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ARTICLE ORIGINAL / ORIGINAL ARTICLE Le cancer comme intrusion : réflexions psychopathologiques sur certaines modalités de réaction dans laprès-coup de lannonce* Cancer as intrusion: some psychopathological patterns of reactions in post-trauma period following diagnosis J.-L. Pujol · J.-P. Mérel · E. Arnaud · M. Launay · I. Boulze Reçu le 13 juin 2013 ; accepté le 1 août 2013 © Springer-Verlag France 2013 Résumé Dans le climat traumatique de lannonce, le mot can- cer fait effraction dans le psychisme sur le mode brutal dun avènement de Réel. En se mettant à distance de lannonce, cet article se propose danalyser, au-delà de langoisse qui sub- merge le sujet, comment cet affect fera lobjet dun travail de mise en représentations. Nous décrivons trois modalités. Pre- mière modalité : le sujet sidéré par lannonce de cancer ne peut parvenir à penser, car il est confronté à un impossible, à un point de butée : il sagit là du domaine de lintime, du singulier face à toute rencontre avec le Réel. Deuxième moda- lité possible : certains patients construiront des protoreprésen- tations. Elles font essentiellement appel à des théories psycho- gènes laissant une large place à la pensée en tant quagent responsable. L angoisse sy révèle indissociable de lémer- gence de fantasmes infantiles et dune conception ontologique (au sens anthropologique) du cancer. Troisième modalité : face à lannonce, certains patients semblent incapables de régresser. Il est même parfois observé que lannonce dun cancer et son suivi génèrent un nouveau mode d« insertion sociale ». Ces patients atteints de cancer se fondent alors avec presque trop de complaisance dans des stéréotypes sociétaux. De façon plus synthétique, le sujet traumatisé utilise deux voies pour liquider laffect dangoisse massif inaugural de lannonce : lune culturelle qui emprunte à des rétentions de représentations historiques surnaturelles de la maladie et/ou à des attributs sociétaux ; lautre idiosyncrasique tenant au réfé- rentiel propre qui a fondé ses modes de défense. La manière singulière de vivre le trauma remettrait en scène la construc- tion précoce de lorthopédie moïque dans son rapport à lan- goisse, au Réel du corps et au monde extérieur. La défaillance de cette orthopédie fait que le sujet se reporte vers la première voie culturelle, car elle fait office de « chambre froide » où entreposer laffect en attendant de pouvoir le subjectiver. Mots clés Cancer · Psychologie qualitative de la santé · Angoisse · Représentations · Intrusion Abstract In the traumatic atmosphere of announcement, the word cancerbreaks into the psyche under the brutal form of the advent of reality. Standing aloof from the announce- ment, this article aims at analyzing, beyond the anguish that overwhelms the patient, how this affect will be the subject of a mental work to put it into representations. We will describe three distinct modes: First mode: the patient, shattered by the announcement of cancer, cannot manage to think, because he faces the impossible, a stop: it is a matter of something private, remarkable in front of any encounter with the reality. Second possible mode: some patients will build up proto- representations. They essentially appeal to psychogenic theories giving a great place to think themself as a respon- sible agent. The anguish is revealed inseparable from the emergence of infantile fantasies, of an ontological (in the anthropological meaning) view of cancer. Third mode: in front of the announcement, some patients seem unable to regress. It is even sometimes observed that the announce- ment of cancer and its medical follow-up lead to a new mode of social inclusion.These cancer-stricken patients then merge with almost too much complacency into societal ste- reotypes. To sum up, the traumatized patient uses two ways J.-L. Pujol (*) · J.-P. Mérel · E. Arnaud Hôpital Arnaud-de-Villeneuve, avenue du Doyen-Giraud, F-34295 Montpellier cedex, France e-mail : [email protected] J.-L. Pujol · M. Launay · I. Boulze Laboratoire Epsylon EA 4556 Dynamique des capacités humaines et des conduites de santé, UFR médecine, sciences du sujet et de la société, STAPS universités Montpellier et Saint-Étienne, université Paul-Valéry-Montpellier-III, route de Mende, F-34199 Montpellier cedex 05, France * Programme de recherche réalisé grâce à un soutien institutionnel de la Ligue contre le cancer, des laboratoires Roche France et Chugai. Psycho-Oncol. (2013) 7:189-198 DOI 10.1007/s11839-013-0432-4

Le cancer comme intrusion : réflexions psychopathologiques sur certaines modalités de réaction dans l’après-coup de l’annonce; Cancer as intrusion: some psychopathological

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ARTICLE ORIGINAL / ORIGINAL ARTICLE

Le cancer comme intrusion : réflexions psychopathologiquessur certaines modalités de réaction dans l’après-coup de l’annonce*

Cancer as intrusion: some psychopathological patterns of reactions in post-trauma periodfollowing diagnosis

J.-L. Pujol · J.-P. Mérel · E. Arnaud · M. Launay · I. Boulze

Reçu le 13 juin 2013 ; accepté le 1 août 2013© Springer-Verlag France 2013

RésuméDans le climat traumatique de l’annonce, le mot can-cer fait effraction dans le psychisme sur le mode brutal d’unavènement de Réel. En se mettant à distance de l’annonce, cetarticle se propose d’analyser, au-delà de l’angoisse qui sub-merge le sujet, comment cet affect fera l’objet d’un travail demise en représentations. Nous décrivons trois modalités. Pre-mière modalité : le sujet sidéré par l’annonce de cancer nepeut parvenir à penser, car il est confronté à un impossible,à un point de butée : il s’agit là du domaine de l’intime, dusingulier face à toute rencontre avec le Réel. Deuxième moda-lité possible : certains patients construiront des protoreprésen-tations. Elles font essentiellement appel à des théories psycho-gènes laissant une large place à la pensée en tant qu’agentresponsable. L’angoisse s’y révèle indissociable de l’émer-gence de fantasmes infantiles et d’une conception ontologique(au sens anthropologique) du cancer. Troisième modalité :face à l’annonce, certains patients semblent incapables derégresser. Il est même parfois observé que l’annonce d’uncancer et son suivi génèrent un nouveau mode d’« insertionsociale ». Ces patients atteints de cancer se fondent alors avecpresque trop de complaisance dans des stéréotypes sociétaux.De façon plus synthétique, le sujet traumatisé utilise deux

voies pour liquider l’affect d’angoisse massif inaugural del’annonce : l’une culturelle qui emprunte à des rétentions dereprésentations historiques surnaturelles de la maladie et/ou àdes attributs sociétaux ; l’autre idiosyncrasique tenant au réfé-rentiel propre qui a fondé ses modes de défense. La manièresingulière de vivre le trauma remettrait en scène la construc-tion précoce de l’orthopédie moïque dans son rapport à l’an-goisse, au Réel du corps et au monde extérieur. La défaillancede cette orthopédie fait que le sujet se reporte vers la premièrevoie culturelle, car elle fait office de « chambre froide » oùentreposer l’affect en attendant de pouvoir le subjectiver.

