnement des rebelles en nourriture et munitions. Le Capitaine Grace Agaba,

officier ugandais chargé de la coordination des activités de ces équipes d’observateurs affirma

à l’AFP que le groupe de militaires rwandais allait se déployer sur 5 sites frontaliers

principaux : Mirama Hill, Rubare, Ntungamo, Kamuganguzi et Kabare. La mission du

Lieutenant-colonel Munyengango fut d’ailleurs inutile car on ne lui laissa voir que les zones

évacuées par la RPA tandis que les positions qu’elle occupait lui étaient interdites. Il en

viendra d’ailleurs, à contrario, à avertir l’armée rwandaise de se tenir sur ses gardes chaque

fois qu’on lui refusait de visiter une position. Cette tactique porta quelques fruits car la RPA

fut chaque fois reçue chaudement grâce aux renseignements de Munyengango qui fut chassé

de l’Uganda quand sa méthode fur découverte.

173

3.4. Effets intérieurs de la crise et leur exploitation médiatique

Filip Reynjens (1985) affirmait qu’une attaque de terroristes « Inyenzi » venus de l’extérieur

entrainait fatalement une riposte sanglante de la part d’une population prise de panique. Citant

des estimations d’observateurs indépendants, il rapporta qu’en décembre 1963, après l’attaque

des Inyenzi au Bugesera, de 10 000 à 14 000 personnes furent massacrés, avec plus de la

moitié en Préfecture de Gikongoro. A l’époque, le Président Kayibanda avait envoyé ses

ministres dans toutes les Préfectures avec la mission de mettre sur pied des comités civils de

salut public afin de nettoyer le pays d’une éventuelle 5°colonne.

Le 7 octobre 1990, la radio nationale lança un appel à la délation et à la dénonciation des

suspects et invita les citoyens à collaborer avec les autorités locales pour les identifier. Il était

alors fort probable que le scénario de 1963 se reproduise en 1990. En décembre 1963, le fait

de donner autant de pouvoirs aux préfets et bourgmestres avait permis à ceux-ci de régler des

comptes personnels et à exalter les bas instincts d’une populace saisie de panique. En 1990,

des membres du FPR qui avaient pu pénétrer dans les milieux de la presse internationale

exploitèrent à leur profit le choc et l’indignation provoquée naguère par ces tragiques

événements, ainsi que ceux plus récents du Burundi en 1972 et 1988 (Ntega et Marangara).

Mais, se basant sur les nombreux rapports faits à ce sujet, Filip Reyntjens affirma que ces

massacres de 1963 n’avaient jamais été ordonnés par le Gouvernement central et qu’ils

s’étaient produits dans des endroits très éloignés où le Gouvernement n’exerçait pas de

contrôle direct. Cependant, la responsabilité des autorités locales était indiscutable. Marie-

France Cros quant à elle conteste cette possibilité d’explosion populaire sans l’intervention du

pouvoir central. C’est ainsi qu’à la « source officieuse rwandaise » qui lui affirmait que « les

Rwandais ne veulent pas que le président négocie… Il y a une pression terrible de la part des

citoyens, que Monsieur Martens ne semble pas comprendre. Une explosion populaire couve.

Un faux pas et ce serait la guerre civile », elle prétendra qu’il est difficile de se rendre compte

de la véracité de ces assertions. Pour elle, si elles s’avéraient fausses ou largement

surévaluées, cela voudrait dire qu’un pouvoir désespéré serait tenté « d’utiliser cette arme

ultime ». En d’autres termes, si jamais explosion il y avait, ce serait le gouvernement rwandais

qui l’aurait organisée. Ce n’est pas impossible mais il faut alors avouer qu’il agirait en terrain

favorable car les tensions interethniques étaient exaspérées.

Nous nous proposons dans ce chapitre d’analyser les dossiers concernant les conflits

interethniques et les arrestations de suspects et en même temps aborder l’exploitation

médiatique qui en été faite. Nous tenterons d’y arriver à l’aide de documents à notre

disposition car le climat n’est pas encore suffisamment serein pour des enquêtes sur le terrain,

les événements étant encore trop récents.

3.4.1. Les heurts interethniques

Dans un message aux Etats-majors de l’armée et de la gendarmerie datant du 14 octobre 1990,

le Ministère de la Défense enjoignit à ces deux organes de prévenir à tout prix et réprimer le

cas échéant toute provocation d’ordre ethnique (RT/INT/OPS/90/1127). On devait aider les

autorités locales à sensibiliser la population pour le maintien du climat habituel de paix et de

174

concorde. Telle est donc la position officielle, face aux risques d’explosion interethnique.

C’est ce même point de vue qu’exprime le Chef de l’Etat au cours d’une conférence de presse

tenue le 15 octobre 1990 quand il affirma que « s’il y a eu quelques abus, ils ont été le fait

d’un excès de zèle de la part de la population dans la chasse aux ennemis et non le résultat

d’une politique voulue ».

Le premier incident à caractère ethnique s’est produit le 7 octobre 1990 quand des paysans

hutu de la commune Nyakinama (Ruhengeri) partirent incendier 10 huttes en commune

Mukingo, secteur Gikoro. Un certain nombre de vaches furent abattues. Mais le Préfet et des

éléments du bataillon Mukamira réagirent rapidement pour appeler la population à la

tolérance. Il semble que cette expédition fut organisée en sous-main par les bourgmestres des

deux communes, Monsieur Nkikabahizi Donat et Kajelijeli. Au même moment, les étudiants

de l’I.S.A.E. Busogo étaient sur le point d’en venir aux mains pour des raisons ethniques. La

perquisition effectuée par le groupement de gendarmerie de Ruhengeri (Commandant

Karemera) dans cette école permit de récupérer un certain nombre d’armes blanches.

Cependant, c’est le 10 octobre que des incidents interethniques graves éclatèrent en

Communes Satinski et Ramba. Deux tutsi furent assassinés à Satinski tandis que des vaches

étaient abattues et mangées. Le Préfet de Gisenyi se rendit sur place dans la matinée du 11

octobre avec un groupe de gendarmes. Le lendemain 12 octobre, le Préfet dut faire appel au

groupement de Gendarmerie de Gisenyi parce que 20 personnes venaient d’être tuées dans les

communes de Satinski et Kibilira. L’équipe de gendarmerie conduite par le lieutenant

Ngerageze accompagna le Préfet et appréhenda 50 personnes soupçonnées d’avoir perpétré

ces meurtres : ils furent conduits à Gisenyi dans bus réquisitionné. Le Commandant du

groupement de gendarmerie conseilla à l’Etat-major de Gendarmerie d’y maintenir des

éléments de la force de l’ordre et il comptait y envoyer une section commandée par le même

Ngerageze. Cette section ne put s’y rendre faute de moyen de transport et le 13 octobre, les

accrochages interethniques se poursuivirent dans la commune Kibilira. Le sous-préfet de

Ngororero signala la mort de 26 personnes et plusieurs réfugiés tutsi s’entassèrent au bureau

communal et à la paroisse de Muhororo. Finalement, d’après le témoignage de prêtres de

Muhororo à l’Agence Reuter, il y aurait eu à Kibilira et Satinski 335 morts et non 50 à100

comme on l’avait pensé auparavant. Quelques 400 personnes soupçonnées d’avoir pris part

aux massacres furent arrêtées par l’armée. Le sous-préfet de Ngororero Bernard Niyitegeka et

le bourgmestre de Kibilira Jean Baptiste Ntezilyayo furent arrêtés le 16 octobre pour

incapacité à maintenir la cohésion dans la population. Le sous-préfet Niyitegeka mourut

d’ailleurs mystérieusement en prison.

Des incidents interethniques se produisirent également en Préfecture de Kibuye en commune

Kivumu où deux maisons appartenant à des tutsi furent incendiées. La compagnie de Kivuye

réagit rapidement et envoya une unité sur les lieux, de même d’ailleurs que les autorités

préfectorales. Il n’y eut donc pas de morts dans cette zone mais le risque de contagion à partir

de Kibilira subsista. Les Préfets de Kibuye, de Gisenyi et de Gitarama se concertèrent pour

renforcer les mesures de sensibilisation. Malgré tout, des conflits ethniques éclatèrent en

commune Bulinga le 15 octobre mais les autorités locales purent maîtriser la situation et la

compagnie Gitarama y envoya une équipe militaire de dissuasion.

175

D’après Radio Rwanda (16 octobre 1990), des troubles analogues se produisirent également

au sud du pays en Préfecture de Gikongoro, commune Karama mais les autorités locales

purent arrêter rapidement les affrontements. Pour la période qui nous occupe pour le moment,

c’est-à-dire octobre et novembre 1990, il semble que ce soient les seuls incidents

interethniques qui eurent lieu spontanément. D’autres auront évidemment lieu dans la suite

mais chaque fois ils se produisirent sur l’initiative de quelques notables locaux avec la

complicité tacite des autorités de ces zones. Des enquêtes ultérieures feront sans aucun doute

ressortir les responsabilités. L’exploitation médiatique de ces événements dramatiques fut

assez limitée, sans doute à cause de leur caractère circonscrit malgré le nombre de morts, sans

doute aussi pour ne pas donner du crédit au régime rwandais qui avait malgré tout pu

maîtriser la situation.

Y’aurait-il eu par contre des massacres de populations civiles perpétrés par l’armée

rwandaise? C’est ce qu’affirmèrent mercredi 10 octobre aux journalistes étrangers les réfugiés

qui arrivèrent au poste frontalier de Kizinga en Uganda. Ces réfugiés, au nombre d’environ

500 personnes, étaient les premiers à arriver en Uganda depuis le début des affrontements du

1er Octobre 1990. Au même moment d’ailleurs, une centaine de réfugiés accompagnés de leur

troupeau était arrivé au nord-est du Burundi dans la région de Kirundo où un centre d’accueil

fut ouvert. D’après ces réfugiés arrivés en Uganda, plus de 1 000 civils auraient été massacrés

par l’armée lors d’une attaque lancée le 9 octobre contre les forces rebelles dans la région du

Mutara. Ces massacres auraient eu lieu dans une dizaine de communes où l’armée rwandaise

avait tiré aveuglément sur des civils et lancé des grenades dans les habitations, après avoir

encerclé les villages.

