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Le développement technologique au Japon Monographie rédigée par les soins de la Commission nationale japonaise pour l'Unesco, Unesco Paris 1971

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Le développementtechnologique

au Japon

Monographie rédigée par les soinsde la Commission nationale japonaise pour l'Unesco,

Unesco Paris 1971

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Monographies sur le développement technologique i

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Publié en 1971 par l'Organisationdes Nations Unies pour l'éducation,la science et la culture,place de Fontenoy, 75 Paris-7e

Imprimerie S.A. G E D I T , Tournai

© Unesco 1971SC.70/XXV.1/F

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Préface

A sa quatorzième session (1966), la Conférence générale del'Unesco a autorisé le Directeur général à continuer à venir enaide aux États membres en vue de créer des conditions généralesfavorables au progrès technique et notamment à diffuser desinformations sur les principes et les exigences du développementtechnologique. Pour donner suite à cette résolution, il a étédécidé de procéder à des études monographiques dans despays dont le développement technologique est relativementrécent, afin de déterminer les principaux facteurs qui y ontcontribué.

La présente étude du développement technologique duJapon est la première de ces monographies. La transformationdu Japon, dont l'économie a pendant des siècles reposé presqueentièrement sur l'agriculture et qui est aujourd'hui, du point devue technologique, un des pays les plus avancés du monde, n'ademandé qu'un siècle, marqué par quelques périodes de progrèsspectaculaires. Pour atteindre ce niveau économique et technolo-gique élevé, le Japon a dû surmonter de nombreuses difficultésqu'on retrouve dans d'autres pays en voie de développement —forte densité de population, ressources naturelles limitées, tradi-tions fortement enracinées, possibilités insuffisantes d'éducationet isolement du reste du monde. La façon dont le Japon est venuà bout de ces obstacles peut être riche d'enseignements pourd'autres pays.

L'élaboration de cette étude a été confiée à la Commissionnationale japonaise pour l'Unesco. Cette commission a constituéun groupe de travail composé des spécialistes et fonctionnaires

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japonais dont on trouvera la liste en annexe et qui ont rédigéun premier rapport.

Un consultant de l'Unesco s'est ensuite rendu au Japon pourterminer cette étude en collaboration avec un membre japonaisdu groupe de travail. La présente étude est l'aboutissement dutravail ainsi accompli en deux étapes.

Elle ne se limite pas à la technologie au sens étroit du terme.Après un chapitre préliminaire esquissant le cadre historiquedans lequel s'est poursuivi, depuis la restauration Meiji de 1868,le développement industriel du Japon, elle traite successivementdes progrès de la technologie industrielle, des différents aspectsde la politique nationale qui ont eu des incidences sur le dévelop-pement, de l'influence des conditions économiques, de la forma-tion et de la répartition de la main-d'œuvre, des problèmes degestion et de direction. Elle se termine par une analyse sommairedu caractère japonais.

Les notes et références bibliographiques permettront aulecteur d'approfondir différents aspects de cette étude. Lestableaux statistiques qui illustrent l'évolution des divers para-mètres significatifs ont pour objet de compléter le texte etdevraient permettre de mieux se rendre compte de l'importancerelative des différents facteurs qui ont favorisé le développementtechnologique du Japon.

Les opinions exprimées dans cette étude sont celles desauteurs et ne concordent pas nécessairement avec celles del'Unesco.

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Table des matières

1 Le développement industriel du Japon :cadre historique 9

Aperçu général 9L'aube de la modernisation : la fin de l'ère Tokugawa et la

restauration Meiji 15Les fondements de l'industrie moderne 19La révolution industrielle atteint son plein épanouissement 21L'économie japonaise entre les deux guerres mondiales 26La période de redressement et de forte croissance 27Particularités de l'industrialisation du Japon 30

2 Le développement de la technologie industrielleau Japon 35

La technologie industrielle jusqu'à la fin du xixe siècle 36La technologie industrielle au début du xxe siècle 40Le développement technologique dans les années qui

précédèrent la seconde guerre mondiale 43Le redressement technologique après 1950 45Évaluation quantitative du développement de la technologie

indsutrielle 47Notice bibliographique 52

3 La politique nationale à l'égarddu développement technologique 53

Politique industrielle 54Politique scientifique et technologique 61Politique de promotion de la recherche 70

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4 Conditions économiques etdéveloppement technologique 79

Rythme du développement technologique 79Conditions économiques favorables à l'innovation technologique 83Facteurs économiques particuliers qui ont conditionné le

développement technologique du Japon 98

5 Formation et emploi de personnelpour les besoins technologiques 105

Tendances de l'éducation et ressources en personnel 106Croissance économique et enseignement professionnel au

Japon 116Mobilité professionnelle et emploi des ouvriers d'usine 127Répartition et mobilité des technologues 135

6 Modes de gestion et haute direction de l'industrie 141

Modes de gestion et développement industriel 141Rôle et personnalité des grands chefs d'entreprise 151Attitudes et caractère national japonais 157Bibliographie 163

Annexe Liste des membres du groupe de travail et du groupede rédaction 165

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Le développement industrieldu Japon : cadre historique

Aperçu général

La restauration Meiji de 1868 marque le point de départ del'industrialisation du Japon. Un second point critique se situeen 1950; après le désastre qu'a été pour lui la seconde guerremondiale, le Japon a fait preuve d'une remarquable capacité decroissance économique, dépassant de loin les normes inter-nationales. A ces deux points critiques de son histoire, c'est ens'industrialisant que le Japon a réussi à sauver son économie.

Les études réalisées jusqu'ici — par des Japonais et par desétrangers — sur l'industrialisation et la modernisation du Japonont attaché une grande signification à l'une des trois analysesfondamentales résumées ci-dessous :

La première insiste sur le rôle de 1' « élite ». Selon cette ver-sion des faits, ce sont les catégories inférieures de la classe guer-rière (bushi ou samouraï) qui, en renversant les barrières socialeset politiques de la société traditionnelle de l'ère Tokugawa \ ont

1 Le succès de la restauration Meiji peut s'appliquer, en gros,de deux façons. Certains historiens l'attribuent à l'action menée, sousles derniers shoguns Tokugawa, par une petite élite de dirigeants,loyalistes ou non. D'autres accordent une grande importance à l'énergiedes masses populaires et soulignent leurs progrès constants (du triplepoint de vue social, économique et politique) au cours des années quiprécédèrent la Restauration. De nombreux travaux ont été publiés, auJapon, à l'appui de chacune de ces deux thèses. Deux ouvrages enlangue anglaise sont venus renforcer la première. Ce sont : BernardS. SlLBERMAN, Ministers of modernization, élite mobility in ihe MeijiRestoration, 1868-18j3, University of Arizona Press, 19645 et AlbertM. CRAIG, Choshu in ihe Meiji Restoration, Harvard, 1961.

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io Le développement industriel du Japon :cadre historique

joué un rôle déterminant dans le processus de modernisationet d'industrialisation qui a commencé dans les dernières annéesdu Shogunate Tokugawa et s'est poursuivie sous la restaurationMeiji.

La deuxième version insiste sur l'importance de la continuitéculturelle. D'après elle, les bases de la modernisation et del'industrialisation qui ont commencé à l'ère Meiji existaient déjàen grande partie pendant la période Tokugawa, la société japo-naise traditionnelle recelant des forces sociales capables, ens'adaptant, de structurer et de stimuler la modernisation de lapériode suivante 1.

La troisième analyse souligne l'importance de l'accumulationde capital. Selon elle, c'est surtout grâce au progrès technologiqueet à la masse de capitaux accumulée au cours des années trenteque le Japon a pu surmonter le chaos économique de 1945et atteindre, dans les années cinquante et après, un taux élevé decroissance économique 2.

Ces analyses et évaluations correspondent à des approcheset échelles de valeurs différentes; c'est ainsi que, contrairementaux deux premiers, le troisième type d'analyse se situe dans uneperspective économique. Il y a aussi, bien entendu, un certainnombre d'études qui combinent des éléments empruntés àchacune des trois approches; mais, en général, l'une des troisprédomine.

L'industrialisation du Japon est étudiée ici dans une pers-pective interdisciplinaire qui met particulièrement en lumièrel'influence que son progrès technologique a eue sur son dévelop-pement économique. Pour rendre compte des facteurs et desstructures qui ont, à long terme, contribué à cette industriali-sation, on a retracé en détail le cours du développement technolo-gique et économique depuis la restauration Meiji3.

1 Par exemple, R. P. DORE, Education in Tokugawa Japan,Routledge and Kegan Paul, 1964.

2 Cela ressort de nombreux travaux d'économie politique.3 L'étude des facteurs qui ont contribué à l'industrialisation et

au progrès technique constitue le principal sujet du présent rapport.Elle sera poussée plus avant dans les chapitres 3 et suivants.

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Le développement industriel du Japon : 11cadre historique

Pour suivre ainsi, pendant une longue période, les progrèsdu Japon dans la voie de l'industrialisation, on peut se fondersur son produit national brut (PNB). L'examen des chiffrespour les années antérieures à 1942 et postérieures à 1946 montreclairement, comme on pouvait s'y attendre, une rupture brutale,entre ces deux dates, de la courbe de croissance du PNB; en fait,c'est seulement en 1954 que le PNB a retrouvé son maximumd'avant-guerre (1939). Depuis, comme on le sait, le taux de lacroissance économique du Japon a été spectaculaire.

TABLEAU 1 Taux de croissance annuelle moyenne du PNBau cours de phases alternées de la fluctuation à long terme °.

Période

l885(C) - i898(P)l898(P) - I9O5(QI9O5(C) - I9I9(P)I9I9(P) - 193i(Q

Taux decroissance

%4,332,274,213,56

Période

I93I(Q - I938(P) -I938(P) - i954(Q •I954(Q - I96 I (P)I96I (P) - 1964

Taux decroissance

0/

/oh 6,00•f 0,52

10,868,86

P = pointe, C = creux.

Source. Miyohei SHINOWARA et Shosaburo FUJINO, Economie growth in Japan,p. 8, Tokyo, Nihon Keizai Shimbun.

a Les valeurs moyennes mobiles du PNB portent sur des périodesseptennales avant la guerre, quinquennales après la guerre (sauf entre les datesmarquées du signe + , où les moyennes portent sur trois ans). Les calculs ontété faits « à valeur constante », les années 1934-1936 étant prises comme périodede base. Les chiffres d'avant-guerre reposent sur des données du « projet decroissance » (inédit) établi par l'Institut de recherche économique de l'Univer-sité Hitotsubashi; ceux d'après-guerre sont fondés sur des données récemmentpubliées par le gouvernement.

Le taux de croissance indiqué pour chacune des périodes considérées estla moyenne des moyennes mobiles biennales (sauf pour la période 1961-1964,dont le chiffre a été obtenu par projection de la valeur annuelle brute, i960étant prise comme année de base).

Le tableau 1 indique les taux de croissance pendant les demi-cycles (périodes comprises entre « pointe » et « creux », ou inverse-ment) de la courbe de fluctuation à long terme de la croissanceéconomique. Les quatre périodes 1885-1898, 1905-1919, 1931-1938 et 1954-1961 correspondent, dans la fluctuation à long

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12 Le développement industriel du Japon :cadre historique

terme, aux demi-cycles d'expansion. Outre ces périodes écono-miques statistiquement importantes, nous aurons sans doute àprendre en considération celle de la restauration Meiji, oùs'amorce la transformation qui allait faire de la société japonaisetraditionnelle une société moderne \

La population du Japon, après être restée stationnaire auxenvirons de 30 millions d'habitants pendant quelque cent cin-quante ans depuis le milieu de l'ère Tokugawa, n'a cessé d'aug-menter au cours de la période qui nous intéresse. Au début del'ère Meiji (1872), elle était estimée à un peu moins de 35 millionsd'habitants et, au mois d'août 1967, elle franchissait le cap de100 millions; elle a donc triplé en moins d'un siècle. Un telaccroissement autorise à parler d' « explosion démographique ».Cependant, l'accroissement entre les années 1870 et le débutdu xxe siècle est resté assez progressif, la plus forte poussée sesituant dans les années vingt et étant suivie d'un ralentissement.

Si l'on examine la répartition de la population entre lesgrands secteurs de l'économie (fig. 1), on constate que l'effectifdu secteur primaire (agriculture, forêts et pêches) ne s'est guèremodifié avant la seconde guerre mondiale, se maintenant auxalentours de 13 millions, tandis que les autres secteurs connais-saient un accroissement progressif. Les industries modernes del'ère Meiji restaient à petite échelle; la principale était l'indus-trie textile, qui employait une main-d'œuvre féminine nonqualifiée. La main-d'œuvre industrielle était peu nombreusepar rapport à l'ensemble de la population, même si l'on tientcompte de secteurs modernes comme les chemins de fer, lescommunications et les finances, ainsi que certaines industrieslourdes, qui employaient toutes une main-d'œuvre masculine.

Depuis 1915, la population active employée dans les indus-tries modernes a augmenté et la proportion de personnes travail-lant dans le secteur primaire a diminué en conséquence, tombantpour la première fois en 1917 en dessous de 60 % (voirtableau 2). Le déclin du pourcentage de personnes travaillant

1 Cf. W. W. ROSTOW, The stages of économie growth, tableau 1du chap. 4 et section 4 du chap. 5, Cambridge University Press, i960.

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Le développement industriel du Japon : 13cadre historique

dans le secteur primaire et l'augmentation progressive de lapopulation employée dans les autres secteurs semblent indiquerque, mis à part les fils et filles aînés, principal soutien de l'écono-mie rurale, les enfants des campagnes ont abandonné l'agri-culture et émigré vers les villes.

Plus récemment, la progression du nombre de personnesemployées dans les secteurs secondaire et tertiaire a réduit laproportion des travailleurs du secteur primaire à moins de 20 %.

A long terme, on n'observe aucune corrélation bien netteentre les changements de la répartition par occupations et les« pointes » de croissance économique du Japon. Cependant, cesdeux paramètres se sont modifiés de manière significative aucours des deux périodes 1905-1919 et 1954-1961.

—T 1 1 r—

S R 8 SS S S S So) Oi en O) O)

Secteur primaire (agriculture, forêts, pêche)

_ . _ . _ Industries traditionnelles

Industries modernes

Figure I Répartition de la population active entre les secteurs(1878-1937).Source. Takahida NAKAMURA, 100 years of Japanese economy, n° 2, 9 jan-vier 1968, Nihon Keizai Shimbun.

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14 Le développement industriel du Japon :cadre historique

TABLEAU 2 Évolution à long terme de la répartitionde la main-d'œuvre.

AnnéeSecteur

primaire

(I)

Secteursecondaire(industrie)

(II)

Secteursproductifs

(I + II)

Secteurtertiaire

(III)

1878-18821883-18871888-18921893-1897I898-19021903-1907I908-19121913-19171918-19221923-1927I928-19321933-19371938-194219501955i9601965

82,379,276,173,i69,966,563,059,254,952,050,547,744,648,341,032,624,7

5,67,38,9

10,411,813,214,816,417,117,116,819,523,721,923,529,23i,9

87,986,585,083,581,779,777,875,672,669,167,367,268,370,264,561,856,6

12,113,515,016,518,320,322,224,428,030,932,732,831,729,835,538,243,4

Sources. Avant 1942: Shigeto TSURU et Kazushi OKAWA, Analysis of Japaneseeconomy, vol. I, p. 99, Tokyo, Keiso Shobo, 1957. Après 1950 : Keizai Yoran,p. 281, Economie Planning Agency, 1966.

Dans le bref aperçu ci-dessous du développement industireldu Japon, nous distinguerons cinq périodes principales :La période de transformation radicale précédant et suivant

immédiatement l'année 1868, caractérisée par le passaged'une société traditionnelle à une société moderne et parl'apparition de la technologie industrielle moderne;

Les années 1885-1898, où furent jetées les bases de l'industriemoderne, l'essor de l'entreprise privée étant favorisé par ladisparition progressive des manufactures d'État;

Les années 1905-1919, pendant lesquelles l'industrie modernea consolidé ses bases et élargi son champ d'activité;

Les années 1931-1938, période de conjoncture internationaleassez favorable avant la seconde guerre mondiale, où l'indus-trie légère cède le pas à l'industrie lourde;

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Le développement industriel du Japon : 15cadre historique

Les années 1954-1961, période de reconstitution industrielleaprès les destructions de la seconde guerre mondiale.

