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Actualités pharmaceutiques n° 526 mai 2013 59 juridique fiche © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés http://dx.doi.org/10.1016/j.actpha.2013.02.034 Le commerce parallèle de médicaments Dans le cadre du droit européen, les médicaments sont des marchandises relevant du principe de la libre circulation. Les distributeurs peuvent donc jouer de ce droit et des différences de prix des médicaments d’un pays à l’autre de la Communauté européenne afin de créer des réseaux parallèles de distribution. Cette pratique est cependant encadrée et pondérée par certaines mesures juridiques et surtout de jurisprudence européennes. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés L e principe de libre circulation des marchandises figure au rang des objectifs principaux de l’Union européenne dans le cadre de la mise en place d’un mar- ché intérieur unifié. Le médicament a toujours été considéré comme une marchandise par les autorités communautaires et traité comme tel sur le plan juridique. Le Traité sur le fonctionnement de l’Union euro- péenne (TFUE) reconnaît la possi- bilité de mesures restrictives, notamment au regard de la santé publique 1 , mais elles doivent néan- moins être justifiées, nécessaires et proportionnées à l’objectif poursuivi. Le commerce parallèle Le principe de libre circulation pro- fite à l’ensemble des échanges commerciaux, mais également à des opérateurs économiques “parallèles”, opérant hors des réseaux de fabricants et étrangers au circuit officiel de distribution du titulaire de l’autorisation de mise sur le marché (AMM). Ces opérateurs tirent profit des différences de prix des médicaments d’un état à l’autre, s’approvisionnant sur des marchés à bas prix afin de les revendre là où les prix sont élevés. La Commission a néanmoins toujours considéré l’importation parallèle d’un médica- ment comme une forme légale de commerce. Sur le plan du droit de la propriété industrielle, cette pratique est possible grâce à l’application du principe de “l’épuisement des droits” : lorsqu’un produit a été une première fois mis en circulation par le titulaire d’un droit (le titulaire de l’AMM) ou avec son consentement (un licencié par exemple), celui-ci ne peut plus s’opposer à ce que “son” produit circule librement dans l’Union européenne. La Cour de Justice de la Communauté euro- péenne, depuis deux décisions fon- datrices en 1974 2 , n’est jamais revenue sur ce principe et a toujours refusé la reconnaissance d’une spé- cificité liée à la nature particulière du médicament, régulièrement avan- cée par l’industrie pharmaceutique (problèmes de traçabilité, de qua- lité…). Interrogée par les labora- toires lors de contentieux les opposant régulièrement aux impor- tateurs ou exportateurs parallèles de médicaments, la Cour a même progressivement allégé les obliga- tions pesant sur ces opérateurs économiques, notamment au regard de l’information du produit et du conditionnement de celui-ci. L’information et le conditionnement des médicaments La Cour dispense les opérateurs concernés de l’obligation de fournir l’ensemble de la documentation relative au produit importé lorsque celui-ci ne présente aucune diffé- rence avec le produit commercialisé localement et qu’il est fabriqué par le même laboratoire pharmaceu- tique. Cette documentation est, en effet, alors déjà fournie par le fabri- cant aux autorités sanitaires. La Cour va jusqu’à reconnaître la validité de l’autorisation d’importa- tion parallèle, même si l’autorisation de “référence” dans l’état d’impor- tation a été retirée par le titulaire de l’AMM pour des raisons straté- giques et que le produit n’est alors plus commercialisé par le labora- toire fabricant. Sur la question du reconditionne- ment, les emballages de médica- ments pouvant varier selon les pays, une jurisprudence importante s’est développée, toujours en faveur de l’opérateur économique “parallèle”, dès lors que le reconditionnement n’affecte pas défavorablement l’état d’origine du produit, que le nom de l’opérateur qui a recondi- tionné le produit est indiqué sur le nouvel emballage, et que la pré- sentation du produit reconditionné n’est pas de nature à porter atteinte à la réputation de la marque et du laboratoire titulaire de l’AMM. Ce dernier reçoit une notification de la part de l’opérateur parallèle préala- blement à la mise en vente du pro- duit reconditionné. Contrer le commerce parallèle de médicaments Les laboratoires ont essayé et ten- tent toujours de mettre en place des procédures afin d’entraver ce commerce parallèle et d’empêcher des opérateurs de s’approprier leur produit. La jurisprudence commu- nautaire a mis en lumière deux pratiques utilisées par les labora- toires en faisant appel au droit de la concurrence. F La première est celle de l’ac- cord 3 . L’exemple de l’action du laboratoire Bayer en faveur de son produit Adalat ® est le plus connu. Caroline MASCRET Mots clés • Autorisation de mise sur le marché • Commerce parallèle • Communauté européenne • Générique • Libre circulation