Stephen Kabaleka, un prêtre de 45 ans du village de Cyonyo, dit que l’armée rwandaise avait

supprimé de la carte trois des dix villages où ces événements s’étaient déroulés; il estimait à

500 personnes la population de chaque village. Il ajouta qu’il n’y avait aucun moyen de

s’échapper, parce que les soldats avaient isolé par des cordons chaque village avant d’ouvrir

le feu. L’armée aurait perpétré ces forfaits, disait-il, parce qu’elle accusait la population

d’aider les rebelles en leur donnant de la nourriture et des armes. De nombreux autres réfugiés

parlèrent de ces massacres et un jeune garçon de 15 ans, blessé à la jambe par des éclats de

bombe, affirma à l’AFP avoir vu beaucoup de cadavres car « les soldats ont lancé une

grenade à l’intérieur d’une maison où nous étions une trentaine à nous cacher et je pense être

le seul à avoir survécu ».

De même, l’Association de réfugiés rwandais en Italie « Intego » affirma dans un

communiqué diffusé à Bari le 11 octobre que « les soldats du Président Habyalimana

Juvénal appuyés par les troupes spéciales du Président Mobutu du Zaïre ont provoqué

jusqu’ici 3 000 morts au sein de la population civile, rasant des villages entiers » (AFP du 12

octobre 1990). Comme confirmation, le Capitaine Samuel Kiza affirma avoir entendu des tirs

nourris de l’autre côté de la frontière pendant la matinée du 9 octobre 1990. Mais comment

aurait-il pu avoir entendu des tirs nourris alors que le front se trouvait à Ngarama à plus de 40

km de là à vol d’oiseau ?

176

Ces témoignages émurent considérablement l’opinion occidentale alors qu’aucune

vérification n’avait été faite, comme l’avoue une dépêche de l’AFP datant du 1é octobre. Guy

Dalloz et Eric de Bellefroid affirmèrent eux aussi dans la Libre Belgique du 13-14 octobre

que ces massacres qui auraient fait entre 2 000 et 4 000 victimes n’avaient pas été vérifiés. Le

nombre de ces réfugiés continua à augmenter rapidement et d’après Monsieur Dick Spocton,

Représentant de l’Organisation caritative britannique OXFAM, leur nombre atteignait 4 000

personnes le 15 octobre 1990. Des familles entières passaient la frontière à Kagitumba, fuyant

les combats de Nyagatare, traversant ainsi des zones contrôlées par les rebelles. Ils arrivaient

à pied, emportant avec eux toutes leurs affaires. A la fin d’octobre 1990, leur nombre

atteignait 50 000 et on s’imagine aisément les conditions dans lesquelles ils se trouvaient.

Mais ce qu’on oublie souvent de dire, c’est qu’au moins un aussi grand nombre de réfugiés se

déplaçaient eux aussi vers le Sud, c’est-à-dire derrière les lignes tenues par l’armée rwandaise.

Leurs conditions étaient tout aussi dramatiques mais curieusement personne ne parle d’eux.

Que peut-on dire lors de toutes ces accusations qui, si elles s’avéraient véridiques, jetterait

l’opprobre sur l’armée rwandaise ? Dans sa conférence de presse du 10 octobre 1990, le Chef

de l’Etat a démenti toutes ces allégations, affirmant que l’armée n’aurait pas pu perpétrer ces

massacres, puisque cette région du Mutara était encore sous contrôle des rebelles.

Effectivement, comme nous l’avons signalé dans la 2°partie, des unités de la RPA pénétrèrent

au Rwanda par le poste de Rwempasha, foncèrent sur Nyagatare et Rukomo vers Ngarama

qu’ils atteignirent le 9 octobre. Jusqu’alors, ils n’avaient devant eux que la compagnie

Byumba mais celle-ci reçut en renfort le bataillon para et un bataillon du Centre d’Instruction

du Bugesera.

Ici nous rappellerons le télégramme envoyé par le Major Ntabakuze, commandant du

bataillon Para qui demandait des directives à l’Etat-major, étant donné qu’il était embarrassé

par le fait que des civils Bahima armés de machettes et de lances et apparentés aux assaillants

progressaient devant eux. L’Etat-major avait été catégorique à ce propos car il ordonna à

Ntabakuze de ne pas hésiter à utiliser tous les moyens à sa disposition pour détruire « cette

cohorte ennemie ». Ce télégramme qui a la référence RT/OPS/90/7512 date du 9 octobre. On

se rappelle que le contact eut lieu le 10 octobre à quelques km de Ngarama et les rebelles

furent obligés de se retirer. Les réfugiés qui ont parlé de massacres sont partis après les

combats de Ngarama. Le même jour, une équipe de journalistes étrangers dont Marie France

Cros s’est rendue à Ngarama mais ils ne font état d’aucun massacre. Il est vrai d’une part que

des combats aussi acharnés qui se déroulèrent dans une région très peuplée comportèrent sans

aucun doute des victimes civiles et Férésian Rudakubana doit certainement faire partie de

ceux-là. D’autres parts, il doit y avoir eu certainement des victimes parmi les Bahima qui

accompagnaient les rebelles mais alors on peut penser que le plus grand coupable, c’est celui

qui les a utilisés consciemment comme bouclier. Il est probable également que des soldats

aient détruit des habitations de civils pour se défendre car les rebelles se déguisaient en

paysans pour mieux s’infiltrer ; ils se cachaient d’ailleurs souvent dans les maisons des

paysans.

En tout cas, le moins que l’on puisse dire est qu’il n’y a pas eu de massacres systématiques de

paysans par l’armée, que dix communes n’ont pas été touchées car alors il s’agirait de toute la

177

préfecture de Byumba, ce qui est exclu, que trois villages –en fait, il doit s’agir de collines car

il n’y a pas de villages au Rwanda- n’ont pas été rasés car les journalistes qui sont arrivés sur

place au moment des événements n’auraient pas manqué de le constater. C’est donc sans

aucun doute un épisode de cette guerre médiatique qui a déjà été évoquée.

Les mêmes accusations de massacres furent portées contre l’armée rwandaise dans un article

de Marie France Cros (Libre Belgique du 20 au 21 octobre 1990, lors des combats pour le

contrôle de Nyagatare qu’elle affirma, faussement d’ailleurs, avoir été reprise par les rebelles.

Citant l’agence Reuter qui aurait interrogé des paysans lors de sa reprise, Marie France Cros

affirma que 2 000 personnes avaient été tuées par l’armée qui les soupçonnait de soutenir les

rebelles. Ces massacres auraient été commis dans les zones de combat situées près de

Nyagatare où les journalistes n’avaient pu se rendre à cause des affrontements. C’est pour cela

qu’ils se contentèrent des affirmations d’un paysan, Mathias Sejyojyo, qui portait des

blessures purulentes occasionnées par les balles au dos et à une jambe.

D’après Sejyojyo, douze cars de soldats sont arrivés alors que lui et ses compagnons

s’occupaient du bétail que les militaires se mirent à abattre. Ils auraient ensuite aligné les

paysans et se seraient mis à les massacrer. Mathias Sejyojyo aurait perdu huit membres de sa

famille et d’après lui, au moins 20 personnes auraient été tuées dans trois ranches. La presse

ugandaise renchérit en parlant des combats de Nyagatare qui auraient fait des centaines de

morts.

L’Ambassadeur du Rwanda à Kampala démentit ses allégations, en se basant sur le fait que

plus aucun civil ne se trouvait encore à Nyagatare. Le témoignage de Monsieur Vinck le 15

octobre corrobora les démentis de l’Ambassadeur. Mais ces hypothétiques massacres de

Nyagatare firent moins de bruits que les précédents, sans doute parce que les gens

commençaient à se rendre compte qu’il y avait certainement surenchère : l’AFP n’y fit même

pas allusion. Nous n’insisterons pas ici sur les exagérations de la presse internationale qui

parla de « villes » de Gabiro, de Nyakayaga, Kabarore, Lyabega… en oubliant que le Rwanda

est peut-être le pays le moins urbanisé du monde. Il s’agit en fait de petits hameaux composés

de quelques habitations mais sans le moindre attribut urbain.

3.4.2. Le dossier des arrestations

L’attaque du 1er octobre 1990 devait fatalement faire craindre aux autorités rwandaises

l’existence d’une 5°colonne à l’intérieur du pays, étant donné la nature des assaillants et leur

tactique d’infiltration dans la population. Ce sentiment était aggravé par le fait que depuis un

certain nombre d’années s’était installé un laisser-aller considérable dans le contrôle d’identité

dans le pays. En effet, celui-ci était devenu extrêmement rare au Rwanda, de sorte que les

gens avaient perdu l’habitude de les porter sur eux, surtout les femmes.

En outre, le bus qui venait d’être inauguré entre Kigali et Kampala arrivait au Rwanda plein

de passagers mais repartait vide vers l’Uganda. D’après le document anonyme déjà cité et

intitulé « le Rwanda mène une guerre causée par le Président de l’OUA », le poste frontalier

de Gatuna aurait noté 2 000 jeunes ugandais de tous sexes qui seraient régulièrement entrés au

Rwanda mais qui ne seraient pas retournés en Uganda. Dès lors, de là à penser que le pays

178

était truffé d’ennemis, il n’y avait qu’un pas qui fut rapidement franchi. Nous avons vu que

les fusillades de la nuit du 4 au 5 octobre avaient entre autres pour objectif de permettre des

opérations de ratissage et donc des arrestations.

