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Le "Cours de linguistique générale" et l'apprentissage linguistique Author(s): Simon Bouquet Source: Cahiers Ferdinand de Saussure, No. 46 (1992), pp. 73-90 Published by: Librairie Droz Stable URL: http://www.jstor.org/stable/27758464 . Accessed: 12/06/2014 23:17 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Librairie Droz is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Cahiers Ferdinand de Saussure. http://www.jstor.org This content downloaded from 62.122.79.78 on Thu, 12 Jun 2014 23:17:04 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Le "Cours de linguistique générale" et l'apprentissage linguistique

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Le "Cours de linguistique générale" et l'apprentissage linguistiqueAuthor(s): Simon BouquetSource: Cahiers Ferdinand de Saussure, No. 46 (1992), pp. 73-90Published by: Librairie DrozStable URL: http://www.jstor.org/stable/27758464 .

Accessed: 12/06/2014 23:17

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S 46 (1992), pp. 73-90

Simon Bouquet

LE COURS DE LINGUISTIQUE G?N?RALE ET L'APPRENTISSAGE LINGUISTIQUE

La question de l'apprentissage linguistique n'a quasiment pas ?t? abord?e par Ferdinand de Saussure. C'est ce qui appara?t ? la lecture du Cours de linguistique g?n?rale et qui se confirme si l'on se penche sur les notes d'?tudiants et sur les notes

personnelles du linguiste. R. Godei constatait, en 1957, que Saussure n'a pas parl? du langage des enfants ni de l'apprentissage de la langue maternelle ?? part une

br?ve remarque (...) ? la fin de la le?on du 11 mai (1911)?2 et T. De Mauro, dans ses

commentaires du Cours, fait ?tat de l'existence de six passages mentionnant cette

question.3 De fait, si l'on trouve, dans le corpus saussurien sur la linguistique g?n? rale, une dizaine de passages o? il est fait allusion ? l'apprentissage, c'est toujours ? l'occasion de remarques incidentes et sans que celui-ci soit v?ritablement consid?r?

pour lui-m?me. ? Pourquoi la th?orie saussurienne ignore-t-elle ainsi l'apprentis sage linguistique? C'est la question ? laquelle nous nous proposons de r?pondre ici.

1 C'est de l'apprentissage linguistique spontan? qu'il s'agira ici, non de l'enseignement des

langues (auquel Saussure ne fait allusion qu'une fois, dans la remarque [7]). 2

R. Godei, Les sources manuscrites du Cours de linguistique g?n?rale de F. de Saussure

(Gen?ve: Droz, 1957), p. 115. 3 F. de Saussure, Cours de linguistique g?n?rale, ?dition critique pr?par?e par T. De Mauro

(Paris: Payot, 1972), p. 417 (note 49) et p. 425 (note 69).

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74 Cahiers Ferdinand de Saussure 46 (1992)

Pour cela, dans un premier temps, nous dresserons un inventaire ordonn? des rares

?nonc?s o? Saussure a parl? de l'apprentissage. Dans un second temps, nous tente rons d'interpr?ter la relation particuli?re qu'entretient cette question avec sa th?orie

de la langue.

1. Le Cours de linguistique g?n?rale^ et l'apprentissage: un ??tat des lieux?

Les rares remarques de Saussure sur l'apprentissage peuvent se classer selon deux cat?gories. Dans la premi?re cat?gorie, qu'on a choisi d'appeler celle du point de vue positif, on rangera les remarques qui prennent en compte, si peu que ce soit, le fait de l'apprentissage dans l'?laboration ou l'argumentation de la th?orie de la

langue. Dans la seconde cat?gorie, celle du point de vue n?gatif on classera les

remarques qui ne mentionnent la question de l'apprentissage que pour signaler qu'il n'est pas pertinent de la prendre en consid?ration dans l'optique de ladite th?orie de la langue.5

1.1. Le point de vue positif

Examinons d'abord les passages o? la question de l'apprentissage s'articule

positivement ? la th?orie linguistique que d?veloppe Saussure.

Le Chapitre III de l'Introduction du Cours, dans sa r?capitulation des caract?res distinctifs de la langue, cite l'apprentissage:

[1] (...) l'individu a besoin d'un apprentissage pour conna?tre le jeu (de la

langue); l'enfant ne l'assimile que peu ? peu.

Ainsi que les sources manuscrites l'indiquent ?

plus clairement que le texte de Bally et Sechehaye ?, l'apprentissage est ?voqu? ici pour renforcer l'id?e de la nature sociale de la langue: ?dans l'individu, on n'a que l'organisation (var. : qu'une puis

4 Le titre et les sous-titres du pr?sent article mentionnent ?le Cours de linguistique g?n?rale? par commodit?. Notre corpus est celui des textes saussuriens sur la linguistique g?n?rale dans leur ensemble (?dition de 1916, notes d'?tudiants des trois cours et notes personnelles de Saussure), regroup? dans F. de Saussure, Cours de linguistique g?n?rale, ?dition critique par R. Engler (Wiesbaden: Otto Harrassowitz, 1968 [tome 1] et 1974 [tome 2]). 5 Nos citations sont faites ? partir de l'?dition critique par R. Engler, op. cit. Leur r?f?rence, donn?e ci-dessous renvoie successivement ?: 1) tome; 2) page; 3) indexation Engler du texte; 4) num?ro de colonne pour le tome 1 : ? col. 1 : texte de Bally et Sechehaye; col. 2 ? 5 : notes des

?tudiants; col. 6: notes personnelles de Saussure. Si les num?ros de colonne (de la col. 2 ? la col.

5) sont pr?c?d?s de ?AM?, le texte donn? est un amalgame de plusieurs sources diff?rentes, que nous avons r?dig? en respectant scrupuleusement l'esprit et la lettre de l'?dition critique mais dont nous portons seul la responsabilit?.

? [1] 1.42.255.1; [2] 1.161.1202.AM2,3,4; [3] 1.237.1721.2;

[4] 1.385.2565.2; [5] 2.9-10.3284; [6] 1.466.3010-3011.6; [7] 1.203.1519.2; [8] 1.29.145-148.1; [9] 1.339.2316-2322; [10] 2.41.3323.4; [11] 1.240.1739.AM2,3,4,5; [12] 1.286.2022.AM2,4,5?

Apparat critique : ( ) lacune dans le manuscrit ou texte biff? dans le manuscrit.

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Simon Bouquet: Le CLG et l'apprentissage linguistique 75

sance, qu'une facult?) pr?te ? parler?; ?l'individu laiss? ? lui-m?me n'arrivera

jamais ? la langue?.7

Lorsqu'il d?finit l'immutabilit? de la langue, Saussure mentionne, parmi les

arguments secondaires qu'on pourrait ?tre tent? d'invoquer,

[2] la somme d'efforts qu'il faut ? un individu pour apprendre une langue, et de

l?, la difficult? ? changer (...)

mais, dit-il, il ne s'agit l? que d'un argument indirect, ?envelopp?? par le fait domi nant que la langue est un syst?me complexe de signes arbitraires soumis aux

?forces? du fait social et du temps.

