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Université de Lyon Université lumière Lyon 2 Institut d'Études Politiques de Lyon Le continent européen face au crime organisé : Un enjeu moderne de sécurité. BESANCON Kevin Mémoire de quatrième année Les relations Russie/Union Européenne/Europe orientale/Balkans Sous la direction de : MARCHAND Pascal (Soutenu le : 02 Septembre 2013) Membres du jury : MARCHAND Pascal BOURGOU Taoufik

Le continent européen face au crime organisé : Un …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/Etudiants/...en 1997 (Devenu ONUDC en 2002, ONU contre la Drogue et le Crime) l’Union

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Université de LyonUniversité lumière Lyon 2

Institut d'Études Politiques de Lyon

Le continent européen face au crimeorganisé : Un enjeu moderne de sécurité.

BESANCON KevinMémoire de quatrième année

Les relations Russie/Union Européenne/Europe orientale/BalkansSous la direction de : MARCHAND Pascal

(Soutenu le : 02 Septembre 2013)

Membres du jury : MARCHAND Pascal BOURGOU Taoufik

Table des matièresRemerciements . . 5Epigraphe . . 6Introduction . . 7CHAPITRE I : LE CRIME ORGANISE A LA CROISEE DES CHEMINS . . 11

Première Partie : DE QUI PARLE-T-ON EN EUROPE ? . . 11Section A/ Le quatuor baroque italien . . 11Section B/ La mafia russe . . 13Section C/ La mafia turque (ou maffya) . . 14Section D/ Les protomafias . . 15

Deuxième Partie : LE MONDE POST- GUERRE FROIDE : TERRAIN PROPICE DESMAFIAS . . 16

Section A/ L’instabilité mondiale . . 16Section B/ La mondialisation des flux : se faire petit dans un monde de géants . . 18 Section C/ Les conflits modernes : Une opportunité pour le crime organisé . . 19

Troisième Partie : UNE PERIODE PROPICE AUSSI A LA LUTTE CONTRE LE CRIMEORGANISE . . 20

Section A/ Les sociétés démocrates-libérales et le recentrage de la sécurité surl’individu . . 21Section B/ Une opportunité politique à saisir pour l’Europe . . 22Section C/ De l’opportunité politique à l’utilité réelle . . 23

CHAPITRE II : LA NATURE DE LA MENACE POUR LE CONTINENT EUROPEEN . . 25Premiere partie : LA MISE A MAL DE LA MAIN INVISIBLE . . 25

Section A/ L’aspect local : le racket et le pizzo . . 25Section B/ Le niveau intermédiaire : le faussement de la concurrence desentreprises . . 27Section C/ Le niveau global : Le blanchiment d’argent dans l’économie réelle . . 28

Deuxieme partie L’ATTEINTE A L’AUTORITE POLITIQUE ETATIQUE . . 30Section A/ Crime Organisé et construction des Etats : des logiquesdangereusement similaires . . 30Section B/ L’encadrement des diasporas : une intégration par défaut . . 32Section C/ Du filet social au contrôle politique : une allégeance indéfectible ? . . 34

Troisieme partie : cas d’étude : LE TRAFIC DE DECHETS : ILLUSTRATION D’UNEMENACE POLYMORPHE . . 35

Section A/ L’aspect local : pollution, insalubrité et corruption . . 36Section B/ L’aspect européen : distorsions de concurrence, sous-développement ettrafics divers . . 37Section C/ L’aspect global : l’Europe, sous-traitante de la gestion des risques . . 38

CHAPITRE III : LA PROSPECTION : TENDANCES DES ANNEES A VENIR POUR LE CRIMEORGANISE . . 41

Premiere partie : LES EVOLUTIONS DANS LES METHODES . . 41Section A/ Cybertrafics et drogues de synthèse . . 41Section B/ Réseaux et Intermédiaires . . 43

Section C/ Les conséquences de la crise : le crime organisé dans la vie quotidienne. . 44

Deuxieme partie : LE DEVELOPPEMENT DES ACTIVITES A MOINDRE RISQUES . . 46Section A/ Se rendre indispensable pour perdurer : l’insertion du crime organisédans la sphère financière . . 46Section B/ La fraude à la TVA, talon d’Achille de l’Européanisation . . 48Section C/ Le flux incontrôlable des conteneurs : un trafic parmi d’autres . . 51

Troisieme partie : L’ADAPTATION DE LA LUTTE . . 52Section A/ Le recours à la sécurité privée : entre vraie solution et fausse bonne idée. . 52Section B/ La coopération des services : limites d’un succès . . 54Section C/ L’attaque latérale . . 55

Conclusion . . 57Bibliographie . . 58

Articles Universitaires . . 59Rapports . . 60Revues . . 60Communiqués de Presse . . 60Articles de Journaux . . 61Documentaires . . 62

Remerciements

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RemerciementsA Taoufik Bourgou, B.L. et X.R. pour les entretiens précieux qu’ils m’ont accordé, aussi bien surle fond que sur la forme.

A Marie Coiffard, Charline Darmaillacq et Pierre-Yves Clerc pour les conseils avisés qu’ilsm’ont apporté.

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Epigraphe« Une arme en soi ne tue jamais personne »Mickael Kalachnikov

Introduction

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Introduction

L’épigraphe utilisé, attribué à Mickail Kalachnikov, inventeur du célèbre fusil d’assaut AK-47,fait probablement partie de la légende urbaine, cependant, il illustre une caractéristiqueessentielle du crime organisé qui a guidé les recherches de ce mémoire : en ce domaine,la menace ne réside pas dans ce qui est visiblement dangereux, mais s’insère dansdes processus relativement inoffensifs que l’utilisation pernicieuse rend menaçants, biensouvent à moyen ou long terme, de manière indirecte.

La première difficulté de quiconque souhaite s’intéresser à ce phénomène réside dansle simple fait de définir ce terme, de lui attribuer des signes distinctifs inclusifs ainsi quedes limites claires. Et pour cause, Jean Ziegler, débute son ouvrage : Les Seigneurs duCrime : Les nouvelles mafias contre la démocratie 1 en démontrant que l’ONU proposevingt-sept définitions différentes pour le crime organisé. Chacune de ces définitions diffèreen raison de visions politiques diverses ou d’approches méthodologiques peu compatiblestelles que la définition par le mode d’organisation, la définition par l’action ou encore ladéfinition par l’histoire. On peut ajouter à ces définitions celles produites par chaque grandsommet international ou européen consacré à la criminalité organisée tels la Conférence deNaples du G7 en Novembre 1994, le sommet de Birmingham du G8 en Mai 1998 ou encorela Convention de Palerme des Nations-Unies de Décembre 2000.

La définition retenue pour ce mémoire sera cependant, et pour éviter toute teintepolitique, celle proposée par un juriste, Nicolas Queloz, Professeur de Criminologie etde droit pénal à l’Université de Fribourg. Cette définition regroupe l’ensemble de cellesproposées à l’international en écartant le superflu et laissant toutefois une marge demanœuvre dans son interprétation.

La criminalité organisée est le fait de groupements (généralement de typefamilial) ou d’associations de criminels (de type gangs professionnels au pluriel)qui poursuivent une volonté délibérée de commettre des actes délictueux, soitexclusivement, soit en lien avec des activités légales et dont la préparation, laméthode et l’exécution des tâches caractérisent par une organisation rigoureuse,stratégique et professionnelle. Elle est une véritable entreprise ou industrie ducrime, visant une stratégie de rationalisation et d’extension internationale quiopère dans les trois domaines d’activités suivants, sans négliger ses liens avecla petite criminalité : actes terroristes, intimidations ; organisation d’activités aupluriel et de trafics illicites extrêmement rémunérateurs comme l’exploitation decasinos ou le proxénétisme … ; et enfin la criminalité en col blanc ou criminalitééconomique comme les moyens de recyclage des profits criminels. Elle procurepar conséquent des gains importants, voire gigantesques. Sa structure en filièreset en réseaux nationaux et transnationaux donne à la criminalité organiséed’une part un très grande capacité d’adaptation aux changements politiques,socio-économiques, juridiques et d’autre part ces réseaux offrent à la criminalitéorganisée des atouts de pouvoir et d’influence très importants.

1 ZIEGLER, J. Les seigneurs du crime Les nouvelles mafias contre la démocratie. Seuil. 1998. 183 p.

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Pour compléter cette définition, Jean Michel Dasque, juriste lui aussi puisqu’administrateur àla Direction Générale de la Justice de la Commission Européenne, propose une typographiedes groupes criminels, largement reprise ci-dessous, selon leur hiérarchie dans le crimeorganisé. 2

En premier lieu il distingue tout simplement les mafias traditionnelles, qu’il qualified’aristocratie du crime, ces groupes sont ancrés historiquement sur un territoire qu’ilscontrôlent, très structurés, ils sont liés par des rites spécifiques d’intégration etd’appartenance qui se justifient souvent par les légendes et mythes autour de la création decette entité. De ce mode d’organisation découle une caractéristique majeure : ces groupessurvivent à la mort ou la mise à l’écart du chef.

On peut à ce titre réutiliser la métaphore du caméléon de Jean-François Gayraud3 pourillustrer la flexibilité des mafias qui savent toujours s’adapter et se reconvertir, faire profilbas puis revenir (y compris sous le communisme ou le fascisme). Cette adaptabilité est cequi les différencie principalement des cartels, protomafias et autres gangs.

En second lieu s’illustrent les protomafias et cartels, les premiers sévissantessentiellement sur le territoire européen et les seconds en Amérique Latine. Ces groupessont relativement récents, créés dans des pays en crise ou en transition politique difficile.Leur naissance est peu entourée de mythe, ils sont peu philanthropes vis-à-vis de lapopulation qu’ils contrôlent, forment une alliance temporaire entre des groupes criminelsdans un but commun d’accaparement d’un marché spécifique et disparaissent ou mutentprofondément à la mort ou la mise à l’écart du chef.

Les gangs, qui fonctionnent en petites unités peu hiérarchisées, disposent d’un contrôlelâche sur un petit territoire mais empruntent aux mafias et protomafias le principe du racketet la violence qu’ils pratiquent d’ailleurs allègrement et cruellement, avec beaucoup moinsde stratégie que les mafias traditionnelles. Pour l’Europe, et plus spécifiquement pour laFrance, on parle alors de « bandes », mais sont incluses ici seulement les plus puissanteset les plus organisées disposant d’un arsenal ou d’un chiffre d’affaires important. Leurdisparition n’attend pas la mort ou la mise à l’écart du chef mais parfois une simple opérationde police ou une dispute à la tête du groupe.

Jean-Michel Dasque précise enfin, et nous conclurons ici la définition théorique ducrime organisé, que les cloisons entre ces groupes ne sont pas étanches, ils coopèrent etévoluent pour se resituer en permanence dans la hiérarchie criminelle, à la hausse maisaussi parfois à la baisse.

Depuis la fin de la Guerre Froide, les préoccupations concernant le crime organisé auniveau international se sont développées, et ce, dans un souci de recherche des nouvellessources du danger, mais aussi en raison d’une prétendue nouvelle ère de prospérité pourle crime organisé.

A ce titre, la Conférence de Naples de décembre 1994 est sans équivoque danssa déclaration de préambule4, les Nations-Unies affirment que le crime organisé prolifèrerapidement au niveau mondial, remettant en cause la sécurité, la souveraineté des Etats etle développement économique mondial. Les Nations-Unies affirment alors que la situationest alarmante et que la réaction des Etats et des organisations internationales est uneurgence, celle-ci devant se faire sous l’égide de la coopération internationale et de

2 DASQUE J-M. Géopolitique du Crime International. Ellipses. 2012. 236 p.

3 GAYRAUD, J-F. Le monde des mafias Géopolitique du crime organisé. Odile Jacob. 2008. 447 p.

4 Voir Annexe 2, Déclaration de Préambule de la Conférence de Naples.

Introduction

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l’allocation de moyens appropriés. Par la suite, de nombreux sommets internationauxreprendront peu ou prou ces constats, comme par exemple le sommet du G8 de 1998 àBirmingham où les grandes puissances affirment que l’un de leur trois défi principaux pour leXXIème siècle sera la lutte contre le crime organisé et le trafic de drogue5. Entre-temps, en1996, la National Security Strategy des Etats-Unis6 mettait l’accent sur les conflits urbainsavec notamment les « guerres » dans les bidonvilles et missions anti crimes en affirmant quela sécurité à l’intérieur des frontières devenait aussi importante que la sécurité à l’extérieur.Ces déclarations d’intentions se transforment ensuite rapidement en actes et l’ONU lance engrande pompe, à Vienne, le Bureau du Contrôle des Drogues et de la Prévention du Crimeen 1997 (Devenu ONUDC en 2002, ONU contre la Drogue et le Crime) l’Union Européennelance à son tour un organe de coopération contre le crime organisé, Europol, en 1999.

Cet élan nouveau des années quatre-vingt-dix s’essoufflera assez vite suite auxattentats du 11 septembre 2001 et la relégation du crime organisé au rang de menace bieninférieure à celle du terrorisme. Dix ans plus tard, les préoccupations concernant le crimeorganisé semblent à nouveau à l’ordre du jour. Les Etats-Unis eux-mêmes l’ont gratifié demenace équivalente au terrorisme dans leur Strategy to Combat Transnational OrganizedCrime de 20117, une première. La même année, Sofia Alfano, députée européenneitalienne, défend le projet européen de résolution contre le crime organisé. Celui-cidonnera naissance à l’unique commission spéciale du moment au parlement Européen :la Commission contre le crime organisé, le blanchiment d’argent et la corruption8. Devantl’ampleur du travail, le rapport final a été repoussé à maintes reprises pour finalement êtrefixé au 9 septembre 2013. Si l’on en croit ses membres, il sera la pierre angulaire d’unenouvelle stratégie européenne de lutte contre le crime organisé. Affaire à suivre.

Alors dans ce contexte, pourquoi se limiter au territoire européen dans la présenteétude ? En réalité, cette limite continentale, plus qu’une limite confortable pour éviter detraiter un phénomène mondial, s’explique par le caractère central de l’Europe dans les traficsmondiaux, aussi bien comme point de départ que comme destination de ceux-ci, s’intéresserà l’Europe c’est donc chercher à dénouer une situation qui permettrait d’en comprendrebeaucoup d’autres ailleurs dans le monde, de même, endiguer le crime organisé en Europec’est le réduire considérablement au niveau mondial. Afin de mieux se rendre compte duphénomène, une carte récapitulative des trafics mondiaux parle d’elle-même.

Aussi, il est à noter que se limiter au crime organisé sur le sol européen, c’ests’intéresser à une forme spécifique de celui-ci. En effet, les mafias et groupes affiliés quisévissent sur le territoire européen disposent de leurs propres logiques, d’une histoireparticulière, qui font que les étudier dans un processus mondial tend à faire perdre de sapertinence à l’analyse. Ces caractéristiques particulières sont la coexistence historique avecdes Etats forts, le relatif respect de codes dans l’action, la culture du secret et de l’invisibilité,

5 Communiqué de presse. G8, 1998. URL : http://www.g8.fr/evian/francais/navigation/documents_du_g8/archives_des_precedents_sommets/sommet_de_birmingham_-_1998/lutte_contre_la_drogue_et_la_criminalite_internationale.html

6 “ A National Security Strategy of Engagement and Enlargement” . Février 1996. URL :http://www.fas.org/spp/military/docops/national/1996stra.htm

7 « Strategy to Combat Transnational organized Crime » 25 Juillet 2011. URL: http://www.whitehouse.gov/administration/eop/nsc/transnational-crime

8 Commission Criminalité organisée, corruption et blanchiment de capitaux. URL. http://www.europarl.europa.eu/committees/fr/crim/home.html

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l’opportunité de la fin du communisme à l’Est ou encore la faiblesse des liens avec lessyndicats ouvriers et patronaux, marché prisé par les mafias du reste du monde.9

(à consulter sur place à la bibliothèque de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon).Ainsi, le crime organisé est bien une préoccupation du monde moderne en matière

de sécurité, pourtant, il ne nécessite pas la même approche que les priorités sécuritairestraditionnelles. La menace est différente de celles envisagées par les Etats jusqu’ici,l’ennemi ne se dévoile pas comme dans le cas d’une rivalité étatique ou du terrorisme, nevise pas à la suppression de l’Etat, mais souhaite vivre dans son ombre, il nécessite en celades outils spécifiques d’analyse.

En quoi le crime organisé représente-t-il un enjeu moderne de sécurité pour lecontinent européen ?

Traiter d’un tel sujet revêt cependant quelques difficultés qu’il faut préciser. Pourreprendre l’analyse de Rob Walker dans Inside/Outside International Relations as a PoliticalTheory, les relations internationales souffrent toujours d’une vision qui, spontanément, nouspousse à différencier le traitement de l’interne et l’international. Dans l’espace mondialiséqu’est le monde post-guerre froide, Rob Walker préconise alors d’analyser les relationsinternationales principalement en termes de flux et de nœuds afin de mieux comprendredes phénomènes transnationaux tels le crime organisé ou le terrorisme. Mêler l’intérieuret l’extérieur dans une telle approche nécessite aussi d’emprunter à différentes disciplinesuniversitaires pourtant cloisonnées telles la géopolitique, la criminologie, les politiquespubliques et la sociologie. On voit ici que traiter du crime organisé est par nature bancalscientifiquement parlant et le présent mémoire s’attachera à éviter que les « sauts » entredisciplines ne laissent derrière eux la compréhension du lecteur.

9 DASQUE J-M. Géopolitique du Crime International. Ellipses. 2012. 236 p.

CHAPITRE I : LE CRIME ORGANISE A LA CROISEE DES CHEMINS

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CHAPITRE I : LE CRIME ORGANISE ALA CROISEE DES CHEMINS

Opportunités et dangerosités du monde moderne.Les constatations internationales évoquées en Introduction font toutes état d’une même

observation, le crime organisé progresse à vive allure depuis la fin du monde bipolaire.Pourtant, ce crime organisé n’est pas apparu ex-nihilo à la chute du mur de Berlin, eten particulier sur le continent européen où il fait partie des inquiétudes des Etats et despopulations depuis le XIXème siècle. Le tournant des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix ne peut se comprendre qu’en appréhendant correctement ce qu’ont été les mafiaseuropéennes depuis leurs débuts, c’est ce cheminement auquel s’attachera la premièrepartie de ce chapitre. La suite est logique, s’il y a bien eu une évolution dans les deuxdernières décennies, il faut s’attacher à ce qui favorise ce changement : aux opportunitésdu monde moderne. Ce monde moderne n’est pourtant pas l’Eden souvent évoqué pour lesmafias, leur endiguement représente lui aussi une opportunité pour les autorités politiqueset l’intérêt de la lutte contre ces groupes n’a jamais été aussi clair que dans le monde actuel.C’est ce dualisme opportunité/intérêt que s’attachera à démontrer la troisième partie de cechapitre.

Première Partie : DE QUI PARLE-T-ON EN EUROPE ?Sur le sol européen, les trois types de groupes du crime organisé cohabitent : les mafias« traditionnelles », les protomafias et les bandes criminelles. Une présentation de tous cesgroupes est nécessaire pour comprendre ensuite quels acteurs et quelles cultures sont enjeu lorsqu’ils seront évoqués au cours de ce mémoire. Cette présentation des groupes nese veut pas exhaustive dans l’historique présenté mais succincte et mettant en avant cequi va ensuite servir pour la compréhension du développement. Seront donc présentées iciles mafias italiennes, russes, turques ainsi que les protomafias. Les bandes criminelles nele seront en revanche pas, une description plus poussée que celle fournie en introductions’avérant peu utile dans la présente étude.

Section A/ Le quatuor baroque italienLes mafias italiennes commencent leur activité au début du XIXème siècle sous forme desociétés secrètes agissant d’abord contre l’occupation napoléonienne du territoire, puis,comme soutien des barons locaux au moment de l’unification italienne dans la secondemoitié du XIXème siècle10. Dans ce sud de l’Italie, pauvre, rural et peu administré par lepouvoir central car fraichement rattaché au gouvernement de Rome, ils agissaient alors

10 LUPO, S. Histoire de la Mafia Des origines à nos jours. Champs histoire. 1996. 398 p.

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comme hommes de mains des chefs d’entreprises, propriétaires terriens et rares autoritéspolitiques. Ils utilisaient sur commande la violence contre les populations pour leur faireaccepter les décisions, que ce soit à propos du salaire horaire, du temps de travail ouencore de la création d’un nouvel impôt. Petit-à-petit, ils se sont imposés à quiconquevoulait exercer une activité sur leur territoire, proposant une protection rémunérée contreune violence qu’eux même exerçait si l’individu refusait, il s’agit là des débuts du racketde grande ampleur. Mises à mal sous Mussolini par une action féroce du pouvoir central,elles disparaitront presque totalement (notamment pour la Camorra) avant de réapparaitreexplicitement après la Seconde Guerre Mondiale. Soutenues par les autorités américainesau même titre que la mafia des Yakuzas au Japon, elles seront chargées de réorganiser leterritoire et d’utiliser leurs vieilles méthodes pour contrecarrer la poussée communiste. Ils ontalors bénéficié d’une relative bienveillance du pouvoir central jusque dans les années 80, Ilsont pu développer un commerce basé essentiellement sur la contrefaçon, le détournementde marchés publics à leur profit, le racket et les jeux11. Les années quatre-vingt représententun tournant où la menace communiste s’estompe et où les activités mafieuses ont explosé,notamment avec le trafic de drogue, révélé par l’affaire de la « pizza connection » 12 , cequi les a rendues bien plus visibles à la population et donc plus gênantes pour le pouvoir.Depuis, la hiérarchie des mafias italiennes se recompose notamment sous la poussée dela ‘Ndrangheta et le déclin de Cosa Nostra, les criminels tentent désormais d’adopter profilbas mais leur puissance financière ne fait qu’augmenter, ce qui complique parfois cetteinvisibilité. Chacune de ces mafias disposent d’activités de prédilection identifiables : LaSacra Corona Unita, dernière-née de ces mafias italiennes, est apparue dans les années1970, résidu de la politique de Rome qui consistait à envoyer les mafieux dans les prisonsdes Pouilles et notamment dans la ville de Lecce13. Très vite, ils s’installent dans la région(notamment les camorristes, à l’étroit à Naples) et font office de relais dans les nouveauxaccords entre mafias turques et italiennes pour le trafic de drogue. La Sacra CoronaUnita est aussi la grande bénéficiaire de la montée en puissance de la mafia albanaisedepuis les années quatre-vingt (elle aussi relais de l’axe Turquie-Italie pour l’héroïne),leur proximité géographique aidant, elle excelle ainsi particulièrement pour faire entrerdans l’Union Européenne des armes d’Ex-Yougoslavie, de l’Héroïne et des immigrantsclandestins surtout destinés à la prostitution. La Camorra napolitaine, mafia essentiellementurbaine, travaille dans le trucage des marchés publics (notamment l’enlèvement de déchets)et la contrefaçon de vêtements, elle est impliquée aussi dans divers trafics à travers lemonde du fait de sa dissémination mondiale, le pays le plus touché étant l’Espagne. La‘Ndrangheta qui a le vent en poupe et est actuellement la plus puissante et la plus ferméede toute (avec un chiffre d’affaires annuel estimé à près de 50 milliards d’Euros14), sembleavoir délaissé ses activités premières d’enlèvement d’individus fortunés pour se reconvertirdans le trafic extrêmement lucratif de cocaïne en provenance d’Amérique Latine, mais ausside corruption de marchés publics (ici bien plus les travaux publics). Cosa Nostra, quant àelle, en perte de vitesse depuis les années 90 après avoir perdu le marché de la cocaïne,et ce, en raison d’une exposition trop forte de ses chefs qui a mené à une répression férocede l’Etat italien. En effet, l’ancien boss de Cosa Nostra, Toto Riina, l’a mené au suicide

11 Ibid

12 Cosa Nostra avait repris à la fin des années 1970 le marché de la cocaine à destination des Etats-Unis à la chute de la« French connection » de la Côte d’Azur, pour parvenir à faire entrer la drogue aux Etats-Unis, la méthode de Cosa Nostra consistaitnotamment à la cacher dans des boites de pizza qui arrivaient par importation.

