Le bricolage dans l'aménagement de la maison. Approche à partir de 20 pavillons en lotissement H.L.M.Í*)

Marcel CALVEZ IRTS de Bretagne

Le langage courant utilise différentes désignations pour traiter du bricolage. Les bricoles renvoient à un ensemble hétéroclite d'objets résiduels ou de petites choses, d'accessoires. Faire des bricoles, c'est faire des tous et des riens à l'utilité et au résultat parfois incertains. Bricoler désigne une activité faite par soi-même dans laquelle l'objet l'emporte sur la technique mise en oeuvre. Enfin, le bricolage tend a désigner à la fois une activité d'autoproduction et un rapport privilégie aux objets. Deux types d'acceptions courantes se dégagent : d'un côté des objets et des produits (les bricoles), de l'autre un type d'activité (faire par soi-même).

Le terrain d'enquêtes

La recherche menée a eu pour objet d'analyser la pratique du bricolage, les procédures qui la spécifient et les relations qui se nouent dans le travail. Elle s'est déroulée auprès de ménages, habitant dans un lotissement de pavillons HLM dans une commune de la périphérie de Rennes. Dans le vaste domaine des pratiques de bricolage, on s'est intéressé aux aménagements durables du pavillon, ie aux travaux qui ont eu des effets sur la structure du bâti, en vue de comprendre comment, par le bricolage , les habitants agissent sur un ordre des lieux qui leur est imposé Le domaine étudié se trouve à la croisée de deux perspectives, l'une sur la constitution du pavillon, l'autre sur le bricolage ; elle délaisse des pans du bricolage (de l'occupation à la fabrication d'objets, à l'entretien) tout comme des éléments de l'habiter (les usages , la constitution des décors ..).

Le lotissement est constitué de 131 pavillons prêts à habiter, suivant deux modèles d'habitat social proposés par le Groupement Coopératif pour les Maisons Individuelles. 118 pavillons sont des T4 à étage , d'une surface habitable de 81,82 m2. La recherche d'une optimisation de l'espace habité a conduit à une restriction de la taille des pièces (9 m2 environ pour chacune, excepté le séjour qui fait 15 m2) ; la disposition des pièces contraint préalablement leur affectation et ne permet que faiblement des

* Cet article reprend les résultats d'une recherche menée dans le cadre de l'appel d'offres " Les consommations familiales : modèles, pratiques et représentations" lancé en 1987 par la Mission du Patrimoine Ethnologique. L'étude a été financée par la Mission du Patrimoine Ethnologique au Ministère de la Culture , l'Association pour le Préparation aux Carrières Sociales ( IRTS de Bretagne à Rennes ), l'Institut Culturel de Bretagne ( Skoi Uhel ar Vro ) et la Chambre Régionale des Métiers de Bretagne.

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possibilités d'usages multiples ou combinés. En revanche, les autres pavillons (13 de type 5) par la taille des pièces et l'existence de combles aménageables présentent des possibilités d'usages différenciés. D'un coût plus élevé, ils ont été acquis par des ménages qui avaient un apport d'épargne couvrant le quart du coût total d'acquisition ( soit 100 000 F en 1974). Pour les 74 , l'apport d'épargne est mineur ( 3 à 5 % du coût total). Les habitants ont un statut de locataire-attributaires en accession.

Le lotissement est occupé entre 1974 et 1975. La population est formée de deux types principaux de ménages. D'une part, ce sont des familles dont la composition est établie ; les parents ont entre 30 et 40 ans, en moyenne dix années de mariage ; ils sont originaires des environs de Rennes et occupent des emplois ouvriers. D'autre part, ce sont des couples plus jeunes, nés aux alentours des années 50 ; la durée de vie conjugale ne dépasse pas 5 années ; la composition familiale n'est pas encore établie ; l'activité profesionnelle et l'origine géorgraphique sont diverses ; on y trouve principalement des employés et techniciens . Dans ces ménages , la femme exerce une profession salarié, ce qui n'est pas le cas des premiers. La taille des familles, une fois constituées, va de 1 à 4 enfants ; le tiers des familles a trois enfants, le tiers deux enfants.

L'enquête a été menée auprès de 20 ménages , dont 16 habitant en 74. Compte tenu de la disposition interne des pavillons, on pouvait s'attendre à y trouver des aménagements durables plus importants que dans les T5 dans lesquels des possibilités d'extension à l'intérieur des murs existaient. les 4 pavillons T5 étudiés sont là pour comprendre comment d'autres réponses d'aménagement ont été apportées. On a choisi trois unités de voisinage au sein du lotissement, en vue de rendre compte des échanges de proximité. En fait, ce critère s'est révélé peu pertinent, tant la coopération de voisinage, après la délimitation des parcelles et la pose des clôtures, est restreinte en matière d'autoproduction et tant les céhanges de matériaux et d'outils sont infimes. On n'a pas recherché les "bons bricoleurs", mais une diversité de situations, d'autoproduction ou d'appel au marché, permettant de comprendre ce bricolage dans la diversité de ses réalisations. L'enquête a eu pour objet de reconstituer avec les personnes, les aménagements successifs opérés, l'origine des projets et le déroulement des travaux ; eile s'est accompagné la plupart du temps d'une visite des lieux. Elle a été complétée par des enquêtes, sur le comportement du consommateur auprès de surfaces de ventes, et d'un travail avec les artisans. C'est à partir de là que l'on a analysé les pratiques du bricolage.

L'indéfinition du bricolage

L'intérêt principal accordé au déroulement du bricolage procède de la méconnaissance dans laquelle se trouve cette forme d'activité. Elle apparaît d'une telle évidence qu'elle ne semble pas, dans les recherches, requérir de définition autre qu'un implicite ou qu'une approche générale du type " faire

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par soi-même".

HOGGART notait que, dans une société où les divertissements abondent, le bricolage est une des formes de survivance "du goût populaire de l'expression personnelle. [Ce] goût du bricolage ne tient pas seulement à un souci d'économie, mais aussi à toute une définition sociale de la vie familiale " (1970 : 382) II est l'expression d'une culture manuelle et d'un savoir faire qui permet "aux ouvriers de "se reclasser" et de s'affirmer comme spécialistes, malgré les huit heures passées à un travail sans intérêt.". Il s'oppose au "bricolage sur-outillé des classes moyennes" dans lequel l'outil l'emporte sur le savoir-faire du bricoleur .

Les recherches récentes menées sur le bricolage ne se sont pas véritablement intéressées à cette relation entre le savoir-faire et l'outil, ie au déroulement même du bricolage. Elles ont privilégié une perpective en termes de production de l'identité. Pour PIONA et BRENAC "la spécificité du bricolage est de constituer un "condensé de sens"et par là, d'être un révélateur, un analyseur de conduites porteuses de sens dans les principales dimensions de la vie humaine. " ( 1985 : 432). Pour JARREAU, la pratique du bricolage est "apparue comme un mode d'entrée privilégié pour appréhender les aspects "privés" de ce que l'on nomme les modes de vie, comme terrain particulièrement propice pour enrichir [saj problématique {...] sur la question plus générale du lieu social." ( 1985 ; 7). Dans ces approches, le bricolage a un statut de métaphore pour comprendre la production des territoires par les sujets sociaux . En définissant le bricolage en tant que production des usagers, aux marges du marché , elles insistent sur le fait qu'il interprète , détourne, voire subvertit "l'ordre dominant" . Il constitue alors un domaine privilégié d'approche des tactiques de ruse des sujets . (De CERTEAU ; 1980) Ce type de recherche privilégie le "dire" des bricoleurs, suivant en cela les perpectives tracées par LEFEBVRE pour qui " la façon d'habiter, le mode ou les modalités d'habiter s'expriment dans le langage.!...] Les individus et les groupes constituent un lien actif et incessant entre 'l'ensemble social d'une part et d'autre part les sytèmes partiels, la langue leur servant à la fois de moyen, d'intermédiaire, de milieu" ( 1970 : 167-8).

