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Le cadre juridique régissant la responsabilité pénale de l’aliéné mental au Maroc

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Page 1: Le cadre juridique régissant la responsabilité pénale de l’aliéné mental au Maroc

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L’évolution psychiatrique xxx (2014) xxx–xxx

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

ScienceDirect

Article original

Le cadre juridique régissant la responsabilité pénale del’aliéné mental au Maroc�

The legal framework governing the criminal responsibility of the insaneperson in Morocco

Souad Rharrabti (Médecin résidente) ∗, Said Khelafa , Adil Khelafa ,Mohamed Barrimi , Chadya Aarab , Ismail Rammouz , Rachid Aalouane

Service de psychiatrie, hôpital Ibn Lhassan, CHU Hassan II, 30000 Fès, Maroc

Recu le 7 decembre 2012

Résumé

Introduction. – L’aliéné est toute personne jugée inadaptée à la vie en société. On utilise aujourd’huil’expression moins péjorative de malade mental. L’expertise judiciaire psychiatrique constitue une mesured’instruction ordonnée par l’autorité judiciaire pour déterminer l’aliénation mentale, vu l’importance deseffets qu’elle pourra avoir sur la responsabilité pénale.Objectifs. – Cet article a pour but la présentation de l’ensemble des règles régissant le thème de la responsa-bilité pénale de l’aliéné mental au Maroc ainsi que le rôle important que joue l’expert psychiatre en matièrede détermination de l’état mental du délinquant au moment de l’acte criminel.Méthode. – C’est une analyse juridique des effets de l’aliénation mentale sur la responsabilité pénale baséesur l’étude des différentes règles relatives au déroulement du procès pénal, sur un ensemble de jugements etde traitements des cas soit par le juge ou le médecin expert psychiatre ou par les différentes institutions oùles aliénés sont internés.Résultats. – Les règles procédurales en matière de responsabilité pénale de l’aliéné mental au Maroc et laplace de l’expertise psychiatrique.Discussion. – La détermination de la responsabilité pénale du délinquant en cas d’existence d’une aliénationmentale reste-t-elle du seul ressort du juge pénal ou bien le juge est-il astreint par l’avis de l’expert psychiatre,puisqu’il s’agit d’une question purement technique qui attribue au rapport d’expertise une force probante.Bien que l’expert psychiatre demeure un homme d’art, le juge pénal dispose d’un pouvoir souverain. Il doit

� Toute référence à cet article doit porter mention : Rharrabti S, Khelafa S, Khelafa A, Barrimi M, Aarab C, RammouzI, Aalouane R. Le cadre juridique régissant la responsabilité pénale de l’aliéné mental au Maroc. Evol Psychiatr 2014 ;79 (4) : pages (pour la version papier) ou adresse URL et date de consultation (pour la version électronique).

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (S. Rharrabti).

http://dx.doi.org/10.1016/j.evopsy.2014.06.0030014-3855/© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

EVOPSY-857; No. of Pages 13

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juger selon son intime conviction et selon les éléments du procès pénal dont l’expertise ne constitue qu’unepartie.Conclusion. – La détermination de l’aliénation mentale s’avère primordiale, vu l’importance des effets qu’ellepourra avoir sur la responsabilité pénale d’un délinquant. Même si le législateur a pris le soin de déterminerles conditions et les effets de l’aliénation mentale sur la responsabilité pénale, la limite entre le champd’intervention du juge et de l’expert demeure ambiguë. Il convient donc de mettre en place un arsenaljuridique détaillé en la matière, permettant de déterminer les frontières et les limites. Sans oublier que lesjuges et les médecins psychiatres doivent collaborer pour trouver des solutions pour progresser.

© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Psychiatrie médico-légale ; Aliénation mentale ; Responsabilité pénale ; Expertise psychiatrique ; Maroc

Abstract

Introduction. – The lunatic is any person deemed unfit for societal life. Nowadays, insanity is defined as amental illness. The psychiatric expertise constitutes a judicial procedure designed to determine the insanitywith regards to the effects on penal responsibility.Objectives. – The aim of this work was to highlight the different rules governing penal responsibility of theinsane in Morocco. It also aims to emphasize the main function of the expert psychiatrist in determining themental status of the offender at the time of the crime.Method. – This is a legal analysis of the effects of insanity on criminal liability. It is based on the examinationof different rules governing the penal procedure, and the study of different judgments and case treatmentseither by the judge, the expert psychiatrist or by the institutions where the insane was placed.Results. – To detail procedural rules of criminal responsibility of the insane in Morocco as well as the roleof the psychiatric expertise.Discussion. – The fundamental question is to determine whether the penal responsibility of the offender inthe case of insanity is assumed solely by the criminal court, or whether it is mandatory to obtain the opinionof the expert psychiatric. Although the psychiatric expertise is the cornerstone of the procedure, the criminalcourt has the potential power to judge the different elements of the criminal process, whereas the medicalexpertise represents only one.Conclusion. – The determination of insanity is paramount due to the importance of the effects that it mayhave on the criminal responsibility of the offender. Even if the legislature cares to determine the conditionsand effects of the insanity on criminal responsibility, the boundaries between the judicial and medical expertintervention remain unclear. Therefore, it is crucial to establish a detailed legal schedule to specify theboundaries and limits, considering that both judge and psychiatrist must collaborate to find the way toimprovement.© 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Keywords: Forensic psychiatry; Insanity; Criminal responsibility; Psychiatric expertise; Morocco

1. Introduction

L’aliénation vient du mot latin « alienus » qui veut dire « l’étranger ». Jugé inadapté à la vieen société, celui qui souffre de ces troubles peut être placé dans un « asile d’aliénés ». On utiliseaujourd’hui l’expression moins péjorative d’établissement psychiatrique. De même, on préfèredésormais le terme « malades mentaux » à celui d’« aliénés ».

