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Urgences 1996;XV:5-7 0 Elsevier. Paris Oxyologie Le cotit de I’urgencel P Huguenard 47, rue de Falkirk, 94000 Crkfeil, France Le tout de la prise en charge des urgences est variable suivant : - les lieux et les populations impliquees ; - les epoques ; - I’organisation mise en place ; - les moyens requis ; - les resultats obtenus. Nous devons refuser l’idee des konomistes cyniques, que I’urgence mal traitee, a fortiori non traitee, et surtout si elle est suivie d’un deck rapide, s’avererait la moins coirteuse. Nous voulons au contraire ne retenir que la doctrine en vigueur dans les nations evoluees, doctrine selon laquelle : - toute demande d’assistance medicale exige une roponse ; - la reponse doit etre adapt&e a la gravite du cas ; - aucune urgence leg&e ne doit 6tre negligee ; - les urgences graves doivent beneficier des the- rapeutiques reconnues comme les plus efficaces ; - les suites des traitements doivent etre contro- lees aussi longtemps que necessaire, meme en cas de soquelles lourdes. Le tout dans des conditions optimales : le meil- leur resultat au meilleur cotit. Dans ces conditions le calcul du coat total de I’urgence est t&s complique. On peut prendre pour exemple extreme le cas dune mere de famille victime d’un accident de la route ayant provoque une fracture de la colonne vertebrale avec paraplegic. II faudra additionner les prix de la transmission de I’alerte ti des spe- cialistes de garde, de I’intervention des sapeurs- pompiers pour la d&incarceration, du relevage et des premiers soins par une equipe de secours medicalisos, du transport (surtout s’il est helipor- te), de la poursuite des soins au service d’ur- gence, puis en unite de soins intensifs, ensuite en service de moyen sejour, suivi du sejour en roedu- cation, et des soins g domicile avec aide mena- g&e, enfin de I’education des enfants que la So- ‘En 1992-l 993. ciete doit prendre en charge d’une facon ou de I’autre. Le probleme est aussi grave s’il s’agit d’un jeune cadre ayant recu une formation universitaire, dont I’exclusion comme actif, ajoute au coirt des soins la pette de I’investissement fait par la Societe pour sa formation. Le cas des insuffisances r&ales post-traumati- ques est ogalement dramatique : il y a 25 ans certains grands polytraumatises, faute de reani- mation adequate, mouraient rapidement d’insuffi- sance r&ale aiguk De nos jours leurs chances de survie sont meil- leures, mais patfois au prix d’hemodialyses repe- tees, eventuellement pendant plusieurs annees, par consequent d’un coirt t&s Blew? (environ 250 000 FF), la greffe r&ale ayant par ailleurs egalement son prix, non nogligeable (environ 120 000 FF). COOT SELON LES LIEUX ET LES POPULATIONS Le cotit d’un systeme d’urgence pour les finances publiques est different suivant qu’il fonctionne en zone urbanisee ou a la campagne. On admet qu’en ville les services specialises en urgence recoivent chaque annee six demandes d’assistance pour 100 habitants, contre quatre seulement en zone rurale. En zone industrielle ou p&s des chantiers avec les accidents du travail et les asthmes par pollu- tion, le long des axes routiers avec les accidents de la route, au bord des plages avec les noyades, les urgences sont plus froquentes et plus graves done plus cheres. COUT SELON LES ~POQUES L’hiver est generateur d’accidents de la route et d’accidents de montagne, mais aussi d’intoxica- tions a I’oxyde de carbone avec les chauffages d’appoint defectueux, ou au tours d’incendies, et

Le coût de l'urgence

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Urgences 1996;XV:5-7 0 Elsevier. Paris

Oxyologie

Le cotit de I’urgencel

P Huguenard

47, rue de Falkirk, 94000 Crkfeil, France

Le tout de la prise en charge des urgences est variable suivant : - les lieux et les populations impliquees ; - les epoques ; - I’organisation mise en place ; - les moyens requis ; - les resultats obtenus.

Nous devons refuser l’idee des konomistes cyniques, que I’urgence mal traitee, a fortiori non traitee, et surtout si elle est suivie d’un deck rapide, s’avererait la moins coirteuse.