13 GAYRAUD, J-F. Le monde des mafias Géopolitique du crime organisé. Odile Jacob. 2008. 447 p.14 ROUDAUT, M. Marchés Criminels un acteur global. Puf. 2010. 286 p.

CHAPITRE I : LE CRIME ORGANISE A LA CROISEE DES CHEMINS

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quand, après vingt ans d’impunité en Sicile, après avoir éliminé tous ses rivaux et avoirmis sous tutelle l’ensemble de l’administration de l’île, qui avait atteint des sommets enmatière de corruption, n’a pas supporté que les juges Giovanni Falcone et Paolo Borsellinos’intéressent à cet état de fait au début des années quatre-vingt. Toto Riina et les Corleonesi,du nom de sa « famille » originaire du village de Corleone, ont alors choisi la stratégiede l’affrontement direct avec l’Etat, à visage découvert, en assassinant le préfet de policede Palerme, les juges Falcone et Borsellino, un député de la commission anti-mafia et enrevendiquant une quasi-indépendance. Le résultat a été sans appel, l’Etat étant toujoursplus fort et l’opinion (y compris des mafiosis) y voyant une distorsion des rapports de force,la mafia sicilienne a subi un séisme répressif de la part des autorités de Rome, Toto Rina etles Corleonesi ont donc tous terminé leur aventure en prison, en cavale à l’étranger ou à lamorgue dès le milieu des années quatre-vingt-dix, et ainsi, l’affaiblissement de Cosa Nostraa conduit à un juste retour à l’équilibre des puissances entre Etat et mafias. Aujourd’huidonc, Cosa Nostra s’est recentrée sur le racket et la corruption de marchés publics tandisque la ‘Ndrangheta a repris le marché de la cocaïne, en évitant bien la surexposition qui atant coûté à Cosa Nostra 15.

Section B/ La mafia russeLes vory v zakone (les voleurs dans la loi, aussi appelés Bravta : « les frères », qui désignel’ensemble des membres alors que vory v zakone désigne bien plus l’élite de ces mafias,même si le terme s’est parfois appliqué à l’ensemble des mafieux avec le temps) trouventaussi leurs origines au XIXème siècle. Dans la vaste Russie tsariste sous-administrée, ilss’étaient organisés en contre-société avec ses codes propres, cette loi des brigands servaitaussi à les démarquer des petits voleurs amateurs pour former une sorte de bourgeoisiedu crime. Très peu hiérarchisée, ou du moins organisée de manière plus horizontale queverticale, à la différence des mafias italiennes, l’allégeance se démontrait plus en participantà une caisse commune, l’obschak, pour laquelle ils reversaient une partie de leurs butins,celle-ci servait à entretenir les familles des prisonniers ou faire face à toutes sortes dedifficultés16. Si les Bolcheviks se sont en partie alliés avec eux pour gagner le pouvoir etnotamment pour leur trouver des fonds en braquant des banques (c’est d’ailleurs comme çaque Staline est entré au Parti Communiste), ils leur imposeront ensuite une chasse férocedu fait de leur caractère « aristocratique » et de leur désir d’indépendance dans l’action.Dans les goulags communistes donc, ces voleurs réussiront à nouveau à s’organiser enformant une sorte d’élite des goulags organisant l’infiltration de nourriture, d’alcool, de tabacet de vêtements avec la complicité des gardes touchant au passage un pécule bienvenuen ces temps difficiles. Ces années au Goulag leur permettront une sorte d’acculturation,leur permettant de renforcer les codes et dogmes communs, illustrés par leurs nombreuxtatouages symbolisant leurs origines géographiques, leurs faits d’armes et leur place dansla hiérarchie. La Seconde Guerre mondiale occasionne un cas de conscience pour denombreux vory, leur code leur interdisant toute collaboration avec une quelconque autoritéextérieure, ils ne peuvent théoriquement pas s’enrôler dans l’armée. Une partie choisirapourtant cette option et la fin des années 1940 sera le théâtre d’un affrontement meurtrierentre les « modernes » et les « traditionnels »17. Avec la mort de Staline en 1953, les Goulagsse vident peu à peu et beaucoup de ces criminels se voient libérés. Le pouvoir communiste

15 LUPO, S. Histoire de la Mafia Des origines à nos jours. Champs histoire. 1996. 398 p.16 CHALIDZE V. Le Crime en Union Soviétique. Olivier Orban. 1978. 242 p. (trad France Marie Watkins)

17 Ibid

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réhabilitera alors de vieilles pratiques tsaristes en s’attachant les services de certains deces groupes (Plutôt des « modernes » donc) essentiellement pour éliminer de nombreuxopposants à la fois sur le territoire soviétique mais aussi en dehors. Il s’agissait aussid’entretenir des liens et d’approvisionner les différents groupes communistes activistes àtravers le monde dans ce contexte de guerre froide18. La mafia russe au sens large connaitun nouvel élan avec la Perestroïka et la fin du communisme en prenant le contrôle à bascoût, en utilisant bien souvent la violence pour convaincre, de nombreuses entreprisessoviétiques en liquidation. La pratique du racket, de la protection privée, de l’exportationillégale des immenses stocks d’armes - tout cela permis par l’intégration dans les mafiasde milliers d’anciens membres du KGB, débauchés par le nouveau pouvoir mais, disposantde réseaux et de savoirs faires d’une valeur inestimable dans le monde criminel - ferontdes années 90 un âge d’or des mafias russes19. Depuis, la Russie de Vladimir Poutine avu la criminalité visible diminuer avec le renforcement de l’Etat, cependant le flou règnetoujours sur les liens entre les autorités centrales et locales et ces groupes dont beaucoupd’anciens chefs ont quitté le territoire russe, une fois enrichis, pour s’installer à l’Ouest. Ilest à noter que le terme mafia russe ne signifie pas que l’ensemble des membres fassepartie de l’ethnie russe, en réalité on devrait bien plus parler de mafia russophone puisquedes groupes de vory sont en fait géorgiens, arméniens, tchétchènes, azéris ou encoreouzbeks. S’il existe des connexions entre ces groupes, elles sont souvent le reflet de lasituation diplomatique de ces ethnies, il y a par exemple peu de liens entre les criminelstchétchènes et russes20. On ne peut réellement identifier de spécialité dans les activitésmafieuses russes tant elles sont nombreuses et présentes sur des marchés variés, allantdu trafic d’êtres humains aux drogues de synthèse en passant par le trafic de véhiculesvolés et le trafic d’armes. Cependant, il est clair que ces dernières années, les mafias russesse sont spécialisées dans la criminalité de haut niveau : cybercriminalité et falsification dedocuments administratifs et bancaires, du fait de l’intégration de nombreux jeunes diplômésissus des universités et ne trouvant pas leur place sur le marché du travail21.

Section C/ La mafia turque (ou maffya)Les babas (papas) turques sont une mafia qui trouve son origine dans le rassemblementdes bandes de gangsters au sortir de la Première Guerre mondiale. Ceux-ci, surnommésles Kadabayi, formaient des sortes de milices patriotes autonomes chargées plus ou moinsofficiellement d’administrer, de rendre la justice, de collecter des taxes dans les territoires del’Est pendant que les rares autorités politiques s’occupaient de mener la guerre à l’Ouest.Leur réel développement en tant que mafia a lieu essentiellement à partir de la pénalisationde la consommation de l’opium en Europe de l’Ouest, au tournant des années 2022. Leurposition privilégiée entre Asie et Europe leur a permis de relier les centres de production deslieux de consommation principaux. Ils ont alors intégré les méthodes mafieuses auprès despécialistes puisqu’ils sont en contact direct avec les mafias italiennes depuis cette époque.Dans les années 1970-80, ils s’allieront aux loup-gris, milices d’extrême-droite chargées

18 HANDELMAN, S. Comrade Criminal Russia’s new Mafiya. Yale University Press. 1997. 408 p.

19 SOLDATOV, A ; BOROGAN, I. Les héritiers du KGB Enquête sur les nouveaux Boyards. François Bourin Editeurs. 2011.379 p.

20 ANTOINE, J-C. Au cœur du trafic d’armes Des Balkans aux banlieues. Vendémiaire. 2012. 216 p.

21 CASTAGNET A-G. « Les organisations et leurs sociétés », Revue internationale et stratégique 3/2001 (n° 43), p. 93-10122 GAYRAUD, J-F. Le monde des mafias Géopolitique du crime organisé. Odile Jacob. 2008. 447 p.

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par les autorités militaires de rétablir l’ordre en éliminant toutes sortes de contestataireset terroristes dans le chaos ambiant. Cette alliance avec le pouvoir se perpétue ensuiteavant de donner lieu à différents scandales dans les années quatre-vingt-dix où la collusionpouvoir et mafia apparait au grand jour lors de différentes affaires au sommet de l’Etat, etnotamment en 1998 avec la privatisation de la banque publique Turkbank. Les deux partisse partageant le pouvoir des années 1983 à 2002, le Parti de la Mère Patrie et le Parti dela Juste Voie, ne peuvent plus, au début des années 2000, cacher leurs liens évidents avecles plus grands chefs mafieux. En 2002 donc, l’AKP, le Parti de la Liberté et de la Justicede Recep Tayyip Erdoğan, remporte les élections notamment sur le thème de l’intégrité vis-à-vis des groupes mafieux. X.R. note à ce propos que la tolérance de l’Europe envers lesmafias s’est illustrée particulièrement au cours de cet épisode puisqu’au lieu de se réjouir dela fin d’un régime complètement gangréné par les mafias, les autorités européennes n’ontfait que s’inquiéter de l’arrivée d’un parti islamiste (modéré) au pouvoir23. On voit bien là leseffets du 11 septembre et la priorité du terrorisme sur toutes les autres menaces. Depuis,les mafieux se sont écartés peu à peu des arcanes du pouvoir et se rapprochent notammentdu PKK, parti des travailleurs du Kurdistan, groupe indépendantiste oscillant entre politique,terrorisme et trafic d’héroïne. 24

Section D/ Les protomafiasLes protomafias sont quant à elles constituées presque exclusivement de groupes criminelsd’Europe de l’Est et des Balkans. Pour les groupes balkaniques et notamment la mafiaalbanaise25, leur développement est essentiellement dû aux trafics durant les guerres desBalkans des années quatre-vingt-dix et les embargos internationaux qui se sont abattussur les nations d’ex-Yougoslavie. La mafia albanaise est alors devenue la plus puissantede toutes celles-ci en bénéficiant de sa position stratégique au cœur des Balkans (alorsverrouillés par les embargos de 1992 à 1996, mis à part pour l’Albanie) de la proximitédes mafias italiennes, d’un soutien politique fort puisqu’ils finançaient en grande partiele Parti Démocratique Albanais qui a gagné les élections de 199226, et d’un contextechaotique notamment avec les émeutes de 1997 qui ont vu le pillage des immensesstocks d’armes de l’armée albanaise. A la différence des autres protomafias, ils obéissentplus ou moins strictement à un code : le kanun, vieille tradition albanophone de justiceprivée mêlant honneur et respect de la famille, ressuscitée à la chute du communismeprincipalement au sein des groupes mafieux et des campagnes. Aujourd’hui, les mafiasalbanaises s’occupent essentiellement de trafic d’héroïne en provenance de Turquie, detrafic d’armes de l’ensemble des pays de l’Est et de trafics d’êtres humains. Pour les autresgroupes, il s’agit plus d’une création de circonstance, de l’habitude de la « débrouille »dans l’ancien système communiste corrompu qui s’est ensuite érigée en mode de viepour une partie de la population désœuvrée et abandonnée par l’administration dansles années quatre-vingt-dix.Il faut ajouter à cela que, de même que pour les mafias

23 RAUFER X. « L'Union Européenne, la mafia turque et... l'Arlésienne » , Outre-Terre 1/2005 (n o 10), p. 83-95.

24 . GAYRAUD, J-F. Le monde des mafias Géopolitique du crime organisé. Odile Jacob. 2008. 447 p.

25 On parle souvent de “mafia albanaise » pour désigner ces groupes mais la plupart des spécialistes s’accordent pour ne pas luiattribuer le statut de mafia au même titre que les groupes présentés précédemment. Aussi, on parle là de l’ethnie albanaise et non dela nationalité, les mafias albanaises regroupant des individus originaires d’Albanie, du Kosovo, de Macédoine et du Monténégro.

26 CHASSAGNE, P ; GJELOSHAJ Koël. « L'émergence de la criminalité organisée albanophone » , Cahiers d'Etudes surla Méditerranée Orientale et le monde Turco-Iranien [En ligne], 32 | 2001, mis en ligne le 13 mai 2005.

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russes présentées précédemment, beaucoup d’anciens agents des services secrets (Etparticulièrement les anciens du terrible Sigurimi albanais), mais aussi d’anciens policiers,militaires et douaniers se sont reconvertis dans le crime sans réelle autre alternatived’emploi mobilisant leurs compétences27. A ce titre, le cas de la formation de la mafiabulgare, aujourd’hui extrêmement puissante, est symptomatique 28. Les activités de cesmafias sont essentiellement du ressort du vol à grande échelle, du trafic d’êtres humains,du racket et de la sécurité privée mais il leur arrive aussi de s’essayer au trafic de droguesans réellement percer à grande échelle.

Deuxième Partie : LE MONDE POST- GUERREFROIDE : TERRAIN PROPICE DES MAFIAS

La partie suivante s’inspire de constats d’auteurs défendant l’intégration à part entièredu crime organisé dans la géopolitique. Pour cela ils affirment que les déterminantsgéopolitiques modernes que sont la fin de l’ordre bipolaire, la mondialisation économiqueet les conflits de basse intensité représentent un catalyseur idéal pour l’expansion desmafias et leur intégration dans le grand jeu des relations internationales. Sans aller jusqu’àen retenir leurs conclusions, cette partie revient sur le constat d’un monde favorable à laprolifération des activités mafieuses.

Section A/ L’instabilité mondialeLa fin de la Guerre Froide a entrainé un bouleversement géopolitique admis par tous :le monde ne s’envisage plus en deux « camps », mais en une multitude d’entités auxalliances évolutives. Ce monde post-guerre froide est un monde où l’ennemi ne va plus desoi pour les grandes puissances, où l’on accorde plus d’importance à de nouveaux acteurs(pays émergents, firmes multinationales, organisations non-gouvernementales) et où lesfrontières entre les activités des groupes terroristes et des groupes criminels s’amenuisent.Nous parlons bien ici du niveau mondial et non de l’Europe où cette hybridation estbeaucoup moins évidente. Pour X.R., ces groupes dangereux sont présentés comme« amorphes et acéphales »29, comprendre ici qu’ils ne possèdent ni une organisation etune activité fixe, ni une tête clairement identifiée. Ce même auteur parle alors de « chaosglobal », non dans le sens commun de situation de fin du monde mais dans le sens de lascience physique où le chaotique signifie le non-ordre, une situation d’entre deux attendantun retour à l’ordre avec une identification de qui fait quoi et avec qui ? Le monde actuelserait donc à la recherche d’une stabilité des atomes. La guerre froide était effectivementvue comme une période de menace permanente mais présentait au moins l’avantage decréer une situation globale assez stable, les « camps », s’ils n’étaient pas toujours aisémentdéfinissables, étaient au moins décelables. La stabilité résidait aussi dans l’approche de lasécurité dans les relations internationales : il s’agissait d’une sécurité utilisant avant tout desmoyens militaires contre un ennemi extérieur identifié géographiquement, idéologiquementet même matériellement.

27 ANTOINE J-C. Au cœur du trafic d’armes Des Balkans aux banlieues. Vendémiaire. 2012. 216 p.

28 Rapport consultable en Ligne: “Examining the links between organized crime and corruption” URL: http://www.csd.bg/

29 RAUFER, X. Les nouveaux dangers planétaires . CNRS Editions. 2012. 256 p.

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Au-delà de ce constat global relativement commun, la fin du monde bipolaire aindirectement favorisé le développement de la grande criminalité en laissant des groupesactivistes sans soutien économique. De fait, de nombreux territoires à la périphérie des deuxblocs faisaient l’objet d’une attention particulière de chacun des belligérants, ces derniers ysoutenaient tour-à-tour des mouvements indépendantistes et/ou révolutionnaires, se livrantainsi à une guerre indirecte pour étendre leur influence. On peut citer ici les Etats les plusemblématiques touchés par ces guerres indirectes : l’Afghanistan, l’Angola, la Colombie etle Nicaragua. Ces soutiens se sont réduits ou ont disparu durant les années 80. Mais leshaines et les antagonismes, réels ou attisés par l’un des deux blocs, entre ethnies, nations,religions ou même quartiers n’ont pas cessé dans la foulée, de nouveaux phénomènes dumême type ont même éclos après avoir longtemps été tenu en sommeil par les enjeux dela Guerre Froide. Ces sources de violence ont alors pu pleinement s’exercer une fois lapression des enjeux des deux grands retombée. Pour remplacer le soutien précédent, cesgroupes belliqueux ont fait appel aux groupes criminels, faisant office de fournisseurs, celaquand ils n’ont pas eux même choisis de se criminaliser pour se financer. On peut noterici la corrélation évidente entre le détachement des FARCs (forces armées révolutionnairescolombiennes) du parti communiste colombien - et donc du grand frère soviétique dont lesoutien s’amenuisait - au cours des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix et l’entérinementdu trafic de drogue comme mode de financement principal et, à terme supplantant mêmel’activisme politique de ces derniers30.

Aussi, plus directement, la « balkanisation » du monde, l’apparition rapide de nouveauxEtats sous le coup de l’effondrement des anciens Etats communistes, que sont l’URSSet la Yougoslavie, a favorisé l’explosion du crime organisé en Europe. Si cela entrainé lacréation d’Etats juridiquement parlant, car reconnus par le droit international ou au moinspar certains autres Etats, ceux-ci ne disposent pas toujours d’un appareil étatique au sensoù l’on entend ce concept dans les pays « anciens ». En effet, avant d’être une entitéjuridique reconnue, un Etat existe par son action, sa capacité à encadrer et à maitriser sonterritoire et ce qui s’y déroule, c’est ce qui lui garantit une légitimité à agir et un savoir-faireen matière de contrôle social. Les Etats nouvellement créés n’ont bien souvent en aucuncas ces capacités de contrôle, d’organisation et d’attraction des populations, cette situationconstitue alors un Eden pour les groupes criminels extérieurs qui peuvent y proliférer ensous-traitant à moindres frais, favorisant par là le développement d’une criminalité organiséelocale garantissant au territoire de rester sous-administré, cela en raison d’une corruptionqui devient endémique31. L’intérêt commun des criminels locaux et étrangers est en effet demaintenir cet état de fait d’un pouvoir faible et devant compter avec eux pour administrer etdévelopper son territoire. On observe alors le phénomène géopolitique de « zones grises »,où Etats et groupes criminels de puissances diverses se partagent le territoire et où lesrapports de force évoluent fréquemment. On oppose à cela l’équilibre relativement stabledans les « anciens » Etats ayant l’habitude de la présence du crime organisé sur leurterritoire et sachant le contenir. Mickael Roudaut propose alors une nouvelle grille de lecturede l’espace mondial entre Etat dits « fonctionnels » qui parviennent à limiter, endiguer lecrime organisé, et les autres Etats, qui ont un degré variable de corruption et de pénétrationdu crime organisé qui peut aller jusqu’à représenter une alternative, une contre-société parrapport à celle proposée par l’Etat officiel32. Ces situations atteintes dans des Etats en crise

30 GOOTENBERG, C. « La filière coca du licite à l’illicite : Grandeur et décadence d’une marchandise internationale. ».Hérodote 1/2004 (N°112), p. 66-83.

31 GAYRAUD, J-F. Le monde des mafias Géopolitique du crime organisé. Odile Jacob. 2008. 447 p.32 ROUDAUT, M. Marchés Criminels un acteur global. Puf. 2010. 286 p.

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viendraient à leur tour menacer les Etats fonctionnels en raison de la volonté d’extensionpermanente des groupes criminels.

En parallèle de cette fragmentation il y a eu, dans les Etats post-communistes entransition, une période de liquidation qui a mené à une situation d’ultra-libéralisme improviséoù « tout est à vendre » et où des fortunes pouvaient se créer dans une illégalité de toutefaçon constituant la règle puisque de règles il n’y en avait plus vraiment. Les riches de lacorruption d’antan ont alors pu le devenir encore plus en s’accaparant les anciens bienscollectifs jusqu’à ce que, selon Thierry Crétin qui reprend les rapports d’Interpol, 40% desentreprises russes soient détenues par des groupes criminels au début des années 200033.Les mafias qui ont explosé « à l’Est » dans les années quatre-vingt-dix deviennent alorsdes acteurs de poids avec lesquelles les nouveaux Etats doivent désormais compter, il y adonc une nouvelle stabilité Etats-mafias à trouver.

Section B/ La mondialisation des flux : se faire petit dans un mondede géants

« Une ligne de cocaïne sniffée en Europe tue un mètre carré de forêt tropicale dans lesAndes et finance une centaine de munitions d’AK-47 en Afrique de l’Ouest ». Il s’agitlà de l’accroche de Mickael Roudaut dans son ouvrage consacré aux marchés criminelset cherchant à mettre en lumière la face noire de la mondialisation. Pour lui, l’explosiondu crime organisé dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix peut s’expliquer parla métaphore de la « perfect storm » météorologique, ce phénomène s’explique parl’agrégation géographique et temporelle de phénomènes qui, pris séparément, n’ont quepeu d’impacts, mais leur accumulation entraine une tempête parfaite et dévastatrice. Dansce schéma, la nouvelle phase de mondialisation des années quatre-vingt-dix sert decatalyseur mettant en contact les groupes criminels avec les stocks d’armes des ancienspays communistes, les terroristes avec les trafiquants de drogue et les banquiers avecl’argent du crime.