Malgré tout, les consignes données par le Ministère de l’Intérieur aux agents chargés de ces

opérations allaient dans le sens du respect des droits de l’homme, car on devait :

« 1. Opérer ces arrestations en toutes justice et équité en évitant les règlements de comptes.

2. ne maintenir en prison que les personnes dont les accusations substantielles ont été

clairement établies.

3. Inviter la population au calme et à dénoncer les complices suspects. » (d’après le

télégramme RT OPS/INT/90/739 du Ministère de l’Intérieur aux deux Etats-majors)

Entretemps, lundi 8 octobre, l’état de siège avait été décrété sur tout le territoire national, afin

de légaliser une situation de fait qui prévalait depuis vendredi 5 octobre, au lendemain des

fusillades. Cette mesure visait elle aussi à faciliter les opérations de ratissage, de perquisition

et de garde à vue. Nous en profitons pour signaler ici un détail cocasse à propos de cet état de

siège. En effet, au mois de juin 1991, on se rendit compte que l’acte instituant l’état de siège

avait été signé par le Chef de l’Etat le 1er

octobre alors que celui-ci se trouvait aux Etats-

Unis ! Il ne pouvait donc pas l’avoir signé à ce moment-là puisqu’il était absent ! C’est pour

cela que la Cours Constitutionnelle avait tendance à considérer ce décret comme nul et non

avenu. Mais d’après nos informations, il semble que c’est une pratique courante dans tous les

pays : il paraîtrait que quand les Chefs d’Etat sont obligés de se déplacer alors qu’ils sentent

des menaces en l’air, ils recourent à des pratiques de ce type en signant des textes qui ne

seraient appliqués que quand le danger pressenti se produit. C’est donc une arme à double

tranchant car c’est comme signer un chèque en blanc.

Tel fut alors le cadre dans lequel des milliers d’arrestations vont être effectuées à travers tout

le pays à partir du 7 octobre, surtout dans les centres urbains. Tentons de suivre le

déroulement de ces opérations à travers des éléments glanés ici ou là et à travers la presse

internationale.

C’est le 9 octobre 1990 que la chaîne de télévision privée RTL-TVI montra des images

filmées la veille dans le Stade régional de Nyamirambo où étaient entassés 1 500 personnes,

dont des femmes et des enfants. Au passage des journalistes, les suspects criaient qu’ils

avaient faim et soif. Ces gens étaient gardés par des militaires casqués, tandis que les parents

des prévenus attendaient à proximité. On voit même des civils armés de gourdins qui

amenaient un suspect aux militaires qui le font brutalement monter dans leur véhicule. Ce

genre d’images a toujours le don de frapper les imaginations, surtout qu’elles rappellent aux

occidentaux les stades-prisons avec miradors et mitrailleuses où le Général Pinochet du Chili

entassait les opposants à son régime avant de les massacrer. L’Ambassadeur du Rwanda à

Bruxelles et Monsieur Christophe Mpfizi auront beau affirmer que ces rassemblements

n’avaient pour but que de permettre la vérification des identités, que ces interpellations se

déroulaient dans le respect des droits de l’homme, l’émotion que ces images ont provoquée

179

fut profonde. Ce phénomène fut encore aggravé par des rumeurs alarmistes qui laissaient

entendre que certaines personnes avaient été emmenées vers des destinations inconnues.

Le témoignage à l’AFP et à la RTL de Madame Schopack, une réfugiée rwandaise mariée à

un belge, porta l’indignation à son comble. D’après Madame Schopack, des exécutions

sommaires et des tortures avaient été infligées à des suspects auxquels on aurait donné des

urines comme boisson ! La situation des petits enfants regroupés en même temps que leurs

mères dans des endroits sordides était particulièrement révoltante, affirmait-elle. Elle ajouta

que de riches commerçants hutu étaient également tués, ce qui impliquait que hutu et tutsi

étaient traités indistinctement.

Madame Schopack elle-même aurait été arrêtée et tabassée le 6 octobre par des militaires

rwandais qui n’acceptaient pas sa nationalité belge et qui la considéraient comme toujours

rwandaise. Elle n’aurait dû sa libération qu’à l’intervention d’un coopérant belge,

l’Ambassadeur de Belgique n’ayant rien fait pour elle, de même d’ailleurs que les

parachutistes pourtant envoyés par Bruxelles pour protéger les Belges. Elle était sans

nouvelles de sa sœur qui était la collaboratrice d’un haut responsable militaire rwandais tombé

en disgrâce et réfugié en Uganda.

S’agirait-il de Kanyarengwe ? Mais il était parti depuis près de 10 ans et il n’y avait pas

d’autres militaires haut-gradés récemment réfugiés à l’étranger ! Elle termina en disant que

« c’est d’ailleurs lorsque les Paras sont arrivés que les rafles ont commencés ». Ces propos

renforcèrent les scrupules de certains milieux politiques belges qui redoutaient que la

présence des paras ne cautionne une répression féroce des opposants au régime de Kigali.

Pauvres Paras qui étaient pourtant perçus par l’opinion publique rwandaise comme venus

pour accueillir les Inkotanyi dont ils seraient complices !

Sous la pression de l’opinion, le Ministre Eyskens fit connaitre ses inquiétudes à Monsieur

Ngarukiyintwali, Ambassadeur du Rwanda à Bruxelles et demanda au Comité International

de la Croix Rouge d’intervenir pour s’assurer du respect des droits de l’homme.

On ne songea nullement à suspecter le témoignage de Madame Schopack, une tutsi proche du

FPR qui tenait ce langage dans un but précis. Elle se plaignait justement qu’au Rwanda, on

n’acceptait pas sa nationalité belge mais elle semblait ignorer que dans nos contrées le

concept de naturalisation est extrêmement vague. En effet, le pays d’origine continue à

compter le naturalisé parmi les siens et si jamais il revient, personne ne lui demandera jamais

rien car suivant nos coutumes, il n’a jamais cessé de faire partie de la famille : la

naturalisation est considérée comme un subterfuge pour mieux gagner sa vie.

C’est d’ailleurs cette vérité que confirma Cécile Kayirebwa déjà évoquée quand elle s’adressa

à ses compagnons d’exil qui l’accusaient de collaborationnisme avec le gouvernement

rwandais : « d’autres m’accusent ouvertement de trahison, chose la plus vilaine qui puisse

m’arriver, puisque je me figure que je travaille pour la communauté et que je suis réfugiée

mututsikazi au départ. Ma nationalité belge n’a rien changé du tout. A part qu’elle me donne

l’occasion d’entrer au Rwanda comme n’importe quel étranger –ce qui est fort loin de me

flatter- et que de toutes façons au Rwanda, personne n’est dupe. Personne n’ignore en effet

180

que je suis une mututsikazi qui a dû quitter le pays précipitamment comme les autres… »

(d’après Impuruza n°16, juin 1990). Madame Schopack travaillait aussi pour la communauté,

en l’occurrence le FPR, et cela malgré ou plutôt grâce à sa nationalité belge. Les cas de ce

type sont d’ailleurs nombreux parmi les réfugiés rwandais.

En réalité, la loi rwandaise en matière de nationalité est extrêmement large pour toutes les

personnes de culture rwandaise qui sont considérées comme rwandaises aussitôt qu’elles le

veulent. De fait, la loi de 1963 ne stipule-t-elle pas qu’« est rwandais tout individu né d’un

père rwandais ou dont la possession d’état rwandais est établie. La possession d’état

rwandais consiste à se comporter et à être continuellement et publiquement traité comme

citoyen du Rwanda par les autorités et la population ». (Voir le Journal Officiel de la

République rwandaise, n°19, octobre 1963, page 427) Or ces autorités et ces populations

considèrent, en se basant sur la coutume, comme rwandais tous ceux qui parlent le

kinyarwanda sans accent, bref tous ceux qui sont de culture rwandaise, quels que soient leurs

pays d’origine.

Aussi, même sans accepter explicitement le principe de double nationalité, la loi considèrent

Madame Schopack et ses compagnons comme des rwandais avant d’être autre chose, de

même d’ailleurs que ceux-ci se considèrent avant tout comme des rwandais. On ne s’étonnera

donc pas que les Masabo, Madame Schopack ou autres José Kagabo seront les porte-

flambeaux du FPR alors que théoriquement ils ne sont plus rwandais. Ainsi donc le

témoignage de Madame Schopack pouvait être suspecté à plus d’un titre car elle était trop

impliquée dans le conflit pour être vraiment objective.

Au même moment, un expert indépendant, paraîtrait-il spécialiste du Rwanda mais qui requit

l’anonymat, rendit public mercredi 10 octobre à Bruxelles une liste de 38 personnes qui

auraient été arrêtées depuis le 1er octobre au Rwanda. Cette liste avait été dressée à l’aide de

trois témoins oculaires des arrestations, des familles et des réfugiés qui avaient réussi à quitter

le Rwanda. Elle avait été transmise à Amnesty International qui l’avait largement diffusée. En

réalité, une bonne partie des personnes inscrites sur cette liste n’avaient pas du tout été

arrêtées car s’il est vrai que la famille Karambizi avait été massacrée dans des circonstances

obscures -on raconte qu’il aurait voulu résister les armes à la main aux gendarmes venus

perquisitionner chez lui-, que les Majors Sabakunzi et Mutambuka, que le Commandant

Kanamugire et non pas Kayinamura, que Monsieur Landoald Ndasingwa ont été

effectivement mis en prison, les Lieutenants-colonels Nsengiyumva et Rutayisire ainsi que le

Professeur Thomas Kabeja n’avaient pas été inquiétés.