L'aube de la modernisation :la fin de l'ère Tokugawa et la restauration Meiji

L'histoire de l'économie japonaise depuis la restauration Meiji(1868) jusqu'à nos jours illustre l'essor du capitalisme. Celui-ciprésente au Japon certaines particularités dues à l'influence desfacteurs suivants :Contrairement à ce qui s'est passé dans les pays avancés d'Europe

et aux États-Unis d'Amérique, il n'y a pas eu au Japond'exploration spontanée des méthodes capitalistes de pro-duction et de fabrication;

Le capitalisme de style japonais a progressé rapidement;Les méthodes de production et les relations sociales de l'époque

précapitaliste ont subsisté dans la société capitaliste.Particulièrement significatifs à cet égard ont été l'abandon durégime féodal, sous la pression de l'extérieur, et les réformesdont la mise en vigueur par le gouvernement a créé un terrainfavorable au développement rapide de l'industrie.

La pression extérieure en question venait, bien entendu, despays désireux de voir le Japon ouvrir ses ports au commerceétranger. Elle s'exerçait sur le gouvernement des shoguns pen-dant l'ère Tokugawa et était le fait de pays avancés comme laGrande-Bretagne, l'Allemagne, les États-Unis et la Russie. Jus-qu'alors, le régime féodal japonais avait été maintenu par legouvernement central des Shoguns et par les grands seigneurs,détenteurs de l'autorité locale et soumis aux méthodes de pacifi-cation, d'intimidation et de fiscalité indirecte caractéristiquesdu shogunat1. Les shoguns et les clans locaux tiraient leurs

1 Le gouvernement shogunal des Tokugawa adopta cette poli-tique pour garder les clans bien en main et les empêcher de devenirtrop riches. L'obligation faite aux seigneurs féodaux de résider à Édo(Tokyo) une année sur deux et chez eux l'année suivante — ce qui leurimposait des dépenses énormes — est une forme notoire d'impositionindirecte.

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i6 Le développement industriel du Japon :cadre historique

ressources de l'impôt foncier1, payé en nature par les agricul-teurs, qui formaient la majeure partie de la population. Maisle développement du commerce et de l'industrie à partir de lafin du xvme siècle avait progressivement amélioré la situationéconomique de la classe des marchands 2, tandis que les res-sources financières des shoguns et des clans diminuaient cons-tamment. Vers le milieu du xixe siècle, les États-Unis et les payseuropéens avait déjà connu une révolution industrielle; leurcapitalisme était florissant et ils commençaient à explorer lesmarchés d'Extrême-Orient.

L'ouverture éventuelle du pays aux nations étrangèresaprès deux cent vingt années d'isolement fit en 1859 l'objet dediscussions passionnées. Les loyalistes de la restauration Meiji,pour la plupart des bushi (samouraï) de rang modeste, jugeaientobjectivement les problèmes de l'économie et militaient enfaveur de l'ouverture des ports japonais au commerce étranger,moins d'ailleurs par espoir de résoudre ainsi tel ou tel conflitinterne que par désir de prendre contact avec la civilisationoccidentale. Ils s'efforçaient surtout d'enrichir et de fortifier lanation en introduisant au Japon les méthodes de production,les systèmes et la civilisation de l'Europe occidentale et desÉtats-Unis. En ce sens, la pression exercée sur le Japon par lespuissances étrangères fut un stimulant efficace, venu d'unmonde extérieur inconnu.

Le déclin du shogunat Tokugawa s'accompagnant de laformation d'importantes élites nouvelles, une réforme radicaledes structures politiques devenait possible. Le nouveau gouverne-ment décida d'abolir les pratiques périmées, comme les anciennesdistinctions de classe, les restrictions imposées aux déplacementset à l'exercice des professions et la mainmise des corporations surl'activité commerciale. Dans le domaine économique et financier,

1 Cet impôt était payé en nature, à un taux élevé, indépendantdu rendement plus ou moins élevé des récoltes.

2 La hiérarchie sociale en vigueur pendant l'ère Tokugawacomprenait, dans l'ordre : shi (guerriers), no (cultivateurs), ko (artisans)et sho (commerçants). Les commerçants étaient officiellement classésau-dessous des cultivateurs.

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Le développement industriel du Japon : 17cadre historique

d'importantes réformes devinrent possible grâce à la suppres-sion des soldats et pensions et aux modifications apportéesau régime de l'impôt foncier.

A la fin de l'ère Meiji, environ 400 000 familles de samou-raï — soit à peu près 6 % de l'ensemble de la population —vivaient de karoku (soldes et pensions) versées par le gouverne-ment et représentant au total 30 % de ses dépenses ordinaires.Le nouveau régime réussit à mettre sur pied un nouveau systèmefinancier qui supprimait cette lourde charge, l'émission de bonspublics assurant à l'État les ressources nécessaires.

D'autre part, au temps des Tokugawa, l'impôt foncier étaitpayé en nature selon des barèmes différents établis par chaqueclan. Mais un nouveau système d'imposition fut institué en1873, et l'impôt fut désormais payé en argent selon un barèmeuniforme pour tout le pays.

La restauration Meiji, née sous l'impulsion de l'Occident,s'accomplit donc grâce à l'industrialisation que connut alorsle Japon et à l'établissement d'une administration centralisée.

Dans le cadre de sa politique économique, le gouvernementcentral prit des mesures pour l'avancement de la science et dela technologie. Cependant, les dernières années de l'époqueféodale (Tokugawa) avaient, avant l'ère Meiji, été marquéespar des efforts suivis pour importer et appliquer au Japonles techniques occidentales. Le monde de production moderneadopté par le shogunat et les administrations de clan vers lafin de l'ère Tokugawa en est la preuve. Pour parer à leursbesoins d'ordre politique et militaire, les pouvoirs publicscréèrent des industries de type occidental, notamment une fon-derie de canons, des chantiers de construction navale et desusines sidérurgiques. Diverses industries auxiliaires du secteurde l'armement tentèrent également des innovations — perfec-tionnements techniques et production de machines \ On peutciter, en guise d'exemple, les améliorations apportées aux fila-tures, aux houillères et à la fabrication des produits céramiques.

1 Au sujet de l'industrie lourde au début de l'époque Meiji,voir : Yoshi ANDO, dans : Seiichi TOHATA (éd.), The ntodernizationof Japon, I, Tokyo, 1966.

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18 Le développement industriel du Japon :cadre historique

Les bases technologiques de ces industries de type occidentalfurent posées sous la direction personnelle d'Européens et d'Amé-ricains. Cependant, dans les divers clans, de jeunes technologuesjaponais étudiaient énergiquement les ouvrages scientifiquesnéerlandais, les Pays-Bas étant le seul pays d'Europe occidentalequi eût le privilège d'entretenir des relations commercialesavec le Japon pendant la période d'isolement national; c'est ainsiqu'ils introduisirent au Japon les techniques européennes etpurent se charger de construire des usines.

Les techniques occidentales adoptées à la fin de l'ère Toku-gawa furent reprises, avec plus d'ampleur, par le gouvernementMeiji, qui créa en 1870 un ministère de la technologie et instauraune politique d'accroissement de la production et de développe-ment industriel. Il eut recours pour cela à la construction dechantiers navals, d'aciéries et de fabriques de soieries, à l'établis-sement d'un premier réseau de télécommunications, à la cons-truction de lignes de chemin de fer, à l'unification de l'industrieminière et au lancement d'une industrie chimique (céramiqueen particulier) \ Les slogans nationaux de l'époque — « produc-tion accrue, développement industriel » et « enrichir et fortifierla nation» — se concrétisèrent par l'adoption de techniques indus-trielles propres à favoriser l'intégration et la prospérité nationales.

En outre, le gouvernement Meiji ne tarda pas, dans le cadrede sa politique financière, à prendre des mesures pour l'établisse-ment d'un nouveau système monétaire; il organisa la frappedes monnaies, retira de la circulation les anciennes pièces eten émit de nouvelles ainsi que des billets. Une banque nationalefut créée en 1872, sur le modèle du système bancaire national desÉtats-Unis. On institua d'abord un système de conversion ennuméraire; mais les billets, souvent échangés contre des espècesen raison des fluctuations de la parité de l'or et de l'argent, necirculaient pas suffisamment. Le gouvernement émit alors en1876 une monnaie de papier non convertible, rendant inutilele maintien de réserves en numéraire équivalant à la circulationfiduciaire. A la suite de ces mesures, le nombre des banques

1 Yoshi ANDOJ op. cit.

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Le développement industriel du Japon : 19cadre historique

nationales augmenta temporairement, et il y en eut jusqu'à 153aux environs de 1880.

Si l'introduction des techniques modernes et des systèmeséconomiques correspondants fut assez rapide, la modernisationd'autres systèmes, en particulier celle du régime politique, futrelativement lente. L'institution d'un régime parlementaire —un des critères qui permettent d'apprécier un certain genre aumoins de modernisation politique — fut différée jusqu'en 1890,alors qu'un nouveau système scolaire entra en vigueur dès 1872,et un système de conscription dès 1873.

Les fondements de l'industrie moderne 1

En ce qui concerne les industries nouvelles, les manufacturesd'État étaient devenues en 1880 beaucoup plus importantes quecelles du secteur privé. En 1883, par exemple, le personnelemployé dans seize usines relevant directement des ministèresdes finances, de l'agriculture, du commerce, de la marine ou dela guerre avait un effectif global de 10 720 ouvriers. Parmi cesouvriers, 706 seulement étaient employés dans les quatre usinestextiles; tous les autres, soit 10 014, travaillaient dans l'industrie

1 L'économie japonaise a fait l'objet d'innombrables études,rapports, livres et articles tant en japonais qu'en anglais. Beaucoup deces travaux, surtout ceux dont on est redevable à divers gouvernementsétrangers, sont d'une haute qualité, essentiellement grâce à la collabora-tion et aux fréquents échanges de vues entre spécialistes japonais etétrangers. Pour leur aperçu historique de l'industrie et de l'économiejaponaises, les auteurs ont consulté les ouvrages suivants (en plus deceux dont il est fait mention dans d'autres notes relatives à ce premierchapitre) :Shigeto TSURU et Kazushi OHKAWA, Nihon Keizaino Bunseki [Analyse

de l'économie japonaise], Tokyo, Keiso Shobo, 1955, 2 vol.Hiromi ARIZAWA, Gendai Nihon Sangyo Koza [Conférences sur l'indus-

trie japonaise contemporaine], Tokyo, Iwanami Shoten, 1959, 8 vol.Mitsuhaya KAJINISHI, Nihon Shihonshugi Hattatsu-shi [Histoire du

développement du capitalisme au Japon], Yuhikaku, Tokyo,1957, 2 vol.

Hiromi ARISAWA, Kazuo YAMAGUCHI et al., Nihon Sangyo Hyakunen-shi [Cent ans d'histoire de l'industrie japonaise], Tokyo, NihonKeizai Shimbun Company, 1962.

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20 Le développement industriel du Japon :cadre historique

lourde et l'industrie chimique. D'autre part, en 1882, sur untotal de 61 025 ouvriers employés dans des entreprises privées, lestrois quarts environ travaillaient dans des usines textiles etmoins de 20 % dans les mines et dans l'industrie chimiquelourde. Les usines privées étaient pour la plupart de dimensionsmodestes; l'une d'elles n'employait que trente ouvriers.

Après 1885, alors que le nombre des ouvriers employés dansdes établissements d'État restait plus ou moins le même, lenombre de ceux qui travaillaient dans des entreprises privéesaugmenta considérablement. Dans le secteur privé du textile,en particulier, le nombre des ouvriers fit plus que doubler aucours des six années 1886-1891; dans les filatures, il montaen flèche, passant de 1877 en 1885 à 29 103 en 1892. Dans lesindustries alimentaires, il augmenta encore plus rapidement,tout en restant au total relativement faible. Dans l'indus-trie métallurgique et la construction de machines, le taux d'ac-croissement était infime. Ainsi, d'après l'effectif du person-nel, les changements qui se sont produits dans les industriesnouvelles au cours de cette période apparaissent commeessentiellement caractérisés par un remarquable essor de l'entre-prise privée.

Cet essor est imputable, initialement, à la politique dugouvernement, qui décida de vendre ses usines à des sociétésprivées. Afin de remédier à la première inflation qui suivit larestauration, au cours des années 1870, il prit entre 1881 et 1885les mesures déflationnistes déjà mentionnées (réduction de lacirculation fiduciaire et réajustement financier). En vertu de cettepolitique de redressement financier, les manufactures d'État, qui,en dépit des sommes considérables consacrées à leur gestion, neréalisaient pas les bénéfices souhaités, furent cédées à des groupesprivés. Dès 1890, douze mines, quatre filatures, deux chantiersnavals, une cimenterie et une verrerie avaient été vendus de cettemanière. Ces transferts s'effectuaient à des prix extrêmement bas,le plus souvent au profit de commerçants ayant des attachespolitiques — hommes d'affaires qui étaient restés depuis larestauration en relations étroites avec les hanbatsu (coteries declan). C'est ainsi que prirent naissance les zaibatsu (trusts finan-

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Le développement industriel du Japon : 21cadre historique

tiers), dont la prospérité s'accrut dans les années 1890 grâce àl'accumulation de capitaux.

Au cours de cette période, l'industrie la plus florissante étaitl'industrie textile. Après 1885, les filatures ont joué un rôle decatalyseur dans l'essor économique et le développement du réseauferré. Avec la guerre sino-japonaise de 1894-1895, le Japoncessa d'être importateur et devint exportateur de filés de coton.L'industrie textile a donc eu, dans l'industrialisation du Japon,un rôle de pionnier1.

La révolution industrielle atteint son pleinépanouissement

Au cours des deux premières décennies du xxe siècle, l'industrieet l'économie japonaises progressèrent à pas de géant, s'adaptantsans trop de difficultés aux situations qui résultèrent de la guerresino-japonaise, de la guerre russo-japonaise et de la premièreguerre mondiale. De 1905 à 1920, le nombre des sociétés est passéde 10 620 à 42 488, et la production par ouvrier dans les indus-tries manufacturières a sauté de 188,8 à 755,6 yen. D'autresindicateurs économiques signalent une forte tendance ascendantede l'activité économique générale. C'est pendant cette périodede moins de vingt ans que la révolution industrielle du Japonatteignit son plein essor. Les techniques furent complètementassimilées, le capital industriel s'accrut et devint un « capitalde monopole », la mobilité de la main-d'œuvre augmenta. Cesquestions seront traitées en détail au chapitre 4 et nous nousbornerons à en examiner ici certains facteurs fondamentaux.

Après la guerre sino-japonaise, le Japon se lança dans degrandes entreprises visant, par exemple, à produire tout l'acierdont il avait besoin, à développer et améliorer le réseau nationalde chemins de fer, à organiser sur un pied industriel les trans-ports maritimes et les constructions navales, à étendre et perfec-

1 Miyohei SHINOWARA et Shosaburo FUJINO, Nihon no KeizaiSeicho [Croissance économique au Japon], p. 19-28, Tokyo, NihonKeizai Shimbun-Sha, 1968.

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22 Le développement industriel du Japon :cadre historique

tionner le réseau de communications. Pour réaliser ces diversprogrammes, il dut importer d'Europe et des États-Unis degrandes quantités de matériel et de machines. Cependant, laforte hausse des prix à l'importation résultant de la chute mon-diale du cours de l'argent-métal porta un rude coup au Japon,dont l'économie était alors liée à l'étalon-argent. C'est pourquoil'étalon-or, dont l'adoption avait été étudiée par un comité derecherche spécial créé par le gouvernement en 1892, entra envigueur en 1897. Le Japon rejoignait ainsi le camp des nationscapitalistes du monde. En 1899, P o u r la première fois, il émitsur le marché de Londres des obligations étrangères. En 1904il en émit pour plus d'un milliard et demi de yen. En outre,l'application en 1899 de 1' « amendement des traités inégaux »modifia la situation du Japon sur le plan de l'économie internatio-nale. En vertu de cet amendement, les droits d'exterritorialité etle système des concessions dont les étrangers bénéficiaientjusqu'alors au Japon furent abolis, ce qui mit fin à leur situationprivilégiée. Cependant, ils furent autorisés à faire du commerceà l'intérieur du pays.