Le moteur de cette mondialisation sous influence libérale (parfois appelée troisièmemondialisation) : l’essor des échanges économiques. En effet, le regain d’échangescommerciaux depuis les années 90 (multiplié par trois entre 1990 et 2011, et par quinze entre1950 et aujourd’hui) est issu d’une logique libérale internationale qui veut que les économiessoient toujours plus ouvertes et que les barrières frontalières (tarifaires, qualitatives etquantitatives) soient toujours plus faibles pour apporter la croissance, la juste concurrenceet l’amélioration qualitative des biens. La fin du monde soviétique a été interprétée, et l’estencore bien souvent, comme une victoire du monde capitaliste sur les autres idéologies,il s’agissait donc de persévérer dans cette voie en laissant toujours plus de places auxidées qui en découlent. Au niveau international, le GATT (General Agreements on Tarrifsand Trade) devenu OMC en 1994 (Organisation Mondiale du Commerce) favorisait toujoursplus cette ouverture, au niveau régional différentes entités se créaient pour supprimer lesfrontières physiques et monétaires à l’échange commercial (Schengen et Marché uniqueen Europe en 1993, ALENA en 1994 pour les nord-américains, projet de coopérationéconomique de l’ASEAN lancé en 1991), l’objectif étant de permettre la fluidité deséchanges par une rapidité toujours accrue de ceux-ci. En effet, les entreprises sont entréesen guerre contre leurs coûts fixes depuis la fin du système fordiste et le stock constituealors une plaie qu’il faut éradiquer : le meilleur moyen est donc de rendre ces stocks

33 CRETIN, T. Mafias, à la découverte des sociétés du crime. Chronique. 2009. 160 p.

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mobiles. Logiquement, la rapidité des flux devient un impératif pour être approvisionné leplus rapidement possible et être débarrassé en un temps record de ces marchandisesune fois transformées. Ceci afin que jamais des produits ne se retrouvent immobilisés tantqu’ils ne sont pas finis et en attente du client final. Ainsi, afin de transporter les immensesstocks auparavant contenus dans entrepôts gigantesques, il a fallu que les moyens detransports se gigantisent à leur tour et le flux maritime est alors apparu comme la meilleurealternative, jusqu’à couvrir aujourd’hui 90% du commerce mondial. Ceci notamment permispar l’utilisation de cargos au tonnage toujours plus élevé et l’explosion de la conteneurisationainsi que l’augmentation de la taille de ces derniers.

Pour Mickael Roudaut donc « la création de ce grand marché […] s’accompagneinévitablement du risque accru de fraudes, nécessitant en conséquence, une adaptationdes moyens et des méthodes utilisés par les services répressifs et judiciaires »34. Le chiffrealors avancé par ce même auteur est éloquent : augmentation des saisies de contrefaçonsen croissance de 1000%35 sur le territoire européen entre 1998 et 2004, sans même uneréelle augmentation des politiques visant à multiplier les saisies. L’argument qui suit estdonc simple : si la mondialisation est responsable de l’explosion des activités criminelles, laréponse doit être envisagée mondialement et pour cela, entrer pleinement dans le champde la géopolitique.

Section C/ Les conflits modernes : Une opportunité pour le crimeorganisé

La fin de la Guerre Froide n’a pas entrainé la paix escomptée, pire, les conflits se sontmultipliés depuis les années quatre-vingt-dix. Ceux-ci ont alors été caractérisés par larecrudescence –et non l’apparition – de conflits « de basse intensité », « asymétriques »ou encore « irréguliers ». Ces mots valises recouvrent en fait une réalité simple : laplupart des guerres actuelles ne se font pas Etat(s) contre Etat(s) mais sont le fait d’aumoins un groupe non-étatique utilisant des techniques de guérilla ou de terrorisme, avecdes moyens relativement faibles, ou du moins pauvres technologiquement. Jean-CharlesAntoine, spécialiste du trafic d’armes, évoque alors le fait que sur les quarante-neuf conflitsayant eu lieu dans les années quatre-vingt-dix, quarante-sept ont eu des ALPC (ArmesLégères et de Petits Calibres) pour principal matériel de guerre36

Ces nouveaux conflits représentent alors une opportunité claire pour les organisationscriminelles qui ont les capacités de transporter ce petit matériel en quantités. Cette tâchea été facilitée à l’extrême dans les années quatre-vingt-dix avec la possibilité d’accèsrelativement aisée aux stocks d’armes soviétiques, mais aussi yougoslaves et albanais.Dans la même logique qu’évoquée précédemment, Jean-Charles Antoine explique alorscomment d’anciens agents des services secrets de ces Etats, habitués à livrer des armespour soutenir toutes sortes d’insurrection, ont simplement repris leur ancien business maiscette fois en agissant à leur compte, bien que l’implication de gouvernements dans cesopérations reste floue, celle-ci est du moins devenue certainement moins idéologique quecommerciale. Pour expliciter cela, revenir sur l’ancien schéma soviétique de production etd’expédition d’armes est nécessaire. Ainsi, les côtes ukrainiennes et moldaves servaientd’espaces de stockage aux ALPC produits principalement en Bulgarie, Roumanie, Hongrie,

34 ROUDAUT, M. Marchés Criminels un acteur global. Puf. 2010. 286 p.

35 RAUFER, X. Les nouveaux dangers planétaires . CNRS Editions. 2012. 256 p.36 ANTOINE, J-C. Au cœur du trafic d’armes Des Balkans aux banlieues. Vendémiaire. 2012. 216 p.

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Pologne et Tchécoslovaquie, ces ALPC rejoignaient ensuite leur destination en partantde l’aéroport de Tiraspol en Moldavie, des ports d’Odessa en Ukraine, Varna et Bourgasen Bulgarie, Constantza en Roumanie. A la fin de l’URSS, ces stocks d’armes ont biensouvent été abandonnés par l’armée soviétique qui se retirait. On estime par exemple

qu’en Transnistrie, région autonomiste Moldave, la 14ème armée du général Lebed a laisséderrière elle 56 millions de tonnes d’armement, principalement des ALPC37. Dans le chaosdes années quatre-vingt-dix, il était alors facile de corrompre les rares gardes de cesfortunes potentielles immenses pour ensuite revendre ces armes à bas prix aux différentsgroupes armés qui abondaient à travers le monde. Jean-Charles Antoine affirme même queles stocks étaient si grands et si facile d’accès dans la Moldavie des années quatre-vingt-dixque les criminels ne s’affrontaient même pas pour détenir le marché38. Pour le transport, lestrafiquants d’armes ont tout simplement réutilisé les anciennes zones de départ des convois(évoquées précédemment) qui disposaient déjà des infrastructures et du matériel adapté.Il fallait alors préalablement obtenir les certificats de transport de l’administration locale,sous-payée, facilement corruptible donc. Les seconds à corrompre étaient les policiers oudouaniers, sous-payés eux aussi, pour qu’ils ferment les yeux ou même participent auchargement39. Des schémas similaires sont observables en ex-Yougoslavie et en Albanie.

Bien sûr, ces nouveaux conflits n’ont pas favorisé que le trafic d’armes et pasuniquement non plus les mafias de l’ex-URSS. En effet, les armes s’échangent souventcontre d’autres produits illicites et le plus souvent des drogues. L’UCK, l’armée de libérationdu Kosovo, a ainsi fourni à la mafia albanaise (si l’on considère qu’ils constituent deux entitésdistinctes) des armes issues des stocks de l’armée yougoslave ou albanaise qui étaientensuite échangées contre de la Cocaïne avec les trafiquants colombiens, ces derniers lesrevendant ensuite aux différents groupes armés du continent sud-américain et notammentles FARCs40. Ce contexte de conflits de basse intensité au niveau mondial favorise aussi lesdéplacements de population, et donc les filières d’immigration clandestine favorisant elle-même les réseaux de prostitution. Dans les deux cas, immigration clandestine et trafic dedrogue, et même pour un « résidu » du trafic d’armes à destination de l’Europe de l’Ouest,l’implication des mafias italiennes et des protomafias représente l’aboutissement du cerclemafieux européen, bénéficiaire des « conflits de basse intensité » qui traversent le mondedepuis les années quatre-vingt-dix.

Troisième Partie : UNE PERIODE PROPICE AUSSI ALA LUTTE CONTRE LE CRIME ORGANISE

Cette partie se veut moins pessimiste que la précédente, voire quelque peu idéaliste,eneffet s’il semble que le monde post-guerre froide soit taillé pour l’expansion des mafias,il semble aussi qu’il favorise la lutte à leur encontre. Il ne s’agit donc pas ici de critiquerles évolutions du monde comme amenant l’insécurité, l’incertitude, mais au contraire dechercher comment ces évolutions fournissent aussi des opportunités d’appréhension des

37 Ibid

38 Ibid

39 Ibid

40 Ibid.

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menaces. Cependant, saisir une opportunité politique a bien plus de sens si elle s’avère utilesur le long terme et c’est cet intérêt d’avenir que la troisième section tentera de démontrer.

Section A/ Les sociétés démocrates-libérales et le recentrage de lasécurité sur l’individu

Le fait que l’Etat s’attèle de plus en plus à la tâche du crime organisé est aussi unenécessité de la société actuelle. En effet, l’Etat d’aujourd’hui est de plus en plus dansl’action du quotidien, il s’agit d’une réponse à la société de l’immédiat qui veut que cesoit à l’individu de se projeter dans l’avenir et de faire les choix qui lui incombent, à l’Etatde tout faire pour qu’il ait la liberté de le faire sans entraves41. Dans ce contexte l’Etatn’est plus réellement dans la diffusion d’une idéologie qui s’accompagne du fait qu’il doivelutter contre un ennemi extérieur, avec des discours millénaristes et le soutien de l’entièrepopulation. Aujourd’hui, la sécurité consiste donc avant tout à protéger les individus de cequi les atteint au quotidien, ce qui les empêche de construire librement leur avenir42, lasécurité comprend alors de nouveaux enjeux qu’ils soient environnementaux, sanitaires ousociétaux43. En cela, le crime organisé représente une menace, que ce soit sous forme decontrefaçon à grande échelle, de trafic de drogue, de déchet, d’êtres humains, d’organesou d’armes mettant en danger la santé ou la vie des individus de manière massive. C’esten réalité dans la modernité donc que s’inscrit l’enjeu de la lutte contre le crime organisépour les Etats et autorités européennes, comme une adaptation aux attentes actuelles desindividus. Certains auteurs, dont les constats ont été repris dans la partie précédente, onttrop vite conclu que la menace provenait du libéralisme et/ou de la mondialisation et qu’ilfallait alors modérer ces processus. En réalité ces phénomènes ne représentent pas en eux-mêmes une menace, mais c’est l’utilisation qui en est faite par les groupes du crime organiséqui se fait menaçante. De fait, les sociétés libérales abouties impliquent nécessairementd’accentuer la lutte contre le crime organisé, menace qui pèse en grande partie sur lesindividus.

Si l’on ajoute à ces phénomènes de changement social la baisse actuelle des menacesprovenant d’autres Etats ou de groupes terroristes44 il s’agit désormais de s’attaquer auphénomène du crime organisé, longtemps occulté dans les paradigmes sécuritaires pourcause de menaces plus larges ou perçues comme telles. Ce changement a été très bienintégré au niveau même des plus hautes sphères militaires puisque le Livre Blanc45 de laDéfense de 2008, le premier depuis 1994, s’intitule en réalité Livre Blanc de la Défense etde la Sécurité Nationale. Cette notion de Sécurité Nationale en est la grande nouveauté,il implique de prendre en compte les liens entre menaces intérieures et extérieures, maissurtout, il explique comment doit être appréhendée la sécurité au XXIème siècle :

« La stratégie de sécurité nationale a pour objectif de parer aux risques oumenaces susceptibles de porter atteinte à la vie de la nation.[…] La troisième41 CHEVALIER, J. L’Etat post-moderne. LGDJ. 3 éd. 2008. 266 p.

42 RAMEL, F. « La sécurité humaine : une valeur en rupture dans les cultures stratégiques du Nord ? » . Etudes Internationales,Volume 34, numéro 1, mars 2003, p. 79-104.

43 BALZACQ, T. « Qu’est que la sécurité nationale ? », Revue internationale et stratégique 4/2003 (n°52), p.33-50.

44 Voir Annexes deuxième partie, entretien avec X.R.

45 Archives du ministère de la Défense, Livre Blanc sur la Défense et la Scurité Nationale. Consultable en Ligne. URL :http://archives.livreblancdefenseetsecurite.gouv.fr/

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finalité est de défendre les valeurs du pacte républicain qui lie tous les Françaisà l’État : les principes de la démocratie, en particulier les libertés individuelles etcollectives, le respect de la dignité humaine, la solidarité et la justice. »

On observe, avec cette stratégie de sécurité nationale l’évolution du champ de la sécuritéprenant en compte des domaines plus vastes que ceux de la défense nationale avec quielle cohabite désormais. Si l’individu n’y est pas évoqué directement, la priorité accordéeà la défense des libertés individuelles et à la justice se rapproche effectivement de cettesécurité des individus.

Ainsi, s’il est absurde de dire que des menaces de grande ampleur de type militairen’existeront plus dans les années à venir pour l’Europe, il convient aussi de ne pas vivre quesur cette potentialité et de profiter de l’occasion de leur affaissement, fusse-t-il temporaire,et de l’évolution de la société européenne et de ses attentes envers l’autorité politique, pourse focaliser sur le crime organisé.

Section B/ Une opportunité politique à saisir pour l’EuropeOn l’a vu, combattre le crime organisé est en adéquation avec les exigences modernesde sécurité, cependant les nécessités ne font pas les politiques et il faut pour cela trouverune opportunité politique réelle à agir. Il n’est pas sous-entendu ici que rien n’est faitpour combattre le crime organisé en Europe, que ce soit de la part des Etats ou desinstitutions européennes, mais partant du constat que le crime organisé progresse – et nousy reviendrons dans la suite de ce mémoire – il est légitime de s’interroger sur l’efficacité de cequi existe actuellement. La situation actuelle de crise économique au niveau européen peutexpliquer les difficultés à entreprendre de nouvelles politiques d’envergure ou même de sefocaliser sur d’autres objectifs que la reprise économique, pourtant, il ne semble pas absurded’affirmer que combattre le crime organisé en période de crise peut s’avérer un pari gagnant.En effet, le dernier rapport Eurobaromètre de 2011 démontre que 54% de la populationeuropéenne voit le crime organisé comme une menace très importante pour la sécuritéde l’Union (juste derrière le terrorisme à 57%)46. Ce même sondage révèle aussi que pourles années à venir, le crime organisé et la cybercriminalité arrivent en tête, et de loin, despréoccupations sécuritaires des individus. Si les sondages ne peuvent être la seule sourcede la mise en place d’une politique, on peut d’ores et déjà constater que la lutte contre cesphénomènes peut rapporter politiquement, surtout, si l’on pousse plus loin l’analyse de cesondage qui met en avant le fait que les individus considèrent bien souvent que les politiquesen la matière sont suffisantes au niveau national mais en aucun cas au niveau européen.Ainsi, en pleine crise économique et en période d’euroscepticisme, réaliser des avancéesen matière de lutte contre le crime organisé peut s’avérer bénéfique pour des institutionseuropéennes accusées de tous les mots et ne parvenant pas à démontrer leur efficacitésur le plan économique. Dans certains nouveaux Etats européens comme la RépubliqueTchèque et la Bulgarie où la criminalité organisée reste l’inquiétude principale des individus,même en période de crise47, l’action de l’Europe aurait alors une réelle visibilité. Il ne fautpas oublier non plus que l’unification des peuples se construit aussi en partie dans la lutte,alors, sans aller jusqu’à développer une vision bismarckienne de ce processus, on peutcomprendre que l’’Union Européenne gagnerait probablement à endiguer le crime organisé

46 Rapport consultable en Ligne :Eurobaromètre : « Internal Security Opinion 2011» http://ec.europa.eu/public opinion/archives/

47 Rapport consultable en Ligne: Center for the Study of Democracy, “Examining the links between organized crime and corruption”, 2011. URL: http://www.csd.bg/

CHAPITRE I : LE CRIME ORGANISE A LA CROISEE DES CHEMINS

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en revêtant pour une fois le costume de l’autorité politique qui lui manque tant. On l’a vu plustôt, l’AKP a gagné les élections en Turquie en 2002 en partie sur le thème de la rupture avecle crime organisé, certes dans une situation de collusion extrême entre mafia et politiquemais il reste qu’il n’est pas improbable d’imaginer qu’une ambition affichée en la matière,au niveau européen, ne permette d’améliorer l’adhésion au projet.

Section C/ De l’opportunité politique à l’utilité réelleSi l’on reprend l’idée de « l’Europe des petits pas » si chère à Robert Schuman, onpeut espérer qu’une fois l’opportunité politique de la lutte contre la criminalité organiséesaisie, d’autres étapes de la construction européenne pourront alors s’engager. Cetteeuropéanisation de la lutte implique en effet nécessairement la collaboration des servicesde sécurité intérieure classique : police, justice, renseignements, ce qui, et on l’a vu plus tôt,dans une Europe où les sécurités s’entrecroisent, permet d’élaborer une base de confiance,d’habitude de travail en commun des acteurs nationaux de la sécurité, habitude qui permetensuite de rendre plus crédible aux yeux de ces mêmes acteurs la possibilité de voirplus loin, et notamment en ce qui concerne la sécurité, extérieure cette fois, de l’UnionEuropéenne. Didier Bigo explique en cela l’importance de l’acculturation des professionnelsde la sécurité au niveau international, au sein des organes de coopération tels l’OTANou Interpol. Ceux-ci, prenant l’habitude de travailler avec leurs homologues étrangers etconstatant l’efficacité de la coopération avec ces derniers ont alors tendance à privilégiercette voie plutôt que celle des partenaires nationaux traditionnels dans de nombreux cas.L’effet est réel lorsque les politiques extérieures menées par les Etats en sont ensuiteinfluencées par ces pratiques, ce qui serait déjà le cas48. Pour l’Europe donc, débuter parla lutte contre les groupes criminels pour ensuite entretenir des ambitions en matière depolitique extérieure peut s’avérer pertinent. La coopération des services, potentiellementplus poussée qu’au niveau des organisations internationales en raison d’une homogénéitéculturelle et politique plus forte, pourrait contribuer à créer une sphère de professionnelsde la sécurité évoluant dans une confiance croissante et capable de travailler sur desdomaines de plus en plus sensibles. Le glissement vers une Europe de la sécurité extérieureserait donc sans doute plus naturel pour des professionnels encore sceptiques face àl’enthousiasme d’européens idéalistes prônant une mutualisation brutale de l’ensemble desmétiers de la sécurité.

Pour illustrer la progressivité de la coopération en matière de mesures visant à luttercontre les actions du crime organisé, mais aussi l’importance de la volonté des Etatspour qu’un tel processus réussisse, on peut reprendre l’une des observations préliminairesde l’OEDT (Observatoire Européen des Drogues et Toxicomanies) qui signale dans sonrapport européen sur les drogues 2013 que la collaboration européenne commence à sedévelopper, de la volonté même des Etats, en matière de stratégie antidrogue :

« La plupart des pays ont établi une commission interministérielle sur la drogue,complétée par un organisme national de coordination en la matière qui est chargéde la gestion quotidienne des activités globale en matière de drogue, cela afinde documenter l’élaboration de la stratégie suivante. En Europe, la majorité deces évaluations sont internes, réalisées par l’agence ou l’institution responsabledu plan d’action, mais de plus en plus de pays commandent des évaluations

48 BIGO, D. « La mondialisation de l’insécurité ? ». Cultures et conflits [En ligne], Tous les numéros, Suspicion et exception, misen ligne le 06 Janvier 2010. URL : http://conflits.revues.org/1813 .

Le continent européen face au crime organisé : Un enjeu moderne de sécurité.

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conjointes ou externes. Actuellement, la plupart des pays européens projettentd’entreprendre une évaluation de leur stratégie antidrogue en cours. »49

Du reste, une Europe développant un réel savoir-faire dans la lutte contre la criminalitéorganisée ne serait que plus forte dans ses missions extérieures. En effet, s’il n’existe pasencore d’études assez sérieuses pour être citées ici sur l’impact réel du trafic d’opium dansl’échec de douze années de présence en Afghanistan, il n’est pas irrationnel de prétendreque celui-ci a été, au minimum, « significatif »50 avec une taxe sur le pavot et l’opium quetouchent les talibans et qui leur fournit à elle seule un revenu net se situant entre 90 et160 millions de dollars par an51. A cela on peut ajouter les échanges drogue/matériel deguerre qui ont lieu en Asie centrale, et notamment dans le désert tadjikistannais, où lesmafias russes échangent l’opium exclusivement contre des kalachnikovs, en général sixAK-47 contre un kilo d’héroïne52. L’apport semble réel puisqu’à en croire l’ONUDC, 900tonnes d’opium et 375 tonnes d’héroïne quittent chaque année le territoire afghan, et aumoins une centaine de tonnes d’héroïne passe par l’Asie centrale avec un taux de saisiepar les autorités inférieur à 5%53. La récente opération Serval au Mali a elle aussi consisté àaffronter des chefs de guerre aux activités criminelles avérées54, et ce n’est pas anodin que« l’Emir d’AQMI (Al Qaeda au Maghreb Islamique), responsable notamment de l’attaquede la centrale d’In Amenas en Algérie en Janvier 2013 soit aussi très connu dans la régionsous le nom de « Monsieur Marlboro »55 pour son rôle prééminent dans la contrebandede cigarettes. Le potentiel d’attraction du crime organisé sur de tels théâtres d’opérationcontribue bien souvent à prolonger le conflit56 et une meilleure compréhension de cesmécanismes et des mesures pertinentes d’endiguement, même inspirées du continenteuropéen où le contexte est bien différent, représenterait un indéniable avantage dans laconduite d’opérations futures.

