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Population-F, 63 (3), 2008, MICHEL SETBON* ET JOCELYN RAUDE** Le chikungunya à La Réunion : facteurs sociaux, environnementaux et comportementaux en situation épidémique L’alerte épidémique qui a touché les îles de La Réunion et de Mayotte à partir de décembre 2005 a suscité dans ce département et ce territoire français d’outre-mer la mise en place d’une « cellule de coordination des recherches sur le chikungunya ». C’est dans ce cadre exceptionnel que l’enquête quantitative présentée ici a été conçue, pour donner lieu à une collecte dès mars 2006. Outre le recueil d’informations socio-démographiques et épidémiologiques (la contamination des personnes interrogées et de leurs proches), l’enquête explore les connaissances, les attitudes et les croyances des populations face à l’épidémie. Ainsi MICHEL SETBON et JOCELYN RAUDE nous livrent des résultats inédits qui permettent de préciser les facteurs de l’épidémie et révèlent un véritable modèle de vulné- rabilité à la contamination. Une telle démarche illustre les apports indiscutables de l’interdisciplinarité face à une urgence sanitaire. En février 2006, après plusieurs mois d’une croissance exponentielle du nombre de cas de chikungunya observés à La Réunion, les pouvoirs publics nationaux reconnaissaient l’existence d’une épidémie majeure et décrétaient la mobilisation. Le chikungunya est une maladie infectieuse virale (arbovirose) transmise par un moustique, Aedes albopictus, qui à partir d’une piqûre d’une personne dite en phase virémique, est susceptible de transmettre le virus à une ou plusieurs autres personnes lors d’une nouvelle piqûre. Cette maladie infec- tieuse encore mal connue car émergente était décrite jusqu’alors comme donnant lieu essentiellement à une forte fièvre, des céphalées et des arthralgies, évoluant dans les dix jours qui suivent la contamination vers une guérison spontanée. Au moment de l’épidémie, aucun vaccin ni traitement autre que symptomatique n’étaient disponibles (Parola et al. , 2006 ; Bodenmann et Genton, 2006). * Aix-Marseille Université, CNRS - LEST UMR 6123 et École des hautes études en santé publique, Centre interdisciplinaire sur le risque et sa régulation, Paris ** École des hautes études en santé publique, Centre interdisciplinaire sur le risque et sa régulation, Paris

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Population-F, 63 (3), 2008,

Michel Setbon* et Jocelyn Raude**

Le chikungunya à La Réunion : facteurs sociaux, environnementaux et

comportementaux en situation épidémique

L’alerte épidémique qui a touché les îles de La Réunion et de Mayotte à partir de décembre 2005 a suscité dans ce département et ce territoire français d’outre-mer la mise en place d’une « cellule de coordination des recherches sur le chikungunya ». C’est dans ce cadre exceptionnel que l’enquête quantitative présentée ici a été conçue, pour donner lieu à une collecte dès mars 2006. Outre le recueil d’informations socio-démographiques et épidémiologiques (la contamination des personnes interrogées et de leurs proches), l’enquête explore les connaissances, les attitudes et les croyances des populations face à l’épidémie. Ainsi Michel Setbon et Jocelyn Raude nous livrent des résultats inédits qui permettent de préciser les facteurs de l’épidémie et révèlent un véritable modèle de vulné-rabilité à la contamination. Une telle démarche illustre les apports indiscutables de l’interdisciplinarité face à une urgence sanitaire.

En février 2006, après plusieurs mois d’une croissance exponentielle du nombre de cas de chikungunya observés à La Réunion, les pouvoirs publics nationaux reconnaissaient l’existence d’une épidémie majeure et décrétaient la mobilisation. Le chikungunya est une maladie infectieuse virale (arbovirose) transmise par un moustique, Aedes albopictus, qui à partir d’une piqûre d’une personne dite en phase virémique, est susceptible de transmettre le virus à une ou plusieurs autres personnes lors d’une nouvelle piqûre. Cette maladie infec-tieuse encore mal connue car émergente était décrite jusqu’alors comme donnant lieu essentiellement à une forte fièvre, des céphalées et des arthralgies, évoluant dans les dix jours qui suivent la contamination vers une guérison spontanée. Au moment de l’épidémie, aucun vaccin ni traitement autre que symptomatique n’étaient disponibles (Parola et al., 2006 ; Bodenmann et Genton, 2006).

* Aix-Marseille Université, CNRS - LEST UMR 6123 et École des hautes études en santé publique, Centre interdisciplinaire sur le risque et sa régulation, Paris** École des hautes études en santé publique, Centre interdisciplinaire sur le risque et sa régulation, Paris

M. Setbon, J. Raude

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Deux traits caractérisent l’épidémie de chikungunya à La Réunion. Le premier est sa soudaineté couplée à une forte intensité inscrite dans une courte durée : entre le moment où l’épidémie est reconnue publiquement (fin 2005), celui où elle atteint son pic (avril 2006) et son tarissement, il s’est écoulé moins d’une année. Le second réside dans sa nouveauté, la maladie étant restée inconnue de la population de l’île.

Le virus du chikungunya (CHIKV) fut identifié pour la première fois dans la littérature biomédicale lors d’une épidémie survenue en Tanzanie en 1952 (Robinson, 1955). Depuis l’épisode tanzanien, plusieurs épidémies de chikun-gunya ont été ponctuellement rapportées en Afrique, en Asie et en Océanie (Thaikruea et al., 1997 ; Mackenzie et al., 2001). Plus récemment, entre juin 2004 et mars 2005, les résultats d’investigations épidémiologiques et entomologiques au Kenya et aux Comores ont confirmé l’émergence d’une épidémie de chikun-gunya due à la même souche de virus avec un taux d’attaque de près de 60 %. En octobre 2005, une vague épidémique s’est produite en Inde ; plus d’un million de cas causés par la même souche virale ont été enregistrés (Yergolkar et al., 2006). Enfin, en décembre 2006, des foyers épidémiques ont été rapportés en Indonésie, en Malaisie, au Sri Lanka, et dans les îles Maldives, et des cas importés ont été identifiés dans plusieurs pays européens et en Amérique du Nord.

L’épidémie réunionnaise est sans aucun doute la plus importante jamais documentée à ce jour dans la littérature scientifique. Il faut souligner que l’île de La Réunion bénéficie de moyens économiques, technologiques et médicaux incomparablement plus développés que ceux des autres pays touchés par l’épi-démie. Dans la mesure où l’exposition aux piqûres de moustique est une variable environnementale déterminante de la contamination, l’adoption de moyens de protection contre celles-ci est considérée comme un moyen efficace pour éviter la contamination. Ainsi, dès la fin de l’année 2005, des messages d’alerte assortis de recommandations visant à l’adoption de pratiques de protection contre les piqûres de moustique et à l’élimination des gîtes larvaires ont été régulièrement diffusés. Ils ont été rapidement suivis de campagnes de démoustication appuyées par des renforts venus de la métropole.

Dans ce cadre inédit, une cellule pluridisciplinaire de coordination des recherches sur le chikungunya a été mise en place en mars 2006. L’apport attendu des sciences sociales était d’identifier les facteurs associés à la contamination. Plus précisément, il s’agissait de montrer, dans un contexte d’exposition massive, dans quelle mesure l’épidémiologie du chikungunya peut s’interpréter en liaison avec les perceptions qu’ont les individus du risque de contamination, tout en vérifiant si certaines vulnérabilités sociales sont associées à la distribution de la maladie au sein de la population. Compte tenu de la rareté des travaux de sciences sociales utilisant des données épidémiologiques en situation épidémique, il est apparu nécessaire de s’appuyer sur un large cadre théorique afin de tester sans a priori la pertinence des cadres explicatifs dominants de la sociologie de la santé-maladie et ceux de la psycho-sociologie du risque.

le chikungunya à la Réunion

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I. Cadre théorique

Au cours des dernières décennies, de nombreux travaux en sciences sociales ont montré l’importance de la dimension psychosociale dans la morbidité liée aux maladies chroniques (diabète, cancer, hypertension, etc.) et infectieuses (sida, hépatites) (Skelton et Croyle, 1991 ; Moatti et al., 1994 ; Setbon, 1997). Plus récemment, l’attention portée aux déterminants psychosociaux des mala-dies et aux comportements des malades s’est élargie au risque, à travers la recherche des conditions sociales et individuelles qui conduiraient les popu-lations à s’exposer ou au contraire à éviter de le faire. Dans la littérature inter-nationale, on distingue deux approches dominantes dans l’explication de ces phénomènes en psychologie et en sociologie de la santé. La première met l’ac-cent sur les « représentations mentales » de la maladie ou sur la perception du risque d’en être atteint (les deux concepts désignant généralement l’ensemble des connaissances, des images, des croyances, des sentiments et des attitudes que les individus entretiennent par rapport à une pathologie ou à ses facteurs de risque). De nombreux travaux en psychologie cognitive et sociale ont montré l’importance des schèmes et des images mentales de la maladie dans l’adoption de comportements préventifs ou curatifs adaptés (pour une revue de la litté-rature, voir Petrie et Weinman, 1997). Ces représentations peuvent être consi-dérées comme la « substance » cognitive par laquelle les individus acquièrent et stockent les informations pertinentes sur les attributs de la maladie.