Mots clés Cancer · Psychologie qualitative de la santé ·Angoisse · Représentations · Intrusion

Abstract In the traumatic atmosphere of announcement, theword “cancer” breaks into the psyche under the brutal formof the advent of reality. Standing aloof from the announce-ment, this article aims at analyzing, beyond the anguish thatoverwhelms the patient, how this affect will be the subject ofa mental work to put it into representations. We will describethree distinct modes: First mode: the patient, shattered by theannouncement of cancer, cannot manage to think, becausehe faces the impossible, a stop: it is a matter of somethingprivate, remarkable in front of any encounter with the reality.Second possible mode: some patients will build up proto-representations. They essentially appeal to psychogenictheories giving a great place to think themself as a respon-sible agent. The anguish is revealed inseparable from theemergence of infantile fantasies, of an ontological (in theanthropological meaning) view of cancer. Third mode: infront of the announcement, some patients seem unable toregress. It is even sometimes observed that the announce-ment of cancer and its medical follow-up lead to a new modeof “social inclusion.” These cancer-stricken patients thenmerge with almost too much complacency into societal ste-reotypes. To sum up, the traumatized patient uses two ways

J.-L. Pujol (*) · J.-P. Mérel · E. ArnaudHôpital Arnaud-de-Villeneuve, avenue du Doyen-Giraud,F-34295 Montpellier cedex, Francee-mail : [email protected]

J.-L. Pujol · M. Launay · I. BoulzeLaboratoire Epsylon EA 4556 Dynamique des capacitéshumaines et des conduites de santé,UFR médecine, sciences du sujet et de la société,STAPS universités Montpellier et Saint-Étienne,université Paul-Valéry-Montpellier-III,route de Mende, F-34199 Montpellier cedex 05, France

* Programme de recherche réalisé grâce à un soutien institutionnelde la Ligue contre le cancer, des laboratoires Roche France etChugai.

Psycho-Oncol. (2013) 7:189-198DOI 10.1007/s11839-013-0432-4

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to divide up the massive affect of anguish, inaugural of theannouncement: a cultural way, which borrows from reten-tions of supernatural historic representations of the illnessand/or from societal attributes; and also an idiosyncraticway, resulting from the individual system of reference whichhas founded its means of defenses. The idiosyncrasic expe-rience induced by trauma would stage the early constructionof the self-orthopaedics in its relation with anguish, with thereality of the body, and with social living. The failure of thisorthopaedics makes the patient refer to the first cultural way,because it serves as a “cold room” where the affect can bestored while waiting for the time to subjectify it.

Keywords Cancer · Qualitative health psychology ·Anguish · Representations · Intrusion

Introduction

Dans le climat traumatique1 de l’annonce, le mot cancer faiteffraction dans le psychisme sur le mode brutal d’un avène-ment de Réel2 [9,20]. Ce traumatisme inaugural a pourcorollaire l’angoisse [3]. En tant qu’affect, l’angoisse ne peutse ventiler que par une tentative de symbolisation [14,15].Celle-ci prend la forme d’une mise en représentations. Dansun article récent, nous avons pu vérifier la réalité du traumade l’annonce du cancer [20]. La coexpérience qu’en font lesujet et le proche significatif qui l’accompagne [17,18] lorsde l’annonce démontre l’écart entre les deux mondes quesont celui de la santé vécue en tant que clinique d’un corpsen souffrance [19] d’une part, et les représentations socialesde la maladie d’autre part [5,7]. La prééminence des réexpé-riences intrusives, la relative impossibilité de comportementd’évitement et surtout l’impact du trauma sur la qualitéde vie du sujet et du proche légitiment la qualification del’annonce du cancer comme climat traumatique. Elle est pro-totypique d’un moment d’émergence d’affect d’angoisse.Dans cet article, à distance de l’annonce, nous nous propo-sons d’observer comment le sujet mobilise l’affect etcomment cette angoisse fera l’objet d’un travail de mise enreprésentations. La manière singulière de vivre ce traumaremettrait en scène la construction précoce de l’orthopédie

moïque3 dans son rapport à l’angoisse, au Réel du corps etau monde extérieur réel.

Les trois modalités que nous dégageons dans le texte ci-dessous ne doivent pas être considérées comme des stadessuccessifs ni prétendre atteindre une exhaustivité des modesd’adaptation du sujet à la maladie.

Sidération et absence de représentation

Première modalité, le sujet sidéré par l’annonce de cancer nepeut parvenir à penser, ce qui le rend partiellement absent,fou de douleur. On peut alors observer des troubles de l’iden-tité4 (sidération, troubles de la conscience de soi, associantangoisse et impression de perte de contact avec la réalité) quine relèvent pas d’une incompréhension du diagnostic oud’un comportement inadapté, mais de la confrontation dusujet à un impossible, à un point de butée : il s’agit là dudomaine de l’intime, du singulier face à toute rencontre avecle Réel [2]. La traduction clinique de cet impossible peut,chez certains patients, provoquer la tenue d’un discoursproche d’un moment psychotique, d’une déréalisation,d’un discours dans lequel se reconnaissent souvent des réfé-rences archétypiques, alors que chez d’autres ce sera uneabsence de discours comme le suggère la vignette cliniqueci-dessous. Il s’agit selon nous pour le sujet d’un mode deréaction primaire face à un moment d’empiètement où l’ego(self) est mis en danger [24].

Vignette 1

Sur le lit était posé un ours en peluche. C’était un jouetordinaire, d’allure ancienne, à la figure inexpressive, lesyeux faits de deux boutons de verre ; il n’avait rien des pelu-ches modernes imitant de la manière la plus réaliste qui soitun ourson. Cet ours en peluche était le seul objet qui, danscette chambre blanche, rappelait l’enfance. Devant le nom-bre de personnes qui entraient, il eut un mouvement deretrait, s’asseyant sur le lit et se reculant dans une positionenfantine. Il était habillé d’un pyjama bleu, de deux taillestrop grand. Le regard brillant ressortait de son visage amai-gri et courait autour du lit tentant d’identifier un visage

1 Le climat traumatique est défini comme l’ensemble des circonstancespropres à générer un post traumatic distress syndrome.2 Le Réel est cette part de la réalité que le Symbolique rejette commeirréductible à des signifiants. De ce fait, le Réel n’est pas le concept deréalité au sens du réalisme d’un postulat sur le monde. Au contraire, leRéel peut se définir comme l’impossible et a à voir avec le ça en celaqu’il est déconcertant et imprévisible. C’est la barrière du Symboliquequi fonde la perception du monde, et cette barrière maintient un Réel,toujours déjà là et qui n’attend pas le sujet puisqu’il n’attend rien de laparole.