Mais, dans ces approches, le " faire" des bricoleurs reste largement indéfini : on ne sait pas grand chose des tactiques de détournement, ni de la culture matérielle, de la manière dont e\\e se constitue, des relations entre les savoir-faire et les outils, des produits de cette activité.

Aperçu statistique sur les pratiques

Sur le "faire" du bricolage, les statistiques sont peu développées. Une enquête nationale réalisée en 1981 (SECED-UNIBAL, citée par PIONA ; 1985) souligne la diffusion du bricolage dans toutes les couches de la population. Mais cette activité est très masculine, et relativement peu

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partagée par les femmes. L'essentiel des travaui concerne le logement et le jardin. L'étendue des activités de bricolage dépend de la catégorie socio-professionnelle du mari.

Ces résultats sont confirmés dans les études plus récentes du CREDOC sur une population de 818 ménages propriétaires ou en accession à la propriété .(ZARCA ; 1987, 1988). L'évaluation delà capacité à réaliser par soi-même la totalité d'une tâche décroît à mesure qu'elle devient complexe : ainsi ,63.8% des personnes s'estiment aptes à faire la totalité d'un travail de peinture ou de papier peint et moins de 20 % la menuiserie, la plomberie ou le chauffage. Le quart des hommes considère que leur épouse n'est pas bricoleuse ; pour les autres une fois sur deux , les domaines sont dissociés . 75 % des hommes réalisent les petites réparations domestiques. On voit ainsi, comme dans les études précentes, se profiler une activité essentiellement masculine. Cette étude souligne également que la coopération dans le bricolage est très peu développée ( seuls 11, 5 % la pratiquent régulièrement dans la famille). Le bricolage se pratique principalement seul, au mieux en couple. 36 % des personnes se considèrent assez peu outillées. Enfin, le faible appel à des revues de bricolage, indique que, pour réaliser leurs travaux, les personnes comptent d'abord sur elles-mêmes.

On obtient une configuration générale du bricolage. Mais, il est approché dans les perpectives du marché du bricolage ou dans les rapports entre consommateurs et artisans ; il se déduit ainsi de façon résiduelle, à partir de catégories qui lui sont extérieures. En le considérant par rapport aux délimitations des métiers du bâtiment, ce type d'approche ignore une dimension essentielle du bricolage qui réside dans la réalisation de la totalité d'une tâche , de l'obtention des matériaux à la réalisation du produit De plus , il fait l'impasse sur le bricolage comme savoir-faire pour se consacrer à l'outillage. Il privilégie un domaine dans lequel le bricoleur met en oeuvre une technicité cristallisée dans des outils ; un bon bricoleur est défini comme quelqu'un de très outillé. Dans le lotissement, c'est le contraire qui apparaît : un bon bricoleur fait avec peu de moyens. De façon générale, son outillage disponible est réduit et il a des usages multiples (excepté pour la mécanique automobile). Quelques personnes ont fabriqué leurs propres outils à partir de récupérations de moteurs et autres accessoires ; c'est en particulier le cas d'un ébéniste qui a cessé d'exercer professionnellement et qui s'est constitué un atelier à domicile, en complément de son ancien atelier, pour des travaux de finition. Tous disposent d'un bloc-moteur électrique à usages multiples (bienheureux l'inventeur d'une telle machine !) et d'un outillage qui, même si à l'origine, il a été acquis en fonction d'une tâche précise, n'est pas astreint par la suite à un emploi déterminé dans une gamme d'opérations. Ils ne recourent ni au prêt, ni à la location de matériel spécialisé Ils définissent leur outillage comme "tout ce qui faut pour bricoler" et font avec ce dont ils disposent. C'est dire que la notion de "bien outillé" est variable et qu'elle ne se substitue pas à l'importance du geste et du tour-de-main.

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L'aaalogie de LEVI-STRAUSS

Le bricolage est une des expressions achevées d'une culture manuelle, s'appuyant sur les savoir-faire. Il convient donc de partir, non du marché pour comprendre le bricolage, mais des catégories propres au bricolage et du déroulement de l'activité pour analyser la manière dont elles prennent en compte la diversité des produits sur le marché.

LEVI-STRAUSS a développé une analogie féconde entre la science première et le bricolage en tant que technique du concret (1985: 30-46.) Le bricolage, c'est tout d'abord un type d'acteur, le bricoleur, "qui oeuvre de ses mains en utilisant des moyens détournés par comparaison avec l'homme de l'art"(30). Il est apte à réaliser un nombre important de tâches diversifiées en mobilisant des objets hétéroclites dont il dispose. Contrairement à l'ingénieur (au sens de celui qui applique un génie ou un savoir codifié), le bricoleur ne subordonne pas la réalisation d'un objet et de façon plus générale ses tâches "à l'obtention de matières premières et d'outils conçus et procurés à la mesure de son projet ; [...] la règle de son jeu est de toujours s'arranger avec les" moyens du bord".(31) Le bricoleur se constitue un répertoire hétéroclite d'objets et de matériaux , au motif que cela peut lui servir. Il évalue ce répertoire et entame un dialogue avec lui pour élaborer des réponses à un projet qu'il entrevoit. C'est alors par ses gestes et l'expérience qui les instruit, qu'il tire de ce répertoire hétoclite un objet ou une réalisation qui n'est plus tout à fait le projet, mais qui est le résultat de ce que son savoir-faire lui a permis de faire avec les éléments dont il dispose.

Dans cette perspective, le marché du bricolage constitue un ensemble de ressources à partir desquelles le bricoleur peut se constituer un répertoire. Ces informations sont des objets virtuels dont il acquiert la maîtrise en fontion d'un projet déjà établi de réalisation. L'achat n'est donc qu'un terme de la constitution de ce répertoire.

La recherche menée sur le lotissement a pris appui sur cette approche pour rendre compte de i'autoproduction d'aménagements dans les pavillons. A l'opposé des approches sur le dire du bricolage, son propos a été de constituer un matériau de base sur le "faire" des bricoleurs. Matériau abondant et concret qui a tout autant trait aux modalités de la constitution de l'habiter qu'aux travaux d'aménagement et qui, dans sa diversité empirique, nous a quelque peu submergé. Le rapport de recherche a eu pour objet de classer ce répertoire de données particularisées et de dégager les formes qu'y revêt le bricolage.

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Les aménagements des pavillons du lotissement

L'autoproduction a pour cadre et pour objet la constitution d'une maison. La formation de l'habiter s'opère selon des modalités homogènes, liées à la conception même des lieux et aux possibilités restreintes de jeu qu'ils offrent L'installation passe par des travaux aux marges du pavillon : création de réserves à l'intérieur, puis une pièce en prolongement du garage. Les réserves extérieures sont tout d'abord un lieu masculin, utilisé comme rangement et lieu de travail. Des objets liés à l'activité féminine (ancienne cuisinière, machine à laver, conserves alimentaires....) y sont progressivement rangés jusqu'à, parfois , envahir le lieu et troubler l'ordre de rangement masculin. Cette emprise féminine a lieu dans les ménages les plus jeunes, alors que dans les autres, une disposition distincte des objets demeure. L'ordre de la réserve inverse l'ordre initial du pavillon ; la création de ce lieu permet l'émergence d'une polarité masculin/ féminin qui n'existait pas dans la conception du pavillon centrée autour des lieux féminins et collectifs. Les ménages établis habitent la maison en s'appuyant sur la dualité des lieux qu'ils ont instauré ; les territoires individuels sont établis et reconnus. Pour les autres, cet équilibre est instable, la disposition des choses et les travaux réalisés tendent à réintégrer la réserve masculine dans l'espace clos du pavillon, sous emprise féminine.

