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LE BILAN DE DEUXIEME PARTIE DE CARRIERE Quelles attentes ? Quels apports ? Quelles spécificités ? Etude réalisée par Pascale Deschandol-Moreau, consultante sous la direction de Michèle DAIN, Directeur du BIOP (Septembre 2011) Étude qualitative

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LE BILAN DE DEUXIEME PARTIE DE CARRIERE

Quelles attentes ? Quels apports ?Quelles spécificités ?

Etude réalisée par Pascale Deschandol-Moreau, consultante sous la direction de Michèle DAIN, Directeur du BIOP

(Septembre 2011)

Étude qualitative

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SOMMAIRE

INTRODUCTION

I ère PARTIE. LE TRAVAIL DES SENIORS.

1 - Contexte de la problématique.A. Evolution de la problématique du travail des seniors. B. Les causes de son acuité en France. C. L’inemploi des seniors : une réalité.

2. Les représentations socio-culturelles. A. L’évolution de la notion de « senior ».B. Les freins à l’emploi des seniors. C. Une discrimination « culturelle ».

3 - La mise en place des politiques publiques. A. Les mesures prises à l’étranger. Exemples de la Suède, de la Finlande et du Japon. B. Les mesures prises en France. C. L’implication des entreprises. D. Premiers enseignements.

II ème PARTIE. MAIS QUI SONT DONC LES SENIORS ?

1 - Etre un salarié senior aujourd’hui. A. L’évolution de la notion de « senior ». Ce que nous disent nos clients. B. Les âges de la vie, les phases de l’existence. C. La crise du milieu de la vie.

2 - Les seniors dans l’entreprise. A. Ce qu’ils sont … B. Ce qu’ils ne sont pas…C. Ce qu’ils coûtent… D. Les outils de GRH dont ils disposent.

3 - Les attentes des seniors à l’égard du travail et de l’entreprise. A. Leur vision du travail : un changement de paradigme. B. Leur vision des politiques RH : critique… C. Leur place dans l’entreprise : un réajustement nécessaire. D. Leurs relations avec les nouvelles générations.

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IIIème PARTIE. LE BILAN DE COMPETENCES APRES 45 ANS :QUELLES ATTENTES ?, QUELLES SPECIFICITES ?

1 - Pourquoi faire un bilan de compétences après 45 ans ? A. Evaluer son passé. B. Réajuster son travail. C. Faire face aux questions existentielles.

2 – Les préoccupations des seniors. A. Recomposer sa vie. B. Conquérir une plus grande liberté. C. Construire un projet qui ait du sens.

3 - Les spécificités d’un bilan senior. A. L’attente des seniors à l’égard du bilan de compétences.

B. Les apports spécifiques d’un bilan senior. Offrir un zoom à large spectre. Installer la confiance en un avenir possible. Fournir une boîte à outils à forte valeur ajoutée.

C. Un bilan global de vie.

CONCLUSION

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INTRODUCTION

« La France se distingue de ses partenaires européens par plusieurs traits saillants au regard des relations entre âge et emploi : taux de chômage élevé pour les plus jeunes ; taux d’emploi faible pour les plus âgés ; intensité du travail pour les travailleurs d’âge intermédiaires sur lesquels repose l’essentiel de l‘effort productif du pays », résume Guillaume Huyez-Levrat1. Ce mal français révèle un manque de fluidité dans la société. L’utilisation des critères d’âge pour organiser les parcours professionnels et la composition des forces de travail dans l’entreprise, résultent d’un compromis vieux d’un siècle qu’il est temps de changer. L’âge peut être, dans certains cas, un « marqueur » utile, mais à condition que lui soient associés d’autres critères tels que la compétence, l’efficacité, la pertinence de la contribution.

L’allongement de la vie en bonne santé, l’évolution du nombre d’années passées à la retraite, conjugués au manque progressif de main-d’œuvre qualifiée en raison du départ de toute une génération, sont autant de phénomènes rendant urgente et indispensable la réintégration des seniors dans le monde professionnel. Aujourd’hui, la contribution des différentes générations est déséquilibrée puisque les plus gros efforts et les gains de productivité reposent sur la génération des 28-48 ans. En effet, les 25-54 ans assurent à eux seuls 79% des emplois du pays alors qu’ils ne représentent que 48% de la population2, ce qui signifie que sur cinq Français, seuls deux sont actifs, pour trois inactifs. Cette exception culturelle française, qu’aucun peuple ne nous envie, empêche les forces vives de la population active, à chaque bout du spectre – jeunesse/maturité – d’apporter leur pleine contribution. Et pourtant, si le monde a changé, les seniors, eux aussi, ont évolué. Ceux que nous rencontrons ont choisi de ne pas attendre passivement le moment – qui recule sans cesse - de prendre leur retraite. Aujourd’hui, les salariés expérimentés cherchent plutôt à résoudre, chacun à sa manière, ces injonctions paradoxales, cette contradiction qui fait qu’on les considère comme des seniors beaucoup plus tôt alors qu’ils sont incités à travailler plus longtemps et que leurs enfants peinent à entrer dans le monde du travail.

Dès lors, que viennent-ils chercher dans un bilan de compétences ? Ont-ils des attentes différentes de celles des plus jeunes ? Faut-il déployer, pour eux, une autre approche ? Des outils spécifiques ? Comment jugent-ils le résultat ? Et comment valorisent-ils, l’apport du bilan de compétences ?

1 « Le faux consensus sur l’emploi des seniors » Guillaume Huyez-Levrat, Centre d’études de l’emploi, rapport de recherche, 2008. 2Selon le rapport de l’Institut Montaigne sur l’emploi des jeunes et des seniors, paru en septembre 2010.

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La présente étude a été construite autour des témoignages de salariés âgés de 45 à 58 ans, ayant réalisé un bilan de compétences au BIOP3 au cours des deux dernières années. Avant de leur donner la parole, nous avons replacé la réforme des retraites et l’allongement de la durée de vie professionnelle dans un contexte international, en comparant la situation des salariés français expérimentés avec celle de leurs homologues d’autres pays. Nous avons également resitué leur problématique dans le contexte, plus global, des étapes de la vie et du questionnement que pose, généralement, l’entrée dans la maturité. Associé à des préoccupations économiques et sociales, le bilan de compétences inclut, presque toujours, une composante philosophique (quelle est ma place dans l’entreprise ?, ma posture professionnelle?) ; chez le senior, il implique, immanquablement, des interrogations métaphysiques plus prégnantes sur le sens à donner à son existence et sur la place – revisitée - qu’occupe la vie professionnelle dans son existence.

3 Centre d’orientation de la CCIP et Centre de Bilans de Compétences (certifié ISO et partenaire Qualité du Fongécif).

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I – LE TRAVAIL DES SENIORS.

1. CONTEXTE DE LA PROBLEMATIQUE.

A. Evolution de la problématique du travail des seniors.

« Le travail a été au centre de toutes les sociétés ; la nôtre est la première à suggérer qu’il pourrait être beaucoup plus qu’une punition ou une pénitence, et que nous devons chercher à travailler même en l’absence d’un impératif financier. Notre choix d’une profession est censé définir notre identité, au point que la question la plus insistante que nous posons aux gens dont nous faisons la connaissance ne porte pas sur leur origine ou leurs parents mais sur ce qu’ils font, l’idée étant que le chemin vers une existence dotée de sens doit invariablement passer par le portail d’un emploi satisfaisant et profitable. Il n’en a pas toujours été ainsi. Au IVè siècle avant notre ère, Aristote définissait une attitude qui allait durer plus de deux mille ans lorsqu’il parlait d’incompatibilité foncière entre la

satisfaction et un emploi rémunéré », Alain de Botton dans Splendeurs et misères du travail, Mercure de France, 2010.

Si la question de l’emploi des seniors interroge, depuis plusieurs années, les pouvoirs publics et les partenaires sociaux, les différentes actions mises en œuvre, manquant de détermination, n’ont pas produit de résultats satisfaisants. Malgré son apparente nouveauté, cette question du sous-emploi des seniors s’est déjà posée dans le passé, notamment après la Seconde Guerre Mondiale. En effet, pendant la période de Reconstruction qui marqua l’après-guerre, le gouvernement avait cherché à remobiliser une partie de la population plus âgée pour faire face aux besoins de l’économie nationale. Ce projet s’était heurté à la volonté des syndicats, et à celle du patronat qui trouvait l’âge de départ à la retraite (65 ans) trop tardif. Nous étions au milieu du XXè siècle, le pays devait reconstituer ses forces vives et amorçait la faste période du baby boom. Une nouvelle figure de la vieillesse émergeait : celle du retraité, que les grandes entreprises commençaient à promouvoir pour fidéliser leurs salariés.

Au début du 21è siècle, le paysage démographique a changé et tous les pays de l’OCDE sont confrontés au vieillissement de leur population. Pour affronter cette évolution, certains pays – scandinaves, anglo-saxons, notamment – ont maintenu l’emploi des plus de 60 ans avant de l’augmenter progressivement. D’autres – comme la France, l’Italie et la Belgique, par exemple, ont laissé l’emploi des seniors s’affaiblir, préférant y pallier par des indemnisations.

Alfred Sauvy, économiste, démographe et sociologue français, fervent défenseur, dans les années 1950 à 1970, d’une politique nataliste, voyait dans le vieillissement de la population un dépérissement de la société. Selon lui, le phénomène engendre toujours les mêmes conséquences, quelles que soient les époques et les civilisations. Il trouva l’un des premiers exemples de baisse de la natalité en remontant à la Grèce antique, au siècle de Périclès. Pour Alfred Sauvy, « une décadence culturelle et politique a

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suivi, inexorablement, le vieillissement, jusqu’à la chute finale ». Si le démographe associe étroitement, vieillissement de la population et déclin d’une nation, c’est aussi parce que, pour lui, le phénomène provoque, irrémédiablement, une baisse de la vitalité des jeunes, une sorte de vieillissement de la jeunesse. Bien sûr, on se souvient que dans les sociétés primitives la vieillesse pouvait, en raison de sa rareté, revêtir un caractère miraculeux, presque sacré, engendrant respect et protection des anciens. Certaines sociétés - asiatiques, orientales - continuent d’accorder à leurs aînés cette même considération solidaire. Mais, depuis près de trois mille ans, la beauté, la force et la jeunesse sont les valeurs de référence en occident.

Cependant, au cours des dernières décennies, l’image des seniors a fluctué en fonction des besoins économiques. Lorsque le tissu économique a besoin d’eux, les seniors deviennent des personnes dontl’expérience et la sagesse sont des atouts spécifiques reconnus et lorsque le marché de l’emploi se relâche, ils sont volontiers décrits comme des salariés démotivés, difficiles à mobiliser, et qu’il vaut mieux protéger en les excluant du monde de l’entreprise. C’est selon.

Dans les années 70, le sous-emploi a commencé à miner les pays européens. Avec une croissance moyenne de 2% depuis 35 ans, insuffisante pour contre balancer ou même amortir le vieillissement de la population et générer les emplois nécessaires à la production de richesses, les risques accrus de chômage ont été répartis sur les jeunes puis, sur les seniors. Les extrêmes servent ainsi de variables d’ajustement pour sauvegarder l’emploi du nouveau cœur de cible – les 28-48 ans - qui, en contrepartie d’une employabilité dynamique et d’une image valorisée, connaît une intensification des rythmes de travail et du stress. Ainsi, un salarié français produirait à l’heure 5% de plus qu’un Américain, mais aussi 13% de moins sur une année et 36% de moins sur l’ensemble de sa vie professionnelle. Normal, puisque, soulignent Serge Guérin et Gérard Fournier dans leur ouvrage sur « Le Management des seniors »4, « la France a réussi le double exploit de continuer à faire baisser la durée de travail et de raccourcir la période totale d’activité ».

B. Les causes de son acuité en France.

« En France, on a cru malin de réduire l’espérance de vie professionnelle à mesure que l’espérance de vie augmentait. Folie ! Le raisonnement était simple : pour réduire le chômage de la population en général, et des jeunes en particulier, il fallait sortir de l’emploi les plus âgés. L’ensemble des acteurs sociaux ont favorisé ce compromis : les employeurs voyaient là une façon commode de renouveler les compétences et de réduire les coûts salariaux », résume encore le sociologue Serge Guérin dans « Vive les vieux ! »5.

Si les seniors rencontrent des difficultés à se maintenir dans l’emploi – et surtout à y revenir lorsqu’ils en sont écartés, c’est aussi – très largement – parce que les entreprises avaient pris l’habitude, à partir du milieu des années 70, d’encourager le départ de ses salariés les plus âgés au travers des dispositifs

4 Eyrolles, Editions d’Organisation, 2005, 2009.

5 Edition Michalon, 2008.

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de préretraite. C’est après le premier choc pétrolier de 1973 que les entreprises ont commencé à changer leurs pratiques, évinçant les plus âgés en argumentant qu’il fallait « céder la place aux jeunes ». En ce sens, elles ne faisaient que suivre l’évolution des mœurs et des regards qui tendaient à associer prise d’âge et déclin, à affiner les critères de performance et de désirabilité sociale au filtre du jeunisme. Ce phénomène a contribué à créer, entre 1980 et 1998, quelque trente années de fastueuses préretraites que d’aucun appellent aujourd’hui « les trente désastreuses » tant leurs effets – et les habitudes qu’elles ont engendrées - s’avèrent délétères pour la société tout entière. L’arbitrage d’une réduction de la masse salariale s’est donc fait quasi systématiquement au détriment des anciens - par le mécanisme des retraites anticipées - sans que l’emploi des jeunes en soit pour autant dynamisé. Pire, commencer mais aussi finir sa vie professionnelle est devenu un tour de force. Il n’y a pas si longtemps, la cinquantaine arrivant, nombre de salariés songeaient à leur retraite, comptaient à rebours les quelques années les séparant de la sortie. Aujourd’hui, ces mêmes salariés se demandent comment durer encore une douzaine, voire une quinzaine d’années. Cette perplexité explique d’ailleurs, en partie, leur hostilité à l’égard de la réforme des retraites telle qu’elle a été présentée. Car les mœurs ont changé, et si les besoins financiers des seniors sont souvent moins prégnants - généralement ils sont propriétaires de leur logement et les enfants sont élevés - l’évolution des styles de vie peut donner lieu à des recompositions familiales. Il est de plus en plus fréquent que des seniors ne soient pas encore grands-parents mais parents de jeunes enfants, avec le souci d’assurer un avenir à cette nouvelle descendance. Souvent même, leurs aînés devenus de jeunes adultes sont encore au foyer parce qu’ils ne trouvent pas d’emploi stable ou que les loyers sont trop élevés. C’est ainsi que les seniors peuvent avoir besoin de ressources plus importantes qu’auparavant et de continuer à travailler plus longtemps. Or, le taux d’emploi des plus de 55 ans est, en France, l’un des plus bas de l’OCDE. En 2008, l’âge moyen de départ à la retraite était de 58,5 ans pour les Français et de 59,2 ans pour les Françaises, tandis que la moyenne des pays de l’OCDE s’établissait à 63,3 ans pour les hommes et 62 ans pour les femmes. Résultat, l’écart entre l’âge effectif de sortie du marché du travail et l’espérance de vie n’ayant cessé de s’accroître durant les vingt dernières années, pour atteindre près de 19 ans, les Français connaissent la période de retraite la plus longue de l’OCDE6.

Pour Serge Guérin, la politique de préretraite a eu trois conséquences majeures et néfastes - elle a renforcé le déséquilibre entre cotisants et pensionnés -, « elle a aggravé les représentations négatives de l’âge puisque l’on est désormais déclaré « vieux » pour l’entreprise dès quarante cinq ans ; enfin, elle a empêché de mettre en œuvre une politique de l’offre volontaire et innovante pour relancer la dynamique économique et donc l’emploi ».

L’allongement de la vie professionnelle est une conséquence directe de l’allongement de la durée de vie en général. L’espérance de vie en France est passée de 25 ans en 1750 à 80 ans en 2008. Elle a presque doublé en 100 ans, passant de 45 ans en 1900 à 79 ans en 2000.

Depuis le début des années 2000, et le premier volet de la réforme des retraites en 2003, c’est à un changement complet de paradigme que nous assistons. Le financement public des préretraites a été fortement réduit, entraînant mécaniquement une diminution du nombre de départs à la retraite

6 Source : OCDE et rapport de l’Institut Montaigne, aup. cité.

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anticipée ou les rendant plus coûteux. La pratique n’a toutefois pas cessé complètement dans les entreprises ayant les moyens de faire partir leurs seniors. Or, l’intérêt des entreprises commence à diverger de celui des salariés, poussés par la réforme et par leurs besoins personnels, à retarder leur départ à la retraite.

Aujourd’hui, la conjugaison d’une longévité croissante et d’une réduction de la durée de vie professionnelle crée une totale iniquité générationnelle puisque, entre 2003 et 2050, nous serons passés de 12 à près de 22 millions de retraités et de 53 à 91 retraités pour 100 cotisants7. Les chiffres l’attestent : le principe des retraites par répartition n’y survivra pas. Sa sauvegarde, socle de la solidarité intergénérationnelle, ne peut être garantie sans une relance durable de l’activité des plus de cinquante-cinq ans et une rentrée plus rapide des jeunes sur le marché du travail.

C. L’inemploi des seniors : une réalité

Le taux d’emploi des seniors est donc, en France, particulièrement faible : 38,3% contre 45,6% en moyenne dans l’Union européenne et plus de 70% en Suède8. Il est bien loin du seuil de 50% que fixait le traité de Lisbonne, à l’horizon 2010, pour les 55-64 ans. Et que l’Allemagne, elle, réussit à atteindre.