Pour d?finir les entit?s concr?tes de la langue, se r?f?rant ? la ?cha?ne des

concepts? et ? la ?cha?ne acoustique?,8 Saussure indique que la m?thode correcte de

d?limitation des entit?s consiste ? ?contr?ler toujours si le concept est d'accord avec

les divisions introduites (dans la cha?ne acoustique)?, en pla?ant le m?me mot dans une s?rie de phrases diff?rentes ; par exemple : le mot ? force ? dans ? ? bout de force ?

et ?la force du vent?. Il conclut:

[3] Il faut que le m?me concept vienne co?ncider avec la m?me suite acoustique. C'est ainsi qu'on apprend ? parler.

(Cette remarque fait ?cho ? une note manuscrite de Saussure, class?e dans la cat?

gorie ?point de vue n?gatif?: cf. infra remarque [10].)

0 1.31.155.AM2,3.

7 1.42.252/253. 8 1.236.1715 - 1.237.1721 ? La figuration (pr?c?dant imm?diatement la remarque [3]) des

deux ?cha?nes? dans lesquelles on doit op?rer la d?limitation des unit?s linguistiques est celle-ci:

(1.236.1716.2,5)

cha?ne des concepts

cha?ne acoustique.

(1.236.1716.3)

Cette figuration ? bien qu'elle s'applique ? des ?cha?nes de parole?

? rappelle, bien s?r, celle

des deux ?masses amorphes? reproduite par Bally et Sechehaye au chapitre ?La valeur

linguistique?, dont la source directe est la suivante:

jzi i i masse informe

(1.252.1827.2,5) Les ?diteurs semblent avoir amalgam? les deux s?ries de graphiques.

(1.252.1827.3)

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76 Cahiers Ferdinand de Saussure 46 (1992)

Dans l'un des cours sur l'analogie, une explication est donn?e de la gen?se de l'innovation analogique: elle est d'abord essay?e dans la parole, puis, lorsqu'elle a la bonne fortune d'?tre imit?e et r?p?t?e, elle entre dans la langue

? explication qui

est suivie de ce d?veloppement:

[4] Le principe fondamental du changement analogique est psychologique, aussi point n'est besoin d'exemples historiques: les enfants dans leur langage disent viendre par analogie de ?teindrai : ?teindre - craindrai : craindre, etc.

(...) ainsi l'imparfait de traire (dans la bouche d'un enfant sera) fraisait (pour trayait par analogie avec plaire '.plaisait

- taire : taisait (...) Il n'a manqu? ? ces deux formes analogiques (traisait, viendre) et ? d'autres que l'accueil

g?n?ral; en soi elles sont aussi l?gitimes que d'autres qui sont entr?es dans la

langue.

(Bally et Sechehaye, dans leur ?dition, ont attribu? le couple traire/traisait au parler des adultes; il n'est question, dans la le?on orale, que du langage des enfants.)

Il faut aussi verser au chapitre de l'analogie ce texte manuscrit de Saussure, bien ant?rieur ? ses cours de linguistique g?n?rale, puisqu'il a ?t? r?dig? en vue d'une con f?rence ? l'Universit? de Gen?ve en 1891 :

[5] On ne peut mieux se rendre compte (de ce qu'est le ph?nom?ne d'analogie, ph?nom?ne de transformation intelligente,) qu'en ?coutant parler quelques mi nutes un enfant de trois ou quatre ans. Son langage est un v?ritable tissu de for mations analogiques (...) qui nous offrent dans toute sa puret? (...) le principe qui ne cesse d'?tre ? l' uvre dans l'histoire des langues. (...) L'op?ration d'a

nalogie est plus vive et plus (fertile) chez l'enfant, parce que sa m?moire n'a

pas eu le temps encore d'emmagasiner un signe tout ? fait pour chaque id?e, et

qu'il se trouve bien oblig? par cons?quent de (confectionner) lui-m?me ce signe ? chaque instant. (Or il le fabriquera toujours d'apr?s le proc?d? d'analogie.) Il est possible que si la puissance (et la nettet?) de notre m?moire ?tait infiniment

sup?rieure ? ce qu'elle est, les formations nouvelles par analogie fussent r? duites ? presque rien dans la vie du langage.

Lors d'une le?on sur la linguistique g?ographique, les ?habitudes de clocher? sont ainsi qualifi?es:

[6] Ces habitudes, d'autant plus fortes pour chaque individu qu'elles repr? sentent en g?n?ral pour lui les habitudes de son enfance, peuvent, sans dom

mage pour la th?orie, passer pour la force centrale et fondamentale.

Cette remarque ? cit?e ici d'apr?s une note manuscrite de Saussure ? pr?c?de l'ar

ticulation de la ?force de clocher? ? la ?force d'intercourse? qui lui fait contrepoids. On trouve encore une remarque qui peut ?tre class?e dans la cat?gorie du ?point

de vue positif? ? bien que n'envisageant plus cette fois l'apprentissage en tant que

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processus naturel d'acquisition mais comme enseignement ? lors d'une illustration

de l'opposition entre la linguistique diachronique et la linguistique synchronique, dans le passage que Bally et Sechehaye ont titr? ?Les deux linguistiques oppos?es dans leurs m?thodes et dans leurs principes?. Saussure prend l'exemple du mot pas

(n?gation et substantif), pour montrer comment ? une seule unit? diachronique peu vent correspondre deux unit?s synchroniques :

[7] (Diachroniquement, la n?gation pas et le substantif pas, sont identiques...) Mais synchroniquement? Nous voyons que nous sommes plac?s devant un

autre syst?me de poids et mesure: il faut r?pondre n?gativement; et la preuve c'est qu'on est oblig? (? l'?cole de nous) apprendre cette unit?.

Vapprentissage-enseignement appara?t ici comme l'oppos? de Vapprentissage

acquisition: dans la perspective de la conception saussurienne de la langue, o? la

synchronie prime sur la diachronie, la question de l'apprentissage-enseignement ne

saurait avoir d'autre valeur que celle d'une ?pi?ce rapport?e? au regard de la

pratique naturelle de la langue.

Notons enfin, pour m?moire, une ?vocation de l'apprentissage, au chapitre

?Linguistique de la langue et linguistique de la parole?: ?D'autre part, c'est en en

tendant les autres que nous apprenons notre langue maternelle; elle n'arrive ? se d?

poser dans notre cerveau qu'? la suite d'innombrables exp?riences.? Il s'agit l? d'un

ajout pur et simple des ?diteurs, qui n'est fond? sur aucune source et dont nous ne

tiendrons donc pas compte ici .9

La r?f?rence ? l'apprentissage, ? travers les sept passages qu'on a regroup?s dans

la cat?gorie du ?point de vue positif?, pourra se r?sumer dans les constats suivants:

A. La question de Vapprentissage est envisag?e dans toutes les grandes subdivi

sions de la linguistique saussurienne: linguistique synchronique (remarques [1], [2],

[3], [7]), linguistique diachronique (remarques [4] et [5]), linguistique externe (re

marque [6]).

B. Le fait de V apprentissage et son m?canisme sont donn?s comme allant de soi

(sauf dans la remarque [3]): il n'en est esquiss? aucune d?finition ni explication, sinon dans la mention, apparemment anodine, que l'apprentissage linguistique est un

enregistrement de la m?moire, o? il se fixe par it?ration (remarque [3]).

C. Ces remarques s articulent ? la th?orie de la langue selon un mode passif

quant ? Vapprentissage (sauf la remarque [3]). Si toutes les remarques cit?es

9 1.57.349.1 ? Il ne s'agit pas en l'occurrence d'une critique du travail d'?dition de Bally et

Sechehaye. S'il y avait un jugement de valeur ? porter sur l'ajout dont il est question ici, on ne pour rait que reconna?tre qu'il exprime une pens?e en plein accord avec celle de Saussure.