L’expertise judiciaire psychiatrique est donc la demande d’un avis technique qu’adresse unejuridiction à un psychiatre pour connaître son point de vue notamment sur l’état des facultés

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mentales d’un sujet et sa responsabilité. Il s’agit d’une mesure d’instruction ordonnée par l’autoritéjudiciaire. La détermination de l’aliénation mentale s’avère primordiale, vu l’importance des effetsqu’elle pourra avoir sur la responsabilité pénale d’un délinquant. Cependant, on constate que lejuge marocain n’a eu recours que rarement aux expertises psychiatriques pour trancher en lamatière. En effet, cela n’a concerné que les grandes affaires, qui ont suscité l’intérêt de la société.

Cet article a pour but la présentation de l’ensemble des règles régissant le thème de la respon-sabilité pénale de l’aliéné mental au Maroc ainsi que le rôle important que joue l’expert psychiatreen matière de détermination de l’état mental du délinquant au moment de la commission de l’actecriminel.

2. Les règles procédurales en matière de responsabilité pénale de l’aliéné mental

La répression pénale ne peut s’exercer qu’à l’égard des personnes moralement et socialementresponsables et ne vise donc que les actes qui ont été commis avec conscience et volonté. On admetgénéralement que la responsabilité n’existe ni dans la première enfance, ni dans la folie, puisqu’elleimplique deux conditions que ces deux états sont supposés ne pas remplir : liberté et capacité dediscerner le bien et le mal. Cette notion de responsabilité morale repose essentiellement sur lathéorie traditionaliste du libre-arbitre. Un homme est libre, donc responsable, lorsque, connaissantles valeurs morales et sociales, il a commis un acte qu’il pouvait ne pas commettre. Elle entraînenormalement la culpabilité ([1], p. 49), [2].

2.1. La phase de l’enquête préliminaire

La garde à vue est la mesure par laquelle la police judiciaire maintient à sa disposition despersonnes qui sont suspectes, mais ne font pas encore l’objet d’inculpation ni de titre de détention.

Le nouveau Code de procédure pénale (abrogé à compter du 1er octobre 2003 par la loi no 22-01 relative au code de procédure pénale promulguée par le Dahir no 1-02-255 du 3 octobre 2002- 25 rejeb 1423) réglemente le régime de la « garde à vue ».

Dans le cas de crime ou délit flagrant, l’officier de police judiciaire qui instrumente peut garderà vue la personne suspecte pendant 48 heures. Si des indices graves et concordants sont relevéscontre cette personne, il peut la garder à sa disposition pendant trois jours au maximum surautorisation écrite du procureur1. Tous ces délais sont eux-mêmes doublés lorsqu’il s’agit d’uneatteinte à la sûreté intérieure ou extérieure de l’État.

Enfin, si le procureur en est requis, il est obligé de faire examiner cette personne par un médecinexpert2.

Au cours de l’enquête préliminaire. L’officier de police judiciaire ne peut retenir plus dequarante-huit heures une personne suspecte. À l’expiration de ce délai, il doit conduire cettepersonne devant le procureur, qui ne peut prolonger la garde - par autorisation écrite - que devingt-quatre heures3.

On remarque que le législateur marocain s’est abstenu de prévoir des dispositions légales pen-dant la phase de l’enquête préliminaire lorsqu’il s’agit de signes d’aliénation mentale, apparentessur l’auteur d’une infraction, de même que pour les mesures procédurales à prendre dans cettesituation.

1 Article 68 du Code de la procédure pénale.2 Article 69,4 du CPP.3 Article 82 du CPP.

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Si on suit le même raisonnement adopté par le législateur marocain en la matière, on pourra direque les officiers de la police judiciaire doivent prendre en compte l’événement subi par l’inculpé,qui a fait obstacle à ce que ce dernier puisse donner ses déclarations par rapport à l’acte qu’ila commis, et le faire consigner dans leur procès verbal. Par la suite, la police judiciaire pourracontinuer l’exécution des autres mesures de l’enquête préliminaire, notamment celles relativesaux constatations nécessaires, les perquisitions des lieux relatifs à l’infraction et l’audition detous les déclarants qui ont une relation avec l’affaire objet de l’enquête. Ceci est justifié par lanécessité d’éviter de perdre les indices de l’infraction [3].