3 La notion d’orthopédie moïque a été introduite par Lacan en 1949dans le texte « Le stade du miroir comme formateur de la fonction duJe ». Dans sa théorie, Lacan exprime que le stade du miroir est un casparticulier de la fonction de l’imago, c’est-à-dire qu’il établit unerelation entre l’organisme et la réalité. Il insiste sur la fonctiond’identification que le stade du miroir revêt. Du leurre d’une imagemorcelée du corps, le sujet accède à « une forme que nousappellerons orthopédie de sa totalité et à l’armure enfin assuméed’une identité aliénante ».Face à la doxa (c’est-à-dire au flux d’énoncés, d’opinions confuses ounon, de préjugés populaires, de présuppositions) qui parvient au sujet,le moi fait en sorte de s’adapter à l’angoisse et au Réel.4 Identité : conscience de la persistance du moi.

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connu parmi les personnes habillées de blanc qui étaientvenues l’entourer. L’une de ces personnes, un responsablesans doute, expliquait lentement sur un ton calme la natureet les effets possibles des médicaments qui coulaient depuisquelques heures déjà dans le goutte-à-goutte. De ce qui luiétait dit, il ne comprenait qu’un mot sur deux et se laissaitdistraire par les images bariolées d’un jeu diffusé par letéléviseur dont le son était coupé. On lui demanda s’il avaitdes questions à poser, il n’en avait aucune. Le responsable,intrigué par l’ourson, lui demanda s’il s’agissait pour luid’un porte-bonheur. Il répondit qu’il tenait cet objet d’unpetit-fils, comme une recommandation pour l’accompagnerau cours de cette hospitalisation. Enfin, la visite repartit, etle dernier médecin, sans se retourner, ferma la porte. Il fitrouler le pied à perfusion jusqu’à la porte et l’entrouvrit detelle façon que les bruits du couloir de ce service lui par-viennent. Il venait d’avoir 59 ans.

• Analyse

Quelle est la régression à l’œuvre ici, entre le recours à unobjet transitionnel dans un contexte de vécu d’angoisse etl’évident débordement des capacités de résistance du moi,c’est-à-dire de dépassement des processus défensifs ?C’est la situation impossible dans laquelle le sujet se trouved’accéder à la symbolisation, c’est-à-dire à la capacitéd’énonciation d’un dire. En d’autres termes, il n’y a pas decontenu communicable dans l’impossibilité où il se trouvede traduire en mots son vécu de la maladie. Partant de l’af-fect provoqué par l’irruption du Réel — ici la maladie can-céreuse —, il est toutefois possible d’expliquer pourquoi ceRéel du symptôme ne peut s’articuler complètement à unesymbolisation par des mots. Il contient une part incompres-sible, une part non représentable et non représentée. Cettepart relance l’imaginaire (mais aussi le symbolique dansune tentative de mise en mots), lequel en retour déplacel’affect en l’intensifiant, et cette intensification est souventfonction de son poids d’imaginaire [21]. La capacité de souf-france de l’individu dépasse la force d’intégration de sapersonne, et pour ne pas souffrir, le sujet cesse d’exister entant que moi global [12].

Le phénomène de dépersonnalisation trouve au début dela maladie sa genèse dans l’impossibilité de reconnaître sapropre image spéculaire et par voie de conséquence l’imagodu corps propre. Cette vacillation du moi, qui succède audiagnostic faisant effraction dans le cours de la vie, peutégalement s’exprimer sous la forme d’une perte de repèredu corps vivant avec ses limites, son intérieur et son exté-rieur. Pour Winnicott, on ne peut, dans la dualité psyché–soma, distinguer le psychisme du soma qu’en fonction dupoint de vue d’une élaboration imaginaire de la consciencedes organes somatiques [23]. Cette élaboration est, pourreprendre les termes de Canguilhem, « inépuisable, infati-

gable, capable à elle seule de peupler un monde ». Elledéforme et reforme sans cesse les mêmes images soit parréitération (retour du même), soit par répétition, et sous sonaction, l’imaginaire est proliférant. C’est le trait Unaire quiarrête la prolifération de l’imaginaire. Ici, par identificationrégressive, le patient peut retrouver le stade de l’enfantcapable d’individuation et de distinction du moi et du non-moi5. Ce trait Unaire, signifiant de la trace d’une absenceeffacée, pourrait être, dans le cas qui nous intéresse — celuide l’annonce —, la santé qui a lâché prise mais dont il restecependant le signifiant, la lettre à partir de laquelle peut seretisser, par répétition, une nouvelle réalité psychique (répé-tition et non réitération, car il ne s’agit pas ici du retour dumême, mais bien d’une élaboration psychique dynamique).Le trait Unaire, la lettre, a une face du côté du Réel et uneface du côté du Symbolique. Il empêche un clivage duel etpermet le redémarrage d’une réalité psychique soit par « rac-croc », soit par « patch », élément rajouté inerte, permettantde coloniser le bord. C’est pourquoi l’élaboration imaginaireest toujours à reprendre dans la dialectique avec le patient.

Il n’y a dans l’observation rapportée ici que des restesvisuels (représentations de choses), mais aucun témoignagede représentation de mots. Le soignant doit tenir compte dela nécessité de maintenir un répit dans la dynamique dusoin. L’absence de répit est iatrogène en cela qu’elle laisseun sujet dont le moi régresse, à un stade infantile, et empê-che l’élaboration psychique dans la diachronie propre àchaque sujet. À ce stade infantile, il n’est pas autorisé à direson doute (infans, sans accès au langage), ce qui ne faitque renforcer l’affect d’angoisse, délié qu’elle est de toutesreprésentations de la maladie.

Protoreprésentation de la maladie

Dans la suite du trauma, il y a le gel de la chaîne signifianteet donc le blocage du Symbolique. De fait, du pur Réel queconstitue le symptôme, le sujet échappe vers une activitéimaginaire. C’est pourquoi dans la définition lacaniennel’angoisse est considérée comme un phénomène de borddans le champ de l’imaginaire. Ces constructions imaginai-res font largement appel à des protoreprésentations, c’est-

5 Le concept de trait Unaire s’est construit sur la théorie freudienne dutrait unique. Le trait unique est la modalité propre à un sujet qui lecaractérise dans son mode d’accès à la répétition. Il est pour Freud cequi subsiste de l’objet perdu (l’éclat de jouissance). Mais si le traitunique de Freud fait référence au symptôme, le trait unaire proposépar Lacan fait référence au signifiant en tant qu’unité réalisant unetrace et permettant le début d’un comptage. Le trait unaire vients’inscrire à la place de l’objet a. Il n’est donc pas seulement ce qui leremplace, il est aussi ce qui l’a effacé. Le trait unaire, parce qu’il est àl’origine de la chaîne signifiante, sera aussi le support d’un stademajeur de l’identification du sujet. Ainsi, le trait unaire est le repèresymbolique de l’identification subjective au même titre que le stadedu miroir est le repère imaginaire de cette identification.

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à-dire à des emprunts aux représentations historiques (col-lectives) de la maladie sans qu’il y ait une identification ausujet [11]. Donc pas d’énonciation possible, mais une suc-cession d’énoncés sans lien avec le sujet puisque sans lienavec la chaîne signifiante. C’est du symbole, mais ne n’estpas du Symbolique dans la mesure où ça ne fait pas série. Leterme « protoreprésentation » en ce sens nous paraît adapté,car il indique qu’il s’agit de constructions peu élaborées sansque l’on puisse supposer qu’elles s’ouvrent obligatoirementsur des représentations sociales plus développées.