En 2008, 56,3% des actifs français, âgés de 55 à 59 ans, travaillaient, contre 59% dans l‘Union européenne. 16,3% des Français de plus de 60 ans travaillaient encore, contre 30% dans l‘Union européenne. Près d’un homme sur cinq et une femme sur dix, âgés de 55 à 59 ans, bénéficiaient de mesures de retraite anticipée. En France, le taux d’activité décroît très rapidement dès l’âge de 54 ans : alors que 85% des personnes sont actives à 53 ans, elles ne sont plus que 48% à 59 ans et 35% à 60 ans9. A 55 ans, les actifs sont encore nombreux parmi les employés administratifs et les cadres de la fonction publique, mais beaucoup moins dans certains métiers comme l’informatique ou la communication, par exemple.

Globalement, les chiffres commencent cependant à remonter, grâce aux femmes. Ainsi, le taux des seniors en activité a augmenté de 1.8 point, depuis 2003, du fait de l’arrivée, dans ces classes d’âge, de femmes actives plus nombreuses que par le passé et dont le taux d’emploi tend à progresser, tandis que celui des hommes continue de diminuer.

Le chômage des quinquagénaires français a ses caractéristiques propres : plus faible que celui de l’ensemble de la population, il fluctue moins avec la conjoncture que celui des jeunes. En revanche, leur situation se durcit lorsque les seniors quittent le marché du travail, leur plus grande difficulté consistant à y revenir, à moins qu’ils n’aient une compétence rare et bien spécifique. En effet, le tour de force, pour un senior, n'est pas tant de conserver son emploi que d’en retrouver un lorsqu’il l’a perdu : 57% des chômeurs de longue durée ont plus de 50 ans10. Revenir à un emploi salarié, ressemble souvent à une mission impossible au point que beaucoup préfèrent y renoncer. Ainsi, quelque 420 000 seniors (dont 300 000 chômeurs de plus de 56,5 ans) sont, à leur demande, dispensés

7 Insee 2006, « Projections de population active 2006-2050 ». 8 DARES, Tableau de bord trimestriel « Activité des seniors et politiques d’emploi », juin 2009. 9 Source : DARES, Enquête emploi des salariés, selon l’âge. 10 DARES. Enquête emploi des salariés, selon l’âge.

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de recherche d’emploi (DRE), une mesure dont le Parlement a voté, en 2008, la disparition progressive. Si certains acceptent cette situation, d’autres la vivent comme une défaite amère, au moment du bilan.

Depuis le début des années 1990, le maintien dans l’emploi des seniors a pris une tournure idéologique différente : face au vieillissement démographique et à la diminution des populations actives, une justification de nature démocratique et égalitaire a émergé pour dénoncer l’éviction des seniors comme une pratique discriminatoire. Une sorte de consensus a pu alors émerger pour garder les seniors au travail et aboutir, le 9 mars 2006, à la signature du Plan National d’Action Concerté pour l’emploi des seniors (PNAC). Puis, dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, le gouvernement a mis en œuvre plusieurs mesures destinées à concrétiser le PNAC. « Des mesures complémentaires en vue de renforcer l’emploi des seniors ont également été prises dans le cadre des lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2009. Les mises à la retraite d’office ont été supprimées à compter de 2009 et les conditions d’éligibilité à la dispense de recherche d’emploi ont été progressivement resserrées, en vue d’une suppression à horizon 2012. Les conditions de cumul emploi-retraite ont été assouplies pour les salariés de plus de 60 ans éligibles à la retraite à taux plein et pour ceux de plus 65 ans. Enfin, les entreprises de 50 salariés ou plus se sont vues dans l’obligation de signer, avant le début 2010, des accords d’entreprises ou de branches en faveur de l’emploi des seniors, » résume la DARES11.

Le critère d’âge dans l’organisation des parcours professionnels est devenu un paradoxe, tantôt atout, tantôt frein.

2. LES REPRESENTATIONS SOCIO-CULTURELLES.

A – L’évolution de la notion de « senior ».

Le Larousse définit le senior comme un adjectif et un nom (de l’anglais senior et du latin senior, plus âgé) : qui concerne les plus de cinquante ans, confirmés sur le plan professionnel ; se dit des concurrents qui ont dépassé l’âge limite des juniors (20 ans pour la plupart des fédérations sportives) et qui ne sont pas encore vétérans (moins de 45 ans en général).

Le mot « vieux » n’est plus guère utilisé que pour signifier la vétusté des choses. Aux personnes, on préfère adjoindre le mot senior qui désigne autant un jeune déjà vieux dans le métier qu’un déjà vieux encore jeune voire un vieux vraiment vieux. Dans sa glissade progressive, due au politiquement correct, le mot senior a fini par remplacer indifféremment vieux, âgé et expérimenté, vétuste ou ancien. Lorsqu’il est utilisé dans les offres d’emploi, le mot senior peut aussi bien désigner un consultant expérimenté de 28 ans qu’un professionnel à l’aurore de sa vie professionnelle. Dans le langage courant, il peut représenter une personne à l’aurore de sa vie tout court. La confusion sur le terme et sur son sens fonctionne comme un piège langagier puisque nous ne savons plus à quoi il fait référence : à l’âge, à l’expérience, à une catégorie sportive ? 60 années peuvent séparer un senior en

11 DARES. Emploi des seniors : pratiques d’entreprises et diffusion des politiques publiques. Septembre 2010.

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entreprise (consultant expérimenté, 30 ans, sur la courbe ascendante de son employabilité) d’une personne en fin de vie (Germaine, 90 ans, sur le déclin de son espérance de vie, pensionnaire dans une maison de retraite).

La plupart des salariés seniors reçus au BIOP, dans le cadre d’un bilan de compétences, ne se reconnaissent pas dans cette terminologie.

« Pour moi un senior est une personne de plus de 65 ans, à la retraite, et donc qui ne travaille plus », Florence, journaliste, 45 ans.

« Senior = carte vermeille », Jacques, comédien, 58 ans. « Dans les entreprises américaines, un senior c’est quelqu’un d’expérimenté. Dans cette acception-

là, je me reconnais, autrement, je ne me sens pas concernée par le mot senior». Fabienne, 54 ans, en phase de création d’entreprise.

L’utilisation, galvaudée, du mot senior marque bien la difficulté que nous rencontrons, aujourd’hui, à marquer les bornes de l’âge, la vieillesse devenant, de plus en plus, un construit social. En effet, le rapport au vieillissement diffère selon les personnes, les situations, l’état de santé. La sécurité sociale nous fait entrer dans la catégorie senior à partir de 60 ans, les études marketing à partir de 50 ans (la fameuse ménagère….) et l’entreprise dès … 45 ans, soit 25 années avant l’âge limite (70 ans) auquel un employeur peut désormais contraindre un salarié à prendre sa retraite12.

Les entretiens de milieu de carrière13 démarrent à 45 ans, le CDD senior14 prend place à 50 ans, tandis que les mesures pour le maintien dans l’emploi, fixées par le Plan National d’Action Concerté pour l’emploi des seniors 2006-201015, concernent les 55 ans et plus.

Le terme senior peut aussi ne jamais s’appliquer à certains individus, ceux qui ont toujours entretenu leur curiosité et ont gardé leur fraîcheur d’esprit, leur capacité d’ouverture, leur envie d’entreprendre alors qu’il convient à d’autres depuis longtemps…

« Le mot senior me fait drôle surtout pour moi ! Je fais plus jeune que mon âge. L’âge est une question d’énergie, d’état d’esprit ; c’est mental et pas seulement physique ! Je ne me sens donc pas concernée par le mot senior ». Fabienne, 54 ans, en phase de création d’entreprise.

12 En 2009, la loi de financement de la sécurité sociale a repoussé à 70 ans, contre 65 auparavant, l’âge à partir duquel un salarié peut être mis à la retraite d’office par son employeur.

13 Tout salarié, ayant au minimum 2 années d’ancienneté, a droit, à l’occasion de l’entretien professionnel qui suit son quarante-cinquième anniversaire à un entretien de deuxième partie de carrière avec son responsable hiérarchique. Cet entretien doit ensuite être renouvelé tous les 5 ans. (Accord national interprofessionnel du 9 mars 2006 sur l’emploi des seniors, étendu par arrêté ministériel du 12 juillet 2006).

14 Entré en vigueur en août 2006, ce CDD destiné aux personnes de plus de 57 ans à la recherche d’un emploi depuis plus de 3 mois, ou bénéficiaires d’une convention de reclassement personnalisée, avait pour ambition de leur faciliter l’accès au travail et de compléter leurs droits pour qu’ils puissent bénéficier d’une retraite à taux plein.

15 http://www.travail-solidarite.gouv.fr/ses-actions,277/plan-national-d-action-concerte,542/plan-national-d-action-concerte,3428.html

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Au XIXème siècle, atteindre l’âge de 50 ans était une chance, mieux, un miracle, et au début du XXème

siècle une personne de 50 ans se sentait vieille ; à cet âge, bien souvent, « la messe était dite ». Ainsi, notre époque, sous l’effet du jeunisme ambiant, oublie souvent que vieillir est un privilège, un processus qui pourrait ne pas être et qui, en tout état de cause, prouve que l’on est encore en vie. Aujourd’hui, la cinquantaine représente, pour beaucoup, une tentation : celle d’un nouveau départ (nouvelle famille, nouvelle carrière, nouveaux loisirs,…). Pris entre la raison, l’introspection et l’envie de rajeunir, les cinquantenaires se retrouvent sans repères puisque aucune génération avant eux n’a connu ce privilège de porter beau le demi-siècle.

Le cinquantenaire, le quinqua est donc une somme de paradoxes, l’incarnation des nombreuses contradictions de notre société. Encore jeune dans la vie, il est déjà vieux pour l’entreprise. Hier encore, il devait anticiper sa sortie, et tout convergeait pour qu’il se sente dépassé. Demain, pourtant vieux, il devra rester jeune en s’attachant à durer, coûte que coûte pour comptabiliser tous ses trimestres. Et aujourd’hui ? Aujourd’hui comme hier, finalement, l’âge ne dépend plus tout à fait du nombre des années, mais des nécessités économiques : les siennes comme celles de la nation. Il doit rester jeune pour générer des richesses et demeurer dans la course, mais aussi partager le travail qui s’amenuise. Il n’est pas facile de durer sans savoir comment, ni pourquoi.

« Dans un monde où tout est lié à l’apparence, la confiance acquise par l’expérience peut s’évanouir. Ce doit être dur de s’entendre dire : à votre âge, on ne vous embauchera pas ! » Isabelle, 50 ans, en recherche d’emploi.

B - Les freins à l’emploi des seniors.

Un a priori négatif. L’emploi des seniors se heurte aux stéréotypes attachés à l’âge : moindre productivité, salaire élevé. Les à priori ont la vie dure et les seniors restent souvent, dans les esprits, une population fragilisée, posant problème. Usée ou désabusée, en tous les cas vulnérable car plus sensible à l’environnement de travail (contraintes, technologies, changements), elle nécessiterait une attention particulière, une gestion délicate, tout en étant chère et moins réactive. En clair, le rapport coût/productivité jouerait en sa défaveur. En réalité, plusieurs sondages témoignent que « le senior » est plutôt considéré, par de nombreux DRH, comme un collaborateur avisé, aguerri, fiable et sécurisant, dont l’expérience doit être recherchée et valorisée. Différentes études consacrées à l’impact de l’âge sur l’efficacité du travail démontrent également que les seniors sont particulièrement appréciés pour leurs compétences spécifiques, leurs connaissances du monde du travail, leur conscience professionnelle et leur moindre coût en matière de formation.

« Ma contribution reconnue dans l’entreprise est la fiabilité et l’apaisement. Ces apports sont venus avec le temps. Plus jeune, je partais dans tous les sens ». Patricia, 45 ans, assistante de direction bilingue.

Une moindre efficacité/productivité. Toutefois, il est vraisemblable qu’une plus faible mobilité, une moindre adaptation au changement (surtout lorsqu’il s’est déjà imposé à moult reprises avant d’être

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aussi vite remis en question) et aux nouvelles technologies (Minni et Topiol16, 2004, Aubert, Caroli et Roger, 200417), ainsi que des problèmes de santé limitant plus fréquemment leurs capacités de travail, contribuent à réduire l’efficacité des seniors (Amar et Amira, 2003), rapporte Pierre Cahuc du Cercle des économistes18.En France, Aubert et Crépon (2004) ont démontré que la productivité croît jusqu’à 40 ans pour se stabiliser ensuite et décroître légèrement, juste avant le départ à la retraite. Après 55 ans, le rapport productivité/salaire semble diminuer, sans que cela soit significatif ou pénalisant pour l’entreprise. Aux Etats-Unis, les études d’Hellerstein et Neumark (2004) indiquent que la productivité des seniors nord-Américains diminue légèrement et seulement à partir de 55 ans.

Maintenir en emploi les seniors implique donc de s’intéresser à leur employabilité au travers de trois questions concrètes ayant trait à :

- leur santé : sont-ils en bonne condition pour se maintenir au travail ? - leurs compétences : sont-ils aptes à satisfaire aux exigences de leur poste, de leur entreprise ? - leur engagement : ont-ils un travail suscitant en eux suffisamment d’envie, d’intérêt, sur le plan

du contenu, des relations, de la rémunération ? L’emploi des seniors repose bel et bien sur une réalité humaine tangible.

Des salaires (trop) élevés. Si aucune étude n’a réellement démontré que les seniors sont moins productifs que les plus jeunes, en revanche, on sait mesurer qu’ils sont plus chers. Le système à l’ancienneté qui, longtemps, a prévalu en France, a fortement contribué à renchérir le coût du travail des seniors. Selon l’INSEE19, le salaire annuel net moyen des cadres de plus de 50 ans est de 75 000 euros, avec une nette accélération après 55 ans, contre 57 200 euros pour leurs cadets âgés de 30 à 39 ans. Remplacer les seconds par les premiers – si tant est que cela soit possible - peut donc générer un bénéfice comptable immédiat. Dans bien des situations, le coût des salariés plus âgés constitue un frein réel à leur embauche. En revanche, il n’en est pas un dans leur maintien dans l’emploi qu’ils occupent déjà puisque le niveau de salaire des seniors reflète, en partie, une productivité supérieure due à des compétences plus importantes. Plus ce salaire est élevé, plus les seniors sont productifs, et plus grande est leur participation : c’est l’effet « qualité du travail ». D’ailleurs, dans les pays de l’OCDE, l’avantage salarial des aînés n’est pas synonyme d’un moindre poids dans l’emploi total. C’est également vrai en France où les secteurs employant des seniors à revenus élevés ne sont pas ceux qui en emploient le moins. Dès lors qu’il peut être corrélé à une valeur ajoutée importante, un salaire élevé ne nuit pas systématiquement à l’emploi. Pour preuve, les 50-54 ans sont nombreux dans les métiers de l’énergie, de l’éducation ou de la santé, bien que le salaire relatif de cette classe d’âge y soit important. À l’inverse, les quinquagénaires se font rares dans l’hôtellerie-restauration le salaire des seniors étant relativement faible, en comparaison de

16 Minni, C., Topiol, A. (2004). Les entreprises face au vieillissement de leurs effectifs. Économie et statistique, n°368, 43-63. http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/es368c.pdf17 Travailleurs âgés, nouvelles technologies et changements organisationnels. 18 http://lecercledeseconomistes.asso.fr/IMG/pdf/220_session_6_Cahuc_fr.pdf 19 « Les salaires en France », 2010.

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celui des plus jeunes, ce qui peut expliquer, en partie, la difficulté du secteur à recruter et son fort turn over.

C - Une discrimination « culturelle ».

On le sait, les préjugés peuvent conduire à la discrimination. En France, les seniors ne représentent que 5 à 7% des recrutements externes, les entreprises étant réticentes à embaucher des salariés matures quand elles en emploient déjà une certaine proportion ou quand elles se sont séparées de certains d’entre eux. Pourtant, embaucher des seniors permet d’insuffler du sang neuf au même titre qu’embaucher des jeunes, en même temps qu’il constitue un investissement rassurant puisque les seniors sont plus fidèles que leurs cadets. Il n’empêche, les entreprises préfèrent renforcer le bas de leur pyramide. Cette démarche leur revient moins chère et leur donne le sentiment d’investir sur l’avenir.

« La place des seniors, dans l’entreprise, n’est pas terrible et leur image n’est pas excellente. J’y vois plusieurs raisons : ils sont chers et, en cas de restructuration, on les met sur la touche pour embaucher des plus jeunes », Gilles, 54 ans, organisateur de salons.

« Les seniors ont l’impression de ne pas avoir de futur alors qu’on leur dit qu’ils en ont un du fait de l’allongement des carrières. Ils ont besoin qu’on leur offre un avenir. On entend parler d’axes de réflexion mais on ne voit rien au-delà des discours et lorsqu’un poste est vacant, il est proposé à un jeune ». Frédérique, 54 ans, chef de projet système informatique.

Les expériences de CV anonymes montrent que ne pas mentionner leur âge aide les seniors à atteindre la phase d’entretien. Selon une étude, menée en 2008 par la Communauté européenne, 46% des Français estimaient que la discrimination liée à l’âge était importante dans leur cas. Leur sentiment est corroboré par une étude d’Adia-Observatoire des discriminations, concluant qu’un candidat de 48-50 ans recevra trois fois moins de réponses positives à une offre d’emploi qu’un autre, âgé de 28-30 ans.

