37
Le Carré dans la mare à MI-CHEMIN NUMéRO 16, PRINTEMPS 2018

Le Carré dans la mare - Culture

  • Upload
    others

  • View
    1

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Le Carré dans la mare - Culture

carré dans la mare n°16 | à mi-chemin 1

Le Carré dans la mareà mi-cheminNuméro 16, priNtemps 2018

Page 2: Le Carré dans la mare - Culture

carré dans la mare n°16 | à mi-chemin 3

Page 3: Le Carré dans la mare - Culture

5

Avec les mots de

Danielle J, Marie-Claude, Denise, Josiane, Monique E, Jocelyne, Élodie, Françoise, Marie-Thé, Viviane, Hélène, Simone B, Michèle, Fadma, Djoko, Marie-Do, Jean, Dalila, Janine, Annie, Simone S, Monique S, Martine, Paul, Fouzia, Fatma, Fatiha, Adama, Myriam, Zahia, Zohra, Lakshmi, Julie, Suzy, Catherine, Naïma, Saïda, Danielle S, Zehra Dogan, Jompolo Camara, Waqui Camara, Gulnaz Can, Ruben Luis Lopez, Khadija Ajebli, Naipaporn Hervé, Tsering Gyalthang, Tayba Ahmad, Sophie Monot, Sahar Aglan, Mahfouda Ahl Hammad El, Turkan Algur, Ozgul Akbal, Enise Aslan, Hamdiye Aslan, Salah Bendaoudia, Menoua Bint Cheikh, Bintou Gakou Cisse, Dahbia Khelout, Lamat Souidahmed, Djibril Samba Sy, Tapa Soumane, Abdelmalek, Christian, Aïcha B., Denise, Aïcha K., Faridé, Bridget, Françoise, Fatima, Gil, Hanifa, Guy, Khadija, Jacqueline, Larem, Marc, Massinissa, Monique, Mohamed, Mustapha, Nadjet, Nanaa, Saïda, Sallem, Yamina, Belkacem, Djilali, Joanna-Angélic Mendy, Khadija Rachidi, Hina Rukhsar, Rassoul Tabrizi Nejad, Leila Tabrizi Nejad, Seida Mohamed Taleb, M’barka Kharradji, Kristina Khoudoyan, Fatima Hilali, Khadija Ihia, Paulette Gomis, Saadia Cherkaoui, Mouhamad Baba, M’barka Ami-Aomar, Khadija Rachidi, Anthony, Fabienne, Mohammed, Philippe, Danielle, Christian, Ydire, Roger, Mohammed Sebaa, Boubaker Cherif, El Habib Habib, Fatima Boughir, Jalila El Crammari, Nati Aomar Abdalla, Waranka Sall, Asma Dif, Fatima Benaoum.

Page 4: Le Carré dans la mare - Culture

7

« J’ai traversé un, puis deux, puis trois pays. »

Page 5: Le Carré dans la mare - Culture

carré dans la mare n°16 | à mi-chemin 9

Page 6: Le Carré dans la mare - Culture

carré dans la mare n°16 | à mi-chemin 11

Page 7: Le Carré dans la mare - Culture

carré dans la mare n°16 | à mi-chemin 13

Page 8: Le Carré dans la mare - Culture

carré dans la mare n°16 | à mi-chemin 1514 théâtre — AssociAtioN Acoform, cvs Aimé césAire, mANtes-lA-Jolie

KhAdiJA

Sur mon cheminLes nuages sont venusLa pluie est tombéeMais les oiseaux chantaient

ZehrA

Sur mon cheminLe soleil brilleLa neige fondLe papillon vole

Page 9: Le Carré dans la mare - Culture

carré dans la mare n°16 | à mi-chemin 17

Jompolo

Sur mon cheminLes nuages sont blancsLa pluie ne tombe pas Les fleurs rouges sentent bon

WAqui

Sur mon cheminLes étoiles brillent dans le cielLes oiseaux dormentLe vent siffle doucement

16 théâtre — AssociAtioN Acoform, cvs Aimé césAire, mANtes-lA-Jolie

Page 10: Le Carré dans la mare - Culture

carré dans la mare n°16 | à mi-chemin 19

tseriNg

Sur mon chemin Le soleil brûle Autour de l’eau Trois papillons volent

tAybA

Sur mon chemin Le soleil est doux Les feuilles tombentSur la jument brune

18 théâtre — AssociAtioN Acoform, cvs Aimé césAire, mANtes-lA-Jolie

Page 11: Le Carré dans la mare - Culture

carré dans la mare n°16 | à mi-chemin 2120 préfAce

Chacun sa route…

Le carré dans la mare recueille la parole de personnes lors de temps de rencontres avec des artistes du collectif 12. Ateliers d’apprentissage du français, ateliers d’écriture autour de la mémoire du territoire, atelier chant, le carré dans la mare est un échange. comment raconter ce moment ? par les mots des participants, par les propositions des artistes, par des poèmes, des photos de clémence passot, graphiste du carré, par les récits de Nicolas marsan, coordinateur artistique du carré dans la mare qui a visité les ateliers. Nous voulons raconter par tous les moyens ces rencontres précieuses, inattendues.

mars 2018, 10h05, collectif 12, salle de danse. 174, bd maréchal Juin, mantes-la-Jolie.

En retard. En colère : plus de piles dans mon enregistreur. Pourquoi ne pas l’avoir vérifié avant ? Partir en hâte au supermarché pour en acheter. L’art me si semble si loin en ces heures matinales ensoleillées. Perrine a commencé son atelier avec les jeunes gens d’Escale. Détester être en retard. L’être toujours et s’en vouloir. Ma mauvaise conscience s’évapore dès mon entrée. Je me déchausse dans les sourires bienveillants de leur accueil. Le groupe est assis en cercle. Je m’immisce. Perrine nous demande notre « météo intime » : comment nous sentons-nous ce matin ? Heureux. Tous. Moi ? Stressé. Un peu. La peur de ne pas trou-ver les bons mots pour raconter. Peur de ne pas trouver ma place. Perrine travaille sur la

perception, la sensation pour cheminer vers une forme de parole. Debout. Nous écoutons le silence. Ou plutôt les silences. Et peu à peu, les bruits cachés qui émergent. Dans la salle. Derrière les murs. Dans la rue. Puis, assis les uns en face des autres, nous formons un cou-loir de nos corps. L’un de nous empruntera ce couloir en marchant, lentement, les yeux fermés. Une jeune fille s’élance. Les bruits naissent des bouches, des lèvres, des mains, des corps. Véritable bande-son de film, instru-mentarium éphémère inventé dans la seconde. La jeune femme traverse nos bruits et voyage dans son imaginaire. La forêt, la savane, des animaux sauvages, féroces. Nous rions tous de nos peurs d’enfants. Il fallait apporter un objet personnel, por-teur d’histoire. Peu y ont pensé. Beaucoup le dessinent. Perrine travaille sur l’invention de fausses histoires avec le prétexte d’un objet pour ensuite connaître la véritable histoire de cet objet. Faire circuler les faux récits inven-tés et les vrais récits pour qu’il y ait une part de transmission intime entre eux. Un coussin rose en forme de cœur, une bague de fian-çailles, une brosse. Il faut, à plusieurs, inven-ter et raconter l’histoire de l’objet d’un de nos camarades. La réalité d’une brosse achetée en Algérie se transforme en objet d’élégance et de perfection pour une ballerine de boite à musique classique qui quitte le Maroc pour Paris afin que son chignon sente la lavande. Qui a dit que la langue est un obstacle pour le rêve ?

mars 2018, 13h30, cvs Augustin serre.60, rue louise michel, mantes-la-ville.