Ces constructions de l’ordre de l’imaginaire sont souventterrifiantes et s’élaborent typiquement autour d’une visionanthropomorphique de la maladie, c’est-à-dire une maladieintelligente, forcément sous-tendue par un être vivant onto-logiquement distinct du sujet malade et pouvant prendre plu-sieurs aspects selon le degré de l’élaboration imaginaire(du crabe au jumeau [8]). Pour qu’un être vivant coloniseun patient, il y faut, toujours selon les théories imaginaires,une « faiblesse » du patient. C’est une déclinaison de théoriebiologique de la graine et du sol6. En l’occurrence, le sol(« terrain favorisant » pour emprunter à la terminologiemédicale) est ici conçu comme le « caractère du patient »qui parcourt l’imaginaire collectif depuis Hippocrate (théoriede l’homme atrabilaire) jusqu’à nos jours. De fait, dans satentative d’adaptation, le sujet atteint de cancer fait souventappel à ce que nous sommes conduits à définir comme théo-rie psychogénétique.

Ainsi, certains patients étayent leur représentation de lamaladie par une théorie de la cancérisation d’un organe fai-sant une large place à la pensée en tant qu’agent responsable(par excès ou par défaut)7 : cette théorie attribue à un trait dela personnalité du sujet le fait qu’il ait pu laisser « entrer » lamaladie dans le corps.

Vignette 2

Mathieu est un homme de 54 ans qui exerce la profession desecouriste. Les symptômes qui le conduisent à consulter sontapparus il y a déjà de nombreux mois. Les douleurs dont ilse plaint, et qui gênaient de plus en plus ses efforts, avaientune explication somatique. Nous le rencontrons quelquessemaines seulement après qu’il ait subi une intervention auniveau de la colonne vertébrale, visant à stabiliser une ver-tèbre dorsale très endommagée. L’analyse des biopsies decette vertèbre révéla qu’il souffrait d’un cancer et qu’en réa-lité la lésion vertébrale était de nature métastatique, c’est-à-dire secondaire à un cancer. Où situer le cancer primitif,dans quel organe ? Cela, il ne le savait pas, bien que ce fûtinscrit dans son dossier. Tel fut le contexte de notre rencontreavec Mathieu. Le trauma de l’annonce ira jusqu’à la pertede connaissance.

Quelques jours plus tard, alors qu’il était hospitalisépour traitement, nous avons retrouvé Mathieu. Pour lui,l’origine du cancer était indéterminée, et le « primitif » étaitresté inconnu. Cette représentation, celle d’une métastasesans lésion néoplasique primitive, telle qu’il l’avait encorela veille avant la consultation, ne le préparait donc pas àl’idée d’un cancer présent et qu’il faudrait traiter.

« C’est comme un oiseau qui serait venu pondre des œufset serait reparti sans demander son reste », explique-t-il.

« Le nid de l’oiseau a été trouvé », conclut-il « alors qu’ilaurait pu partir pour le faire ailleurs ».

Plus loin, il avance une curieuse théorie de la carcino-genèse qui partirait, selon lui, d’un état embryonnaire. Ilrecycle en fait des informations lues dans des revues de vul-garisation scientifique exposant la théorie des cellules sou-ches : « il y a un déréglage de cette cellule qui fait qu’ellepart en “live”…Voilà comment j’explique la maladie… Çapeut effectivement déboucher sur une guérison totale et défi-nitive », suggère-t-il.

Un deuxième entretien prendra place le surlendemain.Interrogé sur les représentations des causes qui auraientpu entraîner la maladie, il avance une hypothèse psychogé-nétique : il pense que les événements de sa vie, et tout parti-culièrement ceux qu’il appelle les « événements sentimen-taux », ont provoqué son cancer. Il y a d’ailleurs chez luiune confusion entre passé sentimental et passé affectif, puis-qu’il fait référence en réalité aux relations difficiles avec safille. Il donne cette explication :

« Je pense que le cancer est directement lié à l’affect. Unefemme qui perd un enfant peut avoir un cancer du sein »,explique-t-il. « Celle qui perd un mari a un cancer del’utérus. »

Il évoque alors certains déséquilibres qui peuventconduire à des accidents de la vie et se traduire par le can-cer. « Le cancer, on l’a, on le développe en fonction d’une

6 Il y a une vérité biologique à la théorie de la graine et du sol. Lascience fondamentale de la physiopathologie du développement desmétastases admet qu’il faut à l’expansion d’un clone métastatique despropriétés particulières de la cellule qui a migré et de l’organe danslequel elle se développe.7 Nous appellerons par convention « théorie psychogénétique », unethéorie qui n’a pas de noyau physique ou biologique supportant saconstruction. En d’autres termes, rien ne soutient la structure de lathéorie psychogénétique sinon la pensée. Les théories depsychogenèse du cancer, telles que fréquemment développées par lespatients, ont un double rôle :• dans le contexte de la rupture biographique que constitue l’annoncedu cancer (du point de vue du sujet comme du point de vue de sonproche), la théorie psychogénétique est utilisée pour relierl’avènement de Réel que constitue le cancer à l’histoire propre dusujet, qu’elle en explique la survenue par une vulnérabilité du sujetou par le débordement de ses défenses suite à un événement de la viepsychologiquement traumatisant ;• a contrario, dans un mouvement de projection vers le futur, le sujetconsidère qu’une pensée positive (sa volonté, les qualités de soncaractère) peut l’aider à retrouver la santé. Certains sujets considèrentmême que cette pensée a une valeur thérapeutique sans laquelle aucuntraitement biotechnologique ne peut agir.

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certaine… d’un certain déséquilibre », et il ajoute « enfin,c’est ce que je pense ».

• Analyse

Les représentations du cancer empruntent de manière trèssingulière deux voies, l’une historique et imaginaire, l’autretenant au savoir profane : la première suit une représentationanthropologique (ontologique, l’oiseau, la nidation, l’em-bryon). Cette représentation de la maladie traverse 24 sièclesdepuis le crabe de l’Antiquité grecque jusqu’à la cellule folledes théories virchowiennes. La seconde fait référence auxconnaissances scientifiques les plus récentes (cellules sou-ches) pour les recycler sous la forme d’un savoir profane.Dans ces deux cas, il est toujours question d’une intelli-gence, d’une malignité qui démontre que le malin a undouble signifiant, médical et mythologique. Ce qui estangoissant ici, c’est que cette menace extérieure et imma-nente soit entrée en résonance avec une menace pulsionnelle,censurée par la culpabilité inconsciente (confusion des rela-tions sentimentales et affectives, théorie du cancer du sein liéà la maternité et du cancer de l’utérus lié à la sexualité). Elleconcourt à un autoclivage narcissique du sujet et le confinedans une position régressive. La théorie de la graine et du solse trouve ici complétée : la « fragilisation sentimentale »ayant fait le lit… d’un embryon.