Le commerce parallèle de médicaments

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Actualités pharmaceutiques

• n° 526 • mai 2013 • 59

juridique

fi che

© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

http://dx.doi.org/10.1016/j.actpha.2013.02.034

Le commerce parallèle de médicamentsDans le cadre du droit européen, les médicaments sont des marchandises relevant du

principe de la libre circulation. Les distributeurs peuvent donc jouer de ce droit et des

différences de prix des médicaments d’un pays à l’autre de la Communauté européenne

afin de créer des réseaux parallèles de distribution. Cette pratique est cependant encadrée

et pondérée par certaines mesures juridiques et surtout de jurisprudence européennes.

© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

L e principe de libre circulation des marchandises figure au rang des objectifs principaux

de l’Union européenne dans le cadre de la mise en place d’un mar-ché intérieur unifié. Le médicament a toujours été considéré comme une marchandise par les autorités communautaires et traité comme tel sur le plan juridique. Le Traité sur le fonctionnement de l’Union euro-péenne (TFUE) reconnaît la possi-bilité de mesures restrictives, notamment au regard de la santé publique1, mais elles doivent néan-moins être justifiées, nécessaires et proportionnées à l’objectif poursuivi.

Le commerce parallèleLe principe de libre circulation pro-fite à l’ensemble des échanges commerciaux, mais également à des opérateurs économiques “parallèles”, opérant hors des réseaux de fabricants et étrangers au circuit officiel de distribution du titulaire de l’autorisation de mise sur le marché (AMM). Ces opérateurs tirent profit des différences de prix des médicaments d’un état à l’autre, s’approvisionnant sur des marchés à bas prix afin de les revendre là où les prix sont élevés. La Commission a néanmoins toujours considéré l’importation parallèle d’un médica-ment comme une forme légale de commerce. Sur le plan du droit de la propriété industrielle, cette pratique est possible grâce à l’application du principe de “l’épuisement des droits” : lorsqu’un produit a été une première fois mis en circulation par

le titulaire d’un droit (le titulaire de l’AMM) ou avec son consentement (un licencié par exemple), celui-ci ne peut plus s’opposer à ce que “son” produit circule librement dans l’Union européenne. La Cour de Justice de la Communauté euro-péenne, depuis deux décisions fon-datrices en 19742, n’est jamais revenue sur ce principe et a toujours refusé la reconnaissance d’une spé-cificité liée à la nature particulière du médicament, régulièrement avan-cée par l’industrie pharmaceutique (problèmes de traçabilité, de qua-lité…). Interrogée par les labora-toires lors de contentieux les opposant régulièrement aux impor-tateurs ou exportateurs parallèles de médicaments, la Cour a même progressivement allégé les obliga-tions pesant sur ces opérateurs économiques, notamment au regard de l’information du produit et du conditionnement de celui-ci.