49 Rapport consultable en Ligne. OFDT, « Rapport Européen sur les drogues 2013 » , Mars 2013. URL : http://

www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/edr2013rap.pdf

50 LABROUSSE, A. « Afghanistan, Opium de Guerre, Opium de Paix » . Mille et une nuits. 2005. 394 p.

51 Communiqué de Presse ONUDC 21 octobre 2009. URL : http://www.unodc.org/documents/press/releases/AddictionCrimeandInsurgency-pressreleaseFINAL-French.pdf

52 STARKEY, J. « How the Afghan Heroin Trade is fueling the Taliban insurgency”. The Independent. 29 Avril 2008.

53 Communiqué de Presse ONUDC 21 octobre 2009. URL : http://www.unodc.org/documents/press/releases/AddictionCrimeandInsurgency-pressreleaseFINAL-French.pdf

54 Voir Annexe deuxième partie, Entretien avec B.L.

55 BELE, P. « Mokthar Belmokthar « Msiter Marlboro » » . Le Figaro. 24 Mai 2013.

56 JAGIELSKI, W. « Ben Laden est mort mais la guerre continue ». Courrier Iinternational. 03 Mai 2011.

CHAPITRE II : LA NATURE DE LA MENACE POUR LE CONTINENT EUROPEEN

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CHAPITRE II : LA NATURE DE LAMENACE POUR LE CONTINENTEUROPEEN

La menace se caractérise par ce qui est hostile et qui doit être craint, cependant, elle sedifférencie du danger de par son caractère essentiellement potentiel et moins évident, moinsdécelable à première vue.57

L’idée ici est bien de démontrer des mécanismes sélectionnés pour leur exemplarité enmatière de modélisation des phénomènes mafieux et de leurs conséquences, illustrant ainsides phénomènes mafieux ou protomafieux similaires. L’objectif n’est pas ici d’être exhaustifet de couvrir l’ensemble des trafics un à un mais de démontrer les dynamiques de cesactivités et les menaces qu’ils font peser à différents niveaux sur le continent européen.Pour cela, certaines activités seront en partie éludées du fait de la faiblesse de la menacequ’elles représentent, d’autres qui ont apparemment peu de liens seront traitées au seindes mêmes thématiques du fait des dynamiques qu’ils impliquent plutôt que de leur nature.

Premiere partie : LA MISE A MAL DE LA MAININVISIBLE

Cette partie s’attache à démontrer comment, directement et indirectement, l’action desmafias menace l’économie réelle et ses fondements libéraux. Ces menaces sont alorsenvisagées par la différence dans la puissance de l’impact, en premier lieu un frein àl’économie locale, en second lieu un faussement de la concurrence et du mérite del’efficacité, et enfin en termes de bouleversements économiques à long terme.

Section A/ L’aspect local : le racket et le pizzoS’il est bien une activité commune à la plupart des mafias et protomafias, à travers l’histoireet l’espace, c’est l’imposition d’une taxe sur les entreprises locales en échange d’uneprotection réelle ou fictive. L’un des exemples le plus abouti et organisé de cette taxe estle pizzo, le racket des entreprises par les mafias italiennes à hauteur de 10 milliards d’Europar an. Cette activité mafieuse inquiète d’ailleurs de plus en plus puisque la commissionanti-mafia et les organisations professionnelles qui estiment que 70 à 80% des entreprisessiciliennes sont touchées et plus de 50% pour les calabraises.58

57 RAUFER, X. Les nouveaux dangers planétaires . CNRS Editions. 2012. 256 p.58 ROUDAUT, M. Marchés Criminels un acteur global. Puf. 2010. 286 p.

Le continent européen face au crime organisé : Un enjeu moderne de sécurité.

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Il est à noter que si certaines entreprises se dirigent volontairement vers lesorganisations mafieuses, la plupart n’ont pas réellement le choix et il s’agit bel et biend’un racket asphyxiant pour celles-ci. Bien souvent, elles s’acquittent du pizzo mais necherchent pas à se compromettre plus largement dans les activités du crime organisé enacceptant leurs prestations. Alors si elles payent, c’est qu’il est difficile d’échapper à ceracket pour les petites entreprises, tant les organisations se montrent « convaincantes ».L’intimidation s’opère par graduation et est désormais proche pour de nombreux groupescriminels sur le territoire européen.59 Au départ il s’agit simplement de montrer son potentielen envoyant bien souvent une enveloppe contenant une cartouche d’arme à feu, ou bienune photo des enfants du dirigeant devant leur école, ou bien les deux. Si cela ne convainctoujours pas le mauvais payeur, le stade supérieur consiste à handicaper l’entreprise enlui volant son courrier et principalement ses factures et ses envois de commande, maisaussi en collant l’ensemble des serrures chaque matin, ce qui freine considérablementl’activité. Si l’entreprise peut vivre avec cela, très vite, la violence se fait voir avec l’incendiede véhicules ou de bâtiments de l’entreprise, le tabassage aléatoire d’employés afin queces derniers poussent le chef d’entreprise à s’acquitter de sa dette, ou même, quittent toutsimplement l’entreprise. Si en général ce stade suffit à convaincre les chefs d’entrepriseles plus réticents, il reste une dernière étape qui consiste tout simplement à le « liquider »en espérant qu’un individu un peu plus docile reprenne la société. Toutefois, les mafiasn’ont pas toujours intérêt à éliminer physiquement le chef d’entreprise, le jeu n’en vautpas toujours la chandelle au sens où la somme est bien souvent minime, ne justifiant pasque les criminels s’attirent les représailles policières pour si peu. La voie choisie est alorsdifférente et leur est justement permise par le contrôle d’une grande part de la population :l’élimination matérielle. La mafia déclare ainsi l’individu persona non grata et personne nepeut traiter avec lui ou même lui adresser la parole sans représailles. En attendant unepériode plus propice pour l’assassiner, la mafia stoppe tout simplement toute amplitudeéconomique ou sociale à l’individu qui ne peut plus rien faire d’autres que quitter la région,ruiné. L’acquittement du pizzo ne peut donc être vu comme une participation volontaire àune entité criminelle et il est bien des entreprises rackettées qui ne considèrent en aucuncas l’action de cette mafia comme légitime, mais face à l’impossibilité de l’Etat les protéger,acceptent de jouer le jeu de la région concernée. On peut donc imaginer que leur fidélitén’est pas une menace réelle pour l’Etat qui, en reprenant du terrain par rapport à la mafiasur la zone concernée, s’attirerait presque immédiatement leur faveur. Pour l’instant, l’actiondes Etats reste ambiguë puisqu’en règle générale, ceux-ci peuvent difficilement protégerles entreprises des intimidations à moins de développer un arsenal policier et judiciairetrès coûteux. En revanche il est très facile de sanctionner ces entreprises pour complicitélorsqu’elles paient le pizzo ou son équivalent, et les Etats ne s’en privent pas. De même,un mafieux qui révèle les entreprises qui paient cet impôt peut voir sa peine réduite, del’autre côté, une entreprise qui dénonce l’organisation qui lui réclame cet impôt n’obtientbien souvent pas ou peu de protection mais les fuites policières lui garantissent à coup sûrdes représailles terribles des criminels locaux60.

Si ici ont été abordées essentiellement les méthodes de racket italiennes, celles-cisont un cas d’école, un modèle adaptable de ce qui existe dans toute société vivant sousl’emprise des mafias. Dans la Russie des années quatre-vingt-dix, le racket prenait uneforme beaucoup plus violente et plus directe du fait de la faible potentialité de représailles

59 Ibid

60 Ibid

CHAPITRE II : LA NATURE DE LA MENACE POUR LE CONTINENT EUROPEEN

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de l’Etat61. Désormais, les mafieux russes utilisent une technique moins spectaculaire maisau moins aussi efficace, celle-ci consiste, avec l’aide de spécialistes de l’informatiquerecrutés à leur sortie de l’université, à mettre en place des bootnets, des ordinateurs fictifsenvoyant des milliers de messages bloquant une adresse email d’un chef d’entreprise oudes milliers d’ordre de blocage du site internet d’une petite entreprise incapable de seprotéger contre ce type d’attaque. Pour retrouver un fonctionnement normal, ceux-ci doiventalors s’acquitter d’une taxe, régulière ou unique, matérialisant ainsi une forme moderne deracket difficilement traçable62.

Au final, la paralysie des activités économiques dans la période où la mafia se faitconvaincante, l’amputation d’une partie des bénéfices d’une entreprise et la mise à l’écartde certaines entreprises compétentes qui ont refusé de s’acquitter des taxes du racketreprésente un frein réel à l’économie d’un territoire. Cela contribue aussi à repousserl’implantation d’entreprises extérieures, au détriment donc du développement du territoireconcerné.

Section B/ Le niveau intermédiaire : le faussement de la concurrencedes entreprises

C’est un phénomène qui s’observe dans beaucoup de domaines traversant ce mémoire :lorsque les contraintes légales sont trop fortes, l’activité trop encadrée ou encore un marchétrop fermé d’accès, certains individus se contentent d’adopter une attitude propre de façadepour agir en sous-main avec des groupes isolés de ce cadre juridique, des groupes criminelsdonc, pour au final être mêlés à des activités exclusivement illicites63. On appellera alorscela le phénomène de l’Amphisbène du nom de ce serpent de la mythologie romaine quidisposait d’une seconde tête, plus sournoise, à l’extrémité de son corps, là où on ne l’attendpas.

En effet, phénomène inquiétant, de plus en plus de grandes entreprises italienness’acquittent du Pizzo 64 , évolution étonnante puisque celles-ci sont considérées comme enmesure de se protéger et les mafias ne les approchent que peu. Le phénomène s’expliquealors autrement : ces grandes entreprises se tournent elles-mêmes vers les mafieux pourbénéficier des avantages de cet impôt. En ressort alors une sorte de « Pax Mafiosa » quiunit mafieux et entreprises et fait passer la corruption à un stade supérieur : la collusion. Onobtient alors un réseau de criminalité qui voit de plus en plus l’action de l’Etat comme uneinterférence au fonctionnement normal de la zone géographique concernée65.

Mais quels avantages présente l’association avec une mafia pour une entreprise ?Qu’est ce qui en fait un acteur à part de la compétition économique classique ? X.R. expliquela réussite des mafias dans les affaires légales ou grises (entre légalité et illégalité) pardeux facteurs essentiels : elles peuvent se permettre de payer beaucoup plus que le secteur

61 RADAEV, V.. « Entreprise, protection et violence en Russie à la fin des années quatre-vingt-dix » , Cultures & Conflits 42 | été 2001

62 KOUTOUZIS, M. PEREZ, P. Crime, trafics et réseaux . Géopolitique de l'économie parallèle. Ellipses. Juin 2012.316 p.

63 GAYRAUD, J-F. Le monde des mafias Géopolitique du crime organisé. Odile Jacob. 2008. 447 p.

64 ROUDAUT, M. Marchés Criminels un acteur global. Puf. 2010. 286 p.

65 Ibid

Le continent européen face au crime organisé : Un enjeu moderne de sécurité.

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traditionnel et donc s’attirent les meilleurs éléments à elles, mais aussi, elles utilisent unmoyen que les autres entreprises ne peuvent utiliser dans une telle proportion : l’intimidation.En effet, les mafias en contrepartie de cette taxe, peuvent éliminer des concurrents del’entreprise, obtenir très rapidement un permis de construire ou même permettre de racheterun concurrent à prix dérisoire après l’avoir longtemps tourmenté66.

Mais leur aide ne s’arrête pas là, elles peuvent aussi approcher les familles et prochesde certains talents clés afin qu’ils réalisent un travail complexe pour eux, faire de mêmeauprès de personnels administratifs pour qu’ils facilitent des procédures qui prennent dutemps pour les autres entreprises, ou à l’inverse qu’ils fassent en sorte que certainesentreprises concurrentes de celles pour qui les criminels opèrent n’obtiennent jamais uneautorisation administrative67. A ce titre, Eric de Montgolfier, procureur de la République deNice de 1999 à 2012 affirme même que bien des entreprises du BTP ne peuvent survivre surla Côte d’Azur sans travailler avec le crime organisé, accepter la corruption pour perdurer etétendre leurs marchés, et même obtenir des permis de construire pour des zones protégées.Selon lui, la criminalité n’est alors plus sournoise et marginale mais au cœur d’une partiedu système économique. Il ajoute même que pour agir de la sorte, il faut bien évidemmentdisposer d’une certaine proximité avec des politiciens locaux qui acceptent au minimum defermer les yeux sur les activités mafieuses, et ce, tant qu’elles ne sont pas trop exposéesaux yeux du grand public.68

On voit ici la sophistication de l’activité mafieuse qui ne se limite plus à une relationde protection avec les entreprises, ou du moins qui élargit ce travail de prestations variéesaux entreprises, auparavant réservées aux seules entités les plus proches des « boss »mafieux. Ainsi, cette collusion ne se limite plus à une simple entrave à l’activité de toutes lesentreprises comme le fait le pizzo, mais à une insertion dans la concurrence économiquequi avantage nettement certaines entreprises au détriment d’autres, qui, refusant de serapprocher des criminels, se voient éjectées d’un marché, public ou privé. Le risque pèse làaussi sur la concurrence, mais à plus grande échelle, en créant une distorsion qui fait quece ne sont plus les entreprises proposant le service le plus qualitatif, le plus efficace ou lemoins cher qui s’imposent, mais celles qui se sont le plus compromises avec les criminels.

Avec un Etat qui cherche toujours plus à normer les activités économiques et desacteurs mafieux qui cherchent toujours plus à s’insérer dans l’économie réelle en proposantd’outrepasser ces normes contraignantes, on comprend la progression rapide du crimeorganisé, surtout lorsque l’Etat n’a plus réellement les moyens de contrôler l’ensemble desnormes produites.

Section C/ Le niveau global : Le blanchiment d’argent dansl’économie réelle

Le blanchiment d’argent représente un impératif pour toute activité criminelle, etparticulièrement lorsqu’on parle d’activités d’ampleur générant des quantités d’argentconsidérables. Fortement médiatisé lorsque des affaires éclatent, il n’est pourtant pastoujours perçu comme une menace directe mais bien souvent comme un moyen de fluidifierl’économie en insérant de grandes quantités de cash dans le circuit. Pourtant, ce fluxreprésente une réelle menace pour l’économie, et ce, à plusieurs titres.

66 GLIMOIS, N. « Argent sale, le poison de la finance ». Mano A Mano et France Televisions. 52’. 2012

67 CHAMPEYRACHE, C. « Mafia et économie légale : pillage et razzia » , Hérodote 3/2009 (n° 134), p. 125-137.

68 GLIMOIS, N. « Argent sale, le poison de la finance ». Mano A Mano et France Televisions. 52’. 2012

CHAPITRE II : LA NATURE DE LA MENACE POUR LE CONTINENT EUROPEEN

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Dès 1998, l’ONU et le FMI alertaient sur les risques économiques que faisait peserle blanchiment d’argent à grande échelle. A l’époque en effet, ce blanchiment aurait étéresponsable de diverses crises bancaires et économiques majeures, au Japon en 1990, auMexique en 1994 et enfin en Thaïlande en 1997. Ces crises hors du continent européen, neseront pas analysées ici, cependant, la pertinence de l’analyse faite par le FMI à l’époquereste valable pour le blanchiment qui se déroule actuellement en Europe :

« le blanchiment de l'argent a sur le comportement financier et la performancemacroéconomique un impact qui se manifeste de plusieurs façons :despolitiques erronées procèdent de mesures fausses dans les statistiques relativesà la comptabilité nationale; les taux de change et d'intérêt deviennent instablesen raison des transferts de fonds transfrontaliers inattendus; le peu de soliditédes avoirs entraîne un risque d'instabilité monétaire; la fausseté des déclarationsde revenu perturbe la levée des impôts et la répartition des dépenses publiques;les ressources ne sont pas correctement affectées, en raison des distorsionsintervenues dans la fixation du prix des produits de base »69

Ces éléments expliqués rapidement nécessitent d’être repris. En effet, lorsqu’une méthodede blanchiment apparait efficace aux criminels, ceux-ci tentent alors de la reproduire. Ceblanchiment touche alors fortement une activité et peut la faire apparaitre comme uneactivité rentable alors qu’en réalité, elle ne l’est que par l’apport de l’argent sale. Ainsi, sielles existent, les aides étatiques dans ce domaine auront tendance à diminuer, mais aussi,des investisseurs « honnêtes » vont tenter de bénéficier de la bonne santé de cette activitéen y développant leurs propres filiales. Seulement, les bénéfices ne seront pas toujours aurendez-vous, et l’on voit ici l’atteinte claire à la performance économique avec un appel d’airfaussé qui empêche des investissement réellement rentables.

Aussi, le crime organisé est caractérisé par des revenus extrêmement instables pourdiverses raisons : les saisies, les saisons pour la production de drogue, l’arrêt des conflits,la perte de rentabilité d’un marché, etc. En cela, l’afflux d’argent est extrêmement variableet crée donc des variations d’activité importantes pour les entités dans lesquelles il estinvesti, que ces investissements soient au courant ou non de la provenance mafieuse del’argent. Ainsi, se créeront des bulles et des effondrements réguliers dans les activités ausein desquels le crime organisé a placé son argent : immobilier, BTP, services, servicesfinanciers70. L’économie libérale ne pouvant s’accommoder des bulles répétées chercheconstamment à les endiguer influençant alors la mise en place de mesures de la part dugouvernement ou des professionnels de l’activité eux-mêmes, cherchant à rétablir la stabilitééconomique du domaine sinistré. Il en ressort que l’économie légale est extrêmementaffectée par cette concentration sur des incidents fictifs et sur lesquels ils ne peuventrien. Le temps et l’argent investis dans la recherche de solutions en sont tout autant quine sont pas investis dans des secteurs réellement demandeurs de mesures qui peuvent,elles, faire progresser l’activité économique71. Plus récemment, Tracfin semble s’intéresserparticulièrement au blanchiment qui aurait lieu dans la viticulture française et dans lestransferts footballistiques. Ces activités génèrent en effet des circulations considérables

69 Communiqué de Presse, Département de l’information de l’ONU. Mai 1998.URL : http://www.un.org/french/

ga/20special/featur/launder.htm

70 ROUDAUT, M. Marchés Criminels un acteur global. Puf. 2010. 286 p.

71 Rapport consultable en Ligne : « The IMF and the Fight Against Money Laundering and the Financing of Terrorism” 21mars 2013. URL: http://www.imf.org/external/np/exr/facts/aml.htm

Le continent européen face au crime organisé : Un enjeu moderne de sécurité.

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d’argent et seraient de plus en plus utilisées pour y insérer de l’argent sale se noyantdans les quantités gigantesques et dans l’opacité des transactions72. Nul doute que si cesinquiétudes sont avérées et font l’objet d’enquêtes approfondies, les sommes d’argent enquestion arrêteront d’affluer et l’on risque alors d’assister à un effondrement soudain etincontrôlable de ces secteurs, conséquence directe de la crevaison de la bulle fictive73.

La menace et l’influence du blanchiment d’argent dans la sphère financière sontdifficilement dissociables de ces processus, cependant, ces éléments seront analyséesdans le troisième chapitre consacré à la prospective, et ce, du fait des évolutions de cephénomène dans le contexte de crise économique.

Deuxieme partie L’ATTEINTE A L’AUTORITEPOLITIQUE ETATIQUE

Cette partie se veut une explication des processus qui mènent les groupes criminels àvouloir encadrer de plus en plus la vie de leurs membres, mais aussi de la population duterritoire sur lequel ils opèrent. Si Tommaso Buscetta, le célèbre repenti de la mafia sicilo-américaine, affirmait en 1963 que le mafieux est un animal essentiellement économique,et ce, par opposition au quidam qui serait par nature un animal politique, selon la célèbremaxime aristotélicienne, nous verrons ici que le crime organisé, pour perdurer et prospéreréconomiquement, doit parfois se rapprocher du dirigeant politique.

Section A/ Crime Organisé et construction des Etats : des logiquesdangereusement similaires

Pour comprendre le danger réel de la fourniture de prestations similaires à celles offertespar un encadrement étatique, mais cette fois par le crime organisé, sera reprise ici l’analysede Charles Tilly74 comparant la construction des Etats européens depuis la renaissance à laconstruction des mafias depuis le XIXème siècle. Ces deux phénomènes procèdent selonlui d’un processus progressif semblable en de nombreux points. En effet, il démontre qu’àl’origine, les souverains d’Europe entretenaient des rapports conflictuels qui constituaientl’essentiel de leur activité, et, avec le besoin permanent de combattants et de financements,ils ont petit à petit organisé leurs territoires et leurs populations de manière à renforcerles liens qu’ils entretenaient avec ceux-ci. Le but profond de ce rapprochement était enréalité bien plus stratégique que sentimental : prélever toujours plus d’impôts, amener unepartie toujours plus large de la population à combattre pour eux, mais aussi, favoriserl’accumulation de capital par une partie de la population, cette population enrichie étantcapable de prêter de l’argent en quantité à l’Etat et d’investir de manière massive dansl’industrie militaire. Ce faisant, les détenteurs du pouvoir politique ont créé des identités,d’abord régionales puis nationales, galvanisées par l’intériorisation des ennemis au cours

72 Rapport consultable en Ligne : « Rapport d’activités et d’analyse 2012 ». Janvier 2013 URL : http://www.economie.gouv.fr/tracfin/publications-2

73 Ibid

74 TILLY, C. La guerre et la construction de l'Etat en tant que crime organisé . In: Politix. Vol. 13, N°49. Premier trimestre2000. pp. 97-117.

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des différents conflits, jusqu’à parvenir aux Etats-Nations, puis, le hasard n’y étant pourrien, à devenir des Etats ultra-protecteurs (Etats-providences à l’Ouest et Communismesà l’Est) au sortir de la Seconde Guerre mondiale, dans une sorte de summum de l’idéalde fusion entre population et pouvoir politique. L’Etat en retour disposait d’une capacitéde mobilisation humaine et économique maximale dans le cas du déclenchement d’unnouveau conflit, que ce soit par le service militaire ou l’industrie militaire florissante de cesmêmes années. Les nécessités de s’attacher la fidélité des sujets puis des citoyens ontdonc poussé à transformer des concurrences claniques, voir individuelles - essentiellementpour contrôler des richesses, et ce, de manière similaire aux logiques mafieuses - en Etatsstructurés se confrontant les uns aux autres, tour à tour militairement et économiquement.L’objectif originel n’a selon Charles Tilly jamais eu avoir avec une quelconque volonté decréer une communauté culturelle, économique ou politique, ces désirs ont bien souvent étéformulés ensuite pour mystifier la création des nations, des Etats, des systèmes politiques,et les légitimer, leur permettre de perdurer. De la même manière, on assiste à la formationd’un mythe autour de la création des mafias, et parfois des protomafias, avec un objectif :légitimer et fidéliser en impressionnant. Le retrait aujourd’hui de cet Etat implique doncd’ouvrir la voie à de nouvelles fidélités plus protectrices, du moins en apparence. CharlesTilly termine alors sa comparaison de manière équivoque en affirmant : «Aujourd’hui,l’analogie entre la guerre et la création de l’Etat, d’un côté, et le crime organisé de l’autre,devient tragiquement juste »75.