Il existe d’autres modes de représentations incomplètesou protoreprésentations. Certains patients parviennent à fairede la maladie cancéreuse une fragilité assumée, toujours pré-sente, qui n’empêche pas le sujet d’être aimé, de devenir,malgré ses imperfections (l’imperfection ouvre une place àl’humanité quand elle n’est plus vécue sur le mode d’uneblessure narcissique à combler ou à cacher).

Dans ce rapport assumé à une imperfection, le sujet prendacte de la maladie cancéreuse comme d’une fragilité qu’ilparvient à intégrer à son existence. Par exemple, lors d’unerécidive, le sujet, même s’il est affecté, reste capable derégression pour, dans un second temps, assumer et survivreà sa souffrance, ce qui relance la question de la temporalitéde la maladie [10].

Vignette 3

Il s’agit d’un couple que nous appellerons M. et Mme Paul :

C’est madame qui est malade ; elle a 60 ans. La situationest critique d’un point de vue médical, et elle le sait. Depuisl’annonce de son cancer, elle a cessé toute l’activité domes-tique qu’elle avait en charge jusqu’à ce moment-là. Elle faitl’objet de pressions de la part de sa sœur pour « se battre ».Son époux quant à lui prend en charge matériellement lestâches qu’elle a abandonnées ; il a un regard totalementoriginal sur l’affection de Mme Paul et sur l’attitude qu’il

faut adopter en la circonstance partant du positionnementde son épouse.

Dans les propos de Mme Paul affleure la notion d’unclivage sous l’effet d’une intrusion. En effet, en réponse àla question « est-ce comme si vous mettiez la maladie à dis-tance ? » : elle répond : « vous savez, c’est comme s’il yavait deux parties en moi… : oui c’est ça, je crois d’ailleursque c’est pour ça que je ne veux pas m’occuper de tout ça[référence à tout ce qui a trait au cancer] ».

En miroir à cette position, M. Paul son époux, de facto,assume au quotidien la prise en charge de toutes les tâchesdomestiques abandonnées par la patiente et assume égale-ment les soins de cette partie de son épouse qu’elle consi-dère comme clivée, contaminée. D’une certaine manière, ilaccepte explicitement d’assumer cette partie de l’être de safemme dont elle se déresponsabilise, aussi bien dans lesconséquences médicales que dans la vie quotidienne. Il dit :« moi je pense que quand on passe par ce genre de mala-die… moi je sais que ça me change, je suis changé, depuistrois mois je sais que je ne suis plus le même parce que c’estune maladie qui vous atteint au plus profond… Moi je suischangé parce qu’elle est plus la même, mais du tout autout… ». Le « parce que » introduit une relation de causalité.

À d’autres moments de son discours émerge la figure d’unadversaire. Mais, s’opposant aux injonctions de combattrefaites à son épouse par ses parents proches, il considèrepour sa part qu’il n’y a pas lieu « d’aborder l’adversairede front ». Il recherche une position qui permettrait uneréparation, une utilisation de la force même de l’ennemipour la retourner contre lui. C’est pourquoi il interprète« l’appel au combat » explicite de la sœur de Mme Paulcomme une négation du changement advenu depuis l’an-nonce, et cela l’irrite au plus haut point : « on lui dit… [ilfaut se bouger, il faut s’accrocher], je trouve ça scanda-leux… » plus loin, il ajoute : « C’est des conneries toutça… c’est insupportable pour moi d’entendre de tels dis-cours : [il faut se battre, il faut s’accrocher, il faut faireface], on n’a pas besoin de ce baratin, on sait ce qu’on doitfaire ! »

S’il ne la pousse pas à se battre, c’est qu’il considère quece serait se dé-battre. M. Paul pense qu’il est nécessaired’accepter le changement que la maladie a provoqué :« Moi je pense que c’est primordial si je veux qu’elle s’ensorte, il faut que je respecte ça. »

• Analyse

Ici, selon l’hypothèse étayée par nos travaux sur les prochesen tant que cosouffrants [17,20], c’est l’analyse du discoursdu conjoint de la patiente qui nous paraît riche d’enseigne-ments sur le conflit à l’œuvre suite à l’annonce du cancer entant que trauma. Le pouvoir séparateur de l’angoisse qui enrésulte subsume la notion de clivage. En tant qu’événement

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vécu comme extérieur, le traumatisme a quelque chosed’irreprésentable, et le moi, instance chargée d’assumer leprincipe de réalité, ne peut intégrer cet élément. Ce qui dansle conscient est Un, dans l’inconscient est clivé et opposé, etl’ambivalence est ici une conséquence du clivage [13]. Lasidération de la pensée suivant l’annonce et la fragmentationd’une partie du moi secondaire au traumatisme produisent ceque Ferenczi avait appelé l’autoclivage narcissique du moi.Dans le phénomène dynamique de ce conflit de forces, ladéfense s’organise partiellement par un processus d’identifi-cation dont la cible peut être un des intervenants quel qu’ilsoit (ici une belle-sœur). L’autre (en tant qu’autrui et non pasAutre) peut être perçu comme un agresseur introjecté, etc’est en cela que réside le clivage par quoi une partie ducourant psychique continue de reconnaître la réalité alorsque l’autre, perçu comme l’agresseur introjecté, participe àune réactivation du sens de la culpabilité dont Freud disaitqu’il était l’état de tension entre le moi et le surmoi.

À ce stade, l’accès d’angoisse peut aller jusqu’à la syn-cope caractérisant la situation extrême de l’angoisse trauma-tique : l’autoclivage narcissique du moi permettant au moide se soustraire à l’angoisse. L’angoisse de la situation del’annonce n’obéit donc ni au schéma de l’anxiété ni auschéma de la dépression. Elle est à la fois réactivité soma-tique et témoin du Réel dans sa violence [2].

Le clivage du moi, s’il en est un, est-il réversible ?L’observation des patients nous apprend que la dynamiquepsychique à l’œuvre est superposable à celle classiquementdécrite dans la spaltung : celle de la perte, suivie du juge-ment d’attribution permettant l’acceptation de la perte, ledeuil et finalement ce qu’il est convenu d’appeler restitu-tion de la santé et qui est plutôt en fait l’ancrage au soicomme objet de retrouvailles.

Subjectivation des représentations sociales du cancer

Troisième modalité : dans l’après-coup de l’annonce, cer-tains patients semblent incapables de régresser, incapablesd’avoir recours à des théories psychogènes et à des fantas-mes infantiles de la maladie pour mettre en représentationsce cancer.