Néanmoins, la pratique a pu montrer que les représentants du ministère public requièrent deplus en plus l’avis du médecin psychiatre chaque fois que l’inculpé présente des signes apparentsde trouble mental. Il convient dans ce cadre de donner quelques précisions :

L’examen psychiatrique ordonné par le ministère public trouve son fondement légal dansles articles 47 et 73 du Code de la procédure pénale relatifs respectivement aux compétencesdu procureur du Roi et du Procureur général du Roi. Puisque ces deux articles permettent auministère public de recourir d’une facon générale au service des experts chaque fois qu’unequestion technique est soulevée.

L’intervention du médecin psychiatre à ce stade se limite à une consultation puisque seul unjuge de fond aura la possibilité d’ordonner une expertise psychiatrique.

L’intérêt de cet examen psychiatrique se révèle dans la possibilité du classement de l’affairesi les actes commis par l’inculpé constituent un délit d’une gravité minime ou une contravention.Dans ce cas, un placement dans un établissement psychiatrique sera effectué par le biais desautorités publiques.

2.2. La phase de l’instruction de l’affaire

Cette phase se trouve marquée par la nécessité pour le juge instructeur (qu’il s’agisse du juged’instruction ou bien du juge de fond) de recourir aux services d’un médecin expert psychiatrique.Ce dernier qui fait partie des auxiliaires de la justice et qui peut être défini comme étant unepersonne choisie par le juge en raison de ses connaissances techniques, ayant pour mission deprocéder à des examens, constatations et appréciations de faits dont elle consigne le résultat dansun procès verbal ou dans un rapport.

Le législateur marocain a permis dans son article 194 du C.P.P (Code de la procédure pénale)au juge d’instruction ainsi qu’au juge de fond de recourir aux services du médecin expert, qui dansnotre cas est un psychiatre. On constatera après que l’expertise psychiatrique constitue la piècemaîtresse des actes d’instruction de l’affaire, que ce soit au niveau de l’instruction préparatoire,ou bien à la phase du jugement.

2.2.1. L’instruction de l’affaire par le juge d’instructionUn juge d’instruction doit déléguer les actes qu’il ne peut accomplir lui-même, en faisant appel

à des spécialistes, traditionnellement élevés au rang d’experts4. C’est généralement au magistratinstructeur qu’il appartient de juger de l’opportunité d’une expertise psychiatrique. C’est doncessentiellement un acte de l’instruction, qui n’est certes pas obligatoire, mais auquel le juge a de

4 Voir l’article 194 du Code de la procédure pénale marocain, dans le cadre des mesures d’instruction.

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plus en plus fréquemment recours en matière criminelle. Cette possibilité de recourir à l’expertisepsychiatrique est reconnue par l’article 194 du C.P.P5.

En cas de crime, le juge d’instruction doit ordonner la réalisation d’une enquête sur la person-nalité de l’accusé et sur sa situation familiale et sociale. S’il s’agit d’un délit, cette enquête serafacultative et reste à l’appréciation du juge d’instruction6. Ladite enquête fera objet d’un dossierqui s’ajoutera aux pièces de la procédure7.

Si le juge d’instruction a estimé qu’il n’y a pas lieu d’accepter la demande relative à effectuerune expertise psychiatrique, il sera alors dans l’obligation de rendre une décision justifiée quipeut faire objet d’appel, selon les formalités et dans les délais prévus par les articles 222 et 223 duC.P.P.

Dans ce cadre, l’article 196 du C.P.P dispose que lorsque la décision d’effectuer une exper-tise émane du juge d’instruction, elle doit être notifiée au ministère public et aux parties, etqu’elle doit contenir le nom de l’expert et sa qualité ainsi que la mission qui lui a été confiée. Ladite décision ne pourra pas faire objet d’appel, il sera seulement possible au ministère publicet aux parties de faire part de leurs observations dans les trois jours qui suivent la date dela notification, et qui peuvent porter soit sur le choix de l’expert psychiatre ou bien sur samission.

Selon un autre angle, le juge d’instruction peut, par décision motivée, ordonner le placementprovisoire d’un inculpé dans un établissement psychiatrique s’il estime qu’il présente des signesmanifestes d’aliénation mentale. C’est ce qui ressort des dispositions de l’article 136 du C.P.M(Code pénal marocain), et qui précise que « lorsqu’une juridiction d’instruction estime qu’uninculpé présente des signes manifestes d’aliénation mentale, elle peut, par décision motivée,ordonner son placement provisoire dans un établissement psychiatrique en vue de sa mise enobservation et, s’il y a lieu, de son hospitalisation dans les conditions prévues par le Dahir no 1-58-295 du 21 chaoual 1378 (30 avril 1959) relatif à la prévention et au traitement des maladiesmentales et à la protection des malades mentaux ».

Cette mesure se trouve justifiée par le fait que si les troubles mentaux du délinquantpeuvent être contemporains de l’infraction et conduire à l’irresponsabilité pénale, ils peuventégalement se manifester postérieurement à l’infraction, soit avant ou après la condamnationéventuelle de la personne [4]. Ce qui pourra porter atteinte par conséquent aux garanties dedéfense.

Le chef du parquet général de la cour d’appel devra être avisé par le psychiatre traitant de ladécision de sortie, dix jours au moins avant qu’elle ne soit exécutée. On pourra exercer un recourscontre cette décision dans les conditions fixées par l’article 28 du Dahir précité8. Ce recours serasuspensif. En cas de reprise des poursuites, et de condamnation à une peine privative de liberté,la juridiction de jugement aura la faculté d’imputer la durée de l’hospitalisation sur celle de cettepeine.