Profitant de cette possibilité, la Western Electric Corpora-tion des États-Unis investit des capitaux dans le lancement,en 1899, d'une entreprise d'équipement électrique; en 1903,la Standard Oil Company prit pied à son tour au Japon. Bienque l'adoption de l'étalon-or et la révision des « traités inégaux »aient facilité la participation de l'industrie japonaise à l'activitéinternationale, c'est en 1911 seulement que l'autonomie tarifairedu Japon fut pleinement reconnue.

Une fois réunies les conditions nécessaires pour permettreà l'économie japonaise d'améliorer sa position internationale,c'est-à-dire vers la fin du xixe siècle, l'industrialisation dupays s'accéléra grâce à l'importation de produits industriels.Dès avant la première guerre mondiale, en donnant au Japonla possibilité d'exporter, ces importations contribuèrent à l'aug-mentation de son PNB (29 % au cours des années 1895-1915,au lieu de 8 % pendant la période précédente, 1876-1894).

En ce qui concerne les filés de coton, les exportations com-mencèrent à monter rapidement après les années 1890, en

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Le développement industriel du Japon : 23cadre historique

période de pointe des importations; à la même époque, lesexportations de cotonnades augmentèrent également. Dans ledomaine des machines, toutefois, c'est seulement au cours desannées trente que les exportations devinrent importantes.

La déclaration de la première guerre mondiale, en 1914,stimula encore le développement industriel, assurant à toutesles industries de gros bénéfices. Entre le premier semestre de 1915et le premier semestre de 1917, les taux de profit quadruplèrentet augmentèrent même parfois davantage dans plusieurs grandesindustries. Ces bénéfices considérables stimulant l'expansion,les investissements atteignirent en 1919 dix-sept fois leur volumede 1914 (voir tableau 3). L'expansion se propageait maintenantà d'autres secteurs que le textile, qui avait constamment joué unrôle de premier plan dans le développement industriel. End'autres termes la première guerre mondiale donna une impul-sion décisive à l'essor de l'industrie lourde et de l'industriechimique.

D'une manière générale, cette période qui correspond auxdeux premières décennies du XXe siècle fut marquée par l'élargis-sement du fossé séparant deux grandes catégories d'entreprises,respectivement caractérisées par le développement des zaïbatsu(trusts financiers) et par la prolifération des petites et moyennesentreprises.

Les capitalistes que leurs relations politiques avaient aidés,de 1880 à 1890, à jeter les bases de leurs affaires achevèrent, à lafin de la première guerre mondiale, de structurer leurs zaibatsurespectifs. Ils se lancèrent dans des opérations de gestionmultilatérale : industries extractives et manufacturières, banque,commerce, etc. Mitsubishi et Mitsui, par exemple, zaibatsuintégrés, en vinrent à dominer l'ensemble du secteur industriel.Ces deux grands zaibatsu augmentèrent régulièrement le volumede leurs affaires en organisant leurs structures commercialesde la manière suivante : après avoir lancé une entreprise sousla protection de l'État, ils pénétraient dans divers secteursindustriels et, le moment venu, formaient des associationsfamiliales, souvent sur la base de mariages. Chacune des entre-prises relevant de leur autorité devenait une société indépen-

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24 Le développement industriel du Japon :cadre historique

dante, tandis que l'association familiale initiale subsistait, aucœur de l'ensemble, pour fournir des fonds à chacune de cessociétés, ayant sur elles la même autorité qu'un holding, maisne se livrant en son nom propre à aucune activité financière oucommerciale.

A la même époque, les petites et les moyennes entreprisesse multiplièrent, favorisées par la politique d'expansion desarmements adoptée par le gouvernement à la suite de la guerresino-japonaise. En 1903, on comptait 321 de ces petites fabriquesde machines et de matériel, chacune employant en moyenne45 personnes, c'est-à-dire plus que l'usine moyenne de l'indus-trie cotonnière.

Aux environs de l'année 1910, l'un des grands principes dugouvernement en matière de politique industrielle était defavoriser le développement de ces entreprises d'importancemoyenne en les incitant à se grouper en coopératives et en leurapportant un soutien financier et des conseils techniques.

Au cours de la période correspondant à la première guerremondiale, le niveau de la production industrielle dépassa celui

TABLEAU 3 Investissements industriels avant et aprèsla première guerre mondiale.

TransportsMinesIndustries électriquesIndustries manufacturièresFilaturesBanquesPêcheAssurancesCommerce et divers

1914

en milliers50480166853099038 515

1 70052 00275009400

43 525

1919

de yen412 625289 430460 963

I 128 169457 773642 620

3259076 800

765 080

Indice decroissance,

1919(1914 = 100)

817,41 734,7I 487,52 929,2

26 927,81 235,8

434,5817,0

I 757,8Total 250 797 4 266 050Indice de croissance (moyenne) 1 701,0

Source. BANQUE DU JAPON, Hundred-year statistics of the Japanese economy,p. 350, 1966.

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Le développement industriel du Japon : 25cadre historique

de la production agricole, qui, jusque-là, était toujours restéeen tête. Une analyse à long terme montre que les taux annuelsmoyens d'accroissement de la production réelle par ouvrier dansles secteurs agricole et industriel, pendant la période 1905-1919,ont été respectivement de 0,51 % et de 5,68 %, alors que, d'aprèsles chiffres de la période précédente (1898-1905), le taux annuelmoyen d'accroissement du rendement agricole réel était supérieurà celui de la production industrielle.

Malgré ce renversement de la situation relative des secteursprimaire et secondaire, du point de vue de leur expansion, ledéveloppement du secteur primaire pendant la phase initialede l'industrialisation contribua pour beaucoup au progrès duJapon en assurant une production intérieure suffisante dedenrées alimentaires, en fournissant un excédent de produitsagricoles susceptibles de devenir une source d'investissementsdans le secteur secondaire, et en maintenant la productionartisanale de tissus par les paysans, suivant une tradition quidevait ultérieurement stimuler le développement de l'industrietextile.

Cependant, l'accroissement de la production agricole audébut de l'industrialisation du Japon fut, non le fruit d'uneffort quelconque de rationalisation, mais le simple résultat dela diffusion de techniques agricoles mises au point par les meil-leurs cultivateurs japonais de l'époque Tokugawa. Leursméthodes étaient très appréciées dans leur propre clan, maisil n'y avait guère d'échanges d'informations entre les clans.Plus tard, l'agriculture bénéficia de certaines améliorationstechniques dues à l'activité de la Noji-Shikenjo (Station agrono-mique expérimentale); mais c'est seulement après 1945 quel'emploi général des machines agricoles produites par l'industrieet l'extension des surfaces cultivées devinrent des réalités.

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26 Le développement industriel du Japon :cadre historique

L'économie japonaise entre les deux guerresmondiales

Le taux d'expansion annuelle moyenne de l'économie japonaiseatteignit 6 % entre 1931 et 1938, chiffre record de la périodeantérieure à la seconde guerre mondiale. Auparavant, il avaitété de 3,56 % pendant les années 1919-1931, tandis que, pourla période suivante (1938-1954), il était retombé à 0,52 %. Bienque ce soit surtout la période 1931-1938 qui nous intéresse ici,il convient de noter que l'économie japonaise a manifestementconnu bien des bouleversements entre les deux guerres —difficultés internes, comme celles que provoqua le tremblementde terre de 1925 (300 000 familles sans abri), ou difficultésd'origine extérieure, comme celles qui résultèrent, à partir de1929, de la crise économique mondiale.

Le Japon surmonta rapidement les effets de cette criseéconomique et ses investissements en bien d'équipement mon-tèrent en flèche, comme le montre le taux élevé d'accroissementannuel moyen de la production industrielle pendant la période1931-1936 (voir tableau 4).

Les zaibatsu les mieux établis avaient réussi, dès 1925-1930,à mettre la main sur les principales entreprises industrielles.En 1928, Mitsui, par exemple, groupait, dans les secteurs com-mercial, minier et financier de l'économie, cinq sociétés directe-ment affiliées ayant elles-mêmes 43 filiales; dans les secteurs

TABLEAU 4 Taux annuel moyen d'accroissementde la production industrielle.

Branche d'industrie

AcierMachinesProduits chimiquesTextilesMoyenne des industries

manufacturières

1926-193i

+ 23+ 0+ 5i+ 32+ 12

Accroissement

1931-1936

+ 161+ 59+ 139+ 56+ 65

1936-1941

+ 53+ 152+ 38— 31+ 46

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Le développement industriel du Japon : 27cadre historique

industriels du papier, des filatures, du matériel électrique, desraffineries de sucre et des produits chimiques, il avait au moinsneuf sociétés affiliées, ayant elles-mêmes plus de trente filiales.La même année, Mitsubishi avait dix sociétés affiliées directes(avec plus de trente filiales) dans les constructions navales, lasidérurgie, les mines, l'industrie chimique, les industries alimen-taires, le commerce et la banque, et plusieurs entreprises affiliées,groupant elles-mêmes vingt filiales, dans les secteurs des trans-ports maritimes, des raffineries de sucre et de la banque.

Le développement de l'industrie lourde et de l'industriechimique augmenta la demande de main-d'œuvre qualifiée. Lesgrandes entreprises concentrèrent leurs efforts sur la formationprofessionnelle en cours d'emploi, afin de s'assurer le plus grandnombre d'ouvriers qualifiés. En outre, elles mirent au point,en matière d'administration du personnel, des méthodes visantà encourager la fidélité de leurs employés. C'est ainsi qu'ellesinstituèrent, dans les années vingt, un « système d'augmentationdes salaires suivant l'ancienneté » et un « système d'emploi àvie ». Au cours de la même période, elles s'enracinèrent profon-dément dans la société japonaise.

La période de redressement et de forte croissance

Après la défaite du Japon au terme de la seconde guerremondiale, son industrie était en ruine. Dans le chaos économiqueet social qui régnait alors, toute activité productive se trouvaittemporairement paralysée. Par rapport au niveau des annéesI935~I9375 l'indice de la production minière et manufacturièreétait tombé, en août 1945, à 8,7 %. Parmi les facteurs qui contri-buèrent à désorganiser la société et poussèrent l'économienationale jusqu'au bord de l'effondrement, il faut noter uneforte inflation, un brusque accroissement de la population parsuite du rapatriement des Japonais d'outre-mer, et la désinté-gration des zaibatsu.

Cependant, dès 1954, le PNB du Japon avait retrouvé sonniveau d'avant-guerre, et son taux d'accroissement annuel moyen

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28 Le développement industriel du Japon :cadre historique

atteignit 10,86 % pendant la période 1954-1961 ; en 1967, ilétait le troisième du monde. Le développement économiquedu Japon depuis 1945 a été marqué par une période de redresse-ment ("stimulé à partir de 1950 par la guerre de Corée), suivie àpartir de 1952 par une période de forte croissance (favorisée pardes innovations techniques).

Avant la guerre de Corée, la production japonaise était limitéepar les faibles dimensions du marché; dès que cette guerre éclata,le Japon fut invité à fournir du matériel militaire et des produitsindustriels, et ce furent ces « achats spéciaux » qui donnèrent àl'industrie japonaise le coup de fouet dont elle avait besoin. Enun an, de juillet 1950 à juin 1951, les «achats spéciaux» attei-gnirent un total de 350 millions de dollars. En outre, dans lesecond semestre de 1950, les exportations vers l'Asie du Sud-Estcommencèrent à augmenter de manière sensible. Les incidencescombinées de ces deux facteurs sur le marché firent retrouverà l'industrie japonaise son niveau normal de production. Maisd'autres mesures furent nécessaires pour lui permettre deparvenir aux résultats spectaculaires qu'elle obtint par lasuite.

La Banque japonaise d'import-export, fondée en 1951, étaitdestinée à financer les exportations à long terme, la Banquejaponaise de développement, créée la même année, devantfinancer les investissements du secteur privé. Les années 1951-1953 furent marquées par une expansion considérable desressources en électricité, des industries mécaniques (notammentconstructions navales et matériel électrique) et des industrieschimiques, grâce surtout à l'emploi de nouvelles techniquesimportées des États-Unis et d'autres pays avancés. On préparaégalement au cours de cette période la reconstitution des ancienszaibatsu, démantelés en vertu de la loi sur la déconcentration despouvoirs économiques excessifs. Ces mesures et d'autres permi-rent à l'économie japonaise de combler le vide créé par la secondeguerre mondiale et de dépasser dès 1953 ses niveaux de produc-tion minière et manufacturière d'avant-guerre, préparant ainsi leplein essor ultérieur de l'industrie lourde et de l'industrie chimi-que.

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Le développement industriel du Japon : 29cadre historique

Après 1955, l'économie japonaise entra dans une période detrès forte expansion, les taux d'accroissement annuel moyen desconstructions mécaniques et de la sidérurgie atteignant respec-tivement 30 % et 20 % (tandis que celui de l'industrie textiletombait au-dessous de 10 %). Une augmentation impression-nante de la production de biens de consommation durables consti-tuait la base de ce développement. Dans l'industrie sidérurgique,on procéda à une vaste rationalisation de toutes les opérations(par exemple, celle du laminage, incluse dans le programme derationalisation de i960). Dans le secteur de l'énergie électrique,les centrales hydro-électriques cédèrent le pas aux centralesthermo-électriques, tandis que le pétrole se substituait aucharbon comme principal combustible. Des aciéries, des cen-trales électriques, des raffineries de pétrole et des complexespétrochimiques furent agrandis ou créés, surtout le long de lacôte du Pacifique. On construisit des complexes pétrochimiquesgéants, justifiant économiquement le recours au transport directdes matières premières liquides par oléoduc. La mise au point etla production massive, pendant cette période, de nouveauxappareils ménagers électriques intensifièrent la production debiens de consommation durables à usage domestique, provoquantainsi une véritable révolution dans le domaine de la consom-mation.

Cette rationalisation industrielle s'effectua évidemment, engrande partie, grâce à l'automatisation. Les innovations enmatière de production rendirent également nécessaires desinnovations sur le plan de la gestion. Les modifications qualita-tives apportées au détail des opérations de fabrication provo-quèrent l'abandon des procédés périmés qui se transmettaientprécédemment par apprentissage, et nécessitèrent l'emploi denouvelles techniques fondées sur des connaissances scientifiquesplutôt que sur une simple expérience pratique. Les progrès del'automatisation ne provoquèrent pas nécessairement l'appari-tion d'un excédent de main-d'œuvre, attendu que dans le mêmetemps de nouveaux produits étaient mis au point, élargissantainsi le champ de l'activité industrielle. Au contraire, il devint deplus en plus difficile pour les entreprises de recruter de jeunes

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30 Le développement industriel du Japon :cadre historique

travailleurs moyennant un bas salaire, en raison de la forteaugmentation d'effectif des écoles secondaires, des collèges et desuniversités. L'ensemble de ces conditions rendit extrêmementdifficile le maintien de l'ancien mode d'administration de lamain-d'œuvre, fondé sur l'ancienneté et l'emploi à vie. Lesinnovations techniques de cette période devaient forcémentprovoquer, dans le domaine de la gestion d'entreprise, uneamélioration considérable des principes d'administration dupersonnel, l'efficacité important désormais plus que l'ancienneté.

Particularités de l'industrialisation du Japon

Le changement remarquable qui s'est opéré dans la structurede l'économie japonaise après 1905, l'agriculture traditionnellecédant le pas à une industrie du type occidental, a été caractérisépar une augmentation rapide de la formation de capital fixe, ainsique par un assouplissement des disponibilités de main-d'œuvreet par l'importation de connaissances techniques.