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?tablissent un lien entre le fait de l'apprentissage et la th?orie de la langue, cette

contribution se fait de mani?re unilat?rale, c'est-?-dire passivement quant ? la ques tion de l'apprentissage : aucun th?orisation n'en r?sulte en retour pour cette derni?re.

(Cette passivit? est facilit?e, bien s?r, par l'optique qui consid?re le fait de l'appren

tissage comme allant de soi.)

D. La remarque [3] fait exception au mode passif ?voqu? ci-dessus, ainsi qu? V optique qui consid?re le fait de V apprentissage comme allant de soi: ?non?ant que ?l'on apprend ? parler en faisant co?ncider le m?me concept avec la m?me suite

acoustique?, cette remarque construit une relation bilat?rale, selon un mode actif, entre la question de l'apprentissage et la th?orie de la langue. On verra plus loin com

ment cette relation ? qui s'?tablit aussi dans une remarque de la cat?gorie ?point de vue n?gatif?

? peut ?tre interpr?t?e.

1.2. Le point de vue n?gatif

Si les remarques de l'utilisation ?positive? de l'apprentissage sont rares et laco

niques, celles de son utilisation ?n?gative? ? c'est-?-dire celles ou Saussure pr?

sente question de l'apprentissage comme n'ayant pas ? ?tre prise en consid?ration

par sa r?flexion th?orique sur la langue ? sont moins fr?quentes encore et tout aussi

peu disertes.

Dans le chapitre ?Objet de la linguistique?, pour illustrer les dualit?s du ph?no m?ne linguistique et la difficult? qui r?sulte de ces dualit?s pour concevoir claire ment l'objet de la linguistique, Bally et Sechehaye ?crivent: ?La question serait-elle

plus simple si l'on consid?rait le ph?nom?ne linguistique dans ses origines, si par

exemple on commen?ait par ?tudier le langage des enfants? Non, car c'est une id?e tr?s fausse de croire qu'en mati?re de langage le probl?me des origines diff?re de celui des conditions permanentes (...)?. En fait, Saussure, dans la le?on qui a servi de base ? ce texte, d?nie bien ? l'?tude du langage enfantin un quelconque int?r?t

pour saisir ce qu'il d?finit comme l'objet de la linguistique, mais n'assimile nulle

10 Ce lien s'?tablit, fondamentalement, ? propos de la primaut? du caract?re social de la

langue: les remarques sur l'apprentissage servent ? argumenter, renforcer ou prouver ce caract?re.

Remarque [1]: ce lien est explicite dans le contexte imm?diat de la remarque, mentionn? supra . ?

Remarque [4] : la production de la forme viendre par un enfant illustre un fait psychologique (individuel) diff?renci? d'un fait de langue par cela qu'il n'est pas ent?rin? socialement. ? Remar

que [5] : la m?moire est consid?r?e comme insuffisamment puissante en ce qu'elle n'enregistre pas, imm?diatement et sans faille, le produit social de la langue.

? Remarque [6] : les habitudes de la

?force de clocher? contract?es dans l'enfance sont linguistiques en ce qu'elles sont sociales; ladite ?force de clocher? se laisse, pour cette raison, r?duire ? une forme de Vintercourse. ? Pour les trois remarques restantes, l'articulation est moins directe, mais tout aussi r?elle. Remarque [2]: l'immutabilit? est une cons?quence du caract?re social du signe (en m?me temps que de son carac t?re arbitraire et syst?matique).

? Remarque [3] : l'?vocation des deux ?faces? du signe porte avec

elle celle du contrat social qui les lie. ?

Remarque [7] : c'est le ?fait social? synchronique qui pri me sur le fait ?ducatif.

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Simon Bouquet: Le CLG et l'apprentissage linguistique 79

ment la question de l'acquisition du langage ? celle de ses origines. La le?on orale dont rend compte la premi?re phrase de Bally et Sechehaye (?La question serait elle. .. ?) ne nous est parvenue que sous la forme d'une br?ve note de D?gallier:

[8] On peut commencer par langage des enfants, etc.,

cette remarque s'inscrivant dans un contexte o? Saussure ?num?re les biais par les

quels on peut tenter, sans succ?s, de saisir l'objet linguistique. ? La seconde phrase

(?Non, car... ?) a pour source une autre le?on, dans laquelle il n'est pas question de

l'acquisition linguistique.

Dans une le?on sur les changements phon?tiques, l'explication en vogue, reprise notamment par Meillet, selon laquelle ces changements sont principalement d?pen dants de l'apprentissage phon?tique de l'enfance, n'est pas consid?r?e comme

satisfaisante:

[9] L'enfant n'arrive que par une s?rie de t?tonnements, d'essais et de rectifica tions par l'oreille ? prononcer ce qui se parle autour de lui: tous ces t?tonne

ments seraient le point de d?part des changements; toutes les inexactitudes de l'enfant l'emporteraient dans la vie et resteraient fix?es pour la g?n?ration qui grandit. (...) Cette constatation (...) laisse le probl?me intact (...): pourquoi ce

ph?nom?ne a-t-il r?ussi ? percer cette fois plut?t qu'une autre?

Sans r?futer totalement cette explication ? il ne s'agit ici pour lui que de la refuser

comme explication majeure ?, Saussure la tient pour simplificatrice, comme le sont, ? des degr?s divers, les autres explications, qu'il ?num?re (loi du moindre effort, ph? nom?nes historiques, pr?disposition raciales, climatologie, substrat linguistique an

t?rieur, ph?nom?ne de mode).

Dans une note manuscrite, sur la question de l'interd?pendance de la langue et

de la parole, Saussure ?crit:

[lOal Le fait ??ducatif? que nous apprenons peut-?tre des phrases avant de

savoir des mots n'a pas de port?e r?elle. Il revient ? constater que toute langue entre (d'abord) dans notre esprit par le discursif (...).

Cette remarque, on le verra plus loin, est celle qui, au sein de la cat?gorie ?point de

vue n?gatif?, soul?ve le plus de probl?mes quant ? son articulation ? la th?orie de la

langue.

11 Cette assimilation est une cr?ation des ?diteurs ? relev?e par R. Godei dans Les sources

manuscrites...,op. cit., p. 115 et par T. De Mauro dans son ?dition du Cours de linguistique g?n?

rale, op. cit., p. 417 (note 49). ? Sur l'origine du langage, la position de Saussure est conforme ?

celle des linguistes de son ?poque, refl?t?e par l'Article II des premiers statuts de la Soci?t? de Lin

guistique de Paris qui excluait cette question. Pour Rudolf Engler, l'assimilation qui est faite ici est

imputable ? Sechehaye: elle refl?te par trop ses positions personnelles (exprim?es dans Y Essai sur la structure logique de la phrase) sur l'apprentissage linguistique (communication personnelle).