La salle est grande. Parfait pour la danse ! Elle résonne comme une grotte pyrénéenne. Le calvaire pour enregistrer ! La danse de Pau-line ne se raconte pas, elle s’écoute. Elle se dévoile dans les souffles silencieux des corps en mouvement. Nous arrivons avec Marie-Odile au CCAS. Proche des gens. Elle vient aux nouvelles. La force de l’habitude : le cercle se forme et les échauffements débutent. S’échauffer, s’étirer, se toucher, se masser. Donner son prénom dans un geste inventé. Se faire confiance. Avant de danser. Nous dessinons. Nos chemins. Ceux du pays natal. Ceux d’aujourd’hui. Maison–École–Maison. Maison–La Poste–Sécu–Super-marché–Maison. Les souvenirs jaillissent. Le désert, les chameaux, les tentes, les orangers, la musique, les dunes. Les langues surgissent : kurde, yézidi, anglais, espagnol, tamoul. Des-sine-moi un monde. Les femmes racontent. Pauline écoute. La douceur de son regard pour se confier avant la flamme de son corps pour danser. Les femmes livrent les souvenirs du pays, de l’enfance, de la famille si loin. Les cou-leurs, les odeurs, les ailleurs. De la mélancolie mais pas de regrets. De la nostalgie mais pas de tristesse. Puis il faut danser. Brian Eno, Tinariwen, Chopin, Natacha Atlas comme piste d’envol et les corps se délient. Jeux du miroirs pour se connaître. Tu fais un geste, je réponds avec le même. Je suis ton ombre, je m’ancre dans tes pas. Un seul

corps à deux, un seul corps en chœur, un seul corps à tous. De la pudeur mais pas de timidité. Les corps s’effleurent, se touchent, s’écoutent. Les dernières consignes se volatilisent dans les notes méditerranéennes, elles s’oublient, se lâchent, s’amusent. Elles dansent !

Avril 2018, 14h, collège Albert thierry, salle 110.rue Albert thierry, limay.

Par la lucarne de la porte jaune de la salle 110, je les observe. Sérieux, attentifs derrière leur table de classe, cahiers ouverts et trousses éventrées, fières colonnes de conjugaisons toisant amas de vocabulaire sur le tableau. Les souvenirs de notes, de réprimandes et des pre-miers émois ressurgissent et m’assaillent. Une salle de classe. Sandrine se demande toujours comment faire pour tout de suite donner envie de faire du théâtre. Trousses et cahiers rangés, elle déplie les corps dans l’espace hors des tables qui les figent. Les échauffements pour s’amuser et immédiatement le grand bain de la mise en situation. Photos de Doisneau. Des départs en vacances. Des gares. Des familles avec épuisettes, des courses sur quai avec valises. Sandrine demande aux groupe de reproduire physiquement les clichés. Le monde hors fron-tières de Mantes-la-Jolie 2018 qui reconstruit la France insouciante de la fin des années 50. Le groupe cherche la pose, le bon angle, les corps de ces français en vacances en 1959, 1961. Le temps non plus n’a plus de frontières. Et dans cette salle, le temps se fige. Le groupe

Page 12: Le Carré dans la mare - Culture

carré dans la mare n°16 | à mi-chemin 23

s’amuse à incarner un souvenir : une France qui n’existe plus. Le choc temporel et visuel est bouleversant. Sandrine veut aller plus loin. Qu’ils racontent et qu’ils s’inventent des histoires. Parce qu’elle aime se saisir de ce qui se dégage de chacun d’eux ; de ses acteurs comme elle dit ; elle aime pousser ces petits moments de grâce où ils sont vraiment au présent pour que les sentiments soient plus forts. Leurs propres souvenirs ne sont jamais loin. Tour à tour, ils livrent une phrase, le suivant la complète et ainsi de suite. Chacun ajoute ses images, son humour, ses inventions à la phrase précédente. Le patchwork d’imaginaires se tisse dans un grand morceau d’étoffe de sensibilités pour inventer une langue commune. Et c’est drôle.

Avril 2018, 9h30, cvs Aimé césaire. rue boileau, mantes-la-Jolie.

L’étonnant dans ces ateliers du Carré dans la mare, c’est l’impression qu’ils se ressemblent tous, et pourtant, ils sont tellement uniques : ils sont constitués de chacun de leurs par-ticipants. Avec Mouna, c’est la complicité immédiate dans le groupe qui frappe. La com-préhension est instantanée malgré la difficulté de la langue. La spontanéité est incroyable, nous vivons le moment. Et chez Mouna, c’est le moment qui est pré-cieux, pas le résultat. Pour elle, la poésie happe la suspension du présent. Alors chaque participants a écrit un poème dans le style des haïkus, ces courtes poésies japonaises. Et Mouna ne veut pas qu’ils racontent leur trajet ou leur passé souvent douloureux. Elle veut les emmener ailleurs : dans leur imaginaire poé-tique. Une fois le court texte écrit, il s’agit de le mettre en corps. Voir un ruisseau et y plonger les mains, sentir le vent frais du matin sur son visage, s’enfuir face à l’attaque d’un serpent. Quelle surprise de voir certains corps coincés

et comprimés s’ouvrir, se délier. Ce grand mon-sieur afghan, les bras croisés, la bouche noyée dans la barbe taillée noire comme du bitume, les yeux perçants qui vous scrutent le cer-veau. Intimidant dans l’élégance de sa tenue traditionnelle. Dans un exercice de marche de groupe, il ouvrira le chemin et un sourire d’en-fant illuminera son visage quand il s’amusera à imiter le cri d’une bête féroce pour faire peur à ses partenaires de jeu éclaboussant la salle d’un rire majestueux. Les quotidiens restent à la frontière de la porte de la salle. Ici, la préfecture, les tampons de douanes, l’administration n’ont pas le droit de cité. Ici, le droit d’asile dans la poésie s’offre dans toutes les langues du français. Oui, il se passe quelque chose entre eux. Et ça nous dépasse.

Avril 2018, 13h45, cvs paul bert. 1, rue paul bert. mantes-la-Jolie.