Cela n’enlève en rien évidemment au caractère arbitraire des arrestations mais on peut voir

par là que la surenchère est monnaie courante dans ces circonstances-là, même de la part

d’institutions aussi respectables qu’Amnesty International.

Devant le tollé général soulevé par ces arrestations, les autorités rwandaises durent

s’expliquer devant l’opinion mondiale. Ainsi le Commandant Karangwa de l’Etat-major

déclara à la presse mercredi 10 octobre qu’environ 3 500 personnes avaient été interpelées.

Tous les suspects devaient être présentés à une commission spéciale chargée d’établir leur

éventuelle culpabilité. Cette commission comprenait le Parquet de la République, la

181

Gendarmerie, la Sécurité nationale et la Préfecture de Kigali. Les inculpés devaient ensuite

être transférés devant un Conseil de guerre. Au même moment, le Commandant Karangwa

présenta aux journalistes un groupe de 32 personnes dont une femme. La majorité de ces

personnes étaient d’origine ugandaise et on les soupçonnait d’avoir participé à l’attaque de

Kigali dans la nuit du 4 au 5 octobre 1990.

Le 13 octobre, dans une conférence de presse à la prison de Kigali, le Ministre de la Justice

Monsieur Mujyanama Théoneste déclara que 2 582 personnes avaient été arrêtées dans tout le

Rwanda après l’attaque des rebelles. Entretemps, 1 040 personnes avaient été libérées après

vérification de leur identité par une commission ad hoc. A la même occasion, il autorisa un

groupe de journalistes et une délégation du Corps diplomatique à visiter la prison de Kigali où

étaient détenus 840 suspects en majorité des Tutsi. Parmi ces détenus se trouvaient, d’après

une dépêche de l’AFP datant du 13 octobre, le Vice-gouverneur de la Banque nationale qui

serait hutu. Nous n’avons pas pu savoir de qui il s’agissait. Les autres détenus étaient répartis

dans les 22 prisons que compte le Rwanda.

Les journalistes purent s’entretenir avec les détenus dont certains avaient été blessés, d’autres

se plaignant de mauvais traitements, notamment de tortures. Le Ministre Mujyanama expliqua

que les blessures de ces détenus n’étaient pas dues à de mauvais traitements mais au fait qu’ils

avaient tenté de s’enfuir au moment de leur interpellation. Le même jour, le Comité

International de la Croix Rouge (CICR) commença à visiter les personnes détenues au

Rwanda à la suite des combats. Ces visites commencées le 13 octobre à Kigali se déroulèrent

suivant les critères habituels du CICR, c’est-à-dire sous forme d’entretien sans témoin avec

l’enregistrement de tous les détenus. Des secours d’urgence leur furent également distribués.

Le surlendemain 15 octobre, dans un discours à la Nation, le Chef de l’Etat tenta de réfuter lui

aussi les accusations de massacres et d’arrestations arbitraires, rappelant qu’il avait permis

aux journalistes, au CICR et à une mission diplomatique de visiter la prison de Kigali. A cette

occasion, il demanda aux Parlements des pays amis d’envoyer toutes les commissions

d’enquête qu’ils voudront pour constater eux-mêmes ce qu’il en était du respect des droits de

l’homme au Rwanda. Pour lui, les accusations de la presse internationale concernant les

atteintes aux droits de l’homme sont à attribuer à un plan d’intoxication de l’opinion mondiale

mené par les rebelles. S’il y a eu quelques abus, ils ont été le fait d’un excès de zèle plutôt que

le résultat d’une politique voulue.

Effectivement, d’après un diplomate ayant visité la prison de Kigali en compagnie de ses

collègues et cité par l’AFP, les détenus étaient convenablement traités car ils recevaient au

moins un repas par jour. Il y avait bien quelques blessés légers mais ils étaient bien soignés.

Les diplomates n’avaient constaté aucun cas de torture mais ils déploraient pourtant les

conditions de détention qui étaient celles d’une prison africaine. Ces affirmations furent

confirmées par le témoignage de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH)

lors d’une mission achevée le 18 octobre 1990. D’après la FIDH, l’armée rwandaise s’était

globalement bien comportée, respectant les droits des citoyens indépendamment de leur

origine ethnique : on en a déjà parlé.

182

L’information selon laquelle de 1 000 à 4 000 personnes auraient été tuées dans le Nord du

pays n’avait pu être vérifiée. La FIDH n’avait constaté qu’un seul cas de massacre, celui de

Ngororero où de 160 à 335 tutsi avaient été tués. Signalons ici que des centaines d’autres

seront massacrés au Nord-ouest du pays, spécialement les Bagogwe, ainsi qu’au Bugesera

mais cette période est en dehors de celle que nous avons étudiée.

Monsieur de Bruycker donna également son avis sur l’attitude des autorités politiques

rwandaises en matière de droit de l’homme : « Mon impression est qu’on n’a pas affaire à une

dictature pratiquant une répression féroce. Il existe évidemment des problèmes, comme

l’incarcération de prisonniers d’opinion. Nous avons pu en rencontrer plusieurs dont les

noms étaient tirés des listes d’Amnesty International » (après le Soir du 18 octobre 1990).

Plus spectaculaire fut peut-être l’intervention de 101 expatriés qui publièrent un texte de 9

pages intitulé « Colère de temps de guerre au Rwanda, des expatriés témoignent ensemble ».

Les signataires de ce texte représentent 13 nationalités avec 52 belges, 11 canadiens, 9

polonais, 9 suisses, 5 français et divers autres nationalités. Si on considère la structure

professionnelle, on trouve 12 médecins, 28 prêtres, 15 religieuses, c’est-à-dire des gens qui

n’avaient aucun intérêt financier au Rwanda et dont la bonne foi ne peut être suspectée.

Dans ce texte, les signataires témoignent que le régime Habyalimana n’est pas un régime

corrompu comme on l’a présenté dans certaines sphères occidentales. A propos des

arrestations et des rafles, ces expatriés affirmèrent qu’à aucun moment il n’y a eu « pogrom,

tentative de liquidation systématique des tutsi bien que l’assaillant soit plutôt apparenté à ce

groupe ». Dans ses communiqués de presse, l’Etat a pris soin de parler de rebelles appuyés

par la NRA, plutôt que d’une attaque de Tutsi. En plus, les expatriés soulignent eux aussi le

fait que « lors des opérations de ratissage dans la capitale, des consignes extrêmement fermes

avaient été données aux militaires et aux autres agents de sécurité pour qu’ils se comportent

correctement ». Pour eux, s’il y a eu des bavures dans tel ou tel cas, elles sont dues à la

moralité de tel ou tel soldat ou sous-officier mais non au fait d’une politique délibérée de

l’Etat. Ils avaient certes assisté à des dénonciations lamentables de gens qui réglèrent leurs

comptes avec leurs voisins mais aussi de grandes solidarités où des dizaines de Hutu

défendaient ou tentaient de sortir de prison leurs amis, quelle que soit leur ethnie. Pour eux, le

fait que « des journalistes étrangers aient pu filmer dans les prisons et interroger les

prisonniers tandis que la Croix Rouge Internationale peut y accomplir un travail

remarquable témoigne encore de la qualité morale du gouvernement et devrait rassurer les

familles inquiétées ».

On peut conclure de toutes ces prises de positions que dans l’ensemble ces rafles et

arrestations se sont opérées dans des conditions acceptables avec sans doute quelques

brutalités. Aucun cas de torture ou de viol ne fut constaté comme la presse internationale

l’avait affirmé. Cependant, des gens sont morts en partie à cause de ces arrestations mais ils

sont morts de maladies à l’hôpital. Il est vrai qu’ils ne seraient pas morts s’ils n’avaient pas

été arrêtés. Ici nous pensons spécialement à Paul Gakuba et Kamugunga tous deux de Butare

qui moururent d’infections contractées en prison ! Notables de longue date dans cette ville, ils

figurent parmi ces victimes innocentes que le pays a connues au cours de cette crise. Que

leurs âmes reposent en paix.

183

Ces opérations furent donc effectuées dans des normes acceptables et la presse internationale

dut se rendre à l’évidence, au grand dam du FPR qui en novembre 1990 tenta encore de jeter

le discrédit sur le Rwanda. En effet, le 28 novembre, le Comité pour le respect des droits de

l’homme et la démocratie au Rwanda, une organisation de réfugiés rwandais, alerta le monde

de la presse en affirmant à Bruxelles que des menaces d’élimination physique pesaient sur

certains prisonniers politiques au Rwanda. Des fosses communes auraient été préparées le

long de la rivière Nyabarongo aux environ de Kigali pour accueillir les cadavres du pogrom,

car il existerait un plan d’élimination physique de prisonniers. Le Comité parlait également de

transfert par camions entiers de prisonniers de la capitale vers des destinations inconnues qui

pouvaient être des camps militaires. Les membres de ce comité oubliaient que le CICR était à

l’œuvre depuis longtemps dans ces mêmes prisons et qu’il avait inventorié tous les prisonniers

dont pas un seul ne pouvait disparaitre sans qu’il le sache. En plus, des missions

diplomatiques organisaient régulièrement des visites de prisons. L’excès de ces propos du

Comité acheva de jeter le discrédit sur ce type d’affirmation, surtout que des témoignages sur

les atrocités commises par la RPA à l’endroit de populations civiles commençaient à être

connues.