5 Puisque le juge d’instruction peut intervenir lorsque l’instruction est obligatoire ou facultative selon les dispositionsde l’article 83 du Code de la procédure pénale.

6 L’article 194 du CPP permet au juge d’instruction ainsi qu’au juge de fond d’ordonner l’exercice d’une expertise soitd’office, ou bien à la demande du ministère public ou des parties chaque fois qu’une question technique leur est posée.

7 Article 87 du CPP.8 L’article 28 de ladite loi dispose que « Le recours est adressé au ministre de la Santé Publique et communiqué par

celui-ci à l’auteur de la décision contestée. Si ce dernier à l’expiration d’un délai de dix jours à compter de la réceptionde la décision du recours au ministère de la Santé publique, a confirmé sa décision ou n’a pas répondu, l’affaire est portéedevant la commission de la santé mentale prévue à l’article 6. ».

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6 S. Rharrabti et al. / L’évolution psychiatrique xxx (2014) xxx–xxx

Ainsi, le résultat de cette mesure sera :

• soit que l’auteur est reconnu partiellement responsable et sera renvoyé devant la juridiction dejugement laquelle appliquera les dispositions de l’article 78 ;

• soit que le juge d’instruction, ayant considéré qu’il a affaire à un aliéné mental totalementirresponsable (suite aux conclusions de l’expert psychiatre), rendra une ordonnance de non-lieuet que le psychiatre proposera une hospitalisation dans le cadre du Dahir de 1959 précité ;

• soit, dans certains cas rares, le psychiatre pourra conclure qu’il se trouve en présence d’unsimulateur plus ou moins habile et conclura à une intégrité totale de ses facultés men-tales, ce qui aura pour conséquence une ordonnance de renvoi devant la juridiction dejugement.

2.2.2. L’instruction de l’affaire par le juge de fondIl s’agit de tout tribunal de fond saisi de l’affaire faisant objet d’une action pénale afin d’en

statuer par décision judiciaire, que ce soit devant un tribunal de première instance, ou une courd’appel devant lequel est invoquée la question de la détermination de la responsabilité pénale desauteurs d’actes criminels manifestant des signes d’aliénation mentale ayant entaché leur volontéou leur compréhension. Dans ce cadre, le juge de fond peut lui aussi – et à l’instar du juged’instruction – désigner un, deux ou plusieurs experts, généralement choisis par lui sur les listesdressées par les cours d’appel et en cas de besoin sur le tableau national9. La dualité ou la pluralitédes expertises aurait, pour certains, l’avantage de limiter les erreurs d’appréciation ([1], p. 20).

Dans le souci de protéger au maximum les intérêts de l’auteur de l’infraction, le législateur aprévu le cas où la responsabilité totale ou partielle était possible d’être reconnue par le tribunal,mais où l’état de la personne poursuivie s’est aggravé depuis et l’a mis « hors d’état d’assurer sadéfense au cours des débats ». Il s’agit dans ce cadre d’un véritable effet de l’aliénation mentalemais non pas sur la responsabilité pénale de l’aliéné, puisque l’aliénation influence cette fois lacontinuité du procès pénal avant même de déterminer le degré de la responsabilité de la personnepoursuivie.

La détermination de la peine à appliquer au condamné relève de la seule compétence du tribunal,qui va prendre en considération l’affaiblissement des facultés mentales de l’auteur entraînant parconséquent son irresponsabilité partielle, ou bien l’altération totale de ses facultés mentales cequi entraînera son absolution. Par conséquent, l’accusé sera soit déclaré irresponsable totalementen cas d’altération totale de ses facultés mentales reconnue par le tribunal, ce qui se traduirapar une absolution de toute peine pénale, soit il sera jugé irresponsable partiellement en casd’un affaiblissement ayant altéré partiellement ses facultés mentales, ce qui entraînera une peineatténuée.

Il convient de préciser dans ce cadre qu’il ne s’agit pas de circonstances atténuantes du point devue du législateur, puisque ces dernières ne sont mises en œuvre qu’en cas de personne reconnueresponsable pénalement. Ce n’est qu’après qu’il bénéficiera d’une atténuation de la peine et nonpas de sa responsabilité pénale.

L’auteur doit réparer les dommages qu’il a causé aux tiers, puisqu’il sera responsable totalementdu point de vue de la responsabilisé civile [5].

9 Voir les articles 3 et 5 de la Loi no 45-00 relative aux experts judiciaires promulguée par Dahir no 1-01-126 du 29 rabiiI 1422 (22 juin 2001) (Bulletin Officiel no 4918 du jeudi 19 juillet 2001).

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Au Maroc, le Code pénal marocain reconnaît cette atténuation de responsabilité en précisantdans son article 135 que « est partiellement irresponsable celui qui, au moment où il a commisl’infraction, se trouvait atteint d’un affaiblissement de ses facultés mentales de nature à réduiresa compréhension ou sa volonté et entraînant une diminution partielle de sa responsabilité. . . ».