Euphorique et gorgé de rires. Vidé et ressourcé d’humanité. Fatigué physiquement et nourri intérieurement. Sortir de l’atelier chant de Myriam et hésiter entre sieste joyeuse et jog-ging galvanisé. Parce que tout est débordant. La gentillesse, la dérision, l’auto-dérision, la bienveillance, l’humour, les digressions et surtout, oui surtout, l’envie de chanter. Le ciment. Toutes ces dames (et Jean) ont un besoin viscéral de se retrouver. Il y a quelque chose de fou dans ces deux heures : les che-mins de traverse sont nombreux, on se perd, on digresse, on rigole, on se moque gentiment, on se taquine, on se pique, on s’asticote, on se picote, mais on chante. Comme une libéra-tion, comme une seconde respiration. Avant de chanter, s’échauffer. Respiration ventrale, mouvements de bouches et les premiers sons percent. Puis, on fait les chansons engagées demande Françoise. « Sur la route de Louviers » pour commencer, « Sur mon chemins de mots

22 préfAce

», « Je mène les loups ». On fait les groupes selon les refrains, selon les canons. Ce qui est beau ici, c’est la mémoire en chanson. Les par-ticipants peuvent proposer les morceaux qu’ils aiment. Et souvent, tous s’y retrouvent. Aujourd’hui, ce sont les Compagnons de la chanson. Chanter par plaisir et chanter la nostalgie. Elle perce imperceptiblement dans les yeux, dans les rares silences, dans les souvenirs racontés à la fin d’une chan-son. Mais on ne s’y attarde pas. On n’est pas là pour ça. Et les élèves dissipés entre deux chansons deviennent rigoureux et attentifs. Ils enchaînent les refrains, les couplets et les canons. Et ils sont heureux. Tout simplement.

Avril 2018, cvs paul bert. 1, rue paul bert, mantes-la-Jolie.

Ce qui m’intrigue toujours dans ces ate-liers menés avec les Restos du Cœur, c’est le nombre de bénévoles. Parfois en majorité d’ailleurs. Davantage de bénévoles que de par-ticipants. Ça intimide peut-être. Ou ça rassure. Comme quand on est accueilli par une grande famille. Ça m’interroge en tout cas. Pourquoi devient-on bénévole ? Pourquoi donner son temps aux autres ? À la tête de l’armada, Chris-tian. Barbe toujours souriante. Rose et Maëlle trouvent rapidement leur place : au plateau. « Apprivoiser le terrain de jeu » dit Rose. Terrain connu des comé-diens, terre inconnue des participants. Ce qui dénote, ce sont les gestes d’arts martiaux par-tagés par un des participants pour se mettre en jambes. Souffles et corps en mouvement. Maëlle et Rose travaillent sur le partage des récits. Il s’agit bien de ça : partager des his-toires pour mélanger les intimités, faire se rencontrer des mondes qui pourraient sem-bler éloignés. Pas tant. Les chemins de tra-verse se croisent toujours. Aujourd’hui et ici, par exemple. Seul face au groupe, l’histoire

de son chemin. Déjà il en faut de la confiance pour se livrer. Tout seul comme sur une scène de théâtre. Parler devant les autres. Et par-ler de soi. Il en faut de la confiance pour se jeter. Alors quand les mots coincent… Quand ça ne vient pas, le corps prend le relais. Les langues se mélangent aussi quand les cama-rades viennent à la rescousse pour une tra-duction. Voyager dans les langues pour trouver son chemin quand l’histoire bloque dans les mots. On parle de l’arrivée, parfois du départ. Les départs sont liés au souvenir. L’arrivée, à des vies voulues ou rêvées. Pour-quoi La France ? Pourquoi les Restos du Cœur ? On vient toujours de loin. Au fond, ce sont les mêmes histoires de chemins intimes. Avec le français comme clé d’un nouveau départ. Nicolas marsan

Page 13: Le Carré dans la mare - Culture

24 théâtre — restos du cœur, mANtes-lA-Jolie

Paris, c’est mon rêve, depuis le départ.

Page 14: Le Carré dans la mare - Culture

carré dans la mare n°16 | à mi-chemin 27

mAssiNissA

Depuis que je suis en France, je voyage beaucoup. Je prends le train à Saint-Lazare pour aller à Mantes-la-Jolie. Je suis parfois hébergée chez ma mère à Mantes-la-Jolie, parfois chez mon père à Paris. Paris, c’est très bruyant. Avec les gens dans les bars et puis les gens qui se font arrêter par la police. J’ai décidé d’être à Mantes-la-Jolie parce que c’est beaucoup plus calme. C’est important pour moi de lire, écrire, parler en français. C’est important pour moi de pouvoir faire des démarches aussi pour avoir des papiers.

26 théâtre — restos du cœur, mANtes-lA-Jolie

fAtimA

Je suis venue ici il y a trois ans et ça fait trois mois que je fais l’atelier de français. J’ai un visa, je me suis mariée en France. Je suis bloquée, j’ai besoin de connaître le français parce que je veux travailler. J’ai des rêves, avoir le permis, une voiture. Pour ça, je dois travailler. Si on vient en France, c’est aussi dans l’idée d’une vie meilleure. Ici, il y a des droits. Ici, il y a de la liberté. Si je ne connais pas le français, je suis bloquée, je reste chez moi.

Page 15: Le Carré dans la mare - Culture

carré dans la mare n°16 | à mi-chemin 29

belKhAcem

J’ai passé mon bac en Algérie. J’ai voulu continuer mes études. J’ai candidaté pour une université française. Je n’ai pas eu de réponse. Je me suis dit : Pourquoi pas venir ici ? J’ai pris le bateau pour rejoindre mon frère à Marseille. J’y suis resté vingt jours. J’ai pris un billet de train pour aller à Toulouse. Je suis revenu à Marseille. Je voulais aller à Paris. C’est mon rêve depuis le départ. J’adore le foot, j’y jouais en Algérie et je suis supporter de Paris. Mon rêve serait de trouver une femme de rêve en France. Ici, je sais que je peux travailler. Dans la boulangerie, la pâtisserie ou la peinture. C’est ce que je faisais chez moi.

28 théâtre — restos du cœur, mANtes-lA-Jolie

sAllem

Dans mon pays, au Maroc, j’étais moniteur de karaté, de taikwendo. J’ai fait des compétitions. Vice-champion en 1992, deuxième dan. J’ai aussi fait de la boxe et du full contact. J’ai arrêté le sport quand je suis arrivé en France, en 2005. J’ai eu une opération des ligaments croisés, je ne pouvais plus faire de sport. Ici, je travaille dans un restaurant. J’aime bien le travail car cela me permet d’avoir de l’argent. Je fais vivre une famille de neuf personnes. Cinq personnes en France, ma femme et mes enfants. Quatre au Maroc, ma mère et mes trois sœurs. Je suis à l’atelier de Français depuis trois ans.

Page 16: Le Carré dans la mare - Culture

carré dans la mare n°16 | à mi-chemin 31

clAire

Je suis partie à la retraite prématurément. Ma dernière année d’enseignement était mauvaise. J’avais de l’énergie. J’aimais enseigner. Je me disais que j’aimerais faire des cours d’alphabétisation pour des femmes africaines parce que je les rencontrais quand j’enseignais. C’était les mamans de mes élèves et elles m’étaient sympathiques. J’avais envie de les aider. L’atelier de français c’est une autre manière d’enseigner. C’est des adultes motivés. À force, on est devenu un peu comme des amis. Pour moi, c’est vraiment bien.