Mais que pouvons-nous dire quant à nous de toutes ces arrestations ? Il peut paraître malsain

de porter un jugement sur la misère de personnes qui ont passé plusieurs mois en prison alors

qu’elles étaient peut-être innocentes. Même un seul jour de prison pour un innocent est un

jour de trop et toute ma sympathie s’apitoie sur leur calvaire. Nonobstant cette mise au point,

force nous est de faire nôtre le point de vue d’un spécialiste, Monsieur de Bruycker de la

Fédération Internationale des Droits de l’Homme qui affirmait ce qui suit : « Dans son

principe, l’opération policière -3 000 arrestations à Kigali et au moins autant pour le reste du

pays- n’est pas contestable en situation d’agression. Là où il y a dérapage, c’est qu’on a

arrêté et détenu des personnes sans respect des procédures pénales, qui prévoient la

possibilité d’une arrestation administrative pour 48 heures, à la suite de quoi, pour maintenir

quelqu’un en prison, il faut un mandat d’arrêt valable cinq jours » (d’après le Soir du 18

octobre 1990)

C’est donc clair, ces arrestations sont juridiquement possibles en cas d’agression pour autant

qu’on respecte les procédures habituelles pour ne pas léser les droits des individus. Monsieur

de Bruycker insista justement sur l’indispensable vigilance notamment de la part du parquet

rwandais qui devra faire preuve de prudence dans les charges qu’il retiendra contre les

prévenus. En effet, ce n’est pas parce que quelqu’un a une famille en Uganda d’où sont venus

les assaillants qu’il est leur complice, ou encore qu’un opposant au régime a eu

nécessairement des contacts avec eux. Il a émis également des réserves sur les juridictions qui

devaient traiter ces affaires car pour lui, le Conseil de Guerre n’est jamais qu’un tribunal

militaire et la Cour de Sûreté de l’Etat rend des jugements sans possibilité d’appel.

Les expatriés signataires du texte évoqué plus haut firent preuve des mêmes préoccupations

en affirmant que « les jours qui viennent diront si la cohésion sociale du peuple rwandais

s’est renforcée dans les événements actuels. Tout dépendra à notre avis de la qualité et de la

rapidité des jugements. Toute la population rwandaise habituée à 17 ans de paix est en état

de choc suite aux événements. Mais cette population attend que seuls les vrais coupables

184

soient châtiés avec des preuves tangibles et non pas sur base de rumeurs, système de

communication trop érigé en sport national au Rwanda, faute d’une presse suffisante et de

qualité ».

IL aurait donc fallu hâter les opérations de triage et libérer rapidement les innocents, surtout

que la plupart des personnes interpellées n’avaient commis que des délits mineurs, comme la

violation du couvre-feu ou le défaut de présentation des cartes d’identité. Les autorités avaient

promis que ce lent travail d’interrogatoires devait être achevé endéans 2 mois maximum.

Malheureusement, ils se déroulèrent très lentement alors que les arrestations se poursuivaient,

de sorte que le 11/3/1991, un total de 8 099 personnes avaient été appréhendées et seulement

4 892 avaient été libérées. Il restait donc 3 207 personnes en prison : elles furent presque

toutes libérées par le nouveau ministre de la Justice, Sylvestre Nsanzimana. Le 9/4/1993, il ne

restait en prison que 136 personnes dont 18 avaient été jugées et condamnées, 47 dont les

dossiers étaient devant la Cour de Sûreté de l’Etat et 71 dont les dossiers étaient encore à

l’étude. Monsieur Nsabimana jeta d’ailleurs le trouble dans l’esprit des gens quand il déclara

que les prévenus avaient été libérés parce qu’ils avaient été reconnus innocents, alors que le

Chef de l’Etat avait affirmé qu’ils avaient bénéficié de son pardon. La population se

demandait si les personnes élargies étaient coupables ou innocentes, d’autant plus que depuis

le début, une propagande malveillante émanant peut-être de milieux officiels avait présenté

ces gens-là comme coupables, avec des crimes abominables pour chacun d’eux.

Le Chef de l’Etat, sans doute lui aussi traumatisé par l’ampleur de l’agression, avait fait part

de son amertume dès sa première apparition publique du 5 octobre 1990. Il avait alors affirmé

qu’il était chagriné et qu’il ne comprenait pas que des gens trahissent leur pays, quelles que

soient leurs motivations. Il ajouta d’ailleurs dans une conférence de presse que trois officiers

de l’Etat-major avaient été arrêtés parce qu’ils avaient eu des contacts avec l’ennemi. Il

s’agissait sans doute des Majors Sabakunzi et Mutambuka et le Commandant Kanamugire qui

furent reconnus innocents dans la suite. Ainsi donc des centaines de personnes passèrent plus

de 6 mois en prison dans des conditions qu’on peut aisément imaginer, étant donné les prisons

africaines. Quels délits avait-on retenu contre eux?

Le Professeur Filip Reyntjens de l’Université d’Anvers dont on connait la sympathie pour le

Rwanda légal et qui avait eu l’occasion de parcourir tous les dossiers, affirma sans ambages

qu’ils ne contenaient pratiquement pas d’accusations sérieuses. Pour lui, la plupart de ces

personnes avaient été détenues pendant si longtemps alors qu’on n’avait rien à leur reprocher!

Les résultats des enquêtes que nous avons effectuées auprès des parquets et des groupements

de gendarmeries qui avaient effectué les perquisitions vont dans le même sens. Nous allons

tenter de les résumer brièvement, en insistant sur les dossiers qui paraissent les plus suspects.

Cependant, on excusera le fait que nous n’avons pas pu accéder aux dossiers de Kigali qui

sont pourtant les plus nombreux et où on aurait peut-être trouvé des cas plus flagrants de

collusions avec l’envahisseur.

Les perquisitions dans les familles débutèrent à travers tout le pays à partir du 8 octobre 1990.

C’est ainsi qu’à Cyangugu 87 personnes étaient déjà arrêtées le 8 octobre. Parmi eux se

trouvaient 5 réfugiés partis au Zaïre en 1959 et qui étaient entrées au Rwanda le 4 octobre

185

1990. Ces personnes auraient-ils été surpris au Rwanda par la guerre? Rappelons que depuis

un certain temps, beaucoup de réfugiés entraient régulièrement au Rwanda malgré ce qu’ils

ont prétendu dans la suite. Le 10 octobre, 26 personnes parmi eux furent libérées après un

triage effectué par le Conseil préfectoral de sécurité.

A Gisenyi, des fouilles furent entreprises le 9/10 :1990 au domicile de Kajeguhakwa Valens

alors en fuite en Uganda. Les gendarmes trouvèrent chez lui 59 cartouches de 9 mm et 5

cartouches de 7,35 mm ainsi que les documents suivant :

1. Une lettre anonyme manuscrite adressée à Kajeguhakwa Christian, fils du

précédent et qui réclamait 4 millions de zaïres pour les marchandises déjà livrées.

Il s’agissait probablement d’armes et munitions qui lui avaient été livrées par un

officier zaïrois

2. Une liste de la garde intérieure de l’habitation Kajeguhakwa

3. Un inventaire de l’armement dont disposait Kajeguhakwa avant son évasion :

- 4 mitraillettes Uzi

- 3 fusils FAL

- une kalachnikov

- un pistolet

- un fusil de chasse Merlin

C’était donc une petite armurerie que ne justifiaient certainement pas les besoins de sécurité

d’un riche commerçant! Au même moment, des fouilles effectuées à la paroisse de Gisenyi

permit de trouver divers documents jugés subversifs au bureau du Curé de la paroisse, l’Abbé

Ntagara Augustin. Celui-ci fut détenu pendant quelques jours à la Brigade de Gisenyi. Il fut

interrogé par le Commandant de groupement mais il fut libéré le 13 octobre, le Conseil de

sécurité de la Préfecture ayant demandé de le faire « prévenu libre ».

Les fouilles effectuées à Nyundo ne révélèrent rien de suspect, à part une salopette couleur

verte armée trouvée chez le Frère Bazimya Vital de l’Ecole d’Art de Nyundo. A Butare, dans

le cadre de ces opérations de recherche d’éventuels suspects, 30 personnes furent arrêtées

dont trois abbés :

- Mungwarareba Modeste, Recteur du Petit Séminaire de Karubanda, Butare

- Sébahire Anaclet, Curé de Ngoma

- Musoni Boniface, Professeur au Petit Séminaire de Karubanda.

En réalité, l’arrestation de l’Abbé Mungwarareba était prévisible car il avait déjà été fiché

comme suspect et subversif dès 1989 parce qu’il avait osé contredire l’ancien préfet Frédéric

Karangwa en affirmant que des gens mourraient de faim dans certaines communes de Butare.

On a vu qu’il avait déjà commencé à organiser des secours pour les affamés. Quant à l’Abbé

Boniface Musoni connu unanimement par ses anciens élèves comme ayant une honnêteté et

une droiture inflexible, il était impensable qu’il ait trempé dans quelque complot que ce soit.

Il sera d’ailleurs rapidement relâché car il était trop maladif pour supporter la prison. Le

Parquet de Butare se chargea du triage et un certain nombre de prévenus furent relâchés mais

186

la plupart des personnes élargies étaient hutu, ce qui semblait indiquer à la population que

seuls les Tutsi avaient trahis.

A Ruhengeri, aucun document compromettant ne put être trouvé chez les prévenus, exception

faite de quelques photos de l’ancien roi Kigeli trouvées chez le Frère Ndayambaje Jean

Damascène, Professeur à la Faculté des Sciences de l’Education. On trouva également chez

lui des lettres adressées à des réfugiés mais qui n’avaient rien de séditieux. De même, des

perquisitions effectuées à Remera, Rwaza, Nemba, Kinoni et Runaba ne donnèrent rien. Par

contre, en Commune Ndusu, la population soupçonnait l’Ecole Economique et de Commerce

de Janja d’héberger des rebelles. Il s’agissait en fait de réflexes relevant du régionalisme qui

visait les élèves originaires de préfectures du « Nduga ».