« J’ai fini par supprimer l’âge de mon CV. Pourtant, dès lors qu’il y a eu adéquation entre un poste et mon profil, je n’ai pas rencontré de problème d’âge. J’ai trouvé mon nouveau poste par le réseau et il est vrai que, dans ce cas, on parle projets, on parle compétences. Avec les cabinets de recrutements, pour lesquels ce critère est essentiel, mon âge devenait un obstacle ». Gilles, 54 ans, commissaire général d’expositions et de salons professionnels depuis 20 ans.

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3. LA MISE EN PLACE DES POLITIQUES PUBLIQUES.

A. Les mesures prises à l’étranger. Exemples de la Suède, de la Finlande et du Japon.

Pourquoi des pays comme la France et la Belgique, rencontrant les mêmes problèmes que la Suède, l’Irlande, les Etats-Unis ou le Japon, ont-ils pris des mesures à l’inverse de ces pays ? Anne-Marie Guillemard, auteure de « L’âge de l’emploi »20, explique bien comment, au milieu des années 90, tandis que le problème du vieillissement commençait à montrer toute son acuité, deux groupes, issus de deux approches culturelles différentes, voire opposées, ont émergé. Dans le premier groupe se trouvent la France, l’Allemagne et la Belgique. Les politiques y favorisent une sortie précoce des salariés âgés au nom d’un principe de justice et de droit au repos. Dans le deuxième groupe, évoluent les pays scandinaves et le Japon, notamment. Ces pays valorisent une culture du « vieillissement actif », défendent l’idée que participer au marché du travail peut être un élément de bien-être collectif et individuel. Avec un tel état d’esprit, le droit au travail prime sur le droit au repos. Résultat, en Suède, 70% des 55-64 ans sont actifs et 67% au Japon21.

C’est en Suède, où le travail est un droit à tout âge, qu’est née l’idée, dans les années 30, d’une politique active du marché du travail. Mise en place dans les années 50, cette politique, déclinée en actions, représentera même, dans les années 90, les 2/3 des dépenses publiques. Se situant résolument à l’opposé des politiques de dépenses passives (indemnisations) menées en France, elle repoussera l’âge légal de la retraite à 67 ans. En 2 000, l’âge de la retraite a même été supprimé en Suède et la réforme du système incite à travailler jusqu’à 65 ou 67 ans, s’arrêter avant 61 ans réduisant sérieusement le montant de sa pension. Mais ce droit au travail engendre aussi l’obligation d’entretenir, par la formation, ses capacités de travail. C’est une autre relation au travail, et à la formation tout au long de la vie professionnelle, que génère, puis entretient, le concept de droit au travail22.

En Finlande, où règne « une politique active globale de la gestion des âges en emploi », des mesures ont été prises, qui rendent attractives, pour les entreprises, l’emploi des seniors autant que la prolongation de la vie professionnelle pour les salariés plus âgés. Les graves pénuries de main d’œuvre, dues à une immigration quasi inexistante, ont incité les seniors à rester en poste. Le slogan « l’expérience est une richesse nationale » a montré la voie à suivre.

Au Japon, pays où sont apparues des formes sévères d’addiction au travail susceptibles d’engendrer un syndrome d’épuisement professionnel (karoshi en japonais, burnout en américain), les politiques publiques envoient, depuis les années 60, des messages clairs sur le « devoir d’activité » et « le devoir d’emploi ». Elles sont centrées sur l’accès à l’emploi et le maintien sur le marché du travail, non sur les indemnisations.

20 Armand Colin, 2003. 21 Source : Eurostat. 22 Voir Commission Européenne, 2003, « Coûts et bénéfices de la diversité », Luxembourg, Office des Publications Officielles des Communautés Européennes.

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Lorsqu’un âge limite d’activité dans l’entreprise a été fixé – en l’occurrence 55 ans - le modèle japonais d’emploi à vie a pris fin. Depuis lors, parvenir à cet âge met, de façon tacite, un terme au contrat d’emploi à vie passé avec l’entreprise, sans que, pour autant, le salarié puisse déclencher ses droits à une pension de retraite publique. Pour y prétendre, il devra attendre 60 ans et même, à partir de 2013, patienter jusqu’à 65 ans. Dans l’intervalle, les salariés prolongent leur activité sous différentes formes : réemploi en interne, CDD, etc. Le cumul-emploi retraite est une pratique courante au Japon depuis des décennies, le travail restant, dans ce pays, le plus puissant des facteurs d’intégration sociale. Contrairement aux Français, les Japonais sont une majorité à déclarer souhaiter poursuivre une activité professionnelle jusqu’à 65 ans.

B. Les mesures prises en France.

En France, la Loi n°2003-775 du 21 août 2003 de réforme des retraites a inauguré une série de mesures visant à prolonger la durée d’activité. Pour (re)donner aux plus de 50 ans une place dans l’entreprise, un Accord National Interprofessionnel (l’ANI) a été conclu, le 13 octobre 2005, par les organismes patronaux, (Medef, CGPME, UPA) ainsi que par trois confédérations syndicales sur cinq (CFDT, CFTC, CFE-CGC), dans le but de promouvoir leur maintien et d’organiser leur retour à l’emploi. En juin 2006, un Plan National d’Action Concerté pour l’emploi des seniors 2006-2010 a été présenté par le gouvernement de Dominique de Villepin.

En réalité, c’est l’Europe qui, sur la politique d’emploi des seniors, a joué en France un rôle majeur. En 2001, le Conseil Européen de Stockholm fixait à ses membres l’objectif d’atteindre, en 2010, un taux d’emploi de 55% pour les 55-64 ans. A l’issue de ce Conseil, les états membres se sont attachés à trouver des solutions : amélioration des conditions de travail (Finlande, Suède, Danemark, Pays-Bas), accentuation de la flexibilité du marché du travail et incitations financières, (Royaume-Uni). La France, elle, déclinait ses plans et ses accords. Dans l’ensemble, les pays de l’Union européenne sont encore loin d’avoir atteint l’objectif fixé. En 2008, le taux d’emploi des 55-64 ans était de 45,6% dans l’Europe des 27 et de 38,2% seulement en France23.

Devant la minceur des résultats obtenus, et la menace que représente le financement déficitaire des retraites, le gouvernement de Nicolas Sarkozy a décidé, en 2008, de faire de l’emploi des seniors l’une de ses priorités, renforçant les mesures pour obtenir, à tout prix, un meilleur taux d’emploi des plus âgés. C’est ainsi que la Loi n°2008-13 de financement de la sécurité sociale votée en 2009, édicte de nouvelles règles pour tout à la fois contraindre et inciter les entreprises à recruter ou à maintenir leurs seniors dans l’emploi. Ces mesures oscillent entre obligation, limitation et interdiction.

23 Source : Eurostat.

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Les contraintes sont de trois ordres :

- obligation, pour toutes les entreprises de plus de 50 salariés, de conclure un accord ou un plan d’action en faveur de l’emploi des seniors, sous peine d’amende, et ce, à compter du 1 er janvier2010 ;

- interdiction de discriminer l’âge en matière d’embauche ou de licenciement ; - limitation de la possibilité de sortir des effectifs des salariés plus âgés avec suppression de la

possibilité d’une mise à la retraite avant 65 ans, mais aussi limitation des dispositifs de pré-retraite, renforcement des déclarations obligatoires afférentes aux sorties des salariés âgés, suppression du rachat de trimestres qui permettait de bénéficier d’une retraite anticipée pour longue carrière. Dorénavant, les trimestres rachetés au titre des périodes d’études supérieures ou des années d’activité incomplète, ne sont plus pris en compte pour apprécier si la personne remplit les conditions requises pour bénéficier d’une « retraite anticipée pour longue carrière ».

Les incitations ont deux objectifs :

1. Favoriser le retour à l’emploi des salariés âgés par la mise en place d’un CDD senior, par un accompagnement « renforcé » de Pôle Emploi et par l’augmentation progressive de l’âge auquel un chômeur peut obtenir une dispense de recherche d’emploi. Bien qu’il ne leur soit pas spécifiquement destiné, le Contrat Initiative Emploi (CIE) mis en place a prouvé son efficacité pour favoriser le retour à l’emploi des salariés âgés. En exonérant les entreprises des cotisations sociales de façon pérenne (jusqu’à la retraite des seniors embauchés), le CIE favorise concrètement, depuis dix ans, l’embauche, en CDI, de salariés expérimentés. A l’entrée dans le dispositif, 84 % des seniors ont été embauchés en CDI (67% seulement des moins de 50 ans le sont), sachant que 85% de ces bénéficiaires n’avaient jamais reçu la moindre proposition d’embauche avant de signer un Contrat Initiative Emploi24.

2. Inciter à conserver une activité professionnelle au-delà de 60 ans, en favorisant le cumul emploi retraite, en augmentant progressivement le nombre de trimestres requis pour bénéficier d’une retraite à taux plein, en maintenant la retraite progressive partielle,… L’objectif de maintien dans l’emploi s’applique aux salariés de 55 ans et plus. L’objectif de recrutement s’adresse aux 50 ans et plus.

Dans leur obligation de conclure un accord ou un plan d’action pour favoriser le recrutement ou le maintien dans l’emploi des seniors, les entreprises doivent prendre au moins trois initiatives parmi les six champs suivants :

1. Recrutement des salariés âgés (pour diminuer le risque de discrimination).

2. Anticipation de l’évolution des carrières professionnelles avec, notamment, la mise en place obligatoire d’un entretien de seconde partie de carrière (voir page 31) pour les salariés dès leur quarante-cinquième anniversaire.

24 Voir l’analyse qui en est faite dans « L’emploi des salariés âgés : d’une obligation à un management durable des Ressources Humaines ? » - MBA Management des Ressources Humaines – Université Paris Dauphine.

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3. Amélioration des conditions de travail et prévention des conditions de pénibilité.

4. Développement des compétences et des qualifications ainsi que l’accès à la formation.

5. Aménagement des fins de carrière et de la transition entre activité et retraite. Il peut s’agir, ici, d’aider les salariés à orienter leur fin de carrière vers des postes de consultants internes ou externes (cumul emploi retraite).

6. Transmission des savoirs et des compétences ; développement du tutorat.

Sur chacun des trois domaines d’actions retenus, l’entreprise doit fixer elle-même des objectifs chiffrés, ainsi que des indicateurs permettant de mesurer les résultats obtenus. Si, ensuite, elle décide de s’engager dans les autres domaines d’actions, elle n’est soumise à aucune exigence de définition, d’objectifs ou d’indicateurs de suivi.

Les modalités de suivi des mesures sont différentes selon que l’entreprise a signé un accord ou un plan d’action. En présence d’un accord, elle est libre de déterminer ces modalités. En présence d’un plan d’action, les indicateurs doivent faire l’objet d’une communication annuelle au Comité d’entreprise ou à défaut, aux délégués du personnel.

Les pénalités encourues sont également clairement définies. Toute entreprise de plus de 50 salariés ou appartenant à un groupe de plus de 50 salariés, qui, au 1 er janvier 2010, n’aurait pas conclu un accord ou un plan d’action conforme aux exigences légales sera sanctionnée par une pénalité égale à 1% des rémunérations brutes soumises à cotisations de sécurité sociale. Cette pénalité sanctionne l’absence d’accord ou de plan d’action mais pas la non-atteinte des objectifs fixés et ne constitue, pour le moment, qu’une obligation de moyens.

Pour accompagner les entreprises, le projet de loi portant sur la réforme des retraites prévoit qu’une aide financière sera accordée à tous les employeurs (contrairement à l’aide à l’embauche TPE, cette mesure ne sera subordonnée à aucune condition d’effectif) embauchant en contrat à durée indéterminée (CDI) ou en contrat à durée déterminée (CDD) de plus de 6 mois, un chômeur de plus de 55 ans. En pratique, cette aide sera versée pendant un an et s’élèvera à 14 % du salaire brut retenu dans la limite du plafond de la sécurité sociale. L'ensemble des mesures de la réforme des retraites proposée par Eric Woerth vise à tenter de remettre les régimes de retraites à l'équilibre en 2018. Mais il faudra que l’ensemble des éléments de conjoncture retenus dans ce scénario (retour au plein emploi à l'horizon 2024, taux de chômage de 4,5 % cette même année et croissance de la productivité du travail de 1,5 %) se confirme.

C. L’implication des entreprises.

Le Livre Blanc de Bearing Point25, société de conseil en management et technologies, met en lumière la contribution que les entreprises sont prêtes à apporter pour maintenir les seniors en emploi. Si 56% déclarent mettre en place des actions de gestion en faveur des seniors, en réaction à la contrainte

25 « Panorama RH Les seniors au travail : quelle gestion pour quel emploi ? », mars 2010.

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réglementaire, peu se sentent réellement engagées sur la question du recrutement, une minorité - 37% seulement - prévoyant des actions spécifiques en la matière. « Les entreprises doivent passer d’une gestion de la population senior, en tant que population potentiellement discriminée, à une véritable intégration de la gestion des âges dans tous les processus et à tous les niveaux de l’entreprise, mais aussi anticiper les évolutions à venir en termes de GPEC », conclut l’étude de Bearing Point. Or, le réflexe des partenaires sociaux, consistant à recourir à des mesures d’âges en cas de plan social, reste bien ancré. Le nombre de licenciements pour motif personnel est particulièrement sensible parmi les quinquagénaires. Et si le système de préretraites a été abandonné, il est constaté (Délibération Halden du 9 mai 2006) une réelle augmentation des arrêts pour maladie de longue durée chez les plus de 50 ans ainsi que des licenciements pour inaptitude et invalidité.

En définitive, c’est bien une démarche globale de GPEC qui permettra aux entreprises de formaliser ses besoins en termes de postes et de déterminer lesquels pourront être occupés par des seniors, conformément à leur expérience, à leurs capacités et à leurs compétences.

« Dans un même entretien, on m’a reproché d’être trop spécialisée, trop généraliste, trop payée mais aussi pas assez payée pour un poste trop élevé pour moi. Tout cela pour ne pas me dire que l’on préférait prendre un jeune moins cher et sur lequel l’entreprise pouvait faire une projection de carrière ». Frédérique, 54 ans, chef de projet système informatique.

Ainsi que le résument Serge Guérin et Gérard Fournier 26 : « il ne s’agit pas d’employer des seniors pour employer des seniors et, en contrepartie, de toucher des subventions, mais d’impliquer la dimension senior dans un projet d’entreprise ». Or, ce qui manque le plus aujourd’hui, dans les entreprises, c’est une vision claire, une volonté ferme, une stratégie de gestion respectueuse des âges. Ainsi, et après avoir dû gérer, dans l’urgence, une problématique de gestion du vieillissement, les entreprises se retrouvent confrontées à la question, bien plus vaste, de la cohésion culturelle et professionnelle qu’engendre le déséquilibre générationnel.

26 Dans « Le management des seniors ».

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QUELQUES EXEMPLES DE BONNES PRATIQUES

Certaines (grandes) entreprises ont développé des expériences concrètes que rapportent les deux audits « seniors » réalisés en 2009 et 2010 par Vigeo, agence européenne spécialisée dans la mesure de la responsabilité sociale. 34 PME et 11 grandes entreprises ont été auditées. Chacune a décidé de porter ses efforts sur des activités spécifiques.

Entreprise en forte croissance dans le domaine des services à la personne, O2, par exemple, a décidé de pourvoir ses besoins importants en matière de recrutement en attirant des candidats de tous âges. Pour ce faire, elle a décliné une politique nationale de communication par typologie de candidats, en retenant pour critères principaux la motivation, les compétences et les aptitudes.

Le groupe Aréva, lui, a choisi d’installer, en 2008, un réseau de « Référents carrière » destiné à prodiguer des conseils à ses collaborateurs seniors. Dans le cadre d’un programme d’action, constitué d’un entretien de carrière et d’un entretien d’expérience, les référents accompagnent les seniors dans leur réflexion, les aident à définir un plan d’action concerté avec le management et les RH.

Depuis 2003, Axa France, a mis en place une équipe de 35 collaborateurs (moyenne d’âge 47 ans) recrutés en interne pour réaliser des missions temporaires dans l’entreprise. Ces collaborateurs sont accompagnés dans la durée : un plan individuel de formation (12 jours de formation par an pendant 3 ans) est destiné à renforcer leurs compétences. Par cet accord collectif sur le développement de la seconde partie de carrière, Axa France cherche à valoriser l’expertise de ses seniors et à favoriser leur mobilité.

Afin de marquer une véritable rupture avec la culture interne de départs anticipés à la retraite et de prévoir l’allongement de la durée des carrières professionnelles, EADS a passé un accord Groupe sur le développement de la deuxième partie de carrière. Il concerne l’ensemble de ses salariés de plus de 50 ans.

La Poste, elle, a lancé, en 2007, auprès de tous les établissements de la Direction du Courrier, son programme « Facteurs d’avenir », dont l’objectif est de maintenir dans l’emploi des personnels se trouvant en situation de restrictions d’aptitudes définitives ou temporaires, déclarées par le Médecin du travail.

Le groupe Vinci, quant à lui, a préféré accompagner les fins de carrière en initiant, en 2005, son programme Trans’faire, consistant à ajuster la pénibilité des tâches et à favoriser le transfert des compétences entre générations.

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D. Premiers enseignements.

1 - Un dispositif senior doit s’insérer dans une politique globale. Les différentes initiatives mentionnées plus haut, louables, certes, mais souvent contraintes, apportent plusieurs enseignements. Pour avoir une chance d’aboutir, elles doivent commencer par déconstruire une « culture de la préretraite » encore bien présente et qui constitue, depuis longtemps déjà, un réflexe renforcé en période de crise économique. Elles doivent ensuite promouvoir la valeur de l’expérience dans un pays qui a plutôt tendance à se référer à la qualité des diplômes obtenus en formation initiale et présentés à l’entrée de la vie professionnelle. Dans cet esprit, il leur faut mieux prendre en compte le savoir-faire technique des salariés, et les aider à traduire, en termes de compétences, ce qui est communément appelé l’expérience.