30 théâtre — restos du cœur, mANtes-lA-Jolie

christiAN

Ici les bénévoles, on appartient tous à la grande famille des retraités, des seniors. Quand je me suis vu devenir senior (dans les entreprises privées on est considéré très tôt comme un senior), je me suis dit : « Hé l’ami ! Il faudrait peut-être que tu t’intéresses aux autres pendant ta retraite. Tu ne l’as pas beaucoup fait dans ta vie ». J’ai commencé à Limay par l’aide alimentaire. J’ai fait tous les postes. Puis, la bénévole qui s’occupait de l’atelier de français est partie dans le sud. J’ai décidé de prendre en charge l’atelier et d’essayer de le développer.

Page 17: Le Carré dans la mare - Culture

32 théâtre — restos du cœur, mANtes-lA-Jolie

moNique

J’ai commencé à travailler à seize ans, puis à cinquante quatre ans, on m’a dit qu’on n’avait plus besoin de moi. C’était un grand plan social, ils ont licencié dix mille personnes. À ce moment là, je me suis demandé ce que j’allais faire. Au début, j’ai commencé avec l’atelier de français à Aubergenville. C’est très différent d’ici. Il y a beaucoup de femmes d’Afrique du nord, qui n’ont pas beaucoup de contact et qui cherchent à rencontrer des femmes du pays, pour connaître les coutumes d’ici.

Page 18: Le Carré dans la mare - Culture

carré dans la mare n°16 | à mi-chemin 3534 mémoires épistolAires — collectif 12, mANtes-lA-Jolie et médiAthèque de limAy

Du haut de mes cheminées, plus de cinquante ans d’histoire vous contemple.En gestation à partir de 1965, je suis née il y a cin-quante ans, en pleins tourments de l’année 1968. Pendant que des étudiant·e·s érigeaient des pavés en barricades, des ouvriers coulaient du béton armé pour dresser ma deuxième cheminée. Alors que des millions de voix contestaient l’ordre éta-bli, les tenants du vieux monde m’avaient déjà accouchée.J’ai vu le jour sur les bords de la Seine, à coté de mon aînée, sur le territoire d’un petit village dont le nom originel « Villa Porcariarum » (ferme des por-chers) évoque son activité médiévale.Ma grande sœur et puis moi avons grandi sur un chapelet d’îles remblayées. Auparavant ce modeste village était, au mieux, connu comme lieu de découverte du corps de Pierre Loutrel (Pier-rot le fou) chef du gang des tractions-avant, venu s’éteindre à Porcheville après s’être lui-même blessé lors de son dernier braquage à Paris en 1946, ses complices l’enterrent au bord du fleuve.Au début des années cinquante, Porcheville devient un lieu de villégiature pour les riches parisiens dont les résidences cossues bordent le boulevard qu’ils s’étaient attribués.Ma sœur et moi avons amené la fée électricité, transformant le paysage, augmentant et modifiant la population et faisant de Porcheville une des com-munes les plus riches de France. En notre honneur, les armoiries du village ont été modifiées, et à côté des glands rappelant l’élevage porcins, deux éclairs électriques en foudroient le blason. Je suis née du ventre fécond de la fin des trente glorieuses, de l’union entre le productivisme éner-gétique du tout nucléaire et du tout pétrole et le

service public nationalisé de l’électricité. Et oui, c’est du fuel lourd qui coule dans mes veines, c’est pour cela que je crache des fumées nauséabondes et polluantes, parfois noirâtres, surtout au démar-rage. Pourquoi croyez-vous que c’est la nuit qu’on allume mes chaudières ? Je sais que mon sang noir est devenu de plus en plus cher, que j’expire des effluents pas vraiment bons pour l’environnement. J’ai toussé parfois des fumerons qui en se déposant aux alentours corro-daient les peintures des voitures, tachaient les ter-rasses et les salons de jardins. J’ai sué de l’acide, j’ai pissé du fuel dans la Seine. Et pendant que ma précieuse énergie électrique chauffait les habitats, mes rejets réchauffaient le climat. Pour protéger mes organes on m’a emmitouflée dans des manteaux d’amiante. Pour dissiper mes fumées on m’a pourvu d’un long nez et de deux narines de deux cent vingt mètres.J’aurai bien aimé que dès ma construction on me dote de reins efficaces pour dépolluer mon sang, j’aurai bien aimé être pourvus de bronches pour filtrer mes rejets. J’aurai bien aimé une pelisse de laine écolo.Malheureusement une partie de mes chromosomes sont capitalistes et on m’a enfantée dans la renta-bilité et la gangrène ultra-libérale m’a rongée peu à peu. Heureusement, dans mon ADN il y a aussi le service public, la loi de nationalisation de l’électri-cité, le programme du Conseil National de la Résis-tance 1 et de puissants anticorps comme la CGT, une cellule PCF Marcel Paul 2 aux gênes bien rouges. Je suis fière de les avoir comptés dans mes globules, toutes celles et ceux qui m’ont soignée, protégé, défendu les valeurs de progrès social et de solida-rité, qui se sont battus pour qu’on me désamiante.

Je suis désolée d’avoir hébergé quelques verrues comme des directeurs sanctioneurs de grévistes, des cadres profiteurs magouilleurs, j’ai même eu un furoncle harceleur qui s’en est pris à plusieurs de mes copines. Et oui, vous croyez quoi ! Que je ne me rendais pas compte de ce qui se passait dans mes entrailles. Vous me voyez dans un corset métal-lique, crachant de la fumée, suant de l’huile mais je suis féminine et on ne touche pas à mes copines ! J’ai aussi souffert d’avoir blessé des salarié·e·s, d’en avoir contaminé par mes poussières d’amiante. Mon pauvre Serge, parti à cinquante trois ans, toi qui a bichonné mes circuits c’est pas ma faute si tes chefs ne t’ont pas informé ni donné des protections.J’ai aussi connu des moments de fêtes avec ces fameuses Saint Eloi patron des chaudronniers, on me faisait belle. Et des montées d’adrénaline comme en décembre 95, trois semaines d’eupho-rie et une victoire. Et tous ces gais lurons qui ont tiré des feux d’artifices du haut de mon chapeau métallique.J’en ai accueilli du beau monde, Buffet Besance-not, le même jour à mes pieds, venus soutenir avec mes organes CGT ces pauvres travailleurs polonais qui me faisaient un lifting sans être payés correc-tement. Quel honte ! Je suis internationaliste moi, mon fuel vient parfois d’Arabie, certaines pièces des États Unis ou d’ailleurs, et pour qui vient me soigner je ne regarde ni la couleur de la peau, ni la patrie d’origine. J’ai même fait don de moi-même, de quelques valves, de détecteurs pour ma consœur Guiteras de Matanzas à Cuba. Et merde au blocus des yankees 3 !Et tous ces joyeux et combatifs piquets de grève avec leur feux de palettes, leurs saucisses grillées leurs ricards puis leur mojitos ! Il est temps main-tenant de vous dire au revoir, à toi Danièle la petite voisine de la cité, à toi Roger qui passait avec son train à l’ombre de mes cheminées, à toi le petit Ydire qui pêchait le gardon au bord de mon canal, à toi Fabienne voisine militante, à toi Mohammed

le batelier qui glissait sur le fleuve… On va me démembrer, me désarticuler, me découper en ron-delles. Mais je fais tellement partie du paysage que certains demandent à présent qu’on garde mes cheminées comme un témoignage.Quoiqu’il en soit même si on les abat elles reste-ront pendant longtemps encore érigées dans les mémoires et même disparues leurs ombres conti-nueront de peser.