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80 Cahiers Ferdinand de Saussure 46 (1992)

Nous tracerons ici, comme nous l'avons fait pour le ?point de vue positif?, une

topographie o? inscrire ces ?nonc?s de l'exclusion de la question de l'apprentissage, sous la forme des constats suivants :

A. C'est dans Voptique synchronique seule que V exclusion de Vapprentissage est

radicale (c est-?-dire que le ?point de vue n?gatif? est radical). En effet, si l'on

trouve repr?sent?es dans la cat?gorie ?point de vue n?gatif? l'optique diachronique et l'optique synchronique, ? ces deux optiques correspondent deux degr?s nettement

diff?renci?s d'exclusion: dans l'optique diachronique (remarque [9]) l'exclusion de

l'apprentissage est partielle et, en outre, n'intervient qu'? propos d'un domaine

mineur au regard de l'ensemble de la th?orie saussurienne; dans l'optique synchro

nique par contre (remarques [8] et [10]) l'exclusion est totale ? et se trouve, de plus, articul?e ? des enjeux cruciaux de la pens?e saussurienne: la d?finition du concept de langue et la th?se du primat de la synchronie.

B. Le fait de V apprentissage et son m?canisme ne sont pas fondamentalement consid?r?s comme allant de soi. Tout en excluant la question de l'apprentissage, deux remarques du ?point de vue n?gatif? font ?tat, contrairement ? celles du ?point de vue positif? d'un doute ? son sujet; il s'agit de la remarque [9], o? Saussure, ad

mettant le principe que les changements phon?tiques aient quelque chose ? voir avec

l'apprentissage, demeure n?anmoins incertain de l'importance ? accorder ? ce prin

cipe et, surtout, de la remarque [10], o?, s'interrogeant sur la fa?on dont on apprend ? parler, il avoue son incertitude sur le ?fait ?ducatif? de la priorit? de l'apprentissa ge des phrases sur l'apprentissage des mots.

C. Les remarques radicales du ?point de vue n?gatif? s articulent selon un mode

actifs la th?orie de la langue}1 En fait, l'exclusion, en soi-m?me, est une relation active ? la th?orie de la langue. Cette relation est r?duite ? sa plus simple expression dans la remarque [8], ?nonc? minimal de l'exclusion. Elle est plus ?labor?e dans la

remarque [10], o? elle se noue au probl?me de la th?orie de la phrase, probl?me non

moins crucial de la th?orie saussurienne de la langue que celui que rencontre la

remarque [3]. On va voir que les deux probl?mes en question ? l'un touchant la

th?orie du signe et l'autre la th?orie de la phrase ? ne sont pas sans lien l'un avec

l'autre et qu'il est, en outre, ?clairant d'envisager leur lien dans la perspective de la

question de l'apprentissage.

12 Ce qui n'emp?che pas que l'on retrouve dans le ?point de vue n?gatif? le lien pr?c?dem

ment ?voqu? (cf. note 10) entre la mention de la question de l'apprentissage et l'argumentation du

caract?re social de la langue (sp?cialement dans la remarque [9], qui rejette la pertinence du fait ?psychologique? individuel).

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Simon Bouquet: Le CLG et l'apprentissage linguistique 81

2. L'absence de l'apprentissage linguistique dans la th?orie saussurienne: une inter

pr?tation

L'apprentissage linguistique, ainsi qu'on aura pu le constater, occupe, tant ? tra vers les remarques de la cat?gorie du ?point de vue positif? qu'? travers celles de la

cat?gorie du ?point de vue n?gatif?, une place plus que r?duite dans la th?orie saus surienne de la langue. On peut toutefois consid?rer encore une troisi?me cat?gorie: celle de l'absence de la question de l'apprentissage dans les cours et les notes de Saussure. Mat?rialisation du projet d'exclusion formul? par les remarques de la

cat?gorie ?n?gative?, cette absence pourra ?tre tenue pour la cat?gorie majeure, celle

qui demande ? ?tre interpr?t?e. Pour cette interpr?tation, on se fondera sur les traces

que laisse la question de l'apprentissage dans la th?orie de la langue, c'est-?-dire sur les remarques qui s'y articulent selon un mode actif.13 On verra comment l'exclusion de cette question rencontre, de fa?on cruciale, deux autres exclusions de la linguisti que saussurienne: l'exclusion du ?monde? dans la th?orie du signe

? c'est-?-dire l'exclusion du probl?me de la r?f?rence ? et l'exclusion du ?logique? li?e ? la th?orie de la phrase et de sa syntaxe.

2.1. Apprentissage et r?f?rence

C'est d'une articulation active ? la th?orie de la langue que t?moigne, on l'a vu, la remarque [3], qui pose l'apprentissage linguistique comme apprentissage de la ?co?ncidence du m?me concept avec la m?me suite acoustique?. Ce qui retiendra l'attention ici, c'est que cette remarque touche un point particuli?rement d?licat de la repr?sentation saussurienne du signe linguistique: la conception sym?trique des notions de signifi? et de signifiant. Le contexte imm?diat de la remarque [3], qui pr? sente les deux faces du signe comme des d?limitations dans deux ?cha?nes de

paroles? courant parall?lement,14 illustre d'ailleurs cette conception sym?trique, ?

la sym?trie ?tant abord?e ici sous l'angle de la parole et non sous l'angle de la langue comme dans la repr?sentation rendue c?l?bre par le chapitre ?Nature du signe linguistique?

? et la remarque [3], tout comme cette image des ?cha?nes de parole? parall?les, vient renforcer l'id?e du ?d?coupage? op?r? simultan?ment par la langue dans les ?masses amorphes? du son et de la pens?e.15

? Par voie de cons?quence, cette remarque renforce un autre aspect de la th?orie saussurienne, tr?s probl?ma tique lui aussi: sa position sur la question de la d?termination extra-linguistique du

13 Les remarques passives et notamment celles du ?point de vue positif? ne sont pas pour

autant sans int?r?t: elles nous montrent comment Saussure marginalise l'apprentissage, et com

ment cette passivit? et ce ?point de vue positif? sont l'expression de ladite marginalisation. L'ex

ception que constitue la remarque [3] est d'autant plus notable et il est notable, aussi, qu'elle provienne de la m?me le?on que le passage du cours de 1908-1909, o? Saussure ?carte, comme

dans la remarque [10], la th?orie de la phrase (cf. remarque [11]). 14

Cf. note 8.

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82 Cahiers Ferdinand de Saussure 46 (1992)

signifi?, c'est-?-dire sur la question de la r?f?rence.

On peut d?crire le probl?me de la sym?trie du signifi? et du signifiant comme

suit. Si, en th?orie, les deux faces du signe sont repr?sent?es sym?triquement comme

le recto et le verso d'une feuille de papier et les mat?riaux informes du ?son? et de

la ?pens?e? sont, pareillement, figur?s de fa?on sym?trique,16 dans les qualit?s con

cr?tes pr?t?es tant aux composants formels du signe qu'au mat?riau substantiel dans

lequel chacun de ces composants op?re sa d?limitation, rien ne vient attester cette sy m?trie. D'un c?t?, en effet, il est question d'un ?son pur?, mesurable et quantifiable, ? de m?me qu'il est question d'un signifiant, analysable lui aussi, selon son ordre, en ?l?ments quantifiables.17 De l'autre c?t?, Saussure parle d'une ?masse amorphe? de la ?pens?e? relevant de la ?psychologie pure?, masse amorphe ? laquelle il n'at

tribue finalement pas d'autre propri?t? descriptive que la sym?trie th?orique de sa

position face au son,18 ? de m?me qu'il pose un signifi?, qui, ne faisant pas l'objet

d'une caract?risation ?l?mentaire semblable ? la caract?risation phonologique ?l?