Enfin, il apparaît qu’une bonne politique senior - permettant le maintien dans l’emploi et la non discrimination en matière de recrutement - est, d’abord, et surtout, une politique globale de ressources humaines. Une politique senior réfléchie n’est pas une série de mesures circonstancielles ; elle inclut une GPEC (Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences) digne de ce nom, et pour l’ensemble de sa pyramide d’âge. Respectueuse du temps, respectueuse des aînés et de l’amplitude de leur contribution, une telle politique est très éloignée d’une gestion strictement comptable, enfermée dans des tableaux de bord. Pourquoi d’autres pays réussiraient-ils mieux que la France ?

2 - Les seniors représentent un capital humain négligé. Ainsi que le soulignent les différents accords nationaux interprofessionnels sur la formation, le développement des compétences et l’accès à la formation, ne doivent pas être réservés aux plus jeunes et s’arrêter vers 45 ans, comme cela se produit souvent. Dans un contexte de connaissances et d’échanges mondialisés, tout préside, au contraire, au développement de « l’entreprise du capital humain ».

La notion de capital humain est apparue avec la publication de l'ouvrage, « Investment in man : an economist's view », de l'économiste Américain Théodore W. Schultz (prix Nobel 1979). Ce concept sera développé ensuite par un autre économiste, Gary Becker, de l'école de Chicago, et qui publia, en 1975, Human capital. Il obtint à son tour, en 1992, le prix Nobel pour ses travaux sur le sujet.

Le capital humain d'un individu se définit par « l'ensemble des expériences, connaissances, qualifications qu'il a acquises depuis sa naissance et qui le rendent plus ou moins capable de produire des satisfactions avec un ensemble donné de biens et de services ». Appliqué à l’individu, le « capital » s’assimile à un stock immatériel, pouvant s'accumuler mais aussi s'user, et qui doit donc s'entretenir. Il s'agit d'un choix individuel, un investissement personnel, en temps ou en moyens financiers, qui peut être encouragé ou facilité par l'Etat ou par l'entreprise.

Ce capital humain peut se développer par l'intermédiaire des études (la « formation générale »), par l'expérience acquise dans l'exercice d'un métier ou par le biais de formations.

La du considère que l'éducation augmente la productivité de celui qui en bénéficie : les dépenses en éducation et en formation sont alors assimilées à un investissement, du même ordre que les investissements dans le capital matériel, physique (construction d'usines ou achat

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de machines, par exemple) effectuées par les entreprises. On évalue ce type d'investissement de la même façon que les autres, c'est-à-dire en calculant la différence entre le coût direct (prix de la formation) et le rendement de son investissement (un poste et un salaire plus élevés).

Le concept s’appuie sur le constat qu’en consacrant du temps et en dépensant de l'argent pour se former, l’individu raisonne exactement comme le ferait un investisseur attentif au coût, à l'opportunité et au taux de rentabilité de son placement. Le capital humain est bien une source de plus-value pour l’individu, de la même façon que le capital physique peut l’être pour une entreprise. Ainsi, la théorie du capital humain a démontré, au travers de nombreux travaux de recherche, qu’au-delà des bénéfices individuels, le capital humain est l’un des principaux facteurs de croissance pour les entreprises et les nations qui le promeuvent. C’est d’ailleurs la politique que mènent de nombreux pays émergents en positionnant l’éducation tout au long de la vie comme une priorité nationale. Que dire alors d’un état qui n’investit plus dans ses seniors ? Et que penser d’une entreprise qui fait la sourde oreille aux besoins de ses collaborateurs expérimentés et les néglige dans ses plans de formation ? Quel avenir s’offrent-ils en négligeant ainsi leur richesse intrinsèque ?

3 - Un déficit de formation préjudiciable et discriminatoire. Se former tout au long de la vie est devenu un impératif pour maintenir son employabilité. Dans un monde où les technologies évoluent vite et où les seniors peuvent parfois être taxés d’être dépassés, il est devenu prioritaire de faciliter l’actualisation de leurs connaissances. Or, selon la DARES (Direction de l’Animation de la Recherche, des Etudes et des Statistiques), un phénomène inverse se produit : à partir de 45 ans, l’accès à la formation continue se réduit considérablement, jusqu’à n’être plus qu’une peau de chagrin après 55 ans et ce, quel que soit le niveau de qualification des personnes. Les chômeurs connaissent cette même érosion : selon l’INSEE et la DARES, le taux d’accès à la formation des demandeurs d’emploi de plus de 45 ans ne serait que de 4% !

« A 45 ans, on sait bien faire son travail et l’entourage professionnel n’a pas nécessairement envie de nous voir faire autre chose. Ainsi, ma hiérarchie a refusé mes deux demandes de formation sur mon cœur de métier au motif que je connais bien mon travail et que je n’en avais donc pas besoin. Même le bilan de compétences avait été mal perçu. J’avais pourtant expliqué que si c’était bon pour moi, c’était bon pour l’entreprise. Un senior sait des choses, mais il ne sait pas tout ; il lui est profitable de continuer d’apprendre jusqu’au bout. Le besoin du senior est évident : c’est la formation. ». Patricia, 45 ans, assistante de direction bilingue.

Ainsi, toute une génération de seniors n’aura pas ou que très peu bénéficié de formation professionnelle continue, ce qui ne fait qu’accroître son déficit « éducationnel » avec les nouvelles générations. On sait en effet que les entreprises peuvent comparer le niveau de formation initiale des candidats seniors à celui, plus élevé, des jeunes. En France, où le décalage de formation entre générations est plus marqué que dans bien d’autres pays, et où perdure le culte du diplôme, un salarié sorti des bancs de l’université depuis plus de 30 ans peut encore être écarté au motif qu’il n’a pas fait LA grande école dont sont issus les cadres dirigeants de l’entreprise. Le programme Part’@ge, conduit par le Lepii - Laboratoire d’Economie de la Production et de l’Intégration Internationale - de juin 2002 à juin 2007, dans le cadre du programme Equal sur les

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discriminations liées à l’âge27 a bien mis en évidence que moins on a bénéficié de formation durant sa vie professionnelle, moins on se sent capable d’apprendre et de transmettre son savoir et plus on se sent inutile.

Pour assurer une fin de carrière motivante – ou plutôt une troisième partie de carrière - aux actifs entamant le dernier tiers de leur vie professionnelle, il est vital de leur assurer – comme cela se fait dans les pays nordiques – un droit à la formation répondant à leurs besoins et à ceux de l’entreprise.

27 Il s’inscrit dans la perspective du développement de la formation tout au long de la vie et bénéficie du soutien du Fonds Social Européen (FSE) et de la stratégie européenne pour l’emploi.

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IIème PARTIE. MAIS QUI SONT DONC LES SENIORS ?

« Tout le monde veut vivre plus longtemps, mais personne ne veut devenir vieux ».

Jonathan Swift, écrivain Irlandais (1667- 1745).

1 - ETRE UN SALARIE SENIOR AUJOURD’HUI.

A. L’évolution de la notion de « senior ». Ce que nous disent nos clients.

Les seniors d’aujourd’hui, qui sont issus de la génération du baby-boom (années 1945-1964) ont un style de vie très différent de celui de leurs parents. Les plus dotés d’entre eux bénéficient des trois ingrédients idéaux : pouvoir d’achat, santé et temps disponible. Si certains quinquas ont la tentation du repli professionnel, la plupart se sentent physiquement et psychologiquement comme plus jeunes que leur âge, au point qu’ils peuvent vivre leur cinquantaine comme un nouveau départ. Les seniors revendiquent souvent l’idée que l’âge est d’abord un état d’esprit et beaucoup ont l’impression d’avoir atteint le demi-siècle un peu par inadvertance.

Décennie particulièrement déroutante, la cinquantaine peut se montrer faste et créative. Ainsi en est-il des êtres ordinaires comme des artistes qui ne songent jamais à la retraite. Combien de réalisations illustres sont le fait d’artistes ou d’inventeurs de plus de 50 ans ? Léonard de Vinci a 54 ans lorsqu’il peint l’énigmatique rictus de sa Joconde. Maurice Ravel a 53 ans lorsqu’il compose son lancinant Boléro. Quant à Picasso, il est resté prolifique toute sa vie, tandis que Michel Ange a connu deux âges d’or : avant 40 et après 55 ans.Gustave Eiffel, lui, a déjà 57 ans lorsqu’il édifie le monument le plus visité au monde et, pour revenir au monde du travail, que dire de ces chefs d’entreprise qui, pour l’un, créa sa première Swatch à 55 ans et, pour l’autre, ouvrit son premier Mac Do à 53 ans ?

Quoi qu’il en soit, la cinquantaine est bel et bien une décennie de remise en question, une avancée vers les profondeurs. « La suprématie actuelle du personnage social retentit probablement très fort au milieu de la vie. Après avoir acquis une position sociale, après s’être investi dans des rôles professionnels et familiaux, la question se pose alors de l’orientation à prendre pour les années, encore nombreuses, à venir. Dans ce moment de doute et d’interrogation, nous pouvons mesurer l’écart entre les deux parties qui coexistent en chacun de nous : notre personnalité extérieure et notre intimité profonde. L’un des enjeux du midi de la vie, et l’une des sources de crise, est justement de retrouver cet « être intérieur » que nous avons

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perdu de vue, en raison notamment, de l’hyper valorisation des signes extérieurs d’existence sociale ». « La crise du milieu de la vie. Une deuxième chance ». Françoise Millet-Bartoli28.

Et si être un senior était une chance ?

« L’âge est un faux problème. Je ne me considère pas comme un senior à côté de la plaque ; je n’ai pas besoin d’un siège spécial ni d’un écran grossissant. Ce terme me paraît purement administratif. Pour moi, être un senior est un avantage. Contrairement à ce que je peux lire dans la presse et entendre dans les médias, je n’y vois que des atouts : on a plus de recul, plus de sérénité, on est moins emporté, plus diplomate ; la distance, cela s’apprend ». Sylvie, 45 ans, responsable de l’administration des ventes, en recherche d’emploi.

« Je n’ai pas de difficultés liées à l’âge, au contraire, car les rôles proposés aux seniors sont en général consistants et on ne nous invite jamais dans les émissions de téléréalité, par exemple. Je rencontre seulement des restrictions physiques, avec la peur d’avoir du mal à aller jusqu’au bout d’un rôle difficile au théâtre ». Jacques, 58 ans, comédien.

« Etre senior ne me dérange plus car je suis bien, je me sens en accord avec moi-même. Le regard des autres ne me trouble plus d’autant que notre âge n’est pas écrit sur notre front. 50 ans, c’est une page qui se tourne (la jeunesse est derrière soi et ce n’est pas facile à accepter), c’est une période de fragilité mais c’est aussi un recommencement ». Isabelle, 50 ans, assistante d’élu.

En effet, certains quinquas sont prêts à changer de vie à la force de leur énergie, créant leur propre entreprise si la leur ne veut plus d’eux – ou s’ils ne veulent plus d’elle - (il est vrai que les travailleurs indépendants sont plus souvent seniors que juniors), se remariant, redevenant parfois papas en même tant qu’ils découvrent la joie d’être grand-père. « L’interrogation autour de la notion de réussite occupe une place centrale au milieu de la vie, observe Françoise Millet-Bartoli. L’autre caractéristique de cette période est l’apparition d’un sentiment très différent, qui peut paraître antagoniste : celui d’enfermement. Qui, au midi de sa vie, n’a pas rêvé un jour de tout quitter, de fuir les horaires, les factures, le téléphone ? ».

B. Les âges de la vie, les phases de l’existence.

Si l’on admet qu’un cycle de vie dure une dizaine d’années – entre 8 et 12 ans -, on reconnaîtra que chacune des décennies que nous franchissons à l’âge adulte possède ses particularités.

La décennie des 20-30 ans est, à proprement parler, l’entrée dans le monde adulte où l’on prend la pleine dimension de son autonomie, où l’on découvre le monde du travail et son rapport à ce nouvel univers qu’est l’entreprise. Cette décennie est encore porteuse d’une insouciance qui tend à disparaître avec l’entrée dans le cycle suivant et les quelques désillusions qui commencent à poindre pour certains. La volonté de réussir professionnellement qui les a portés pendant leurs études, montre, dans la pratique, une réalité parfois décevante et ennuyeuse.

28 Odile Jacob, 2002

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La décennie des 30-40 ans apparaît, en effet, plus exigeante car elle est aussi l’époque de toutes les constructions : famille, carrière, implication sociale. L’objectif de développement imparti à cette tranche d’âge est clairement d’« y arriver », de prouver que cela est possible et, le plus souvent, selon les critères du temps, les critères des autres. C’est le moment des comparaisons, des progressions, des premiers postes à responsabilité. Il faut progresser sans avoir nécessairement éclairci ses critères personnels de réussite.

La décennie des 40-50 ans, qui concerne plus précisément notre étude, consacre non plus la prise mais le sens des responsabilités. C’est le moment d’abandonner celles qui sont fausses, au profit d’autres, plus authentiques : la responsabilité de soi, de sa vie. C’est le temps de relativiser certaines choses, d’affirmer ses valeurs, fruits de sa propre expérience et réflexion. C’est aussi la décennie de la crise, crise du mitan de la vie, de l’au-delà de la jeunesse, de l’affrontement avec le sentiment de finitude. C’est encore une période de remise en question face aux adolescents qui chahutent l’édifice.

La décennie des 50-60 ans – celle de la séniorité bien engagée - représente l’époque où l’on récolte ce que l’on a semé – carrière au firmament, enfants éduqués - où l’on a envie de profiter de la vie. Elle peut donc se montrer des plus agréables à condition, bien entendu, que la santé et les finances ne constituent pas une entrave. Si la vie se déroule sans accrocs majeurs, il peut s’agir d’une période de prospérité où l’on cherche à s’offrir une vraie qualité de vie, conforme à ce que l’on est, sans se justifier.

La décennie des 60-70 ans est sans doute plus complexe. Le moment du départ à la retraite étant repoussé, l’invitation qui était faite au sexagénaire d’accepter une nouvelle organisation de vie sera de plus en plus retardée de quelques mois, de quelques années. Cette décennie n’en reste pas moins une opportunité pour repartir vers une nouvelle réalisation de soi qui peut être plus sereine, soumise à une obligation de résultat plus qualitative que quantitative. Avec la soixantaine, un autre cycle commence qui, pour préserver l’équilibre de l’individu, doit bannir les ruptures. C’est pourquoi l’idée de se retirer progressivement, et non brutalement, du monde du travail, de le faire à la carte, et selon ses besoins, apparaît comme la solution la plus raisonnable et la plus équilibrante pour la personne, comme pour la société dans son ensemble. D’autant qu’à cet âge, le besoin d’action a dû se modifier, passant du pouvoir à l’autorité. Le sexagénaire équilibré est plus enclin à asseoir une autorité d’expérience qu’une volonté de pouvoir sur les choses. Il est davantage dans l’observation, la vision, le conseil, et moins aux manettes. Demeurer actif et utile, communiquer son expérience à la jeunesse, profiter de la vie sont ses préoccupations majeures.

La décennie des 70-80 ans est celle de la sagesse et du partage où peut s’épanouir un rôle d’« Ancien », pour peu qu’il ne soit pas isolé.

La décennie des 80-90 ans, est celle de l’âge avancé ou du grand âge, que la maladie peut affaiblir. Le souci de ce grand âge est alors de rester présent au monde, engagé, d’avoir encore envie et les moyens d’être aidé.

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La décennie qui démarre après 90 ans, est l’ultime étape, celle du repli sur soi, que l’on est moins sûr de pouvoir franchir. Il s’agit alors de quitter dignement le monde en ayant incarné des valeurs de solidarité et de générosité.

C. La crise du milieu de la vie.

Acmé, en grec, signifie le plus haut point d’un développement. Dans sa Rhétorique, Aristote situe l’acmé de l’âme vers 49 ans et l’acmé du corps vers 30-35 ans, les deux maturités ne coïncident donc pas. Pour les Grecs, l’acmé représente la force de l’âge, la puissance physique ou intellectuelle à son apogée, mais aussi le juste milieu entre les défauts de la jeunesse et ceux du grand âge, entre l’emportement et la frilosité.

La quarantaine marque, en principe, l’entrée dans la maturité et la force de l’âge. À quarante ans, l’homme est en pleine possession de ses moyens, il est au zénith de la vie, mais il sait aussi qu’il amorce son déclin, à l’image du soleil s’engageant sur son versant descendant. Selon les principes de la sagesse chinoise, cet âge annonce le commencement de la vieillesse au sens de la plénitude. Pour toutes ces raisons, le passage de la quarantaine est généralement marqué par une crise. Chez les femmes, elle peut être retardée jusqu’au départ des enfants, ou jusqu’à leur émancipation.

Le psychiatre et psychanalyste Carl Gustav Jung regardait l’âge de 40 ans comme l’entrée dans la maturité, le développement et la libération de l’individuation. L’individuation désigne le but final de l'évolution personnelle, la transformation de l'énergie psychique qui permet la formation d'une personnalité indépendante, ayant construit un sentiment d’identité, exprimant des différences et des similitudes entre lui-même et autrui.