Il peut même être observé que l’annonce d’un cancer etson suivi génèrent un nouveau mode d’« insertion sociale ».Ces patients atteints de cancer se fondent alors avec presquetrop de complaisance dans des stéréotypes sociétaux. Le sté-réotype du sujet cancéreux est, comme tout stéréotype, le faitd’un apprentissage social et d’une péjoration [1,4,6]. Il n’y apas de noyau de vérité, car il n’est pas la caricature d’unevérité ; il est phénomène social sui generis visant à maintenirle sujet à distance de façon dynamique. Il est un processus dedéfense du socius. Le stéréotype est surtout organisation ducomportement et des attitudes autour d’un axe culturel. Lafonction dépréciative du stéréotype tient à son caractère

réducteur. Il s’agit toujours d’un réductionnisme assimilantle sujet stéréotypé à son stigmate, à un comportement, à unestructure psychique supposée. L’attribution causale enmatière de cancérologie est intimement liée à la constitutiondu préjugé et, in fine, du stigmate [6]. Au sein de ce méca-nisme, la fonction principale du stéréotype apparaît commeun outil de catégorisation permettant de distinguer le « nous »du « ils ». Il y a dans l’attribution causale faisant le lien entreune maladie et un comportement le ferment de la constitu-tion des préjugés, forme de parti pris sociologique selonlequel l’appartenance de la personne atteinte au groupe estremise en question [22].

Vignette 4

M. C. est un patient qui veut bien être « héros ordinaire »,mais qui se refuse à devenir un « cancéreux ordinaire »8.En réaction à l’annonce d’une rechute de cancer, M. C.s’approprie les représentations sociales du cancer là oùbeaucoup de patients ne font que les subir. Cette appropria-tion se fera par un surinvestissement social de l’attribut de« sujet social atteint de cancer ».

M. C. est hospitalisé pour la reprise évolutive d’un adé-nocarcinome pulmonaire diagnostiqué un an auparavant.[Il a subi une opération très complexe, aux suites troublées].La récidive cancéreuse survient un an plus tard : il présentecette fois des atteintes du lobe supérieur droit et du lobemoyen, ainsi qu’une atteinte métastatique du pancréas quin’entraînent cependant que très peu de symptômes physi-ques. Plus que l’extension pulmonaire, à laquelle il dit qu’ils’attendait, c’est la métastase pancréatique qui centre sonangoisse et nourrit la réaction traumatique de l’annoncede la rechute : par une condensation de langage, M. C. faitde la métastase du cancer au niveau du pancréas un « cancerdu pancréas » dont la représentation est, pour lui, marquéedu sceau d’un mauvais pronostic. L’idée de la mort ne luiétait pas étrangère : après son intervention, il avait mis àprofit sa rémission pour « régler ses affaires » : il avaitnotamment cédé des appartements et prévu ce que pour-raient être les revenus de son épouse s’il devait décéder etconsigné ce qu’il y aurait à faire dans ce cas.

Marié depuis plus de 40 ans, père de deux enfants égale-ment mariés, grand-père de plusieurs petits-enfants, ancieninstituteur dans un village où il est connu et reconnu, M. C.s’est aussi « lancé dans les affaires », à sa retraite, et il se ditfier de sa réussite dans ce domaine, qui lui a assuré un trainde vie « enviable. » De longue date très investi dans de mul-tiples activités, notamment associatives, culturelles et artis-tiques, il se présente comme un sujet hyperactif dont la

8 Référence à la campagne d’affichage de l’INCa en 2006 montrant àvisage découvert des patients guéris et élevés au rang de « hérosordinaires » (sic).

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maladie n’a que temporairement suspendu l’élan. Qu’on enjuge : depuis la chirurgie qui a clos le traitement de la pre-mière atteinte du cancer du poumon et le diagnostic de larechute, il a repris les activités qu’il menait antérieurement :jardinage (plusieurs heures par jour), peinture, sculpture,multiples réunions amicales, théâtre amateur. Seule conces-sion à la maladie : il a renoncé à ses sorties en vélo, parcrainte « de prendre froid », et les a remplacées par desrandonnées plurihebdomadaires (10 km environ à chaquesortie pédestre).

Il a aussi continué de rendre visite chaque semaine à samère âgée, qui vit dans une agglomération assez distante deson village. Il est allé à plusieurs reprises rendre visite à sesenfants installés l’un comme l’autre dans une autre région,éloignée. Il a effectué avec son épouse deux séjours devacances à l’étranger.

De ce qu’il rapporte de cette année écoulée, plusieursfaits qu’il commente abondamment retiennent l’attention :

• il recherche assidûment la compagnie d’un ami dontl’épouse s’est récemment éteinte d’un cancer, et avecqui il a de longues discussions sur le vécu de la maladiecancéreuse. Les deux dernières années de la vie de cettefemme avaient été marquées par un « repli sur soi », dit-il,c’est-à-dire qu’elle refusait de rencontrer qui que ce soitou de se livrer à une quelconque activité sociale. Il évoquetrès régulièrement avec son ami sa propre perception dela maladie et du comportement qu’elle entraîne ;

• il a répondu favorablement à la demande de ses conci-toyens d’organiser une exposition dans le village, qui luiserait consacrée et qui l’a, dit-il, bien mobilisé (sic). Ilcommente : « une petite expo tous les ans ils font… cetteannée c’était moi… j’ai amené mes tableaux, mes sculp-tures et puis comme c’est dans un petit village… je ne saispas s’ils sont venus voir dans quel état le cancer avaitlaissé C. (il rit), mais j’ai eu 350 entrées donc c’étaitsympa…» ;

• finalement, trois mois après l’exposition, il participaitcomme acteur à une représentation théâtrale ; il y tenaitle rôle d’un malade, alité, en train de mourir. Il n’avaitpas, dit-il, choisi le rôle, mais faute d’avoir pu, du fait deson intervention chirurgicale, s’engager suffisamment tôt,il a pris celui qui restait. Il le jouera vêtu d’un pyjama,sans avoir à prononcer de texte, juste à imiter un mou-rant. Il commente : « J’ai fait un petit rôle, un malade, quimeurt d’ailleurs… c’est pas drôle, mais c’est peut-être unmoyen d’exorciser… Je suis comme ça, dans cette posi-tion (la même qu’il adopte devant nous sur le lit d’hôpi-tal), dans un pyjama, je joue quand même… sans texte. »Histoire sans parole donc, qui en dit d’autant plus longque le pyjama qu’il utilisa pour jouer la scène était unvêtement déjà utilisé dans une pièce antérieure ; mais, faitsaillant que lui fit remarquer sa propre sœur après lareprésentation, ce n’était pas n’importe quel pyjama,

c’était celui de leur père défunt ; pyjama mortifère autantque mortuaire…

• Analyse

Cette observation souligne une modalité particulière d’inter-action entre les représentations sociales du cancer (ici por-tées par l’entourage très conséquent du patient, telles que lasociété s’en fait écho dans le village) et la personnalité pro-pre de M. C. Le comportement qu’il décrit et que l’entretienavec son épouse confirme dans la totalité de ses dires, ainsique sa présentation et son discours témoignent de traits depersonnalité narcissique que lui-même souligne, voire cri-tique, non sans humour parfois : « C’est terrible, je suis fiercomme un pou, je suis assez cabot et les gens disent tous“ah, je sais pas comment tu fais…” alors moi je joue surce tableau, j’aime bien qu’on me dise ça, et des fois il fautque je me corrige, pour pas que j’en fasse trop non plus pourprouver que j’ai le moral » (on peut noter qu’il ébauche làl’affirmation de la valeur contre-dépressive, de défense(hypo)maniaque de son comportement)… « Je suis fier maispas orgueilleux, fier de ma vie, de mes relations amicales,j’aime bien qu’on vante mes mérites… »

S’il se désigne volontiers comme l’objet du regardd’autrui, il apparaît en même temps comme le spectateur delui-même (il se désigne à plusieurs reprises par la troisièmepersonne : « il », « M. C. »).