1 CNR : Organisme chargé d’assurer en France et dans la clandestinité la coordination des mouvements de résistance pendant l’occupation et le régime de Vichy. Son programme politique adopté en 1944 ( intitulé à l’origine « Les Jours heureux ») est très empreint de rénovation sociale : nationalisations, création de la sécurité sociale…2 Marcel Paul : Syndicaliste, militant communiste, membre de la résistance, arrêté il fut déporté à Buchenwald. À la libération, il devient ministre de la production industrielle du gouvernement De Gaulle. Il est l’artisan de la création d’EDF GDF de la loi de nationalisation des industries électriques et gazières et du statut de leurs personnels. Les cellules du PCF qui regroupent les militant·e·s à la base portent souvent un nom. Pour une cellule de militants EDF le nom de Marcel Paul est tout trouvé.3 À partir de 1994, le syndicat CGT du personnel de la production d’énergie en région parisienne tisse des liens puis signe un jumelage avec la CTC (Centrale des Travailleurs de Cuba) de la centrale Antonio Guiteras à CUBA. Ces échanges, de discussions, d’entraide et de solidarité ont pour but d’aider le peuple cubain à surmonter les difficultés alors que l’île subit l’embargo des USA depuis 1962, et que suite à la chute des pays de l’est en 1989 la situation sur place se dégrade. Des dizaines de tonnes de matériels seront collectés et envoyés sur place. La CGT de l’énergie sera pionnière dans ce type de jumelage direct.

mémoires épistolAires Écrire PorcheviLLe

Page 19: Le Carré dans la mare - Culture

carré dans la mare n°16 | à mi-chemin 37

Sur la route de Louviers, Y avait un cantonnier Et qui cassait Des tas d’cailloux Et qui cassait des tas d’cailloux Pour mettre sur l’passage des roues.

Un’ belle dam’ vint à passer Dans un beau carrosse doré Et qui lui dit « Pauv’ cantonnier » Et qui lui dit « pauv’ cantonnier Tu fais un foutu métier »

Le cantonnier lui répond « Faut qu’ j’ nourrissions nos garçons Car si j’ roulions Carrosse comme vous Car si j’ roulions carrosse comme vous Je n’ casserions point d’ cailloux » !

Cette réponse s’ fait remarquer Par sa grande simplicité C’est c’ qui prouve que Les malheureux C’est c’ qui prouve que Les malheureuxS’ils le sont c’est malgré eux !

Sur La route De LouvierS Aristide bruANt

Page 20: Le Carré dans la mare - Culture

carré dans la mare n°16 | à mi-chemin 3938 chANtoNs eNsemble — cvs pAul bert, mANtes-lA-Jolie

Page 21: Le Carré dans la mare - Culture

40 dANse — ccAs mANtes-lA-ville, cvs AugustiN serre, mANtes-lA-ville

* frANçAis, urdu, espAgNol, ArméNieN, Kurde

chemin, tarek, camino, chanaparh, rêya*

Page 22: Le Carré dans la mare - Culture

carré dans la mare n°16 | à mi-chemin 43

sAidA

C’est dans le désert du Sahara. J’allais tous les jours dans la maison de ma grand-mère, boire le lait de chamelle.

fAtimA

C’est le chemin pour aller dans la maison de ma grand-mère, dans les montagnes, vers Taroudant, au sud du Maroc. J’aimais bien y aller quand j’étais petite. Il y avait beaucoup de fleurs, beaucoup d’herbes. Pas de voiture, pas de bruit, juste le son de l’eau.

42 dANse — ccAs mANtes-lA-ville, cvs AugustiN serre, mANtes-lA-ville

Page 23: Le Carré dans la mare - Culture

carré dans la mare n°16 | à mi-chemin 45

écrits collectifs

Mon chemin c’est au Maroc, au Pakistan, entre la Poste, la sécurité sociale et l’école, entre la maison et l’alimentation. C’est tous les jours, c’est toutes les semaines.

L’endroit d’où je pars, l’endroit où j’arrive.

44 dANse — ccAs mANtes-lA-ville, cvs AugustiN serre, mANtes-lA-ville

Page 24: Le Carré dans la mare - Culture

carré dans la mare n°16 | à mi-chemin 47

En Égypte, il fait beau toute l’année.

Page 25: Le Carré dans la mare - Culture

carré dans la mare n°16 | à mi-chemin 49

écrits collectifshiStoire De vacanceS

Il était une fois… Nos vacances en famille en Algérie. Le mariage de mon frère. Toute la famille. La musique. La plage. La montagne.

écrits collectifshiStoire De vacanceS

Il était une fois… En Espagne, au bord de la mer. Avec mes enfants, mon mari et mes amis. Le grand château de Grenade.

48 théâtre — gretA, collège Albert thierry, limAy

Page 26: Le Carré dans la mare - Culture

carré dans la mare n°16 | à mi-chemin 51

écrits collectifshiStoire De vacanceS

Il était une fois… Mon mari et mes enfants en Égypte, parce qu’il y fait beau toute l’année. Charm El Cheik. Hurghada. La plage, parce que l’eau de la mer est belle. Jouer avec le ballon.

écrits collectifshiStoire De vacanceS

Il était une fois… Au Sahara Occidentale, la plage. On mange en famille. L’eau de la mer est bonne. Après dîner, les enfants se baignent. « J’ai peur des vagues » dit le garçon. « Où sont les enfants ? » dit le père. La mère les surveille sur la plage.

50 théâtre — gretA, collège Albert thierry, limAy

Page 27: Le Carré dans la mare - Culture

On porte beaucoup de choses dans notre tête.

52 théâtre — escAle & collectif 12, mANtes-lA-Jolie

Page 28: Le Carré dans la mare - Culture

carré dans la mare n°16 | à mi-chemin 5554 théâtre — escAle & collectif 12, mANtes-lA-Jolie

écrits collectifshiStoire De broSSe qui Se conStruit DanS Le chemin DeS motS

Une brosse part à Paris, pour sentir la lavande. La lavande, c’est une fameuse odeur de Paris. Une ballerine danse dans une boite à musique classique pour la perfection, l’élégance.

La ballerine, la petite danseuse dans sa boite à musique, a un chignon. Pour avoir un chignon parfait, pour la perfection, pour l’élégance, elle part à Paris. Pour que son chignon sente la lavande.