Les études empiriques réalisées sur les représentations des risques sanitaires tendent à montrer que ces dernières ont une influence considérable sur la sélec-tion et la performance des stratégies mises en œuvre pour prévenir et contrôler la maladie (Leventhal et al., 1984 ; Abraham et Sheeran, 1997). Au cours des dernières décennies, les représentations mentales de la maladie ont été intégrées de manière systématique dans les principales approches théoriques mobilisées en psychologie de la santé. Dans la littérature récente, elles occupent une place centrale notamment dans la théorie sociale cognitive de Bandura (SCT), le modèle des croyances sur la santé (HBM) de Rosenstock, la théorie des représentations sociales de Moscovici (TRS, 1984), ou encore le modèle du sens commun (MCS) de Leventhal. Des travaux plus anthropologiques ont également souligné l’im-portance des représentations du corps et de la maladie dans l’adoption de mesures de protection individuelle – en particulier face au risque de contamination par le VIH (Douglas et Calvez, 1990 ; Liddell et al., 2005).

Parmi les recherches plus influentes dans le domaine de la psychologie de la santé, les travaux de l’équipe de Leventhal (1980) ont mis en évidence cinq dimensions fondamentales de ces représentations de la maladie. Il s’agit 1) de l’identité de la maladie, c’est-à-dire l’identification de la pathologie et la per-ception des symptômes associés, 2) des causes de la maladie qui correspondent aux croyances sur les mécanismes à l’origine de la pathologie, 3) de la tempo-ralité de la maladie qui concerne les croyances sur la durée et/ou la périodicité

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de la pathologie, 4) des conséquences qui renvoient aux manifestations pré-sumées ou expérimentées de la maladie (lesquelles peuvent être résumées par un jugement sur la gravité) et 5) de la contrôlabilité perçue de la maladie qui résulte des croyances sur la capacité à guérir ou – dans le cas des maladies infectieuses – à éviter la contamination par l’adoption de comportements de protection adaptés. Même si le modèle du sens commun de Leventhal a été initialement conçu pour l’étude des maladies chroniques, il fournit des outils conceptuels pertinents pour analyser les images et les croyances relatives aux maladies infectieuses et au risque d’en être affecté. Les travaux plus récents sur le risque perçu s’inscrivent dans un modèle qui fait des comportements adoptés face au risque d’être contaminé la variable dépendante d’une « ratio-nalité affective » (Slovic et al., 2004). Dans ce modèle, la connaissance exogène (biomédicale et normative) a moins de poids que la connaissance endogène fondée sur l’expérience personnelle (Zajonc, 1984 ; Kahneman et al., 1982 ; Finucane et al., 2000), l’influence du sentiment de peur ou d’inquiétude que suscite la maladie elle-même (Loewenstein, 2001). Les deux points critiques autour desquels s’organisent la majorité des débats scientifiques sur la percep-tion du risque sont, d’une part, la transférabilité d’un risque à l’autre des variables explicatives et, d’autre part, le caractère prédictif du risque perçu sur les comportements (Brewer et al., 2007).

La seconde approche s’intéresse à l’influence des facteurs « objectifs », c’est-à-dire principalement des déterminants sociaux, économiques et démo-graphiques, sur la prévalence des maladies dans une population donnée. Dans cette perspective théorique, on cherche à montrer que les variations indivi-duelles observées dans la morbidité et la mortalité recouvrent bien souvent les inégalités sociales. En effet, de nombreux travaux en sciences sociales tendent à indiquer que l’exclusion, l’échec scolaire, la pauvreté, les expériences trau-matisantes ou l’environnement familial sont des facteurs récurrents dans l’explication des conduites à risque et des modes de vie pathogènes (pour une revue approfondie de ces questions, voir Leclerc et al., 2000). Ainsi, l’analyse des données épidémiologiques issues de la fameuse cohorte Whitehall II (qui comprend plus de 10 000 fonctionnaires britanniques suivis sur le plan médico-sanitaire depuis 1985) débouche sur le constat selon lequel le statut socio-économique constitue – après ajustement sur les autres variables explicatives – le meilleur prédicteur statistique de l’état de santé des populations (Marmot et Brunner, 2005).

D’une manière générale, même si la plupart des recherches et des théories psychologiques citées plus haut se concentrent sur les caractéristiques des perceptions et connaissances ou croyances relatives au risque et à la maladie, la majorité des auteurs reconnaissent volontiers que les représentations men-tales varient fréquemment selon les individus et les groupes en fonction de critères « sociologiques » comme le niveau d’instruction ou l’environnement familial (Diefenbach et Leventhal, 1996). Pour de nombreux chercheurs en

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sciences sociales, il ne faut pas seulement se contenter d’étudier les représen-tations individuelles du risque. Il faut aussi comprendre comment les personnes attribuent un sens aux menaces sanitaires qu’elles rencontrent au cours de leur vie et comment ces processus sont influencés par les représentations des autres membres de leur communauté, ainsi que par les structures culturelles et institutionnelles existantes (Joffe, 1996 ; Lau, 1997). Dans la littérature récente, on recense pourtant peu de travaux sur les représentations de la maladie, les comportements de prévention (ou thérapeutiques) et les états de santé qui prennent en compte la dimension sociale du problème. Tout se passe comme si chaque approche ignorait ostensiblement les interactions possibles entre les différents niveaux d’explication.

À partir des données issues d’une enquête réalisée en 2006 à La Réunion, nous nous proposons d’identifier les principaux déterminants sociaux, psychologiques, environnementaux et comportementaux qui permettent de distinguer les personnes qui ont été contaminées de celles qui ne l’ont pas été. La question posée est la suivante : comment expliquer la distribution épidémio-logique observée, compte tenu du fait que la contamination pourrait être le produit d’une (sur)exposition aux moustiques et/ou d’une (sous)protection indi-viduelle ? L’objectif visé est double : d’une part, identifier les facteurs explicatifs de la contamination en croisant les données épidémiologiques avec l’ensemble des données subjectives et objectives se rapportant aux personnes et proposer un modèle qui les prenne en compte ; d’autre part, tester la pertinence relative des cadres théoriques dominants sur la vulnérabilité sociale face au risque et à la maladie et sur la perception (individuelle) du risque et de la maladie dans le cadre de cette situation épidémique inédite. Il faut rappeler qu’à notre connais-sance, il n’existe pas de travaux de recherche ayant porté sur des situations épidémiques d’une telle ampleur, et ce, quasiment en temps réel.

II. Données et méthode

Une enquête quantitative par questionnaire a été effectuée sur la base d’une enquête qualitative préalablement menée à La Réunion en mars 2006 qui comportait deux volets : d’une part, la réalisation d’entretiens semi-directifs avec des responsables administratifs, hospitaliers et associatifs de l’île de La Réunion (Direction régionale des affaires sanitaires et sociales, Cellule inter-régionale d’épidémiologie, Lutte anti-vectorielle, médecins et responsables d’associations locales impliquées dans la lutte contre le chikungunya) ; d’autre part, l’organisation de groupes de discussion de 10 à 20 personnes, incluant des personnes infectées et indemnes, réunies pour débattre du sujet sous tous ses aspects et qui ont eu lieu à Saint-Denis, Saint-Pierre et Saint-André.

Les enseignements de l’enquête qualitative et des groupes de discussion ont été mis à profit pour élaborer le questionnaire de l’enquête quantitative. La société IPSOS océan indien a été chargée de la passation du questionnaire

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par téléphone auprès d’un échantillon de 1 035 personnes représentatives de la population réunionnaise âgée de 15 ans ou plus. Il s’agit d’une enquête par quotas sur le sexe, l’âge, la catégorie socioprofessionnelle (CSP) après stratifi-cation sur les zones géographiques et les communes de l’île. Le questionnaire, d’une durée moyenne de passation d’environ 30 minutes, comprend une cen-taine de questions fermées et quelques questions ouvertes pré-codées. Après une enquête pilote réalisée du 2 au 8 mai 2006 afin de valider la formulation des questions et d’enrichir la liste des réponses possibles pour les questions ouvertes pré-codées, les entretiens ont été effectués du 10 mai au 10 juin 2006. Les données ont été exploitées à l’aide du logiciel SPSS.

Outre les variables sociodémographiques habituellement recueillies dans ce type d’enquête, les données collectées peuvent être regroupées dans les 8 grandes rubriques suivantes : (1) les malades et la maladie, (2) la perception du risque lié au chikungunya, (3) la perception de l’efficacité des mesures de protection, (4) la perception du risque lié aux insecticides, (5) les comportements de pro-tection rapportés, (6) les croyances autour de la maladie, (7) la confiance dans l’action publique et (8) les attitudes et valeurs. Les principales questions relatives aux perceptions, aux comportements et aux croyances utilisées dans cet article sont reproduites en annexe. Seuls sont présentés les résultats qui se sont avérés en rapport avec la contamination, tout en accordant une place particulière à ceux qui visent à identifier la perception du risque. En effet, l’hypothèse selon laquelle le risque perçu joue un rôle dans les comportements face au risque (ici de conta-mination) demandait à être vérifiée dans cette situation inédite.

III. Expérience de la maladie et perception du risque

Notre enquête est la première à avoir proposé une estimation du nombre de personnes infectées par le virus du chikungunya sur l’île de La Réunion. Parmi les 1 035 individus interrogés au mois de mai 2006, 41,6 % déclaraient avoir ou avoir eu la maladie lors de l’enquête(1). Les données collectées sur les autres membres du ménage permettent par ailleurs d’établir à 38 % le taux de prévalence de la maladie pour l’ensemble de la population(2). Ce taux s’est avéré conforme à celui obtenu plusieurs mois plus tard à l’issue d’une grande enquête de séro-prévalence réalisée par le Centre d’investigation et d’épidémiologie clinique de La Réunion. Selon les responsables de l’étude (Favier et al., 2007), la prévalence du chikungunya au sein de la population réunionnaise serait également – après ajustement sur le sexe, l’âge et l’habitat – de 38 % (entre 36 % et 41 % si l’on prend en compte la marge d’erreur pour un intervalle de confiance à 95 %).