La création de réserves extérieures délimite le périmètre bâti. Par la suite, les travaux d'aménagement concernent l'intérieur. L'installation d'une cuisine aménagée est la première opération ; elle constitue le pendant féminin de la réserve. L'aménagement et la décoration des chambres des enfants se situe au moment de leurs 7 ans ; elles marquent un âge nouveau et instituent la chambre comme leur territoire propre. D'aucuns en restent à ces transformations et, par la suite, maintiennent le pavillon en l'état ; cela est caractéristique du premier groupe de ménages. Dans le second, des transformations sont entreprises au rez-de-chaussée : l'installation d'une cheminée marque l'emprise féminine sur le séjour. L'aménagement de cette partie se termine, 5 à 6 années après la cheminée, par l'installation d'une véranda. L'ensemble des lieux du garage à la cuisine est maintenant compris dans un espace clos et couvert.

Tel est schématiquement résumé, le cycle des aménagements des pavillons T4 . Pour les premiers qui se sont arrêtés à la décoration du séjour , il a pris 5 ans environ. Depuis, les travaux à l'intérieur concernent l'entretien et la réparation, le renouvellement des tapisseries (vers les 13-H ans pour les enfants), ; dans la garage, les réalisations concernent la création de nouveaux rangements. Pour les seconds , l'aménagement a pris une dizaine d'années ; depuis, c'est aussi un travail d'entretien ; le garage en tant que lieu d'activité est délaissé. Mis à part deux ménages qui ont des enfants en bas-âge et qui entreprennent actuellement des travaux , ce cycle de l'aménagement est clos." Il y a un temps pour l'aménagement de

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la maison" disent-ils. Mais , il y a toujours quelque chose à faire, pour entretenir, pour améliorer. Ces personnes ont consacré un temps important à l'installation dans la maison ; maintenant les sujets de préoccupation se sont déplacés vers d'autres domaines, l'entretien d'un jardin potager dans les premiers ménages, les loisirs et les vacances dans les seconds.

Il se dégage un modèle dominant d'organisation des lieux suivant un système d'opposition entre les lieui féminins et les lieui masculins, l'intérieur et l'extérieur, le clos et l'ouvert. Ces oppositions demeurent comme cadre de référence après la construction des réserves extérieures. Les opérations ultérieures peuvent être regardées soit comme un maintien de cette répartition , soit au contraire comme une réintégration du lieu masculin dans le pavillon et le territoire féminin.

Ces évolutions indiquent deux modes d'organisation spatiale de la vie domestique. Le premier se caractérise par une stabilité et une distinction des places des différents membres du groupe domestique . Il correspond à l'adaptation aux structures du bâti. A l'opposé, on trouve une organisation spatiale en formation. Les places dans l'espace habité sont moins distinctement établies ; le marquage des lieux est un opérateur central de formation du groupe domestique.

L'autoproduction d'aménagements durables a cours dans ces contextes familiaux différents. Il y a un ensemble minimal de travaux que les uns et les autres réalisent par eux-mêmes ; cela concerne les premiers actes d'installation (aménagement de rangements internes et construction des réserves) et l'habillage des murs. D'aucuns s'en tiennent là. D'autres au contraire réalisent des transformations, parfois importantes de l'intérieur ; deux réalisent la totalité par eux-mêmes, les autres font appel à l'entreprise pour les travaux importants. L'extension de l'autoproduction dépend des compétences et des champs d'activité dont les personnes se dotent.

Des acceptions différentes du bricolage

Pour les personnes rencontrées, le bricolage recouvre des domaines et des types d'activités très différents. Pour un charpentier de profession, ce sont les techniques de son métier qui sont mises en oeuvre dans les aménagements qu'il effectue. Les travaux domestiques sont en continuité avec son activité professionnelle et ne prêtent pas à une désignation spécifique en termes de bricolage. Comme pour un ébéniste, il faut qu'il y ait une coupure avec l'exercice de la pratique professionnelle pour que la désignation de bricolage en vienne à être utilisée. Le bricolage qualifie alors une activité résiduelle. Il désigne des petits travaux de nécessité (des réparations) ou d'amélioration qui ne modifient pas la structure d'une réalisation. Il concerne aussi une activité occupationneiie qui inverse le

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déroulement de l'activité professionnelle ; l'acte de faire et, non le produit, devient la finalité immédiate, comme les sabots miniature que l'ébéniste sculpte le soir au retour du travail pour passer le temps.

Cette désignation du domaine "des tous et des riens" , d'activités en dicontinuité avec l'exercice de leur métier, se retrouve également chez les personnes qui ne sont pas dotées d'une compétence professionnelle en lien avec l'aménagement de la maison. De ce fait , il est extrêmement étendu. Faire des étagères par soi-même et les ajuster à un lieu précis ( par exemple le cellier) relève du bricolage , tout comme changer un moteur de machine à laver ou monter un mur. C'est le domaine des ajustements, des solutions pratiques sans modèle préalable de référence.

Le langage pour désigner les opérations reproduit cette distinction entre les produits liés à l'activité professionnelle et ceux issus du bricolage. Alors que les uns utilisent le langage des métiers, les autres font appel à un vocabulaire des outils et des matériaux pour expliquer les travaux qu'ils ont réalisés par eux-méme. Les premiers s'appuient sur un corps de références professionnelles et expliquent leurs travaux suivant la succession des opérations techniques nécessaires. Le langage des seconds a pour base une classification pratique des éléments nécessaires à la réalisation d'un tâche. Il incorpore de façon différentielle et parfois malhabile ( ainsi le PCV pour désigner le P.V.C.) des éléments du langage technique des métiers, mais toujours en ayant pour référence les objets et réalisations pratiques.

Le bricolage concerne ainsi un domaine d'activités qui n'a pas de langage étendu pour décrire et désigner la nature technique des opérations mises en oeuvre. Ces opérations se rapportent à un tour de main, à l'inventivité ou au génie du bricoleur ; elles ne prêtent pas à décomposition et explication selon une gamme de gestes ou d'opérations techniques indépendamment de celui qui les met en oeuvre. C'est ainsi que les personnes évoquent un don, le fait d'être manuel ou d'aimer faire, des qualités intrinsèques à la personne pour expliquer qu'une réalisation aboutisse.

Le bricolage comme domaine d'inventions et d'ajustements

Pour les professionnels qui réalisent des travaux dans leur pavillon, leur domaine ne couvre pas une activité précise et clairement délimitée, mais à partir de cette activité, un certain nombre de travaux connexes. C'est ainsi qu'un menuisier doit pouvoir faire du gros oeuvre et un charpentier de la couverture. Pour eux, ces domaines connexes peuvent supporter un transfert de compétences ou requièrent une moindre compétence professionnelle que celle qui leur est propre. La délimitation des activités domestiques praticables part du lieu professionnel de la personne et de la connaissance qu'elle retire de l'exercice des autres métiers. Elle reproduit

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les classifications et hiérarchies pratiques qui ont cours dans le monde professionnel du bâtiment et en opère une sélection descendante d'une qualification spécialisée vers des activités moins spécialisées et requérant un plus grand apport de main d'oeuvre(comme le gros oeuvre ou la maçonnerie). Le bricolage, pour ces professionnels, désigne alors les activités qui se situent en dehors de cette palette de compétences estimées. Il a comme domaine des opérations qui mobilisent une inventivité, un ajustement de l'objet et du geste sans modèle profesionnel maîtrisé.

Les domaines d'autoproduction sont variables chez les personnes qui ne travaillent pas dans les métiers du bâtiment. Ils concernent un ensemble de tâches concrètes que les personnes font ou s'estiment aptes à faires. L'idée de compétence s'entend comme capacité à réaliser. La délimitation d'un domaine de bricolage a pour support des objets concrets. Elle passe par une estimation de la complexité des opérations requises pour le réaliser par soi-même en fonction des expériences acquises et des tours de main que l'on s'estime, à un moment donné, pouvoir développer. Cette évaluation est globale et externe ; elle part du produit fini et décompose les opérations qui l'ont constitué en fonction de l'expérience de la personne et des tours de main qu'elle a acquis.