On reproche au législateur de ne pas avoir protégé les intérêts des victimes des actes cri-minels commis par les aliénés mentaux, puisque l’absolution de l’aliéné et la décision de sonirresponsabilité pénale mettent fin à toute action civile contre lui.

L’article 79 du C.P.M déclare que :

« Lorsqu’une juridiction de jugement estime, après expertise médicale, que l’individu quilui est déféré sous l’accusation de crime ou la prévention de délit était responsable en totalitéou en partie au moment des faits qui lui sont imputés, mais qu’en raison de troubles de sesfacultés mentales survenus ou aggravés ultérieurement, il se trouve hors d’état d’assurer sadéfense au cours des débats, elle doit :1◦- Constater que l’accusé ou le prévenu est hors d’état de se défendre, par suite del’altération présente de ses facultés mentales ;2◦- Surseoir à statuer ;3◦- Ordonner son hospitalisation dans un établissement psychiatrique.La validité du titre de détention est prolongée jusqu’à l’internement effectif.Le psychiatre traitant devra informer le chef du parquet général de la décision de sortie, dixjours au moins avant qu’elle ne soit exécutée. Le titre de détention qui était en vigueur aumoment de l’hospitalisation reprendra effet et les poursuites seront reprises à la diligencedu ministère public. En cas de condamnation à une peine privative de liberté, la juridic-tion de jugement aura la faculté d’imputer la durée de l’hospitalisation sur celle de cettepeine ».

À ce propos, on constate une unanimité entre la doctrine et la jurisprudence qui admettent queseul le juge de fond a la compétence de prouver l’existence du trouble mental au moment de lacommission de l’acte criminel, sans qu’il fasse l’objet de contrôle de la part de la cour suprême, àconditions qu’il base son point de vue sur des causes logiques et raisonnables. D’autant plus quele juge n’est pas tenu de recourir à l’expertise afin de constituer sa propre conviction par rapportà l’existence ou l’absence du trouble mental au moment du fait criminel.

2.3. L’intervention de l’expert psychiatre dans le procès pénal

Les experts judiciaires sont des auxiliaires de la justice qui exercent leurs fonctions conformé-ment aux dispositions de la Loi no 45-00 relative aux experts judiciaires et des textes réglementairespris pour son application10. Ainsi, il convient de mettre en exergue les conditions qui doiventêtre remplies pour un expert en psychiatrie, d’étudier le contenu de sa mission et de discuterl’importance de son intervention dans le procès pénal.

2.3.1. Les conditions à remplir par l’expert psychiatrePour exercer les fonctions d’expert judiciaire en psychiatrie il faut d’abord être titulaire du

diplôme de docteur spécialiste en psychiatrie délivré par l’une des facultés de médecine marocaines

10 Loi no 45-00 relative aux experts judiciaires promulguée par Dahir no 1-01-126 du 29 rabii I 1422 (22 juin 2001)(Bulletin Officiel no 4918 du jeudi 19 juillet 2001).

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ou d’un titre ou diplôme d’une faculté étrangère reconnu équivalent par l’administration qui enpublie la liste.

La personne doit être inscrite au tableau de l’Ordre national des médecins. L’inscription enqualité de médecin spécialiste est prononcée par le président du conseil national de l’Ordrenational des médecins sur demande de l’intéressé titulaire d’un diplôme de spécialité médicaledélivré par une faculté marocaine ou d’un titre reconnu équivalent qui ouvre droit à l’exercice dela spécialité. La liste des diplômes, éventuellement de leur équivalence et la liste des spécialitésauxquelles ils donnent droit sont arrêtées par l’administration après avis de l’Ordre national desmédecins, et publiée au « Bulletin officiel ». Ensuite, il faut s’inscrire au tableau des expertsjudiciaires.

Tout candidat à l’inscription au tableau des experts judiciaires doit remplir les conditionssuivantes :

• être de nationalité marocaine, sous réserve des conditions de capacité prévues par le code dela nationalité, ou ressortissant d’un État ayant conclu avec le Maroc une convention autorisantles ressortissants de chaque État à exercer l’expertise judiciaire sur le territoire de l’autre ;

• être âgé au moins de trente années grégoriennes révolues ;• être en situation régulière au vu des lois relatives au service militaire ;• jouir de ses droits civiques et être de bonne moralité et de bonnes mœurs ;• n’avoir pas été condamné pour crime ou délit, à l’exception des délits involontaires ;• n’avoir pas été condamné à une peine disciplinaire pour des faits contraires à l’honneur, à la

probité ou aux bonnes mœurs ;• n’avoir pas été condamné à l’une des peines financières prévues par le code de commerce à

l’encontre des dirigeants de l’entreprise ou à la déchéance commerciale ;• satisfaire aux critères de qualification fixés par voie réglementaire pour chaque discipline

d’expertise ;• disposer d’un domicile dans la circonscription de la cour d’appel dans laquelle il entend exercer

ses fonctions.

L’expert judiciaire peut être inscrit dans un tableau près d’une cour d’appel ou dans untableau national. Tout expert inscrit au tableau d’une cour d’appel pendant une durée de cinqans consécutifs au minimum peut demander son inscription au tableau national.