(1) Les enquêtés étaient invités à répondre à la question suivante : « Vous-même, avez-vous eu ou avez-vous le chikungunya ? »

(2) Le taux de 38 % est calculé en divisant le nombre total de personnes atteintes (n = 1 366) par le nombre total de personnes dans les ménages (N = 3 617), sachant que la prévalence est la même quelle que soit la taille du ménage et qu’il est donc possible d’estimer la proportion de personnes atteintes sans pondérer l’échantillon.

le chikungunya à la Réunion

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Par ailleurs, sur la base des déclarations de la date de contamination des personnes infectées par le chikungunya, il a été possible de reconstituer la courbe de l’épidémie(3), mettant en évidence 1) une progression exponentielle de la maladie à partir du mois de septembre 2005, 2) un pic épidémique au mois de janvier 2006, et 3) une diminution progressive de l’incidence de la maladie après cette date. Ces données se sont révélées conformes à celles obtenues par le réseau d’épidémio-surveillance local, sur la base d’une métho-dologie différente (déclaration des médecins sentinelles).

La perception du risque désigne l’ensemble des jugements qualitatifs et quantitatifs que les individus expriment lorsqu’on leur demande d’évaluer un produit ou une activité dangereuse (Slovic, 1987, p. 280). Pour caractériser la perception du « risque chikungunya » au sein de la population réunionnaise, nous avons demandé aux personnes interrogées dans le cadre de l’enquête de nous préciser : 1) leur évaluation de la gravité de la maladie ; 2) leur estimation de l’amplitude de l’épidémie ; 3) leur degré d’inquiétude vis-à-vis de la maladie, et 4) comment ils situaient la maladie sur une échelle de risques sanitaires.

La gravité de la maladie : les enquêtés étaient invités à évaluer la gravité du chikungunya en lui attribuant une note de 0 à 10 (la note 0 indiquant que la maladie n’était pas grave du tout et la note 10 qu’elle était très grave). D’une manière générale, la maladie semble être perçue comme assez grave : la note moyenne de gravité sur notre échantillon s’établit à 7,8 sur 10 (médiane = 8), plus de 25 % des répondants lui ayant attribué la note maximum.

L’amplitude de la maladie : les enquêtés étaient invités à estimer ensuite la proportion de la population réunionnaise qu’ils pensaient contaminée par le chikungunya. Les résultats tendent à montrer que l’amplitude de l’épidémie est largement surestimée par les personnes interrogées. La proportion estimée de personnes contaminées serait en moyenne de 53 % pour notre échantillon (médiane = 50 %). Plus d’un enquêté sur quatre estime même que la prévalence de la maladie serait supérieure ou égale à 70 %.

L’inquiétude liée à la maladie : les enquêtés étaient invités à exprimer leur niveau d’inquiétude personnelle vis-à-vis du chikungunya en lui attribuant une note de 0 à 10 (la note 0 signifiant qu’ils n’étaient pas du tout inquiets et la note 10 qu’ils étaient très inquiets). En moyenne, l’inquiétude de la population réunionnaise vis-à-vis du chikungunya semble relativement modérée. La note moyenne d’inquiétude s’élève à 6,6 sur notre échantillon (médiane = 8). On notera toutefois que près de 25 % des enquêtés attribuent au chikungunya le score maximal (contre 7 % qui lui attribuent le score minimal). Il existe donc une grande variabilité dans la réponse émotionnelle à la maladie.

L’échelle de risques sanitaires : les enquêtés étaient également invités à exprimer leur niveau d’inquiétude personnelle vis-à-vis de 6 autres risques sanitaires en leur attribuant de la même manière une note de 0 à 10 : le sida,

(3) Les enquêtés infectés par le chikungunya étaient invités à préciser le mois des premiers symptô-mes, la quasi-totalité des cas s’étalant entre les mois de février 2005 et d’avril 2006.

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les accidents de la route, les cyclones et les tempêtes tropicales, les maladies liées au tabagisme, les produits chimiques dans l’alimentation et les maladies nutritionnelles. Cette technique permet de situer l’inquiétude liée au chikun-gunya dans un contexte plus large de risques sanitaires multiples auxquels les Réunionnais sont exposés. Le chikungunya occupe une position intermédiaire dans l’échelle de risque à un niveau comparable à celui du sida avec la même note moyenne, soit 6,6. Ces deux risques suscitent moins d’inquiétude que les accidents de la route, les produits chimiques et les maladies nutritionnelles, mais plus que les maladies liées au tabagisme, les cyclones et les tempêtes tropicales.

Tableau 1. Prévalence du chikungunya par catégorie sociodémographique

Variables sociodémographiques EffectifRépartition

(%)Prévalence

(%)Khi2

Sexe

Homme 484 46,8 41,3n. s.

Femme 551 53,2 41,9

Groupe d’âges

15-29 ans 326 31,5 38,0

< 0,0530-44 ans 370 35,7 40,3

45-59 ans 200 19,3 51,0

60 ans et plus 139 13,5 40,3

Lieu de naissance

Métropole 138 13,3 23,9< 0,001

La Réunion 831 80,3 46,1

Type d’habitat

Individuel 834 80,6 47,0< 0,001

Collectif 201 19,4 19,4

Niveau de diplôme

Instruction primaire 220 21,3 49,1

< 0,001BEPC,BEP,CAP 357 34,5 46,5

Baccalauréat 218 21,1 37,2

Bac+2 ou plus 240 23,2 30,0

Catégorie socioprofessionnelle

Élève, étudiant 191 18,5 35,6

< 0,01

Cadre, employé 379 36,6 37,5

Ouvrier, agriculteur 152 14,7 55,9

Chômeur 219 21,2 45,2

Retraité 94 9,1 39,4

Taille du ménage

1 personne 80 7,7 42,5

n. s.

2 personnes 202 19,5 39,1

3 personnes 236 22,8 41,9

4 personnes 268 25,9 38,8

5 personnes ou plus 249 24,1 46,2

Ensemble 1 035 100,0 41,6

Source : enquête sur l’épidémie de chikungunya à La Réunion en 2005-2006.

le chikungunya à la Réunion

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Nous avons regroupé les principaux résultats descriptifs en relation avec la contamination selon trois catégories : les variables sociodémographiques, les variables « subjectives » (croyances, attitudes, valeurs, confiance, etc.) et enfin celles qui rendent compte des comportements de protection déclarés.

Dans un premier temps, nous avons cherché à identifier parmi les variables sociodémographiques celles qui étaient associées à la prévalence de la maladie. Les résultats obtenus sur la base du test du khi2 sont présentés dans le tableau 1. On peut constater que le lieu de naissance, le niveau scolaire, l’âge, la catégorie socioprofessionnelle et l’habitat sont significativement associés au taux de prévalence de la maladie (p < 0,05). En revanche, le sexe et la taille du ménage ne semblaient pas significativement associés au risque de contamination par le virus. D’une manière générale, on observe que la maladie sévit de façon socialement discriminante, les catégories aisées étant en moyenne moins atteintes que les catégories défavorisées. À ce stade, il reste toutefois difficile de déterminer si ces différences traduisent des variations dans l’exposition au risque qui résultent de facteurs environnementaux (l’exposition aux mousti-ques) ou des différences dans les stratégies et les actions de prévention mises en œuvre par les individus (via des connaissances plus ou moins adaptées à la lutte contre le vecteur infectieux).

Dans un deuxième temps, on a cherché à déterminer dans quelle mesure les variables subjectives ou « psychologiques » sont prédictives du risque de contamination par le virus du chikungunya. Le contenu de ces variables avait été précisé lors de la phase qualitative de la recherche au cours de laquelle ont été identifiées un certain nombre d’attitudes et de croyances relatives à l’épi-démie, reprises dans notre questionnaire. Présentées aux personnes interrogées sous forme de propositions ou d’assertions, elles portent sur les dimensions perceptives mises en évidence dans la littérature récente, c’est-à-dire l’origine, la nature, la temporalité, la gravité, l’amplitude et le mode de transmission de la maladie, ainsi que la contrôlabilité du risque et la confiance accordée aux pouvoirs publics dans la gestion de la crise (cf. annexe). Pour chacune de ces propositions, les enquêtés devaient nous indiquer s’ils étaient « tout à fait », « plutôt », « plutôt pas » ou « pas du tout » d’accord (échelle d’adhésion ordi-nale). Pour éviter les habituels « biais d’acquiescement », nous avons veillé à alterner – dans la mesure du possible – les formulations positives et négatives des items de notre questionnaire (Schuman et Presser, 1996). Afin de faciliter l’analyse statistique, les réponses obtenues ont ensuite été regroupées en deux modalités principales (l’une positive et l’autre négative). Nous avons examiné l’association statistique entre ces variables et le risque de contamination en comparant le taux de prévalence de la maladie pour chacun de ces deux groupes de réponses. Les résultats de l’analyse bivariée et des tests du khi-deux sont présentés dans le tableau 2.