Des perquisitions effectuées dans l’école permirent de trouver sur deux élèves des écrits jugés

être en relation avec l’attaque des rebelles. Certains de ces écrits retraçaient le programme à

exécuter à partir du 1er octobre 1990. Ces deux jeunes gens, Kwihangana Fidèle, fils de

Karamira Froduald, riche commerçant de Kigali et Alain Kayijuka, fils de Kayijuka Joseph,

furent appréhendés. Mais d’après des enseignants de cette école, ces écrits avaient été

« fabriqués » par d’autres élèves qui jalousaient les deux jeunes gens qui occupaient souvent

les premières places dans leur classe. Ils ont alors écrit ces documents pour les éliminer de la

compétition. Il s’agissait donc de faux documents qui auraient pu être facilement démasqués

si les tensions régionales n’avaient pas été aussi aiguës.

A Kibungo, suite aux multiples informations faisant état de caches d’armes dans certaines

familles, une fouille fut organisée le 10 octobre dans différents quartiers de la ville et dans la

partie voisine de la commune Rukira. Aucune arme ne put être trouvée mais des irréguliers

furent appréhendés. Cependant, dans la suite, deux abbés furent arrêtés, Mfizi François et

Ruterandongozi Justin, celui-ci n’étant coupable, parait-il, que d’avoir violé le cessez-le feu

entrain d’étancher son insatiable soif.

A Gitarama, les perquisitions permirent de trouver chez le nommé Rudahunga Louis, employé

à l’imprimerie de Kabgayi des brochures et des documents subversifs. L’intéressé avoua avoir

participé à des réunions « subversives » avec d’autres personnes déjà appréhendées. Il

s’agissait vraisemblablement des nombreuses réunions clandestines que des groupes de Tutsi

tenaient depuis un certain temps sur le problème des réfugiés. Les mêmes réunions se tenaient

un peu partout dans le pays et il semblerait que Monsieur Munyambaraga, alors Directeur

Général au Ministère des Transports et des Télécommunications, était le coordinateur de ces

activités au niveau national. Le caractère clandestin de ces rencontres laisse penser que les

responsables étaient sans doute de mèche avec le FPR.

Les opérations de perquisition et de ratissage étaient parfois émaillées d’épisodes

rocambolesques. C’est ainsi par exemple que le Brigadier de la Commune Nyamugali vint

annoncer au Groupement Ruhengeri qu’il avait vu une personne armée chez le Bourgmestre

qui avait été pris en otage. Une section de gendarmes fut rapidement dépêchée sur place à plus

de 50 km mais l’intervention ne trouva rien d’anormal chez le Bourgmestre : le brigadier était

en réalité mentalement dérangé!

187

En ces périodes de tensions, de nombreux renseignements vrais ou supposés tels affluaient à

l’Etat-major : ils faisaient état de l’intention des rebelles d’attaquer les brigades et les prisons

pour libérer les suspects récemment arrêtés, ce qui faisait penser que ceux-ci étaient

réellement coupables. Cette psychose avait pour effet de ralentir les libérations et au contraire

d’augmenter les arrestations.

On constate donc que les chefs d’accusations étaient extrêmement minces partout dans le pays

alors que la rumeur publique attribuait des crimes abominables aux prévenus qui étaient voués

à toutes les gémonies. En fait, exception faite de quelques écrits plus ou moins suspects, il n’y

eut pas de motifs vraiment sérieux d’arrestation : aucune arme ne fut par exemple trouvée

chez des particuliers, sauf chez Kajeguhakwa dont la culpabilité ne faisait aucun doute. Il est

vrai que le Ministre des Affaires Etrangères affirma le 9 octobre que vingt caches d’armes

avaient été découvertes lors des opérations de ratissage dans la capitale. De même, le

Commandant Karangwa montra aux journalistes le 10 octobre tout un assortiment d’armes

saisies lors des fouilles, armes comprenant notamment des fusils d’assaut kalachnikov, des

mitraillettes et des radio-émetteurs-récepteurs, mais aucun coupable ne put être pointé du

doigt.

En outre, de jeunes officiers de l’armée rwandaise qui ont participé aux fouilles nous ont

affirmé avoir eux-mêmes trouvé des documents prouvant une collusion indiscutable avec les

assaillants. Mais ces opérations s’étaient faites dans une grande précipitation et on ne prit pas

la précaution de faire signer aux suspects les procès-verbaux de saisie de ces pièces à

conviction. Dans ce cas-là, ces pièces n’ont plus aucune valeur juridique.

Cela ne veut pas dire qu’il n’y avait pas d’éléments de la RPA infiltrés dans le pays avec la

mission de déstabiliser Kigali par exemple. C’est ainsi que Monsieur Kalinijabo Jean Baptiste

et Ntakiyimana Emmanuel, ex-officiers de l’armée rwandaise chassés après le coup d’état de

1973 pour des raisons de régionalisme, avouèrent avoir touché des dollars de Fred Rwigema

lui-même pour fournir des renseignements sur les forces de défense du Rwanda. De même, un

certain Matabaro Jean Claude, originaire de Kanzenze, appréhendé par les militaires du CI

Bugesera affirma avoir combattu sous Museveni et Rwigema. Arrivé à Kigali fin septembre

1990 avec un groupe de 12 autres individus, ils se sont dispersés dans la ville mais ils se

rencontraient à Mayange à quelques dizaines de km de Kigali pour étudier comment le Camp

de Gako pourrait être attaqué. Quand il a été attrapé, il était coupé de ses compagnons et il

errait dans la forêt. De nombreux autres cas semblables peuvent être cités. On devait

d’ailleurs apprendre dans la suite que beaucoup de prévenus étaient effectivement de mèche

avec les agresseurs, mais en octobre-novembre 1990, on n’avait pas pu rassembler des

preuves juridiquement acceptables.

Les chefs d’accusation étaient donc minces et c’est pour cela qu’au moment des procès, on

refusa aux prévenus la possibilité de recourir à des avocats étrangers, sous prétexte que la loi

rwandaise ne le permettait pas. En réalité, le climat était surchauffé, la population réclamant le

lynchage pur et simple des prévenus : la justice était devenue l’otage de la populace et aucun

magistrat n’avait le courage de remplir correctement son devoir. Le Ministre de la Justice eut

du mal à justifier le refus de recourir à une assistance juridique indépendante et il fournit des

188

justifications contradictoires et enfantines. C’est qu’il savait parfaitement que la plupart des

détenus n’avaient pas de dossiers vraiment à charge et que l’intervention d’avocats étrangers

risquait de couvrir de ridicule le parquet rwandais qui avait permis de telles illégalités.

Il est en effet évident que la présence de tout le barreau de Paris ou de New York ne pourrait

empêcher la condamnation selon les lois en vigueur, d’un individu chez qui on aurait trouvé

des armes destinées à déstabiliser le pays ! Au contraire, les procès commencèrent par la

condamnation de paysans de Kibungo à des peines très sévères alors que leur innocence

sautait aux yeux. La confiance dans la justice rwandaise, tant à l’intérieur qu’à l’étranger,

sortit de ces procès durement malmenée.

C’est qu’il aurait fallu, pour renforcer « la cohésion sociale du peuple rwandais » évoquée

dans le texte des expatriés, libérer tous les détenus sans dossier solide, c’est-à-dire

pratiquement tout le monde, endéans les deux mois prévus dès le départ. On aurait ensuite

déclaré publiquement que les investigations avaient montré que tous les citoyens toutes

ethnies confondues, avaient été loyaux envers leur pays et qu’ils devaient unir leurs forces

pour combattre l’ennemi venu de l’extérieur. Cela aurait permis d’éviter toutes les rancœurs

ultérieures qui précipitèrent beaucoup de monde dans une opposition farouche contre le

MRND, tout en préservant l’image de marque du Rwanda à l’extérieur.

Cette opposition au parti au pouvoir ne devait d’ailleurs pas être uniquement le fait de Tutsi –

qui rejoignirent massivement la RPA- car on devait se rendre compte dans la suite que toutes

les arrestations concernaient non seulement des Tutsi mais aussi des Hutu originaires de ce

qu’on a appelé le « Nduga ». Il n’y eut presque pas de détenus originaires de Ruhengeli ou de

Gisenyi, alors que Kanyarengwe, Bizimungu Pasteur, Barahinyura Jean Baptiste et beaucoup

d’autres dirigeants hutu du FPR étaient originaires de ces préfectures. De même, les gens de

Byumba se rendirent compte que la plupart des militaires injustement arrêtés étaient

originaires de cette préfecture. Dans une lettre adressée au Président de la République par

l’« Amicale de Byumba » exprimèrent leur indignation et réclamèrent la réintégration de ces

officiers dans l’armée. On a donc l’impression d’assister à un règlement de compte à caractère

ethnique et régional, ce qui semblait justifier l’opinion de la presse internationale qui affirmait

que le régime voulait profiter de la crise pour décapiter l’opposition intérieure.

L’occasion ne put pas être saisie pour cimenter la cohésion nationale, pour chercher plus

facilement des remèdes à la crise qui secouait le Rwanda. Il est vrai que toute la classe

dirigeante était plutôt composée de courtisans plus aptes aux rapines et à la gymnastique

féodale. Il sera alors illusoire de leur demander quelque chose en cas de coup dur et le pays

dut payer cher les erreurs d’un régime fatigué.

L’Eglise Catholique, pourtant si puissante au Rwanda, ne parvint pas à remplir sa mission de

défenseur des opprimés car on ne l’a jamais entendue élever la voix pour réclamer plus de

justice et des conditions plus humaines pour les détenus. On entendra même l’Archevêque de

Kigali, Monseigneur Nsengiyumva, se faire l’avocat de ces pratiques pour le moins

condamnables. C’est que l’Eglise n’apparaissait plus tellement comme guide moral de la

République mais plutôt comme un soutien presque servile, comme l’a si bien souligné un

excellent petit document collectif appelé « Le Rwanda. Et maintenant » publié par un groupe

189

d’expatriés qui connaissent très bien le Rwanda. Ce petit livre souligne le fait que « l’attitude

des responsables de l’Eglise ne faisait pas l’unanimité dans le clergé et chez les fidèles plus

critiques. Aussi beaucoup se sont réjouis quand, sous la pression du Vatican, l’Archevêque

renonça à son rôle politique ».