L’expert inscrit au tableau pour la première fois prête, devant la cour d’appel de la circons-cription où il est inscrit, le serment suivant : « Je jure devant Dieu Le Tout Puissant de remplirloyalement et fidèlement la mission d’expertise qui me sera confiée, de donner mon avis en touteimpartialité et indépendance et de garder le secret professionnel ».

Le serment n’est pas renouvelé tant que l’expert est inscrit au tableau.Néanmoins, l’expert peut être requis par l’autorité judiciaire même s’il n’est pas inscrit au

tableau des experts judiciaires. Selon l’article 195 du code de la procédure pénale, l’expert peutporter serment directement devant le juge d’instruction et procéder par conséquent à sa mission,serment qu’il devra renouveler à chaque mission qui lui sera conférée.

2.3.2. Le contenu de la mission de l’expert psychiatreD’après l’article 2 de ladite loi, l’expert judiciaire est un spécialiste qui est chargé par les

juridictions d’instruire des points à caractère technique. Il lui est interdit de donner son avis surtous points de droit.

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L’intervention de l’expert psychiatre dans le procès pénal tire sa justification de l’article 13411

du Code pénal marocain relatif à l’aliénation mentale et qui constitue l’exception par rapport auprincipe consacré par l’article 132, qui dispose que « Toute personne saine d’esprit et capable dediscernement est personnellement responsable. . . ». Ce principe se trouve également consacré pardifférents articles du C.P.M ainsi que ceux du C.P.P. À cet effet, l’article 194 du C.P.P permet aujuge d’instruction ainsi qu’au juge de fond d’ordonner l’exercice d’une expertise soit d’office, oubien à la demande du ministère public ou des parties chaque fois qu’une question technique leurest posée.

De même les articles 75-76-78 et 79 du C.P.M font référence à l’expertise médicale psychia-trique pour ce qui est de la « détermination de l’état mental de la personne accusée au moment dela commission de l’infraction », alors que la détermination de sa responsabilité reste de la seuleprérogative du juge pénal.

Généralement, on peut dire que l’expertise revêt un triple objectif [6] :

• permettre au juge d’apprécier le comportement de l’auteur présumé de l’infraction, la plupartdes cas il s’agit d’un crime, de doser sa responsabilité et éventuellement lorsqu’il s’agit de lajuridiction de jugement de préciser la sanction ou son absence ;

• dans toutes les hypothèses, apprécier le degré de dangerosité de l’individu ;• le cas échéant, envisager le traitement qui peut lui être appliqué.

Par ailleurs, et dans le cadre général de l’expertise pénale l’article 203 du C.P.P, il est per-mis aux médecins experts de poser à l’inculpé les questions nécessaires à la bonne exécutionde leur mission, en l’absence des juges et des défenseurs. Il s’agit là d’une exception à larègle, qui trouve son fondement dans le cadre particulier de la mission médicale. En effet,celle-ci met en cause bien souvent l’intimité de la personne expertisée voire des secrets defamille. C’est certainement pour éviter à l’individu de subir quelque gêne à l’égard du jugeou de l’avocat que la loi permet au médecin expert d’interroger le prévenu en dehors des formesclassiques.

L’objet de l’expertise psychiatrique est d’établir si l’examen du sujet révèle chez lui des ano-malies mentales ou psychiques pouvant se rattacher à des effets pathologiques. Il convient alorspour le psychiatre d’apprécier si l’infraction dont l’individu est l’auteur présumé est en relationavec cette pathologie mentale. Il est demandé aussi à l’expert de dire si le sujet présente un étatdangereux, s’il est accessible à une sanction pénale et s’il est possible d’envisager sa réadaptationsociale.

Ainsi, l’expertise psychiatrique est ordonnée, soit par le juge d’instruction, soit par la juridictionde jugement saisie de l’affaire à l’audience. Elle peut être demandée par l’inculpé lui-même, parsa défense ou par le ministère public.

Indépendamment de ces prescriptions légales, le magistrat, qu’il soit juge d’instruction ouprésident du tribunal, a toujours la possibilité de faire procéder à une expertise mentale, lorsqu’illui apparaît, au vu des renseignement recueillis, de l’attitude de l’inculpé ou du prévenu, soit parla nature des faits eux-mêmes, ou sur la base de toutes autres constatations figurant au dossier,que cet individu peut présenter au moment des faits, un déséquilibre mental permettant de mettreen doute sa responsabilité.

11 L’article 134 du code pénal Marocain déclare que « N’est pas responsable et doit être absous celui qui, au moment desfaits qui lui sont imputés, se trouvait par suite de troubles de ses facultés mentales dans l’impossibilité de comprendre oude vouloir. . . ».

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En complément de l’expertise psychiatrique classique qui a pour but de savoir si l’inculpé étaitou non en état de démence lors des faits, l’examen de la personnalité prévu par l’article 87 du C.P.Pprend une importance plus considérable. Il s’agit là d’un type d’expertise très particulier. Cet exa-men se propose de mettre en relief les traits essentiels de la personnalité du délinquant envisagéssous les aspects psychologiques plutôt que psychiatrique, afin de découvrir les motivations pro-fondes de la conduite antisociale. Parallèlement, ce bilan médico-psychologique doit permettred’envisager un pronostic et déboucher sur un traitement. Il est, en effet demandé à l’expert sile sujet est accessible à une sanction pénale et d’apprécier ses possibilités de réadaptation et deréinsertion sociale [7–9].