Entre 45 et 55 ans, de grandes décisions peuvent être prises, en pleine conscience. Le « jeune senior » éprouve souvent, à cette période, un sentiment d’urgence susceptible de la rendre particulièrement productive et féconde. En même temps, il commence à prendre un certain recul par rapport à lui-même et à son action. Prenant appui sur ses acquis, conscients du chemin parcouru, certains seniors s’investissent dans la société, la chose publique, apportent leur contribution au collectif. Lorsque la crise d’identité - parfois appelée la deuxième adolescence - est passée, l’être peut s’épanouir, faire la paix avec lui-même, commencer à s’accepter, relativement. En revanche, si la crise subsiste, la route à venir paraît bien escarpée. « Celui qui, sa vie durant, a creusé le tombeau de son âme l’y couchera. Rien d’heureux ni de malheureux ne nous advient jamais dont nous n’ayons en nous préparé le nid », Christiane Singer, « Les âges de la vie »29.

Les travaux du psychanalyste américain, Erik Erikson (1902-1994) renforcent cette conception. Auteurd'une théorie du développement psychosocial en huit stades successifs, il part du constat que l’individu doit surmonter huit crises au cours de sa vie. Le septième stade, atteint entre 40 et 60 ans, est celui de« la générativité versus stagnation ». A ce stade, les personnes développent le souci des générations suivantes (la générativité) et s’ouvrent à la sollicitude. En avançant dans cette tranche d’âge, elles tendent à détourner leur intérêt d’elles-mêmes pour le diriger vers l’autre et si cette générativité ne

29 Albin Michel, 1984.

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s’accomplit pas, l’individu éprouve un sentiment de stagnation. L’intergénérationnel est au cœur de la pensée d’Erik Erikson et la générativité dont il parle est une forme d’amour élargie à la progéniture, aux descendants au sens large, bref à la suite du monde. Se soucier des générations futures est un des enjeux majeurs de développement au mitan de la vie30.

« J’ai réalisé que j’avais encore des choses à offrir, que j’avais encore des capacités à m’investir dans d’autres domaines que ceux que je maîtrise. Dans le futur, j’ai envie de donner plus à d’autres, peut-être au travers d’associations humanitaires ». Frédérique, 54 ans, chef de projet système informatique.

2 – LES SENIORS DANS L’ENTREPRISE.

A. Ce qu’ils sont …

Les seniors actifs sont des baby boomers nés entre 1945 et le début des années 60. Le nom de « baby boomer » vient du baby boom démographique que les pays occidentaux ont connu après la deuxième guerre mondiale. 30% des Français sont âgés de plus de 50 ans. Sur 61 millions d'habitants, l'Hexagone compte ainsi plus de 19 millions de seniors31.

Le taux d’emploi des 55-64 ans, a fortement augmenté en France jusqu’en 2005, avant de se stabiliser puis de progresser à nouveau en 2009. Cette progression se décompose en + 9 points pour les 55-59 ans et + 5 points pour les 60-64 ans mais aussi en + 10,7 points pour les femmes et en + 7,1 points pour les hommes. Toujours plus nombreuses à travailler que leurs aînées, les femmes d’aujourd’hui ont contribué à augmenter le taux d’emploi global des seniors. A l’inverse, les hommes ont été beaucoup plus nombreux à se voir proposer, depuis l’entrée en vigueur du dispositif en 2004, et jusqu’à la fin de l’année 2008, des départs anticipés pour longue carrière entraînant un impact négatif sur le taux d’emploi masculin.

Dans leur essai consacré au management des seniors, Serge Guérin et Gérard Fournier ont tenté une typologie des travailleurs expérimentés qu’ils ont répartis en quatre catégories : les attentistes, les dépassés, les rebondissants et les florissants.

Les attentistes sont dépeints comme des salariés bien installés dans leur entreprise, dont la valeur ajoutée est reconnue et qui ne sont pas menacés. Leur objectif personnel est parfaitement clair : « en finir le plus vite possible avec le monde du travail » alors que c’est sur eux que repose une grande partie de l’enjeu de redynamisation de l’emploi. Ils représenteraient 40% de la tanche d’âge concernée !

30 En France, on compte 14 millions de bénévoles dont un tiers sont des retraités qui réalisent plus de 50% des actions menées. Plus de 30% des maires sont également des retraités.31 Source : Ministère de l’Economie, de l’industrie et de l’emploi. Ministère du travail, de la solidarité et de la Fonction Publique.

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Les dépassés constitueraient 20% de la population des salariés seniors. Ils savent que leurs compétences sont dépassées ; ils se sentent obsolètes et se disent que leurs jours sont comptés. Conscients que leur expertise n’a pas survécu aux nouvelles technologies, ils sont exclus des projets d’avenir et vivent douloureusement leur fin de carrière. Ils font volontiers profil bas et cherchent à gagner du temps (des trimestres, une année supplémentaire). Leur fonction ne survit généralement pas à leur départ.

Les rebondissants sont souvent volontaires au départ dans les contextes de restructuration d’entreprises, par exemple. En recherche active d’un autre emploi, ils font preuve d’une énergie renouvelée.

Les florissants sont les mieux installés de la catégorie. Confortés par une carrière ascendante, continuant d’occuper des postes clés dans l’entreprise, ils n’ont pas l’intention de partir avant 65 ans. Ils n’envisagent de se retirer qu’une fois leurs cotisations maximisées.

Ces quatre typologies s’insèrent bien dans les quatre attitudes et conceptions de la vie professionnelle décrites par le sociologue Renaud Sainsaulieu ( « L’identité au travail », 1988).

1. Les personnes en « mode retrait » considèrent le travail comme une source de revenu. Ils font écho aux dépassés. 2. Les individus en « mode fusion » regardent le monde du travail comme un lieu de solidarité (écho aux rebondissants). 3. Ceux qui adoptent un « mode négociation » font du travail un domaine d’épanouissement à travers les échanges professionnels (les attentistes).4. Les autres, sur un « mode affinité », perçoivent le travail comme un espace d’ascension sociale (référence aux florissants).

B. Ce qu’ils ne sont pas…

Les seniors ne sont pas moins efficaces, ni moins productifs. En effet, aucune étude empirique n’a jamais démontré un lien défavorable entre productivité et âge, ni une décroissance des capacités productives dûes au vieillissement. En revanche, les avancées de la neuroscience nous enseignent que la perception visuelle et la capacité numérique (faculté d’effectuer des calculs avec rapidité et précision) décroissent à partir de 35 ans de manière régulière et certaine. Ce sont donc l’attention et la vitesse de traitement qui sont affectées. La prise de décision, la capacité à communiquer, à effectuer des tâches non routinières et qui relèvent des capacités managériales, demeurent stables, indépendamment de l’âge. La question de l’employabilité d’un senior ne se pose donc que pour les postes nécessitant une réelle dextérité manuelle. Et quand bien même, nous viendrait-il à l’idée, de suspecter la qualité du travail d’un chirurgien, d’un violoniste, d’un joaillier, d’un sculpteur sous prétexte qu’il a plus de 35 ans ?

« Physiologiquement, c'est clair, je suis plus fatiguée, notamment par les temps de transport, mais jen’ai pas du tout le sentiment d’être moins productive. Je dirais plutôt que ma productivité est différente : je résous plus vite les problèmes, je ne commets plus certaines erreurs, j’ai un relationnel plus direct et

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j’ai un champ de compétences plus large qu’avant ». Frédérique, 54 ans, chef de projet système informatique.

Ni moins efficaces, ni moins productifs, les seniors ne sont plus « jetables ». En effet, les nouvelles mesures législatives et réglementaires, rendant impossible la mise à la retraite d’office d’un salarié avant 70 ans (65 ans pour les régimes spéciaux) vont modifier considérablement la gestion des carrières dans la durée, et introduire un nouveau rapport de forces dont nous ne pouvons encore prendre la pleine mesure. Le contrôle des départs à la retraite n’est déjà plus le fait des entreprises ; il est celui des salariés eux-mêmes. Ainsi, les seniors de 50-55 ans, et même au-delà, ne peuvent plus être gérés, par les entreprises et dans l’économie générale, comme une population en transition vers la retraite. Ce temps est révolu : tandis que s’allonge l’espérance de vie en bonne santé, se prolonge l’espérance de vie en entreprise. L’évolution professionnelle des seniors doit probablement s’envisager sous la forme d’une troisième partie de carrière.

C. Ce qu’ils coûtent…

Les salaires des seniors sont en moyenne plus élevés que ceux des autres salariés. Ils sont aussi plus dispersés. En effet, les salariés du privé ou du semi-public ont été plus nombreux que les classes d’âge intermédiaires à connaître des fortes variations de revenus, à la hausse, comme à la baisse. Mais les seniors ne sont pas tous dans une situation enviable et les raisons qui les poussent à continuer à travailler ne sont pas toujours liées à un épanouissement personnel. Ainsi, l’isolement, le nombre d’enfants restant à charge, la crainte du chômage (ou son souvenir pour ceux qui l’ont déjà vécu), une situation financière non consolidée (en l’absence d’un patrimoine immobilier, notamment), président au besoin, si ce n’est à l’envie, de poursuivre son travail au-delà de l’âge légal de la retraite. Il n’en reste pas moins vrai que les salaires croissent en moyenne avec l’âge. Ce résultat est bien établi en France, comme dans tous les pays de l’OCDE. En 2001, dans le secteur privé et semi-public, les 50-54 ans gagnaient en moyenne 21% de plus que les 30-39 ans, et l’écart était encore plus élevé pour les 55-59 ans (+ 30%). Cet écart moyen provient en partie de la croissance des salaires individuels avec l’âge, mais également des effets de composition des classes d’âge : le salaire moyen plus élevé des « quinquas » intègre le fait que les salariés les moins rémunérés – et donc aussi les moins qualifiés - sortent plus tôt du marché du travail. Il n’en reste pas moins réel qu’après 45 ans, les salaires moyens augmentent plus vite en France que dans la plupart des autres pays développés, la différence étant encore plus nette après 55 ans, nous enseignent les chiffres de l’INSEE. Toutefois, les différences entre pays proviennent aussi d’une composition différente des classes d’âge. Ainsi, le salaire relatif élevé des quinquagénaires en France doit être corrélé à leur taux d’emploi particulièrement faible. Les moins qualifiés d’entre eux étant rapidement sortis du marché du travail, ceux qui restent en place se situent sur les postes les plus qualifiés et leurs salaires sont logiquement les plus élevés. D’ailleurs, la croissance du salaire moyen après 50 ans ne s’observe que parmi les plus qualifiés. Dans les autres catégories, il diminue à ces âges. Enfin, il est notable que les seniors sont plus nombreux dans les entreprises capitalistiques, où les salaires sont en moyenne plus élevés.

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Si la progression du salaire est cohérente avec l’acquisition d’expérience et les promotions qui l’accompagnent, elle peut résulter d’autres facteurs, notamment de l’application des règles de rémunération à l’ancienneté. Pour de nombreux économistes, ces règles représentent une rigidité nuisible à l’employabilité des salariés âgés. Elles en constitueraient même l’obstacle principal et, à compétences égales, les entreprises préfèreraient embaucher des plus jeunes, au coût moins élevé. Lorsque l’on parle d’un écart de salaires favorable aux seniors, il faut bien distinguer les situations liées aux rigidités du marché du travail (rémunération mécanique à l’ancienneté), des situations récompensant un écart de compétences. D’ailleurs, et bien qu’il soit plus élevé en moyenne de 20 à 30 % que celui des 30-39 ans, le salaire des plus de 50 ans ne semble pas altérer leur employabilité. Pour preuve, dans les entreprises où l’écart relatif de salaire est le plus élevé, les seniors sont aussi plus nombreux et ne sortent pas plus souvent de l’emploi. Il convient donc de relativiser l’idée que les salaires des seniors seraient un obstacle majeur à leur emploi, d’autant que ces salaires plus élevés reflètent, en partie, une productivité plus grande.

D. Les outils de GRH dont ils disposent.

Le maintien en emploi des seniors ne peut s’inscrire que dans une logique de développement de carrière. Officialiser les entretiens annuels d’évaluation et de prospective, proposer un bilan de compétences approfondi autour du quarante cinquième anniversaire de ses collaborateurs, constitue la démarche minimale d’une politique de ressources humaines. Or, leur préconisation reste minoritaire, si l’on en croit ce baromètre 32 selon lequel 81% des salariés seniors interrogés en 2008 n’avaient pas vu leur manager ou leur référent dans le cadre d’un entretien officiel depuis… trois ans ! Les seniors ont pourtant besoin de retrouver des perspectives. Le temps des préretraites étant révolu, ils doivent se réinscrire dans la durée, positivement, en déterminant des pistes, des axes de développement possible. Ils doivent se mettre dans une démarche de progrès et non plus se considérer en roue libre.

Officiellement, la seconde partie de carrière commence à 45 ans pour s’achever au moment de la retraite. Il s’agit d’un long parcours professionnel de 15 à 20 ans, qu’il convient de gérer et d’optimiser dans l’intérêt de l’entreprise comme dans celui du salarié.

En plus du Droit Individuel à la Formation et des actions de formation que l’entreprise veut bien leur accorder, plusieurs outils sont à la disposition des seniors pour promouvoir leur expérience et préparer cette deuxième étape.

Le bilan de compétences, tout d’abord, permet de définir un projet professionnel de deuxième partie de carrière. Il existe même une prestation spécifique, le bilan de compétences à mi-carrière, destiné aux salariés ayant atteint l’âge de 45 ans ou ayant 20 ans d’expérience professionnelle. Il permet de

32 Baromètre Entreprise et Carrières/Notre temps.Com, publié en décembre 2008.

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prendre en compte les effets positifs et négatifs de l’avancée en âge, d’analyser l’expérience et d’envisager les possibilités d’évolution professionnelle. Il est notable que les OPACIF - Organismes Paritaires Collecteurs Agréés Gestionnaires du Congé Individuel de Formation - considèrent la prise en charge des dossiers des salariés de plus de 45 ans comme prioritaires.

L’entretien de deuxième partie de carrière, ensuite, constitue un socle sur lequel l’entreprise et son salarié peuvent bâtir une stratégie. A condition, naturellement, que l’entreprise ait, au préalable, entrepris une réflexion plus globale sur la gestion des carrières et qu’elle ait clarifié, déterminé sa politique à l’égard de ses salariés de 45 ans et plus. Prévu par l'ANI du 5 décembre 2003 (relatif à la formation professionnelle) et repris dans celui du 13 octobre 2005 (relatif à l'emploi des seniors), cet entretien doit permettre à chaque salarié, à partir de son quarante cinquième anniversaire, de faire le point - avec son responsable hiérarchique ou avec un responsable des ressources humaines -, au regard de l'évolution des métiers et des perspectives d'emploi dans l'entreprise, sur ses compétences, ses besoins de formation et ses projets. Cet entretien se renouvelle ensuite tous les 5 ans. Dans sa philosophie, il est destiné à éviter toute pratique discriminatoire liée à l'âge dans les évolutions de carrière. A la différence de l'entretien annuel d’évaluation, qui relève de la responsabilité du manager direct, l’entretien de deuxième partie de carrière est souvent mené par un collaborateur RH. Il peut également être sous-traité à un cabinet de conseil en ressources humaines.

La Validation des Acquis de l’Expérience (VAE) constitue un autre dispositif à tout âge mais particulièrement intéressant pour les salariés de plus de 40 ans puisqu’il privilégie l’expérience acquise. Sachant que la reconnaissance des compétences est un élément majeur de motivation et que l’obtention d’un diplôme ou d’une certification renforce ses atouts professionnels, la VAE n’est pas réservée aux salariés plus jeunes. Elle s’adresse à toute personne en quête d’un diplôme reflétant plus justement son niveau de connaissances et de compétences33.

Le tutorat, enfin, est un dispositif permettant d’améliorer la transmission des savoir-faire spécifiques à un métier ou à une entreprise. Les missions de tutorat sont confiées, prioritairement, à des salariés de plus de 45 ans, en activité. Il peut également être assuré par un ancien salarié déjà retraité, souhaitant reprendre une activité pour une durée limitée.

3 – LES ATTENTES DES SENIORS A L’EGARD DU TRAVAIL ET DE L’ENTREPRISE.

A. Leur vision du travail : un changement de paradigme.

Selon l’investissement qu’il consent à poursuivre dans l’entreprise, le senior peut porter un regard très différent sur le monde du travail.

33 Pour toute information sur la VAE : www.vae.gouv.fr

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« Moi, je n’ai plus envie de faire une carrière. L’estime de moi, je l’ai autrement ». Agnès, 49 ans, psychologue.

Avec le temps qui passe, le senior peut porter sur l’entreprise un regard désenchanté. « Si j’écoute les gens autour de moi, ils sont de plus en plus insatisfaits de leur travail. Il me semble

que les gens sont de plus en plus malheureux au travail. Si je compare la situation actuelle des salariés à celle que j’ai connue au moment où j’ai commencé à travailler, je trouve le changement hallucinant. Plus l’entreprise est orientée profit, plus l’humanité disparaît ». Sylvie, 45 ans, responsable de l’administration des ventes, en recherche d’emploi.

« Le temps nécessaire à la maturation, les rythmes normaux ne sont plus pris en compte. On a plus le droit d’avancer, de reculer, de réfléchir. On est dans des circuits, des systèmes informatiques, dans des quotas ; on parle même de déstocker les gens lorsqu’ils sont trop nombreux à certains endroits ! » Agnès, 49 ans, psychologue.

Certains seniors, plus ou moins déçus par leurs réalisations professionnelles commencent à désinvestir cette sphère au profit d’une recherche plus profonde de sens ou d’activités plus personnelles qu’ils considèrent comme étant à plus forte valeur ajoutée.