Pour cette évaluation préalable, les personnes ne bénéficient pas du savoir de collègues du métier, comme c'est le cas des professionnels sur les chantiers. Elles doivent donc rechercher ailleurs les éléments qui leur font défaut et se constituer elles-mêmes leur réseau d'information, le bricolage est objet de conversation dans les milieux professionnels.

Sur le travail, on parle beaucoup bricolage, enfin moins là où je suis maintenant , mais dans l'autre pavillon , on parlait beaucoup . A la fin de la semaine, c'était des maisons qu'on avait faites . Oui , parce qu'il y a toujours un qui fait quelque chose. Pierre qui a construit à St Erbion, tiens donc, P'tit Louis, la plomberie, et c'est parti...."(ouvrier d'entretien, Centre Hospitalier Spécialisé)

De ces conversations, il retire des recettes à usage personnel qu'il note sur un carnet. Un autre s'appuie sur les expériences de ses frères qui vivent en proximité. Les personnes réputées spécialistes d'un domaine dans le lotissement sont sollicitées pour des conseils précis ; mais ils se refusent à aller travailler chez autrui, par crainte d'être constamment " à droite et à gauche". Quelques revues et ouvrages de bricolage sont parfois consultés, lorsque cette connaissance de réseau fait défaut. Ainsi, cette infirmière qui vit seule et se refuse à avoir des relations de voisinage, se réfère pour ses travaux à une encyclopédie.

J'achète des livres, je les étudie et puis je fais. Je mets du temps, mais je fais.. Ce sont des livres, pas des revues, les uns traitant sur certains problèmes, l'électricité , la maçonnerie, n'importe quoi... J'en avais plusieurs ; mais je les ai donnés à mon fils. Mais , c'est des livres qu'on trouve dans les grandes surfaces...Le livre de bricolage si vous voulez. Bon, je regarde déjà au départ lesquels sont les

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meilleurs, lesquels sont les plus détaillés avec les petites finesses qui moi systématiquement vont me manquer."

Le domaine des savoir-faire acquis dans le bricolage n'est pas fini. Chaque réalisation nouvelle peut être une occasion pour l'étendre. Il est cependant limité : la plupart des personnes rencontrées en restent au mieux au carrelage et à une menuiserie élémentaire (pose de lambris) mais ne se livrent pas à des opérations compleies impliquant une succession d'opérations différentes comme la réalisation d'une véranda ou l'aménagement d'un grenier. Après coup, en ayant vu les professionnels travailler , certains vous diront qu'ils auraient pu le faire par eux-méme parce qu'en observant, ils ont acquis la connaissnce des "trucs" qui leur faisaient défaut . Mais, d'entrée de jeu , la tâche leur est apparue trop complexe.

Résiduel pour les uns, central pour les autres, dans l'autoproduction d'aménagements durables, le bricolage désigne un type d'activité qui mobilise des projets et des matériaux au détriment de l'application d'une compétence pré-existante. Lorsque les caractères d'une activité commencent à être maîtrisés, les personnes en parlent moins en termes de bricolage. C'est le cas de la tapisserie qui, avec la peinture, est une activité d'aménagement relativement régulière : si, les premières fois , il a fallu inventer soit la maîtrise du geste, soit l'échafaudage, la procédure est suffisamment maîtrisée, voire routinisée pour ne plus prêter à une désignation en termes de bricolage. Certes, il reste des ajustements pour lesquelles parfois l'expérience acquise ne suffit pas ou est totalement invalidée ; alors, pour soi et pour autrui, l'activité se prête à une désignation en termes de bricolage. Le bricolage apparaît ainsi comme un stade d'apprentissage là où la personne n'a pas la dotation préalable d'une compétence professionnelle.

Faire avec peu de moyens

Dans le lotissement, les bricoleurs font avec peu de moyens. On l'a noté en ce qui concerne l'outillage, peu important et polyvalent. On retrouve cette faiblesse des moyens dans le déroulement des activités. Ainsi pour la tapisserie, la plupart utilisent la table de la cuisine pour encoller les papiers muraux, alors même que les magasins prêtent des tables à tapisser ou les louent pour des sommes modiques. L'un d'entre eux nous raconte les montages invraisemblables d'échelles auxquels il a dû

recourir pour poser un papier mural dans le séjour de son pavilion T5 (où la hauteur sous plafond atteint au maximum 5 mètres ). Dans les premières années, il a fait son ciment par lui-même ; il n'a fait venir une toupie de béton pour l'entrée du garage que parce qu'il n'avait pas le temps de le faire. Les exemples de ces réalisations à l'économie des moyens extérieurs et, en contrepartie un appel important aux ressources propres (force de

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travail, matériaux disponibles), abondent. Faire par soi-même va de pair avec réduire la dépense. Les personnes ne recourent au marché que pour une partie obligée dont ils n'ont pas la disponibilité ou qui ne peuvent être obtenus que par le biais du marché. Le bricoleur se procure à la fois à des objets à la mesure de leur projet et conjointement fait avec les moyens dont il dispose immédiatement. Il évalue cet ensemble déjà constitué et répertorie les réponses possibles qu'il peut apporter au projet d'aménagement. C'est en fonction de cette évaluation qu'il a recours au marché pour la partie résiduelle. Ainsi, l'acquisition ou la location d'une table à tapisser ne rentre pas dans un champ d'acquisition dans la mesure où il estime que la table de la cuisine peut apporter une réponse au problème du support d'encollage; de la même manière , les échelles disponibles apparaissent suffisantes pour construire un échafaudage. Une fois la tapisserie et la colle achetées, l'ensemble des moyens dont le bricoleur dispose est clos ; il doit trouver des solutions à l'intérieur de ce répertoire.

La constitution du répertoire de matériaux

Quatre modalités de constitution d'un répertoire peuvent être distinguées. Elles concernent principalement les matériaux et peu les outils.

Le collectage ou, dans l'expression populaire , la biffe est une pratique peu développée dans le lotissement. Une des personnes , ancien ferrailleur, est la figure typique du biffin : qu'il se promène , qu'il pêche, il regarde, il fouine, il furète et trouve toujours un objet dont il envisage une utilité possible. Une infirmière pratique la biffe à petite échelle ; eile profite des hasards pour récupérer du bois d'oeuvre en vue d'alimenter sa cheminée. Si eue considère cette pratique comme normale, eue prend soin de la faire en dehors du regard d'autrui ; elle a l'impression de se comporter comme une clocharde. Etre biffin ne s'invente pas ; cela requiert des compétences particulières ; là où vous ou moi n'apercevraient peut-être, à condition de le remarquer, qu'un objet insignifiant.un biffin le découvre, l'évalue et en entrevoit déjà des usages possibles.

La forme élémentaire de cette activité procède du hasard des déplacements. La biffe n'est pas une pratique en soi, mais eue découle d'autres pratiques qui mettent le bricoleur en relation avec une multitude d'objets qui jalonnent ses parcours. Mais elle a aussi ses lieux consacrés : les décharges, véritables sanctuaires des résidus de constructions et de destructions, lieu des objets voués à l'inutile et destinés à la destruction ; les lieux de travail où la récupération est admise. Ce qui spécifie le collectage dans la constitution du répertoire, c'est qu'il ne met pas en oeuvre un échange marchand ; le "biffin" réhabilite des objets qui ont cessé d'être dans la production, en les nantissant, au travers de leur sélection, d'usages potentiels.