Page 29: Le Carré dans la mare - Culture

carré dans la mare n°16 | à mi-chemin 57

Atel

ier t

héât

re

Col

lège

Alb

ert T

hier

ry, G

reta

, Ser

vice

par

enta

lité

Page 30: Le Carré dans la mare - Culture

carré dans la mare n°16 | à mi-chemin 59

Atel

ier t

héât

re

Col

lège

Alb

ert T

hier

ry, G

reta

, Ser

vice

par

enta

lité

Page 31: Le Carré dans la mare - Culture

carré dans la mare n°16 | à mi-chemin 61

Page 32: Le Carré dans la mare - Culture

carré dans la mare n°16 | à mi-chemin 63

en recherche, je constate des choses, je les découvre au moment de l’atelier. On part des perceptions, des sensations pour aller vers une forme de parole. / Ça dépend lesquelles, les premières séances demandent beaucoup de préparation sur le sujet qu’on aborde, puis un travail d’ajustement par rapport à la façon dont les participants répondent aux propo-sitions, puis un travail de construction d’une séance sur l’autre sur ce qui est à développer et de quelle façon.

tu réadaptes ton programme entre deux ateliers ?Bien sûr. Je me demande comment leur don-ner envie de faire du théâtre. J’ai envie que ce soit drôle. Si je m’amuse moins, parce que j’ai l’impression de me répéter, ils ne s’amuseront pas non plus. Je ne suis pas une enseignante, je suis une comédienne. Je les considère presque comme des acteurs. J’ai envie de me servir de ce qui se dégage d’eux, de pousser les moments où ils sont au présent. Leur faire prendre conscience que ces petits moments, on peut les jouer, les reproduire. Pour que les sentiments soient plus forts, pour que ce soit plus fort. J’aime faire travailler les gens comme j’aime qu’on me fasse travailler. / Je réadapte toujours : ça va être le bordel, je vais avoir des nouveaux, des anciens, alors je m’adapte.

tu retires quelque chose de ces ateliers ? Oui, quand je deviens spectatrice. Je suis touchée parce que je reçois une émotion de spectateur. Comment une toute petite chose devient du théâtre ? Quand je regarde, ça me donne des bonnes doses d’émotion.

qu’est-ce qui leur reste selon toi ? Du plaisir. Elles sont fatiguées de ne pas com-prendre ce qui se passe pendant deux heures, ce qui se dit. Mais elles y vont, elles jouent le

jeu. De la fatigue aussi parce que ce n’est pas une manière quotidienne de bouger. Elle font groupe. Un groupe qui n’aurait peut être pas existé seulement avec l’apprentissage de la langue se constitue. La collaboration entre elles. Comme pour moi : D’avoir entendu des langues, des sonorités, des musiques dif-férentes, j’ai voyagé. Quand chacune parle d’un trajet qu’elles font ici ou ailleurs, j’ai des images. Si j’en ai, elles doivent en avoir aussi.

c’est étonnant dans ces ateliers, il y a une disponi-bilité, un engagement très rapide des participants.

Il y a une spontanéité incroyable. Ce qui est précieux, c’est ce qui se passe sur le moment, ce n’est pas forcément le résultat. C’est un moment de partage et on est tous au même niveau. On est là, on joue, on découvre des choses et c’est aussi enrichissant pour moi.

quel est ton but ? Il y a l’échéance de la restitution, mais ce qui est important, c’est qu’elles passent par le fait de montrer quelque chose, de le porter, de l’as-sumer. Pas forcément de monter sur scène en plateau, mais montrer ce qu’elles ont traversé pendant les ateliers et le donner à voir. Mais mon but, c’est surtout qu’elles reviennent d’une fois sur l’autre et que tout le monde passe un bon moment, c’est le meilleur des objectifs à court terme. / Faire du théâtre ensemble. / Rencontrer ces gens, revivre cette expérience, ce moment de partage. Il y a un réel plaisir. Je sais ce que c’est que de ne pas arriver à parler la même langue. Arriver dans un pays qui n’est pas le tien. / Que les gens prennent plaisir à faire des choses belles, à progresser, à travailler, à être contents de ce qu’ils font, avoir suffisamment confiance en eux pour être exigeants. On veut faire quelque chose de beau, que les personnes avancent dans le plaisir d’être ensemble et de progresser ensemble.

62 verbAtim

les ateliers du carré dans la mare sont une richesse. une richesse de rencontres humaines uniques et inattendues, une richesse de parcours jonchés d’inquiétudes et d’espoirs, de trajectoires de vie semées de rêves et parfois d’illusions, une richesse de langues qui fracassent les frontières. se raconter des histoires, se souvenir et s’inventer des vies nouvelles, danser à s’oublier, poétiser ses jours de béton par des envolées de mots, c’est aussi croire en soi. Ni participants, ni artistes intervenants, simplement des corps, des rêves, des imaginaires qui se rencontrent et partagent quelques heures déconnectées. si les participants se racontent, les artistes aussi. et ils ne peuvent pas en sortir indemnes. parcours intimes, à chaud, en sortie d’ateliers avec sandrine, myriam, mouna, perrine, maëlle, rose et perrine.

Nicolas marsan : tu sors de quatre heures d’atelier, comment te sens-tu ?

Bien ! Comme à chaque fois. / Je suis rincée et remplie d’énergie. J’ai l’impression d’avoir beaucoup donné et beaucoup reçu. / Je suis encore dedans en sortant. J’ai envie que ça continue. / Heureuse d’avoir échangé, souvent bousculée car les récits et paroles données sont souvent très intimes et des histoires sont dures. / Je repense à ce qui s’est dit dans l’ate-lier, les échanges, les émotions. / Euphorique ! Il y a plein d’humanité. Ça ressource. Il y a de belles personnalités, beaucoup de bienveil-lance. Ça donne un sens à ma pratique artis-tique, parce qu’il y a quelque chose qui se

passe, qui se transmet, qui se communique. Il y a quelque chose qui désacralise le moment de chanter, qui devient comme une seconde respiration, qui me conforte dans ce que je peux transmettre. Quand je chante, je chante avec ce que je suis, la chanteuse. Je ne bâcle pas mon boulot et je sens que ça passe, que ce n’est pas inaccessible, que les personnes s’en emparent. C’est pour ça que je fais ces ate-liers : arriver à communiquer quelque chose. Je suis riche de ça sur scène aussi.

comment prépares-tu tes séances ? Quand j’ai commencé, il y avait beaucoup de leur parcours dans les ateliers, certains pleu-raient. Maintenant, je ne travaille plus sur leur passé, je les emmène ailleurs. D’où le choix de travailler sur la poésie, sur des images. J’ai travaillé une fois à partir de leur vécu et c’était douloureux. Pourquoi leur infliger ça ? / Ce qui m’alimente en ce moment, c’est le fait d’in-venter une fausse histoire avec le prétexte d’un objet et d’aller vers la vraie histoire de cet objet. L’idée, c’est de faire circuler les faux récits inventés et les vrais récits, pour qu’il y ait une part de transmission intime entre eux. Ça force à un respect mutuel, à une connivence et je trouve ça très beau. La ligne flottante entre ton histoire personnelle et ce que tu apportes au groupe. / En relisant les récits nés lors de la séance précédente et en imaginant les pos-sibilités des corps dans l’espace. / Je retra-verse des outils que j’utilise dans mon travail de metteur en scène, mais autrement. Je suis