M. Setbon, J. Raude

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Tableau 2. Prévalence du chikungunya (CHIK) selon les croyances et les perceptions relatives à la maladie

Variables cognitives EffectifRépartition

(%)Prévalence

(%)Khi2

Le CHIK se transmet uniquement par la piqûre de moustiques

D’accord 759 73,3 38,7< 0,01

Pas d’accord 230 22,2 49,1

On peut attraper le CHIK par contacts humains

D’accord 339 32,8 48,4< 0,001

Pas d’accord 660 63,8 37,7

Le virus du CHIK peut être présent dans l’air que l’on respire

D’accord 363 35,1 50,7< 0,001

Pas d’accord 633 61,2 35,2

On peut éviter le CHIK par des mesures de protection personnelles

D’accord 764 73,8 37,0< 0,001

Pas d’accord 261 25,2 54,0

Cela ne sert à rien de se protéger contre le CHIK

D’accord 261 25,2 49,4< 0,01

Pas d’accord 765 73,9 38,7

On peut faire confiance aux estimations officielles

D’accord 441 42,6 42,6n. s.

Pas d’accord 576 55,7 40,3

Le plus gros de l’épidémie est derrière nous

D’accord 545 52,7 42,7n. s.

Pas d’accord 476 46,0 39,7

Les pouvoirs publics ont fait tout leur possible pour enrayer la progression du CHIK

D’accord 553 53,4 42,4n. s.

Pas d’accord 446 43,1 40,5

Le CHIK a été introduit intentionnellement par des agents secrets

D’accord 259 25,0 51,0< 0,001

Pas d’accord 706 68,2 38,4

Le CHIK a été apporté par les corps des victimes du tsunami

D’accord 325 31,4 50,8< 0,001

Pas d’accord 658 63,6 37,1

Le CHIK a été apporté par les membres d’un bateau en quarantaine

D’accord 605 58,5 46,3< 0,001

Pas d’accord 376 36,3 35,1

Ce qui doit arriver doit arriver, quoiqu’on y fasse…

D’accord 551 53,2 45,0< 0,01

Pas d’accord 470 43,5 37,2

Gravité perçue du CHIK (Note sur 20)

Note < 4 28 2,7 46,4

n. s.Note < 7 209 20,2 41,6

Note ≥ 7 784 75,7 41,7

Magnitude perçue du CHIK (en % de la population)

Prévalence < 34 % 257 24,8 30,0

< 0,001Prévalence < 67 % 415 40,1 42,2

Prévalence ≥ 67 % 323 31,2 49,2

Ensemble 1 035 100,0 41,6

Source : enquête sur l’épidémie de chikungunya à La Réunion en 2005-2006.

le chikungunya à la Réunion

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Ces résultats tendent à montrer, conformément aux données de la littéra-ture, qu’il existe bien une relation très significative entre un certain nombre de variables « subjectives » introduites dans notre enquête et la contamination par le virus du chikungunya (p < 0,01). D’une manière générale, les représen-tations sur la nature et l’origine de la maladie semblent constituer de bons facteurs prédictifs de la prévalence de la maladie : la différence de contamina-tion entre les deux groupes est toujours supérieure à 10 points chez les répon-dants qui partagent des croyances sur le chikungunya que nous pourrions qualifier de « non orthodoxes ». Ainsi, plus de 48 % des enquêtés qui partagent l’idée selon laquelle on peut attraper le chikungunya par contacts humains ont été contaminés par le virus (contre seulement 38 % de ceux qui pensent le contraire). De même, les croyances relatives à la contrôlabilité de la maladie semblent avoir une influence considérable sur le taux de contamination. Ainsi, seulement 37 % des personnes qui adhèrent à la proposition selon laquelle on peut éviter le chikungunya par des mesures de protection personnelles ont été infectées par le virus (contre 54 % des personnes qui pensent le contraire).

En revanche, les variables « subjectives » qui portent sur la perception de la gravité et sur l’inquiétude face au risque infectieux ne permettent pas de discriminer significativement les deux groupes de répondants (p > 0,05)(4). Ce résultat est relativement surprenant dans la mesure où de nombreux travaux empiriques – essentiellement dans le champ économique et psychologique – tendent à montrer que ces deux dernières dimensions constituent des variables centrales dans l’adoption de mesures de protection face au risque (Slovic, 1999).

Enfin, dans un troisième temps, l’hypothèse d’un lien entre le niveau de protection individuelle (ici déclaré) et la distribution de la contamination au sein de la population réunionnaise a été testée. Cette hypothèse, retenue lors de l’élaboration de l’enquête, a été corroborée par les résultats de l’analyse sociodémographique de la distribution de la maladie. Après une série de ques-tions sur le jugement qu’ils portaient quant à l’efficacité des moyens de protec-tion, il leur était demandé – dans un second temps – avec quelle fréquence ils utilisaient les 6 moyens de protection contre les moustiques recommandés par les pouvoirs publics : bombes insecticides, destruction des gîtes larvaires, serpentins et diffuseurs insecticides, sprays et crèmes répulsifs, moustiquaires et ventilateurs. Pour chacun de ces items, les enquêtés étaient invités à nous dire s’ils l’utilisaient « jamais », « parfois » ou « souvent ». Ces résultats ont été croisés avec les antécédents déclarés d’infection (contaminé ou indemne) ; ils sont présentés dans le tableau 3.

(4) Elles ne sont donc pas reprises dans les tableaux.

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Tableau 3. Prévalence du chikungunya selon le niveau de protection déclarée

Variables comportementales EffectifRépartition

(%)Prévalence

(%)Khi2

Protection personnelle antérieure à l’apparition de la maladie

Non 697 67,3 40,5n. s.

Oui 337 32,6 44,2

Protection personnelle postérieure à l’apparition de la maladie

Non 321 31,0 44,6n. s.

Oui 714 69,0 40,9

Protection des proches postérieure à l’apparition de la maladie(a)

Non 166 17,3 45,5n. s.

Oui 789 82,6 39,9

Utilisation de crèmes et sprays répulsifs

Jamais 351 33,9 48,1

< 0,01Parfois 246 23,8 42,7

Souvent 438 42,3 35,8

Utilisation de bombes insecticides

Jamais 336 32,5 46,5

< 0,1Parfois 327 31,6 40,7

Souvent 372 35,9 37,2

Utilisation de diffuseurs insecticides

Jamais 109 10,5 41,3

n. s.Parfois 187 18,1 38,5

Souvent 739 71,4 42,5

Utilisation de moustiquaires

Jamais 709 68,5 41,9

n. s.Parfois 104 10,0 36,5

Souvent 222 21,4 43,2

Utilisation de ventilateurs

Jamais 481 46,5 40,7

n. s.Parfois 200 19,3 42,5

Souvent 354 34,2 42,4

Destruction des gîtes larvaires

Jamais 278 26,9 35,6

< 0,1Parfois 172 16,6 41,3

Souvent 585 56,5 44,6

Ensemble 1 035 100,0 41,6(a) Répondants appartenant à des ménages composés d’au moins deux personnes (n = 955).Source : enquête sur l’épidémie de chikungunya à La Réunion en 2005-2006.

D’une manière générale, les résultats sont apparus relativement décevants pour tous les modes de protection à l’exception de l’un d’eux : les produits répulsifs. Seule l’utilisation des sprays et des crèmes s’affirme comme un moyen de protection vraiment efficace contre les piqûres de moustique et donc contre le virus du chikungunya. Ainsi, alors que 36 % des répondants qui déclarent utiliser souvent cette protection ont été contaminés par le virus, 48 % de ceux

le chikungunya à la Réunion

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qui ne les utilisent jamais l’ont été, soit une différence de 12 points. Cette différence est statistiquement très significative (p = 0,002). Notons que cet effet protecteur persiste même lorsqu’on contrôle – à travers le type d’habitat – la variable environnementale, c’est-à-dire in fine l’exposition aux moustiques.

Toutefois, si certains modes de protection individuelle (l’utilisation fré-quente de sprays et crèmes répulsifs) s’avèrent discriminants par leur efficacité, il est nécessaire d’identifier les facteurs capables d’expliquer ce type de com-portement : quelles sont, parmi les variables étudiées, celles qui permettent d’expliquer les différences observées dans la distribution de la contamination ? Le croisement de toutes les variables subjectives étudiées dans le questionnaire avec la contamination a permis de mettre en évidence trois principaux facteurs qui tendent à moduler la probabilité de la contamination à travers le niveau de protection. Il s’agit du sentiment de contrôle, des croyances alternatives sur les modes de contamination et d’une attitude fataliste.

Dans quelle mesure les facteurs « subjectifs » mis en évidence constituent-ils des déterminants primaires ou des déterminants secondaires de la conta-mination par le chikungunya par rapport aux variables « objectives » ? On ne peut exclure a priori l’hypothèse selon laquelle les représentations mentales de la maladie constituent seulement des « marqueurs » du statut socioculturel ou socioéconomique. Pour neutraliser ces « facteurs de confusion » potentiels, il est possible de mettre en œuvre des modèles de régression logistique qui permettent de vérifier si un facteur explicatif a vraiment une influence spéci-fique – après ajustement sur d’autres facteurs – sur la variable que l’on cherche à expliquer.

IV. Les déterminants de la contamination

Afin de mieux préciser l’influence des variables sociologiques, psychologiques et comportementales sur la contamination par le virus du chikungunya, nous avons mis en œuvre des régressions logistiques. Pour limiter le nombre de varia-bles explicatives, nous n’avons retenu dans nos modèles – conformément à l’usage en sciences économiques et sociales – que les variables pour lesquelles les dif-férences de contamination par le virus du chikungunya étaient significatives au seuil de 10 % (ou moins). La variable expliquée est la probabilité d’avoir été infecté lors de l’épidémie. Par ailleurs, pour faciliter l’analyse, toutes les variables expli-catives ont été dichotomisées. L’introduction des variables a été faite en trois étapes qui permettent d’aboutir à trois modèles successifs.