L’information et le conditionnement des médicamentsLa Cour dispense les opérateurs concernés de l’obligation de fournir l’ensemble de la documentation relative au produit importé lorsque celui-ci ne présente aucune diffé-rence avec le produit commercialisé localement et qu’il est fabriqué par le même laboratoire pharmaceu-tique. Cette documentation est, en effet, alors déjà fournie par le fabri-cant aux autorités sanitaires. La Cour va jusqu’à reconnaître la validité de l’autorisation d’importa-tion parallèle, même si l’autorisation

de “référence” dans l’état d’impor-tation a été retirée par le titulaire de l’AMM pour des raisons straté-giques et que le produit n’est alors plus commercialisé par le labora-toire fabricant.Sur la question du reconditionne-ment, les emballages de médica-ments pouvant varier selon les pays, une jurisprudence importante s’est développée, toujours en faveur de l’opérateur économique “parallèle”, dès lors que le reconditionnement n’affecte pas défavorablement l’état d’origine du produit, que le nom de l’opérateur qui a recondi-tionné le produit est indiqué sur le nouvel emballage, et que la pré-sentation du produit reconditionné n’est pas de nature à porter atteinte à la réputation de la marque et du laboratoire titulaire de l’AMM. Ce dernier reçoit une notification de la part de l’opérateur parallèle préala-blement à la mise en vente du pro-duit reconditionné.

Contrer le commerce parallèle de médicamentsLes laboratoires ont essayé et ten-tent toujours de mettre en place des procédures afin d’entraver ce commerce parallèle et d’empêcher des opérateurs de s’approprier leur produit. La jurisprudence commu-nautaire a mis en lumière deux pratiques utilisées par les labora-toires en faisant appel au droit de la concurrence.

F La première est celle de l’ac-

cord3. L’exemple de l’action du laboratoire Bayer en faveur de son produit Adalat® est le plus connu.

Caroline MASCRET

Mots clés• Autorisation de mise

sur le marché

• Commerce parallèle

• Communauté

européenne

• Générique

• Libre circulation

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Actualités pharmaceutiques

• n° 526 • mai 2013 •60

fi chejuridique

Déclaration d’intérêts :

l’auteur déclare ne pas avoir

de confl its d’intérêts en relation

avec cet article.

L’auteurCaroline MASCRETMaître de conférences en droit

pharmaceutique, cabinet LMT

Avocats, Faculté de pharmacie

de Châtenay-Malabry,

Université Paris-Sud, 5 rue

Jean-Baptiste-Clément, 92296

Châtenay-Malabry, France

[email protected]

Notes1 Article 36 TFUE (ex-article 30 TCE) : les dispositions des articles 34 et 35 ne font pas obstacle aux interdictions ou restrictions d’importation, d’exportation ou de transit, justifi ées par des raisons de moralité publique, d’ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux. Toutefois, ces interdictions ou restrictions ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre les états membres. http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:C:2010:083:0047:0200:fr:pdf.2 Affaire C-16/74 Centrafarm Winthrop et affaire C-15/74 Centrafarm Sterlings Drugs.3 Article 101 TFUE (ex-article 81 TCE).4 Article 102 TFUE (ex-article 82 TCE).5 Décret n° 2004-83 du 23 janvier 2004 relatif aux importations de médicaments à usage humain – articles R. 5121-115 à R.5121-132 du Code se la santé publique.

Les prix de ce médicament en France et en Espagne étaient très largement inférieurs (environ 40 %) à ceux pratiqués au Royaume-Uni, ce qui a amené les grossistes espa-gnols, puis français, à l’exporter en grande quantité vers le Royaume-Uni, et a ainsi entraîné une perte de chiffre d’affaires estimée alors à plus de 230 millions de deutschmarks. Le groupe Bayer n’a accepté d’honorer les commandes passées par les grossistes français et espa-gnols qu’à hauteur de leurs besoins habituels. La Commission euro-péenne a demandé au laboratoire de modifier sa pratique, jugée contraire au droit de la concurrence, et lui a infligé une amende, au motif d’un accord passé entre Bayer et les grossistes qui s’étaient ainsi enten-dus pour limiter les exportations parallèles d’Adalat®, sous peine de ne plus se voir livrer du tout. Le tri-bunal de première instance, puis la Cour de Justice ont cependant annulé la sanction de la Commis-sion pour absence de preuve prou-vant un “accord d’entreprise”.