En réalité, peut-on continuer à lire, « l’incapacité de l’Eglise de dépasser en son propre sein

les problèmes ethniques la rend incapable d’apporter en cette matière une réponse à la

société… Il reste que le peuple rwandais peut difficilement s’identifier à son clergé ». Cette

Eglise ne peut donc pas prononcer de paroles prophétiques alors qu’elle ne parvient pas à faire

la vérité sur elle-même. Nous en avons déjà parlé. En conclusion, termine le texte, « L’Eglise

rwandaise est encore riche de son influence passée, mais divisée par les divisions même de la

société qu’elle doit animer, elle peut difficilement témoigner de ce qu’elle ne parvient pas à

vivre. La tentation du spirituel désincarné risque de lui faire perdre le sens de ses

responsabilités vis-à-vis de la société rwandaise et de son développement. Pourtant, les

raisons d’espérer ne manquent pas ».

Ainsi donc, exception faite de quelques individualités isolées, l’Eglise est encore plus malade

que la société qu’elle est appelée à guider. Celle-ci n’a plus confiance en cette Eglise qui

ignore ses vrais problèmes. C’est ainsi qu’elle a adopté une attitude anachronique vis-à-vis du

problème démographique rwandais, se cachant derrière des principes surannés de chasteté

pour ne pas prendre ses responsabilités devant l’appauvrissement dramatique de la population

rurale à cause justement d’une démographie galopante. L’exemple du scandale de la

nomination reportée de l’Abbé Félicien Muvara comme Evêque auxiliaire de Butare acheva

d’illustrer cette décadence morale de l’Eglise Catholique. Que l’on ne s’étonne pas alors du

silence assourdissant devant certaines violations des droits élémentaires de la personne

humaine alors que dans ces périodes troublées, l’expérience avait montré que des excès

sanglants étaient monnaie courante. En réalité, l’Eglise elle-même a besoin, pour sa cure,

d’une crise identique à celle qui a secoué le Rwanda.

En conclusion, on peut affirmer que dans l’ensemble, les responsables rwandais, tant

militaires que politiques, se sont comportés correctement dans ces circonstances

exceptionnelles, quoi qu’en ait dit la presse internationale qui dans la suite a d’ailleurs été

obligée de reconnaitre les faits. En effet, si on ne peut pas exclure des bavures ici et là,

l’Armée rwandaise a mené ses opérations militaires et de ratissage dans le strict respect des

droits de l’homme.

Cependant, on ne peut que regretter que des innocents aient passé 8 mois en prison ou que

d’autres soient morts! La responsabilité en incombe à l’incurie de quelques politiciens qui

n’ont pas pu gérer la situation d’ailleurs plus par incompétence que par volonté délibérée. Il y

a lieu de leur trouver des excuses eux aussi car ils ont été surpris par une conjoncture qu’ils

n’étaient pas de taille à affronter : on ne peut évidemment pas demander à un individu plus

qu’il ne peut donner et la plus belle fille ne peut pas donner ce qu’elle ne possède pas!

Par contre, la Presse internationale, en dépit de sa recherche du sensationnel, a joué malgré

tout un rôle positif en certaines circonstances, étant donné que par ses excès même, elle a

servi en quelques sortes de garde-fou contre les tentations extrémistes de quelques individus.

190

Serait-il exagéré et malsain d’affirmer qu’elle a joué le rôle moral que l’Eglise Catholique,

empêtrée dans ses contradictions et sa décadence, était incapable d’assumer? Nous n’irons pas

jusques là !

CONCLUSION PARTIELLE

Le mois d’octobre se termina par le reflux du FPR qui se replia en Uganda où il inaugura une

nouvelle stratégie basée sur la guérilla classique. Profitant des bonnes dispositions du

Président Museveni, manifestement incapable de respecter sa parole, les combattants de la

RPA firent de l’Uganda leur base arrière pour préparer leurs coups de main au Rwanda.

C’est ainsi que les régions de Gatuna, Kiniga et Kivuye furent le théâtre d’âpres combats

entre les deux belligérants. Mais la mort de Fred Rwigema, Chef de la RPA, jeta le désarroi

au sein de cette formation qui mit du temps pour se relever.

Au même moment au Rwanda, la chasse aux sorciers battait son plein sans trop se soucier des

droits élémentaires du citoyen. C’est ainsi que des milliers d’innocents passèrent plusieurs

mois en prison sans le moindre chef d’accusation à leur endroit. Ces pratiques pour le moins

étranges accentuèrent les divisions entre les Rwandais et les cicatrices mettront du temps pour

être colmatées.

191

CONCLUSION GENERALE

En 404 avant Jésus-Christ, au terme de la Guerre du Péloponnèse si bien décrite par

l’historien Thucydide, Athènes dut capituler après un conflit qui avait duré 28 ans, étant

donné la destruction de sa flotte par le spartiate Lysandre à Aigos-Potamos.

Le bilan de la défaite était lourd car les Spartiates occupèrent le port du Pirée, la quasi-totalité

de la flotte dut être livrée, l’Empire athénien fut dissout. Les Longs Murs furent démolis, les

Bannis furent amnistiés, le système démocratique fut remplacé par le régime des « Trente

Tyrans » à la solde de Spartes… Mais à la fin de l’année 404, la démocratie fut rétablie grâce

au coup de main de Thrasybule.

Un tel désastre s’était évidemment accompagné d’innombrables compromissions et une fois la

démocratie rétablie, la tentation était grande de régler des comptes. En fait, la renaissance

d’Athènes fut très rapide grâce à la clause d’amnistie qui fut confirmée par le serment de tous

les Athéniens en 403. Cette clause d’amnistie interdisait de reprocher le passé à qui que ce

soit! Scrupuleusement respectée car le premier accusateur qui tenta de la violer fut

sommairement immolé sur l’hôtel de la réconciliation des citoyens, cette clause parait

extraordinaire dans une période où les passions étaient aussi exacerbée. Rien à voir avec les

désordres sociaux qui suivirent la défaite de la France en 1870 ou tout simplement les

retentissants mais iniques procès de « collabos » après 1945 en France ou en Belgique :

50 000 personnes auraient été tuées en 1945-1946 en France dans des règlements de compte!

Voilà un sujet de méditation certainement instructif pour nous autres rwandais au moment où

notre pays traverse une crise sans précédent!

En effet, le système politique du Rwanda précolonial, quoique foncièrement injuste puisque le

pouvoir était entre les mains d’une minorité, avait abouti à un équilibre, fragile certes, mais où

la promotion des individus était possible. Dans l’optique de « moderniser » l’organisation

politique du Rwanda, le colonisateur belge instaura le système de l’administration indirecte

qui concentra le pouvoir entre les mains de la minorité tutsi ; les Hutu pourtant majoritaires

furent systématiquement exclus de toutes les fonctions administratives du pays, même

subalternes. L’équipe tutsi au pouvoir ne se rendit pas compte du danger car elle collabora

allégrement avec le colonisateur, profitant sans vergogne des avantages qui lui étaient offerts,

tout en administrant consciencieusement la chicotte.

Un fossé profond se creusa alors entre les deux ethnies et la Révolution sociale de 1959 fut

l’aboutissement de ce lent processus. Les idéaux défendus par cette Révolution, la démocratie

et la justice sociale, étaient on ne peut plus nobles et de nombreuses difficultés auraient pu

être facilement aplanies si ils avaient pu être mis en pratique. Malheureusement, les incursions

« Inyenzi » accentuèrent les clivages ethniques et ouvrirent la voie aux tentations totalitaires.

Le problème des réfugiés rwandais fut laissé en suspens alors que ceux-ci, malmenés dans les

pays d’accueil, souhaitaient retourner à tout prix dans leur mère-patrie pour bénéficier de sa

protection.

192

Certains dirigeants de la République, farouchement opposés à la réconciliation entre les

ethnies, firent des rivalités ethniques et régionales leur cheval de bataille. Comme les

négociations sur leur retour trainaient en longueur, les réfugiés profitèrent des guerres de

l’Uganda pour se constituer une force de frappe considérable en même temps qu’ils créaient

le Front Patriotique Rwandais (FPR). Le FPR dépassa la simple revendication du droit au

retour des réfugiés et se présenta comme une véritable alternative politique. Mais pour

pouvoir mettre son programme en application, il lui fallait prendre le pouvoir à Kigali par la

force des armes.

A ce moment, la décadence du pouvoir politique au Rwanda était à son paroxysme car

l’équipe au pouvoir, incapable d’autocritique et distrait par les mirages de l’autosatisfaction et

les grimaces de l’« animation », avait conduit le pays au bord de la banqueroute. Les pratiques

de népotisme et de concussion étaient monnaie courante dans les plus hautes sphères du

pouvoir alors que la disette frappait une partie du pays. L’Armée rwandaise, malgré sa bonne

renommée, avait été affaiblie par le pouvoir qui l’avait régionalisée pour éviter les coups

d’états : elle avait alors perdu son caractère dissuasif.

C’est ainsi que le FPR, trompé par l’apparente faiblesse de cette armée et confiant dans les

ruses et les fourberies de l’école de Museveni, décida de franchir le Rubicon le 1/10/1990. Les

autorités rwandaises, prises de court au départ, réagirent rapidement et le Président

Habyalimana, sorti du brouillard totalitaire, organisa efficacement la défense du pays. C‘est

ainsi que l’armée rwandaise, une fois passée la période du baptême du feu, réussit à rejeter

l’envahisseur en dehors du pays. Mais celui-ci, profitant des complaisances du Président

Museveni, changea de stratégie et adopta une guérilla dévastatrice.