Dans un premier temps, nous avons testé l’influence des principales varia-bles sociodémographiques : groupe d’âges, lieu de naissance, type d’habitat, niveau de diplôme et profession du répondant. Les odds ratios (OR) mesurent l’influence de chaque variable sur la probabilité d’être contaminé « toutes choses égales par ailleurs », c’est-à-dire en contrôlant l’effet des autres variables intro-duites dans le modèle. Les résultats (tableau 4) indiquent que le type d’habitat

M. Setbon, J. Raude

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(individuel ou collectif) est, dans ce premier modèle, très significativement associé à la contamination. Les personnes qui vivent dans une maison – le plus souvent avec un jardin – ont une probabilité nettement plus forte d’avoir été contaminées que celles qui vivent en appartement (OR = 3.50 ; p < 0,001). Le niveau scolaire, le lieu de naissance et la profession sont également associés à la probabilité d’avoir contracté la maladie (OR = 0,69, 1,92 et 1,80 respecti-vement ; p < 0,01). Même si ces variables sont corrélées les unes aux autres,

Tableau 4. Facteurs associés à la probabilité d’avoir été contaminé par le virus du chikungunya lors de l’épidémie

de 2005-2006 à La Réunion (odds ratios)

Variables indépendantesModèle 1 Modèle 2 Modèle 3

OR p OR p OR p

Variables sociodémographiques

Groupe d’âges 1,34 n. s. 1,31 n. s. 1,28 n. s.

Lieu de naissance 1,92 < 0,01 1,59 < 0,05 1,56 n. s.

Type d’habitat 3,50 < 0,001 3,44 < 0,001 3,33 < 0,001

Profession 1,80 < 0,01 1,77 < 0,01 1,71 < 0,01

Niveau de diplôme 0,69 < 0,01 0,82 n. s. 0,84 n. s.

Variables cognitives

Transmission uniquement par les moustiques 0,99 n. s. 1,00 n. s.

Transmission possible par contacts humains 1,27 n. s. 1,30 n. s.

Le virus est présent dans l’air que l’on respire 1,18 n. s. 1,16 n. s.

Le virus peut être contrôlé individuellement 0,59 < 0,001 0,60 < 0,001

Les protections contre le virus sont inutiles 1,17 n. s. 1,13 n. s.

Le virus a été introduit par des agents 1,16 n. s. 1,14 n. s.

Le virus a été apporté par le tsunami 1,12 n. s. 1,16 n. s.

Le virus a été apporté par un équipage 1,30 n. s. 1,31 n. s.

Variables comportementales

Utilisation de crèmes et/ou de sprays répulsifs 0,71 < 0,05

Utilisation de bombes insecticides 0,83 n. s.

Destruction des gîtes larvaires 1,12 n. s.

Pseudo-R² de Nagelkerke 0,118 0,153 0,163

Modèle 1 : Groupe d’âges (45 à 60 ans = 1, autre =0), lieu de naissance (La Réunion = 1, autre = 0), type d’habitat (individuel = 1, collectif = 0), profession (ouvrier ou agriculteur = 1, autre = 0), niveau de diplôme (supérieur ou égal à bac + 2 = 1, autre = 0). Modèle 2 : Le moustique est l’unique cause de contamination par le virus du chikungunya (d’accord = 1, autre = 0). Le virus du chikungunya peut se transmettre par contact entre humains (d’accord = 1, autre = 0). Le virus du chikungunya est dans l’air (d’accord = 1, autre = 0). Le virus du chikungunya peut être évité par des mesures de protection personnelles (d’accord = 1, autre = 0). Il est inutile de se protéger contre le virus du chikungunya (d’accord = 1, autre = 0). Le virus du chikungunya a été apporté à La Réunion par des agents secrets (d’accord = 1, autre = 0). Le virus du chikungunya a été apporté par les victimes du tsunami (d’accord = 1, autre = 0). Le virus du chikungunya a été apporté par un équipage en quarantaine (d’accord = 1, autre = 0).Modèle 3 : Usage de sprays et crèmes répulsives (souvent/parfois = 1, autre = 0). Usage de bombes insecticides (souvent/parfois = 1, autre = 0). Mesures prophylactiques contre gîtes larvaires (souvent/parfois = 1, autre = 0). Lecture : un odds ratio supérieur à 1 (resp. inférieur à 1) et statistiquement significatif indique que l’on est en présence d’un facteur qui accroît (resp. réduit), par rapport à la modalité de référence, la probabilité d’avoir été contaminé par le virus du chikungunya.Source : enquête sur l’épidémie de chikungunya à La Réunion en 2005-2006.

le chikungunya à la Réunion

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elles semblent ainsi conserver un pouvoir explicatif propre sur la contamination par le virus du chikungunya. En revanche, l’âge ne présente plus de relation significative avec la probabilité de contamination (p > 0,05), dès lors que l’on contrôle les autres variables sociodémographiques. La valeur du coefficient de régression multiple de ce premier modèle est toutefois relativement modeste (pseudo-R² de Nagelkerke = 12 %). Les variables « objectives » n’expliquent donc qu’une petite partie de la variance de la contamination déclarée par les enquêtés.

Dans une seconde étape, nous avons introduit dans le modèle les différentes variables « psycho-cognitives » pour lesquelles l’analyse descriptive avait montré des différences statistiques significatives (au seuil de 10 %) dans la prévalence de la maladie. D’une manière générale, les résultats de l’analyse de régression logistique permettent de mettre en évidence à ce stade deux phé-nomènes. Il s’agit, d’une part, de la robustesse de l’influence du type d’habitat (OR = 3,44, p < 0,001) et de la catégorie socioprofessionnelle (OR = 1,77 ; p < 0,01) et, d’autre part, de l’affaiblissement de celui des variables sociodémo-graphiques que sont le lieu de naissance et le niveau de diplôme. L’introduction des variables psycho-cognitives dans notre modèle tend à neutraliser l’effet de l’appartenance à des catégories socioculturelles sur le taux de contamination. Cela signifie que la structure des représentations mentales de la maladie cor-respond – au moins en partie – à la structure socioculturelle de la population réunionnaise. On notera par ailleurs que parmi les différentes variables cogni-tives introduites dans notre second modèle, seule la « contrôlabilité perçue de la maladie » apparaît significativement associée à la contamination (OR = 0,59 ; p < 0,001).

Enfin, la troisième étape a consisté à introduire certaines variables com-portementales dans le modèle. Cette introduction ne modifie qu’en partie les résultats obtenus dans le deuxième modèle. En effet, seule l’absence d’utilisation de sprays et crèmes corporels est significativement associée à la probabilité de contamination par le virus (OR = 0,71 ; p < 0,001). Au total, l’ensemble de ces variables comportementales ne permet d’expliquer qu’une petite partie de la variance de la contamination individuelle (le pseudo-R² de Nagelkerke passe de 15 % à 16 % seulement lorsqu’elles sont incluses dans le modèle).

V. Discussion

L’enquête réalisée sur un échantillon représentatif de la population de l’île de La Réunion lors de l’épidémie de chikungunya de 2005-2006 représente une tentative originale d’identification des facteurs déterminants de la conta-mination par le virus, via son vecteur l’Aedes albopictus. Pour cela, l’ensemble des données objectives et subjectives susceptibles de rendre compte des condi-tions d’exposition, des perceptions et des comportements face au chikungunya ont été explorées. L’exposé des principaux résultats fait émerger un certain

M. Setbon, J. Raude

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nombre de constats, confirme ou nuance certaines théories largement étayées dans la littérature sur la perception du risque et les représentations de la maladie et ouvre de nouvelles pistes de recherche.

Les constats les plus importants sont de trois ordres. En premier lieu, les résultats concernant la déclaration de la maladie sont d’une excellente préci-sion, rarement atteinte. Si l’on prend en compte les réponses à la question portant sur le nombre de personnes atteintes dans le ménage (et non pas seu-lement la déclaration sur le statut des répondants de 15 ans ou plus), le taux de personnes contaminées dans l’ensemble de la population s’établit à 38 %, ce qui correspond aux chiffres publiés par le dispositif d’épidémio-surveillance (Institut de veille sanitaire-CIRE, 2006), alors qu’une enquête épidémiologique ultérieure (Favier et al., 2007) aboutit au même taux de 38 %. De même, la courbe épidémique reconstituée sur la base des déclarations (la date de conta-mination par le virus du chikungunya) reproduit de façon quasi identique celle publiée par l’Institut de veille sanitaire, ce qui atteste de la qualité et de la précision des réponses fournies par les personnes de notre échantillon. Cette précision s’explique en grande partie par le fait que 81 % des enquêtés déclarent avoir consulté un médecin, même si seuls 27 % d’entre eux déclarent avoir eu un prélèvement sanguin. Parmi ces derniers, le résultat connu ne s’est avéré positif que dans 53 % des cas, 11 % des malades symptomatiques déclarant que le résultat a été négatif. Les 36 % restants ont répondu « résultat non communiqué » (22 %) ou « ne sait pas » (14 %).