Nous voulons au contraire ne retenir que la doctrine en vigueur dans les nations evoluees, doctrine selon laquelle : - toute demande d’assistance medicale exige une roponse ; - la reponse doit etre adapt&e a la gravite du cas ; - aucune urgence leg&e ne doit 6tre negligee ; - les urgences graves doivent beneficier des the- rapeutiques reconnues comme les plus efficaces ; - les suites des traitements doivent etre contro- lees aussi longtemps que necessaire, meme en cas de soquelles lourdes.

Le tout dans des conditions optimales : le meil- leur resultat au meilleur cotit. Dans ces conditions le calcul du coat total de I’urgence est t&s complique.

On peut prendre pour exemple extreme le cas dune mere de famille victime d’un accident de la route ayant provoque une fracture de la colonne vertebrale avec paraplegic. II faudra additionner les prix de la transmission de I’alerte ti des spe- cialistes de garde, de I’intervention des sapeurs- pompiers pour la d&incarceration, du relevage et des premiers soins par une equipe de secours medicalisos, du transport (surtout s’il est helipor- te), de la poursuite des soins au service d’ur- gence, puis en unite de soins intensifs, ensuite en service de moyen sejour, suivi du sejour en roedu- cation, et des soins g domicile avec aide mena- g&e, enfin de I’education des enfants que la So-

‘En 1992-l 993.

ciete doit prendre en charge d’une facon ou de I’autre.

Le probleme est aussi grave s’il s’agit d’un jeune cadre ayant recu une formation universitaire, dont I’exclusion comme actif, ajoute au coirt des soins la pette de I’investissement fait par la Societe pour sa formation.

Le cas des insuffisances r&ales post-traumati- ques est ogalement dramatique : il y a 25 ans certains grands polytraumatises, faute de reani- mation adequate, mouraient rapidement d’insuffi- sance r&ale aiguk

De nos jours leurs chances de survie sont meil- leures, mais patfois au prix d’hemodialyses repe- tees, eventuellement pendant plusieurs annees, par consequent d’un coirt t&s Blew? (environ 250 000 FF), la greffe r&ale ayant par ailleurs egalement son prix, non nogligeable (environ 120 000 FF).

COOT SELON LES LIEUX ET LES POPULATIONS

Le cotit d’un systeme d’urgence pour les finances publiques est different suivant qu’il fonctionne en zone urbanisee ou a la campagne.

On admet qu’en ville les services specialises en urgence recoivent chaque annee six demandes d’assistance pour 100 habitants, contre quatre seulement en zone rurale.

En zone industrielle ou p&s des chantiers avec les accidents du travail et les asthmes par pollu- tion, le long des axes routiers avec les accidents de la route, au bord des plages avec les noyades, les urgences sont plus froquentes et plus graves done plus cheres.

COUT SELON LES ~POQUES

L’hiver est generateur d’accidents de la route et d’accidents de montagne, mais aussi d’intoxica- tions a I’oxyde de carbone avec les chauffages d’appoint defectueux, ou au tours d’incendies, et

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egalement d’infarctus au froid, d’hypothermies chez les mal-loges. L’ete voit se multiplier les accidents de sport et les chocs anaphylactiques (insectes). Ponctuellement les week-ends et jours f&i& sont endeuilles par les accidents de la route, les rixes du samedi soir et les suicides du di- manche.

COOT SELON L’ORGANISATION MISE EN PLACE

Un seul systeme qui prendrait en charge toutes les urgences serait d’un coirt exorbitant ; il consommerait du personnel et des equipements pour des urgences leg&es ; il encombrait les ser- vices d’urgences de cas douteux, dont le controle entrainerait une depense excessive pour des exa- mens nombreux. Dune facon g&-r&ale il mettrait en ceuvre des moyens hors de proportion dans la plupart des cas de gravite leg&e, au detriment des cas graves prives de ces moyens. Non seulement le prix a payer serait eleve, mais encore il profite- rait a ceux qui en auraient le moins besoin.

Une organisation unique existait en France a- vant 1965. Elle est encore parfois en usage loca- lement. Une commission chargee de la restructu- ration des urgences a travaille depuis le debut de I’annee 1992. Elle avait pour objectif justement d’etendre a tout le territoire un systeme multiforme s’adaptant a tous les cas : postes de secours avarices (antennes d’accueil et d’orientation, Ana- car) dans les hbpitaux de proximite disperses sur le territoire, pour les urgences relatives, grands centres (services d’accueil des urgences, SAU) bien equip& beaucoup moins nombreux pour les urgences absolues, le tout couvert par le reseau de transports medicalises.