On l’a vu, la fidélisation est donc l’essentiel du travail de l’Etat en construction, demême que le groupe mafieux. Ces fidélités obéissent au même besoin d’apparaitre commelégitime à protéger les individus et donc légitime à utiliser la violence, et même de disposerdu monopole de celle-ci puisqu’il n’y a nulle protection légitime si violences concurrentesimmaitrisables et donc instabilité sécuritaire. Cette instabilité peut bénéficier au fournisseurde protection qui voit son activité justifiée mais l’historien de l’économie Frederic Lane76

a démontré que l’Etat a un intérêt économique réel à disposer du monopole, dans cecas en effet, la protection lui revient beaucoup moins chère et il peut exiger plus decontributions des citoyens en justifiant cela par son efficacité maximale à repousser toutemenace. Bien souvent, l’essence même de la différence entre la protection mafieuse et laprotection étatique est présentée comme résidant dans le fait que la mafia est à l’originede la menace pour laquelle elle propose sa protection, à l’opposé, l’Etat protégerait contredes menaces dont il n’est pas responsable. En réalité, Charles Tilly montre que biensouvent, les choix de l’Etat, principalement dans sa politique étrangère et énergétique,influence aussi la création de menaces et d’ennemis pour lui-même. Alors, avec le prétextede protéger ses populations, l’Etat protégerait en réalité ses choix, pas toujours réalisésavec le consentement de la population ou du moins sans un consentement éclairé pardes informations claires et un débat de fond. Charles Tilly, en reconnaissant qu’il exagèrequelque peu la comparaison, présente simplement l’organisation étatique comme le stadeavancé de l’organisation mafieuse, ayant réussi à apparaitre comme légitime à une trèslarge majorité de la population.

Si cette analogie quelque peu caricaturale doit être maniée du bout des doigts, il enreste néanmoins qu’elle comporte une forme de pertinence de par l’évidence de l’exposéet de par l’expertise reconnue de son auteur pour ce qui de la contestation sociale. Enprolongeant quelque peu l’analyse, on peut alors comprendre les risques qu’il y a à voirse développer des activités mafieuses hors du commerce illicite et visant à asseoir un

75 Ibid

76 Ibid

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pouvoir de type politique sur une population et un territoire. Sans aller jusqu’à imaginerune sécession prochaine des territoires mafieux, on peut envisager le risque de perted’une grande part de leur souveraineté des Etats sur des zones contrôlées par desgroupes criminels puissants financièrement et proposant des services proches de l’Etat-providence aux populations de ces territoires. Il s’agit de faire de l’ensemble du territoire une« famille », une communauté unie dans un processus commun et peu disposée à opérerune quelconque autre allégeance, donc à coopérer avec les autorités centrales. L’Etat nedevient alors qu’un acteur éloigné, n’intervenant que dans les cas extrêmes, de manièreexceptionnelle et ponctuelle. Cela va sans dire, ce type d’intervention se rapproche alorsd’une intervention armée en territoire extérieur, en ajoutant à cela la faible souveraineté surle territoire au quotidien, on observe alors l’ampleur du risque qui peut être comparable à unrisque stratégique au sens où les conséquences subies par l’Etat central sont les mêmesque celles subies à la suite d’une défaite militaire (perte de souveraineté sur une partie duterritoire ou du moins partage avec une autre autorité qui apparait légitime aux yeux d’unegrande partie de la population). On se rapproche alors des affirmations de Jean-FrançoisGayraud qui reconnait que si les groupes criminels ne sont pas une menace stratégique parnature, car ils désirent vivre dans l’ombre de l’Etat, ils peuvent le devenir par pratique, du faitde leur montée en puissance et de leur besoin de s’insérer dans l’économie et la politique« classiques »77. Alors, plus ou moins involontairement, les groupes criminels se retrouventà assumer de plus en plus des prestations comparables à celles d’un Etat classique etcherchent même à accroitre leur emprise sur la vie politique locale.

Section B/ L’encadrement des diasporas : une intégration par défautLes diasporas ont toujours été un moteur essentiel de la propagation du crime organisé,en effet, quand des groupes nombreux d’individus quittent un territoire où le crime organiséest fortement implanté, certains d’entre eux sont alors tentés de reproduire les anciennespratiques qu’ils ont pu expérimenter dans leur vie passée, en particulier s’ils ne parviennentpas à s’intégrer correctement sur leur nouveau territoire. De plus, le crime y voit bien souventune opportunité d’étendre son activité en s’attachant les services de ces populations avecqui ils obtiennent un contact facile en raison de la langue commune, ou même d’uneconnaissance de membres de la famille ou d’amis communs78. C’est ce processus qui amené par exemple à la création de la puissante mafia sicilo-américaine dès la fin du XIXèmesiècle qui, même à des milliers de kilomètres est restée longtemps contrôlée par des chefsmafieux ne quittant pas l’île italienne, faisant office de fief.79

En Europe, ce même processus s’observe actuellement et il apparait que certainesdiasporas, notamment albanaises et tchétchènes, disposent d’un encadrement fort par lecrime organisé de leur pays d’origine qui favorise le captage d’une partie de ces populationspour relayer ses activités80. Les criminels d’une même diaspora fonctionnent alors enréseaux au sens où ils opèrent un maillage du territoire européen, traversant les frontières etdisposant de « comptoirs » réguliers le long d’une route utilisée pour toutes sortes de trafics.On trouve ainsi un axe des clans albanophones allant du sud de l’Italie à la Mer du Nordet l’Atlantique. Les villes-étapes du chemin sont en premier lieu Bari, puis Rome, Savone,

77 GAYRAUD, J-F. Le monde des mafias Géopolitique du crime organisé. Odile Jacob. 2008. 447 p.78 Ibid

79 LUPO, S. Histoire de la Mafia Des origines à nos jours. Champs histoire. 1996. 398 p.

80 ANTOINE, J-C. Au cœur du trafic d’armes Des Balkans aux banlieues. Vendémiaire. 2012. 216 p.

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Gênes, Vintimille, une fois en France le trajet part de Nice, passe par Valence et atteintParis. Le chemin se divise ensuite en plusieurs branches, la première part vers Londres,puis le Kent et enfin l’Irlande et maintenant l’Ecosse ; le second part vers la Belgique avantde se diviser de nouveau à Bruxelles, une première fois en direction d’Hanovre en passantpar Aix-la-Chapelle, et une seconde fois en direction d’Anvers81. Tout le long de cet axe, lesdifférentes opérations de police ont mis au jour des caches d’armes, de cocaïne, d’héroïneet de migrants clandestins, laissant imaginer un réseau très structuré et polymorphe.

Si les mafias albanaises et tchétchènes se sont si bien implantées sur le territoireeuropéen, c’est qu’elles ont bénéficié de plusieurs phénomènes concomitants, résultatsdes conflits ayant eu lieu sur leur territoire (sur le territoire Kosovar en ce qui concerne lamafia albanophone). En premier lieu, ces conflits ont entrainé l’accueil massif de populationsissues de ces pays avec le statut relativement protecteur de réfugié. Parmi ces réfugiésse cachaient en réalité de membres des organisations mafieuses cherchant à étendre lesactivités du clan à l’étranger, de nombreux albanais se sont notamment faits passer pourdes Kosovars ne disposant plus d’aucun papier officiel82, cela a été permis par la similaritéde la langue et des connexions aisées entre les deux territoires. L’autre avantage de cesconflits réside dans l’arrivée massive de populations désœuvrées sur le territoire européenqui ne pouvait (ou ne voulait, le débat reste ouvert) pas toujours faire face à cet affluxsoudain. Dans ce contexte de conflit, une partie de la population a fui le territoire d’originesans aucune préparation, sans prévoir même un réel point d’arrivée et les filières criminellesd’immigration y ont alors vu une possibilité de proposer des « packs tout compris » proposantde prendre en charge l’émigration clandestine, choisissant la ville d’arrivée propice auxtrafics, fournissant de faux ou vrais papiers et enfin un travail criminel plus ou moins bienrémunéré, pour rembourser toutes ces prestations. Afin d’éviter une intégration trop pousséesur le nouveau territoire et donc un risque de défection, ces clans criminels déplacent enpermanence leurs « petites mains » au sein des « comptoirs » évoqués précédemment.Ainsi, il est difficile pour le nouvel arrivant d’apprendre la langue et les codes indispensablespour s’intégrer durablement, le repli communautaire et l’activité criminelle deviennent alorsson seul horizon et l’ancien migrant poursuit son activité criminelle même bien aprèsavoir remboursé sa dette83. Au final, il se construit alors un réel Etat dans l’Etat pour cescommunautés criminelles qui obéissent à leurs propres codes plus qu’aux lois des Etats enquestion - qu’ils connaissent au final très peu - évoluent essentiellement dans leur langue,règlent leur différents par la violence puisqu’il leur est difficile de porter leurs litiges devantla justice, vivent d’activités illicites et ont même parfois leur propre « sécurité sociale » sousforme d’indemnités en cas de condamnation ou « d’accident de travail ».

Encore une fois il s’agit de présenter ici un mécanisme illustrant un phénomène pluslarge, en effet, les villes-étapes décrites accueillent aussi des criminels issus d’autresdiasporas, bosniaque, bulgare, rom, russe, azéri, géorgienne et encore d’autres, s’adonnantaux même types de trafics ou à des trafics complémentaires. Le fonctionnement del’encadrement et de la fidélisation est alors relativement similaire avec un degré plus oumoins élevé de violence pour convaincre l’individu de continuer de participer à l’activité desa « famille ».

81 Ibid et FARCY, F. « Comment s’implante la mafia à l’échelle locale, nationale puis européenne ». Notes d’alerte de laDRMCC. Décembre 2002.

82 ANTOINE, J-C. Au cœur du trafic d’armes Des Balkans aux banlieues. Vendémiaire. 2012. 216 p.

83 GAYRAUD, J-F. Le monde des mafias Géopolitique du crime organisé. Odile Jacob. 2008. 447 p.

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Section C/ Du filet social au contrôle politique : une allégeanceindéfectible ?

Si on l’a vu, il est relativement facile pour les groupes du crime organisé de s’attirer lafidélité d’une population exilée et désœuvrée, et ainsi de former une microsociété, la tâcheest nettement plus difficile sur un territoire fixe avec une population ancrée là depuis desannées. Cependant, le mécanisme d’autonomisation existe bel et bien.

En premier lieu, il s’agit pour les mafias, de manière similaire aux Etats, de mettre enplace un système de « filet social » face aux risques liés à la vie de mafiosi. De la mêmemanière que vu précédemment pour ce qui se fait parfois au sein des groupes issus desdiasporas, lorsqu’un membre de la mafia est en prison ou meurt, l’organisation prend alorsen charge sa famille avec un système de « pension », mais peut aussi financer les étudesdes enfants ou bien les soins médicaux exceptionnels, parfois cela va jusqu’à prendre encharge le financement d’une opération de chirurgie esthétique afin qu’un mafieux au visagetrop connu puisse « renaitre »84. Le mafieux, par son action, a donc garanti à sa famille,et bien souvent même à sa famille éloignée, de ne pas vivre dans le besoin, ce qui n’estpas toujours une mince à faire dans les régions pauvres du sud de l’Italie, mais aussi enRussie, en Europe de l’Est et en Turquie85. On comprend alors l’emprise de la mafia etle rattachement d’une grande partie à ce système qui récompense la fidélité et la loyauté(l’omerta). Le revers de cet engagement mafieux est que si l’omerta n’est pas respectée, sil’individu arrêté dévoile des informations aux autorités, alors sa famille se verra supprimée86.Ce phénomène illustre bien une caractéristique du phénomène mafieux : l’organisation revêtson costume de bonne société, propre et protectrice, agissant pour le bien d’une population,mais seulement en période de fonctionnement normal, dès le retour des difficultés, lesrelents de système barbare réapparaissent comme finalement le seul moyen de préserverla puissance. C’est là la différence la plus visible pour une société selon qu’elle vive sous lacoupe d’une organisation mafieuse ou d’un Etat moderne : la modération dans la réaction.Ainsi, en cas de difficultés, le premier « perd son sang-froid » et le système est mis ensuspens provisoirement, tandis que pour le deuxième, les difficultés mettent peu à malle fonctionnement ordinaire, des structures sont prévues pour affronter les difficultés sansbouleverser le système (on ne passe pas brutalement de la protection généreuse à la tueriecruelle). L’essence même des groupes criminels est ainsi le plus visible dans ces « coupsdurs » : arrestations massives, perte d’un marché, « repenti » qui brise l’omerta, etc. Et l’oncomprend bien qu’il n’y a qu’une apparence de « contrat social » entre la population et lepouvoir mafieux qui ne nourrit là que son propre intérêt en leurrant les individus.

Cependant, pour des organisations tentaculaires telles que les mafias italiennes,russes ou turques, disposer de l’emprise sur un territoire doit obligatoirement passer par lafidélisation d’une partie de la classe politique et ne pas se limiter aux défavorisés locaux quieux, s’ils offrent une main d’œuvre bon marché, ne disposent pas d’une réelle amplitudepolitique. Le but premier recherché dans le rapprochement avec les dirigeants politiqueslocaux est que ceux-ci n’accentuent pas la pression sur l’Etat central pour mener unepolitique anti crime organisé. En effet, ces politiques ont le plus souvent pour origine uneexigence politique locale.

84 ROUDAUT, M. Marchés Criminels un acteur global. Puf. 2010. 286 p.

85 GAYRAUD, J-F. Le monde des mafias Géopolitique du crime organisé. Odile Jacob. 2008. 447 p.

86 LUPO, S. Histoire de la Mafia Des origines à nos jours. Champs histoire. 1996. 398 p.

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Pour cela, les mafias utilisent divers stratagèmes. Un premier prend du temps, ilconsiste à prendre sous son aile un notable local, en général un chef d’entreprise, et,gratuitement, de lui faire bénéficier de tous les avantages que peut fournir une mafia àune entreprise (voir II) 1 B). Ensuite, une fois celui-ci visible sur la scène locale commeun entrepreneur ayant réussi, il bénéficie d’une aura considérable et peut se lancer enpolitique. Pour sa campagne, il profite du soutien de la mafia par le biais de financementsélevés, l’obtention du silence forcé ou même de la complaisance de journalistes et enfin,bénéficie des votes de l’ensemble de la population rattachée de près ou de loin aux mafiaset obéissant aux consignes de vote87. On voit donc bien là l’intérêt de la fidélisation primairevue dans le paragraphe précédent : acquérir une réelle force politique. Une autre méthodeplus directe mais ne permettant pas un contrôle total de l’individu, puisque celui-ci n’est pasentièrement redevable du groupe criminel, consiste tout simplement à « vendre » l’électoratmafieux à un candidat à une élection locale, en plus du prix à payer, celui-ci sera ensuitechargé au minimum de fermer les yeux sur les activités mafieuses. L’arrestation récente àRome d’un Sénateur du PDL (Parti De la Liberté) est justement lié à des soupçons d’achatmassifs de voix à la ‘Ndrangheta 88.

Mais quel poids électoral représentent les groupes du crime organisé ? Les seulschiffres dont nous disposons actuellement concernent l’Italie, qui a mis en place unecommission parlementaire antimafia disposant de beaucoup de moyens et réalisant desenquêtes approfondies sur l’enracinement du crime organisé dans ce pays « fief » duquatuor italien qui se répand désormais dans toute l’Europe. Ainsi, il en ressort que la‘Ndrangheta contrôle environ 20% des voix en Calabre, ce qui suffit à faire basculer lesmajorités. A Palerme, ce sont près de 200 000 électeurs qui sont contrôlés par Cosa Nostra,ce qui implique nécessairement que la plupart des élus locaux doivent composer avec lesattentes des criminels pour espérer atteindre les plus hautes fonctions. 89

Petit-à-petit, tenter de s’affranchir de cette répression étatique mène donc bien à tenterde s’affranchir de l’Etat tout simplement, au point de proposer quasiment un système decontre-société, avec une organisation mafieuse faisant office de doublon dans l’action pourde nombreux domaines du ressort des compétences étatiques traditionnelles (perspectivesd’ascension sociale, filet social, juge de paix, système de prêts aux démunis, logements« sociaux », etc.) Cette action est alors justifiée par les groupes criminels comme une actionpaternaliste envers des populations qu’elles présentent comme leurs, et pour lesquelleselles auraient donc un devoir de protection. En réalité, sous ce mythe toujours entretenu etlargement cru par une grande partie des populations concernées, c’est bien leurs intérêtsque ces mafias protègent.

Troisieme partie : cas d’étude : LE TRAFIC DEDECHETS : ILLUSTRATION D’UNE MENACEPOLYMORPHE

87 GAYRAUD, J-F. Le monde des mafias Géopolitique du crime organisé. Odile Jacob. 2008. 447 p.

88 AFP. « Italie : coup de filet anti-mafia à Rome et en Calabre. » Libération. 26 Juillet 2013

89 ROUDAUT, M. Marchés Criminels un acteur global. Puf. 2010. 286 p.

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Si dans les deux précédentes parties, les activités mafieuses ont été abordées d’abord enpartant de la menace qu’elle représente, cette partie s’attache à retracer le cheminementd’une activité et, au cours de ses différentes étapes d’en faire émerger les différentesmenaces qu’elles représentent. En effet, contrairement à un ennemi classique qui agit parvolonté de nuire, ici, la nuisance n’est qu’une conséquence de l’activité criminelle, qui, ensoi, ne cherche pas créer le désordre, mais à prospérer économiquement, seulement, cesont les marchés qu’elle contrôle et les méthodes employées qui ont indirectement desconséquences menaçantes à différents niveaux. C’est ce que cette partie s’attachera àdémontrer : les menaces directes et indirectes, locales et globales.

Section A/ L’aspect local : pollution, insalubrité et corruptionFaisant régulièrement la une des journaux italiens et européens, l’amoncellementépisodique de poubelles dans les rues de Naples est révélateur d’un problème profond :l’accaparement du marché de traitement des déchets par la Camorra.

En effet, la Camorra est devenue experte dans le traitement des déchets, dumoins pour remporter les marchés publics le concernant. Ne respectant aucune normeenvironnementale, elle propose des prix défiant toute concurrence aux autorités, et ce, viades sociétés-écrans bien évidemment. Elle opère ensuite relativement simplement : elledéverse les ordures à ciel ouvert, et sans aucune mesure de traitement antipollution, surdes terrains qu’elle contrôle en banlieue ou dans la campagne napolitaine, pour cela, elleempoche entre 1800 et 8600 Euros par camion90. Une fois la pollution évidente pour tous,elle propose via d’autres sociétés-écrans, de dépolluer les zones concernées, bien sûr,comme elle ne le fera qu’en apparence, en déplaçant les déchets sur d’autres terrains qu’ellecontrôle, elle propose un prix dérisoire et remporte de nouveau le marché91. A chaque foisque les autorités centrales tentent de mettre un frein aux activités de la Camorra, que ce soiten général (trafic de drogue, d’armes, racket) ou plus spécifiquement en ce qui concerneles ordures, la Camorra paralyse le système de ramassage des ordures et laisse la situationpourrir, tout comme les ordures. Sous la pression populaire liée à l’insalubrité manifeste deces différentes crises des ordures napolitaines, le gouvernement cède et laisse la Camorraagir librement92. Ces crises des ordures présentent aussi l’avantage de focaliser les autoritéssur leur résolution et non plus sur les enquêtes en cours sur les activités de la Camorra, legouvernement en est même venu à faire appel à l’armée pour décontaminer la ville en 2008et 201193, ce qui implique une coordination chronophage pour les pouvoirs publics. Celamobilise effectivement des moyens et des hommes qui ne sont pendant ce temps-là pasutilisés pour lutter contre la criminalité. On mesure bien ici le pouvoir de contrainte qu’exerceactuellement les mafias sur l’Etat italien, mais aussi le mécanisme mafieux du pompier-pyromane puisque les habitants eux-mêmes réclament au gouvernement de relâcher lapression sur la Camorra afin que celle-ci les libère des ordures qui les envahissent. Au-delàde la menace que cela représente en matière de souveraineté pour l’Etat, cela l’empêcheaussi de pourvoir à l’une de ses missions principales : celle d’assurer la santé publique.En effet, les conséquences sont désastreuses pour les régions concernées puisque lesrisques de cancer du foie, des poumons ou de l’estomac explosent selon un rapport de

90 ROUDAUT, M. Marchés Criminels un acteur global. Puf. 2010. 286 p.

91 GLIMOIS, N. « Argent sale, le poison de la finance ». Mano A Mano et France Televisions. 52’. 2012

92 Ibid

93 AFP « Ordures/Naples : Intervention militaire ». Le Figaro. 05 Mai 2011.

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l’OMS de 2007, mais aussi, selon ce même rapport, dans certaines communes très polluées,la mortalité masculine augmente de 9% et la mortalité féminine de 12% par rapport àla moyenne nationale94. Ces pollutions ont aussi des conséquences désastreuses pourl’économie de la région et en particulier l’agriculture qui doit faire avec des sols toujours pluspollués. Cette pollution a d’ailleurs mené à l’élimination de plus de 6000 têtes de bétail en2003, à Caserte dans la campagne de Naples, en raison de la présence d’un taux de dioxinedix fois supérieur à la normale dans le lait utilisé pour fabriquer la Mozzarella, spécialitéculinaire napolitaine95. Au final, les conséquences ont été la baisse terrible des ventes dufromage italien à travers l’Europe, victime de sa réputation, et même du boycott officiel dela Mozzarella par la Corée du Sud96, un réel handicap pour l’économie locale.

Section B/ L’aspect européen : distorsions de concurrence, sous-développement et trafics divers

De ce petit trafic limité à la ville de Naples, la Camorra a très vite cherché à étendre son« expertise » en matière de traitement des déchets, ainsi, elle a approché les grandesindustries polluantes du Nord de l’Italie, quand ce ne sont pas elles qui ont directementcontacté la Camorra, on en revient ici à l’Amphisbène. Celles-ci disposaient alors de déchetstoxiques extrêmement difficiles et coûteux à recycler en raison de la pénurie italienned’installations de traitement de ce type de déchets97. On observe alors des situations oùles industries polluantes font traiter leurs déchets par des sociétés mafieuses qui ,au prixfort, les déverse simplement dans des décharges à ciel ouvert ou les enfouissent dansles campagnes du sud de l’Italie, et ce, sans aucune considération pour une quelconquenorme de sécurité sanitaire alors que les déchets en question sont bien plus dangereuxque les déchets ménagers évoqués précédemment98. Ce type de « traitement » peu chercomparé à un réel traitement rend l’activité des entreprises polluantes du Nord bien plusattractives que d’autres pratiquant le même type d’activités mais hors du territoire italien.La conséquence en est donc de nouveau le risque de distorsion de concurrence quiavantagerait ces entreprises italiennes, mais aussi, favoriserait une « bulle » dans ce typed’activités, qu’elle soit le fait de l’implantation d’entreprises étrangères dans la région ou biende l’augmentation de l’activité des entreprises existantes. Ainsi, malgré tous les avantagesque présente effectivement l’Italie en matière d’industrie chimique, on peut s’interroger surla part attribuable à celui du traitement « low-cost » des déchets dans le renouveau dudynamisme de l’industrie chimique italienne depuis le début des années 2000 et mêmel’implantation de nombreux grands groupes étrangers dans la région99.