Le second constat concerne l’importance que joue la variable « exposition ». En effet, l’association entre la variable environnementale « habiter une maison individuelle avec un jardin » et la contamination se révèle de loin la plus forte (l’odds ratio est de 3,50 dans le modèle 1). Cela conduit à deux considérations : d’une part, cette variable témoigne d’une exposition à la fois large et d’origine domestique, cohérente avec les données entomologiques (l’Aedes albopictus pique le plus souvent au lever et au coucher du soleil, heures où les personnes sont généralement à leur domicile) ; d’autre part, comme près de 80 % de la population de l’île vit dans ce type d’habitat, ce résultat s’avère insuffisant, faute de détails plus fins dont nous ne disposions pas, pour expliquer la préva-lence globale (inférieure à ce pourcentage) comme sa distribution sélective.

Le troisième constat concerne le profil sociodémographique des personnes contaminées ; il vient justement discriminer sur le plan sociologique une population exposée en quasi-totalité. Cela confirme une tendance lourde observée dans la distribution de maladies vectorielles et plus largement des maladies infectieuses transmissibles (Marmot et al., 1987 ; Bartley et al., 1998 ; Farmer, 1999 ; Leclerc et al., 2000). Ici, les personnes disposant de revenus parmi les plus bas, appartenant à la catégorie des ouvriers (agricoles essentiel-lement), peu instruites et le plus souvent nées dans l’île (en majorité créoles) ont une probabilité plus élevée d’être contaminées, constat conforme à la socio-logie des maladies infectieuses. Il est donc possible d’inférer, à partir de ces

le chikungunya à la Réunion

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constats tirés de corrélations statistiques significatives, qu’il existe bien une dimension sociologique dans l’épidémie de chikungunya à la Réunion, à travers une surdétermination des conditions socio-économiques en liaison avec le niveau d’exposition (aux piqûres de moustiques) dans la contamination.

Mais ce premier niveau de corrélation avec les conditions socio-environ-nementales objectives est insuffisant pour rendre compte des causes directes capables d’expliquer la distribution de la contamination. La seconde dimension est constituée par le niveau de protection contre le moustique qui relève à la fois de l’action collective et des comportements individuels. Concernant la lutte anti-vectorielle collective (la démoustication mécanique et chimique), nos données ne permettent pas d’en juger, pas plus que les rares données entomo-logiques disponibles. Néanmoins, elle peut être considérée, soit comme glo-balement uniforme quand elle est prophylactique, soit comme tardive quand elle fait suite à l’identification de foyers de contamination. Son impact direct sur la contamination peut donc être considéré comme diffus et reporté. Il en va autrement du niveau de protection adopté par les individus face au risque de contamination. Non seulement cette variable rend compte de la conscience du risque de se faire contaminer par les piqûres de moustique, mais de plus, elle s’avère de nature à réduire la probabilité de contamination de façon signi-ficative. Le fait que seul l’usage fréquent (déclaré) de sprays et de crèmes répulsifs permet de réduire le risque de contamination appelle deux commen-taires. Le premier est qu’en période d’intense épidémie, une protection directe de la personne contre les piqûres de moustique serait plus efficace, à fréquence égale, qu’une protection indirecte (bombes insecticides, serpentins, ventilateurs, moustiquaires, etc.). Le second porte sur la pertinence d’une information pré-ventive qui autorise les individus à se croire protégés dès lors qu’ils utilisent un ou plusieurs des moyens de protection préconisés, tout en évitant l’usage du plus « coûteux » d’entre eux, les sprays et crèmes.

La question majeure que soulèvent ces premiers constats sur l’exposition et la protection contre le moustique est celle de l’existence d’une relation entre la perception du risque, organisée autour des variables psycho-cognitives, et l’adoption de comportements protecteurs. Le cadre théorique utilisé au départ était celui élaboré à partir de travaux empiriques définissant le risque perçu comme le produit de deux dimensions : l’une cognitive et évaluative qui donne une valeur subjective au risque, l’autre affective ou émotionnelle qui s’exprime essentiellement par l’inquiétude (ou la peur) suscitée par le risque (Slovic et al., 2004). La notation sur une échelle de risque permet en plus de situer le niveau d’inquiétude d’un risque donné parmi d’autres (Fischhoff et al., 1978 ; Fischhoff, 1995 ; Slovic, 1999). Globalement, nos résultats montrent que si les personnes surévaluent l’incidence finale de l’épidémie et jugent que le chikungunya est une maladie grave, elles ne sont pas particulièrement inquiètes face au risque d’en être atteint. Les analyses de corrélation indiquent que si l’estimation de l’incidence de la maladie est en relation avec la contamination, aucune asso-

M. Setbon, J. Raude

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ciation significative n’apparaît avec la gravité perçue ni avec l’inquiétude suscitée par le risque. L’absence de corrélation est aussi manifeste entre les variables composant le risque perçu et les comportements effectifs de protection contre les piqûres de moustique. Ces résultats sont relativement surprenants, alors que plusieurs recherches ont montré l’existence d’une relation entre le risque perçu et les comportements, qu’ils soient à risque ou protecteurs (Setbon et al., 2005 ; Brewer et al., 2007).

L’interprétation d’une telle absence est à rechercher dans la nature de certaines variables psycho-cognitives identifiées qui, malgré leur apparente singularité, rendent bien compte de la perception du risque de contamination par le virus du chikungunya. Ainsi, la variable « contrôlabilité perçue du risque de se faire contaminer » qui – dans le modèle final de régression logistique – s’avère significativement corrélée avec la probabilité de contamination, repré-sente l’une des composantes majeures du risque perçu (Leventhal et al., 1980). À travers elle s’exprime tout un système cohérent de croyances, de perceptions et d’attitudes en relation avec les comportements de protection. Cette variable, entre perception du risque et comportement conséquent, peut être interprétée comme le produit final de la perception du risque en liaison avec plusieurs variables corrélées à la contamination. Ainsi, on retrouve un écart significatif de contamination entre ceux qui approuvent la proposition « Ce qui doit arriver doit arriver, quoiqu’on fasse on n’y peut rien » (45 %) et ceux qui la récusent (37 %). L’absence de contrôlabilité perçue du risque paraît ainsi en cohérence avec une attitude fataliste, rendant plus improbables les modifications de comportement nécessaires à une protection efficace. De même, parmi ceux qui approuvent la proposition « On peut éviter le chikungunya par des mesures de protection personnelles », le taux de contamination est de 37 %, alors que parmi ceux qui la réfutent le taux est de 54 %. Corrélation confirmée par la répartition des répondants à la proposition « Cela ne sert à rien de se protéger contre le chikungunya », avec une moyenne de 49 % de personnes contaminées parmi ceux qui l’approuvent contre 39 % parmi ceux qui la rejettent.

Les réponses aux questions posées sur la cause de la contamination par le virus montrent par ailleurs que si 73 % des personnes sont tout à fait d’accord ou plutôt d’accord pour l’attribuer au moustique, elles sont 33 % à l’attribuer également à « des contacts humains » et 35 % à considérer que le virus est dans l’air ambiant (donc transmissible par d’autres voies que le moustique). Or, cette dernière croyance erronée est bien corrélée à la fois avec la contami-nation et avec le niveau de protection déclaré. Enfin, la corrélation entre l’existence de croyances dans une cause exogène et infondée de l’origine de l’épidémie (tsunami, complot) et la contamination vient renforcer la cohérence d’un système de croyances alternatif qui fragilise la certitude que le moustique est l’unique cause de la maladie (Sjöberg, 1979 ; Bogart et Thorburn, 2005). Autrement dit, l’expérience personnelle et collective semble en mesure de réduire l’influence de la perception du chikungunya comme risque contrôlable

le chikungunya à la Réunion

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pouvant dès lors se traduire en termes de comportements protecteurs. La relation entre contrôlabilité perçue du risque et adoption de comportements de protection est soulignée par de nombreux travaux (Lefcourt, 1976 ; Norman et Bennett, 1995 ; Bandura, 1997 ; Cvengros et al., 2004), même si cette relation n’est pas symétrique dans les deux sens, compte tenu du coût perçu de l’adop-tion de comportements protecteurs. L’absence de contrôlabilité perçue du risque rend ainsi très improbable le changement, tandis que l’inverse ne suffit pas à le déterminer de façon effective et durable.

En pratique, ces résultats, plus complexes que ne le laissaient envisager les modèles récents élaborés sur la perception du risque, illustrent les limites dans l’utilisation des méthodes de régression multiple pour traiter les données des enquêtes en sciences sociales. En effet, celles-ci conduisent à mettre en valeur une ou plusieurs variables significatives et à ignorer toutes les autres variables. Or, dans le domaine des représentations mentales, l’identification de facteurs isolés est souvent moins éclairante que la description d’un système de corrélations entre différentes variables sociodémographiques. Ainsi, dans le cadre de l’épidémie de chikungunya, seule l’identification des systèmes de croyances relatives au risque et à la maladie permet de donner une cohérence à des éléments isolés qui structurent les représentations.