mentaire du signifiant, ne se trouve, lui aussi, finalement sp?cifi? que par la position

qu'il occupe, d?finie, quasi m?taphoriquement, dans sa propri?t? de sym?trie par rap

port au signifiant. Cette sym?trie, pierre d'achoppement de la repr?sentation de la

langue comme syst?me de valeurs, favorise la th?orie d'un signifi?19 ind?pendant de toute d?termination du ?monde? extra-linguistique

? nous entendons ici par ?monde? une instance indiff?renci?e englobant la ?sph?re psychologique? (non lin

guistique) et le domaine des ?objets? ?, c'est-?-dire un signifi? (un signe) sans

15 Cette approche par la parole permet ? Saussure d'aborder la question de la dimensionalit? (cf. infra, note 22), articulant aussi celle-ci ? ce qui est, semble-t-il, la seule esquisse d'une concep tion non-sym?trique du signe dans sa r?flexion: ?mais heureusement (...) la sonorit? acoustique se

d?roule dans une seule dimension. Par cons?quent, je ne suis pas dans la situation d'une personne ? qui on donnerait feuille de papier et ciseaux et qu'on inviterait ? d?couper. C'est comme si on nous pr?sentait un fil qu'il n'y a qu'? couper (var: on ne d?coupe pas, on coupe).? (1.236.1714.4,5

? troisi?me cours). Cet ?nonc? est confirm? par une remarque faite par Saussure en priv? ? Gau

tier, raport?e ainsi par ce dernier: ?La langue est n?cessairement comparable ? une ligne dont les

?l?ments sont coup?s aux ciseaux, pan, pan, pan, et non pas d?coup?s chacun avec une forme? (En tretien Gautier, cit? dans R. Godei, Les sources manuscrites..., op. cit., p. 30).

? Voir ? ce sujet la critique de P.Naert (?Sur la nature phonologique de la quantit??, CFS 3, 1943).

16 Cf. note 8.

17 L'analyse de la ?substance sonore? ?tant le domaine d'une science que Saussure appelle,

exceptionnellement, anticipant ici le sens moderne du mot, phonologie (ce que Bally et Sechehaye transcrivent par la phonologie pure) et celle du signifiant ?tant le domaine d'une science que Saus sure appelle de m?me, mais cette fois de fa?on non exceptionnelle et argument?e, phonologie, au

sens moderne de phon?tique ? Voir 1.254.1836.2-4.

18 Voir notamment 1.252.1821^. 19 Au lieu de signifi?, on pourrait tout aussi bien dire sens ou signification, entendant ces mots

dans l'emploi largement ?quivalent qu'en fait Saussure dans ses cours et ses notes. (Cf. S. Bouquet, ?La s?miologie linguistique de Saussure: une th?orie paradoxale de la r?f?rence??, Langages [Paris: Larousse], 1992.)

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Simon Bouquet: Le CLG et l'apprentissage linguistique 83

r?f?rence. La th?se de l'ind?pendance de la langue, que soutient massivement

Saussure,20 fait montre, ? ce propos, d'un d?faut de structuralisme. En effet, conce vant la langue comme un syst?me s?miologique ferm?, c'est-?-dire exclusivement d?termin? par sa nature sociale, isolant le signifi?, en tant que tel, de toute r?f?rence dans le monde physique ou dans le monde psychologique, la th?orie saussurienne souffre de ne pas ?tre fid?le ? un principe minimal: si tant est que les mots y r?f?rent, les objets et le ?psychologique non-linguistique? ne peuvent pas, de ce simple fait, ne pas conditionner ces mots, autrement dit les objets et le ?psychologique non

linguistique? ne peuvent pas ne pas entrer dans la d?termination du ?d?coupage? du

signifi?.21 L'existence de cette d?termination extra-linguistique appara?t ?vidente

dans le fait que les signes (les signifi?s) d'une langue soient fondamentalement tra

duisibles dans les signes (les signifi?s) d'une autre langue. L'isolement du signifi?

qu'op?re la th?orie saussurienne tient, selon nous, ? la dimensionalit? de l'univers de

repr?sentation o? elle se meut, c'est-?-dire, plus pr?cis?ment, ? ce qu'il lui manque une repr?sentation multidimensionnelle qui lui permettrait d'int?grer dans le signifi? ? la fois le syst?me de valeurs de la langue tel qu'elle le con?oit et la d?termination

du ?monde?.22 Cette multidimensionalit? permettrait, en outre, de rendre compte, d'un signifi? structur? selon un ordre complexe indissociable d'un signifiant structur?

selon l'ordre simple d'une pure diff?rence. En l'absence d'une telle repr?sentation,

pour d?velopper sa conception de la langue-syst?me, Saussure ne peut que fonder sa

th?orie du signe sur une repr?sentation sym?trique et, du coup, doit en exclure toute

interaction avec le ?monde?.

D?s lors, il n'est pas ?tonnant que la sym?trie du signe soit un point de rencontre

actif"de la question de l'apprentissage et de la th?orie de la langue: si l'on admet qu'il

manque ? cette derni?re d'avoir d?fini la dimension de l'articulation du signe au

?monde?, on doit n?cessairement admettre que l'apprentissage linguistique, en ce

que cette dimension y est concern?e, n'est pas uniquement conditionn? par le fait

20 Les Notes et les cours r?v?lent toutefois ? ce propos des h?sitations, voire des contradic

tions. (J'en donne une analyse dans: ?La s?miologie linguistique de Saussure...?, op. cit.) 21

Si l'on objecte ici que le ?monde? peut conditionner la signification, mais que, justement, le signifi? est ce qui n'est pas conditionn? par le monde, il est alors impossible de donner un quel conque contenu intuitif au mot signifi? (celui que lui donne Saussure, par exemple dans son ensei

gnement pr?sent? au chapitre ?Nature du signe linguistique?). 77

Une carence de cette multidimensionalit? sous-tend notamment la triade ?langue?/ ?substance psychologique? / ?substance du monde?, dont j'ai tent? d'analyser le statut ambigu dans la pens?e de Saussure (?La s?miologie linguistique de Saussure... ?, op. cit.).

? J'ai propos?

par ailleurs une repr?sentation multidimensionnelle du signe linguistique, selon le mod?le math?

matique vectoriel, pour r?soudre le probl?me particulier de dimensionalit? que pose la repr?senta tion de la langue par l'?criture, dans ?L'?criture et la langue dans le Cours de linguistique g?n?rale de F. de Saussure? in: HJ. Niederehe and K. K rner, ed., History and Historiography of Linguis tics (Amsterdam-Philadelphia: John Benjamins, 1990).

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84 Cahiers Ferdinand de Saussure 46 (1992)

social de la langue mais l'est aussi par un versant ?cognitif non-s?miologique? et

que l'?tude de cet aspect-ci peut nous ?clairer sur la structuration de cet aspect-l?. Saussure qui, pour d?velopper sa th?orie s?miologique, veut ignorer les dimensions de F extra-linguistique, doit, en ce que la question de l'apprentissage risque de l'y ramener, ignorer aussi cette derni?re ou, lorsqu'il la rencontre, ne la pr?senter qu'en caution de sa repr?sentation sym?trique du signe, c'est-?-dire s'en servir pour ren

forcer l'argumentation de l'exclusion du ?monde?. D?s lors, il est naturel que cette

articulation de l'apprentissage ? la th?orie du signe, lorsqu'elle a lieu, se produise dans une remarque de la cat?gorie du ?point de vue positif?: le m?canisme de

l'apprentissage est consid?r? ? la fois comme pertinent pour la th?orie linguistique ? c'est la d?finition de ladite cat?gorie

? et comme allant de soi ? c'est une pro

pri?t? de ladite cat?gorie ?, ce qui a pour effet de conforter la th?orie d'un signe sans

r?f?rence plut?t que d'y soulever des questions ind?sirables.