« J’en connais beaucoup qui préfèrent se consacrer à leur famille et n’ont plus envie de donner beaucoup à leur employeur pour résoudre des problèmes de production ». Agnès, 49 ans, psychologue.

Le regard critique des seniors peut déranger. « Quand on arrive dans « la boîte », on trouve les anciens blasés. Au bout d’un an, on comprend

pourquoi. Je ne sais pas comment les jeunes vont tenir 30 ans ». Richard, 47 ans, conducteur de bus. « Les gens sont fatigués, non parce qu’ils travaillent trop, mais parce que l’entreprise est

désorganisée. On ne tient pas suffisamment compte de l’impact de la désorganisation sur la performance de l’entreprise ». Frédérique, 54 ans, chef de projet système informatique.

« Les seniors peuvent devenir des empêcheurs de tourner en rond, surtout s’ils ne cherchent plus à se développer dans l’entreprise ou dans leur travail, que leur carrière est derrière eux ». Agnès, 49 ans, psychologue.

Son expérience lui donne une liberté de parole. Lorsqu’il a su se rendre indispensable, le senior n’hésite pas à hausser le ton.

« J’ai une vision très critique de l’entreprise : elle est réellement déficiente. Le mot management ne

correspond plus à rien. Il n’y a plus ni hiérarchie, ni leadership, ni d’exemple venu d’en haut. Je cherche à quitter ce monde pour créer ma propre structure ». Pierre, 47 ans, directeur de la communication.

Malgré les changements de mode de vie évoqués plus haut, et les nécessités économiques qu’ils requièrent, une majorité de salariés français entend cesser de travailler une fois sa retraite prise. Cette intention diffère de celle des habitants des autres pays du G7 étudiés par la société de conseil en ressources humaines, Towers Perrin. La cause pourrait se situer dans la productivité exigée des entreprises françaises qui, ne conservant que les plus rentables, génèrent un stress et une pression si forts que seule une minorité a encore envie de poursuivre sa vie professionnelle après l’âge légal de la retraite.

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B. Leur vision des politiques RH : critique...

Elle est assez critique. Ils estiment que les ressources humaines sont dénuées de pouvoirs réels et que la gestion des Hommes se fait au fil de l’eau, sans anticipation visible d’un avenir commun, sans projet à partager.

« Chez nous, les RH ne pèsent pas un poids suffisant ». Patricia, 45 ans, assistante de direction bilingue.

« Chez nous, les RH ne sont pas investies sur le dossier des seniors ». Frédérique, 54 ans, chef de projet système informatique.

Les seniors s’unissent pour dénoncer les contradictions des RH. « On perd du temps à calibrer les profils, sans prendre en compte les compétences personnelles des

gens. Il faut être un mouton à 5 pattes de couleurs différentes : bleue, verte, jaune, rouge, et une cinquième rose. Si la vôtre est violette, c’est fichu et l’on vous dit : « mais qu’allons-nous faire de vous ? » Frédérique, 54 ans, chef de projet système informatique.

« Quand on n’a pas le bon pédigrée et qu’en plus on est âgé, on peut avoir la peur au ventre de perdre son emploi et de ne pas en retrouver un autre ». Patricia, 45 ans, assistante de direction bilingue.

« Les RH n’utilisent pas la compétence des séniors ; ils sont souvent cantonnés à des endroits où ils ne sont pas au top de leurs compétences car on craint que leurs réflexions fassent gripper la machine ; on leur préfère des jeunes plus malléables. Les seniors ont des compétences inexploitées ». Agnès, 49 ans, psychologue.

« Quand vous avez 30 ans d’expérience professionnelle et que l’entreprise ne vous propose rien alors qu’il vous reste 15 ans à travailler, c’est normal d’avoir envie de partir. Alors on va leur faire faire un bilan de compétences, une VAE, une formation, on utilise les dispositifs mais sans thésauriser sur les acquis. J’attends de l’entreprise qu’elle mette en place un vrai plan d’employabilité des seniors ». Marion, 54 ans, chef de projet système informatique.

Eux qui se sentent parfois ignorés, ont pourtant grand besoin que leur expérience soit reconnue à sa juste valeur. Les besoins de reconnaissance - dont on connaît les puissants effets anti-stress - s’accroissent avec l’âge, avec le temps, au fur et à mesure que sa contribution dans l’entreprise a grandi. La reconnaissance est un besoin, quel que soit son statut et son âge. C’est un élément essentiel pour construire et préserver l’identité des individus, donner un sens à leur travail, favoriser leur développement et contribuer à leur santé et à leur bien-être.

Le senior est particulièrement sensible à la reconnaissance dite existentielle qui s’intéresse à la personne ou au collectif dans le travail, qui respecte le salarié et le considère (par des actes) comme une personne importante dans l’organisation.

« Je travaille dans une entreprise de 4 000 personnes et on ne se connaît pas. Il faudrait obliger la DRH à venir voir ce que l’on fait, comment on travaille ». Florence, 45 ans, journaliste.

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La reconnaissance de la pratique (qui souligne la qualité d’un travail, valorise les compétences, propose des postes ou des missions « ad hoc ») est essentielle pour le senior désireux de capitaliser sur son expérience.

« Continuer l’apprentissage oui, mais pas n’importe lequel ! Et l’on revient ici à la notion de reconnaissance au sens de compréhension de ce que l’entreprise sait de moi et qui doit lui permettre de me proposer des apprentissages en cohérence, d’éviter de me mettre en tension (avec risque d’échec), en me proposant un poste inadéquat même avec une formation qui sera encore plus inadaptée. Cela renvoie à la notion de confort qui permet de produire des choses de qualité ». Carole, 50 ans, cadre dirigeant dans une grande entreprise de service public.

La reconnaissance de l’investissement consenti (indépendamment des résultats obtenus) dans le passé est tout aussi déterminante pour un senior.

« La non prise en considération de ce que les seniors ont déjà vécu dans l’entreprise pose problème. Il y a des cycles qui reviennent, des réorganisations qui n’ont pas marché et qu’un senior ne peut pas réintroduire. Les anciens peuvent être échaudés par les modes de management qui se sont succédés et peuvent éprouver une résistance à recommencer. Si les nouveaux managers n’en tiennent pas compte, les seniors le vivent comme un déni ». Agnès, 49 ans, psychologue.

« Les seniors ont besoin que leur expérience soit reconnue, que soit respecté ce qu’ils ont pu donner. Les jeunes bénéficient du travail de ceux qui les ont précédés. La place qu’ils occupent, c’est aux seniors qu’ils la doivent. Les anciens ont aussi besoin qu’on leur offre un futur. On entend parler d’axes de réflexion mais on ne voit rien au-delà des discours et lorsqu’un poste est vacant, il est proposé à un jeune ». Frédérique, 54 ans, chef de projet système informatique.

C. Leur place dans l’entreprise : un réajustement nécessaire.

Selon la place qu’il occupe dans l’entreprise, sa vision varie du tout au tout. « En tant que senior, j’ai plus d’avantages que les autres : je suis bien payé et je tire bénéfice de mon

expérience ». Pierre, 47 ans, directeur de la communication. « Ma place actuelle me satisfait pleinement car je suis dans un champ de compétences faisant appel

à toutes les expériences que j’ai pu vivre, y compris celles où j’ai rencontré des difficultés. Elle couvre l’ensemble des savoir-faire capitalisés, accumulés pendant ces 26 années : mes compétences métier autant que celles liées au vécu et au partage ». Carole, 50 ans, cadre dirigeant dans une grande entreprise de service public.

« Maintenant, ma place me satisfait. Je ne m’en suis pas rendue compte au début mais, dans mon métier, il n’est pas possible d’évoluer. Soit je reste où je suis, soit je fais autre chose ». Patricia, 45 ans, assistante de direction bilingue.

Lorsqu’il se sent « sur la touche », ou n’obtient pas ce qu’il souhaite, le senior ronge son frein sans pour autant mâcher ses mots.

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« On est des matricules sans âge. Evolution à la tête du client, non en fonction des compétences ».

Richard, 47 ans, conducteur de bus.

Il peut aussi se montrer conciliant…« Il semble qu’il y ait des problèmes avec les seniors, mais je pense que c’est davantage une question

de personnalité et de tempérament, qu’une question d’âge ». Gilles, 54 ans, commissaire d’expositions.

Sa vision peut être plus pragmatique, plus distanciée, moins angélique et plus directement liée à ses besoins propres.

« Avec l’expérience et la vie que je mène aujourd’hui, je ne privilégierai pas un poste pour son salaire mais pour le plaisir que j’y trouverai. Je chercherai à déceler comment est l’ambiance ; je sélectionnerai le lieu de travail ; je privilégierai avant tout une certaine qualité de vie plutôt que d’être bien payée en travaillant énormément comme je l’ai fait par le passé ». Sylvie, 45 ans, responsable de l’administration des ventes, en recherche d’emploi.

« Aujourd’hui, j’attends de l’entreprise qu’elle m’aide à réaliser mon projet. Si elle ne m’en donne pas la possibilité, je risque de me désinvestir de mon cœur de métier pour faire de l’encadrement, être moins sur le terrain, ce qui m’apportera un plus grand confort de vie, une certaine quiétude, et me permettra de m’occuper de moi, de développer autre chose à côté ». Florence, 45 ans, journaliste.

Le senior bien assuré sait aussi poser ses conditions. « J’attends de l’entreprise qu’elle m’informe sur les chantiers en cours, les missions transverses. Je

suis prête à lui donner du temps à condition que ce soit dans le plaisir et la découverte. J’ai besoin de défis, de missions intéressantes ». Agnès, 49 ans, psychologue.

Dès lors que disparaît dans son esprit, comme dans celui de son employeur, le culte de la pré-retraite, le senior redevient un salarié comme les autres, avec ses joies, ses attentes, ses déceptions…

« Le senior a besoin d’être entendu dans sa manière de faire les choses. Il a besoin d’un management plus participatif alors que, sur le terrain, il doit exécuter des choses auxquelles il ne croit pas forcément » Agnès, 49 ans, psychologue.

et ses projets d’avenir… « Etre senior et avoir de l’ancienneté dans l’entreprise change certainement le niveau d’exigence,

notamment sur la connaissance que l’entreprise doit avoir de ce que je lui ai apporté et de ce qu’elle peut attendre de moi en termes de compétences, dans une relation gagnant/gagnant. Certaines personnes peuvent attendre une attention particulière, une reconnaissance (de leur statut de bon petit soldat) moi, je me refuse à cette perception qui renvoie à un état de fatigue professionnelle que je n’ai pas et d’un besoin d’en faire moins que je n’éprouve pas non plus. Je recherche plutôt une reconnaissance de mes compétences pour pouvoir produire de façon juste. Connaissant parfaitement le périmètre de mes compétences, l’entreprise doit savoir comment orienter mon énergie. Une erreur de casting me semblerait incompréhensible ». Carole, 50 ans, cadre dirigeant dans une grande entreprise de service public.

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En effet, certains seniors continuent d’investir dans la sphère professionnelle voire, y reviennent avec une énergie décuplée dès lors qu’ils sont investis dans des projets motivants. L’entreprise a donc tout intérêt à capitaliser sur cette population dont elle est à peu près sûre de recueillir les fruits puisqu’elle est plus fidèle. En suggérant aux entreprises de détecter les seniors à haut potentiel, Serge Guérin et Gérard Fournier leur proposent d’offrir de nouvelles perspectives à ces salariés expérimentés désireux de valoriser le fruit de leur expérience et de poursuivre leur développement. Ils suggèrent de détecter ces hauts potentiels à travers six grands points ou attitudes qui sont autant de repères à vérifier qu’à mettre en place. Ainsi, pour eux, un senior à haut potentiel est :

- moteur sur des sujets délicats et peut en discuter au moins une fois par semaine avec son patron ;

- sollicité régulièrement pour donner son avis sur des sujets délicats, apporter un coup de main de manière informelle ;

- prêt à prendre des risques en changeant d’activité, de métier ; - réceptif aux demandes de formation, d’échanges, pour faire avancer les choses par ses

observations ; - à l’aise dans le changement, l’anticipation des défis ; - désireux de poursuivre son activité et de s’y investir au-delà de 60 ans.

D - Leurs relations avec les nouvelles générations

S’il serait malhonnête de minimiser la question de la dette que les générations passées et actuelles contractent à l’égard des plus jeunes, il semble tout autant exagéré de discourir sur une fracture générationnelle. Certes, l’intérêt des aînés peut diverger de celui des plus jeunes, pour autant, les seniors que nous recevons en bilan de compétences, n’expriment aucune animosité ou méfiance à l’égard de leurs cadets. Il n’en reste pas moins vrai que l’évolution des mœurs professionnelles, des attitudes et comportements interrogent les seniors. Les générations plus récentes cherchent à concilier emploi et réalisation de soi, préoccupation passant autant par l’engagement dans un métier que… par le calcul des RTT (Réduction du Temps de Travail). Ce désir raisonné de trouver une place dans la société sans y sacrifier sa vie personnelle ou professionnelle, cette attitude, réaliste mais pas nécessairement désenchantée, laisse les seniors perplexes.

« Les seniors développent encore de l’énergie pour batailler mais peut-être se posent-ils trop de questions. Leur conscience professionnelle est souvent en porte à faux. Les jeunes sont plus pragmatiques : le boulot, c’est le boulot ! » Agnès, 49 ans, psychologue.

« Je n’ai aucun problème à cohabiter avec les jeunes au contraire. Ils sont motivés, ambitieux, sérieux. Je les trouve beaucoup moins insouciants que nous l’étions, mais aussi déterminés à ne pas laisser le métier partir n’importe comment ». Florence, 45 ans, journaliste.

Un bémol peut parfois atténuer ce beau consensus. « Je sens un décalage avec les jeunes générations qui sont dans une approche à court terme et basée

sur leur propre carrière. Ils ont plus d’exigences que nous n’en avions et ils veulent aller plus vite. Les

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seniors peuvent leur apprendre la patience ». Frédérique, 54 ans, chef de projet système informatique.

Les seniors peuvent aussi porter un regard sévère sur le monde professionnel qui est légué aux nouvelles générations.

« Etre un junior, c’est pire que tout : on est de la chair à canon et c’est très dur ». Pierre, 47 ans, directeur de la communication.

« J’ai vu des jeunes travailler dans une logique de production intensive car c’est le sésame pour décrocher une prime, des avantages, et surtout, un CDI. Ils ne se posent pas de questions : ils font ce qu’on leur dit ». Agnès, 49 ans, psychologue.

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IIIème PARTIE. LE BILAN DE COMPETENCES APRES 45 ANS : QUELLES ATTENTES ?, QUELLES SPECIFICITES ?

« Une métamorphose ne peut manquer de nous surprendre en quittant la jeunesse pour l’âge mûr. La manière d’appréhender le monde n’est plus la même. Les flèches du désir ont changé en plein vol leur trajectoire ? Les cinq sens se sont modifiés. D’une part ils s’affinent ; il n’est plus question de tout dévorer à la fois, d’avaler et d’engloutir ce qui se présente, sans différencier les saveurs. D’autre part, ils se restreignent, se focalisent. Sélectifs, ils repèrent les points d’ancrage, décèlent et choisissent, dans la multitude des possibles, les éléments utiles au projet d’existence qui, désormais, pour chacun, se précise ». Christiane Singer, « Les âges de la vie ».

1 – POURQUOI FAIRE UN BILAN DE COMPETENCES APRES 45 ANS ?

Avec le temps du milieu de la vie, trois tâches importantes sont à l’œuvre : - (ré) évaluer son passé, réviser sa vie à la lumière du fait qu’on est plus tout à fait jeune et

certainement mortel, mais aussi utiliser son temps de vie autrement ; - réajuster son travail, son rêve, ses valeurs personnelles, ses aspirations de vie (en ayant une

meilleure conscience de ses forces et de ses faiblesses) ; - atteindre une plus grande individuation en faisant face aux questions existentielles.

Ce sont toutes ces réflexions philosophiques et métaphysiques, que présente le senior dans un bilan de compétences et qui, dès lors, élargissent le cadre d’un questionnement professionnel.

A. Evaluer son passé

Si les seniors ne constituent pas une population homogène, ils ont en commun la durée, ayant fait leur preuve dans un système prompt à rejeter les plus inadaptés. Le temps de se frayer une route professionnelle semée d’embûches, de franchir des étapes, de gagner quelques galons, et les voilà déjà parvenus à l’heure des bilans.

« En général un senior est investi au-delà du contrat de travail. Du fait de son éducation, il a développé la notion de devoir plus que de droit. Il aime une copie propre, il est attaché à la qualité du travail rendu ; il n’aime pas faire les choses par-dessus la jambe. Il ne travaille plus pour sa carrière mais pour une entreprise. Il se retourne et se dit : tout ce chemin parcouru !». Frédérique, 54 ans, chef de projet système informatique.

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« … L’être moderne, enfermé dans son personnage social finit souvent par se laisser piéger par son rôle. Dans une première partie de sa vie, il a fait carrière, construit ou non une famille, et assuré sa position sociale. Arrivé au terme de cette période, il ne sait souvent plus comment se définir sinon par ses titres, ses revenus ou son statut : c’est alors que la crise de mi-carrière menace, laquelle se caractérise successivement par la recherche du « fil conducteur » de sa propre histoire, la tentative de modifier sa trajectoire et, enfin, la quête d’une issue satisfaisante qui le conduise jusqu’à la retraite. Cette crise de mi-carrière, exposée à l’aggravation en raison du contexte actuel de l’emploi, et la crise du milieu de la vie, semblent bien constituer les deux faces du tournant de la quarantaine », Françoise Millet-Bartoli34.