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La récupération est une pratique courante dans le lotissement. Elle se différencie du collectage en introduisant une relation marchande dans l'acquisition des produits. Ces produits sont des résidus de destructions antérieures qui ont été repris dans un processus de collectage et sont réinjectés comme produits aui usages potentiels à l'intérieur d'un marché spécifique. A cela, s'ajoutent les résidus directs du processus de production et des produits industriels demi-particularisés . Leurs utilisations s'inscrivent dans un cadre large qui implique de la part du bricoleur une évaluation de leurs potentialités d'usages nouveaux. En tant que produits seconds ou dérivés, leur valeur marchande est imprécise, soumises aux aléas d'une négocation ou considérés suivant leur poids en tant que matériau brut.

La récupération a ses lieux dans la ville ou ses environs, véritables trésors de matériaux pour la constitution d'un répertoire. La fréquentation de ces lieux et de ces réseaux de récupération requiert une connaissance spécifique de leur localisation , mais aussi des manières de procéder pour se constituer un répertoire. Dans ces univers d'objets hétéroclites, la compétence du bricoleur s'évalue à sa capacité à trier, à inventorier, à imaginer un domaine d'usages potentiels pour ces éléments, à en négocier l'acquisition. Le bricoleur réhabilite ces restes et ces rebuts en les nantissant d'une valeur d'usage nouvelle. Comme pour les produits de la biffe, mais par la médiation d'un échange marchand, les objets ont à nouveau une histoire, indépendante de celle qui les a caractérisé et qui vit leur abandon.

L'ensemble des personnes rencontrées se constitue des éléments du répertoire à partir des promotions. C'est le domaine des "affaires à faire" qui permettent de réduire la dépense occasionnée. Néanmoins , compte tenu de la spécialisation des produits, il faut qu'elle corresponde à une intention d'aménagement. Nous n'avons rencontré personne qui se soit spécialisé dans l'acquisition et le stockage de promotions en vertu du principe que les produits pourraient toujours servir. Dans la recherche de promotions, la compétence du bricoleur s'évalue à sa capacité à être informé, voire à devancer l'information et à être capable, au moment précis de la promotion, de concevoir que les produits pourront lui être utiles.

L'achat selon le principe de l'utilité potentielle est liée aux déplacements dans des lieux de vente qui contiennent des objets ou des produits pour le bricolage. Elle résulte de la confrontation du bricoleur avec des objets dont û entrevoit et dont il évalue les utilités au sein de son répertoire. Elle participe à la maintenance ou au renouvellement des stocks élémentaires de produits courants. Cette pratique d'achats concerne des objets, constitutifs pour le bricoleur d'un stock de produits et d'éléments nécessaires, dont il assure la maintenance et la croissance. Ce stock est fait de pointes, de vis, de tournevis et de clé (dont il a toujours l'usage) et de

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matériaux bruts ( principalement le bois).

Le marché et le répertoire d'informations

Le marché des produits spécialisés est un ensemble d'informations, à partir desquelles le bricoleur se constitue un répertoire d'objets ou d'outils virtuels dont il sait qu'il peut avoir, moyennant une dépense, une disponibilité quasi-immédiate. En tant que virtualités d'objets, ces informations s'apparentent aux éléments demi-particularisés du répertoire matériel dans la mesure où elles ne sont pas recueillis en fonction d'un projet et d'un usage précis. C'est par un retour vers le répertoire constitué que le bricoleur envisage la contribution que les produits qu'elles désignent, peuvent apporter à un projet en cours. La formation de ce répertoire obéit au principe de l'utilité potentielle. Elle a une dimension ouverte et ne donne pas lieu à une activité finalisée en vue d'un projet spécifié. Lorsque le bricoleur accumule de l'information, il ne sait pas encore ce qu'il va en faire ; il ne compare pas, il n'évalue pas selon un projet précis. Ses informations sont hétéroclites ; elles résultent des occasions pratiques qui lui ont permis de les obtenir et des modalités par lesquelles il les a sélectionnées.

L'étendue de ce répertoire procède de la compétence du bricoleur à reconnaître les utilités potentielles d'objets et d'outils que, dans ses différents parcours, au moment de la constitution d'un répertoire matériel, il est amené à côtoyer, et de sa capacité à mémoriser ces informations. Elle prend appui sur les domaines de compétence mobilisés dans le bricolage. Ainsi, les personnes qui dérivent leur domaine d'autoproduction d'une activité professionnelle, ont un répertoire étendu dans le champ de leur compétence ; leur connaissance professionnelle et leur répertoire personnel se confondent. En plus, ils y ajoutent un répertoire élémentaire portant sur des objets en dehors de leur spécialité. Chez les autres , le répertoire apparaît étendu, mais peu spécialisé.

La constitution de ce répertoire d'informations a ses pratiques et ses lieux. Le savoir individuel du bricoleur sur les objets se constitue dans les magasins de produits et de matériaux ; ils sont un but de visite, occasionnel ou régulier. L'existence de supermarchés en libre service , par l'abondance des produits et l'absence de relation directe entre le vendeur et le client, favorise la constitution de ce répertoire. Le bricoleur déambule dans les ailées, s'arrête à certains rayons, regarde, soupèse, évalue sans pour autant être dans la situation du client, sans avoir de projet immédiat d'achat. Il vient "se faire une idée".

Ce répertoire d'informations se développe aussi dans les conversations de travail .

"On en parle beaucoup dans le travail... Bon , il y a des maisons qu'on connaît depuis x temps sur la place de

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Rennes, vous avez une maison comme "Eon" qui fait du matériel professionnel, perceuses et tout, on peut aller là-dedans les yeux fermés... La "Quincaillerie Ouvrière" aussi Les magasins de bricolage BRIKER je ne suis pas pour , c'est pour monsieur-tout-le-monde, on va vendre des clés plates qui au bout de deux trois fois vont être inutilisables "

Le répertoire informatif peut ainsi être défini comme un ensemble de savoirs sur les lieux et les savoirs sur les objets ; sa constitution est à la fois individuelle et procède d'échanges. C'est par la médiation de l'échange que le répertoire individuel peut arriver à s'étendre en dehors des lieux connus et pratiqués. Il n'est pas constitué de façon intentionnelle comme l'assemblage des éléments nécessaires à la réalisation d'un projet ; mais il précède la formation de ces projets. II a sa rationalité qui procède de l'intérêt de connaître "parce que ça peut toujours servir". Il a ses modes de mémorisation, de sélection et de classement de l'information, liés à de objets , des lieux, des emplacements précis. Par rapport à un ensemble d'objets et d'outils qui est fixé et limité à un moment donné, ce répertoire ouvre le champ des réalisations possibles en procurant des informations sur les éléments manquants et sur les possibilités de les obtenir. Il concourt à la possibilité de fournir des réponses adaptées en matière de travaux à accomplir. Il permet l'unification autour du projet, d'un ensemble d'éléments hétéroclites amassés dans des occasions diverses.

Par rapport aux pratiques de collectage et de récupération, l'existence d'un marché du bricolage offre des possibilités d'accumulation plus importantes et plus spécialisées. Mais l'utilisation de ces possibilités par le bricoleur requiert une sélection et un dialogue premiers avec les informations qui permettent de leur attribuer une place à l'intérieur de son répertoire. La constitution de ce répertoire est personnelle ; les informations sont collectés pour les possibilités d'usage que le bricoleur entrevoit dans son univers. Le bricoleur interprète le marché.

Un domaine masculin

La production d'aménagements durables est, dans le lotissement, l'apanage des hommes. Rares sont les femmes qui s'attribuent ce domaine d'activité. L'une d'entre elles, vivant seule avec son fils, dit qu' en matière de bricolage , elle fait " tout ce que , en général, les hommes font". Ce "tout" concerne des activités de réparation domestique (le moteur de la machine à laver), d'entretien et de décoration. Mais pour la construction de l'allongement de garage, elle fait appel à. un ami ; pour la pose du carrelage

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, elle demande à son fils . Ce sont eux qui se chargent de la partie la plus éreintante du travail.