2.2. Apprentissage, syntaxe, logique pr?dicative

Une seconde articulation active entre l'apprentissage et la th?orie de la langue a

lieu, ainsi qu'on l'a not?, dans les remarques ?radicales? du ?point de vue n?gatif?. Simple expression de l'exclusion dans la remarque [8], c'est dans la remarque [10]

? celle qui envisage ?le fait ?ducatif que nous apprenons peut-?tre des phrases avant de savoir des mots? ? que cette articulation offre un mat?riau th?orique sup pl?mentaire pour notre interpr?tation. L'?vocation de l'apprentissage de la phrase renvoie ici ? la question ?pineuse de la place de l'objet ?phrase? dans la th?orie saus surienne et, par l?, au traitement que cette derni?re r?serve aux probl?mes de la syn taxe et de la pr?dication.

A la remarque [10a] ? extraite d'une note manuscrite datant probablement des

ann?es 1897-190023 ? fait ?cho un passage du cours de 1908-1909 ?voquant ?un

point de vue qui a ?t? soutenu?24 selon lequel

[11] (...) le mot est une abstraction. Il n'est qu'une fraction de la phrase. L'unit?

concr?te, c'est la phrase.

M?me si Saussure se contente, dans sa note manuscrite, de ne pas prendre parti quant ? ce ?point de vue? et, dans son cours, de le mettre en doute ? ?Cela conduit loin?, dit-il ?, sa th?orie s?miologique s'oppose fondamentalement ? une telle conception. Le signe saussurien, quand bien m?me celui-ci est-il ?essay?? dans la parole, n'existe fondamentalement en tant que signe qu'au sein d'une langue con?ue comme

Pour la datation des notes manuscrites de Saussure, voir R. Engler, ?European structuralism: Saussure?, Curent trends in linguistics, vol. 13/2, 1975.

24 II est notamment d?fendu en 1884 par Frege dans Die Grundgesetze der Arithmetik. On le retrouvera, en 1921, dans le Tractatus logico-philosophicus de Wittgenstein.

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Simon Bouquet: Le CLG et l'apprentissage linguistique 85

un ?tr?sor? lexical: la phrase, appartenant au domaine individuel de la parole est exclue de celui, social, de la langue.25 La suite imm?diate de la remarque [10a]

d?veloppe d'ailleurs cette exclusion:

[10b] (...) de m?me que le son d'un mot, qui est une chose entr?e ?galement dans notre for int?rieur (par le discursif), devient une impression compl?tement

ind?pendante du discursif, de m?me notre esprit d?gage tout le temps du dis

cursif ce qu'il faut pour ne laisser que le mot. La mani?re dont le mot s'est fix? est sans importance, une fois l'op?ration faite, pourvu qu'on constate que c'est

bien cette unit? qui r?gne.

Au fait que Saussure consid?re ainsi la phrase dans l'optique de ses unit?s lexicales se relie directement la position probl?matique qui est la sienne vis-?-vis de la syn taxe,26 la place de cette derni?re dans les cours de linguistique g?n?rale et dans les

Notes ?tant, elle aussi, marqu?e du sceau de l'exclusion.27 Cette exclusion de la syn taxe trouve son fondement dans la conception d'une ?facult? de coordination des

signes?28 corollaire de, ou plut?t annex?e ?, la facult? de ?donner des signes ? des id?es? ? ladite facult? de coordination ?tant assimil?e ? celle de composer des

signes complexes par juxtaposition de signes simples (comme dans le langage des

drapeaux maritimes), plut?t qu'? une facult? ressemblant ? celle d'un ?organe? g?n?rant une grammaire gouvern?e par des r?gles.30 En un mot, la question d'une

95 Cette exclusion est tr?s claire dans les sources manuscrites du passage ?apocryphe? de

Bally et Sechehaye sur l'apprentissage, que nous avons cit? et exclu de notre corpus (cf. note 9): ?Il faut la parole de milliers d'individus pour que s'?tablisse l'accord d'o? la langue sortira. La

langue n'est sans doute pas le ph?nom?ne initial ? mais peu importe le ph?nom?ne initial. Est-ce qu'on a commenc? ? prof?rer des sons ou associer des sons ? des id?es? La question n'a pas d'int?r?t. C'est l' uvre de l'intelligence collective d'?laborer et de fixer ce produit

? la langue. Tout ce qui est langue est implicitement collectif.? ( 1.57.345-350.AM2,3,5).

26 Voir aussi 1.240.1740 et 1.283.2010. 27

La quasi-absence de la syntaxe dans la th?orie saussurienne a ?t? attribu?e, certainement ?

juste titre, au fait que les comparatistes n'?taient gu?re syntacticiens et que Saussure demeure com

paratiste dans son renouvellement m?me du paradigme comparatiste ? il n'est que de constater

comment sa notion de synchronie se construit ? partir de sa comp?tence en linguistique diachro

nique ?, mais cette absence a une origine plus radicale, probablement, dans la th?orie qu'il d?ve

loppe: c'est cette exclusion qui lui permet, tout comme celle des ?objets? et du ?psychologique?, de concevoir la langue comme un syst?me de signes.

28 1.39.214.

29 Cf. 1.39.3318.1-8.

30 L'utilisation restrictive que fait Saussure du mot grammaire, dans le sens de ?repr?senta

tion du syst?me synchronique des signes de la langue?, renforce d'ailleurs subrepticement l'exclu

sion de la dimension syntaxique de la langue au profit de sa dimension lexicale ? Sur ce point, voir S. Bouquet: ?De Saussure ? Chomsky, ou quand la syntaxe laisse ? d?sirer? (publication

pr?vue dans les Actes du colloque ?Saussure aujourd'hui?, ao?t 1992, Cerisy-la-Salle.)

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86 Cahiers Ferdinand de Saussure 46 (1992)

sp?cificit? linguistique du ?savoir-faire? syntaxique n'est pas abord?e/ Le lin

guiste genevois semble par ailleurs parfaitement conscient du caract?re probl?mati que que rev?t la syntaxe dans sa th?orie, puisqu'il livre, au beau milieu de son troi si?me cours, cet aveu ? dont Bally et Sechehaye n'ont pas rendu compte dans leur

?dition:

[12] Ce n'est que dans la syntaxe que se pr?sentera un certain flottement entre ce qui est donn? dans la langue et ce qui est laiss? ? l'initiative individuelle. (...)