Dans ce cas clinique, trois principales questions se posentau sujet du trauma et de sa mise en représentations. Il s’agit :

• du rapport au corps ;

• de l’accroche au statut social ;

• de la nomination.

En premier lieu, le rapport au corps de M. C. est pour lemoins curieux et énigmatique. Il ne décrit pas un corpsaffecté par la maladie, mais reste sur l’image d’un corps auservice d’activités physiques, à la limite d’une hyperacti-vité… Lors de l’annonce de la récidive, s’il est choqué, ilaffirme pourtant qu’il s’y attendait.

Il va jusqu’à le mettre en scène, il joue un « corps mou-rant ». Lorsqu’il évoque ce rôle, il dit « Je n’ai pas choisi cerôle parce qu’il n’y avait personne pour le jouer, moi j’aidit : ça me va bien ! » Ce rôle, il l’assume, mais c’est sansconscience de ce qu’il « rejoue » qu’il revêt le pyjama de sondéfunt père. C’est sa sœur, choquée, qui le lui fait remarquer.Lui commente : « … au théâtre, les gens étaient pliés, ilsrigolaient, l’histoire de ce patient qui est sur le lit et quimeurt, je meurs quoi… on en a parlé avec ma sœur, on arigolé… mais j’ai été maladroit parce que c’était le pyjamade mon père qui est décédé, et dans la pièce je meurs… je nem’étais pas posé de question là-dessus… mais par contre [lecancer] c’est quelque chose dont on ne peut pas se cacher,

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mais j’ai fini presque par accepter et vivre avec, à conditiond’en parler beaucoup. » Il évoque bien entendu la mort, et laformulation souligne ici encore la valeur défensive de laposture qu’il adopte.

L’annonce du cancer est inscrite dans l’utilisation de laformule « dont on ne peut pas se cacher », les autres vontdonc savoir qu’il est atteint d’un cancer, et par cette néga-tion, le cancer pourra aussi lui servir à « se cacher », ce quiaurait été différent s’il avait utilisé en lieu et place de lalocution précédente la formulation plus souvent entendue :« on ne peut pas s’en cacher ». Dans cette hypothèse, lecancer aurait été considéré comme un fait. Le corps mou-rant de M. C. devient objet de railleries sous le regard del’Autre.

M. C. est alors très proche du positionnement de Stephen,le héros de Joyce9. Dans Portrait de l’artiste en jeunehomme, Joyce décrit une raclée reçue par Stephen. Stephen,matraqué et battu, reste insensible à cette violence au pointqu’il n’en voudra même pas à ses agresseurs de l’avoir mal-traité. Pour Lacan [16], il s’agit là d’un exemple de l’aban-don du corps propre, Stephen est détaché de son corpscomme d’une « pelure ». Cet abandon du corps est toujourssuspect. Chez M. C., comme chez Stephen, les atteintes por-tées à son corps semblent le laisser insensible : il continue devivre comme il le faisait auparavant. Il ne peut exprimer uneplainte, une souffrance venant du corps.

En deuxième lieu, la personnalité de M. C. s’est toujoursmaintenue autour d’unités d’images lui donnant une cohé-rence identitaire. Il se décrit dans une succession de statutsle mettant en scène dans le lien social, par exemple lors deson activité professionnelle quand il était au cœur du villageet même à la retraite quand il devient un homme d’affai-res… Il se réalise à partir de codes sociaux et bénéficied’une bonne réussite professionnelle ou familiale. Ces sta-tuts donnent au moi une assurance. On peut même sedemander si, dans ce moment difficile du rapport à la mala-die cancéreuse, le recours au statut social sur le mode d’unfaux-self ne pourrait traduire une tentative de normalitéqui a valeur de symptôme.

Le cancer, bien loin d’être évité, est « exploité » et mis enscène. M. C. recherche alors dans son entourage l’affirma-tion de son caractère exemplaire de combattant : « les gensme disent tous ah, je ne sais pas comment tu fais, je ne saispas comment tu y arrives, tu as un cancer et tu t’es battu, t’esguéri, t’as plus rien… nous on se serait laissé aller… ».

La relation étroite qu’il entretient avec son ami veuf estégalement informative : il se place résolument comme une

image inversée de l’épouse de son ami qui avait fait ce choixde rompre toute relation sociale deux ans même avant sondécès. Lui, tout au contraire, s’affiche. Et si l’intensité del’intrusion liée au traumatisme de l’annonce s’avère très éle-vée, la résistance à ce phénomène consiste chez lui à « appri-voiser », anticiper, mettre de la distance (il « met » de ladistance entre son cancer et lui, bien plus qu’il ne « prend »de la distance d’avec son cancer) par une externalisation quiréduirait sa maladie à un fait social propre à susciter l’intérêtde tout son entourage. Il se fait par là même le spectateur desa propre histoire et de ses capacités à faire face à l’intrusiondu cancer ; il parle de lui-même à la troisième personne : « Jene sais pas s’ils sont venus voir dans quel état le cancer avaitlaissé C. » Ou «… il vaut mieux que ça arrive à C. qu’à sesenfants. »

M. C. traite ainsi son cancer : « Je ne me suis jamaissurpris à ne pas y penser… c’est en permanence, en perma-nence, … mais je fais avec, quoi, et j’en parle beaucoup. »« Ne pas être surpris » pourrait résumer l’essence de saposture : « J’y ai pensé sans le vouloir. »

Aucun évitement possible, bien au contraire, favorisé parle statut que lui confère la pression sociale dans un milieuautarcique où il est connu et reconnu, M. C. devient un objetde regard d’autant plus intéressant qu’il est sujet porteur dela maladie en tant qu’objet biologique et porteur de l’attributsocial de « cancéreux ». C’est dans son village qu’il se sentle plus à l’aise pour jouer « ce rôle ». Non seulement à lascène, mais aussi au travers de l’exposition qui lui étaitconsacrée et dont l’affluence de visiteurs le conduit à cettequestion : « je sais pas s’ils sont venus pour voir dans quelétat le cancer avait laissé C. » (là encore, le cancer estcomme personnifié, élevé au rang ontologique, être en tantqu’être).