Le développement économique et technique du pays futdéterminé par d'autres facteurs : l'épargne par habitant semaintint à un niveau relativement élevé; le gouvernement jouaun rôle prépondérant dans la formation de capital, et les habi-tudes des consommateurs n'évoluèrent que progressivement,tandis que l'augmentation de la capacité de production et celledes exportations furent très rapides; enfin et surtout, les salairesrestèrent toujours bas.

Outre ces éléments économiques, certains facteurs nonéconomiques eurent aussi une grande influence sur le processusd'industrialisation, notamment la qualité du système d'enseigne-ment, l'homogénéité raciale, linguistique et culturelle de lapopulation et la cohésion des structures sociales. Tout celaconcourait à former un potentiel national qui, allié à la « volontéde changement » qui animait la population, donna aux trans-formations sociales de cette période un élan irrésistible1.

1 E. E. HAGEN, On the theory of social change : how économiegrowth begins, 1962.

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Le développement industriel du Japon : 31cadre historique

Les principaux facteurs d'environnement qui déterminèrentl'évolution industrielle du Japon furent son climat et sa situationgéographique. Cette situation lui assura, pendant sa rapidetransformation, un certain isolement vis-à-vis des autres pays,renforçant l'orientation autarcique de sa politique et permettantà sa maturation culturelle et à sa structuration sociale de se faireen vase clos.

D'autre part, la rapide poussée démographique des débuts del'industrialisation, tout en assurant au Japon la main-d'œuvredont il avait besoin, lui a ouvert un marché plus étendu. Cetélément est resté avantageux même si le surpeuplement a quel-quefois menacé de susciter des difficultés sociales 1.

Le système féodal du shogunat Tokugawa avait donné nais-sance à de nombreux petits groupes quasi autonomes appeléshan (clans), que divisaient des rivalités constantes. Leur autono-mie et leur isolement mutuel s'accentuèrent après les années1850; ultérieurement transformés en ken (préfectures), ils contri-buèrent efficacement à la diffusion interne des techniques occi-dentales, transmises par l'intermédiaire du gouvernement central,leurs échanges directs d'informations restant toutefois trèsrestreints.

Les relations internationales eurent sur les débuts de l'indus-trialisation du Japon des effets tantôt positifs, tantôt négatifs;mais dans l'ensemble, leur bilan est favorable.

Quant à l'homogénéité raciale du Japon, elle a eu un effetnégatif pour autant qu'elle a mis entre les Japonais et les autresraces une certaine « distance » socio-psychologique ; mais elle aaussi renforcé le lien que constitue l'existence d'une consciencecollective. La communauté de langue a aussi, dans une certainemesure, mis obstacle à la pénétration des cultures étrangèrespour autant qu'elle a découragé les tentatives de communicationavec l'extérieur ; mais elle a en même temps favorisé l'industria-lisation en facilitant les communications à l'intérieur du pays.Le fait qu'au Japon toute la population a la même couleur et la

1 J. A. SCHUMPETER, Théorie der wirtschaftlischen Entwicklung,1912. (Trad. par Redvers Opie, Theory of économie development, Har-vard, 1954; également publié par Oxford University Press, 1961).

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32 Le développement industriel du Japon :cadre historique

même langue a considérablement contribué à promouvoir et àaccélérer la diffusion de la science et de la technique.

En ce qui concerne les relations sociales, les phénomène leplus marquant réside dans les liens qui unissent de longue date,et aujourd'hui encore, employeurs et employés. Leurs rapports nesont pas uniquement affaire de parenté; tout membre d'ungroupe est traditionnellement protégé par ce groupe en fonc-tion de la fidélité qu'il lui montre et sans que la parenté entreen ligne de compte. Il est incontestable que l'existence de lienssociaux étroits, immuables, façonnés par le système paternalistequi constituait un des traits dominants de l'ancien Japon, afourni la base des systèmes de gestion qui ont puissammentcontribué à accélérer l'industrialisation du Japon *.

La façon dont le Japon s'est industrialisé s'explique enfinpar la continuité de sa culture (au sens ethnologique). Bien quesa culture traditionnelle ne se prêtât guère à l'assimilationd'apports occidentaux, le Japon a su préserver son originalitétout en « japonisant » certains aspects de la culture occidentale,et parvenir rapidement à son éclectisme actuel, correspondant àune nouvelle position d'équilibre 2.

Les facteurs mésologiques et socio-culturels examinés ci-dessus constituent une base utile si l'on veut comparer l'indus-trialisation du Japon à celle des autres pays.

Il ressort, par exemple, de la première section du présentchapitre que l'industrialisation du Japon est partie de l'extérieuret d'en haut, et qu'au cours de son ascension économique dudernier siècle, l'élévation du niveau de vie et du montant dessalaires a été moins rapide que l'accroissement de la production.Mais peut-on considérer ces traits comme particuliers au Japon ?

Aux fins de comparaison, l'industrialisation du Royaume-Uni semble assez représentative de la manière dont les choses

1 On en trouvera des exemples typiques dans : JamesG. ABEGGLEN, The Japanese factory. Glencoe, The Free Press, 1958.

2 II existe en anglais une étude sociologique, culturelle etethnologique de l'« association familiale ». C'est celle de Michio NAGAI,Dozoku : A preliminary study of the Japanese extended family group andits social économie functions, Department of Sociology and Anthropo-logy, Ohio University, 1953.

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Le développement industriel du Japon :cadre historique

33

se sont passées dans l'ensemble des pays d'Europe occidentale.Les figures 2 et 3 illustrent l'évolution à long terme de la popula-tion, de la production, des salaires et de Pélectorat, tant auJapon qu'au Royaume-Uni, à partir de 1800. Il en ressort quela généralisation du droit de vote, de même que la hausse dessalaires effectifs, a été, dans les deux pays, moins rapide que

production

1800 10 20 30 40 50 60 70 80 90 1900 10 20 30 40 50 60 70 80

Figure 2 Évolution à long terme de la population, de la production,des salaires et de Pélectorat au Japon.

production

titulaires du droit de vote

1800 10 20 30 40 50 60 70 80 90 1900 10 20 30 40 50 60 70

Figure 3 Évolution à long terme de la population, de la production,des salaires et de Pélectorat au Royaume-Uni.

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34 Le développement industriel du Japon :cadre historique

l'accroissement de la production. Si l'écart entre la productiond'une part, les salaires et le droit de vote de l'autre, est actuelle-ment plus considérable au Japon qu'au Royaume-Uni, c'estessentiellement à cause de la montée en flèche de la productionjaponaise *.

I Jiro SAKAMOTO, « A reconsideration of Japanese economy— A study of international comparison, part. I », The Hitotsubashireview, vol. XLVI, n° 5, novembre 1961.

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Le développement de latechnologie industrielle au Japon

Dans le chapitre qui précède, nous avons traité du développementindustriel du Japon dans son ensemble, d'un point de vuehistorique. Le présent chapitre est plus spécialement consacréau développement de la technologie industrielle au Japon, età l'identification des facteurs qui ont contribué à ce développe-ment. Avant d'essayer d'analyser l'évolution de secteurs particu-liers, nous voudrions exposer certaines caractéristiques généralesdu développement technologique du Japon. Dans la présenteanalyse nous aurons recours à deux modes d'approche distincts.Le premier consiste à étudier l'interaction entre le développementde l'industrie et celui de la technologie. Dans certains secteurs,la technologie a progressé par étapes successives, dont chacunecorrespond à la découverte d'une application rentable à l'indus-trie; dans d'autres, elle n'a pas trouvé d'applications pratiquesdans le développement industriel ou s'est laissée distancer parlui; comme on pouvait s'y attendre, ce retard a été particulière-ment sensible lorsque les relations entre le développementtechnologique et le développement industriel n'étaient passuffisamment étroites. Divers chercheurs se sont attachés àdéterminer les causes de tels échecs K

La seconde méthode consiste à étudier les voies par lesquellesla technologie s'est répandue dans le pays et le rythme auquelelle s'est propagée. L'origine d'une technique donnée (c'est-

i Dans la présente étude, le mot « technologie », employé seul,a son sens général, tandis que l'expression « technologie industrielle »désigne la technologie appliquée dans des conditions rentables à lafabrication de produits industriels.

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36 Le développement de la technologieindustrielle au Japon

à-dire le fait qu'elle ait été importée de l'étranger ou se soitélaborée localement ab initio), la rapidité et les modalités de sapropagation, dans une seule ou dans de nombreuses industries,présentent pour une telle analyse un intérêt particulier.

La technologie industrielle jusqu'à la findu XIXe siècle1

Au début de l'ère Meiji (à partir de 1868), la technologie indus-trielle, qui reposait presque exclusivement sur des procédésimportés d'Europe et d'Amérique du Nord, avait peu de liensavec les techniques autochtones de production en usage à la mêmeépoque. Cette dépendance à l'égard de l'étranger se manifestaitnon seulement par l'emploi d'ingénieurs et d'artisans étrangers(voir tableau 5), et par l'importation de matériel, de machines etde matières premières industrielles, mais également par l'impor-tation de techniques parfois rudimentaires, comme celle de lafabrication des briques. Ces importations s'étaient révéléesnécessaires parce que le Japon n'avait pas de tradition technolo-gique qui permît le développement d'industries modernes. Cettetechnologie industrielle, introduite dans les manufactures del'État sans qu'il fût tenu aucun compte de sa rentabilitétrouvait peu d'applications directes dans le secteur privé del'industrie. Le gain n'en fut pas moins substantiel, car la main-d'œuvre locale employée dans ces manufactures d'État apprit àfaire fonctionner diverses machines et les usines privées cons-truites par la suite bénéficièrent de son expérience. C'estainsi que les filatures privées construites au cours desannées 1880 importaient leurs machines d'Angleterre etd'autres pays d'Europe occidentale, mais les confiaient à

1 II faut bien reconnaître que considérer toute la secondemoitié du XIXe siècle comme une seule et même période ne permetguère d'être précis. Cela se justifie cependant par le fait que c'est versla fin du xixe siècle que le Japon a commencé à se dégager de sa complètedépendance vis-à-vis de la technologie importée, et à élaborer indé-pendamment une technologie industrielle à lui; depuis la deuxièmedécennie du xxe siècle, cette activité autochtone s'est intensifiée.

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Le développement de la technologieindustrielle au Japon

37

des ouvriers japonais qui, formés sous la direction de techni-ciens étrangers, étaient parfois si hautement qualifiés qu'ilspouvaient jouer eux-mêmes le rôle d'instructeurs. De même,les grands chantiers navals devinrent des centres de formationd'ingénieurs du génie maritime; d'autres techniques d'origineétrangère furent également introduites au Japon et se répandirentdans les industries locales vers la fin des années 1880.

TABLEAU 5 Ingénieurs et artisans étrangersemployés au Japon (1872-1885).

18721873187418751876187718781879188018811882188318841885

Source.

Secteurpublic

127204213205170146118I I I103

62

512940

38

Ingénieurs

Secteurprivé

16

4475

1631692372 1 2199

137215215234181

Nikon Kagaku-gijutsu-shinaise d'histoire de la irechnologie.

Total

1272 2 0257280

333315355323302199266244274219

Secteurpublic

4635273626

137968688

Taisei, Tsushi, vol.

Artisans

Secteurprivé

997

1946

811

131012

6

514

h P- 157,

Total

464436434559152 0

191818

141314

Société japo-

Entre-temps, des métiers à filer de type artisanal qui nedevaient rien aux techniques occidentales de filage avaient étéinventés en 1876. Leur apparition fut bien accueillie par les petitesfilatures et leur usage se généralisa assez rapidement. Cependant,ces machines à commande manuelle furent éliminées du marchépar l'apparition vers 1890 de puissants métiers mécaniques.Quelques modèles expérimentaux furent bien construits locale-ment, mais ils se révélèrent inférieurs aux machines importées.Malgré le développement de l'industrie textile au cours des

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38 Le développement de la technologieindustrielle au Japon

années qui suivirent, la demande de métiers à filer de fabricationjaponaise n'augmenta pas immédiatement dans les mêmesproportions, et c'est seulement au début du XXe siècle que cettedemande prit une certaine ampleur. Une situation anormalerésulta de décalage entre l'essor des filatures et celui de la cons-truction de métiers à filer.

En 1880, un haut fourneau importé d'Angleterre fut installéà Kamaïshi (district de Tohoku) pour produire de la fonte.Les résultats furent d'abord décevants mais, dès 1894, ilsétaient supérieurs à ceux qu'on obtenait par les méthodes tradi-tionnelles.

En 1901, une usine produisant de la fonte et de l'acier parcoulée continue entra en service dans le Kyushu du Nord(Yawata) ; ce fut l'origine de la grande sidérurgie.

Au xixe siècle, surtout à partir des années 1880, l'industrie laplus importante était celle des textiles, et notamment le filage.Le Japon ne fit néanmoins que peu de progrès technologiquesdans ce domaine. Ses progrès furent plus marqués à l'égard desconstructions navales et de la sidérurgie, qu'il s'agisse de l'assi-milation effective de la technologie étrangère ou de l'apparition,par voie de conséquence, d'une technologie nationale rationnelle.Ces deux industries restaient toutefois dans une large mesuretributaires de la technologie étrangère; car leurs efforts pourmettre au point une technologie à elles — initialement par voied'adaptation — ne pouvaient s'appuyer sur des connaissancesou une expérience scientifiques qui leur faisaient défaut.

Parmi les autres domaines où le XIXe siècle fut marqué pardes progrès technologiques rapides figure celui des transportset communications. Les rails et les locomotives utilisés sur laligne d'une trentaine de kilomètres qui fut construite en 1872entre Shinbashi (Tokyo) et Yokohama, sous la direction d'in-génieurs britanniques, étaient de fabrication britannique, etseuls les wagons à voyageurs furent construits au Japon. L'ache-minement de la correspondance, confié jusqu'alors à des courriersappelés hikyaku (littéralement : «jambes volantes»), fut désormaisassuré par un service postal moderne. Au début, les cheminsde fer et les services postaux furent administrés par l'État; mais, à

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Le développement de la technologie 39industrielle au Japon

partir de 1890, le nombre de voies ferrées exploitées par desentreprises privées alla en augmentant. Ces lignes privées furenttoutefois reprises par l'État en vertu de la loi de 1906 sur lanationalisation des chemins de fer, et le kilométrage des voiesferrées s'accrut considérablement, comme le montre le tableau 6.Ainsi qu'on pouvait s'y attendre, l'évolution du réseau ferroviaires'accompagna d'une évolution parallèle de la fabrication natio-1

nale de matériel roulant.

TABLEAU 6 Évolution du réseau national de chemins de fer.

Année

18751885 "1895 <•19051915

Longueur totaledes lignesexploitées

km

62270

9552 5629268

Année

1925

1935194519551962

Longueur totaledes lignesexploitées

km

12 59317 13819 6202009320 516

Source. « Land transportation and communications », History of the develop-ment of modem industry in Japon, vol. XXIV, 1965, tableau statistique,p. 16-17. Research institute for the history of modem industrial developmentin Japan.

a Les chiffres pour 1885 et 1895 ne comprennent pas Hokkaido.

En même temps que les services postaux, les télécommuni-cations se développèrent rapidement et, en 1885, les grandeslignes interurbaines étaient pour la plupart déjà en service,surtout pour les besoins d'ordre administratif et militaire. Letéléphone fut introduit au Japon très peu de temps après soninvention par Bell en 1876. Toutefois, en raison d'un long débatsur la question de savoir si les télécommunications devaientêtre confiées à une administration civile, c'est seulement en 1890que le téléphone cessa d'être réservé à l'armée.