Nous avouons que c'est sur cette fronti?re seulement qu'on pourra trouver ?

redire ? une s?paration entre langue et parole, (soulign? par nous)

Sans entrer ici dans le d?tail du probl?me syntaxique,32 notons qu'il y va bien d'une

facult? de syntaxe sp?cifiquement linguistique ? comme celle que Chomsky s'est

attach? ? repr?senter ? d'?tre exclue de la conception saussurienne de la langue et,

cette facult? r?sistant ? se laisser rel?guer dans la parole, de ne remettre en question rien moins que les cat?gories de langue et de parole. Cet enjeu de l'exclusion de la

syntaxe est d'autant plus crucial que s'y articule une autre exclusion de la th?orie

saussurienne de la langue, celle de sa dimension logique. En effet, si Saussure

esquisse un lien entre le fait logique et le fait linguistique ? ceci dans des notes

manuscrites o? il affirme que ?dans la proposition tout se r?duit au sujet et au

pr?dicat? et o? il pose l'ellipse comme ?signe z?ro? d'une structure ? la fois linguis

tique et logique ?,33 force est de reconna?tre que sa th?orie de la langue ne prend rien en consid?ration du fait logique. L'absence de la logique

? minimalement de

la logique pr?dicative ? se laisse ? son tour relier ? l'absence de la r?f?rence pour

cette raison que la logique pr?dicative se noue ? la r?f?rence: de m?me que le signe

linguistique, en usage, n'existe pas sans r?f?rer au ?monde?, de m?me, il n'existe

pas sans y r?f?rer dans la situation logique, minimalement pr?dicative, d'une phrase, autrement dit, dans une situation o? la phrase peut ?tre consid?r?e, pour la r?f?rence, comme une ?unit? concr?te?. Dans la perspective du signe linguistique, la th?orie de la phrase ? laquelle le cours de 1908-1909 fait allusion ? ce ?point de vue qui a

?t? soutenu? ? imposerait de consid?rer que la situation logique, minimalement

pr?dicative, dans laquelle entre n?cessairement tout signe en usage, impartit une

d?termination au ?d?coupage? du signifi?, au m?me titre que le ?monde? auquel

31 On touche l? une question plus g?n?rale : la sp?cificit? de la notion de s?miologie vis-?-vis de la langue.

On pourra notamment consulter ? ce sujet: Peter Wunderli, ?Zur Stellung der Syntax bei

Saussure?, ZRPh, 88, 1972, p. 483-506; Fran?oise Gadet, Saussure, une science de la langue (Paris: Presses Universitaires de France, 1987), ch. 5 et 6; ainsi que S. Bouquet: ?De Saussure ?

Chomsky. ..?,op. cit. 33

2.35.3306, 2.35.3307 et 2.35.3308.

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Simon Bouquet: Le CLG et l'apprentissage linguistique 87

r?f?re ledit signe.

L? encore, on ne s'?tonnera pas que la question de l'apprentissage vienne croiser ces probl?mes de syntaxe et de logique. Pour ce qui est de la syntaxe, on a vu que sa

sp?cificit? n'est pas abord?e. Du coup, la ?facult? de coordination? (s?miologique) qui la supporte est consid?r?e comme inn?e ? ?tenant ? l'organisation du cerveau?

? et tout ce qui n'est pas cette ?facult?? ? c'est-?-dire, de fa?on indistingu?e, aussi bien ce qui varie selon les langues que les sch?mas g?n?raux d'actualisation, sp?cifi quement linguistiques, qui, dans une hypoth?se contemporaine, sous-tendent cette vari?t? ? est renvoy? ? la parole et se voit pr?ter une origine conventionnelle.35 Face ? l'apprentissage de la syntaxe qui ne pr?sente, dans la th?orie saussurienne, aucun caract?re sp?cifique par rapport ? l'apprentissage des signes, la complexit? du fait

syntaxique, qui se laisse repr?senter dans un syst?me de r?gles, est l? pour exiger une

prise en consid?ration sp?cifique. Il est donc n?cessaire ? une th?orie qui exclut la

syntaxe d'exclure en m?me temps la question de son apprentissage ?

c'est-?-dire, maximalement, la question de l'apprentissage linguistique

? dans la mesure o?, l?

encore, cette question ne peut que soulever des probl?mes que cette th?orie refuse de consid?rer. ? A notre sens, c'est un dilemme sous-tendu par cette exclusion, se fon dant sur le fait que la facult? sp?cifiquement linguistique de syntaxe est absente de la r?flexion saussurienne, qu'exprime la remarque [12].

? Quant ? la dimension lo

gique, minimalement pr?dicative, du langage, celle-ci doit, de m?me* ?tre exclue

conjointement ? l'apprentissage qu'elle suppose. En effet, si l'on accepte que les

signes sont d?termin?s par le ?monde?, on ne peut plus dire du ?fait ?ducatif que nous apprenons peut-?tre des phrases avant de savoir des mots? qu'il ?n'a pas de

port?e r?elle?. Au contraire, on doit reconna?tre que ce fait refl?te pr?cis?ment une

situation qui entre dans la d?termination du signifi?. Et la valeur d?terminante de cet te situation ? la situation logique, minimalement pr?dicative, dans laquelle les

signes se pr?sentent ? conditionne l'apprentissage comme elle conditionne la nature

m?me des signes: leur destination ?tant de ne fonctionner que dans (et de n'exister

34 La situation pr?dicative a d'ailleurs un effet linguistiquement rep?rable sur le processus de r?f?rence: il a ?t? ?tudi?, dans une optique strictement linguistique, comment la r?f?rence d'un

signe varie selon qu'il se trouve en position th?matique ou en position pr?dicative (S. de Vogii?, ?R?f?rence et pr?dication? in: Milner, J.-C. ?d., Recherches nouvelles sur le langage (Paris: Uni

versit? de Paris 7, 1988 [Collection ERA 642]). Voir aussi les notions de r?f?rence actuelle et

r?f?rence virtuelle dans J.-C. Milner, Ordres et raisons de langue (Paris: Editions du Seuil, 1982), p. 9-30. ? Cette d?termination du logique dans la r?f?rence ne se limite pas aux positions de sujet et de pr?dicat: elle peut aussi, en complexifiant le raisonnement, int?grer des structures comme

celles dont Chomsky rend compte par sa notion de forme logique. 35 La notion de facult? s?miologique, telle qu'elle est construite par Saussure, exclut ainsi la

possibilit? d'un d?bat sur l'inn? et l'acquis dans la facult? de syntaxe linguistique, comme elle exclut toute question qui risquerait de taire d?pendre la langue d'un param?tre ext?neur au fait

social.

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88 Cahiers Ferdinand de Saussure 46 (1992)

que pour) un contexte syntactico-pr?dicatif, on n'apprend ceux-ci que dans un tel contexte. Si, lorsque l'apprentissage est pris en consid?ration dans la perspective de la phrase

? dans la remarque [10] ?, c'est pr?cis?ment ? l'occasion de l'affirmation de la nullit? de toute th?orie de la phrase dans l'optique de la th?orie de la langue, il est permis de voir l? la trace d'une des raisons fondatrices de l'absence de l'appren tissage dans la pens?e saussurienne: cette absence fait ?cho ? l'exclusion de la dimension logique de la langue.36

3. D'une th?orie de l'apprentissage linguistique ? une philosophie du langage

Ainsi envisag?e, l'absence de l'apprentissage dans les cours et les notes person nelles de Saussure n'appara?t pas comme provenant seulement de causes conjonctu relles, mais bien comme fond?e sur une n?cessit? interne. La question de

l'apprentissage se relie, dans la th?orie de la langue, ? un ?paradigme de conflits? ?

constitu? de positions antinomiques sur des objets exclus ?: un paradigme o? l'on retrouve, notamment, les questions de la r?f?rence, de la syntaxe et de la logique, de la multidimensionalit?, mais aussi celles de l'?criture, de la parole ... et de la philo sophie.37 En ce qui concerne cette derni?re, on sait que Saussure, tout en rejetant les

conceptions ?philosophiques? sur le langage, n'?tait pas sans voir dans son ensei

gnement de linguistique g?n?rale la perspective d'un ?cours philosophique de

linguistique? et ne se refusait pas ? consid?rer sa pens?e comme un ?syst?me de phi losophie du langage?