Les négociations en vue de l’instauration d’un cessez-le feu, malgré de multiples médiations,

ne purent aboutir car les extrémismes de tous bords s’étaient donné libre court. Cela voulait-il

dire que les combats ne cesseraient que faute de combattants ? Il ne faudrait pas oublier ici

que, exception faite de quelques mercenaires engagés ici ou là, la plupart de ceux qui sont

morts sont des rwandais ! La paix est donc possible, il suffirait d’en payer le prix avec les

indispensables compromis !

Justement le Général chinois Se Ma n’affirmait-il pas au 4°siècle avant Jésus-Christ qu’« il ne

faut pas faire durer la guerre, il faut la terminer le plus tôt qu’il se pourra, dût-on céder

quelque chose de ses intérêts particuliers » ? Le Général Se Ma appuyait en fait la pensée de

son maître Sun Tsé qui affirmait que les combats « ont toujours quelque chose de funeste

pour les vainqueurs eux-mêmes ». Pour lui, toutes les peines, toutes les dépenses, tous les

sacrifices n’aboutissent, même pour les vainqueurs, « qu’à une journée de triomphe et de

gloire, celle où ils ont vaincu » (Cité d’après Emile Wanty, 1967)

Cela veut dire qu’on se rendra bientôt compte que tous ces morts, tous ces sacrifices, tous ces

pleurs, toutes ces destructions, bref toutes ces mutilations tant physiques que morales, auraient

pu être évités avec un peu plus de bonne volonté. Il est vrai que pour le peuple rwandais, la

sauvegarde des acquits de la Révolution de 1959 relève d’une question de survie et en un

sens, ces sacrifices peuvent se justifier amplement.

193

Cependant, la seule chance de paix durable dans ce pays réside dans une démocratisation

profonde dans laquelle les droits des minorités seraient garantis sans que pour autant ceux de

la majorité ne soient bafoués. N’étaient-ce pas là l’objectif de la Révolution sociale de 1959 ?

Le FPR a réclamé à plusieurs reprises des « garanties » mais nous estimons qu’il n’y a pas de

garanties qui tiennent en dehors d’un système démocratique solide. En effet, il semble

actuellement exclu que la RPA prenne Kigali d’assaut mais, même si c’était le cas, il n’y

aurait jamais de paix car étant donné le vent de démocratie qui souffle sur l’univers humain, le

pouvoir des minorités quelles qu’elles soient, est révolu à jamais. IL n’y aura alors plus qu’à

se soumettre au verdict des urnes.

Cela veut dire en plus que le temps des dirigeants-providence est également révolu et il faudra

mériter la place qu’on occupera. A l’instar du rêve de Martin Luther King, est-il vraiment

utopique de songer à des dirigeants qui serviraient sincèrement les intérêts du peuple? A ce

propos, dans un pays comme le Rwanda, que ne dirait-on pas de ces ministres qui continuent

à rouler dans des limousines dernier cri technologique alors que tout juste à côté, des

concitoyens meurent de faim ? Que ne dirait-on pas de ces réflexes de parti unique dont ont

fait montre certains apprentis-politiciens et qu’on observe avec amertume ? Il est vrai que

dans nos contrées tous les dirigeants sortent du néant et la tentation est grande d’éliminer

l’opposant pour mieux se remplir les poches aux dépens du contribuable !

Mais le peuple ne se laissera pas éternellement dépouiller et tôt ou tard une nouvelle

révolution éclatera si on n’y prend garde à temps ! Il suffirait pour s’en rendre compte de

remarquer cette profonde perte de crédit du pouvoir à tous les niveaux car pour le moment

dans l’esprit des gens « ministre, directeur d’entreprise parastatale, préfet,… » signifient

pilleurs. Le processus de démocratisation devra alors s’accompagner de la réhabilitation de

l’autorité par des comportements plus honorables et un code de conduite pour les dirigeants à

tous les niveaux devra être élaboré.

Mais il ne faut pas se cacher que l’enfantement de la démocratie est extrêmement douloureux

et une période difficile s’annonce devant nous, la situation étant compliquée par le retour

imminent des réfugiés ainsi que l’incontournable partage du pouvoir avec ceux-là même qui

nous attaquaient hier. Mais partage du pouvoir ne signifie pas remise en cause des acquis de la

Révolution sociale de 1959 que l’immense majorité considèrent comme non négociable.

L’avenir n’est donc pas rose et le chant du cygne n’est pas pour bientôt mais nous serons sans

doute sur la bonne voie si nous faisons nôtre la « Déclaration d’innocence » de Damien

Muhamyankaka (1991) dans sa « voie des braves » :

- Je n’ai pas été ni un ethniste, ni un tribaliste, ni un régionaliste ni un xénophobe

- Je n’ai pas été ni un corrupteur, ni un corrompu

- Je n’ai ni tué, ni fait tuer pour accéder au pouvoir ni pour m’y maintenir

- Je n’ai ni abruti ni asservi mon peuple

- Je n’ai ni trahi, ni pris les armes contre ma patrie

- Je ne me suis pas opposé, ni aux libertés, ni à l’unité de mon peuple

- Je n’ai ni pillé mon pays, ni appauvri mon peuple, ni assisté d’autres à le faire

194

- Je ne me suis pas adonné, ni à la cupidité, ni au vandalisme, ni à l’obscurantisme

ni au népotisme.

- Je n’ai pas été disciple d’un ordre qui brisait la paix des savanes

- Ainsi tu pourras mourir la paix dans l’âme

- Et ton esprit auprès de ceux de tes aïeux

- Au lieu d’être maléfique, sera vénéré »

195

BIBLIOGRAPHIE PARTIELLE ET INDICATIVE

I. Sources, revues et cartes

1. Sources

- Dépêches de l’A.F.P. d’octobre et novembre 1990

- Messages et télégrammes échangés entre l’Etat-major de l’Armée et les différentes

unités en octobre et novembre 1990

- Correspondance sur l’affaire Muvara

- Archives des Parquets

- President Museveni’s meeting with foreign envoys, Tuesday, 16th

October, Common

text

- Réunion extraordinaire du Groupe FPR Inkotanyi le 16 mars 1990 à Nakasero,

Kampala (Rapport confidentiel)

- Rapport du Secrétaire Général de l’OUA sur les activités du Groupe Neutre

d’Observateurs Militaires au Rwanda (GOM), 15 octobre

2. Revues et Périodiques

- La Libre Belgique (octobre et novembre 1990)

- Le Soir (octobre et novembre 1990

- La Croix-l’Evénement

- l’Echo

- Le Vif l’Express

- Impuruza

- The Alliancer, official bulletin of RANU

- Le Front, Bulletin d’information du FPR

- Ukuli, Amakuru y’ingenzi mu Rwanda

- Le Patriote, pour un Rwanda nouveau

- Isangano, Bulletin de liaison

- Huguka, Ikinyamateka cya JPR/RPY

- Inkotanyi, ikinyamateka cya RPF

- The New Vision for a better Uganda

196

- Weekly Topic

- The Citizen, the newspaper that serves Uganda

- Kinyamateka

- Dialogue

- Imvaho

- Imbaga

4. Cartes

- Le Parc National de la Kagera

- Carte touristique du Rwanda (ORTPN)

- Cartes topographiques du Rwanda au 1/50 000 (feuilles de Gabiro, Kagitumba,

Nyagatare, Mulindi, Byumba)

II Ouvrages

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l’agression d’octobre 1990. Genèse, soubassements et perspectives.- Ruhengeli, Editions

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Liste des Tableaux

- Répartition des chefs et des sous-chefs par ethnie à la veille de la Révolution de

1959

- Proportions ethniques dans quelques écoles du Rwanda en 1958

- Effectifs des réfugiés rwandais dans les pays limitrophes

- Evolution de la production des cultures vivrières principales de 1975 à 1980 (en

tonnes)

- Evolution des superficies consacrées aux principales cultures vivrières de 1975 à

1980 (en ha)

- Evolution des cours de l’étain au London Metal Exchange de 1975 à 1980 (en

£/tonnes)

- Evolution des réserves en devises de 1975 à 1980 (en millions de francs rwandais)

- Valeur des exportations minières par rapport aux exportations totales (en millions

de francs rwandais)

199

- Evolution des cours de l’étain de 1981 à 1985 au London Metal Exchange (en

£/tonnes)

- Exportation du café usiné de 1981 à 1988

- Balance des paiements de 1985 à 1990 (en millions de francs rwandais)

- Evolution de l’aide extérieure de 1986 à 1990 (en milliers de dollars US)

- Evolution globale du PIB de 1985 à 1990

- Admissions à l’enseignement secondaire public en septembre 1989 par préfecture

- Effectifs attribués aux 13 communes les plus favorisées

- Effectifs attribués aux 13 communes les plus défavorisées

- Dépenses militaires par rapport à quelques indicateurs socio-économiques dans les

pays voisins du Rwanda

Table des Figures

- Evolution du prix de vente du kilo de café type « Arabica standard »

- Prix-planchers et prix-plafonds au Conseil International de l’Etain de 1972 à 1985

- Evolution des importations et des exportations de 1964 à 1985 (en valeurs

absolues)

- Production et consommation d’étain dans le monde de 1976 à 1984

- Evolution des cours moyens du café au marché de New York de 1987 et 1988

- Déboursements de l’aide extérieure en 1990 suivant les dix principaux donateurs

- Evolution des dépenses du budget ordinaire de l’Etat (en %)

- La région Nord du Rwanda

- Le Parc National de l’Akagera