Une seule femme rencontrée dispose de sa propre caisse à outils. Elle a des domaines d'activité liés à la décoration et l'entretien ; eue fait de la peinture, eile tapisse, elle décape et restaure des meubles . Mais eile ne s'aventure pas seule dans des travaui sur la structure du bâti. Elle utilise très peu la perceuse "parce qu'il [ son mari! est là pour le faire. Je pense que je pourrais m'en servir. D'ailleurs quand on percé la porte, je m'en suis servie. Je lui ai donné un coup de main parce qu'il fallait le percer le mur; c'était dur tout seul."

Cette assimilation du travail sur le pavillon à un domaine d'activités masculines se retrouve également pour un couple de femmes: " On a rien fait par nous-méme comme travaux dans la maison. [...] Au début, on faisait des travaux à la maison et on ne pouvait pas toucher une pelle ou une pioche sans qu'il y ait un mec qui vienne : 'oh! ben , on va te faire ça[.J A la limite , c'était casse-pied parce qu'on ne pouvait rien faire , ils vous enlevaient tout de mains."

La délimitation masculine de ce domaine trouve sa raison première dans une représentation de la dureté des activités et de la nécessité de manipuler des matériaux lourds et mal commodes. Cela concerne en particulier la construction du garage et les travaux autour des réserves , et renforce d'autant l'appropriation masculine de ces lieux. Pour les travaux intérieurs, c'est un présupposé de non-connaissance féminine qui est mis en avant autant par les hommes que par les femmes. A cela s'ajoutent une représentation de la difficulté technique de la tâche , le danger lié aux métariaux et aux outils ( "on ne sait jamais , un clou peut partir , un marteau peut être lancé..") ou le résultat aléatoire des travaux ( "J'ai peur de faire des bêtises" dit une femme). Le domaine du bricolage est représenté comme un lieu inconnu au delà des limites du territoire de compétences maîtrisées dans lequel l'homme a "vocation" à s'aventurer.

Il y a une opposition entre un domaine d'activités féminines, délimité par le champ d'exercice de compétences apprises et reproduites , et un domaine masculin pour lequels les personnes n'ont pas d'expérience préalable adaptée à la nature du problème posé. Par cette dichotomie dans les tâches liées au pavillon, les hommes sont mis en situation d'affronter ml'inconnu et de s'y constituer leurs propres réponses.

La solitude du bricoleur

Le bricoleur est une personne qui travaille principalement seule, quelque soit l'ampleur de la tâche. Ses attitudes renforcent l'exercice solitaire du travail. D'aucuns s'énervent, râlent, crient à propos d'un mur qui n'est pas droit, d'une colle qui n'est pas efficace .... et transfèrent sur les objets leurs difficultés à réaliser la tâche . D'autres au contraire semblent travailler dans le silence de leur atelier ; un bruit ou la présence des enfants peuvent les troubler dès lors qu'ils se heurtent à des difficultés de

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realisation. La solitude du bricoleur trouve son fondement principal dans le

déroulement même de son activité. Il se trouve en effet face à des problèmes d'agencement d'éléments hétéroclites pour lesquels il n'a pas de solutions pré-établie. Il doit ainsi s'ouvrir un passage et se situer au delà de ce qu'il sait faire ou a déjà fait. Il est ainsi à l'affût de messages et de recettes qui lui permettront d'anticiper ou de préparer ce passage. L'information qu'il recherche est fragmentaire ; elle ne concerne que des éléments manquants par lesquels il pourra donner un ordre et une cohésion à une répertoire d'objets, d'outils et d'informations qu'il s'est constitué. Cette information manquante dépend de l'état de ses savoir-faire et des ses compétences passées ; e\ie lui est totalement personnelle, incorporé et ne donne pas lieu à objectivation autrement que par les produits de son travail. Il lui est difficile d'énoncer ce qui lui manque ; mais il va l'entrevoir dans la confrontation avec d'autres expériences de bricoleurs. Dans la conversation, à la pause du chantier, il ne recherche pas une reconstruction totale des opérations nécessaires pour aboutir à la réalisation d'un projet, mais simplement l'élément qui, par défaut d'expérience antérieure, lui manque... Il s'agit pour lui de clore l'agencement de son répertoire. Nul autre que lui ne peut faire face à ce problème.

A défaut de trouver la solution dans les conversations, il cherche par lui-même, extériorise sa quête dans ses cris et ses malédictions ou bien il se crée un environnement de calme et de silence jusqu'à ce qu'il puisse maîtriser le problème posé. Le propre de cette situation, c'est que le bricoleur dès le moment où il n'a pas assuré le passage vers la cohésion de son répertoire par la médiation de l'expérience d'autrui, se trouve dans une situation de face à face avec son répertoire. Il dialogue avec lui, essaie de trouver les combinaisons possibles ; ce faisant, il le particularise et le finalise de plus en plus. Cela aboutit à une situation dans laquelle tout conseil extérieur, s'il n'est pas la recette attendue, remet en cause l'édifice envisagé, voire même matériellement déjà en voie de construction. Travailler seul évite ces interférences et ces perturbations dans la recherche d'une solution.

Lorsque les personnes travaillent en association, la division des tâches suppose un centre de décision unique et incontesté. L'aide est un manoeuvre déqualifié qui travaille sous la direction du maître de chantier ; sa contribution est d'autant plus efficace qu'elle se cantonne à l'intérieur des limites d'un apport complémentaire de force de travail.

La division et la hiérarchie des tâches procède tout d'abord de la nature et du déroulement des opérations du bricolage. L'apport complémentaire requis est avant tout un apport de main d'oeuvre et surtout pas un apport de qualification et de conseils que le maître du chantier se constitue par lui-même. Cette main d'oeuvre est interchangeable et nullement liée à une répartition sexuelle des activités : l'aide peut tout aussi bien être l'épouse que le collègue ou un des enfants .

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L'appel à l'épouse évite que les désagréments et les emportements éventuels, liées au déroulement du travail, ne sortent de l'histoire propre au groupe domestique. Il permet à l'homme de ne pas perdre la face et de présenter a posteriori le travail réalisé comme une procédure élémentaire et maîtrisée.

Les relations dans le couple : de la division des rôles aux conflits

Les pavillons dans leur majorité sont agencés suivant une polarité double opposant les réserves et l'intérieur, un territoire masculin et un territoire féminin. A une stabilité et une reconnaissance de cette organisation, correspond une répartition nette en ce qui concerne la formation et la maîtrise des projets d'aménagement.

" Disons qu'il y a certaine choses , par exemple en ce qui concerne le garage , le cellier je ne vais pas le lui demander parce que je sais que si je vais faire des placards dans le cellier, ça va l'intéresser. Le garage, c'est mon domaine ; là , j'ai mon outillage , en principe , ma femme n'y va pas... Si, l'hiver pour étendre son linge , c'est tout. Le garage, elle ne me dit rien . Et bien moi [sur les lieux dont ehe s'occupe] je ne lui dit rien non plus ."

Dans ces travaux , il y a une superposition de deux types d'attitudes à l'égard de l'aménagement. Du point de vue du concepteur et du réalisateur , le "faire " domine ; la question de l'usage des lieux n'est pas centrale, voire même ne se pose pas . Il y a le présupposé que de toute façon de telles réalisations sont utiles. Du point de vue de l'épouse, c'est au contraire le résultat final en matière de possibles de rangements et d'espaces nouveaux qui est important. Ces deux évaluations se succèdent ; elles n'interfèrent pas dans le déroulement du travail. La division des territoires et des rôles se reproduit dans le déroulement des travaux.