En effet, il est habituel que les seniors s’interrogent, en commençant leur bilan de compétences : les choix que j’ai fait, ou que la vie m’a présentés, les postes que j’ai occupés, correspondent-ils à ma personnalité ? Et même les études que j’ai faites, étaient-elles appropriées ? Derrière ces questions se profile, sous-jacente, l’angoisse de l’impossible retour en arrière : « Ai-je vraiment fait les bons choix ? ». Les seniors sont à la recherche du fil rouge, du fil d’Ariane, du fil conducteur donnant de la cohérence à leur parcours professionnel.

« Lorsque je suis arrivée en bilan de compétences, je me posais des tas de questions : comment j’en étais arrivée là, par quel cheminement j’avais pris ce poste-là et à cet âge-là. La réponse a été découverte au fur et à mesure des séances. Un senior a besoin de s’arrêter, de faire une pause pour regarder dans le rétroviseur et mieux repartir ». Sylvie, 45 ans, responsable de l’administration des ventes, en recherche d’emploi.

« J’ai vraiment vécu le bilan comme un ressourcement et cette impression est très liée aux questions que l’on se pose à mon âge. J’avais besoin d’incarner mon parcours, mon passé professionnel. A partir du moment où j’ai compris ce qui avait marché/pas marché, j’ai su quoi faire pour réussir dans l’avenir ». Isabelle, 50 ans, cadre dirigeant dans une grande entreprise de service public.

« J’avais besoin de réfléchir à mon parcours, à l’analyse de mon profil de personnalité, de comprendre la démotivation qui m’envahit depuis trois ans. J’ai compris pourquoi. Ma réflexion a été structurée par le bilan de compétences ». Pierre, 53 ans, directeur de l’audit dans une administration régionale.

Entre le passé revisité et l’avenir incertain, pris dans les inquiétudes et la conscience spécifiques liés à son âge, le senior en bilan de compétences vit une transition, c’est-à-dire une période particulière de confusion, d’obscurité et d’attente.

B. Réajuster son travail

Les seniors ont des interrogations propres à leur situation, se demandant comment durer pendant les années qu’il leur reste à travailler et/ou comment mettre en œuvre une activité qui ait du sens pour eux, dans laquelle leur contribution aurait une réelle valeur. Ils peuvent aussi être soucieux de terminer leur carrière « en beauté », d’accomplir un dernier parcours dont ils pourraient être fiers. En entamant

34 « La crise du milieu de la vie », Odile Jacob, 2002.

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la deuxième partie de sa vie, a fortiori son dernier tiers, l’homme éprouve le besoin de laisser sa marque, de contribuer au futur, dans la perspective de la suite du monde, éventuellement un monde meilleur.

« Mon objectif est de créer ma propre entreprise de finance et de l’orienter sur la problématique du développement durable. J’entends mettre en place de nouvelles manières de travailler, d’opérer, de m’associer avec un ingénieur et un financier, de proposer un autre modèle de gouvernance ». Pierre,47 ans, directeur de la communication.

« J’ai passé plusieurs caps : 50 ans, 30 ans d’activité professionnelle, 15 années comme directeur financier, 5 années à la direction de l’audit. Si je veux bouger, c’est maintenant ». Philippe, 53 ans, directeur de l’audit dans une administration régionale.

Le senior en bilan ne se présente pas comme un vieux, mais comme un professionnel expérimenté. « Les questions que je me posais en arrivant en bilan de compétences étaient : que sais-je faire ? Et

que puis-je encore apporter à l’entreprise ? Elles n’étaient pas liées à mon âge ; elles étaient corrélées à mon ancienneté dans l’entreprise. On me disait que j’avais déjà tout fait, en sous entendant que cela devenait pénalisant ». Carole, 50 ans, cadre dirigeant dans une grande entreprise de service public.

Le senior en bilan ne se présente pas comme un vieux mais comme un professionnel expérimenté, à la recherche d’un deuxième souffle...

« J’avais besoin de faire un point, de prendre un peu de champ. J’avais 25 ans de carrière et je n’avais jamais fait de bilan. A la faveur d’un départ négocié, j’ai éprouvé le besoin de poser mes valises. Plutôt que de rechercher tout de suite un job chez un concurrent, je souhaitais réfléchir à mes aspirations nouvelles. J’avais envie de tourner la page et d’en écrire une autre ». Gilles, 54 ans, commissaire général d’expositions.

« Au moment du bilan, j’avais 46 ans et je m’estimais à mi-parcours. Après 8 ans passés dans la même société, je me demandais comment réorienter ma carrière pour les 20 prochaines années, en sachant que je ne me voyais pas continuer dans ce que je faisais ». Pierre, 47 ans, directeur de la communication.

« J’ai réalisé un bilan de compétences car j’avais été recalé pour passer ma maîtrise et je voulais comprendre pourquoi, savoir si j’étais plus idiot qu’un autre. Ceux qui ont été pris avaient beaucoup moins d’expérience que moi. Ma hiérarchie n’a pas eu le courage de me dire les choses en face ». Richard, 47 ans, conducteur de bus.

… d’un deuxième souffle et d’un vrai projet. « Je n’ai pas d’évolution dans le domaine du droit et je n’ai pas envie de reprendre un autre métier

en entreprise car je sais que je devrais tout recommencer à zéro. En France, si vous changez de métier, les DRH considèrent que vous devez repartir de la base. Mon mari me poussait à être avocat mais cela ne me plaisait pas. L’enseignement ? J’ai beaucoup donné avec les enfants et je ne pense pas être faite pour cela. Alors j’ai fait un bilan de compétences pour dégager ce que je suis capable de faire, pour avoir des pistes. Je pensais déjà à la création ou à la reprise d’entreprise : j’aimerais créer un business sur internet. J’ai donc décidé de tout changer et c’est cela qui m’intéresse ». Albane, 48 ans, juriste d’entreprise, hors emploi, en phase de création d’entreprise.

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« J’avais déjà eu deux vies professionnelles et je voulais trouver une troisième phase pour l’après-50 ans. Plus qu’à l’âge, je dirais que mes questions étaient liées à la maturité professionnelle, à ce que j’avais encore envie de donner et pour quel résultat ». Agnès, 49 ans, psychologue.

C. Faire face aux questions existentielles.

Le mitan de la vie est cette période clé, généralement située entre 40 et 60 ans, au cours de laquelle l’homme assiste à une transformation de son corps et donc de l’image de soi, à l’exploration de nouveaux rôles et de nouveaux aspects de lui-même, à la peur de vieillir qui alterne avec la confiance qu’apporte la maturité, à l’appel à une vie plus « intérieure », où le critère de réalisation de soi devient essentiel. Cette époque charnière est souvent associée à la notion de « crise » due au temps qui passe, incitant à davantage de discernement et à la mise en place d’un jugement personnel ayant des conséquences directes sur la suite de la vie. Pour Jung, la transition la plus importante se situe au mitan de la vie.

« Ce sont l’épuisement professionnel ainsi qu’un questionnement sur ma seconde partie de carrière qui m’ont amenée à faire un bilan de compétences ». Agnès, 49 ans, psychologue.

« Je me demandais si j’avais envie de continuer à être comédien et si non, quel autre métier faire. Ce n’était pas une question de senior, c’était une manière de mettre fin à ma plainte ». Jacques, la soixantaine, comédien.

Nombreux sont les seniors à vivre ce que la psychologue Maryvone Gognalons-Nicolet a appelé « la maturescence ». Cette contraction des mots maturité et adolescence, désigne la remise en question de l’identité sociale que vivent les individus matures et qui serait indispensable pour éviter le sentiment d’impuissance et, parfois, de désespoir qui peut en découler.

2 – LES PREOCCUPATIONS DES SENIORS

A. Recomposer sa vie.

Le professionnel expérimenté est, par définition, une personne qui travaille depuis longtemps. Le temps passant, il s’interroge de plus en plus profondément sur le sens de ce qu’il fait. En effet, les seniors sont nombreux à avoir laissé leur profession définir leur identité et, aujourd’hui, à se demander : a-t-on raison d’assimiler travail et production de sens ? L’attitude des jeunes qui semblent plus détachés dans leur investissement professionnel ou simplement dans leur rapport au travail, les interpelle. Ses propres enfants ont grandi ; il les aide à partir, à s’installer. Lui-même cohabite, dans l’entreprise, avec la nouvelle génération. Elle travaille vite, utilise les technologies avec virtuosité jusqu’à lui donner le sentiment d’être dépassé sur ce terrain-là.

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A l’heure des bilans, et de la consolidation, le senior prend conscience de ce qu’il souhaite apporter de différent, notamment en termes de savoir-être.

« La question que l’on se pose, à 45 ans, c’est comment capitaliser sur son expérience car on redoute d’être vieux sur le marché du travail. En fait, on a d’autres choses à apporter (le goût d’aider, d’être un bon guide, de gagner du temps, une plus grande ouverture d’esprit car on a moins les idées arrêtées) et à découvrir (on a besoin d’approfondir des domaines qui nous intéressent). On a également une plus grande disponibilité pour être à l’écoute des autres et créer des relations différentes ». Florence, 45 ans, journaliste.

Plus que trouver le sens, les seniors sont désireux de donner du sens à ce qu’ils font. En français, le mot « sens » est brouillé dans ses deux champs sémantiques pourtant distincts (sen et sensu en latin) signifiant à la fois la direction à prendre (sens unique, sens interdit, dans les deux sens) et la signification des choses, la raison d’être. Ainsi, s’amuse Christiane Singer, « le sens de la vie, si clairement philosophique dans d’autres langues, reçoit-il peut-être en français, dans notre imaginaire collectif, une connotation sèche de signal routier. « Pourriez-vous m’indiquer, s’il vous plaît, le sens de la vie ? » Christiane Singer « Où cours-tu ? Ne sais-tu pas que le ciel est en toi ? » 35.

« La question du sens est très importante, c’est un fil conducteur pour s’en sortir psychiquement ». Agnès, 49 ans, psychologue.

« A 50 ans, on a acquis une expérience qui constitue une richesse intérieure que l’on n’exploite pas forcément ». Isabelle, 50 ans, assistante d’élu.

Nombreux sont les seniors à revisiter leurs priorités. L’adrénaline contenue autrefois dans les objectifs à atteindre, les « challenges », n’a plus le même effet, les loisirs de classe (ski en hiver, mer en été) n’ont plus le même attrait de conformité. Avec le temps, l’individu se rapproche plus profondément de lui-même et de ses vrais besoins.

« Il faut faire intervenir l’être dans sa globalité pour pouvoir gagner sa vie ». Florence, 45 ans, journaliste.

« Pendant le bilan je me demandais comment j’en étais arrivée là et j’ai eu la réponse au fur et à mesure des séances. J’ai été passive, on est venu me chercher, j’ai accepté les postes qu’on me proposait ; il a quand même fallu une certaine ambition car j’ai démarré sans avoir le baccalauréat. Ma stratégie était simplement de réussir. Je me suis déjà prouvée à moi-même et j’ai prouvé aux autres ce que j’étais capable de faire. Maintenant je cherche un job qui me satisfasse pleinement ». Sylvie, 45 ans, responsable de l’administration des ventes.

Des questionnements plus lourds se présentent, sollicitant une implication profonde, des réponses personnelles, d’éventuelles remises en question. Dans ces nouvelles aspirations, les seniors s’interrogent sur l’opportunité de ramener du travail à la maison et de laisser leur portable allumé le week-end. Il ne s’agit pas nécessairement d’un désengagement, surtout si le senior est assuré de ses compétences et bien intégré dans son entreprise, mais d’une volonté de se dégager de la pression inutile, de parvenir à concilier sens des responsabilités et responsabilité du sens à donner à sa vie.

35 Albin Michel, 2001.

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Ne plus être accaparé devient essentiel à l’heure des réflexions plus denses et des premiers bilans plus lourds.

« Avec mon âge, je pense que je suis plus lente car j’ai la volonté de prendre soin de moi, en cherchant à comprendre ce qu’on me demande et d’y trouver du sens. Avant de répondre à une demande, je désire comprendre si cela est pertinent ». Agnès, 49 ans, psychologue.

Forts de cet état d’esprit, de nombreux séniors aspirent à de nouvelles fonctions, le plus généralement tournées vers l’expertise ou vers une activité dans laquelle leur contribution produira des résultats concrets, aura des effets tangibles. Françoise Millet-Bartoli évoque même ce besoin de mettre en pleine lumière les « aspects négligés de soi-même qui cherchent à s’exprimer de façon urgente ».

« J’avais besoin de faire le tri sur ce dont j’avais envie, plus envie, ou ce qui me semblait trop compliqué car je n’ai plus 25 ans. J’avais besoin de poser sur la table les choses que j’avais acquises dans mon travail et hors de mon travail, sur ce que j’avais mis de côté. Il n’y avait qu’une partie de moi qui était investie ». Florence, 45 ans, journaliste.

Parfois, rompre avec certains attachements permet de devenir un peu plus soi-même. « Pour faire quelque chose de plus motivant, exercer une activité dans laquelle je verrai davantage

les résultats obtenus, je serai prêt à baisser mon salaire ». Pierre, 53 ans, directeur de l’audit dans une administration régionale.

B. Conquérir une plus grande liberté.

Moins minés par le sentiment d’avoir (peut-être) manqué leur vraie vocation, les seniors commencent à s’affranchir de cette croyance ou de cette conviction, que leur travail est leur identité. Ils commencent à gagner en liberté. Les sentiments de désarroi, d’envie ou de regret sont souvent passés. « Ce n’est pas seulement des prisons du quotidien que l’on souhaiterait s’échapper. C’est aussi du regard des autres (…) de nos prisons intérieures qui se manifestent à travers des choix qui n’ont pas été aussi libres qu’il y paraissait. « Ai-je vraiment fait les bons choix ? » se demande-t-on avec anxiété. Cette question essentielle à mi-vie peut concerner un secteur particulier de la vie ou plusieurs à la fois »36.

« J’ai acquis la liberté de dire non. Je n’ai pas peur d’expliquer pourquoi cela va générer des problèmes de faire ce que l’on me demande ». Agnès, 49 ans, psychologue.

Et un senior qui dit « non » a souvent une autre solution à proposer qu’il estime plus pertinente. En outre, plus le temps passe, plus les individus expriment l’envie et le besoin de devenir maîtres de leur organisation.

« Je sais ce vers quoi j’ai envie de tendre et cela m’amène à faire des choix plus rapides. Je ne veux plus travailler comme je le fais. Mon projet est de devenir maître à bord. Je veux le faire dès maintenant et ne pas attendre d’avoir 65 ans. Je vise mon épanouissement personnel : faire de son

36 « La crise du milieu de la vie. Une deuxième chance ». Françoise Millet-Bartoli. Odile Jacob, 2002.

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travail son seul pilier dans la vie est très dangereux. J’ai envie de retrouver un équilibre ». Florence, 45 ans, journaliste.

Ces tâtonnements, ces constructions malhabiles qui parviennent à se consolider avec les années, commencent à produire d’heureux effets. Le psychologue Abraham Maslow le disait lui-même : « il n’est pas naturel de savoir ce que l’on veut. C’est un rare et difficile accomplissement psychologique » (in « Motivation et Personnalité »). Toutefois, l’expérience – issue des échecs autant que des succès - ayant généralement apporté de la clairvoyance, nombreux sont les seniors à revendiquer leur faculté de discernement.

C. Construire un projet qui ait du sens.

Au milieu de la vie, il est rare que les changements s’improvisent ; le plus souvent ils se préparent, même si des opportunités se présentent.

« A 54 ans, il n'est pas toujours facile de réaliser un fantasme. Je rêvais de reprendre une exploitation agricole, une bergerie. Nous nous sommes amusés à aller jusqu’au bout de ce rêve. Gérer une TPE ? J’en ai les compétences mais on ne m’attend pas. Il faut trouver la bonne idée, le bon créneau, avoir les capacités financières. Le constat est très clair : passé 50 ans, ce n’est pas la peine d’essayer une seule seconde de changer de secteur, car on est trop marqué. Les employeurs recherchent des clones et les recruteurs manquent totalement d’imagination pour transférer les compétences d’une personne sur un autre secteur d’activité ». Gilles, 54 ans, directeur de salons professionnels.

« Séniorité » ne rime pas nécessairement avec frilosité. Repartir dans un projet peut se faire à tout âge et comprendre une partie de risque. De nombreux seniors sont prêts à relever de nouveaux défis pour peu qu’ils aient vraiment un sens pour eux.

« A 50 ans, il faut foncer. On a encore la santé et l’on peut beaucoup apporter. Senior n’est qu’un mot ». Isabelle, 50 ans, ancienne assistante parlementaire.

« Oui, après 45 ans, je peux prendre un risque. Grâce à mes « stocks options », j’ai des réserves financières et je peux tenter quelque chose ». Fabienne, 54 ans, en phase de création d’entreprise.

« Oui bien sûr que l’on peut prendre un risque après 45 ans si non, c’est la mort clinique. Dans la perspective de mon projet, je perçois le fait d’être un senior plutôt comme un avantage : je suis propriétaire de mon appartement, j’ai acquis de nombreuses connaissances, j’ai construis un parcours de 20 ans ». Pierre, 47 ans, directeur de la communication.

« La prise de risque après 45 ans ? Oui, c’est possible, mais à cet âge, on a pris des engagements dans la vie, notamment financiers. Ainsi, à 53 ans, je ne prendrais des risques que si j’estime que mes chances de succès sont raisonnables », Philippe, 53 ans, directeur de l’audit dans une administration régionale.

Repartir et durer dans un projet est une préoccupation que partagent de nombreux seniors, tous les salariés expérimentés n’étant pas, loin s’en faut, obsédés par la retraite.