Plus largement, l’ensemble de ces résultats rend compte du phénomène d’ancrage, régulièrement identifié lors de recherches sur les représentations sociales. Mis en évidence dans le cadre d’observations répétées, l’ancrage traduit un processus psychosocial au cours duquel l’interprétation cognitive d’un nouvel objet se construit en l’intégrant dans un réseau de représentations préexistantes partagées par un groupe donné. L’ancrage permet de donner sens à une nouvelle menace afin de la rendre plus familière et moins effrayante. Comme le souligne Moscovici (2001, p. 40), « les images et les idées par les-quelles nous saisissons la nouveauté nous ramènent seulement à ce que nous savons déjà, à ce dont nous avons l’habitude. C’est pourquoi elles nous donnent une impression rassurante de déjà vu et déjà connu ». De nombreux travaux dans le domaine de la santé et de la maladie ont montré que les maladies émergentes avaient tendance à être interprétées à partir de celles déjà connues – et ce, quelles que soient leurs différences biologiques intrinsèques (Joffe, 1996 ; Weiss, 1997). Dans le cas du chikungunya, les données obtenues tendent à confirmer que les représentations de l’épidémie sont structurées – au moins en partie – par les croyances et les théories profanes liées à des maladies infec-tieuses plus anciennes. En outre, il est possible que le manque d’expérience sur les arboviroses – La Réunion n’a pas été affectée par ce type de virus depuis les années 1970 – ait facilité l’ancrage du chikungunya dans des phénomènes épidémiques plus familiers comme celui de la grippe. Il convient toutefois d’ajouter que ces effets d’ancrage apparaissent beaucoup plus fréquents dans certains segments de la population de l’île que sont les groupes socioécono-miques les plus défavorisés.

M. Setbon, J. Raude

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Les limites de cette recherche sont de deux ordres. La première est que les enquêtes par questionnaire ne permettent pas d’appréhender aisément un certain nombre de facteurs environnementaux qui ont une influence considé-rable sur l’exposition aux moustiques (conditions d’habitat, habitudes domes-tiques, vestimentaires, conviviales, etc.). La seconde concerne la nature déclarative des données relatives aux comportements de protection. La fiabilité des réponses peut être parfois questionnée en raison de l’existence de biais de conformisme à propos de l’utilisation de moyens de protection, ou d’un manque de finesse de nos questions sur les pratiques effectives de protection des per-sonnes interrogées. S’y ajoutent de possibles biais dans les réponses apportées à certaines questions, liés au fait d’avoir vécu la maladie par rapport à ceux qui sont restés indemnes. D’une part, ce type de biais (de rationalisation a posteriori) nous semble limité à quelques items sans conséquence majeure sur les résultats finaux et s’ils existent, ils sont inhérents à la nature transversale de l’enquête. D’autre part, nous n’avons pas relevé d’incohérence dans l’inter-dépendance (forte) qui se dégage de l’ensemble des réponses portant sur les dimensions psycho-cognitives, les jugements portés sur l’efficacité des différents modes de protection et les comportements déclarés ; seule l’ampleur estimée de l’incidence finale de la maladie dans la population (corrélée au risque de contamination) pourrait, en effet, être influencée par le fait d’avoir été malade. Mais elle pourrait tout autant témoigner indirectement d’un sentiment de fatalité, relevé par ailleurs comme associé à la contamination, et d’une volonté plus ou moins inconsciente de réduire sa responsabilité à travers une estimation élevée de la population atteinte.

Conclusion

La recherche réalisée qui visait à identifier les déterminants objectifs et subjectifs de la contamination de la population de La Réunion lors de l’épidémie de chikungunya de 2005-2006 représente une tentative originale d’approche socio-épidémiologique effectuée quasiment en temps réel. Dans un contexte local marqué par une exposition au risque quasi généralisée où près de 40 % de la population a été touchée par la maladie, la robustesse des variables iden-tifiées en relation avec la contamination repose sur la précision des déclarations concernant le fait d’avoir eu ou non le chikungunya ; elle s’est avérée excellente. Les variables associées à la contamination mettent en évidence deux dimensions majeures de l’épidémie. D’une part, la distribution de la contamination apparaît nettement corrélée à certaines données socio-économiques et démographiques, en cohérence avec des travaux antérieurs. Ainsi, le modèle sociologique des épidémies de maladies infectieuses transmissibles apparaît toujours à l’œuvre dans le contexte d’un pays développé où les connaissances, largement diffusées par les moyens modernes d’information sont, en principe, accessibles à tous. Le constat d’une vulnérabilité plus marquée des personnes défavorisées lors

le chikungunya à la Réunion

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de cette épidémie de chikungunya ne manquera pas d’alimenter la recherche sur les inégalités sociales face au risque et à la maladie, ainsi que le débat scientifique sur les relations entre déterminants sociaux et perception indivi-duelle du risque.

L’hypothèse d’un lien entre les comportements de protection (ou de défaut de protection) avec la perception du risque s’avère pour partie vérifiée. En montrant qu’il existe bien une relation entre la dimension psycho-cognitive du risque perçu et la probabilité de contamination, mais pas avec l’inquiétude qu’elle suscite, cette étude rend compte de l’importance de l’ancrage socio-culturel dans la construction des perceptions d’un nouveau risque. Il ressort assez clairement du cas étudié que si la propension à adopter des comporte-ments effectivement protecteurs représente la condition pour rester indemne, elle s’affirme comme la variable ultime d’un ensemble cohérent de conditions sociales et de croyances qui s’organisent ici au carrefour de deux conceptions du monde : le traditionnel et le moderne. Ainsi, ce travail permet de jeter un pont entre les recherches sur la perception du risque et sur la sociologie de la santé et de la maladie. En montrant les liens étroits entre conditions socio-économiques et systèmes de croyances structurant les perceptions et les com-portements, ce travail permet de souligner l’intérêt de leur prise en compte simultanée. C’est là que se situe l’apport original de cette enquête qui pourrait préfigurer une nouvelle approche à cheval sur ces deux cadres conceptuels dont l’interdépendance est soulignée.

Sur le plan de l’action publique, les résultats issus de cette enquête pourront être utiles pour concevoir et organiser la communication sur le risque, toujours présent, de recrudescence de l’épidémie. Non seulement ils fournissent un éclairage sur la nature des contraintes et des résistances au changement de la population exposée, mais ils apportent aussi des connaissances permettant de mieux cibler les groupes sociaux les plus vulnérables et d’adapter les messages et les modes d’intervention en fonction de leurs caractéristiques. Alors qu’après une période de calme, le retour des épidémies semble se concrétiser, les nou-velles conditions induites par la circulation accrue des hommes et des virus vont contribuer sinon à leur diffusion mondialisée, à tout le moins au risque de l’être. En ce sens, la perception du risque comme objet de recherche à la fois universel et contextuel se présente comme un révélateur des vulnérabilités, un marqueur du niveau d’anticipation des sociétés et l’un des meilleurs outils cognitifs pour agir face au risque.

Remerciements. Cet article est issu d’une enquête réalisée à la suite de la création en mars 2006 de la « Cellule de coordination des recherches sur le chikungunya », mise en place par le Premier ministre français, en raison de la crise sanitaire, sociale et politique entraînée par la multiplication incontrôlée du nombre de cas de chikungunya observée depuis décembre 2005 à La Réunion. En tant que membre de cette cellule interdisciplinaire, Michel Setbon, sociologue, en charge des recherches en sciences

M. Setbon, J. Raude

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sociales et humaines, a pu bénéficier du soutien financier rapidement dégagé par les organismes de recherche concernés et de l’appui scientifique des autres membres de la cellule. Aux uns et aux autres nous adressons nos remerciements. (Pour plus de détails voir Michel Setbon, éditorial, « La recherche scientifique comme réponse à l’épidémie de chikungunya à La Réunion et à Mayotte », Virologie, 2008, 12, 2, p. 83-86).

Annexe

Extraits du questionnaire de l’enquête sur le chikungunya

À l’aide d’une note comprise entre 0 et 10, dites-moi si face à la menace du chikungunya vous êtes INQUIET pour VOTRE santé ? Et face à la menace du chikungunya, êtes-vous cette fois INQUIET pour la santé de VOS PROCHES et de VOTRE FAMILLE ?

Vous me donnerez la note 10 si vous êtes très inquiet pour votre santé (celle de vos proches et de votre famille), 0 si vous n’êtes pas du tout inquiet. Vous pouvez bien sûr utiliser les notes intermédiaires entre 0 et 10 pour nuancer votre jugement. Quelle note donneriez-vous à votre inquiétude pour votre santé (celle de vos proches et de votre famille) ?

Dites-moi maintenant à l’aide d’une note comprise entre 0 et 10 comment vous jugez la GRAVITÉ de la maladie ?

Vous donnerez la note 10 si vous jugez que la maladie est très grave, 0 si vous jugez que la maladie n’est pas grave du tout. Vous pouvez bien sûr utiliser les notes intermédiaires entre 0 et 10 pour nuancer votre jugement. Quelle note donneriez-vous à la GRAVITÉ de la maladie ?

Actuellement, quel est, selon vous, le pourcentage de la population réunionnaise qui a été touchée par le chikungunya ?

Donnez-moi un chiffre entre 0 % et 100 %

Et lorsque l’épidémie sera terminée, quel sera, selon vous, le pourcentage de la population réunionnaise qui aura été touchée par le chikungunya ?

Donnez-moi un chiffre entre 0 % et 100 %

Je vais maintenant vous citer d’autres risques pour VOTRE santé que le chikungunya, à chaque fois, vous me direz toujours à l’aide d’une note comprise entre 0 et 10 si c’est un risque pour VOTRE santé qui vous inquiète beaucoup ou pas du tout ?

Si je vous dis, … quelle note donneriez-vous face à ce risque pour VOTRE santé ?Le sidaLes accidents de la routeLes cyclones et les tempêtes tropicalesLes maladies liées au tabagismeLes produits chimiques dans l’alimentationLes maladies liées aux habitudes alimentaires telles que le diabète

le chikungunya à la Réunion

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Avant l’apparition du chikungunya, est-ce que VOUS vous protégiez contre les piqûres de moustique ?