Tandis que la technologie des transports et télécommunica-tions était ainsi importée au Japon peu de temps après sa miseau point à l'étranger, la technologie industrielle proprement japo-

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40 Le développement de la technologieindustrielle au Japon

naise commença à sortir de son état de dépendance totale vis-à-vis de la technologie étrangère. L'industrie nationale pouvait,dans les limites où les ressources du pays le lui permettaient,conquérir son indépendance technologique de deux façons ; ellepouvait : a) se procurer davantage de moyens d'utiliser certainsprocessus industriels (techniciens, matières premières, produitsouvrés et techniques opératoires) ; ou b) faire appel à des techni-ciens japonais pour construire des machines et des installations.En fait, elle eut recours aux deux méthodes à la fois. Cependant,elle ne parvint pas et n'essaya pas vraiment de parvenir à cetteindépendance scientifique qui est la base de la technologieindustrielle moderne. Si elle réussit dans certains secteurs àélaborer une technologie indépendante, celle-ci ne trouva quepeu d'applications pratiques, surtout en raison du temps quis'écoula avant que les marchés japonais prissent une certaineampleur.

La technologie industrielle au débutdu XXe siècle

A la fin du xixe siècle, la technologie occidentale avait commencéà s'implanter au Japon. Mais l'interruption temporaire de sonimportation et l'élargissement des marchés ouverts aux produitsjaponais, au cours de la première guerre mondiale, donnèrentaux dirigeants de l'industrie japonaise une plus vive conscience dela nécessité d'élaborer une technologie indépendante, et stimu-lèrent en même temps l'accumulation de capitaux.

Heureusement, il existait déjà au Japon un embryon detechnologie industrielle indépendante, et la guerre russo-japo-naise de 1904-1905 avait notablement contribué à sa croissance.Voici quelques-unes des inventions et découvertes sur lesquelleselle se fondait :

1901 Découverte de l'adrénaline par Jokichi Takamine.1905 Publication d'un article d'Ariya Iguchi sur une pompe

centriguge qui devait être commercialisée en 1914.1906 Production d'un tour revolver.

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Le développement de la technologie 41industrielle au Japon

1907 Sakichi Toyata demande un brevet d'invention pourmétier à tisser mécanique.

1908 Début de la production industrielle d'azote à partir del'air.

1909 Production de takadiastase par Takamine.1910 Invention d'une batteuse à batteur rotatif.1910 Découverte de l'oryzanine par Umetaro Suzuki.1911 Achèvement de la centrale thermique d'Ujigawa

(12 000 kW).1912 Essai réussi de fabrication d'une chaudière tubulaire

du type Takuma.

Des machine figurant sur cette liste, une seule, la pompe centri-fuge, reposait entièrement sur la technologie japonaise. Cepen-dant, le métier à tisser mécanique et la chaudière tubulairecontribuèrent à modérer l'importation de produits étrangers,et la production industrielle de l'azote à partir de l'air devaitmarquer un tournant décisif dans l'histoire de l'industrie chimi-que japonaise.

L'un des traits essentiels du développement technologiquedu Japon pendant les années qui suivirent immédiatement 1910fut l'interaction — génératrice d'une stimulation réciproque —des diverses branches de la technologie industrielle. C'est ainsique la technologie des armements et, notamment, la constructionde navires de guerre suscitèrent une expansion générale des cons-tructions navales; l'abondance de l'offre d'acier permit la miseen chantier de navires de fort tonnage, ce qui, en retour, accélérale progrès technologique dans le domaine des machines-outilset des moteurs. De même, la production, en 1909, de cyanamidecalcique ne put être industrialisée que grâce aux ressourcesd'énergie hydro-électrique; la technologie de la productiond'énergie électrique s'introduisit en effet au Japon avant quel'emploi de machines à vapeur y fût largement répandu. C'estce qui explique que les usines s'y soient électrifiées à une cadencerelativement rapide dès les premières années du XXe siècle.

Vers 1915 commencèrent à se constituer progressivementles bases technologiques de l'industrie lourde, qui avait pris un

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42 Le développement de la technologieindustrielle au Japon

certain retard. Des travaux originaux sur la planification desconstructions navales et l'élaboration d'une technologie indé-pendante pour la fabrication des machines devaient aboutir, aucours des années vingt, à la construction d'un super-cuirassé.

En raison de la crise économique et du désarmement navalinternational qui marquèrent cette décennie, les constructionsnavales connurent une période de stagnation; cela ne les empêchapourtant pas de réaliser d'importants progrès, comme l'adoptionde la soudure électrique et la construction de navires à moteursDiesel pour le transport de passagers.

Les progrès réalisés, pendant la deuxième décennie dusiècle, dans l'industrie lourde et les industries chimiques résul-tèrent de ceux qu'avait faits la technologie de la chimie indus-trielle, indirectement stimulée par la première guerre mondiale(les pays d'Europe occidentale s'étant alors retirés des marchésasiatiques). Divers succès méritent ici une mention particulière :

1915 Début de la production de la soude par électrolyse.1915 Début de la production de la bakélite.1916 Production commerciale de filés de rayonne de viscose.1917 Fabrication industrielle de soude à l'ammoniac.1919 Début de la production de verre plat.

Ces progrès technologiques indépendants furent favorisés parla politique du gouvernement, qui, soucieux d'encouragerl'industrie chimique, créa, par exemple, en 1914, un laboratoirede recherches scientifiques et un laboratoire expérimental pourla production de soude (l'un et l'autre administrés par un Conseildes recherches de chimie industrielle relevant du Ministère del'industrie et du commerce) et prit des mesures législatives enfaveur de l'industrie des colorants et de l'industrie pharmaceu-tique. Mais le gouvernement ne fut pas seul à s'efforcer d'ac-croître les moyens de recherche dont disposait l'industrie; lesentreprises privées commencèrent également vers la mêmeépoque à intensifier leurs travaux de recherche.

Le développement des divers secteurs industriels exigeaitun vaste effort d'électrification qui stimula lui-même les progrèstechnologiques de la production et de la distribution d'énergie

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Le développement de la technologie 43industrielle au Japon

électrique. Diverses centrales thermiques, d'une capacité globalede plus de 50 000 kW, se construisirent pendant les années vingt.A la différence des centrales hydro-électriques, situées dans lesrégions montagneuses, ces centrales thermiques s'installèrentà proximité des quatre principaux centres industriels, ce quidevait avoir ultérieurement de profondes répercussions sur l'im-plantation et l'activité des industries consommatrices d'énergie.

Stimulées par le développement technologique des industrieschimiques et électriques, les mines, les filatures et les tissages,qui avaient joué jusqu'en 1910 un rôle de premier plan, conti-nuèrent à progresser régulièrement. Toutefois, l'industrie auto-mobile et celle des machines-outils n'étaient pas encore dans lemouvement. Dans l'ensemble, les progrès étaient d'autant plusinégaux, d'un secteur à un autre, que la technologie se perfec-tionnait moins vite dans les industries qui fabriquaient enpetites quantités une large gamme de produits que dans cellesqui fabriquaient en grandes quantités un petit nombre deproduits. En d'autres termes, la production de masse avaitfait son apparition, mais elle n'avait pas encore pénétré tous lessecteurs industriels.

Le développement technologique dans les annéesqui précédèrent la seconde guerre mondiale

La période comprise entre la fin des années vingt et celle desannées trente fut fortement marquée par l'orientation de l'indus-trie vers la guerre; la technologie s'affranchit progressivementdes idées étrangères et se diversifia de plus en plus. Au coursde cette période, l'indépendance technologique, déjà atteintedans l'industrie lourde et l'industrie chimique (y compris l'auto-mobile, les machines-outils et les métaux légers), s'étendit àl'ensemble de la technologie industrielle. Des recherchesd'origine japonaise permirent d'importantes réalisations techno-logiques dont voici quelques exemples :

1926 Invention de l'antenne Yagi.1927 Début des recherches sur la synthèse du carbure de

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44 Le développement de la technologieindustrielle au Japon

calcium et de l'acétylène et mise au point d'un procédéfondé sur une technologie purement nationale.

1928 Construction d'un appareil de phototélégraphie.1929 Mise au point d'un moteur Diesel de grande puissance

pour navires de fort tonnage.1931 Production de sulfate d'ammonium par un procédé

nouveau.1932 Invention d'un alliage magnétique et production com-

merciale de cet alliage.1934 Mise au point d'un procédé de chromatage.1936 Invention d'un extra-super-duralumin.

L'orientation fortement militaire de l'industrie à cette époquen'alla pas sans incohérences. La technologie mise au pointpour les besoins des industries de guerre n'était applicableà d'autres secteurs que dans une mesure restreinte. Il est vraique la primauté accordée à la production nationale contribua àfreiner l'afflux de produits étrangers; mais elle ne créa pas unclimat favorable à l'élaboration d'une technologie originale expor-table dans d'autres pays. En outre, les encouragements donnés àcertaines branches de la technologie qui intéressaient les indus-tries de guerre s'accompagnèrent d'une certaine tendance ànégliger le développement des techniques utiles aux seules indus-tries du temps de paix. En raison de ce déséquilibre technolo-gique entre les divers secteurs de l'industrie, il est souventarrivé que les résultats de recherches scientifiques ne trouventleur application dans l'industrie qu'au bout de plusieurs années.Ce fut le cas de la télévision. En 1937, un groupe d'hommesde science japonais essaya un système de télévision destiné auxJeux olympiques, qui devaient avoir lieu à Tokyo en 1940; maisle déclenchement de la seconde guerre mondiale obligea à sus-pendre la réalisation de ce projet.

Pour essayer de systématiser les recherches menées par leshommes de science et les ingénieurs à titre privé et de coordonnerl'administration de la science et de la technologie, on créa en1941 un Office de technologie. Mais les efforts de cet officefurent continuellement contrariés par l'ingérence de l'armée, qui

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Le développement de la technologie 45industrielle au Japon

insista pour que l'office concentrât ses efforts sur un programmede recherches scientifiques et technologiques concernant l'avia-tion. La direction des divers instituts nouvellement créés sousl'autorité de l'office fut confiée à des militaires, et la liberté derecherche des hommes de science et des ingénieurs fut consi-dérablement restreinte. Ces exemples illustrent les effets fâcheuxque peut avoir la militarisation de l'industrie.

Le redressement technologique après 1950

L'accroissement de la demande de produits japonais pendantle conflit coréen permit à l'industrie japonaise, ruinée par ladeuxième guerre mondiale, de se rétablir; et, vers 1955, saproduction dépassait le niveau d'avant-guerre.

Ce redressement a été possible grâce à l'expansion decertaines industries de base (comme la sidérurgie, l'énergie élec-trique, les constructions navales, la production de sulfate d'am-monium) qui avaient, au début des années cinquante, complète-ment modernisé leurs moyens de production; il a été ensuiteconsolidé par l'apparition d'industries nouvelles (comme cellesdes produits chimiques de synthèse, de la pétrochimie, desappareils ménagers électriques et du matériel de transport),qui dépendaient à maints égards d'industries plus anciennes. Onrationalisa les industries de base en modernisant dans la sidérur-gie les techniques de laminage, en construisant de puissantescentrales thermiques plutôt que des usines hydro-électriques,et en utilisant comme combustible le pétrole au lieu ducharbon.

Les progrès réalisés par les ingénieurs japonais, depuis 1955,dans le domaine des semi-conducteurs ont abouti à la productionen grande série de transistors et de diodes, ce qui a permis àl'industrie de fournir de grandes quantités de matériel électro-nique. Grâce aux progrès techniques réalisés dans la fabricationdes ordinateurs, des appareils de mesure et des compteursindustriels, la production d'appareils électroniques de commandedes machines et des installations a augmenté rapidement. Cer-

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46 Le développement de la technologieindustrielle au Japon

tains fabricants s'occupent activement de développer la produc-tion nationale d'ordinateurs électroniques.

L'industrie automobile s'est mise, après 1950, à construiredes voitures particulières en grande série; sa production aaugmenté d'année en année et n'est dépassée, à l'heure actuelle,que par celle des États-Unis. Toutes ces réalisations reposentsur la politique gouvernementale de promotion de l'industrienationale. En même temps, l'importation de techniques étran-gères continue d'être vivement encouragée, et ces techniquessont employées dans tous les secteurs de l'industrie. Le tableau 7montre que les dépenses consacrées à l'importation de procédéstechnologiques ont été cinq fois plus élevées en 1965 qu'en 1956.

TABLEAU 7 Balance des paiements afférents à la cessionde procédés technologiques.

1956195719581959i96019611962196319641965

Paiements (A) Recettes (B)

en centaines120,0153,5172,2222,7314,6416,4413,9487,4557,2596,3

Source. PLANNING BUREAU, SCIENCE ANDof science and technology, p . 265, 1967.

de millions de1,00,6

2,43,o8,1

10,217,219,828,546,2

TECHNOLOGY

B—1— X 100

Ayen

0,8

0,41,41,32,42,54,2

4,15,27,8

AGENCY, Summary

Le tableau 7 montre le grand rôle qu'ont joué, dans leredressement technologique du Japon, les importations d'ordretechnologique. Il faut cependant reconnaître que ces importa-tions, si fortes que soient les sommes qu'on y consacre, nesuffisent pas à elles seules à assurer le progrès technologique.Il est évident que de solides bases technologiques sont nécessairespour qu'une industrie puisse assimiler la technologie importéeet pour que celle-ci puisse prendre racine dans le pays. En même

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Le développement de la technologie 47industrielle au Japon

temps que ces importations s'intensifiaient, les exportationsde technologie japonaises ont progressé de façon modeste maisrégulière. Les organismes d'État chargés de promouvoir latechnologie scientifique et les directions d'entreprises privéess'efforcent sans relâche de parvenir à une véritable indépendancetechnologique, afin que le pays soit en mesure de faire face àtoute situation qui pourrait résulter de la « libéralisation » pro-chaine de la technologie sur le plan international.

Évaluation quantitative du développementde la technologie industrielle

Ce bref exposé de l'histoire de la technologie industrielle auJapon doit être maintenant complété par une étude quantitative.

En ce qui concerne l'importante question des brevets,il faut noter qu'au début du XXe siècle, les étrangers étaientbien plus nombreux que les Japonais à prendre des brevets;mais, depuis la seconde guerre mondiale, cet écart tend à seréduire.

Nous avons déjà souligné combien l'industrie japonaise a ététributaire d'une technologie importée. Les tableaux 8, 9 et 10présentent cette situation en termes quantitatifs.

Le tableau 8 indique les dates auxquelles les divers progrèstechnologiques de caractère scientifique ont été initialementintroduits au Japon ou y ont été mis au point indépendamment.En l'absence d'une classification normalisée applicable à lascience et à la technologie, et pour éviter d'avoir à donner tropd'explications, nous avons délibérément omis certaines catégories,de sorte que le tableau en question est incomplet; aucun grandsecteur industriel n'a toutefois été laissé de côté. Sur les 417 inno-vations technologiques mentionnées dans ce tableau, 67 seulement(16 %) sont attribuées à des inventeurs japonais, ce qui confirmeà quel point l'industrie japonaise est tributaire de la technologieimportée. D'autre part, les techniques applicables à l'industriequi ont été mises au point par des Japonais concernent, dansprès de la moitié des cas, l'industrie chimique.

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52 Le développement de la technologieindustrielle au Japon

Le tableau 9 montre le temps qui s'est écoulé entrel'invention ou la mise au point initiale d'une technique étrangèredonnée et son introduction au Japon. Une sur quatre environ(25 %) des techniques scientifiques introduites au Japon y a étéimportée dans les dix ans qui ont suivi son invention ou sa miseau point initiale. Dans les transports, les communications et laproduction d'énergie, l'indice correspondant est de 36 %; c'estdans ces domaines que les techniques étrangères ont été impor-tées le plus rapidement. En ce qui concerne la métallurgie,les mines et la mécanique, les délais ont été plus longs.

La question qui se pose ensuite est celle du temps qui s'estécoulé entre l'importation d'une innovation technologiquedonnée et son application dans l'industrie. Le tableau 10montre que, parmi les 251 innovations technologiques étran-gères importées par le Japon, 75 % ont immédiatement trouvéune application pratique. Après la seconde guerre mondiale,presque toute la technologie étrangère importée a été aussitôtutilisée dans l'industrie, tandis qu'au XIXe siècle la propor-tion correspondante était faible, environ 26 % des innovationsimportées à cette époque ayant mis plus de dix ans à trouverune application industrielle. Ces chiffres montrent qu'au coursdes années, les bases technologiques permettant d'accueillir denouveaux procédés techniques se sont systématiquement renfor-cées.