Au final, l’acteur qui fait les frais de cette activité est l’Etat italien, régulièrement menacéde sanctions financières par l’Union Européenne et devant en permanence se justifier d’une

94 ROUDAUT, M. Marchés Criminels un acteur global. Puf. 2010. 286 p.

95 AFP. « La Mozzarella victime des poubelles de Naples ». Le Figaro. 26 mars 2008

96 POPHAM, P. « Mozzarella crisis widens after South Korea boycott ». The Independent. 25 mars 2008.

97 Communiqué de Presse de l’Union Européenne. 12 décembre 2006. URL : http://europa.eu/rapid/press-release_IP-06-1756_fr.htm?locale=fr

98 GLIMOIS, N. « Argent sale, le poison de la finance ». Mano A Mano et France Televisions. 52’. 2012

99 « Italie : l’industrie chimique » Notes sectorielles. France Monde Express. 14 décembre 2009.

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situation catastrophique dans le traitement des déchets toxiques d’une industrie pourtanten pleine expansion100.

Toutefois, en raison de cette toxicité extrême des déchets et des risques de représaillesde l’Etat italien, les mafias cherchent alors à faire quitter les frontières italiennes àleurs déchets pour se diriger vers des territoires encore moins encadrés par les normesenvironnementales. La décharge de Glina, en banlieue de Bucarest, serait alors une de leursdestinations favorites. Cette activité extrêmement lucrative aurait même poussé les mafieuxà investir dans cette décharge au moins pour deux raisons : le détournement de fondseuropéens destinés à la modernisation des installations de traitement de déchets, maisaussi la possibilité d’accueillir aussi des déchets provenant d’autres mafias ou protomafiaspratiquant aussi le trafic de déchets dans la région101. On parle alors bien souvent de« sous-développement organisé » lorsque l’activité mafieuse capte des fonds destinésà la modernisation et dégrade considérablement l’environnement et la sécurité sanitaired’une région déjà défavorisée. A travers cette question du trafic de déchets, on observeaussi les mécanismes de diffusion des activités mafieuses à travers l’Europe et la capacitépermanente de ces groupes à conquérir de nouveaux marchés. Cependant, les implicationsde ce trafic ne s’arrêtent pas là, elles s’étendent même au-delà du territoire européen.

Section C/ L’aspect global : l’Europe, sous-traitante de la gestion desrisques

Si la décharge de Glina semble être devenue récemment la destination favorite dutrafic de déchets, elle ne constitue pas la destination exclusive de ce trafic. En effet,le trafic de déchets serait aussi largement exporté vers les pays sous-développés parvoie maritime, là-bas, les risques encourus sont encore amoindris par rapport à ceux quiexistent en Roumanie. Ainsi, selon l’OCLAESP (Office central de lutte contre les Atteintesà l’Environnement et à la Santé Publique) qui dépend du ministère de l’intérieur français,près de 10% du fret maritime mondial serait composé de ces déchets toxiques102 interditsà l’exportation selon la convention de Bâle103.

La Somalie, pourtant bien éloignée du territoire européen, constituera la destinationfinale de ce cas d’étude. En effet, le développement du crime organisé dans cette régionest directement lié à l’existence du crime organisé sur le continent européen. De plus,l’opération Atalante est l’une des plus importantes de l’UE en matière de PESD (PolitiqueEuropéenne de Sécurité et de Défense) avec le déploiement permanent de bâtimentsde plus de 15 Etats membres104. L’éloignement n’enlève donc pas beaucoup à l’aspecteuropéen du problème.

A l’origine de tout cela, l’éclatement de l’Etat somalien en 1991 à la chute duPrésident-Dictateur Mohammed Siad Barre et le chaos qui s’en est suivi. Dans ce contexte

100 Communiqué de Presse de l’Union Européenne. 12 décembre 2006. URL : http://europa.eu/rapid/press-release_IP-06-1756_fr.htm?locale=fr

101 GLIMOIS, N. « Argent sale, le poison de la finance ». Mano A Mano et France Televisions. 52’. 2012102 HOFSTEIN, C. « Un juteux trafic planétaire ». Le Figaro Magazine. 15 octobre 2007.

103 175 Etats signataires sur l’interdiction de l’exportation de déchets toxiques depuis sa création en 1989.

104 « Opération EU/NAVFOR Somalie/ Atalante – lutte contre la piraterie ». URL : http://www.defense.gouv.fr/operations/piraterie/dossier/operation-eu-navfor-somalie-atalante-lutte-contre-la-piraterie

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anarchique, la surveillance de la façade maritime somalienne a alors disparu brutalement.Les organisations criminelles, et en particulier européennes, y ont alors vu une formidabledécharge ne souffrant d’aucune forme de contrôle s’ouvrir à eux. Des quatre grandes mafiasitaliennes, seule Cosa Nostra serait restée à l’écart de ce trafic. En ce qui concerne la‘NDrangheta et la Camorra, il semble qu’elles affrètent directement des navires chargés dedéchets toxiques qui vont se délester de leur cargaison au large des côtes somaliennes,mais aussi parfois soudanaises et érythréennes105. Ces déchargements ne sont possibleque parce qu’ils ont trouvé des arrangements pour rémunérer des chefs locaux, leséchanges se payent alors principalement avec des armes. C’est à ce moment que latroisième mafia, la Sacra Corona Unita, intervient, ils opèrent comme relais entre mafiasalbanophones et les deux mafias précitées pour faire transiter des cargaisons d’armes dontla mafia albanaise dispose en quantité pour les raisons évoquées au premier chapitre. Levice de ce trafic déchets contre armes réside alors dans le fait que les mafias poussent ainsià la perpétuation des conflits locaux pour entretenir ces zones de non-droit106.

Ces mafias italiennes s’emploient donc à déverser des déchets toxiques de grandesentreprises victimes de la pénurie d’organismes de traitement en Italie ou tout simplementpréférant s’allier aux mafias plutôt que d’appliquer les normes étatiques contraignantes detraitement de ce type de déchet. Le résultat a été terrible avec des quantités énormesde polluants très dangereux tels que le plutonium, le Thorium 234 ou encore le sulfated’ammonium107 qui venaient s’échouer sur les rives somaliennes et contaminer des villagesentiers de pêcheurs avec pour finalité des phénomènes spectaculaires d’enfants naissantsavec des malformations jusqu’alors inconnues108. Ces villages de pêcheurs ont alorscommencé à s’organiser pour créer une sorte de milice de garde-côtes rudimentaire afinde se protéger des navires à la source de ces pollutions, mais aussi des navires de pêche,notamment coréens et japonais, qui venaient pêcher au détriment de tout respect deseaux territoriales109. Très vite, le manque de moyen, l’impossibilité de toucher un salairepour un tel travail, sans oublier la culture de la piraterie ancestrale de la région et l’affluxde richesses circulant dans le Golfe, les a poussés à pratiquer la piraterie à une échelletoujours plus grande, jusqu’à devenir l’essentielle de leur activité. Assez rapidement aussi,les rares représentants de l’autorité politique somalienne se sont intéressés à la piraterieet ont alors proposé leurs services : renseignements sur la circulation des navires et leurcontenu, blanchiment de l’argent dans des banques sous leur contrôle, protection judiciaire,etc.110 Leur taxe pour ces services étant en augmentation constante, les rançons exigéessont devenues de plus en plus élevées et les bénéfices de ces rançons de moins en moinsbénéfiques aux anciens pêcheurs. Si l’on en croit les professionnels, les conditions de viedans les villages côtiers ne se sont pas vraiment améliorées, « ils meurent un peu moinsde faim tout au plus » concède B.L. à ce propos, avant d’affirmer que la quasi-totalité desrevenus de ces rançons bénéficient à la mince élite politique du pays111.

105 KOUTOUZIS, M. PEREZ, P. Crime, trafics et réseaux . Géopolitique de l'économie parallèle. Ellipses. Juin 2012.316 p.

106 Ibid

107 Ibid

108 Voir entretien B.L.

109 Ibid

110 Entretien B.L.

111 Ibid

Le continent européen face au crime organisé : Un enjeu moderne de sécurité.

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Il en ressort une des caractéristiques essentielles de l’apparition du crime organisé :la fausse bonne solution. Effectivement, la création de groupes criminels se fait souventen réaction d’une situation difficile ou une pénurie et apparait dans un premier tempscomme une échappatoire salvatrice, surtout pour les populations les plus pauvres et lesplus touchées. En réalité, la suite est toujours la même, l’activité criminelle sert très vite àenrichir de rares bonnets du crime et met en difficulté la population pauvre qui fournit lebras armé du crime organisé, ne bénéficiant que peu de l’argent du crime et étant la cibleprincipale de la répression. Il est à retenir aussi la vieille dynamique du crime qui entrainele crime, en effet, l’une des conséquences des activités mafieuses européennes a été d’enattiser d’autres très loin des côtes du vieux continent, et pourtant, d’une telle ampleur qu’ils’agit aujourd’hui d’une des menaces créant le plus de consensus en matière de politiqueétrangère des Etats européens.

Aussi, ce phénomène illustre la nouvelle ère d’impunité dans laquelle évoluent lesmafias, de fait, ce ne sont une fois de plus pas eux qui sont victimes des attaques despirates, mais des navires de transport du monde entier. Au final, comme dans le cas descondamnations de l’Italie par l’Union Européenne pour le traitement des déchets, ce sontles Etats qui doivent assumer les conséquences politiques des activités mafieuses endéployant des moyens considérables. Un œil cynique pourrait alors analyser la missionAtalante comme une simple activité de sous-traitement des risques engendrés par lesactivités criminelles.

CHAPITRE III : LA PROSPECTION : TENDANCES DES ANNEES A VENIR POUR LE CRIMEORGANISE

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CHAPITRE III : LA PROSPECTION :TENDANCES DES ANNEES A VENIRPOUR LE CRIME ORGANISE

Premiere partie : LES EVOLUTIONS DANS LESMETHODES

Cette partie est consacrée essentiellement aux évolutions récentes des méthodes utiliséespar le crime organisé. D’une manière générale, on peut dire que celles-ci visent toutes à serapprocher du fonctionnement « normal » d’une activité économique, que ce soit dans lestechniques commerciales pures (utilisation de grossistes et de commerciaux), ou bien plusdans l’apparence (flou apparent entre légalité et illégalité).

Section A/ Cybertrafics et drogues de synthèseL’analyse de la cybercriminalité se fera ici par le potentiel d’élargissement des possibilitésde rencontres entre offre et demande en matière de trafics. La cybercriminalité s’étend bienévidemment aussi au piratage de données informatiques confidentielles pour des personnesprivées ou des gouvernements, aux « cyber braquages » ou aux « cyberattaques »,cependant, ces actions s’avèrent être bien souvent le fait de hackers n’ayant pas de liensavec la grande criminalité organisée mais beaucoup plus avec des gouvernements ou desorganisations à l’idéologie libertaire floue (Wikileaks et Anonymous), voir à agir simplementpour leur propre compte ou pour une très petite structure.

En matière de trafics donc, Internet offre des possibilités nouvelles aux criminels,l’avantage réside ici dans la possibilité d’être extrêmement visible pour passer un messagepublicitaire sur les produits vendus mais aussi de devenir indétectable au milieu d’un flotininterrompu de connexions. Les pirates jouent aussi en Europe sur la frontière floue entreproduits légaux et illégaux en revendant des drogues de synthèse, parfois plus puissantesque la drogue copiée, mais qualifiées d’ « euphorisants légaux ». Ce marché n’est pasanodin puisque l’OEDT signale avoir recensé, en Janvier 2012, 693 boutiques en ligne(en nette augmentation par rapport aux années précédentes) proposant toutes sortes dedrogues de synthèse semi-légales et livrables sur le continent européen112.

Pour donner un simple exemple, Youtube offre un formidable potentiel de publicité autravers des commentaires des vidéos les plus vues. En sélectionnant ces vidéos, on peutaussi sélectionner une clientèle spécifique. Ainsi, à l’été 2013, on a pu voir proliférer au bas

112 Rapport consultable en Ligne. « Rapport Européen sur les drogues 2013 » URL : http://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/edr2013rap.pdf

Le continent européen face au crime organisé : Un enjeu moderne de sécurité.

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des clips de rap américains et européens totalisant des centaines de millions de vues descommentaires aussi explicites que ce dernier :

“ACTAVIS PROMETH COUGH SYRUP WITH CODEINE, MEDICAL MARIJUANAAND PAIN KILLER PILLS AVAILABLE CONTACT (774)901.4724 Or email [email protected] SERIOUS BUYERS ONLY PLEASE sealed 16ozand 32oz bottles available at good prices. Hydros Yellows, Hydros Blues , 30mgIR ritalin, 30mg IR adderall, Percocet 5mg-round white, Percs 10mg, MorphineDilaudid, Xannies (White and yellow Bars), Roxi 30 blues, OC 80's, Fent popsAtiq , vicodin, Molly, 10mg watson 932, LSD”113

Si l’on ne parlait pas ici de drogues en tout genre (Codéine, Marijuana, LSD, Morphineet l’ensemble de leurs dérivés présentés comme des antidouleurs), ce message pourraits’apparenter à une simple annonce publicitaire cherchant à écouler des produits bas degamme. Ici, en toute impunité apparente, les messages se multiplient au fil des jours enfournissant une adresse email, un numéro de téléphone (dont l’identifiant laisse penserque l’offreur se trouve dans Rhode Island aux Etats-Unis) et en précisant bien « SERIOUSBUYERS ONLY », comprendre que les revendeurs exigent une clientèle sérieuse et pasn’importe quel petit consommateur prépubaire. Les doses sont affichées selon une noticepresque pharmaceutique et l’on s’engage à ce que les bouteilles disposent de bouchonsscellés, gage d’une qualité non-altérée par les différents intermédiaires tentant de s’accorderun bénéfice sur le produit. L’ensemble des produits proposés disposent d’une justificationproche de la légalité, on ne propose pas ici de la codéine directement mais du sirop pour latoux qui en est chargé, la marijuana est dite « médicale », les autres produits sont des anti-douleurs puissants et dont la légalité varie en fonction des Etats, enfin le LSD est proposéen se maquillant dans une pseudo signature. On voit ici la professionnalisation des traficspermises par internet. Au lieu de racoler dans la rue et d’être repéré par la police sur unterritoire précis et avec un visage identifié, les trafiquants agissent masqués dans un océande semblables. Le marché immense leur permet alors de choisir leur clientèle pour s’évitertrop de risques d’approcher les autorités.

Les autres trafics ayant lieu sur internet sont connus et vastes, la contrefaçon devêtements de marque ou de cigarettes sur les sites de vente en ligne, mais aussi le vente dematériels permettant de « remilitariser » des armes démilitarisées qui ne font l’objet d’aucuncontrôle dans leur circulation puisqu’elles sont considérées comme objets décoratifs oude collections. Il reste que selon Jean-Charles Antoine, il est assez facile d’acheter surinternet un canon neuf pour une valeur d’environ 50 euro et de remplacer l’ancien qui aété percé ou obstrué par soudure, l’arme retrouve alors toutes ses capacités de nuisanceen plus de n’être référencée dans aucun fichier officiel114. Ce problème n’est par contrepas nouveau, en France, dès 1998 le rapport Cancès soulignait l’obsolescence du cadrejuridique concernant les armes à feu115. Il faut croire que peu d’efforts en la matière ont étéréalisés depuis, puisqu’en Juin 2010, un rapport d’information de la mission d’information

113 Avec le compte Youtube créé en Juillet 2013 et au nom du pseudonyme de Pirata Zamani, des centaines de ces

commentaires ont été recopiés de la sorte pour des vidéos totalisant des centaines de millions de vue.114 ANTOINE, J-C. Au cœur du trafic d’armes Des Balkans aux banlieues. Vendémiaire. 2012. 216 p.

115 Rapport consultable en Ligne: “La réglementation des armes et la sécurité publique”. 1998. URL : http://www.securite-sanitaire.org/anciensite/armesafeu/cances.htm

CHAPITRE III : LA PROSPECTION : TENDANCES DES ANNEES A VENIR POUR LE CRIMEORGANISE

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sur les violences par armes à feu et l’état de la législation réaffirmait le problème liés à laremise en état d’armes de catégorie 8 (neutralisées) par des groupes criminels116.

Section B/ Réseaux et IntermédiairesSi cette puissance sous-jacente mondiale et unifiée, parfois attribuée aux groupes mafieux,n’existe évidemment pas, de nouvelles méthodes impliquant des liens plus forts et plusdifficilement perceptibles entre les mafias des différents continents tendent à asseoir l’idéedu renforcement partiel de certains liens, s’organisant sur le modèle des multinationalesclassiques et abandonnant petit-à-petit le mode de fonctionnement « à l’ancienne » basésur des gages fournis par des « hommes de confiance » et des alliances versatiles.Désormais, ce sont bien souvent des intermédiaires grossistes qui s’occupent de ces lienset la confiance ne repose alors plus sur les autres organisations criminelles, mais sur cesintermédiaires, qui paient rapidement et intégralement et ne laissent pas de corps sur leurpassage117. Ce mode de fonctionnement offre alors plus de possibilités de liens indirectsentre les mafias, en effet, peuvent faire des affaires entre elles, par l’intermédiaire de ces« commerciaux » des groupes criminels qui n’entretiennent pas forcément de relations deconfiance, voire pas de relations du tout, mais partagent l’appât du gain et la relation à cetintermédiaire.

Alors pourquoi parle-t-on de réseaux ? Parler de réseaux en parlant de l’organisationcriminelle revêt deux réalités organisationnelles de ces groupes. En premier lieu le caractèrenécessairement multi-activités de celles-ci. En effet, il faut pouvoir maitriser différentestechniques pour mener une activité à bien. Par exemple, pour faire passer des frontièresà de la marchandise de contrebande en grandes quantités il faut disposer de caches etde zones de stockage des deux côtés, il faut aussi maitriser la falsification de documentsofficiels, voir la fabrication de ceux-ci, disposer dans la plupart des cas de fonctionnairescorrompus et enfin, des contacts des deux côtés de la frontière. Le concept de réseaus’applique donc à la fois à une toile d’individus et d’activités automatiquement connectés.Le fait de maitriser ces techniques et de disposer d’un réseau d’individus experts dansleur domaine pousse alors les groupes criminels à s’étendre à d’autres activités qu’ilspeuvent maitriser, toujours dans cette logique de conquête de marchés. En effet, lesespaces de stockage et la maitrise de la falsification de documents de transports permettentde s’attaquer aussi bien au marché de la contrebande que celui de la drogue et del’immigration clandestine. On trouve alors une multiplicité d’activités s’étendant sur deszones géographiques toujours plus vastes, avec des points d’activités intenses que sontles zones frontalières et portuaires ainsi qu’une zone de planification et de directioncorrespondant à l’emplacement originel de la « famille ». Ce tissu d’individus, d’activités etde compétences répond alors à la même logique de fonctionnement que les entrepriseset leur sous-traitants organisés dans l’espace. C’est cette logique de réseaux étendusgéographiquement et de flux qui rend pertinent une analyse empruntant à la géopolitique.Pour Jean Michel Dasque118, c’est cette logique de réseaux qui prend le dessus surl’ancienne organisation mafieuse proche de la mono-activité (Cosa Nostra le marchédes cigarettes de contrebande, la Camorra la corruption de marchés publics, les mafiasturques les drogues, la mafia américaine les jeux et la prostitution, la mafia russe les

116 Rapport consultable en ligne : « Rapport d’information de l’Assemblée Nationale sur la violence par armes à feu et l’étatde la législation ». 22 Juin 2010. URL : http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i2642.asp

117 Heuzé, R. « Fin de partie pour Roberto Pannunzi, empereur du trafic de drogues ». Le Figaro. 08 Juillet 2013118 DASQUE J-M. Géopolitique du Crime International. Ellipses. 2012. 236 p.

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armes et la prostitution, la mafia géorgienne les voitures volées). Ainsi, de même quel’entreprise, les mafias s’adaptent, abandonnent la maitrise d’une production de l’amont àl’aval (verticale) pour s’organiser avec des sous-traitants, des intermédiaires, des grossisteset des commerciaux, devenir pluriactivité afin d’éviter les coups durs des années 1970et quatre-vingt, lorsqu’une production était ciblée par les autorités et qu’une famille seretrouvait décimée (la fin de la Pizza connection et des Corleonesi). Désormais, on separtage les niveaux entre les groupes criminels mais les activités sont l’affaire de tous,chacun étant spécialisé dans un secteur. Cette liaison dans un processus commun poussealors aux alliances, du moins aux partenariats, essentiellement à un niveau régional (biensouvent très semblables aux ensembles économiques régionaux classiques), Le crimeorganisé s’insère ainsi dans la dynamique de pouvoirs régionaux se partageant l’économiemondiale dans une logique mêlant concurrence et partenariats. Jean-François Gayraudparle alors de « criminels managers » qui sont plus connus pour leur carnet d’adresse(réseaux) et leur capacité de gestion, que par la peur qu’ils engendrent par leur faitsd’armes119. Ainsi, la situation évoluerait de telle sorte que les yakusas sous-traitent desexécutions d’individus à Londres et Paris à des groupes criminels albanais, les triadeschinoises font transiter des immigrés clandestins vers l’Europe via les groupes criminelsmaliens, les Cartelitos (descendants des grands cartels colombiens des années quatre-vingt-dix) font des affaires avec la Camorra napolitaine sur le territoire espagnol et enfin lestriades chinoises poussent à ce que la majeure partie des textiles chinois arrivent en Europepar le port de Naples contrôlé par la Camorra, celle-ci rémunérant ensuite les triades pource service rendu avant de s’approprier une partie de ces marchandises, de transformer desvêtements basiques en contrefaçon de grandes marques et de les écouler en quantitésmassives sur le territoire européen120.

Section C/ Les conséquences de la crise : le crime organisé dans lavie quotidienne

Le dernier rapport SOCTA121 (Serious and Organized Crime Threat Assessement) délivrépar Europol en mars 2013, fait état de légers changements dans les méthodes mises enœuvre par le crime organisé. En effet, les populations de l’Europe touchées par la crisereprésentent un nouveau marché auquel il faut pouvoir s’adapter. La difficulté réside biensouvent dans le fait que ces populations, même appauvries, ne souhaitent pas, de prèsou de loin, s’associer au crime organisé. Celui-ci doit donc apparaitre de plus en plusrespectable pour pouvoir atteindre sa « clientèle » potentielle.