? qu'il pr?sentait comme ?insuffisamment ?labor?e?.38

La th?orie de Saussure est bien philosophique en ce que concevoir la langue com me un objet distinguable

? distinguable parce que, en droit, math?matisable39 ?,

si cela s'entend clairement comme le r?quisit d'un renouvellement scientifique de la

linguistique, cela a aussi pour effet de redistribuer aussi les cartes des sciences humaines ? notamment de la psychologie40

? et, cons?quemment, celles de ce que

la philosophie appelle classiquement th?orie de la connaissance. A cette aune aussi, il y a chez le linguiste genevois une authentique pens?e de fondement,

? bien plus explicitement philosophique qu'elle n'appara?t ? la lecture du Cours de 1916 ?: //

faut avant toute chose, affirme Saussure, concevoir clairement Vobjet langue, dont ?aucun psychologue moderne ou ancien (...) ria eu un seul instant une id?e quel

36 II est int?ressant de rapprocher de l'absence de la question de l'apprentissage dans la th?orie saussurienne de la langue l'utilisation cruciale de l'apprentissage dans l'argumentation de la th?o rie de la signification chez Wittgenstein (cf. notamment Investigations philosophiques in: Tractatus logico-philosophicus suivi de Investigations philosophiques (Paris: Gallimard, 1961), p. 117 sq.).

J'envisage des aspects de ce ?paradigme de conflits? dans mes articles cit?s aux notes 20, 22 et 30, ainsi que dans: ?Le Cours de linguistique g?n?rale et la philosophie?, Extension et limi tes des th?ories du langage (1880-1980), Histoire Epist?mologie Langage 1 l/II, 1989.

Entretien Gautier du 6 mai 1911, cit? par R. Godei, op. cit., p. 30.

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Simon Bouquet: Le CLG et l'apprentissage linguistique 89

conque (des) lois?. Et il ajoute lu'aucun philosophe, aucun linguiste non plus d'ailleurs ?

pas m?me Whitney, admir? plus qu'aucun autre ? n'a produit sur la

langue et le langage ?un essai syst?matique quelconque?, ?une r?elle pens?e (munie d') un r?el pouvoir philosophique?.42 Cette conception claire et syst?matique de la

langue que r?clame et qu'?labore Saussure, pour autant qu'elle concerne l'apprentis sage du ?fait social?,43 pose la question de la base inn?e sur laquelle cet appren tissage s'effectue. En cela que la facult? du langage est aussi facult? de r?f?rer et

facult? de logique pr?dicative ? en cela que sa base inn?e est organisation pr?te ?

r?f?rer et ? pr?diquer ?, une claire notion de la langue est n?cessaire pour concevoir ces facult?s-l?, et c'est l? que la probl?matique scientifique du Cours se noue ? une

probl?matique philosophique: dans cette optique, il est n?cessaire de consid?rer en tant que tels le processus de r?f?rence, la syntaxe et la pr?dication

? ? la fois dans leur sp?cificit? linguistique et en dehors d'une langue particuli?re (c'est bien l? ce

que permet la notion saussurienne de la langue comme g?n?ralisation) ?, et en de?? de cette g?n?ralisation du ?fait social? des langues particuli?res, au niveau du lan

gage. Ici, o? se creuse une pens?e philosophique inachev?e, c'est bien d'une th?orie de la connaissance qu'il y va: du lien entre ce que Saussure appelle la forme de la

langue et ce qu'il ?voque, ? plusieurs reprises, comme ?tant sa substance.44 Mais ce

an Si la linguistique g?n?rale appara?t ? Saussure ?comme un syst?me de g?om?trie? (Entre

tien Gautier du 6 mai 1911 cit? n. 38) o? ?les quantit?s du langage et leurs rapports seront r?guli? rement exprimables par des formules math?matiques? (2.22.3297[642]), la math?matisation de la dimension syntactico-logique du langage est effectivement peu ?labor?e ? mais Saussure en a

ouvert la voie en avouant que la question de la syntaxe remet en question les cat?gories de langue et de parole : cette remise en question sera pr?cis?ment celle du couple conceptuel chomskien com

p?tence/performance ?; la math?matisation de sa dimension r?f?rentielle, ou s?mantique, reste, elle aussi, non ?labor?e ? et il aura fallu, paradoxalement, cet inach?vement o? s'op?re la mise ?

l'?cart de la ?substance psychologique? et de la ?substance du monde? pour que se con?oive ce

qui, en th?orie, fonde la possibilit? de sa math?matisation: la notion de syst?me de valeurs (voir S. Bouquet,?La s?miologie linguistique de Saussure...?, op. cit.).

40 Sur ce point, cf. S. Bouquet, ?Le Cours de linguistique g?n?rale et la philosophie?, op. cit. 41

2.47.3342.1. 42

2.24.3297, 2.43.3330. 43 Ce qui est math?matisable pour Saussure (la langue) c'est le social. Ce qui est le support de

cette math?matisation est une facult? individuelle inn?e: ?Dans l'individu on n'a que l'organisa tion pr?te ? parler? (1.31.155.AM2,3).

44 Une langue est math?matisable parce que la langue est une g?n?ralisation. Ce qui est g?n?

ralisation dans la langue, c'est la fonction, la fonction de toute langue. Cette fonction, c'est, pour une part, de s'articuler au ?monde?, dans la r?f?rence, et au logique, dans la pr?dication. La langue est forme parce gw'elle s'articule ?, parce qu'elle se fonde sur, de tels universaux de substance. ?

Dans la linguistique de Chomsky, par exemple, l'universel de substance fondateur de la g?n?rali sation (l'organe mental syntaxique) est philosophiquement plus modeste, et (partant?) empirique

ment plus productif. ? Sur la question de la substance chez Saussure, voir S. Bouquet, ?La

s?miologie linguistique de Saussure...?, op. cit.

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90 Cahiers Ferdinand de Saussure 46 (1992)

lien, dans ses le?ons et dans ses notes, Saussure ne l'?labore qu'en pointill?, ? travers des h?sitations, des doutes, voire des contradictions, dont Bally et Sechehaye ne

rendront, en r?gle g?n?rale, pas compte. Quelles que soient les fluctuations et l'ina ch?vement des positions sur ces sujets, ces fluctuations et cet inach?vement font

partie int?grante du processus d'?dification de la pens?e saussurienne: ils forment le contexte conceptuel dans lequel s'?labore sa th?orie de la langue. L'importance de cette th?orie pour la linguistique est un fait reconnu. Qu'il y ait l?, aussi, une pens?e philosophique capitale, cela appara?t peut-?tre avec moins d'?vidence, notamment ? la lecture du texte de 1916, mais c'est probablement dans ce domaine ? pour ter

miner sur un pari ?

que son influence potentielle demeure la plus riche et la plus radicale.

Adresse de Fauteur:

Simon Bouquet

54, rue du Faubourg-Saint-Honor? F 75008 Paris

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