« Je ne veux même pas savoir combien d’années il me reste à travailler jusqu’à la retraite. Me dire que dans 6 ans je pourrais envisager de quitter le monde du travail est un raisonnement surréaliste car j’ai envie de continuer à rencontrer des gens, à développer des idées, à créer des choses. De toute

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façon, je dois travailler encore 15 ans pour avoir une retraite correcte ». Gilles, 54 ans, directeur de salons professionnels.

3 – LES SPECIFICITES D’UN BILAN SENIOR.

A. L’attente des seniors à l’égard du bilan de compétences

Le senior réalisant un bilan de compétences cherche en priorité à s’enrichir personnellement et s’attend à être accompagné par un interlocuteur qui soit lui-même expérimenté.

« Ma démarche allait au-delà de la vie professionnelle car je voulais donner un autre sens à mon existence que le travail. C’était plus profond. Ces questions n’étaient pas liées à mon âge car je les ai toujours eues mais l’âge est intervenu comme un déclic. Je voulais faire un bilan personnel plus que professionnel, poursuivre une réflexion sur le sens que je veux donner à ma vie dans les années à venir ». Frédérique, 54 ans, chef de projet système informatique.

« Un senior qui effectue un bilan de compétences a besoin de beaucoup d’écoute et que son consultant fasse preuve d’une grande psychologie. Il faut qu’il puisse entendre ce qui ne va pas (avec une franchise élégante) mais aussi tout ce qui va, sans se leurrer sur ses limites. Bien entendu, il a aussi besoin de travailler l’estime de soi : c’est ça qui booste car tout se passe dans la tête ». Isabelle, 50 ans, assistante parlementaire.

« Je pense qu’un junior est en bilan de compétences dans une recherche d’optimisation professionnelle tandis qu’un senior est davantage dans une recherche d’enrichissement personnel ».Fabienne, 54 ans, en phase de création d’entreprise.

« A 50 ans, on est dans un bilan de fond. Quand on a passé les 2/3 de sa vie, on a des besoins d’à côté qui sont plus forts. On a besoin de sortir des rainures du monde du travail ». Marion, 54 ans, chef de projet système informatique.

Les attentes d’un senior sont aussi très pragmatiques car il a besoin d’une méthode pour trier ses idées, rassembler ses nombreuses expériences, ordonnancer ses compétences, éclaircir ses motivations en mutation, transformer le tout en un projet réalisable.

« Dans un bilan senior, il ne faut pas se poser de limites, tout en étant réaliste et sans s’empêcher de rêver. C’est un balancier : sur un plateau vous déposez un parcours identifiable et sur l’autre, vous mettez vos « hobbys », vos désirs, ce qui est resté en friche, qui pourrait se combiner ou aboutir sur un autre chemin ». Florence, 45 ans, journaliste.

Le senior a également besoin d’une préparation, d’un entraînement même, afin d’apprendre à valoriser ses atouts, autrement dit à transformer le handicap de l’âge en avantages (expertise, maturité, disponibilité, fiabilité) pour l’entreprise.

« Le questionnement d’un bilan senior doit être orienté vers l’avenir qui paraît bien incertain dans le contexte actuel de racisme lié à l’âge. Il doit tourner autour de ces deux interrogations : où voulez-vous aller et comment y parvenir ? Par quels chemins ? Il doit comprendre une documentation spécifique sur la création d’entreprise et le statut d’auto-entrepreneur autant qu’une préparation

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soignée aux entretiens d’embauche. Il est important que le senior sache quels atouts mettre en avant pour passer la barrière de l’âge ». Sylvie, 45 ans, responsable de l’administration des ventes.

Il a besoin de réunir une documentation spécifique pour répondre à des questions pratiques concernant la préparation de l’entretien de deuxième partie de carrière, l’accès et le besoin à la formation, la création d’entreprise, le statut de consultant et/ou d’auto-entrepreneur, les dispositifs réglementaires concernant les seniors, le cumul emploi-retraite pour les plus âgés.

« Il ne faut pas hésiter à donner des bonnes adresses, une base de données, des astuces pour pallier la difficulté à obtenir le financement de formations, mais aussi aider à la reprise d’entreprise. Un bilan senior doit aussi prodiguer des conseils spécifiques pour savoir se vendre. Un senior peut être tellement laminé lorsqu’on lui dit qu’il est trop cher et pas assez compétitif ! ». Albane, 48 ans, juriste d’entreprise, hors emploi, en cours de création d’entreprise.

B. Les apports spécifiques d’un bilan senior.

Offrir un zoom à large spectre.

Tout travail de bilan est à la fois méthodologique et sur mesure. Dans un bilan senior le « sur mesure » est à plus large spectre puisqu’il s’agit de reconsidérer tout le passé professionnel – pour lui rendre sa cohérence, sa signification, sa noblesse – et d’éclairer la route qui se profile. Par ses apports, le bilan de compétences permet de poursuivre sa vie professionnelle, de faire un choix d’avenir plus éclairé. Que ce soit en commençant par débloquer une situation enlisée…

« Le bilan m’a beaucoup aidée car j’étais perdue, je me sentais fermée et très pessimiste, j’avais un blocage. Dans un premier temps, je me suis remise en question en entamant une réflexion sur moi-même qui m’a fait bouger. Puis, j’ai entamé des démarches qui ont déclenché des propositions. Les premiers effets n’ont pas été professionnels mais j’ai déménagé de la campagne vers le centre ville. Cela m’a donné envie de bouger et j’ai entrevu une lueur d’espoir ». Isabelle, 50 ans, en recherche d’emploi.

« Le bilan aide à résoudre certaines difficultés liées à son travail et que je ne voyais pas forcément car je m’y étais adaptée. Il m’a permis d’évoluer dans ma réflexion avant de décider de changer - ou non - de cap. Aujourd’hui, je cherche davantage à définir ce que je veux faire dans mon métier de journaliste et j’ose l’exprimer pour concrétiser mes idées. Je souhaite moins me laisser porter par la vague, plutôt que de discuter, je propose ; j’ai envie d’être acteur ». Florence, 45 ans, journaliste.

« J’ai vécu mon bilan de compétences comme un bilan d’orientation de vie à l’intérieur duquel des choix professionnels ont été réfléchis Depuis cette démarche, j’ai repris un cycle de plusieurs formations ; j’ai passé le grade d’animatrice de randonnée ; je construis un projet d’achat immobilier. Le travail est devenu un peu annexe à ma vie. Il m’apporte une liberté financière et une liberté d’action ». Agnès, 49 ans, psychologue.

… Ou que ce soit en apportant une meilleure connaissance de soi. « La façon dont j’ai vécu le bilan de compétences a évolué dans le temps. Au départ, j’avais des

attentes très fortes : je voulais trouver une voie claire, nette, écrite noir sur blanc et j’avais tendance à

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vouloir me diriger vers autre chose, par fatigue. Au fil des discussions, par petites touches, une synthèse est apparue qui m’a orientée vers une façon nouvelle d’être dans mes relations professionnelles. J’ai gagné en sérénité. Avant le bilan j’avais la pression des résultats, le stress, le nez dans le guidon. Après, j’ai regardé les choses d’un autre œil. J’ai compris que ce n’était pas la peine de se mettre dans un tel état. La démarche a eu des effets plus subtils que ce que j’imaginais au départ et elle m’a permis de faire le bon choix par la suite ». Gilles, 54 ans, directeur de salons professionnels.

« Le bilan m’a permis d’être en paix avec moi-même. Je n’ai plus besoin de prouver plein de choses aux autres et je ne me sens plus obligée de remuer tout de fond en comble pour avancer. J’ai un métier ; je peux m’occuper de moi ». Patricia, 45 ans, secrétaire de direction.

Ne plus avoir à prouver aux autres ce que nous sommes et ce dont nous sommes capables constitue une étape vers la sérénité, lui répondrait Françoise Millet-Bartoli37.

« Le bilan m’a apporté une légitimité pour re-questionner mon cadre de travail, ma relation avec l’entreprise dans une optique adulte/adulte et non plus parent/enfant. Je n’ai même plus peur de rien, vous pouvez l‘écrire. Pour en arriver là, il aura fallu faire le clair avec ce qui a marché, pas marché, sortir d’une relation de dépendance un peu inconsciente et ma crainte à dire les choses. Avoir pu, pendant le bilan, expliquer mon vécu difficile et montrer mes faiblesses m’a donné de la force et une grande liberté ». Agnès, 49 ans, psychologue.

Installer la confiance en un avenir possible.

Quel que soit l’âge auquel il est réalisé, le bilan de compétences a généralement pour effet de remobiliser les personnes. Chez les seniors, il ne s’agit plus tant de restaurer une confiance en soi défaillante, comme souvent chez les plus jeunes, mais d’installer la confiance en un avenir possible.

« Le bilan m’a confortée dans mon projet. L’étude de ma personnalité a été très importante. Je sentais beaucoup de choses mais ne savais quels mots utiliser : j’ai vu la réalité en plein jour ». Albane, 48 ans, juriste d’entreprise, hors emploi, en cours de création d’entreprise.

Pour se voir confier des missions intéressantes, retrouver du travail après 50 ans, il est déterminant d’avoir analysé ses compétences, appris à mettre en valeur ses acquis professionnels et gagné en recul sur son parcours.

« Le bilan de compétences permet de rester optimiste : on a des choses à vendre, on a encore du potentiel à donner. Cette démarche rend un peu plus acteur et donne l’envie de proposer ce que l’on peut avoir à offrir et que l’on a appris à formaliser ». Frédérique, 54 ans, chef de projet système informatique.

« Je suis arrivée avec l’idée de faire un choix unique, raisonnable. La solution choisie me ravit : je reste dans la technique avec ma création d’entreprise et je suis dans le plaisir avec mes deux formations au coaching ». Fabienne, 54 ans, en phase de création d’entreprise.

« J’ai eu du mal à définir des projets mais aujourd’hui, je réalise mon plan d’action : je me suis remis en réseau, sur des alertes emplois, j’ai refait mon CV ; je suis plus ouvert. Je suis en marche, c’est l’effet

37 Auteur, de « La crise du milieu de la vie », déjà cité.

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déclencheur du bilan ; on est boosté ». Pierre, 53 ans, directeur de l’audit dans une administration régionale.

Fournir une boîte à outils à forte valeur ajoutée.

Tout travail de bilan repose sur une méthodologie. De même que l’on construit un mécano, pièce par pièce, solidement vissées l’une à l’autre, le consultant permet au bénéficiaire de procéder par étapes en considérant son histoire, son parcours, ses valeurs, ses motivations, sa personnalité (qui je suis), puis ses compétences-clés (connaissances, savoir-faire, savoir-être (ce que je sais faire)). Ces deux strates constituent la base sur laquelle ses projets pourront se consolider (ce que j’ai envie de faire).

Le bilan de compétences senior offre le cadre idéal pour réfléchir à sa valeur ajoutée. Loin d’être obsolète, le salarié expérimenté est souvent détenteur d’une mémoire qui disparaîtra avec lui voire même de compétences distinctives que l’entreprise risque de perdre. Lui permettre de recenser et de valoriser ce savoir-faire devenu rare, c’est aussi consolider sa présence, son utilité, tout l’intérêt de sa contribution et donc renforcer le sentiment de sa légitimité. Il suffit de citer ces quelques chiffres mentionnés par la DARES38 pour l’en convaincre. « En 2008, 74% des employeurs du secteur marchand, comptant des seniors dans leur effectif, déclarent que les salariés de 50 ans ou plus détiennent des compétences-clés dans leur établissement. Les plus fréquemment citées relèvent de la production, du management et de la fonction commerciale. 23% de ces employeurs, soit au total 17% des employeurs comptant des seniors dans leur effectif, estiment qu’ils risquent d’être confrontés à la disparition de certaines de ces compétences-clés dans les cinq années à venir. Les secteurs les plus concernés sont la finance et l’immobilier (23%), l’industrie (22%), la construction (19%) et les services aux entreprises (19%) ».

Le bilan de compétences a pour objectif de préparer un projet principal et un projet alternatif qui tiendront compte de la réalité, du vécu, du ressenti, des valeurs et des compétences-clés du senior. Le projet principal consiste souvent en une reprise en mains de son poste grâce à la conscience de sa valeur et fort de propositions élaborées pendant le bilan. Il n’est pas rare qu’à l’issue d’un bilan, le senior redevienne force de propositions en interne tout en continuant d’élaborer un projet plus personnel qu’il mettra en œuvre plus tard ou pendant ses loisirs.

Il arrive aussi que le senior, las de faire toujours « un peu plus de la même chose », ait envie de valoriser des compétences différentes de celles que son employeur attend de lui et que cette divergence d’intérêt le conduise à envisager un projet en dehors de l’entreprise et qu’il songe à se repositionner ailleurs, autrement, ou à créer sa propre activité.

C. Un bilan global de vie

Le bilan de compétences réalisé par un senior est un bilan de la maturité axé sur le temps : celui qui est passé, celui qui passe, et celui qui reste, d’autant plus précieux qu’il s’amenuise.

38 Dares, septembre 2010, « Emploi des seniors : pratiques d’entreprises et diffusion des politiques publiques ».

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« Je pense qu’un junior est en bilan de compétences dans une recherche d’optimisation tandis qu’un senior est davantage dans une recherche d’enrichissement personnel ». Fabienne, 54 ans, en phase de création d’entreprise.

« L’attention doit être portée sur l’identification des cycles pour donner une vision, du recul sur les années passées professionnelles. Chez un senior, il est également important de mettre en évidence le lien, le fil rouge, le chemin parcouru par la personne qui a changé. Sans tomber dans la psychanalyse, ce volet personnel est très important pour tenir compte de l’évolution, dans le temps, de la personnalité et pouvoir continuer sa route », Carole, 50 ans, cadre dirigeant dans une grande entreprise de service public.

Un bilan de compétences senior ne requiert pas d’outils particuliers ou différents de ceux qui sont utilisés auprès des plus jeunes. Toutefois, du fait de la maturité des interlocuteurs, de la connaissance qu’ils ont acquis d’eux-mêmes, il est préférable que les consultants qui les reçoivent aient également de l‘expérience et de la matière à partager. D’autant qu’un bilan de compétences senior engage une inflexion sur le sens du chemin parcouru : la personne a d’autant plus de choses à trier et à répertorier qu’elle a d’années d’expérience professionnelle. Ce retour en arrière apparaît comme un préalable indispensable pour éclairer le choix de vie qu’elle entend préparer et bâtir à partir d’objectifs qu’elle s’est elle-même fixés, et qu’elle estime réalisables. Ainsi, un bilan de compétences senior s’apparente souvent à un coaching centré sur la personne. Cette démarche consiste à l’accompagner sur son chemin, en passant par ses compétences globales, certes, mais en s’éloignant d’un coaching de la performance pour se rapprocher du coaching de la réalisation de soi. Le temps lui est compté, mais le senior, généralement plus serein, privilégie la qualité à la quantité. Il est conscient que son atout majeur réside dans une performance d’un autre ordre qui consiste à s’épuiser un peu moins dans la vitesse et la représentation pour grandir un peu plus en authenticité et entretenir des relations de qualité.

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CONCLUSION

Tandis que s’allonge l’espérance de vie en bonne santé, se prolonge aussi l’espérance de vie en entreprise. Une telle évolution implique nécessairement une meilleure prise en considération des besoins des actifs vieillissants. Tout comme la société s’attache à le faire, l’entreprise devra s’adapter à cette population en améliorant ses conditions de travail, certes, mais aussi en valorisant son expérience, en négociant avec elle un avenir réfléchi et motivant. S’il doit travailler plus longtemps, le senior veut savoir pour quoi, comment et dans quelle perspective. Il n’a plus de temps à perdre pour donner du sens à sa vie professionnelle.

Dans ce contexte, une réflexion sur la GPEC (Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences) paraît indispensable pour véritablement anticiper les carrières longues. Une politique senior efficace n’est pas une série de mesures circonstancielles politiquement correctes mais qui peuvent être sociologiquement néfastes. Une politique senior efficace est, avant tout, une politique globale des ressources humaines qui a su déconstruire la « culture de la préretraite » et bâtir une vraie alternative. L’évolution professionnelle des 55-65 ans, par exemple, doit probablement s’envisager sous la forme d’une troisième partie de carrière à imaginer. Leur offrir une perspective apparaît d’autant plus nécessaire que l’âge a généralement pour effet d’accroître le niveau d’exigence des individus. Les seniors se connaissent mieux, sont plus à même de dire ce qu’ils veulent et ne veulent plus, ce en quoi ils croient et ne croient plus, et ce que, d’expérience, ils jugent pertinent ou inadapté.

Les seniors réalisant un bilan de compétences se remettent en question, s’interrogent, sont à la recherche d’un projet signifiant, susceptible d’englober et de valoriser toute une carrière et une expérience de vie. Cette exigence témoigne qu’ils ne veulent pas se désinvestir de la vie professionnelle. Au contraire, ils sont à la recherche d’un projet qui fasse sens, à l’âge qu’ils ont atteint, et qui leur apporte un nouvel élan, un second souffle.

Ainsi que l’attestent les derniers chiffres de juillet 2011 (hausse du chômage de 14 % en un an chez les plus de 50 ans), l’emploi des seniors est bel et bien un enjeu économique et social. Les nouvelles lois donnent aux salariés français un horizon professionnel qu’ils avaient perdu. Il appartient maintenant aux entreprises de développer, avec leurs collaborateurs expérimentés, une collaboration plus créative et donc plus fructueuse.

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39 Source Journal Le Monde du 27/08/2011 (selon l’Insee)

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