Ainsi, au lieu de profiter de cette population pour la faire participer à des activitésdirectement criminelles, les groupes du crime organisé choisissent de leur fournir desservices et des produits « low-cost » proches de ceux proposées dans la sphère légale.Ainsi, comme le confiait X.R. lors de l’entretien réalisé pour ce mémoire, l’une des activitésd’avenir des criminels réside dans la contrefaçon de produits de consommation quotidiens,et non plus uniquement dans la contrefaçon de produits de luxe122. Le rapport SOCTAsignale ainsi le développement de la contrefaçon de détergents, de cosmétiques, de

119 GAYRAUD, J-F. Le monde des mafias Géopolitique du crime organisé. Odile Jacob. 2008. 447 p.

120 ROUDAUT, M. Marchés Criminels un acteur global. Puf. 2010. 286 p.

121 Rapport consultable en ligne. « Serious and Organized Crime Threat Assessement ». Mars 2013. https://www.europol.europa.eu/sites/default/files/publications/socta2013.pdf

122 Voir entretien X.R.

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cigarettes, d’essence, de médicaments et même de nourriture vendus sur des marchéslocaux ou sur internet et où la frontière entre produits licites et illicites n’est pas toujoursvisible. Pour obtenir ces produits à peu de frais, les mafieux font bien souvent transiterles marchandises via la Turquie depuis le Sud-Est asiatique, mais aussi, font directementtransiter des travailleurs immigrés pour qu’ils réalisent sur place ces biens de consommationdont la production doit être quotidienne et sûre, pour en revenir à la logique d’entrepriseà laquelle les mafias s’accoutument, on peut parler ici de production à flux tendus. Eneffet, si la crise et le chômage en Europe devraient avoir coupé l’envie de beaucoupde candidats à l’émigration vers l’Europe, on constate pourtant une recrudescence dutravail d’immigrés exploités dans des ateliers clandestins. Ainsi, se développe une véritableindustrie souterraine du « low-cost ». La production de contrefaçon se professionnaliseet début août 2013, une « usine » de contrefaçon de voiture Ferrari et Aston Martin,confectionnées à partir de pièces de qualité médiocre, a même été découverte en Espagne.En moyenne, les revendeurs faisaient payer 40 000 Euros l’unité contre plus de 200000 Euros sur le marché classique123. La contrefaçon dans le domaine des piècesmécaniques de voiture, camions et autres véhicules (on a même retrouvé des piècesd’avion de contrefaçon au Bengladesh124) serait en effet en plein renouveau . Aussi, l’Europeserait de plus en plus touchée par la contrefaçon de médicaments, auparavant réservéeprincipalement aux marchés asiatiques et africains, les coupes budgétaires dans le secteurde la santé des pays les plus gravement touchés la crise jouant apparemment un grand rôle.En 2009, en seulement deux mois, l’Union Européenne a ainsi mené de grandes opérationsde saisies de ces produits et le résultat s’est avéré bien plus élevé que prévu : 34 millionsde comprimés contrefaits récupérés 125.

Le développement de la contrefaçon est inquiétant à plusieurs titres pour l’Europe. leseffets sur la sécurité sanitaire, mais aussi sur la sécurité des transports sont évidemmentdésastreux : empoisonnement, développements de maladies graves, accidents de la routeou même aériens126. De plus, la détection de l’origine des problèmes engendrés est souventdifficile et l’impunité des criminels dans ce domaine représente un attrait particulièrementimportant pour l’ensemble des groupes criminels. Si ces marchés ne sont pas toujours lefait de la grande criminalité organisée, elle est obligatoirement présente dans le transportdes marchandises, des immigrés clandestins, mais aussi dans la confection sur le territoireeuropéen. On observe alors le développement d’un autre type de criminel, après le criminel-manager vu précédemment, le criminel petit-producteur, bien inséré sur un marché localdont les consommateurs risquent apparemment difficilement de changer d’habitude pourconsommer des produits plus chers. Les autres conséquences principales sont : le « trou »dans les recettes fiscales de l’Etat et la baisse d’activités ou la fermeture d’entreprises pourles activités victimes d’une trop grande contrefaçon.

123 Opper, M. « Des ateliers de fausses Ferrari et Aston Martin Démantelés ». Le Figaro. 01 Août 2013.

124 Entretien X.R.

125 AFP : « l’UE s’alarme de la contrefaçon grandissante de médicaments. » . Libération. 07 décembre 2009.

126 Mickael Roudaut cite ainsi l’accident aérien sur le vol 394 Partnair entre Oslo et Hambourg en 1989, 55 ont péri enraison d’un vérin contrefait qui ne s’est pas déplié.

Le continent européen face au crime organisé : Un enjeu moderne de sécurité.

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Deuxieme partie : LE DEVELOPPEMENT DESACTIVITES A MOINDRE RISQUES

Section A/ Se rendre indispensable pour perdurer : l’insertion ducrime organisé dans la sphère financière

Cette partie s’appuie bien plus sur des inquiétudes des acteurs de la lutte contre lecrime organisé que sur des données empiriques issues d’enquêtes approfondies. De fait,l’absence de données est flagrante en ce qui concerne le thème de cette section, pourtant,les soupçons ne manquent pas. Il ne s’agit pas ici d’étudier la criminalisation des pratiquesfinancières, qui à elles seules représentent déjà un vaste sujet, mais la financiarisation ducrime organisé, sa pénétration progressive de ce monde plein d’opportunités.

Dès le début des remous de la crise alors essentiellement financière, à l’automne 2008,Antonio Maria Costa, alors directeur de l’ONUDC depuis six ans, donc probablement bieninformé, alertait sur le développement d’inquiétantes tendances de la sphère financière127.En premier lieu, il affirme que depuis déjà plusieurs années, une partie des professionnelsde la sphère financière : banquiers, traders, auditeurs et avocats d’affaires ont entre autrepermis, par des montages financiers complexes, la multiplication des intermédiaires et lacirculation rapide de données, de développer de véritables voies de recyclage de l’argentdu crime, autrement dit, le blanchiment d’argent à grande échelle. Il affirme même que lespratiques d’utilisation de la violence pour convaincre se sont développées avec l’arrivée del’argent du crime, dans ce secteur où les relations sont pourtant essentiellement virtuelles.S’il n’impute pas l’apparition de la crise économique à la circulation de cet argent ducrime contrairement à d’autres auteurs128, affirmations qui nécessitent encore des étudespertinentes, il s’inquiète de l’appel d’air financier créé par l’effondrement des cours. Ilreprend alors les conclusions de Roberto Saviano, journaliste napolitain et fin connaisseurdu monde des mafias, ayant dénoncé entre autres, dans son ouvrage de 2006 Gomorra 129 ,le dangereux rapprochement de la Camorra et du monde de la finance, et ce, principalementsous l’impulsion de la sphère financière elle-même, toujours en quête de nouvelles liquidités.A en croire les nombreuses menaces de morts qu’il a reçues, la lourde protection policièrepermanente dont lui et sa famille doivent s’acquitter depuis sept ans et les froides réactionsd’une frange de la classe politique italienne130, il a probablement touché là un point sensible.Ainsi, selon Antonio Maria Costa, dès le début de la crise financière, ces phénomènes derapprochement se seraient multipliés du fait de la pénurie de liquidités et du risque imminentde banqueroute131. Le risque encouru est ici, de la même manière que le blanchiment dansl’économie réelle, de créer de nouveau des bulles totalement fictives dans la finance etde voir une nouvelle fois le système financier vaciller avec les différents aléas du flux del’argent du crime. Seulement, une fois le système financier infecté, la seule solution pour

127 Voir Annexe 5, Antonio Maria Costa, « Bashing the Bankers ».

128 GAYRAUD, J-F. Le monde des mafias Géopolitique du crime organisé. Odile Jacob. 2008. 447 p. et MAILLARD,J – de. « L’arnaque ». Folio. Janvier 2011. 397 p.

129 SAVIANO, R. « Gomorra : dans l’empire de la Camorra ». Gallimard. Octobre 2007. 368 p.

130 Silvio Berlusconi l’aurait notamment accusé de « donner une mauvaise image de l’Italie ».

131 Voir Annexe 5, Antonio Maria Costa « Bashing the Bankers ».

CHAPITRE III : LA PROSPECTION : TENDANCES DES ANNEES A VENIR POUR LE CRIMEORGANISE

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éviter l’éclatement de ces bulles est simple mais cruel : ne plus stopper les criminels pourne plus stopper l’approvisionnement.

On l’a vu, le crime organisé se retire difficilement de lui-même une fois qu’il s’estimplanté dans un secteur, surtout quand ce secteur lui permet un peu plus de se rapprocherdu statut d’intouchable. Seulement, ce rapprochement ne s’est pas opéré dans la soiréedu 28 septembre 2008, dans les heures suivant la chute de Lehmann Brothers, il s’agitdu développement d’une pratique ancienne : le blanchiment d’argent dans les off-shoresfinanciers, aussi appelés paradis fiscaux. Les professionnels de la finance ne se sont eneffet probablement pas rendus directement au domicile des boss mafieux pour leur proposerleur aide, mais se sont dirigés là où ces mafieux entreposaient leur argent en quantité.

En effet, les sommes gigantesques brassées par le crime organisé attirent depuislongtemps des établissements financiers peu scrupuleux qui cherchent à bénéficier duflou juridique de leur Etat, en matière fiscale et bancaire, pour disposer de l’argent desmafias (seules les mafias brassent assez d’argent pour représenter un intérêt réel pourles paradis fiscaux). Ce flou juridique devient alors impossible à renverser sans faire fuirl’argent des mafieux, et donc, garantit une grande opacité du secteur financier et bancaire decertains Etats, et notamment sur le sol européen : Luxembourg, Suisse, Andorre, Monaco,Lichtenstein, la City de Londres, Gibraltar, Chypre, Autriche, etc.132. Pour ne prendre icique l’exemple du Luxembourg, choisi en raison de sa présence dans la section suivante,le secteur bancaire représenterait 17% des emplois et 38% du PIB133, on comprend doncque ce type d’Etat soit réticent à la levée du secret bancaire, qui ne ferait pas fuir que lesmafieux. Cette opacité garantie attire en effet aussi l’argent de l’exil fiscal et sans tomberdans la théorie du complot, on peut comprendre le danger économique, ou même politique,qui existe dans le fait que les fortunes mafieuses et les fortunes issues de l’économie légalebénéficient de pratiques communes et se côtoient dans des places imperméables134.

Mais alors, de quelles sommes parle-t-on ? La réponse est complexe puisque, parnature, l’économie criminelle est très difficile à quantifier, les acteurs de ce milieu ayantpour fer de lance la discrétion dans leurs affaires, ils n’ont pas recours à des comptabilitésexplicites. Il s’agit alors essentiellement d’effectuer des estimations à partir des saisies demarchandises ou des saisies de « documents comptables » peu orthodoxes des criminelsretraçant un partie de leurs activités, La difficulté restante est qu’une grande partie, elleinquantifiable rationnellement, est réinvestie directement dans le circuit légal sous formede cash sans jamais apparaitre dans les chiffres du blanchiment d’argent. Il a souvent étéattribué au FMI l’estimation d’une somme blanchie par le crime organisé qui s’élèveraitannuellement entre 600 et 1800 milliards d’euros mais il s’avère que la source de cetteinformation reste introuvable ou même, remonterait à une simple affirmation lors d’uneconférence de presse de 1996, toujours est-il que le FMI ne s’est en réalité jamais risquéà avancer un chiffre en matière de blanchiment d l’argent du crime organisé, ni d’ailleursle GAFI (Groupe d’Action Financière), pourtant spécialisé en la matière, ni même l’OCDE(Organisation de Coopération et Développement Economique) qui se veut actuellementle fer de lance de la lutte contre le blanchiment d’argent. Il ne s’agit probablement paslà d’une mauvaise volonté assimilable à un système corrompu mais beaucoup plus d’une

132 Face à l’impossibilité de disposer d’une liste officielle récente, celle-ci est reprise de l’ONG Oxfam. URL : http://www.oxfamfrance.org/Paradis-fiscaux-l-Union-europeenne,1695

133 A.B. « La stratégie louvoyante du Luxembourg face à la levée du secret bancaire ». Les Echos. 23 Mai 2013.

134 ROUDAUT, M. Marchés Criminels un acteur global. Puf. 2010. 286 p.

Le continent européen face au crime organisé : Un enjeu moderne de sécurité.

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impossibilité pratique à avancer le moindre chiffre, même compris dans une fourchette trèslarge.

Il en ressort alors deux conclusions évidentes : Malgré les engagements plein de bonnevolonté des membres des G8 et G20 depuis le début de la crise économique ainsi que ceuxdes principaux Etats incriminés dans le blanchiment d’argent, peu d’avancées réelles ontété effectuées135. En ce qui concerne directement le crime organisé, on peut ainsi remarquerque sa culture du secret et le manque d’information le concernant restent d’une évidencecriante au XXIème siècle. De nombreuses affaires liées au blanchiment de milliards dedollars sur le sol européen en provenance des syndicats du crime du monde entier, du faitde la législation attrayante de certains Etats, ont récemment émaillé l’actualité. Cependant,l’absence de condamnations à l’heure actuelle implique qu’aucun nom d’enseigne ne seracité ici.

Section B/ La fraude à la TVA, talon d’Achille de l’EuropéanisationS’il semble étrange de s’intéresser ici à la fraude à la TVA, qui est généralement envisagéecomme le fait de chefs d’entreprises cherchant à esquiver la taxation pour une partie deleur production et donc à se dégager un bénéfice à la marge, il est utile de rappeler quela fraude à la TVA concernant la célèbre taxe carbone a souvent été qualifiée de « cassedu siècle » par les observateurs. Si ce vocabulaire journalistique ne prouve toutefois pasl’importance du trafic, il semble bel et bien que les mafias s’insèrent de en plus dans cettefraude se nourrissant des failles béantes du processus européen et représentant un marchéde plusieurs dizaines de milliards d’euros qui ne fait que progresser.

Avant de revenir plus spécifiquement sur la fraude à la taxe carbone, il s’agitde s’intéresser au système de fraude à la TVA de grande ampleur de manière plusgénérale, dit fraude « au Carrousel ». Les mécanismes de cette fraude démontrent bien laprofessionnalisation grandissante des acteurs du crime organisé qui agissent au plus prèsdu système légal et se jouent des mécanismes juridiques bien plus qu’ils n’affrontent lesystème de manière frontale.

La faille ici se trouve dans la législation européenne adoptée avec l’ouverture desfrontières de 1993. Après plusieurs années de débats sur le lieu de taxation d’un biencirculant entre Etats membres, il a finalement été adopté que le l’Etat appliquant la taxeà la valeur ajoutée serait celui de destination et non celui de départ du bien136. Il s’agit làd’un principe fondateur du marché commun européen cherchant à éviter les distorsions deprix des biens qui seraient uniquement dus à la TVA du pays d’origine. On évite par là le« dumping fiscal » tant redouté.

C’est avec Maastricht donc que la fraude « au Carrousel » a trouvé toute son ampleur.Bénéficiant des écarts de taux de TVA entre les Etats et de la faiblesse de la législationencadrant la création d’entreprises financières (Essentiellement le Luxembourg et leRoyaume-Uni), des sociétés-écrans ont alors vu le jour pour jouer le rôle d’intermédiairesde ces transactions. Ces sociétés-écrans sont créées par des prête-noms ou de fausses

135 A.B. « La stratégie louvoyante du Luxembourg face à la levée du secret bancaire ». Les Echos. 23 Mai 2013.136 Rapport consultable en Ligne. Rapport du cabinet Deloitte pour la Commission Européenne : « Information on the import

VAT collection ». Juin 2011. URL : http://ec.europa.eu/taxation_customs/resources/documents/taxation/vat/how_vat_works/import-vat-collection-rules_en.pdf

CHAPITRE III : LA PROSPECTION : TENDANCES DES ANNEES A VENIR POUR LE CRIMEORGANISE

BESANCON Kevin - 2013 49

identités mais sont gérées par des groupes criminels, et notamment les mafias russes quise sont spécialisées dans ce domaine ces dernières années137.

Ces intermédiaires vont alors « racoler » les grandes entreprises qui font circuler desmarchandises en quantité entre différents Etats membres. Afin que celles-ci ne payent pas laTVA s’appliquant sur les territoires de destination mais celle s’appliquant sur un territoire oùle taux est bien plus bas, elles proposent d’acheter les marchandises depuis le pays où ellesse trouvent, pays de destination à faible imposition donc, avant de revendre la marchandisedans le véritable pays de destination. Elles vendent cette fois les marchandises avecun taux de TVA classique, mais avec un prix hors-taxe bien plus faible puisqu’elles nereversent ensuite jamais le montant de la TVA aux Trésors publics. Elles se contententd’empocher la différence des deux taux de TVA, de dissoudre la société-écran aprèsplusieurs opérations et avant que les ennuis judiciaires ne débutent, et disparaissent desradars des administrations fiscales qui remontent difficilement à ces mafias lointaines138. Ceprocessus répété de nombreuses fois et avec beaucoup de fausses sociétés intermédiairesrapporte énormément aux mafias puisque les autorités européennes estiment que lemontant de la perte fiscale dû à la fraude à la TVA s’élève à plus 100 milliards d’Euros paran pour l’ensemble des Etats européens139. Si bien sûr l’ensemble de cette fraude n’estpas imputable aux mafias, on tout de même y voir un marché potentiel énorme de sous-traitance de la fraude.

A l’observation des disparités de TVA, on comprend que le schéma de la fraudeprésentée précédemment n’est que la version simple de systèmes potentiellement bienplus complexes bénéficiant des exonérations, de taux réduits, de taux parkings (tauxréduits provisoirement pour des marchandises vues comme stratégiques telles l’énergie,les combustibles, le tourisme, la gastronomie, et ayant besoin de plus de temps pours’harmoniser avec le reste de l’Europe) différents selon les Etats. L’ensemble de cesdisparités sont reproduites en annexe par un schéma des taux de TVA selon les Etatseuropéens, taux réduits et taux parkings compris.

Pour ce qui est du « casse du siècle », la fraude à la taxe carbone par la revente de droitsà polluer en esquivant la majorité des taxations, on estime son montant à près de 5 milliardsd’Euros. Si l’on parle alors de coup de génie, c’est aussi parce que ce marché des droitsà polluer s’est créé dans une période où l’Europe s’attaquait vigoureusement à ce type defraude140. En effet, en plus d’OLAF (Organisme de lutte antifraude) qui existe depuis 1999,le Conseil des ministres de l’Economie et des Finances de l’Union Européenne (EcoFin) du28 Novembre 2006 avait lancé le programme de stratégie de lutte contre la fraude fiscale(AFTS en anglais)141 et sous cette impulsion, les autorités européennes ont alors lancé desmesures dites « de grande envergure »142 en 2007 et 2008 pour faire face à la fraude en

137 DASQUE J-M. Géopolitique du Crime International. Ellipses. 2012. 236 p.

138 Ibid.

139 Communiqué de Presse. Europol. « Tax Fraud expert Joint forces to Tackle Serious and Organized Crime ». 13 Novembre2012. URL :https://www.europol.europa.eu/content/news/tax-fraud-experts-join-forces-tackle-serious-and-organised-tax-crimes-1832

140 Rapport consultable en Ligne. Rapport du cabinet Deloitte pour la Commission Européenne : « Information on theimport VAT collection ». Juin 2011. URL : http://ec.europa.eu/taxation_customs/resources/documents/taxation/vat/how_vat_works/import-vat-collection-rules_en.pdf

141 Ibid.

142 Ibid.

Le continent européen face au crime organisé : Un enjeu moderne de sécurité.

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question. Dans le même temps, le 1er Janvier 2008, la Commission Européenne lançait lemarché des droits à polluer, le système communautaire d’échange des quotas d’émission(SCQCE), chargé d’encadrer la circulation des droits à polluer distribués gratuitement à prèsde 11 000 entreprises ayant une activité polluante. L’ensemble des dirigeants européens setarguaient alors de la modernité du projet et de son rôle de modèle pour le reste du monde,cinq ans plus tard ce système est surtout connu pour avoir été victime d’un braquage destemps modernes.

Si nous ne sommes pas ici pour évaluer la pertinence ou non du projet, ni même saréussite en matière écologique, il est cependant indispensable de noter que la crédibilitéd’un projet censé éclairer le reste du monde a été nécessairement affectée par la fraudemassive qui l’a pénétrée. Le projet de base était d’allier le marché et l’écologie, il en resteque le marché a tout fait pour que l’écologie ne pèse pas sur son activité puisque la trappeà fraude créée s’est révélée immense, traduction d’une volonté de se soustraire à cetteobligation. Effectivement et on l’a vu plus tôt, la criminalité organisée ne fait bien souventque répondre à une demande, ici celle de ne pas subir le coût des droits à polluer. S’estalors créé un système semblable à celui de la fraude à la TVA vu précédemment, maisexclusivement dédié à ces droits qui ont fait l’objet d’une circulation considérable dès leurcréation143. L’attribution gratuite aux entreprises polluantes avait fait l’objet d’évaluation necorrespondant pas toujours à leurs besoins, que ce soit volontaire ou non, et nombresd’entreprises se sont trouvées avec un surplus de droits tandis que d’autres se considéraientlargement sous-dotés en la matière. Les échanges ont alors explosé sur le continenteuropéen et de petits criminels ont réussi à organiser un trafic très lucratif pour fournir à basprix ces droits à des entreprises devant s’en procurer de manière massive. L’ampleur étaittelle qu’elle allait jusqu’à fausser le marché puisque celle-ci rendait attractif des droits quine l’étaient qu’en raison du bas prix dû à la fraude, ce qui a contribué à créer une quasi-bulle injustifiée sur ce marché144. Le caractère mafieux de ce trafic semble avéré puisquel’organisateur principal présumé de celui-ci a été abattu par balles en pleine rue à Paris, prèsde Porte-Dauphine, en septembre 2010, ce qui ressemble fort à un règlement de comptemafieux145.

On observe ici l’enjeu de la crédibilité extérieure pour le continent européen qui, s’iln’arrive pas à réduire l’influence du crime organisé peut se voir discrédité dans certainesde ses politiques, peut-être efficaces et novatrices à l’origine, mais gangrénées par le crimeorganisé. Il ne s’agit pas là d’un phénomène isolé puisque l’infiltration du crime dans labonne volonté écologique européenne a déjà été traitée dans ce mémoire avec le cas dela décharge de Glina, dans la banlieue de Budapest.