Pris en tenaille entre une réalité interne (rechute) et uneréalité externe (représentation sociale du cancer lui confé-rant un statut social, en tant qu’attribut pouvant menacerles statuts antérieurs : instituteur, gestionnaire de biensimmobiliers, artiste), M. C. préserve sa sociabilité.

Dans l’entretien qu’il donne quelques jours aprèsl’annonce de sa rechute, il évoque le renforcement de sesliens avec les gens du village : « J’ai un peu besoin de ça,c’est le village où j’ai toujours été, j’y ai été instituteurpendant des années, donc c’est vrai que ça crée des liens,on est toujours attaché à ce qu’on a apprivoisé… »

Parle-t-il du cancer ? La locution « On est toujours atta-ché à ce qu’on a apprivoisé », outre qu’elle traduiraitl’importance de l’intrusion (« toujours attaché »), sonneraitalors comme un aphorisme qui sous-entend une visionanthropomorphique du cancer, à « apprivoiser », comme lePetit Prince apprivoise le renard.

La dimension de l’évitement apparaît cliniquementréduite chez M. C. Pour n’être pas non plus dans le déni deson affection ni de sa gravité, il semble cependant en

9 Joyce, écrivain irlandais alcoolique (1882–1940), va servir à Lacand’exemple clinique pour travailler la question de la place de laproduction artistique comme suppléance. L’artiste obtient dans sacréation un nom et une légitimité sociale qu’il n’a pu acquérir dans savie privée.

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conjurer les implications par la mise en exergue de sa résis-tance à la maladie (hyperactivité, créativité, socialisation) etla théâtralisation de la mort qu’il joue, affublé de la défroquede son père défunt : ce qu’il refoule en le faisant (la réalité dela mort) émerge dans le discours de sa sœur interloquée.

Il fonctionne grâce à une aide, l’image d’un cancéreux, età une rumination rendant la maladie logique et acceptable.Ces éléments juxtaposés (connaissances médicales, scienti-fiques, images personnelles) bien que placés sur les axesculturel et expérientiel propres du sujet sont cependantdésarrimés de tout affect.

En troisième lieu, on peut alors venir interroger chez M.C. la question de la nomination. Il ne paraît pouvoir existerque dans une nomination sociale, car c’est à cette conditionque l’imaginaire fonctionne et que l’angoisse est contenuepar l’orthopédiemoïque. Il devient un cancéreux « modèle »,mais il ne dit rien du sujet affecté par l’annonce d’un cancer.

Et comme il joue au cancéreux dans les « habits » du pèremort, on peut aussi s’interroger sur « l’opérationnalité » ousur le caractère opérant d’une parole paternelle qui aurait pul’inviter à assumer autrement la maladie.

À mettre en scène dans le social cette place vide de sujet,M. C. donne à voir sa véritable problématique : celle de ne pasavoir pu trouver une place dans la sphère privée. Il témoigneainsi publiquement de sa « plainte », lui donnant un caractèreexemplaire, hors norme (création, théâtre, président d’asso-ciation…). Ce symptôme a valeur de faux-self10. Il compensel’absence de légitimité d’existence par un statut social qui luidonne un nom. La seule chose qui soit importante étant cellede se faire un nom dans le public, de faire parler de lui. Ils’agit d’une insertion sociale où le nom propre n’est jamaisréduit à un nom commun. C’est ce qui pourrait venir expli-quer le fait que M. C. ait décliné l’offre qui lui a été faite de serendre à l’Escale Bien-être de la Ligue contre le cancer, lieud’échange où il aurait été confronté à d’autres malades ducancer. Démonstratif de son « statut de cancéreux » pour sesproches et son environnement social, il évite, a contrario, derencontrer des patients qui vivent la même expérience que lui,ne prenant alors pas le risque d’être confondu et/ou de seconfondre avec les autres, il reste l’unique. Ce statut donneune légitimité et une singularité que le partage avec ses sem-blables lui ferait perdre.

Conclusion

Dans cet article, nous n’avons pas parlé du climat trauma-tique de l’annonce lui-même, bien que rien de ce que nousdécrivons n’aurait de sens clinique s’il ne s’appuyait surcette intrusion brutale, cet avènement de Réel du corps : l’an-

nonce d’un cancer et ses conséquences dans l’après-coup.Car, les événements que nous avons interrogés dans leursignification ont eu lieu dans l’après-coup.

Dans ce que nous avons appelé « absence de représenta-tion » et « protoreprésentation », la prééminence de l’ins-tance imaginaire est perceptible sous la forme la moins struc-turée d’appropriation d’images, de symboles. Laconfrontation au Réel passe souvent par cette phase oùl’imaginaire relancé par l’angoisse bloque la symbolisationet ne permet pas au sujet de s’articuler à un dire. C’est uneforme de retour à un inconscient holophrastique (d’avant lelangage).

Lorsqu’un travail de symbolisation redevient possible, ilemprunte autant aux représentations sociales du cancer qu’àla personnalité de chaque patient, processus psychique inté-grant progressivement l’attribut social et sa possible conclu-sion métaphorique. Cet attribut en tant que nouveau statut ausein du socius est propre à chaque patient. Sans le trauma,c’est-à-dire l’intrusion initiale, il n’y aurait eu aucun recoursparticulier à un référentiel tenant au savoir profane que véhi-culent les représentations sociales du cancer.

La notion de trauma vient articuler le moi à la question del’angoisse : il est la conjonction d’une attaque pulsionnelle etd’un événement extérieur. L’affect d’angoisse a cela de par-ticulier qu’il occupe tout le champ du moi. Il n’y a donc pasd’acte d’énonciation possible, mais seulement une succes-sion d’énoncés (la doxa), ce qui explique le recours à unprêt-à-penser social.

Le sujet traumatisé utilise deux voies pour liquider l’af-fect d’angoisse massif inaugural de l’annonce. Une voieculturelle qui emprunte non pas, comme on pourrait siattendre, aux avancées récentes du domaine de la science,mais à des rétentions de représentations historiques surna-turelles de la maladie ; par ailleurs, une voie idiosyncra-sique tenant au référentiel propre qui a fondé ses modesde défense. La déliaison opérée par l’angoisse entre Réel,symbolique et imaginaire ne peut s’éterniser, et, aprèsl’annonce, dans sa tentative de reliaison, le patient s’appuiesur un référentiel qui lui est propre (idiosyncrasique). Réta-blir une réalité psychique le contraint à prendre pour réfé-rence sa propre émergence en tant que sujet. Dans le flotd’énoncés que constituent les représentations, celles quisont élues visent à repasser par les origines propres dusujet. La défaillance du soi (puisque dans l’angoisse cen’est pas de l’environnement que l’on manque, c’est desoi) fait que le sujet se reporte vers la première voie cultu-relle, bien qu’elle soit égodystonique, car elle fait office de« chambre froide » où entreposer l’affect en attendant depouvoir le subjectiver.

Conflit d’intérêt : subventions des laboratoires RocheFrance et Chugai pour cette recherche.10 C’est-à-dire substitut fonctionnel de l’ego.

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