On retrouve cette dissociation des phases dans des groupes domestiques dans lesquels le territoire masculin conserve une permanence et une autonomie dans la maison. Ce sont d'une part des groupes qui habitent des pavillons dans lesquels la structure du bâti n'a pas connu de grandes transformations. Les travaux intérieurs concernent l'habillage des murs ; c'est dire qu'il s'agit d'un domaine restreint d'aménagement, caractérisé par une répétitivité et une maîtrise progressive des gestes. La réalisation de ces travaux ne donne pas lieu à discussion ni négociation préalable ; il va de soi que la femme décide de la décoration, comme il va de soi que l'homme réalise le travail. De la même manière, créer de nouveaux espaces de rangement dans les prolongements va de soi pour améliorer le pavillon. Il ya une représentation claire des places et rôles respectifs dans le groupe domestique et dans les lieux. Le recours à

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l'autoproduction s'inscrit dans des stragies d'économie de la dépense . Il est une procédure normale dès lors que la tâche est réputée simple ; en retour, les imperfections des travaux apparaissent comme le tribut payé au bricolage et sont acceptés comme tels, masqués quand cela est possible par les rideaux ou la disposition des éléments. Les compétences masculines ne sont pas sollicitées pour des tâches complexes, sauf à ce que l'homme se propose à le faire et soumette le projet à son épouse. L'appel à l'entreprise a lieu pour des travaux importants et réputés complexes (cuisine , carrelage). Entre les tâches simples et les travaux par entreprise , il n'y a pas d'aménagement intermédiaire : le pavillon est une structure figée. Par la limitation des projets à des tâches simples, il n'y a pas de mise en situation d'acquisition obligatoire de nouvelles compétences par le bricoleur.

D'autre part, cette dissociation se retrouve dans lesquelles l'homme est détenteur d'une compétence d'aménagement reconnue . A la différence des précédents, les travaux ne concernent pas simplement les prolongements du pavillon, mais aussi la partie habité. Dans son domaine, le bricoleur est perçu comme quelqu'un apte à évaluer préalablement les besoins et les possibilités attentes en matière d'occupation de l'espace et d'aménagement. Il prévoit et anticipe l'utilité des travaux réalisés. La reconnaissance de sa compétence fait que la négociation ou l'ajustement des projets entre les époux est absente ; autrement dit, l'épouse fait confiance.

A cette dissociation s'oppose la mise en oeuvre de procédures de négociation et d'ajustement. Elles ont pour contexte des frontières imprécises entre les territoires masculins et féminins. Elle concernent les lieux intermédiaires, intérieurs et extérieurs, entre la cuisine et la réserve. Mais elles n'ont pas trait à l'aménagement des chambres des enfants où, comme pour la cuisine, le rôle central de l'épouse est reconnu. L'objet de ces négociations a trait à la délimitation des frontières et au marquage de ces lieux.

"Mme J'aimerais bien qu'il me refasse la terrasse . Ça fait longtemps que je lui demande. Mais lui ne veut pas. M . ... J'avais pas envie de la faire, je ne l'ai pas faite . [„.] Si ça se trouve , quand il va faire beau, je vais la refaire. "

L'atteinte de l'accord peut être extrêmement longue car si l'épouse peut l'emporter en matière de décision sur le projet, ehe ne pourra le réaliser qu'avec l'accord de son mari. Celui-ci peut adopter une attitude de résistance passive et retarder d'autant la réalisation. En l'absence de cet accord, l'appel à l'entreprise est envisagé comme une alternative par l'épouse.

"Si j'avais les moyens , je ferais venir quelqu'un et ça [la terrasse] serait terminé. [„.] On n'a pas les moyens , donc s'il n'y pas envie de le faire, ça reste comme ça."

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Là c'est un système de contraintes économiques qui apparaît et qui suppose un autre type d'accord en matières de dépenses.

Dans tous les cas, l'accord de l'homme est un passage obligé. Il prend appui sur le fait qu'il réalise le travail pour marquer de son empreinte la nature du projet. Ces tactiques apparaissent comme une tentative par laquelle il essaie de contenir la maîtrise féminine sur les lieui. Dans ces ajustements de face-à-face, la conformation à un modèle d'aménagement en cours dans le lotissement peut contribuer à déboucher sur une solution ; c'est le cas de la véranda ou de la cheminée. Ces couples suivent des modalités d'aménagement qui ont été expérimentées ailleurs. Mais alors, cela passe par un appel à l'entreprise et une neutralisation du conflit.

Cette négociation se retrouve dans des familles dans lesquelles l'organisation de la maison n'est pas figée, mais donne lieu à des redéfinitions successives. Cela se traduit par des opérations variées d'aménagement requérant des tours de main différents. Ici, le bricoleur n'a pas , contrairement aux précédents, de territoire de savoir-faire reconnu et délimité ; il se trouve contraint de le faire évoluer en fonction des projets sur le pavillon. On peut alors comprendre les tactiques et les ruses qu'il emploie dans la mesure où il est confronté à un territoire inconnu. La négociation met en jeu à la fois la délimitation du territoire féminin et l'extension des compétences masculines. Dans ces familles , les composantes essentielles des rôles masculins et féminins sont reconnus ; mais ils donnent lieu à des réajustements et des redéfinitions au travers des opérations d'aménagement des pavillons.

Comment devient-on bricoleur ?

Le bricolage ne donne pas lieu à un apprentissage spécifique ; il n'y pas de transmission de gestes, y compris élémentaires. C'est en se constituant son propre domaine et en observant que la personne apprend les modalités de travail et le déroulement des activités.

Les personnes insistent sur leur propre constitution d'un savoir-faire ou sur la dérivation de compétences à partir d'un métier ; mais elles n'évoquent pas la transmission familiale.

"Í Le bricolage J c'est comme ça ; ça vient tout seul. Mon père était surtout jardinier, oui , le goût du jardin...Je ne sais pas ; il m'a peut être donné le goût du jardin.. " Mon père était sculpteur sur bois. Je n'ai pas travaillé avec lui parce qu'il n'aimait pas que l'on touche à ses outils. Oui, le bois m'intéressait ; j'étais intéressé mais sans le savoir vraiment.

C'est l'installation dans la maison qui les a mis en situation d'auto-apprentissage et de révélation de ce que d'aucuns appellent un don. Cette absence de transmission de gestes se retrouve dans les relations que les bricoleurs ont avec leurs enfants :

"Les enfants, non ils ne bricolent pas . [...] Disons que ça peut toujours 19

rendre service dans la vie; mais quand quelqu'un ne veut pas faire quelque chose à part des études scolaires , on ne peut pas les pousser. Q- Vous avez cherché à leur transmettre ? Sans plus, ils ne s'en occupent pas tellement. Ça viendra peut être un jour de décider de bricoler ; mais pour l'instant, non . Vous avez vu l'autre en bas , il est en train d'écouter sa radio."

Devenir bricoleur requiert une prédisposition. Dans une famille , tout le monde n'en est pas doté ; certains sont doués pour les activités manuelles et d'autres ne le sont pas. En fonction des mises en situations , ils le découvriront tôt ou tard. Pourtant, cette prédisposition n'obéit pas à une répartition aléatoire. Dans ces familles, on retrouve une présence de cette dotation selon un mode croisé d'une génération à l'autre (mère-fils ; père-fille), e t , dans la filiation masculine, une présence de cette dotation chez le père et le cadet. La révélation de cette prédisposition procède d'une mise en situation. La relation père-cadet , pour laquelle n'interfère pas la dichotomie entre les domaines masculins et féminins, permet de comprendre cette mise en situation .