Une partie du systeme fonctionne deja avec les SAMU (service d’aide medicale urgente) qui re- partissent les urgences entre les centres hospita- liers regionaux et hopitaux locaux, en utilisant les SMUR (services mobiles d’urgence et de reani- mation) sous leur dependance (90 SAMU utilisent 325 SMUR).

Le probleme est de savoir si le budget consacre aux urgences n’augmente pas exagerement lors- que I’organisation, en s’adaptant aux differents types d’urgence, devient plus selective et plus petformante.

II est vrai que I’investissement dans une nou- velle structure est important : la creation ou I’ame- nagement de postes de secours avarices n’est pas ce qu’il y a de plus difficile. Les locaux sont simples (on a meme pu utiliser des tentes gonfla- bles). Leur equipement est bien reper-torie et peut etre aisement standardise, ce qui en diminue le prix.

Mais les grands centres d’urgence r&lament un materiel sophistique, notamment dans les do-

maines de I’imagerie medicale et des examens biologiques.

Les moyens de transport terrestres existent sous la forme d’ambulances de reanimation, dont le modele est bien determine, le prix connu, et dont il faudrait seulement augmenter le nombre.

Cet investissement peut etre amot-ti sur 7 a 10 ans au moins.

Le recours a des transports aeriens (helico- pteres) augmente le montant de I’investissement, mais moins que I’on ne le croit habituellement.

Les frais sont constitues pour 74 % par les salaires des personnels : medecins, infirmiers, conducteurs, telephonistes... Ces personnels doi- vent etre specialises done bien payes. Mais sur- tout ils doivent etre disponibles afin de repondre saris retard a toute demande d’urgence. Par consequent ils doivent etre nombreux et rester inoccupes pendant une part de leur temps de service. Or rien n’est aussi cher que de payer des gens a ne rien faire.

Mais c’est indispensable. Les produits consommables (medicaments,

oxygene, carburant...) representent I’autre par-tie des frais, avec I’entretien des appareils et des vehicules. Cet-tains frais (comme les salaires, les assurances, les investissements...) sont des frais fixes, qui restent identiques quelle que soit I’acti- vite du systeme. II faut done veiller a ce que I’organisation soit telle que I’activite de ses diffe- rents elements soit assez importante pour justifier les frais fixes qui se repartissent ainsi sur un maximum de missions.

COOT SELON LES MOYENS MIS EN CEUVRE

Les moyens mis en ceuvre entrent evidemment dans le calcul des coirts : ils doivent etre suffisants pour etre efficaces, saris etre superflus.

Certains choix demandent une etude preala- ble : par exemple la fourniture d’oxygene peut etre realisee par au moins quatre procedes de carac- teristiques differentes : - gazeux sous pression en recipients d’acier (lourds, volumineux, encombrants mais peu coirteux) ; - liquide, beaucoup moins volumineux, peu COG- teux mais avec des penes non negligeables par fuite continue ; - chimique, d’un rendement eleve, mais deman- dant un investissement lourd pour I’appareillage ; - extrait de I’air, par des tamis moleculaires, d’un rendement mediocre en debit et en concentration, mais peu couteux.

Le choix des moyens de transport intervient de facon nette dans le calcul des touts : concernant les ambulances, un vehicule cher, mais solide, bien construit dans tous les details de mecanique et de carrosserie, amorti par exemple sur 7 ans au lieu de 4 ans comme le cas habituel, s’inscrira

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dans un budget annuel pour une somme moins les SMUR de France ont ete en 1991 legerement elevee qu’un vehicule moins cher a I’achat. superieures a un milliard de francs.

La diversite du part de vehicules d’urgence peut etre un facteur d’economie. Les ambulances de reanimation seront r&en&es aux urgences absolues. des voitures leg&es suffisent pour les urgences relatives mais set-vent aussi au transport rapide des Bquipes sur les lieux.

RESULTATS OBTENUS

Le recours a I’helicoptere devrait entrainer un cout supplomentaire, puisque les ambulances doivent continuer a remplir la majorito des mis- sions. Mais celles de I’helicoptore ne sont pas vraiment plus cheres que celle de I’ambulance.