… chacun son chemin

mbmf rg mk pm pt

mbpmmfrg

sd pm

pm

mb

ptmbmk

pt

Page 33: Le Carré dans la mare - Culture

carré dans la mare n°16 | à mi-chemin 6564 verbAtim

qu’est ce que le carré dans la mare pour toi ? Le cadre large, c’est travailler avec des per-sonnes en apprentissage du français. À l’in-térieur de ce cadre, ce sont des intervenants différents qui, à leur façon, vont rencontrer ces groupes avec une sorte de lien : le collec-tif 12 et la question de travailler en conscience des autres. Ce lien se cherche en perma-nence. / Avoir très peu de temps pour essayer de donner le maximum, essayer de faire bien. C’est ma rencontre avec Marie Odile et ses groupes. Ce qu’elle met en place, le boulot de Titan qu’elle fait. Il y a une telle générosité de sa part, de la structure, du Collectif 12, de la part des participants. Revenir, faire des choses qui sortent un peu des clous et essayer d’être sincère, partager des façons de travail-ler. Quand je prépare un atelier, il y a ce que j’imagine, et ce à quoi on va arriver avec le temps imparti, les absences, les retards, etc. Ce n’est pas de faire au mieux avec ce qu’on a prévu, c’est continuer avec le moment pré-sent. C’est faire tout en gardant son cap, en restant poreux à ce qui peut arriver et qu’on n’avait pas prévu. C’est improviser. / C’est ce moment de partage. Une rencontre entre moi en tant qu’individu, artiste, femme, avec des personnes différentes, de pays et de natio-nalités différentes. C’est une rencontre très importante. Ils apprennent le français, ils viennent d’arriver. À chaque fois, je sens une responsabilité : que vais-je leur transmettre ? Je n’arrive pas à le formuler mais j’ai un rôle à jouer important dans ce moment là, un stage de français pour la préfecture… Ils sont là, et leur chemin est encore long, que ce soit le chemin administratif ou le cadre social. Je fais parti de ceux qui les accueille, qui leur tient la main pour avancer un peu. Le Carré, c’est comme une toute petit pierre, une brique, un maillon qui les aide un peu à avancer sur ce chemin. Ils se rendent compte qu’on peut aussi

parler le français différemment que dans le cadre de la classe. Il ne faut pas se manquer. Il faut être à la hauteur, il ne faut pas les dégoû-ter du théâtre ou du français. Ce n’est pas toujours facile pour eux de se dire qu’ils sont à l’école. L’apprentissage renvoie un truc : « je ne maîtrise pas la langue ». Avec le théâtre, ils redeviennent eux-mêmes. Pour moi le Carré, c’est un moment de partage, de transmission dans les deux sens car ils me transmettent leur énergie, leur envie d’aller de l’avant, leur cou-rage aussi. À chaque fois, il y de la joie. C’est gratifiant pour eux. Même s’ils n’arrivent pas à parler, ils font des choses magnifiques dans ce cadre artistique. Et ça agit sur leur moral, ça leur redonne une certaine confiance pour la suite. / Un atelier avec des non-professionnels, donc toujours un enjeu un peu particulier de découverte, mais aussi un temps particulier d’écoute et de délicatesse pour pouvoir se comprendre et s’entendre malgré les difficultés de la langue. / Mais finalement, à chaque fois, c’est toujours des tranches de vie. En fonc-tion des gens, ça va plus ou moins loin, plus ou moins vite, mais les attentes sont toujours les mêmes : avoir du plaisir à être ensemble par la musique et partager des choses belles, artistiques et humaines. Et c’est en donnant confiance aux gens qu’on change le monde.

perriNe morNAyPerrine crée des performances, des spectacles de théâtre et des installations. Elle investit l’espace public, la nature et fait appel à des images de la mémoire collective ; de la vie quotidienne, des textes de la littérature. Elle écrit des scénarios dont la dramaturgie repose sur les perceptions du quotidien. Son travail confronte le spectateur à une forme d’humour qui se joue des codes de la représentation et questionne notre rapport intime à celle-ci.

mAËlle fAucheur et rose guégANMaëlle et Rose sont intervenues au sein d’un groupe aux Restos du Cœur. Plus d’une vingtaine de participants et une dizaine de bénévoles ont suivi cet atelier. À partir d’exercices collectifs et d’improvisations, elles ont creusé le thème « le chemin », en invitant les participants à livrer leurs récits personnels, d’abord par la transmission orale. Une fois les récits retranscrits et partagés, le désir est né chez certains de porter les histoires d’autres ou de raconter leur histoire propre.

pAuliNe tremblAyPauline Tremblay est chorégraphe et danseuse. Entre mars et mai 2018, au CVS Augustin Serre, les participants ont exploré la thématique du chemin. À partir de l’expérience de chacun, du vécu d’une trajectoire concrète, entre un point A et un point B. Qu’il dure quelques minutes ou plusieurs mois, qu’il soit régulier ou exceptionnel, qu’il appartienne à un souvenir lointain ou à un quotidien. Ils ont cherché à rendre ces chemins sensoriellement partageables à l’échelle des corps, des voix, et de la salle du CVS.

les Artistes du collectif 12

sANdriNe degrAefSandrine est comédienne. Elle aime animer des ateliers pour unir un groupe autour d’un projet qui s’élabore au fur et à mesure. Elle propose des exercices qui permettent à chacun d’explorer l’espace qu’est le théâtre, pour fabriquer ensemble « notre théâtre ». Cette année, elle s’inspire de photos de Doisneau sur le voyage

myriAm KriviNeMyriam est chanteuse. Depuis trois ans, elle anime l’atelier Chantons Ensemble. Une quarantaine de personnes ont poussé la porte, plus d’une vingtaine sont restées : des femmes entre 30 et 80 ans et un homme. On se détend, on respire, on s’écoute, puis c’est la naissance du son, la recherche de l’harmonie. Tout le monde peut proposer des chansons. Cette année, on a même eu de la poésie.

mouNA belghAli Mouna Belghali est comédienne. Pour la sixième année, elle participe au Carré dans la Mare. Et pour la quatrième année, elle intervient auprès des stagiaires d’Acoform. Pour les amener sereinement à s’exprimer en français, ils ont été invités à utiliser le dessin, le chant, la gestuelle et la poésie en travaillant autour du thème : « Mon chemin ! ».

compAgNie sANs lA NommerDans le cadre du projet « Mémoires vives, des identités ouvrières d’hier à aujourd’hui » Fanny Gayard et Rose Guégan mènent un atelier d’écriture sur la mémoire ouvrière du territoire avec des habitant·e·s.