" Au début, Bruno [cadetl s'amusait quand je bricolais ; il s'amusait à prendre le marteau et les clous . Mais ça n'allait pas plus loin. Il enfonçait ça dans des chutes de bois ; mais c'est tout. On ne peut pas dire qu'il ait fait grand chose de valable." C'est dans la confrontation avec les objets qu'un intérêt ou un "don"

peuvent se former, comme ils se formeront plus tard au moment de l'installation dans la maison. Une procédure de transmission dans cette relation père-cadet suppose que le fils ait révélé cette prédisposition et se soit constitué un capital d'expériences et de gestes élémentaires. Cette transmission passe alors par une association du père aux réalisations du fils : l'un refait la boîte de pêche de son fils avec les matériaux que ce dernier a découpé ; l'autre aide son fils dans son bout de jardin. En regardant faire, les enfants en tirent des leçons et des recettes pour eux-mêmes. En revanche, ni l'un, ni l'autre ne sont associés aux travaux de leur père. Le père offre à son fils des opportunités pour traduire une prédisposition en réalisation. La transmission passe par l'observation du travail et par la médiation des objets ; eile n'a pas pour support une objectivation des procédures ; elle vise à développer la capacité d'être à l'affût des messages contenus dans les objets et les gestes d'autrui.

Sur ce bricolage dans le lotissement, il reste beaucoup à dire. On a voulu mettre l'accent sur l'aspect à la fois de pratique individuelle et d'invention. En étudiant les extensions d'un pavillon, on a renoncé à saisir la dimension poétique de cette invention pour la comprendre dans son déroulement concret et reconstituer à partir de là, les relations que le

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bricoleur entretient avec son environnement. Cette autoproduction d'aménagements durables a été importante dans

les premières années d'installation ; elle a concerné tous les aménagements périphériques au pavillon (réserves intérieures, extérieures). A l'intérieur , les aménagements importants ont été réalisés par entreprise ; seules deux personnes ont construit une véranda et une seule sa cheminée. Les habitants se sont réservé le domaine de l'habillage des murs et des sols qui leur apparaissent comme des domaines simples et maîtrisables. Dans ces travaux intérieurs, il y a une opposition entre l'attente d'un décor convenable, en référence à la qualité artisanale du travail, et l'appel à l'autoproduction dans laquelle le résultat présente des imperfections liées à l'apprentissage dont il est le résultat. Certaines de ces imperfections , comme le fait d'avoir des joints plus larges pour le carrelage, sont à peine remarquables ; d'autres le sont plus. C'est dans ce décalage entre l'attente féminine de décor et la réalisation masculine que se jouent les conflits conjugaux lorsque la compétence du bricoleur n'est pas assurée ou reconnue.

Avec la réduction de la charge des emprunts dont les remboursement sont restés à 600 F. mensuels, avec également le maintien ou la permanence de l'activité féminine dans le deuxième groupe de ménages, l'appel à l'entreprise est envisagé pour ces travaux intérieurs. En revanche dans le premier groupe de ménages , l'activité salariale féminine est inexistante ou partielle ; les personnes sont restées à ce qu'elles pouvaient faire par elles-même ; cela s'est conjugué avec une représentation d'un pavillon comme un ensemble achevé, ne requérant que des travaux en périphérie. La différence entre bricoleurs résulte de ces perceptions du pavillon comme une structure évolutive ou figée. Dans cette dichotomie, on retrouve des domaines plus ou moins étendus selon la dotation de compétences professionnelles des personnes.

Il est cependant difficile de parler de modèles différenciés de bricolage. Ce qui caractérise l'autoproduction dans tous ces pavillons, c'est que les personnes font avec peu de moyens. Cela est à rapporter à l'appartenance sociale et au recrutement de la population du lotissement. Elle peut être définie en termes de "milieu populaire", très proche par son origine et son mode de vie du monde ouvrier ou du monde agricole. (DUBOST ; 1984) Cette désignation en termes de milieu populaire ne vaut ici qu'en ce qui concerne l'activité de bricolage dans laquelle le savoir-faire est instruit par l'expérience personnelle. Cela concerne principalement le premier groupe de ménages. Le second groupe se positionne dans une trajectoire d'ascension sociale, remarquable en particulier dans les intérieurs ( présence de la cheminée , de la vréanda,... ) . Quoique proche du premier groupe par son origine sociale, il se situe par sa façon d'habiter aux marges de ce milieu. Certains de ces ménages sont partis du lotissement vers 1980 ; ils ont fait construire une maison correspondant à leurs attentes, dans d'autres parties de la commune. D'autres sont restés ; une fois établis, ils ont transformé l'intérieurdu pavillon. S'ils ont eu recours à

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l'autoproduction dans les premières années, les aménagements ultérieurs ont été réalisés par entreprise ; leur activité de bricolage s'est localisée à l'intérieur du pavillon et restreinte à des travaui complémentaires d'habillage en vue de diminuer la dépense. Leur domaine d'autoproduction est plus limité que celui des autres ; il se porte uniquement sur l'intérieur et délaisse les réserves, de la même manière que ces personnes n'ont pas jardin potager. Dans leur ascension sociale, ces ménages abandonnent un attribut de milieu populaire et délaissent leur savoir-faire sans pour autant se constituer d'autres domaine de bricolage.

L'importance accordée à la décoration rencontre les créneaux que le marché du bricolage ( et principalement les grandes surfaces) tendent de plus en plus à occuper. Dans cette approche , on a tenté de connaître au mieux les lieux d'acquisition des matériaux ; ils sont divers et nullement réductibles aux grandes • surf aces. La faible importance de l'usage de ce marché spécialisé est imputable à un effet de chronologie ; la grande surface qu'ils fréquentent, s'est implantée dans la commune voisine , alors que les grands aménagements intérieurs avaient été faits. Pour eux , une telle grande surface est une ressource pour le petit matériau et quelques travaux d'aménagement; mais le plus gros a été fait avant. Il conviendrait donc de prendre un loitissement plus récent piour saisir ces effets du marché ; a contrario, on n'aurait pas ce cycle de l'installation dans la maison.

C'est cette culture manuelle dans ses expresions matérielles, de la fabrication d'étagères à la pose de papiers peints que l'on a voulu saisir. Le bricoleur a un environnement fait d'une multitude d'objets ; il le hiérachise et instaure une dicrimination dont son répertoire est l'expression . h crée son propre ordre de disposition et d'agencement des choses. Par ces procédures, le bricolage constitue une expréession intéressant de ce que sont les pratiques de consommation comme "attribution d'un sens à un flux naissant d'événements [ an inchoate flux of eventsl " ( DOUGLAS ; 1978).

Juin 1989.

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Ouvrages et articles cités

BRENAC (E), PIONA (J) ; 1985. Territoires, Lien Social et Parcours Individuels. Les pratiques du bricolage. CEPS, IREP, Université des Sciences Sociales de Grenoble. Centre Scientifique et Technique du Bâtiment. (Convention avec le Ministère de l'Environne ment ).(4 60 p. dactylo)

De CERTEAU (M) ; 1980 . L'Invention du Quotidien. 1/ Arts de faire. U.G.E. Paris ( 375 p.)

DOUGLAS ( M), ISHERWOOD( (B) ; 1978 The World of Goods.Towards an anthropology of consumption. Basic Books (228 p.)

DUBOST (F.) ; 1984. Côté Jardins . Scarabée & Compagnie. Paris (174 p.)

HAUMONT (N) ; 1966. Les Pavillonnaires. Institut de Sociologie Urbaine. Centre de Recherche d'Urbanisme. Paris. (148 p.)

JARREAU (P) ; 1985 . Du Bricolage. Archéologie de la maison. Centre de Création, Industrielle . Centre Georges Pompidou. Collection Alors. Paris(183p)

LEFEBVRE (H.) Introduction à l'étude de l'habitat pavillonaire . Du Rural à l'Urbain. Anthropos. Paris (159-81)

LEVI-STRAUSS ( C) ; 1985. La Pensée Sauvage. Pion, collection Agora. Paris.(350 p. ;lère édition : 1962 )

ZARCA ( B) ; 1987. Travaux dans le logement et relations entre consommateurs et entreprises. Collection des Rapports du CREDOC. Avril 1987 . N*12 (78 p.)

; 1988. Le bricolage pour la maison et les rapports entre consommateurs et artisans. Collection des rapports du CREDOC. Décembre 1988. N* 55 (78 p.)

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