De manière plus générale, ce manque à gagner pour les Etats européens crée un réelmalaise pour les autorités prônant la rigueur budgétaire. Si l’on retient la somme des 100milliards d’Euros au total, c’est bien d’environ 12% des revenus fiscaux des Etats européensdont on parle. Une partie de cet argent reste bien évidemment sur le sol européen, etl’on peut même admettre qu’elle contribue parfois à préserver l’activité d’entreprises endifficulté, mais pour ce qui est de la fraude au Carrousel, ce sont des milliards d’Euros censéscontribuer à l’amplitude d’action budgétaire des Etats européens qui partent en réalitéalimenter des mafias lointaines qui en aucun cas ne contribuent à l’activité économiqueeuropéenne. C’est en cela que cette fraude représente une menace : elle paralyse l’action

143 ROBERT, A. “Fraude à la taxe carbone, Lourdes peines et grosses amende »s . La Tribune. 11 Janvier 2012.

144 Ibid.

145 AFP « Vaste escroquerie à la taxe carbone ». Le Figaro. 03 Mai 2013.

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des Etats en période d’austérité et de pression fiscale sur les individus, minant ainsi lacrédibilité intérieure d’action des autorités européennes.

Des moyens d’endiguer cette fraude commencent peu à peu à voir le jour tel l’auto-liquidation qui fait reposer le paiement de la TVA directement sur l’acheteur et non plussur l’éventuel reversement du vendeur. Il reste le vieux constat que les autorités semblenttoujours en retard sur les criminels et que des milliards ont été détournés pendant la périodenon régulée, nul doute non plus que les criminels qui se sont aguerris avec ce type de fraudene vont utiliser de nouveau leurs savoirs pour exploiter d’autres failles dans les disparitésfiscales européennes, cela serait d’ailleurs déjà le cas dans le secteur de la circulation desénergies146 ou même de la vente de voitures à l’étranger147. De son côté, la question desdisparités entre taux de TVA européens, moteur principal de cette fraude, semble encoredevoir perdurer des années tant les intérêts en jeu sont immenses.

Section C/ Le flux incontrôlable des conteneurs : un trafic parmid’autres

On l’a vu la mondialisation des flux de marchandises passe essentiellement par le traficmaritime et le la conteneurisation. Dans un tel contexte, quelles solutions pour le contrôledes flux de marchandises ? Au-delà des difficultés techniques sur lesquelles nous allonsrevenir, il s’agit alors d’un choix économique que d’intensifier le contrôle. Les zonesportuaires se livrent en effet une concurrence féroce en Europe du Nord, les ports deFelixstowe, Le Havre, Rotterdam, Anvers et Hambourg cherchent tous à accroitre leurefficacité pour conquérir de nouveaux marchés. Cette concurrence n’est pas simplementl’affaire de quelques financiers mais elle concerne des bassins d’emplois entiers qui peuventdevenir friche à la suite d’une baisse d’activité. Le choix du contrôle accru, et donc dublocage des marchandises dans les zones portuaires a donc des conséquences politiquesconsidérables que les gouvernants ont bien à l’esprit, leur intérêt est de donc de préserveravant tout la compétitivité de ces zones. Le calcul est alors simple : on préfère gérer desproblèmes de sécurité, bien plus bénéfiques politiquement, que des problèmes de chômageet de désindustrialisation, bien plus complexes et dont les résultats positifs ne sont quepeu médiatisés et rapportent donc peu politiquement148. Afin d’avoir une idée concrète dela manière dont les contrôles de marchandises pénalisent ces flux, il s’agit simplementde laisser parler les chiffres : Il transite environ 70 Millions de tonnes de marchandises

chaque année dans un port comme Le Havre, 6ème port européen en termes de quantitéde marchandises, soit plus de 3 millions de conteneurs, un conteneur standard mesure 12mètres de long, 2,4 mètres de large et 2,6 mètres de profondeur, soit 75 mètres cube et doncune possibilité de stockage de plusieurs tonnes de marchandises, qui, pour des raisonsd’impératifs économiques, sont variées afin de réaliser un tétris149 parfait ne laissant aucunespace vide. Vider un tel contenu en cas de doute implique donc le travail de deux douaniers

146 Communiqué de Presse. Europol. « Tax Fraud expert Joint forces to Tackle Serious and Organized Crime ». 13 Novembre2012. URL :https://www.europol.europa.eu/content/news/tax-fraud-experts-join-forces-tackle-serious-and-organised-tax-crimes-1832

147 Rapport consultable en Ligne : « Rapport d’activités et d’analyse 2012 ». Janvier 2013 URL : http://www.economie.gouv.fr/tracfin/publications-2

148 DASQUE J-M. Géopolitique du Crime International. Ellipses. 2012. 236 p.

149 Du nom du célèbre jeu d’assemblage virtuel des débuts de l’informatique.

Le continent européen face au crime organisé : Un enjeu moderne de sécurité.

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pour environ une journée de travail. Dans le cas où le contrôle se révèle improductif, ilfaut alors méticuleusement remettre en place toutes les marchandises, ce qui nécessite denouveau le travail de deux individus (en général des employés du transporteur qui facturentensuite ce service aux autorités portuaires) pendant une nouvelle journée150. Deux joursde traitement sont alors nécessaires à ce contrôle tandis qu’un conteneur non contrôlé,dans le port le plus productif de cet espace qu’est Rotterdam, nécessite seulement sixsecondes de travail, et ce, 24/24. On comprend alors la pénalisation encourue pour unezone portuaire par l’accroissement des contrôles, ainsi que l’exaspération des transporteurslors des contrôles improductifs, inexplicables aux entreprises qui les emploient sans se voirsoupçonné d’être mêlé à des affaires de contrebande. Dans ce contexte, on comprend queseuls 3 à 4% des marchandises entrant sur le territoire européen par voie maritime fassel’objet d’un contrôle151 et que la perspective de ces contrôles pour les contrebandiers nesoit du coup envisagée que comme un risque mineur entravant peu le flux total et donc lesbénéfices immenses. Enfin, il faut ajouter à tout cela que le marché des transporteurs esttrès ouvert et que, cela se vérifie de par le fait que les vingt entreprises qui dominent lemarché ne réalisent que 10% des prestations dans ce domaine, il y a alors foule de petitstransporteurs qui disparaissent, changent de noms, fusionnent ou au contraire se divisentchaque année, ce qui complique les enquêtes des services des douanes qui bien souventne peuvent aboutir en partie pour ces raisons152. On semble alors faire face à une situationinextricable et pour lesquels le simple renforcement des méthodes existantes ne peut êtresuffisant.

Troisieme partie : L’ADAPTATION DE LA LUTTEL’évaluation des moyens de lutte existants, en développement, et envisagés, permet aussiune bonne mesure d’un enjeu de sécurité. De plus, dans ce chapitre consacré à laprospective, il est difficile de ne pas traiter du développement des moyens de lutte contrele crime organisé dans les années à venir.

Section A/ Le recours à la sécurité privée : entre vraie solution etfausse bonne idée

On l’a vu, le crime organisé s’attaque essentiellement aux entreprises et non aux Etats,face à cette situation, l’une des solutions envisagées est le développement du recours à lasécurité privée pour ces entreprises.

L’une des conséquences directes du 11 septembre a été l’adoption des normes ISPS153

pour le transport maritime. Ces normes visaient en effet à éviter le transport de produits150 DASQUE J-M. Géopolitique du Crime International. Ellipses. 2012. 236 p.

151 Ibid

152 Ibid

153 Voir Annexe deuxième partie, Entretien avec B.L. . ISPS : International Ship and Port Security (en français Codeinternational pour la sûreté des navires et des installations portuaires). Adopté le 12 décembre 2002 par la résolution 2 de la Conférencedes gouvernements contractants à la Convention Internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (SOLAS). Il est entréen vigueur en Juillet 2004.

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dangereux pouvant être utilisés dans le cadre d’attaques terroristes, et très vite, aveccette fois le protocole additionnel de 2005 de la CSU (Convention for the Supression ofUnlawful act)154 le transport et le déversement de produits toxiques en mer. Il s’agit par-làd’éviter entre autres le trafic de déchets toxiques précités et de faire peser ces mesuresdrastiques de sécurisation sur les sociétés de transport et le contrôle de l’effectivité de cesmesures par les Etats. Aussi, ce protocole a pour la première fois qualifié les actes depiraterie de « criminels », ce qui permet leur traduction devant une juridiction et représentela contrepartie avantageuse aux mesures couteuses imposées aux sociétés de transport.La conséquence directe de cette « criminalisation » de la piraterie a été l’autorisation parde nombreux Etats de l’embarquement d’équipes de sécurité privées armées, destinéesà protéger les hommes et les marchandises à bord des navires. Face à la menace de lapiraterie, certains équipages ont même menacé de faire valoir leur droit de retrait si ce typede protection n’était pas fourni par les sociétés de transport155. En France, si les lignessemblent bouger actuellement, l’embarcation de groupes de sécurité privés est toujoursinterdite par la loi, les protections fournies se font alors sous forme d’EPE (Equipes deProtection Embarquée) composée de commandos marins. Seulement, la Marine Nationalene peut prendre en charge l’ensemble des pavillons français circulant dans la région et biendes sociétés ont alors choisi de s’établir dans d’autres Etats, en particulier au Royaume-Uniet à Malte, afin d’être autorisé à embarquer des groupes de sécurité privée.

En termes d’efficacité, les professionnels impliqués admettent volontiers qu’ils peuventfaire face à la menace de la piraterie puisque les 166 convois escortés entre 2008 et 2012par des militaires ou des membres des forces de sécurité privée n’ont connu à ce jouraucune attaque majeure156. Ici donc, la dissuasion marche à plein avec les pirates. Leproblème étant que ces groupes criminels sont nombreux et les bateaux qui croisent dansle Golfe d’Aden encore plus (20 000 par an), le coût pour les entreprises est alors beaucouptrop élevé pour chacun et rien de plus ne peut réellement être fait « à la mer », le reste doit sefaire sur terre, c’est-à-dire au sein des frontières somaliennes. En effet, les forces de sécuritéqui interceptent des pirates somaliens remettent ceux-ci aux autorités somaliennes quibien évidemment ne mènent pas une enquête approfondie permettant d’inculper les élitescorrompues qui dirigent ce trafic, elles se contentent de sanctionner certains de ces piratesde façon exemplaire tout en ne faisant rien pour éradiquer le fond du problème, par manquede moyen, mais aussi de volonté. Il s’agit alors de la limite stratégique : nous pouvonscontrecarrer la menace en mer avec des moyens militaires minimums, mais l’Europe ne peutrien faire de plus sans atteindre à la souveraineté judiciaire, policière et militaire de cet Etat.La sécurité privée ne peut donc représenter qu’un recours temporaire à une situation plusvaste qu’elle ne peut en aucun cas régler. Il s’agit là d’une remarque qui peut s’appliquer plusgénéralement au recours à la sécurité privée pour se protéger des groupes criminels. Cerecours est bien souvent extrêmement coûteux, la société Secuymind, qui s’occupe à la foisde certifier le respect des normes ISPS et CSU pour les sociétés de transport, mais aussi

154 Convention for the Suppression of Unlawful Acts against the Safety of Maritime Navigation, ROME 10 mars 1988,

Entrée en vigueur le 1er mars 1992, un protocole de 2005 criminalise l’utilisation de navires pour transporter ou décharger des armesbiologiques, chimiques ou nucléaires (Mise à part s’il s’agit d’un transport reliant deux zones d’un même territoire étatique ou d’untransport sous l’égide d’un Etat ayant ratifié le TNP). Le traité interdit aussi tout navire de décharger du pétrole, du gaz naturel liquéfié,des matériaux radioactifs ou toute autre substance dangereuse ou nocive en quantité ou concentration susceptible de causer desérieux dommages. De façon générale, le traité interdit l’utilisation de toute arme ou substance évoquée précédemment contre unnavire. A l’heure actuelle le traité a été ratifié par seulement 23 Etats.

155 Voir Annexes deuxième partie, entretien avec B.L.156 Ibid

Le continent européen face au crime organisé : Un enjeu moderne de sécurité.

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les premiers équipages de sécurité privée qui vont embraquer à bord des navires français,admet volontiers que le coût de cette sécurité privée, visant à endiguer l’action des groupescriminels (transport illicite de produits toxiques ou piraterie) représente actuellement la limitefinancière maximale qui peut peser sur les sociétés de transport. On comprend donc qu’àterme, c’est bien sur l’économie d’une région que cela pèse, elle peut alors être délaisséepar des entrepreneurs désireux de s’installer ou de circuler, dans le cas du Golfe d’Aden, sipossible dans des territoires plus accueillants. Le fond du problème réside donc bien dansune politique générale d’un Etat volontaire pour endiguer le crime organisé, la réponse parla répression (privée ou publique) ne représente en cela qu’une première étape.

Section B/ La coopération des services : limites d’un succèsL’exemple d’une des coopérations les plus abouties et efficaces en matière de luttecontre la criminalité organisée se trouve au large des côtes françaises et espagnoles,en Méditerranée, et concerne l’endiguement des entrées de haschich en provenance duMaroc. De fait, selon l’ONUDC, le Maroc est le premier producteur et exportateur mondialde cette drogue, sa production, principalement située dans la vallée du Rif s’étendait en2003 sur environ 134 000 hectares, représentait 1,48% des terres cultivables marocaineset fournissait annuellement plus de 3000 tonnes de haschich157. La destination principale dece haschich est l’Europe méditerranéenne avec l’Espagne, la France et l’Italie en contactdirect. Si depuis 2003, le Maroc affirme avoir mené une politique active à l’encontre desproducteurs et des trafiquants, il reste que, dix ans après cette enquête, de nouveauxchiffres ne sont toujours pas disponibles, ni de la part du gouvernement marocain, ni de lapart de l’ONUDC, et que les quantités entrant sur le territoire de l’Union Européenne sontrelativement stables158.

Face à ce trafic où peu semble fait à la source, les pays méditerranéens se sontorganisés et connaissent certains succès grâce à une coopération accrue des services pourstopper les « go-fast » maritimes en provenance des côtes marocaines. Ces opérations sefont sous la direction de la préfecture maritime de Toulon en liaison directe avec le Premierministre français et les autorités maritimes espagnoles159. La première phase, l’interceptiondes « go-fast » est réalisée par l’intermédiaire de la Marine Nationale. Celle-ci mobilise alorsune frégate furtive Lafayette chargée de repérer les embarcations des trafiquants, petitshors-bord d’une quinzaine de mètres de long mais ultra-rapides grâce aux 1000 chevaux demoyenne, répartis en plusieurs moteurs d’une puissance située entre 250 et 400 chevaux.Une fois le « go-fast » repéré, il est pris en chasse par un hélicoptère Panther et uneéquipe de fusiliers marins à bord d’un ETRACO (Embarcation de Transport Rapide pourCommando). La poursuite ne s’arrête bien souvent qu’une fois que les fusiliers marinsont reçu l’autorisation de tirer sur l’embarcation des narcotrafiquants pour la stopper. Dèsl’interception réalisée, les douanes s’occupent d’établir les scellés et les procès-verbauxpendant que le Panther et les fusiliers marins vont recueillir les éventuels ballots de droguejetés par-dessus bord pendant la poursuite. Le dossier est alors remis par les douanes àla Police Judiciaire de Toulon qui porte ensuite le dossier devant le Tribunal de Grande

157 CHOUVY, P-A. « Production de cannabis et de haschich au Maroc : contexte et enjeux », L'Espace Politique. 2008.158 Rapport consultable en Ligne. « Rapport Européen sur les drogues 2013 » URL : http://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/edr2013rap.pdf

159 « Géopolitique Mondiale de la Drogue Histoire, Economie, Politique, Stratégies, Réseaux».Mai 2010. Diplomatie,Hors-Série n°11.

CHAPITRE III : LA PROSPECTION : TENDANCES DES ANNEES A VENIR POUR LE CRIMEORGANISE

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Instance de Marseille. Ces opérations ont débuté en 2006, en 2008, elles avaient déjàpermis d’intercepter seize « go-fast » avec un total de onze tonnes de drogue saisies et auxalentours de vingt-cinq rejetées à la mer par les trafiquants les odes poursuites.

Lors d’un entretien réalisé pour ce mémoire, B.L., ancien vice-chef d’Etat-major desaffaires maritimes pour la zone Afrique, se félicitait de la grande efficacité de ces opérationsqui ont selon lui mis réellement à mal les trafiquants marocains. Le succès résidait aussidans une très bonne coopération entre Préfecture maritime, douanes, police judiciaire,Marine Nationale mais aussi avec les autorités espagnoles qui permettent aux autoritésfrançaises de poursuivre les « go-fast » jusque dans les eaux territoriales espagnoles, enretour, les mêmes autorisations leur sont aussi fournies pour des opérations du même type.

Cependant, B.L. affirmait que, si la démarche était bonne, elle avait pour l’instant atteintses limites. En effet, la coopération des services comporte selon lui un risque autant qu’unavantage. Il faut bien se rendre compte que ces groupes de trafiquants disposent de moyensénormes et peuvent donc disposer d’informateurs proches de ces services, ainsi donc, plusune information est partagée, plus elle est accessible par un grand nombre d’individus, pluselle a de chance d’être révélée aux trafiquants, mettant alors en échec toute l’opération.Aussi, il existe un facteur de dilution des probabilités de repérer une embarcation à mesurequ’elle s’éloigne de son point de départ, plus elle en est loin, plus elle a de chance de s’êtrefondue dans le trafic et dans l’immensité des eaux. Partant de ce constat, des mesures decoopération avec le Maroc seraient bien plus efficaces pour stopper ces embarcations dèsleur départ. Pourtant, « cette coopération est beaucoup plus difficile à mettre en place avecle Maroc » 160 . On touche donc là encore une fois à un problème plus général de volontépolitique. En effet, les opérations internationales restent fondées sur la flagrance et non lasuspicion, ce qui empêche toute prise d’information approfondie pour des individus opérantsur un territoire étranger. A ce titre, il n’existerait au monde que deux fabricants pour les hors-bords ultra-puissants que les trafiquants utilisent161. Obtenir des renseignements auprèsd’eux sur la clientèle qui les achète en quantité permettrait à coup sûr de remonter jusqu’aux« boss » de ces organisations mais recueillir de telles informations touche là au respectdu droit à la vie privée, grande problématique actuelle du monde du renseignement. Leproblème est donc bien plus une question de volonté politique et juridique qu’une véritablequestion de moyens.

Section C/ L’attaque latéraleCertains trafics ont été peu évoqués au cours de ce mémoire, essentiellement concernantla criminalité environnementale, et pourtant, il y a matière à s’y intéresser, mais dans unautre objectif que celui de déterminer l’intensité de la menace qu’ils représentent. En effet,on parle ici notamment du trafic de bois et du trafic d’espèces protégés où les sommes enjeu sont moindres que les trafics évoqués plus tôt. Les menaces sont extrêmement difficilesà quantifier (réchauffement climatique et disparition d’espèces imputables au crime), maisaussi et surtout, ces trafics se manifestent de manière violente sur des territoires bienéloignés de l’Europe, la forêt amazonienne ou la savane africaine pour les exemples lesplus courants. Lorsque les produits de ces trafics sont visibles sur le territoire européen, ilsémeuvent alors peu les opinions publiques puisque désormais l’objet du trafic existe sousforme de meubles, de possession d’animaux rares ou d’ivoire. Ainsi, ce trafic peu combattucar peu visible sur notre continent, les criminels qui en font une partie de leur commerce sont

160 Ibid161 Ibid

Le continent européen face au crime organisé : Un enjeu moderne de sécurité.

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beaucoup moins alertes par rapport aux sanctions des autorités162. Seulement, l’ensembledes mafias européennes sont mêlées à ce trafic, certes de manière très marginale, maisaisément prouvable. Alors, à la manière d’Al Capone que les autorités américaines ont faittomber pour fraude fiscale faute de pouvoir prouver autre chose, il existe bien là un angled’attaque. S’il est très difficile de faire tomber les gros bonnets pour trafics de drogue tantils se protègent, il serait plus aisé de démontrer leur implication dans des trafics marginauxet pour lesquels ils se sont moins couverts. La suite semble simple, un réel isolement deleurs partenaires une fois placés en prison couperait la tête des trafics sans pour autantnécessiter les moyens énormes requis pour s’attaquer aux narcotrafics.

S’il s’agit d’une méthode dérivée, elle n’est ni à exclure ni à transformer en méthodeexclusive car elle comporte bien évidemment des failles et ne peut que s’insérer que dansun processus plus large. Tout d’abord il s’agit de prévoir des sanctions pénales réellementadaptées à la criminalité environnementale afin de pouvoir stopper pour longtemps lecriminel arrêté, et donc laisser mourir son réseau. Ensuite, tout au long de ce mémoirenous avons pu voir que le propre d’un marché criminel est d’être repris dès que les anciensténors de celui-ci ne peuvent plus approvisionner la demande, si celle-ci permet toujoursune bonne rémunération bien sûr. Il ne s’agit donc pas là d’un remède durable.

162 ROUDAUT, M. Marchés Criminels un acteur global. Puf. 2010. 286 p.

Conclusion

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Conclusion

On l’a vu, le crime organisé représente donc bien un enjeu moderne de sécurité. En ce sens,il bénéficie d’une époque à la fois propice à son développement, mais qui peut se révélerdangereuse en finalité, il représente une menace réellement actuelle et ce, à différentsniveaux : économique, politique, sanitaire, environnemental, géopolitique ou même sociétal.Si son développement récent est facteur d’inquiétudes, il semble pourtant que des solutions,même imparfaites, existent ou se développent elles aussi. L’avenir est donc incertain, maisne garantit ni un futur avec un crime organisé tout-puissant, ni un futur débarrassé de lacriminalité organisée.

De même, pour ceux qui s’inquiéteraient d’une montée en puissance soudaine quipousse certains criminels à vouloir se transformer en menace militaire, on peut citer lecas du navire MV Faina arraisonné par des pirates somaliens le 21 décembre 2008 avec33 chars russes T-72 à son bord, et pourtant, la seule chose qui intéressait ces piratesétait la rançon exigée. Ainsi, même lorsqu’elle a sous sa main un potentiel destructeur, lacriminalité organisée ne semble pas prête à changer d’envergure. Si le nerf de la guerreest l’argent, alors, il faut peut-être s’intéresser au revirement de politique au Mexique,qui, après des années d’échec à tenter d’endiguer le crime organisé avec des moyensmilitaires considérables, est en train petit-à-petit de revoir sa stratégie pour se consacrerà une lutte féroce sur le terrain des avoirs financiers des terribles cartels et s’attache àleur supprimer toute amplitude monétaire. Cette solution récente semble porter ses fruits,cependant, il faudra encore plusieurs années avant de réellement savoir si elle était la bonneou non, ce qui a marché et ce qui a échoué. Dans un tel contexte, il reste à espérer que laCommission du parlement européen sur la criminalité organisée et le blanchiment d’argentsoit réellement une avancée dans la lutte contre la criminalité organisée, et que les mesuressoient particulièrement tournées vers cette matière si douloureuse qu’est l’argent.

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