Notice bibliographique

Toshio YAMAZAKI. Gijutsu-shi [Histoire de la technologie]. Tokyo,Nihon Gendai-shi Daikei, Ninon Keizai Shinpo-sha, 1961.

Yoshio HOSHINO. Gendai Nihon Gijutsu-shi Gaisetsu [Aperçu de l'his-toire technologique du Japon]. Tokyo, Dai-Nippon Tosho Co.,Ltd., 1956.

Nitutomo YUASA. Gendai Kagaku-shi Nenpyo [Chronologie des tech-niques scientifiques modernes]. Tokyo, Sanichi Shobo, 1961.

SOCIÉTÉ JAPONAISE D'HISTOIRE DE LA SCIENCE. Nihon Kagaku Gijutsu-shi Daikei. Tokyo, Daiichi Hoki Shupan Co., Ltd., 1964.

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La politique nationale à l'égarddu développement technologique

Le nouveau gouvernement formé après la restauration Meiji(1868) se trouva devant une situation qui exigeait des mesuresrapides de centralisation administrative, de stimulation écono-mique et de défense nationale; or, pour appliquer une tellepolitique, il fallait que le Japon fût doté d'une industrie moderneen matière d'armement et de construction (mécanique ou autre).Les mesures décidées par le nouveau gouvernement visaientà parer à ces besoins urgents, et le slogan « accroissement de laproduction et promotion de l'industrie » devint le thème principalde la politique économique nationale. Le gouvernement recon-nut, dès le début de l'ère Meiji, la nécessité de veiller attentive-ment à la direction et à la protection des industries et il accorda,ce faisant, une importance particulière aux entreprises d'État.C'est lui-même qui prit l'initiative d'introduire au Japon la tech-nologie des pays avancés d'Occident, et il s'occupa activementd'implanter et de soutenir des industries nouvelles, jetant ainsiles bases des progrès ultérieurs de la technologie et de l'industrie.

Au cours des années ultérieures, le développement de latechnologie se poursuivit au Japon dans le cadre de cette politiquegouvernementale protectionniste, visant constamment à exercersur l'évolution de l'industrie et de la technologie l'influence laplus favorable. L'urgente nécessité d'atteindre et même dedépasser le niveau technologique des pays industrialisés ne futpas un instant perdue de vue. Vers 1940, les mesures prises parle gouvernement en faveur du développement industriel for-maient un ensemble cohérent et complet au sein duquel lapolitique de développement scientifique et technologique devait,

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54 La politique nationale à l'égarddu développement technologique

dès 1950, se faire une place bien à elle et jouer un rôlefondamental.

En même temps, on a assisté à un regroupement et à uneexpansion continue des instituts de recherche, dont l'origineremonte aux centres expérimentaux créés par l'État audébut de l'ère Meiji ainsi qu'au réseau moderne d'établis-sements scolaires et universitaires issu de la réforme del'enseignement de 1872. Ces instituts furent d'une grande utiliténon seulement pour la recherche mais aussi pour la formationd'ingénieurs et de techniciens. D'autre part, les progrès de latechnologie industrielle contribuèrent énormément à accélérer lacroissance économique au cours des années qui suivirent laseconde guerre mondiale; et ces progrès furent multiples, grâceà la politique d'importation de technologies étrangères poursui-vie en vertu de la loi de 1950 sur les investissements decapitaux étrangers.

On peut donc affirmer sans crainte que le développement dela technologie a été au Japon le résultat d'une politique nationaleaux aspects multiples : politique industrielle, mesures en faveurde la science et de la technologie, soutien de la recherche dansdivers domaines, incitations à importer des technologies étran-gères. Ce sont ces divers aspects que nous allons examiner tourà tour.

Politique industrielle

Accroissement de la production et promotion de l'industrie

Le gouvernement Meiji reconnut que l'accroissement de laproduction et la promotion de l'industrie étaient indispensablesà l'établissement des bases économiques solides qu'exige l'édifica-tion d'un État moderne. Les mesures qu'il prit tendaient, pourcommencer, à freiner les importations et dans une moindremesure, à stimuler les exportations. L'ouverture du pays aucommerce international avait provoqué sur le marché intérieurun afflux de produits étrangers qui mettait en difficulté diverses

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La politique nationale à l'égard 55du développement technologique

industries nationales (notamment celle du coton) et créait undéficit chronique de la balance des paiements internationaux.

Pour renverser cette tendance, il était indispensabled'implanter des industries modernes. Or, étant donné la pénuriede capitaux privés, cela ne pouvait se faire qu'au moyen d'inves-tissements directs de l'État, lequel souhaitait d'ailleurs inciterle secteur privé à suivre son exemple. Il investit donc directementdes capitaux dans ses propres usines, dans la construction devoies ferrées, l'exploitation de mines et l'organisation de centresexpérimentaux.

Le Ministère de la technologie industrielle, créé en 1870,reçut mission de stimuler le développement de nombreusesindustries et d'assurer la gestion des mines, des chemins de feret des communications; au cours des quinze années suivantes,il exploita les manufactures et les mines qui appartenaientà l'État, souvent par suite de l'expropriation des anciens shogunsTokugawa et des seigneurs féodaux. Entre 1870 et 1885, prèsde 30 millions de yen au total furent alloués au ministère pourfinancer ces opérations. Dans l'industrie textile, l'État prit desmesures particulièrement énergiques répondant à sa politique dedéveloppement de la production intérieure. Les filaturesTomioka, par exemple, furent créées par lui en 1872; elles furentéquipées de métiers à filer fabriqués en France et leur fonc-tionnement fut calqué sur celui des filatures de ce pays. L'Étatimporta également des métiers à filer de fabrication anglaise etinstalla des filatures dans diverses localités.

Tout en s'occupant de la promotion de ces industriesmodernes, l'État s'efforça résolument de rénover l'agriculture.C'est ainsi qu'il créa un centre expérimental agricole à NaitoShinjuku en 1872 et un centre de sélection des semences àMita en 1877, et qu'il acheta des machines agricoles, dessemences et des plants aux États-Unis; en même temps, ils'efforçait d'accroître la superficie des cultures en encourageantle défrichage et l'exploitation de l'arrière-pays.

Dans le domaine des transports et des communications,le gouvernement Meiji fit construire des voies ferrées, desgrandes routes et des ports; pour financer ces travaux, il lança

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56 La politique nationale à l'égarddu développement technologique

la première initiative de ce genre dans l'histoire du Japon : unemprunt de 12,5 millions de yen. Il créa aussi en 1870 unecompagnie nationale de transports maritimes, et même après qu'ileut revendu sa flotte marchande à la compagnie Mitsubishi,il continua à prodiguer ses encouragements à cette entrepriseprivée, lui accordant d'importantes subventions.

Par la suite, toutes les affaires commerciales de l'État —manufactures, mines ou autres entreprises industrielles — furentcédées au secteur privé. Cette dénationalisation des entreprisesd'État devait avoir des incidences considérables sur le développe-ment de l'industrie et de la technologie modernes au Japon.

Le patronage accordé par l'État aux foires et expositionsindustrielles a été un élément important de sa politique d'accrois-sement de la production et de promotion de l'industrie. C'est laparticipation du Japon à l'Exposition universelle de Vienneen 1873, après la restauration Meiji, qui inaugura cette série demanifestations. La création du Ministère de l'agriculture etdu commerce, en 1881, stimula la diffusion des connaissancesscientifiques et technologiques par le biais de foires industrielles,d'expositions, de coopératives et d'un enseignement donné pardes moniteurs itinérants.

Le gouvernement Meiji parvint ainsi, par l'exemple de sespropres activités, à introduire au Japon des industries et destechnologies étrangères. Même si ses réalisations ne furent pastoujours à la mesure de ses ambitions, il n'en joua pas moins unun rôle important dans la modernisation des industries dusecteur privé et de la technologie.

Protection de l'industrie

Afin de financer son déficit budgétaire et de pouvoir mettrerapidement en œuvre les mesures d'accroissement de la produc-tion et de promotion des industries, le gouvernement Meiji necessait d'émettre de la monnaie; comme, de leur côté, les banquesnationales faisaient dans tout le pays des émissions de billets,une grave spirale inflationniste ne tarda pas à s'amorcer. A partirde 1878, la différence de valeur entre le numéraire d'argent et

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le papier monnaie ne cessa de s'accentuer; les prix et les tauxd'intérêts montèrent; et la conjonction de tous ces facteursalourdit les charges financières de l'État. Malgré tous leursefforts, les entreprises commerciales créées ou gérées par l'Étatne purent éviter un déficit; les pertes enregistrées par les diversesentreprises d'État au cours de la période 1877-1885 atteignirentofficiellement un montant de 14,86 millions de yen.

C'est dans ces circonstances que l'État décida de réorganiserle système monétaire et de se débarrasser de ses entreprisescommerciales et l'on peut voir là un premier tournant de sapolitique d'accroissement de la production et de promotion del'industrie. Au cours de la période qui correspond à la cessiondes entreprises d'État, le secteur privé acquit la solidité et ledynamisme qui lui permirent de prendre en main la gestion desmines et des entreprises nouvellement dénationalisées. Peu detemps après, le Ministère de la technologie industrielle futsupprimé et ses services furent transférés au Ministère de l'agri-culture et du commerce.

Cependant, la cession des entreprises d'État ne signifiaitpas que le gouvernement renonçât à sa politique d'accroissementde la production et de promotion de l'industrie; bien au contraire,cette politique fut poursuivie contre vents et marées. C'estainsi que l'État, même après le transfert de ses entreprises ausecteur privé, reconnut leur besoin de protection, et ne cessade veiller sur elles. Mais à mesure que ces entreprises devenaientmieux assises, l'État limita son intervention dans leur gestionet, après 1897, adopta un genre de protectionnisme moins directet plus moderne. Vers le début des années 1890, plusieurs indus-tries, notamment les filatures, étaient déjà entièrement financéespar des capitaux privés.

Après la guerre sino-japonaise (1894-1895), les industriesjaponaises connurent un développement remarquable et, dansles années qui précédèrent la guerre russo-japonaise (1904-1905),l'ancien slogan «accroissement de la production et promotionde l'industrie » fit place à la « gestion d'après-guerre », quienglobait tous les aspects de la politique nationale. Ce nouveauprincipe impliquait un armement accéléré, le développement de

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58 La politique nationale à l'égarddu développement technologique

l'enseignement, et une politique industrielle très précise, con-crétisée notamment par la série d'usines de guerre qui firentleur apparition après la guerre sino-japonaise. Ces besoins crois-sants d'armements suscitèrent une forte demande de matérielstratégique de toute sorte, y compris le matériel roulant et lesnavires de transport. Toutefois, ayant décidé que la créationd'industries lourdes à la mesure d'une si forte demande nepouvait pas, et ne devait pas, être financée par des capitauxprivés, l'État entreprit de nouveaux investissements, cette foisdans le secteur des industries lourdes, en acquérant et gérantlui-même de nouvelles entreprises. Les fonderies Yamata,créées par décret en 1896 et construites par l'État en 1901,fournissent un exemple typique de cette politique industrielle.

L'intervention directe de l'État se limitait alors aux indus-tries lourdes d'intérêt stratégique, comme les fonderies et lesfabriques d'armement; les secteurs industriels qui avaient faitleur apparition entre-temps grâce à des capitaux privés ne furentpas nationalisés. Désireuses d'une certaine liberté d'action,beaucoup d'industries du secteur privé ne voulaient plus sesoumettre au contrôle rigide dont l'État assortissait ses prêts àlong terme. L'État leur accorda néanmoins sa protection afinde renforcer son pouvoir et d'encourager la production inté-rieure. Il créa, par exemple, divers types d'institutions bancairesqui devaient accorder aux industries du secteur privé des prêtsà long terme très avantageux; pour ce qui est des échangesavec l'étranger, il essaya de favoriser l'essor de l'industrie etla technonologie nationales en instituant en 1911 une barrièredouanière de protection. La même année, il promulgait une loi,dite « loi sur les usines », qui est considérée comme l'une de sespremières tentatives de législation sociale. Cependant, commel'accroissement de la production et la protection des industriesavaient toujours priorité, cette loi n'entra en application quecinq ans plus tard. Celles de ses dispositions qui interdisaient letravail nocturne des femmes et des enfants restèrent même ensuspens pendant une quinzaine d'années.

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Rationalisation de l'industrie

La politique du gouvernement Meiji entraîna de profondsbouleversements dans la structure industrielle du Japon. Unpoint décisif fut atteint en 1919 : cette année-là, pour la premièrefois, la production industrielle dépassa la production agricole. Deschangements de structure hâtèrent les progrès du Japon versl'indépendance technologique et consolidèrent, de ce fait, lesbases de ses industries modernes.

Au cours de la première guerre mondiale, lorsque l'introduc-tion des technologies étrangères se trouva brusquement inter-rompue, l'État s'efforça de créer et de réorganiser des laboratoiresde recherche utiles aux industries de transformation; en mêmetemps il examinait avec bienveillance les avis et propositions descientifiques et d'ingénieurs du secteur privé touchant l'ouvertured'instituts de technologie industrielle. Cependant, malgré cetémoignage d'intérêt pour les instituts de recherche, il n'avait pasencore de politique cohérente ni systématique pour le développe-ment de la technologie; jusqu'alors, sa politique à cet égard étaitrestée subordonnée à son action en matière d'enseignement,d'économie ou d'industrialisation, sans avoir d'identité propre.Le gros de l'attention était réservé aux mesures d'ordre industrielet économique visant à donner au capitalisme industriel une basesolide qui lui permît de s'adapter aux changements structurelsde l'industrie.

Dans son effort d'élaboration d'une politique industrielleefficace, l'État fit appel aux ressources intellectuelles des milieuxuniversitaires et du monde des affaires pour constituer diversconseils de recherche spécialisés. Parmi les conseils ou comitéscréés par le Ministère de l'agriculture et du commerce (puispar le Ministère du commerce et de l'industrie), nous citerons leConseil suprême de l'agriculture, du commerce et de l'industrie(1896), le Conseil de recherche sur la production (1910), leConseil de recherche sur l'économie (1916), le Conseil nationaltemporaire de recherche économique (1918), le Conseil du com-merce et de l'industrie (1927) et le Conseil temporaire del'industrie. Le premier nommé — le Conseil suprême de

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l'agriculture, du commerce et de l'industrie — participa auxdélibérations qui aboutirent à la «loi sur les usines », tandisque le Conseil de recherche sur la production recommandaau gouvernement diverses mesures destinées à développer l'indus-trie.

Ces conseils contribuèrent à donner une réelle efficacité à lapolitique industrielle de l'État; ils traitèrent de questions tellesque la réduction du prix du sel à usage industriel, le développe-ment de la production d'énergie hydro-électrique, la promotionde l'enseignement technique, l'addition aux programmes desécoles supérieures techniques de cours spéciaux sur les indus-tries modernes, l'extension et le renforcement des centres officielsd'expérimentation industrielle, l'encouragement à la fabricationd'outillage, la construction de bâtiments destinés aux expositionsindustrielles, l'encouragement des inventeurs et l'obtention decapitaux pour l'industrie (notamment capitaux étrangers etcrédits à long terme). De même, le Conseil de recherche del'industrie chimique recommanda des mesures d'aide à l'indus-trie de la soude, ainsi que l'octroi de subventions à l'industriede raffinage du goudron et pour le développement de la recherchedans l'industrie électrochimique. Il recommanda égalementd'accorder priorité aux sciences physiques et de créer un labora-toire de recherches chimiques. C'est suivant ses avis que l'Étatcréa en 1917 un laboratoire de recherches de physique et dechimie.