Les resultats obtenus viennent temperer I’aspect inquietant du montant de ces depenses : les 325 SMUR ont traite 652 000 urgences en 1 an, alors que les SAMU ont recu 4 millions d’appels, dont 1 682 000 etaient justifies. Ceux qui n’ont pas ete trait& par les SMUR ont beneficie de I’interven- tion d’un modecin goneraliste alerte par le SAMU ou plus simplement d’un conseil telephonique.

Toutefois, la aussi, les frais fixes sont conside- rables et les helicopteres doivent etre utilises au maximum de leur potentiel. C’est a dire qu’ils ne doivent pas etre trop nombreux.

Dans ces conditions, a raison de 500 heures de vol par an, en France un monomoteur Ecureuil revient a 5 000 FF I’heure de vol (dont 3 000 FF de frais fixes). II peut effectuer en 1 heure deux missions. Le cotit de la mission heliportoe est alors equivalent (2 500 FF) au montant du tarif de remboursement conventionnel forfaitaire par la Caisse d’assurances maladie d’une mission en ambulances (2 400 FF).

Pour I’annee 1991, nous possedons des ele- ments du budget des urgences, mais nous ne pouvons pas calculer un coQt reellement total, car nous echappent les frais des sapeurs-pompiers, des secouristes de differentes natures (Croix- Rouge, associations de Protection civile), de la police quand elle participe aux secours, et w-tout des modecins generalistes qui assurent la plupart des premieres interventions notamment pour les urgences relatives.

Ce qui est stir c’est que la grande majorite des cas pris en charge par les SMUR sont des ur- gences absolues. On peut estimer que le sauve- tage de chacune d’elles a coirte environ 45 000 FF en comptant seulement les prestations SMUR. Si I’on considere que beaucoup doivent la vie aux premiers secours, le prix a payer doit etre considere comme mod&e, compare a la valeur d’une vie humaine. Michel Le Net [l] a calcule ce que vaut la vie d’un Francais moyen : il a notam- ment une formule pour estimer cc la perte de pro- duction future j) entrainee par la mart, compte tenu d’un grand nombre d’elements, et surtout de l’age de la victime. Une << fiction statistique p> Iui permet alors d’estimer a 600 000 FF le c< cout moyen total pondere )) d’un d&es, dont 575 000 FF pour la cc per-te de production future )j. Deduction faite des 45 000 FF qu’auraient coirte des premiers soins salvateurs, le benefice pour la collectivite aurait bte au moins de 500 000 FF.

CONCLUSION

Beaucoup s’organisent, car c’est necessaire, afin d’assurer une garde medicale permanente sur le territoire de chaque commune. pour centra- liser les demandes d’assistance et repartir les reponses medicales, les generalistes cooperent au centre de reception et de regulation des appels (CRRA) oti ils s’occupent des urgences relatives aux cot& des specialistes de I’urgence absolue. Leurs heures de permanence au CRRA sont re- munerees par la Securite sociale a un tarif horaire equivalent aux honoraires de trois consultations (soit 300 F/h).

Le budget moyen annuel d’un G( SAMU- CRRA >>, (calcule a pat-tir de 74 SAMU-CRRA en fonction), s’eleve a 2,7 millions de francs. Les depenses annuelles de chacun des 325 SMUR se situent, en moyenne entre 2 et 3 millions de francs. Les depenses totales de tous les SAMU et de tous

Meme en faisant abstraction de toute notion de morale, d’ethique, de solidarite, et en considerant seulement I’aspect economique du probleme, il apparait que, nonobstant un prix &eve, I’organi- sation des soins d’urgence est beneficiaire pour la collectivite nationale. Par consequent des efforts doivent Qtre poursuivis dans la recherche d’un systeme performant, polyvalent et adapte a tous les types d’urgences, dont le cout doit rester dans des limites acceptables (c’est-a-dire inferieur au benefice espere) grace a une gestion rigoureuse des moyens et a une bonne information de la population (notamment pour I’usage du numoro d’appel unique << 15 ,,).

RiFblENCE

1 Le Net Michel. Le prix de /a vie humaine. Nofes et Etudes documentaires, Edition modifibe et compl&e no4 455. Paris : La Documentation Frayaise