cArré dANs lA mAre N°16 | à mi-chemin

mbmf rg mk pm

Page 34: Le Carré dans la mare - Culture

carré dans la mare n°16 | à mi-chemin 67

MANTES-LA-VILLE

LIMAY

PORCHEVILLE

VAL FOURRÉ

RADAR

LA DALLE

LES GRAG’S

TEREF

CHOPIN

LA PAGODE

BOUGAINVILLE

GARENNES

1

23

4

7

5,6

MANTES-LA-JOLIE

GASSICOURT

gAssicourt

1 Collectif 122 CVS Paul Bert

vAl fourré

3 CVS Aimé Césaire4 Escale

limAy

5 Collège Albert Thierry 6 Médiathèque de Limay

mANtes-lA-ville

7 CVS Augustin Serre

rAdArPlace du Commandant Louis Bouchet. En plein cœur du quartier des Peintres, un centre com-mercial ouvert en 1975. Le mot Radar qui dé-signe le quartier pour ses habitants vient de la superette Radar Super. Après le départ de la superette, le nom est resté.

terre & fAmille (teref)Qui dit quartier des Explorateurs dit Terre & Fa-mille. Les intimes l’appellent Teref en référence à l’ancien nom de la société coopérative H.L.M. Terre & Famille. Il y a quelques années, elle est rebaptisée Coopération et Famille mais les ha-bitants ont gardé l’appellation d’origine, ces deux mots fort de symbole dans la cité.

les gAreNNesNom du lieu-dit des Garennes, il englobe tout le quartier des Navigateurs. Il est adopté par tout le monde dans un bout de quartier qui jadis était envahi de lapins… de garenne ! Ter-ritoire entre terre et lac, les GAR-N comme disent les jeunes est rempli de vie.

chopiNIl est devenu le nom générique du quartier des Musiciens, même si cela dépend de quel point de vue on se place ! Peut-être que le nom s’est imposé de par le centre social qui trône au mi-lieu du quartier.

bougAiNvilleAu simple énoncé du nom de Bougainville, les souvenirs vous viennent. Bougainville, c’est ces bâtiments en barre et en cube, le jeu du

labyrinthe, la cabine téléphonique, la clinique du Val Fourré, les écoles et l’évocation de Bou-gainville Sports et Bougainville Animation de l’inénarrable couple Thuet.

lA pAgodeQuand un lieu disparait, son âme survit. La Pa-gode était le premier lieu de vie au Val Fourré, la M.J.C. animant le quartier. Elle a connu les concerts, les jeux, les commerces accueillis en urgence fin des années 80, un centre de loisirs… C’était le lieu, une architecture singu-lière pour un destin pluriel et qui restera dans nos mémoires.

lA 100trAl – lA dAlle (quArtier ceNtrAl)Pour certains, c’est la Dalle (en raison de la dalle que revêtit le centre commercial prin-cipal pendant 25 ans), pour d’autres, c’est la 100-TRAL pour le quartier Centre de la cité. Une multitude de noms la décrit : Val Center, Mantes 2, Le marché… C’est le poumon du quartier, The place to be!

les grAg’s (les écrivAiNs)Le nom vient à l’origine d’un groupe de rap nommé Les Grag’s crée par deux jeunes du quartier des Écrivains en 1996. Depuis, les jeunes ou moins jeunes l’ont repris comme terme générique pour désigner le quartier des Écrivains dans son ensemble.

l’exposition L’ envers de l’ endroit… ces noms qui font le val ! a été proposée par l’ association Label histoire mantes val Fourré. elle a eu lieu au collectif 12, du 31 janvier au 16 février 2018.

66 plAN du quArtier

Les voies du Carré lAbel histoire mANtes vAl fourré L’ enverS De L’ enDroit… ceS nomS qui Font Le vaL !

Page 35: Le Carré dans la mare - Culture

Récolter des paroles souvent ignorées. Donner la parole à des personnes qui ne l’ont pas. Leur prêter attention, leur prêter sensibilité. Qu’elles découvrent la langue française autrement. C’est le Carré dans la mare ! Et leurs échanges avec des artistes est un terreau fertile : ils créent les conditions à la naissance d’histoires réelles ou imaginaires mais sensibles. Et cette sensibilité permet un autre regard sur le monde. Que se passe-t-il en eux, en nous, quand on écoute ce que ces personnes ont à dire ? Quand on écoute leurs mots, leurs chemins ? Au-delà des mots, nous sommes convaincus qu’il faut entendre les voix des protagonistes. Grâce aux rapports de confiance enracinés dans ces ateliers, les histoires personnelles émergent, les trajets souvent uniques affleurent. Et parfois,

ces chroniques de mémoires d’ailleurs, ces instants présents d’ici, ne se lisent pas, elle s’entendent. Je me suis promené dans les ateliers et j’ai enregistré ces moments de partage et parfois de confidences intimes. Les empêchements, les hésitations, les gênes. Les étonnements joyeux, les abandons rieurs. J’ai saisi les silences dansés, les pas de poésie, les réjouissances chantées. Le CD offre tout ce qui n’est pas écrit. Écoutez entre les lignes.

1 Atelier chANt • myriAm KriviNe2 Atelier théâtre • perriNe morNAy3 Atelier théâtre • sANdriNe degrAef 4 Atelier théâtre • mouNA belghAli 5 Atelier dANse • pAuliNe tremblAy

uN remerciemeNt pArticulier à Myriam Krivine et Nicolas Marsan pour leur aide précieuse et sans faille tout au long de l’année.

merci À Sophie Monot, Hasna Moummad, Marie-odile Sépulchre, Aïcha Atigui, Isabelle Hanin, Mamoudou Ba, Christian Manant et l’ensemble des bénévoles et encadrants des structures qui nous accompagnent avec élan et dynamisme.

pArteNAires Les Restos du Cœur, CVS Paul Bert, CVS Aimé Césaire, association Acoform, association Label Histoire Mantes Val Fourré, ECM Chaplin, CCAS de Mantes-la-Ville, Service parentalité de la ville de Limay, Médiathèque de Limay, GRETA, Collège Albert Thierry.

Le carrÉ DanS La mare a été imprimé en mai 2018 sur les presses de l’imprimerie Wauquier à Bonnière-sur-Seine par le Collectif 12.Le carrÉ est souteNu dans le cadre de l'appel à projets national « Action culturelle et langue française »

174, bd du mAréchAl JuiN78 200 mANtes-lA-Jolietél. 01 30 33 22 65WWW.collectif12.org

le collectif 12 tieNt À remercier les artistes intervenants qui se sont encore une fois investis dans la mise en place de cette édition du Carré dans la Mare.

coordiNAtioN Éric Joly & Nicolas Marsan grAphisme Clémence Passot

le collectif 12 est fiNANcé pAr

Écoutez entre les lignes

68

Page 36: Le Carré dans la mare - Culture

carré dans la mare n°16 | à mi-chemin 717170 les Artistes du c12

Page 37: Le Carré dans la mare - Culture