Dans le domaine de l'agriculture, deux problèmes — celui dela situation financière des agriculteurs et celui des cours desproduits agricoles — réclamaient des solutions rapides. La situa-tion conduisit finalement, en 1925, à scinder le Ministère del'agriculture et du commerce en deux ministères : agricultureet sylviculture d'une part, commerce et industrie de l'autre.Ce dernier nomma un Conseil du commerce et de l'industrie,auquel il demanda de proposer des mesures concrètes pourdévelopper ces secteurs. En réponse à cette requête, et sousl'influence du mouvement en ce sens qui se manifestait dansle monde entier, le conseil devint rapidement un grand promoteurd'idées nouvelles pour la rationalisation des industries et fit des

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La politique nationale à l'égard 61du développement technologique

propositions en vue du développement des secteurs clés (fer etacier, soude, teintures, machines-outils, etc.) : il préconisaégalement la rénovation et le renforcement des instituts derecherche, dont il jugeait le rôle essentiel pour le développementde l'industrie. Le Conseil des ressources recommanda égalementcertaines mesures en faveur de la recherche scientifique (1930).

C'est en 1930 aussi que le Conseil temporaire de l'industrieprésenta au gouvernement des recommandations sur la rationali-sation de l'industrie; elles concernaient notamment la directiondes entreprises, la normalisation et la simplification de la nomen-clature des produits, l'encouragement à la consommation deproduits nationaux, l'établissement d'industries clés, l'applicationde méthodes scientifiques à la gestion des affaires, la réorgani-sation et le renforcement des instituts de recherche, la rationali-sation du système de distribution, l'amélioration de la gestiondu secteur primaire ainsi que des méthodes de financementindustriel.

Un système de brevets fut institué pour protéger les indus-triels et pour favoriser le développement de l'industrie; après unpremier temps, l'administration en fut confiée en 1886 auBureau des brevets du Ministère de l'agriculture et du commerce.Cette administration se montra néanmoins moins soucieuse depolitique technologique que de protection juridique de la pro-priété industielle.

Politique scientifique et technologique

Apparition de structures scientifiques et technologiques

Les objetifs à long terme des commissions d'enquête et des diversconseils mentionnés ci-dessus répondaient à une préoccupationcommune : consolider la base industrielle de l'économie japo-naise et favoriser la compétitivité de l'industrie sur les marchésinternationaux. Cependant, les comptes rendus des délibérationsde ces organismes montrent qu'ils s'occupaient plus del'immédiat que de l'avenir éloigné, et se souciaient surtout de

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62 La politique nationale à l'égarddu développement technologique

l'adaptation du pays aux fluctuations de l'économie et de lapolitique.

Au cours de cette période, la politique financière et monétairedu gouvernement connut de brusques changements, qu'accen-tuèrent encore la levée de l'embargo sur l'exportation de l'or en1930 et le rétablissement de cet embargo en 1931. Dans ledomaine politique, la situation intérieure et internationale duJapon subit coup sur coup toute une série de bouleversements,du fait que l'activité politique et économique était quasimentsur un pied de guerre et de plus en plus dominée par les questionsde défense nationale.

L'attention se polarisa d'une part sur la politique de directiondes industries et d'autre part sur une série de mesures visant àmobiliser les ressources nationales dans un dessein d'indépen-dance économique. En outre, il fallait élaborer au plus vite unepolitique technologique qui permît d'accroître la capacité deproduction et d'appliquer les innovations technologiques àl'exploitation des ressources disponibles sur place.

Alors qu'au lendemain de la première guerre mondiale, lestravaux de recherche n'avaient reçu de l'État qu'une aide symbo-lique, la situation devint tout autre lorsque fut promulguée, en1931, la « loi sur la direction des grandes industries », destinéeà accélérer le développement de l'industrie lourde et de l'indus-trie chimique et à affermir les structures industrielles grâceà l'autorité exercée par l'État sur les divers secteurs. Cettenouvelle politique accorda une grande importance au développe-ment de la science et de la technologie, et priorité fut donnéeà diverses mesures propres a accélérer les travaux de recherchedans ces domaines et à assurer la modernisation des aménage-ments et installations d'usines.

En 1938, l'État compléta ces mesures en créant un Comité deplanification, qui entreprit de stimuler l'exploitation des techno-logies scientifiques en établissant un programme de recensementdes chercheurs, des ingénieurs et du personnel auxiliaire desinstituts de recherche et des centres expérimentaux, en élabo-rant des plans pour la répartition du matériel de recherche, et encréant un organisme officiel pour aider le gouvernement à

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La politique nationale à l'égard 63du développement technologique

mobiliser les scientifiques. Le système de recherche scientifiqueet technologique se trouva ainsi placé sur un pied de guerre,comme le voulait la « loi sur la mobilisation générale du personnelde recherche ». Aux termes de cette loi de 1939, l'État pouvaitimposer aux scientifiques et aux ingénieurs les travaux derecherche qu'il jugeait nécessaires.

Réorganisation de l'administration scientifiqueet technologique

A la fin des années trente et au début des années quarantel'administration officielle de la science et de la technologie futsystématiquement renforcée. C'est ainsi qu'en 1941 le Comité deplanification établit un « Programme pour l'institution d'unordre nouveau en matière de science et de technologie». Ceprogramme avait pour objet d'inciter les chercheurs japonaisà opérer des concentrations horizontales dans tous les domainesde la recherche scientifique; il est intéressant par l'importancequ'il attache à la coordination nationale de la recherche scienti-fique et technologique. Au cours de cette période, le Japon,privé de tout accès aux technologies étrangères, fut contraint detravailler, dans tous les secteurs industriels, à l'élaboration d'unetechnologie propre. La promotion de la recherche sous la direc-tion centrale de l'État facilita la mise en valeur du potentieltechnologique et permit aux industries de mieux assimiler plustard les technologies avancées qui furent importées de l'étranger.

Une fois terminée la seconde guerre mondiale, le réseaudes instituts de recherche et l'organisation administrative de lascience et de la technologie, précédemment axés sur l'accroisse-ment du potentiel militaire, furent complètement rénovés etréorganisés, d'une part grâce à une réforme de structure dansle domaine des sciences fondamentales, et d'autre part grâce àune refonte des services administratifs qui s'occupaient destechnologies industrielles. Le Conseil japonais de la science,organisation représentative des milieux scientifiques japonais,fut créé en 1948-1949 sous l'égide du premier ministre. A lamême époque, on forma, au sein du cabinet, un Comité adminis-

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tratif de coordination de la science et de la technique, qui setransforma plus tard (1956) en Office de la science et de latechnologie.

En même temps qu'il procédait à cette réforme des struc-tures scientifiques, l'État élabora une nouvelle politique indus-trielle et créa, pour en préparer la mise en œuvre, un Office de latechnologie industrielle chargé, sur la plan administratif, derenforcer la recherche scientifique apparentée à la technologieindustrielle et d'en diffuser les résultats dans tous les secteursde l'industrie.

Une première réorganisation de l'administration scientifiqueet technique était donc accomplie. Grâce à l'indépendanceéconomique à laquelle il était parvenu, grâce aussi à la nouvellevague d'innovations technologiques qui déferla sur le mondeau lendemain de la seconde guerre mondiale et fut renforcéepar la guerre de Corée, le Japon put se consacrer avec une vigueurrenouvelée à la promotion de la technologie scientifique.

Le projet de recherche et de développement concernantl'énergie atomique, lancé en vertu de la loi-cadre de 1955 surl'énergie atomique et mis en œuvre sous la direction de la Com-mission de l'énergie atomique, fut le premier exemple d'un effortorganisé du gouvernement pour le développement en grandd'une technologique moderne. Le plus récent exemple du mêmeordre a été la création, en 1968, de la Commission du déve-loppement spatial, qui a fait de la recherche spatiale, à côtéde l'énergie atomique, un élément important de l'activitéscientifique nationale.

La politique scientifique et technologique est ainsi devenuepartie intégrante de la politique générale de l'État et a pu exercerune profonde influence sur le développement et la science et dela technologie japonaises.

La figure 4 montre, sous la forme d'un organigramme sché-matique, comment sont administrées les activités scientifiqueset technologiques du Japon.

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La politique nationale à l'égard 67du développement technologique

Politique actuelle en matière de sciences et de technologie

Le Conseil des sciences et de la technologie, créé en 1959, a unrôle consultatif auprès du premier ministre. En. i960, il a publié,sous le titre Options fondamentales pour la promotion des scienceset de la technologie au cours des dix années à venir, un documentqui traitait des questions suivantes : objectifs à assigner audéveloppement des sciences et de la technologie; formation detechniciens, principalement pour venir en aide aux scientifiqueset aux ingénieurs; extension et regroupement des travaux derecherche; développement et réorganisation des services dedocumentation; promotion de la diffusion et des échangesinternationaux de connaissances scientifiques et technologiques;enfin, améliorations à apporter au régime d'imposition età celui des brevets pour stimuler le développement des scienceset de la technologie. La politique envisagée ne se bornait donc pasà des mesures administratives mais embrassait également l'ensei-gnement des sciences et de la technologie. Le Conseil consultatifproposait d'accroître les sommes investies par l'État dans larecherche scientifique et technologique, les faisant passer de0,94 % à 2 % du produit national brut (PNB).

Suivant les recommandations du conseil, le gouvernementprit une série de mesures, telles que l'accroissement du nombredes places disponibles dans les établissements d'enseignementsupérieur scientifique et technologique, grâce à quoi le pourcen-tage d'étudiants en sciences et technologie par rapport au nombretotal d'étudiants inscrits dans l'enseignement supérieur est passéde 25 % en i960 à 30 % en 1966.

Dans un rapport ultérieur, intitulé Remarques sur les principesgénéraux et fondamentaux du développement des sciences et de latechnologie et publié en 1966, le conseil recommandait de porterà 2,5, pour 1970, le pourcentage du PNB investi dans la rechercheet indiquait par la même occasion un certain nombre de sujets derecherche prioritaires, dont 13 concernaient le développement dela science, 102 le développement économique et social, et 6 larecherche internationale.

Il est évident qu'une politique large et bien équilibrée s'im-

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pose si l'on veut assurer aux sciences et à la technologie l'aidedont elles ont besoin pour que le Japon puisse maintenir la posi-tion de son industrie face à la concurrence internationale. L'aidede l'État — qu'il s'agisse d'une participation directe à l'activitéscientifique et technologique, d'une participation indirecte parvoie de subventions et autres genres d'assistance, ou d'un travailde coordination générale — demeure nécessaire; car le Japonn'a encore qu'une assez courte expérience du développementtechnologique à grande échelle. Les grandes fonctions qui incom-bent actuellement à l'État comprennent le regroupement desactivités qui visent à stimuler les échanges d'informations scien-tifiques et technologiques, la formation et le recrutement de main-d'œuvre qualifiée, ainsi que la commande de certains projets.L'État encourage également les recherches en commun par diversmoyens : octroi de crédits pour le développement technologique,formation de sociétés de recherche, avantages fiscaux et encoura-gements donnés à l'application industrielle des derniers progrèsde la technologie. Le rôle qu'il joue en assurant une coordinationimpartiale entre les divers groupes de recherche est important;car il permet d'éviter les chevauchements, d'accroître l'efficacitédes travaux de recherche et d'assurer l'utilisation effective desressources.

Pour parer aux énormes besoins financiers et administratifsdes projets dits « nationaux » ou « à grande échelle » — commeexemples des premiers on peut citer les projets méga-scienti-fiques concernant l'énergie atomique et le développement spatial;comme exemples des seconds les innovations technologiquesrelatives aux ordinateurs électroniques et à la productionmagnéto-hydrodynamique d'énergie électrique — ces activitésont été prises en charge par l'État en 1966. Les principauxobjectifs de la politique officielle à l'égard des sciences et de latechnologie sont à présent l'obtention de fonds pour ces projetsde développement et l'établissement d'une coopération métho-dique entre les diverses branches de la science et de la tech-nologie.

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La politique nationale à l'égard 69du développement technologique

Politique à l'égard des importations de technologies étrangères

S'il nous fallait distinguer comme particulièrement intéressantun aspect particulier de la politique du Japon en matière desciences et de technologie, c'est la politique d'introduction detechnologies étrangères que nous retiendrions. Le progrès desindustries modernes au cours du siècle qui s'est écoulé depuis larestauration Meiji et plus particulièrement le taux élevé de crois-sance économique enregistré depuis la seconde guerre mondialesont dus principalement aux installations modernes que l'intro-duction des technologies étrangères a permis de mettre en place.

Les technologies étrangères ont pu pénétrer de nouveau auJapon à partir de 1950 grâce à la promulgation de deux lois, l'unesur l'importation de capitaux étrangers et l'autre sur le contrôledes changes et du commerce avec l'étranger. Ces lois visaientà faciliter la reconstitution de l'économie japonaise durementéprouvée par la guerre en encourageant les investissements decapitaux étrangers; pour plus de sécurité, elles stipulaient quede tels investissements étrangers devraient contribuer à équilibrerla balance internationale des paiements et qu'en vertu de sa poli-tique en matière de changes, le gouvernement aurait un droitde regard sur ces investissements. Paradoxalement, cet aspectrestrictif contribua, en fin de compte, à attirer les capitaux étran-gers, et l'opération se solda par une importation sélective detechnologies étrangères dont l'intérêt justifiait pleinement le coûten sorties de devises. Le Japon reçut d'ailleurs, à partir de 1957,des sommes considérables pour ses exportation de technologie.

Les technologies importées concernent, pour les quatrecinquièmes environ, les industries mécaniques et chimiques.Grâce à elles, la production de ces secteurs a augmenté de façonremarquable au cours des années 1955-1960. En i960, la valeurde la production dérivée des technologies importées et allouéeà la consommation intérieure égalait celle des importations,calculée d'après les statistiques douanières. En revanche, lesexportations de biens produits grâce à des technologies importéesrestaient à un niveau assez bas, malgré leur croissance régulière.En fin de compte, cela signifie que les technologies importées

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70 La politique nationale à l'égarddu développement technologique

ont servi à réduire les importations plutôt qu'à accroître directe-ment les exportations. Qui plus est, les ventes de produits dérivésdirectement des technologies importées représentaient au total,au début de 1970, plus de 30 % des ventes de l'ensemble desindustries japonaises, et quelque 20% des nouveaux produits ettechniques élaborés entre 1957 et 1961 l'ont été grâce à destechnologies importées. Depuis 1965, en outre, les technologiesétrangères ont de plus en plus contribué à la production d'instal-lations, de matériel et de biens de consommation destinés àl'exportation.

Tandis qu'en 1955 plus de 50 % des technologies importéesavaient été élaborées avant ou pendant la seconde guerre mon-diale, au cours des années soixante la majeure partie de cestechnologies dataient de l'après-guerre; les processus industrielsutilisés au Japon sont donc en train de rattraper ceux des paysavancés d'Occident.

Si l'importation de technologies étrangères perfectionnéesa permis d'éviter, dans le passé, les risques et incertitudes quecomporte l'élaboration d'une technologie originale, et si ellea été un moyen rapide et efficace d'élever le niveau technologiquedes industries japonaises, à présent que la technologie japonaiseest effectivement de classe internationale, l'importation detechnologies étrangères ne se justifie plus que dans quelquescas bien précis. Par ailleurs, des pressions s'exercent actuellementsur le Japon pour qu'il s'ouvre complètement au commerceinternational, et les diverses restrictions qui freinent encorela libre circulation de la technologie devront sans doute êtreassouplies en attendant d'être entièrement abrogées.

Politique de promotion de la recherche

Premières structures administratives de la recherchescientifique et technologique

Pendant l'ère Meiji, des offices de recherche scientifique ettechnologique furent systématiquement organisés dans le cadredes administrations correspondantes de l'État; c'est seulement

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La politique nationale à l'égard 71du développement technologique

un peu plus tard qu'apparurent des organisations privées derecherche scientifique et technologique.