Pour remplir la mission qui lui a été confiée, l’expert se livre habituellement à diversesinvestigations, dont l’importance varie selon les cas.

Il s’agit en premier lieu d’analyser les faits d’inculpation, dans la mesure où le psychiatre asouvent recours à l’enquête officielle, et dont il retire un certain nombre de renseignements surle délit qui peut porter la marque d’une « anomalie mentale ». Sans oublier les circonstances quiont entouré l’acte criminel, le mode d’exécution de l’acte criminel et les explications fourniespar l’inculpé. Cependant, l’expert en psychiatrie peut se heurter à une orientation inconscientede son examen en prenant préalablement connaissance des faits d’inculpation. Il se doit d’êtreparticulièrement attentif à cet aspect en accomplissant sa mission.

Dans un second temps, l’expert se penchera sur l’examen de la personnalité qui constitueune innovation, et qui consiste à connaître toutes les particularités de la vie du délinquant quiont successivement contribué à modeler sa personnalité. Cet examen est justifié par la nécessitéque le comportement social d’un individu ne peut être analysé et compris qu’à travers sa proprehistoire, affective, familiale et socioculturelle.

En troisième lieu se situe l’examen clinique, qui peut s’effectuer soit au niveau de la prisonde détention, soit au sein de l’établissement psychiatrique. Il obéit toujours à la même règleimpérative qui est de rechercher, de repérer et d’identifier cet objet caché qu’est « l’anomaliementale ». L’expert a comme mission – dans ce cadre – de déterminer si le crime doit être ou nonrapporté à un « état pathologique ».

L’expert peut également recourir à des examens para-cliniques où il investigue toutes lesexplorations somatiques et biologiques qu’il jugera nécessaires, avant d’entamer son examenpsychologique et effectuer les investigations psychologiques afin de déterminer le profil psycho-logique de l’inculpé.

Il convient de préciser qu’en France, après la reforme du Code pénal (1958 et 1959),le législateur francais a recommandé cinq questions à poser à l’expert psychiatre12,à savoir :

• l’examen psychiatrique et physiologique du sujet révèle-t-il chez lui des anomalies mentalesou psychiques ?

• l’infraction qui lui est reprochée est-elle ou non en relation avec de telles anomalies ?• le sujet présente-t-il un état dangereux ?• le sujet est-il accessible à une sanction pénale ?• le sujet est-il curable ou réadaptable ?

12 Article C 345 du Code Pénal francais de 1959.

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Lorsque les opérations de l’expertise psychiatrique sont achevées, les experts rédigent unrapport qui doit contenir la description des ces opérations ainsi que leurs conclusions13.

Ainsi, un rapport d’expertise psychiatrique pénale se présente comme un compte-rendu struc-turé, les circonstances d’examen sont d’abord rappelées puis les chefs de poursuite suivis dela biographie du sujet, des antécédents médicaux chirurgicaux ou psychiatriques, de l’examenpsychiatrique, puis vient la discussion criminologique (compréhension de la dynamique de l’actemédico-légal, évolution depuis l’incarcération, place d’un traitement éventuel) et enfin les conclu-sions qui ne sont autres que des réponses motivées aux questions posées par la juridiction. Il estimportant d’éviter un jargon psychiatrique [10].

À noter que si le médecin expert peut être cité à comparaître en justice en sa qualité d’expertauxiliaire de la justice, il peut également être amené à se présenter en sa qualité de témoin.Généralement il s’agira d’un besoin de clarification de la part du tribunal au sujet du contenu durapport d’expertise rédigé par le dit expert, dans lequel certaines questions sont restées ambiguësnécessitant quelques éclaircissements [11,12]. Si l’expert assistant, dans le cas d’une expertisecontrôlée, a des réserves à formuler, il les consigne dans une note que l’expert commis est tenud’annexer à son rapport, avec cependant ses propres observations14.

La rédaction du rapport d’expertise psychiatrique constitue la phase la plus importante de lamission de l’expert psychiatre car ce dernier va devoir communiquer au juge ses observationset conclusions sur l’aspect technique et scientifique de l’affaire exposée au tribunal. Le rapportainsi que les scellés sont déposés entre les mains du greffier du tribunal qui a ordonné l’expertisepsychiatrique15. Cette phase achevée, le juge est tenu de notifier aux parties les conclusions del’expert16.

À travers l’ensemble de ces textes, on relève la place prépondérante reconnue à l’expert psy-chiatre seul habilité à décider du degré d’altération des facultés mentales de l’inculpé et surtoutde la date de sa guérison. Cette décision habituellement, sauf recours du procureur, pourra mettrefin à la mesure d’internement judiciaire [13].

3. La force probante de l’expertise psychiatrique face au pouvoir souverain du jugepénal

La détermination de la responsabilité pénale du délinquant en cas d’existence d’une aliénationmentale reste-t-elle du seul ressort du juge pénal qui, étant investi de son pouvoir souverain, doitjuger selon son intime conviction ? Ou bien au contraire, le juge se trouve-t-il astreint par l’avisde l’expert psychiatre, puisqu’il s’agit d’une question purement technique qui attribue au rapportd’expertise une force probante ?