Oui, tout à faitOui, plutôtNon, plutôt pasNon, pas du tout

[Si au moins 2 personnes au foyer]Et depuis l’apparition du chikungunya, protégez-vous ou avez-vous protégé vos ENFANTS ou vos PROCHES des piqûres de moustique ?

Oui, tout à faitOui, plutôtNon, plutôt pasNon, pas du toutNe sait pas

Et vous, depuis l’apparition du chikungunya, vous protégez-vous ou vous êtes-vous protégé des piqûres de moustique ?

Oui, tout à faitOui, plutôtNon, plutôt pasNon, pas du toutNe sait pas

Pensez-vous que vous pouvez vous protéger efficacement contre le chikungunya ? Oui, tout à faitOui, plutôtNon, plutôt pasNon, pas du toutNe sait pas

Pour vous quelle est l’EFFICACITÉ des mesures de protection INDIVIDUELLE suivantes contre le chikungunya ?

Comme auparavant, je vais vous demander de me donner une note de 0 à 10 aux mesures de protection individuelle que je vais vous citer en fonction de l’opinion que vous en avez, vous donnerez la note 10 si la mesure de protection vous paraît très efficace contre le chikungunya et la note 0 si elle ne vous paraît pas efficace du tout. Si je vous parle … quelle note donneriez-vous à leur /son efficacité ?

…des produits répulsifs pour l’homme tels que les sprays ou les crèmes pour la peau…des produits répulsifs pour la maison tels que les serpentins ou les diffuseurs électriques…des produits insecticides pour la maison tels que les bombes aérosols…des moustiquaires....des ventilateurs…du nettoyage autour de chez vous

Pour vous quelle est l’EFFICACITÉ des mesures de protection COLLECTIVE suivantes contre le chikungunya ?

Vous donnerez encore la note 10 si la mesure de protection collective vous paraît très efficace et la note 0 si elle ne vous paraît pas efficace du tout. Si je vous parle de… quelle note donneriez-vous à son efficacité ?

…la démoustication de l’île par des équipes locales telle que la « Lutte Anti-Vectorielle » ou LAV

M. Setbon, J. Raude

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…la démoustication de l’île par des équipes métropolitaines telles que celles de l’armée de terre…l’élimination des déchets ménagers, des encombrants et des carcasses de voiture

Avant l’apparition du chikungunya, est-ce que VOUS vous protégiez contre les piqûres de moustique ?

Oui, tout à faitOui, plutôtNon, plutôt pasNon, pas du toutNe sait pas

[Si au moins 2 personnes au foyer]Et depuis l’apparition du chikungunya, protégez-vous ou avez-vous protégé vos ENFANTS ou vos PROCHES des piqûres de moustique ?

Oui, tout à faitOui, plutôtNon, plutôt pasNon, pas du toutNe sait pas

Et vous, depuis l’apparition du chikungunya, vous protégez-vous ou vous êtes-vous protégé des piqûres de moustique ?

Oui, tout à faitOui, plutôtNon, plutôt pasNon, pas du toutNe sait pas

[À ceux qui déclarent protéger les enfants et les proches des piqûres]Au cours des dernières semaines ou des derniers mois, avez-vous arrêté de protéger vos enfants et vos proches contre les piqûres de moustique ?

OuiNon

[À ceux qui déclarent se protéger des piqûres] Au cours des dernières semaines ou des derniers mois, avez-vous arrêté de VOUS protéger… ?

OuiNon

[À ceux qui déclarent avoir arrêté de se protéger des piqûres]Pour quelles raisons avez-vous arrêté ?

A déjà eu le chikungunya, n’a plus besoin de faire attentionProduits inefficaces, ne servent à rienProduits toxiques, mauvais pour la santéProduits coûteux, trop chersIl y a moins de moustiquesOn en parle moins, n’y pense plusAutres raisons (non détaillées)Ne sait pas

Parmi les moyens suivants, quels sont ceux que vous utilisez NE SERAIT-CE QU’OCCASIONNELLEMENT pour vous protéger contre les piqûres de moustique depuis

le chikungunya à la Réunion

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l’apparition du chikungunya ?Utilisez-vous…: souvent // rarement // jamais ?

…des moustiquaires…des ventilateurs…des produits répulsifs sur la peau tels que des sprays, des crèmes ou des bracelets…des serpentins ou des diffuseurs électriques…des bombes insecticides ou des pièges à insectes…la destruction des gîtes larvaires

Je vais maintenant vous proposer un certain nombre d’affirmations sur lesquelles tout le monde n’est pas d’accord. Pour chacune d’entre elles, vous me direz si vous êtes tout à fait d’accord, plutôt d’accord, plutôt pas d’accord ou pas du tout d’accord :

Si je vous dis… êtes-vous tout à fait, plutôt, plutôt pas ou pas du tout d’accord ?…Le chikungunya se transmet uniquement par la piqûre de moustiques…Le chikungunya peut être présent dans l’air que l’on respire…Le chikungunya peut se transmettre au contact d’une personne atteinte de la maladie…Cela ne sert à rien de se protéger contre le chikungunya…On peut éviter le chikungunya par des mesures de protection personnelles…On devrait instaurer une lutte anti-moustique permanente pour se protéger des maladies tropicales…On peut faire confiance aux estimations officielles sur le nombre de malades et de morts dus au chikungunya…L’épidémie de chikungunya est la conséquence de l’arrêt de la démoustication systématique à La Réunion…Les pouvoirs publics ont trop tardé à lutter contre le chikungunya…Les pouvoirs publics ont fait tout leur possible pour enrayer la progression du chikungunya…L’épidémie de chikungunya sur l’île de La Réunion n’était pas prévisible…Le plus gros de l’épidémie de chikungunya est maintenant derrière nous…On ne viendra à bout de l’épidémie de chikungunya que si chacun se mobilise et participe à la lutte

Dans la population réunionnaise, des personnes évoquent certaines causes sur l’origine possible du chikungunya dans l’île. Je vais vous citer différentes causes entendues, pour chacune d’entre elles, vous me direz si elle vous paraît tout à fait possible, plutôt possible, plutôt pas possible ou pas du tout possible

Si je vous dis….est-ce selon vous tout à fait, plutôt, plutôt pas ou pas du tout possible ?

…La maladie du chikungunya a été amenée par les victimes du tsunami…Le virus du chikungunya a été introduit intentionnellement par des agents américains…Le virus du chikungunya a été amené par les membres d’un bateau en quarantaine…Le virus du chikungunya a été introduit par des voyageurs en provenance des Comores

Je vais maintenant vous proposer des affirmations qui portent sur des questions plus larges que le chikungunya. Pour chacune d’entre elles, vous me direz si vous êtes tout à fait d’accord, plutôt d’accord, plutôt pas d’accord ou pas du tout d’accord.

Si je vous dis… êtes-vous tout à fait, plutôt, plutôt pas ou pas du tout d’accord ?…L’État français s’intéresse plus aux problèmes de la métropole, comme la grippe aviaire, ce qui explique pourquoi il a tardé à s’occuper du chikungunya à La Réunion

M. Setbon, J. Raude

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…Les décisions concernant la santé devraient être laissées aux experts…Il faut savoir profiter du jour présent sans se soucier du lendemain…Les gens accordent trop d’importance à l’environnement…Ce qui doit arriver doit arriver, quoiqu’on y fasse, on n’y peut rien…L’homme devrait davantage respecter la nature…Si chacun mettait un peu de bonne volonté à son niveau pour régler les problèmes, les choses iraient mieux…Si les responsables politiques consultaient davantage les citoyens, les choses iraient mieux…Les gens ont trop tendance à se reposer sur la collectivité

le chikungunya à la Réunion

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M. Setbon, J. Raude

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Michel Setbon, Jocelyn Raude • Le chikungunya à La Réunion : facteuRs sociaux, enviRonnementaux et compoRtementaux en situation épidémique

Entre mars 2005 et mai 2006, l’île de La Réunion a été frappée par une épidémie de chikungunya qui a touché 260 000 personnes, soit près de 38 % de la population de l’île. Le chikungunya est une maladie virale, transmise par un moustique, contre laquelle il n’existe aucun traitement efficace. Une enquête socio-épidémiologique a été réalisée en mai 2006 auprès d’un échantillon représentatif de la population (N = 1 035) qui visait à identifier les facteurs en relation avec une probabilité élevée de contamination : d’une part, des facteurs objectifs, socio-économiques, démographiques et environnementaux, et d’autre part des facteurs subjectifs, tels que la perception du risque, de la maladie et des modes de protection disponibles, les connaissances et croyances sur l’origine et les modalités de transmission de la maladie, les attitudes, et les modes de protection utilisés. L’analyse montre que la contamination est associée de façon significative : d’une part, avec un niveau socio-économique caractérisant les personnes défavorisées et vivant dans une maison individuelle avec jardin ; d’autre part, avec l’existence de croyances alternatives (non démon-trées scientifiquement) qui, couplées à une attitude fataliste, fondent un sentiment de non-contrôlabilité sur la contamination. En matière de comportements, seul l’usage fréquent de répulsifs corporels (sprays et crèmes) s’est avéré associé à une réduction de la probabilité de contamination. Ainsi, conditions socio-économiques, habitat, système de croyances et comportements présentent une forte interdépendance qui dessine des modèles socioculturels plus ou moins favorables à la contamination.

miChel Setbon, Laboratoire d’économie et de sociologie du travail, UMR 6123, 35 avenue Jules Ferry, 13626 Aix-en-Provence, France, courriel : [email protected]