F La seconde pratique est celle

de l’abus de position dominante4. Le laboratoire Glaxo SmithKline (GSK) a cessé de répondre aux commandes des grossistes grecs qui achetaient des médicaments pour les distribuer sur le marché national, mais les exportaient égale-ment vers d’autres états membres. Le laboratoire a alors invoqué une pénurie des produits en cause et, tout en modifiant son système de distribution, a commencé à fournir ces médicaments aux hôpitaux et pharmacies grecques. Quelques mois plus tard, estimant que l’approvisionnement du marché national avait, dans une certaine mesure, été normalisé, le labora-toire a de nouveau livré des quan-tités limitées de médicaments aux grossistes. La juridiction grecque a alors interrogé la Cour sur la compa-tibilité des pratiques en cause avec les règles communautaires. Pour apprécier le caractère raisonnable

et proportionné de la procédure instituée par GSK, la Cour a estimé qu’il convenait de déterminer si les commandes passées par les gros-sistes présentaient un caractère anormal, un producteur devant être en mesure de préserver ses propres intérêts commerciaux lorsqu’il est confronté à des commandes de quantités anormales. Elle a donc renvoyé à la juridiction nationale la détermination du caractère nor-mal des commandes, au regard des relations commerciales anté-rieures entretenues par l’entre-prise pharmaceutique avec les grossistes concernés, ainsi que de l’ampleur des commandes par rapport aux besoins du marché de l’état membre en cause. La Cour a conclu qu’une entreprise déte-nant une position dominante sur le marché des médicaments qui, afin d’empêcher les exportations parallèles, refuse de satisfaire des commandes ayant un caractère normal, exploite de façon abusive sa position dominante.

Une pratique encadrée en France La France, pays à prix bas, est peu touchée par le phénomène de ces importations parallèles qui sont encadrées par le Code de la santé publique5. La réglementation distin-gue deux types de commerce paral-lèle de médicaments : la distribution parallèle et l’importation parallèle. Quel que soit leur statut de distribu-tion, ces médicaments doivent faire l’objet d’une autorisation de la part des autorités sanitaires. Cette auto-risation ne peut être délivrée que si les compositions quantitative et qualitative en principes actifs et en excipients, la forme pharmaceu-tique et les effets thérapeutiques de la spécialité importée sont iden-tiques à ceux de celle déjà autori-sée. Les excipients peuvent néanmoins différer ou être présents dans des quantités différentes, à condition que cela n’ait aucune inci-dence thérapeutique et n’entraîne

pas de r isque pour la santé publique. De plus, les opérateurs économiques doivent avoir le statut d’établissement pharmaceutique.

F Il est question de distribution

parallèle lorsque le médicament bénéficie d’une AMM européenne obtenue par procédure centralisée. Le contrôle de ces opérations de distribution parallèle relève alors de l’Agence européenne des médica-ments (EMA). Le distributeur paral-lèle notifiera à l’EMA les pays dans lesquels il souhaite commercialiser les produits. L’Agence nationale de sécurité du médicament et des pro-duits de santé (ANSM), alors avertie par l’EMA, précisera au distributeur les informations spécifiques natio-nales à faire apparaître sur le condi-tionnement extérieur.

F Il est question d’importation

parallèle lorsque la spécialité béné-ficie d’une AMM délivrée par l’état membre de provenance et d’une AMM délivrée par l’état membre de destination. Une autorisation doit alors être délivrée par l’ANSM, qui met à disposition, sur son site internet, la liste des médicaments autorisés au titre des importations parallèles. Si le produit bénéficie d’un remboursement en France, le médicament importé se verra octroyer le même statut. L’Assu-rance maladie est d’ailleurs très intéressée par ce régime puisque le médicament d’importation paral-lèle se verra attribuer par le Comité économique des produits de santé (CEPS) un prix de remboursement inférieur de 5 % au médicament équivalent, ce qui permet la réali-sation d’économies directes pour les caisses d’assurance maladie, notamment lorsque la spécialité n’a pas été génériquée. De plus, afin d’augmenter leurs marges, de nombreux officinaux seraient éga-lement de plus en plus intéressés par ce nouveau mode d’achat. Ces médicaments, qui ne sont donc ni des génériques, et encore moins de la contrefaçon, possèdent le statut d’un médicament princeps. w