Du point de vue du législateur, le problème de la séparation des fonctions respectives del’expert et du juge se trouvait résolu. Théoriquement, en effet, le psychiatre était sensé ne plusavoir à se prononcer sur la responsabilité pénale du prévenu, cette appréciation relevant de la

13 L’article 205 du Code de la Procédure Pénale Marocain.14 L’article 206 du Code de la Procédure Pénale Marocain.15 L’article 207 du Code de la Procédure Pénale Marocain.16 L’article 208 ajoute que les parties, et après avoir recu les conclusions du rapport de l’expertise, ils peuvent présenter

leurs observations ou leurs demandes, notamment pour ce qu’il s’agit d’effectuer une expertise complémentaire oucontradictoire, comme ils peuvent avoir une copie du rapport de l’expertise. Le refus de ces demandes ne sera possibleque par une décision justifiée, et s’il s’agit d’une ordonnance émanant du juge d’instruction, elle sera passible d’appeldans les formalités et dans les délais fixés par les articles de 222 jusqu’à 224.

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seule compétence du juge. Son rôle devait essentiellement consister à communiquer au tribunalles résultats de ses investigations psychiatriques. Et c’est à partir de ces éléments que le jugedevait, dans un second temps, se forger lui-même une opinion.

Il convient de préciser que le système pénal marocain des preuves repose sur un ensembledes principes qui régissent la nature de la preuve pénale et son mode d’administration, lesquelsconstituent autant de garanties des personnes poursuivies [14].

En conséquence, entre aveu, témoignage, écrit, indices et expertise, le juge pénal décide selonson intime conviction. C’est ce qui explique que l’avis de l’expert ne s’impose pas légalement aujuge. Ce principe est clairement consacré par l’article 286 du C.P.P qui déclare : « Hors les cas oùla loi en dispose autrement, les infractions peuvent êtres établies par tout moyen des modes depreuves, et le juge décide d’après son intime conviction. . . ».

La mission d’expertise impose une bonne collaboration entre le juge et l’expert. Très souventle système d’expertise correspond en une « pure prérogative judiciaire ». Ainsi c’est le juge quidésigne l’expert et lui donne les directives par le biais de ses réquisitions. Il apparaîtrait dés lorsque les conclusions d’expertise devraient normalement et forcement être reprises telles quellespar le tribunal.

Or nous savons que le juge n’est absolument pas lié par les conclusions de l’expert ; il peut trèsbien les reprendre, les compléter afin de mieux établir son intime conviction, comme il peut lesrejeter par ce qu’elles lui paraissent contestables. C’est d’ailleurs dans ce sens que s’est prononcéela cour suprême dans un arrêt du 3 septembre 1996 selon lequel elle a estimé que les résultats del’expertise n’obligent pas le juge du fond répressif à se limiter à leur contenu. Elle a ajouté quece dernier doit néanmoins les prendre en compte au cours de l’instruction17. L’article 2 de laloi no 45-00 relative aux experts judiciaires précise à ce propos que « Les avis de l’expert sontrecus par les juridictions à titre de simples renseignements sans pour autant avoir un caractèreobligatoire ».

Alors que dans un autre arrêt, celui du 23 décembre 1965, la cour avait décidé que si lesappréciations d’un expert judiciairement commis ne s’imposent pas aux juges, ces derniers sonttenus légalement de motiver leurs décisions. Ils doivent pour les modifier ou les démentir exprimeren termes dubitatifs les considérations qui les ont déterminés à adopter une opinion contraire [13].En d’autre termes, la cour demande au juge de faire preuve de connaissances au moins égales àcelle de l’expert, à fin de pouvoir le démentir.

Dans la pratique, le problème se pose rarement en ces termes, puisqu’en fait la décision du jugeest généralement très influencée, voire même dictée par les résultats de l’expertise, surtout quandcette dernière constitue le principal mode de preuve dans le procès, et face à la non-spécialisationpsychiatrique du juge marocain.

4. Conclusion

Il est bel et bien clair que la détermination de l’aliénation mentale s’avère primordiale, vul’importance des effets qu’elle pourra avoir sur la responsabilité pénale d’un délinquant. Bienque l’expert psychiatre demeure un homme d’art, le juge pénal dispose d’un pouvoir souverain.Il doit juger selon son intime conviction et selon les éléments du procès pénal dont l’expertise neconstitue qu’une partie.

17 Arrêt inédit de la Cour Suprême no 1692/3, rendu le 3 septembre 1996, dossier pénal No 24691/91, voir annexes.

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Ainsi, même si le législateur a pris le soin de déterminer les conditions et les effets del’aliénation mentale sur la responsabilité pénale, la limite entre le champ d’intervention du jugeet de l’expert demeure ambiguë. Il convient donc de mettre en place un arsenal juridique détailléen la matière, permettant de déterminer les frontières et les limites. Sans oublier que les juges etles médecins psychiatres doivent collaborer pour trouver des solutions pour progresser.

Déclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

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