Lorsque le Ministère de l'industrie fut supprimé en 1885, lesinstitutions scientifiques et technologiques furent rattachées àdivers autres ministères nouvellement créés; le Bureau de statis-tique, par exemple, fut rattaché directement au Conseil desministres, l'Université impériale et l'Académie de Tokyo auMinistère de l'éducation, et le Bureau de la santé publique auMinistère de l'intérieur. Les tentatives de refonte des relationsentre les divers offices, scindés ou regroupés, n'allèrent pas sansdifficultés, et les imperfections de la structure administrativeeurent des effets fâcheux dont on ne s'aperçut que plus tard;il faut noter pourtant que cette structure administrative futmodifiée au cours de la deuxième moitié du xixe siècle de manièreà regrouper sous l'autorité des administrations compétentesla recherche scientifique et technologique et l'éducation. Cepen-dant, avant même ces modifications, un certain nombre demesures avaient été prises à l'égard des activités scientifiqueset technologiques pour répondre aux exigences de la logiqueadministrative. Ainsi, les observations météorologiques furentconfiées à l'Observatoire central de météorologie, créé en 1875,et des cartes météorologiques furent publiées quotidiennementà partir de 1883. L'Imprimerie d'État, créée en 1871, fut moder-nisée en 1881, et sa direction transférée du Ministère des financesau Conseil des ministres; à partir de 1883, elle fit paraître unJournal officiel qui facilita la diffusion dans les milieux intéressésdes textes relatifs à diverses questions administratives. Le Servicede la carte géographique du Japon avait été mis sur pied initiale-ment par le Ministère de l'industrie et celui des affaires militaires ;après la réforme des structures administratives, en 1884, lestravaux de cartographie furent confiés à l'armée.

Enseignement supérieur et recherche au cours du XIXe siècle

Entre 1868 et 1885 environ, le Japon avait dû compter unique-ment sur les étrangers pour son orientation scientifique et univer-sitaire. Presque tous les professeurs des établissements d'ensei-

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gnement supérieur scientifique ou technologique étaient desétrangers invités et employés par les autorités japonaises. Mais,au fil des années, les Japonais qui avaient soit fait des étudesà l'étranger, soit reçu une formation scientifique de professeursétrangers, commencèrent à les remplacer et à professer eux-mêmes de nouveaux cours. Le Conseil de recherches sur lestremblements de terre, créé en 1892 et dont les membres étaienttous japonais, constitue l'un des premiers exemples de cettetendance nouvelle.

L'Université impériale de Tokyo, qui avait été jusqu'alorsun foyer d'études scientifiques, adopta en 1893 le système des« chaires », qui subsiste encore de nos jours dans les universitésd'État, mais que d'aucuns considèrent comme un obstacleaux études interdisciplinaires. Il n'en a pas moins constitué,initialement, un progrès vers la différenciation et la spéciali-sation des études universitaires. En 1886, avant que ce systèmen'entrât en vigueur, l'Université impériale de Tokyo s'étaitdotée d'un Institut de hautes études (cours biennaux) et avaitmis sur pied un système de formation de chercheurs. En 1885,pour la première fois dans l'histoire du Japon, il fut décernévint-cinq doctorats; en en 1896, de nouveaux types de doctoratayant été institués par voie d'amendement à 1' « Ordonnance surles grades universitaires », le nombre des nouveaux docteursatteignit 101.

L'Académie de Tokyo, calquée sur le modèle de la RoyalSociety du Royaume-Uni, fut inaugurée en 1870 et devaitfigurer au premier plan des sociétés savantes; mais elle ne putdevenir du jour au lendemain un centre actif d'échanges intel-lectuels, car les intellectuels japonais ne constituaient pas encoreune communauté. C'est plus tard, vers la fin du xixe siècle,que des sociétés scientifiques spécialisées se créèrent dans diverssecteurs; parmi elles, nous trouvons, dans le secteur techno-logique, la Société japonaise d'architecture (fondée en 1897),l'Association japonaise de l'industrie céramique (1891), l'Asso-ciation de la construction navale (1897), la Société scientifiquejaponaise de mécanique (1897) e t la Société d'industrialisation(1898). C'est le développement de l'enseignement supérieur

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La politique nationale à l'égard 73du développement technologique

qui, en assurant la formation de plus en plus de spécialistes,permit la création de ces sociétés.

Les organismes de recherche à l'époque de l'indépendancetechnologique

Un tournant se dessina, pendant la première guerre mondiale,lorsque les institutions de recherche dépendant des organesadministratifs du gouvernement central firent l'objet d'uneréorganisation systématique visant à promouvoir les travaux descience appliquée et à accélérer le progrès industriel.

Le Laboratoire industriel, qui était, de tous les organismesofficiels de recherche technologique de l'État, celui que le déve-loppement industriel intéressait le plus directement, fut crééaprès instauration du système gouvernemental de 1900; plustard, sur la recommandation du Conseil de recherches sur laproduction (organe consultatif créé en 1910 auprès du Ministèrede l'agriculture et du commerce), on lui confia des études et desmissions officielles d'inspection concernant les processus defabrication. Le Comité de recherche pour la planification de lapromotion des industries mécaniques, créé au cours de lapremière guerre mondiale, ajouta à ces charges l'étude du déve-loppement des industries lourdes et des industries chimiques.

Mesurant la nécessité d'orienter davantage les recherchesvers le développement technologique, afin de compenser l'arrêtdes importations de technologie dû à la guerre, le Ministère del'agriculture et du commerce ne se contenta pas d'élargir lescompétences du Laboratoire industriel, mais créa un certainnombre de nouveaux instituts de recherche industrielle : Labora-toire (temporaire) de recherche sur l'azote (1918), Laboratoireindustriel d'Osaka (1918), Laboratoire de l'industrie textile(1918), Laboratoire de la porcelaine (1919) et Laboratoirecentral du Bureau des monopoles (1920). Au cours de cette mêmepériode, le Ministère des communications créa, en 1916, leCentre d'inspection de l'équipement des navires, et transformason bureau électrotechnique en un organisme autonome, leLaboratoire de recherches électrotechniques. D'autre part, un

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74 La politique nationale à l'égarddu développement technologique

Institut de recherches physico-chimiques fut créé en 1917 grâceà une subvention de l'État et aux contributions d'industriels;mais ses bases financières n'étaient pas des plus solides. Néan-moins, un esprit libéral, espèce que l'on rencontre rarementdans les universités, présida à l'organisation et anima les travauxde cet institut. Celui-ci stimula les échanges entre les diverssecteurs de la recherche et se donna pour principes fondamen-taux de choisir avec soin les projets de recherche prioritairesqui bénéficieraient de subventions et d'accroître l'ampleur detravaux de recherche interdisciplinaire. Beaucoup des étudesqu'il réalisa furent hautement appréciées à l'étranger. Sur le planstrictement technologique, il convient de signaler, parmi lessuccès dont on lui est redevable, le segment de piston de Masa-toshi Ohkochi, le saké (alcool de riz) synthétique d'UmetaroSuzuki, 1' « ultramin » (produit pour la finition des textiles") deYosei Suzuki, et l'acier magnétique de Kotaro Honda. Deuxlauréats japonais du prix Nobel ont appartenu au personnel decet institut.

Mis à part ces offices de recherche, des instituts spécialisés,l'un dans l'aviation et l'autre dans la métallurgie, furent créésvers 1920, le premier à l'Université impériale de Tokyo et lesecond à l'Université impériale de Tohoku. C'est ainsi qu'on envint peu à peu à accorder plus d'importance aux études fonda-mentales. Depuis, l'usage s'est maintenu d'établir des institutsde recherche dans les universités et, en 1968, on comptait environ200 instituts rattachés à des universités nationales.

Soutien financier accordé à la science et à la technologie

Le soutien financier accordé par l'État à la recherche est évidem-ment la condition sine qua non du progrès des activités scienti-fiques et technologiques. Néanmoins, il n'existait au Japon aucunsystème de financement officiel de la recherche avant que leMinistère de l'éducation ne créât, en 1918, le système « des sub-ventions à la science ». L'adoption de ce système ne fut d'ailleursqu'une des mesures prises pendant ou après la première guerremondiale pour la promotion de la science et de la technologie.

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La politique nationale à l'égard 75du développement technologique

Le montant annuel de ses subventions avait été initialementfixé à 145 000 yen; mais, par la suite, cette somme fut fortementréduite et, en 1930, elle n'était plus que de 73 000 yen. En 1939,toutefois, on reconnut que des sommes de cet ordre ne suffisaientpas aux besoins des institutions officielles de recherche et l'oncréa un nouveau Fonds de la recherche scientifique, géré parle Ministère de l'éducation; ce fonds disposait à l'origine d'unesomme de 3 millions de yen par an, mais ses disponibilités allaientcentupler en l'espace d'une vingtaine d'années. Le montant del'ancienne « subvention à la science » fut également relevé régu-lièrement, à partir de 1950 environ, et le total de l'aide financières'accrut encore de diverses subventions accordées à des finsparticulières (tel le financement, à partir de 1953, de moyens derecherche dans les universités privées). Enfin, des organismesd'État autres que le Ministère de l'éducation fournirent égale-ment à divers instituts de recherche des sommes importantes,contribuant ainsi même à accroître le montant total de l'aidefinancière dont bénéficièrent la science et la technologie.

Il est impossible de retracer avec exactitude et précisionl'évolution des sommes consacrées à la recherche proprementdite; car ces sommes se confondent souvent, dans les budgets,avec les dépenses administratives normales des instituts derecherche. Les courbes de la figure 5 nous renseignent cependantsur la manière dont elles ont évolué, en gros, dans une demi-douzaine de pays.

En pourcentage, c'est vers 1955 que l'écart entre le Japon etles États-Unis a été le plus grand, les dépenses du Japon nereprésentant alors qu'environ 0,025 % de celles des États-Unis.Au cours des années soixante cet écart a légèrement diminué,les dépenses du Japon atteignant 0,05 % de celles des États-Unis. Les dépenses de recherche des pays européens ont d'ail-leurs suivi au cours de cette période une courbe ascendante plusou moins parallèle à celle des dépenses du Japon.

Le tableau 11 montre que, si le Japon, en 1963, soutenait fortbien la comparaison avec d'autres pays pour ce qui est du pour-centage du PNB consacré à la recherche et du nombre deschercheurs (par rapport à la population), il venait en revanche

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76 La politique nationale à l'égarddu développement technologique

au dernier rang pour ce qui est de la dépense moyenne parchercheur.

Enfin, pour ce qui est de la répartition des dépenses derecherche entre secteur public et secteur privé, le tableau 12met en lumière la part croissante du secteur public, dont lemontant est passé de 30 % du total en i960 à 35 % du totalen 1966. Cependant, la part du secteur public est encore trèsfaible par rapport à ce qu'elle est aux États-Unis ou dans les payseuropéens les plus avancés (voir tableau 13).

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10000-

7000-

62460

Etats-Unis d'Amérique

23600

8484

Japon

Figure 5 Évolution des dépenses de recherche dans quelques paysdéveloppés (en centaines de millions de yen)

Source. BUREAU DE LA PLANIFICATION, OFFICE DES SCIENCES ET DE LA TECHNO-LOGIE. Science and technology survey, p . 250, 1967.

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La politique nationale à l'égard

du développement technologique

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78 La politique nationale à l'égarddu développement technologique

TABLEAU 12 Dépenses de recherche du Japon(répartition entre secteur public et secteur privé).

Année Secteur public Secteur privé

i96019651966

Source. BUREAU DES STATISTIQUES, CABINET DU PREMIER MINISTRE, Science andtechnology research survey, p . 14, 1967. Multigraphié.

TABLEAU 13 Dépenses de recherche de divers pays(répartition entre secteur public et secteur privé).

Pays Secteur public Secteur privé

États-Unis (1963)Royaume-Uni (1964-1965)Rép. féd. d'Allemagne (1964)France (1963)

Source. BUREAU DES STATISTIQUES, CABINET DU PREMIER MINISTRE, op. cit.

Vu les profondes différences entre le Japon et les autrespays pour ce qui est de leurs dépenses habituelles de recherche,on pourrait se demander comment l'industrialisation du Japona pu se faire si rapidement et avec autant de succès. L'explicationen est que, dès le début de l'ère Meiji, la majeure partiedes travaux de recherche a été consacrée à l'assimilation et à lamise au point rapides de techniques d'origine étrangère. Néan-moins, si les modalités d'importation des technologies étrangèresdeviennent plus rigoureuses et si le mouvement favorable à lalibre circulation internationale des technologies se poursuit, desaméliorations radicales devront être apportées aux conditionsdans lesquelles se font au Japon les travaux de recherche.

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Conditions économiques etdéveloppement technologique

Rythme du développement technologique

On a attribué de nombreuses causes au développement extraor-dinairement rapide — le plus rapide peut-être qu'on aitjamais vu — de l'économie japonaise. Dans le présent chapitre,nous traiterons essentiellement de l'influence positive que cedéveloppement économique foudroyant a exercée sur l'évolutiontechnologique.

Pour pouvoir évaluer ce développement en des termes quiconviennent à la présente étude, nous devons adopter une unitéde mesure appropriée qui relie quantitativement les innovationstechnologiques à des notions économiques plutôt qu'à desprogrès techniques; pour des facteurs de production d'unvolume donné, cette unité de mesure nous est fournie parl'accroissement de la production industrielle qui est dû auxinnovations.

D'après les meilleures statistiques dont nous disposions, lestaux de « développement technique1 » du secteur primaire(agriculture) sont estimés, pour les années d'avant et d'après laseconde guerre mondiale, à 1,2 et 3,9 % respectivement, tandisque les taux correspondants du secteur non agricole sont de1,8 et 4,1 %. Ces chiffres, bien qu'approximatifs, font ressortirla différence entre la situation d'avant-guerre et celle d'après-

1 Nous entendons ici par « développement technique » la partd'accroissement de la production qui n'est pas imputable à une « mise »accrue de main-d'œuvre ou de capital.

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80 Conditions économiqueset développement technologique

guerre. L'augmentation des taux de croissance de l'économiejaponaise n'est pas moins nette : 4,5 % environ avant la guerrecontre 10 % après la guerre.

On constate aussi que le taux de développement techniquevarie entre les différents secteurs de l'industrie : il est particulière-ment élevé dans les secteurs de la chimie et de l'automobile(portés à l'innovation et orientés vers la production en masse),plus faible dans l'industrie textile et la mécanique générale.

Il serait utile de connaître les facteurs qui ont permis auJapon d'atteindre, après la seconde guerre mondiale, un tauxsi élevé de développement technologique. Le fait qu'il ait puimporter de la technologie des pays avancés, notamment desÉtats-Unis, a déjà été mentionné, et il est d'importance capitale.Grâce à cela, l'innovation technologique a, pourrait-on dire,doublé de volume dans le Japon d'après-guerre puisque latechnologie élaborée dans les pays avancés avant et pendantla guerre est venue s'ajouter à l'apport des années d'après-guerre.Ayant ainsi pu profiter des progrès réalisés ailleurs, le Japons'est trouvé dispensé de certaines recherches et a pu brûlercertaines étapes de la mise au point expérimentale, il lui a doncfallu moins d'argent et de temps pour s'industrialiser pleinementet rationaliser l'exploitation de son potentiel productif.

Le Japon s'est montré non seulement capable de bien assi-miler la technologie importée, mais prêt à la normaliser et à laperfectionner. Bien que son apport original à la technologiedemeure faible, l'introduction d'innovations étrangères n'a pasété, de sa part, simple imitation; au fil des années, grâce à lahaute qualité de son enseignement, il est devenu de plus en plusapte à assimiler la technologie d'origine étrangère et à l'incor-porer à sa propre activité. En ce qui concerne le nombre deschercheurs, le Japon était déjà en 1955 à égalité avec les payseuropéens; en 1963, il avait plus de chercheurs que le Royaume-Uni et la République fédérale d'Allemagne réunis. L'accumula-tion de ressources humaines ne le cédait donc en rien à l'accumu-lation de capitaux.

Le jeu de la concurrence sur le marché japonais a égalementstimulé le développement et l'innovation technologique; la

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Conditions économiques 81et développement technologique

nouvelle technologie n'a pas été monopolisée et la diffusion desconnaissances technologiques a été très rapide.

Enfin, le marché, déjà vaste, a pris une expansion rapide.L'existence d'un grand marché national répondant aux besoinsd'une population de ioo millions de personnes était évidemmentde nature à favoriser la mise au point de nouveaux produits et denouveaux procédés de production.

Jusqu'à présent, pour les raisons que nous avons dites, ledéveloppement technique avait été rapide. Récemment, toutefois,l'introduction de technologies étrangères, premier des facteursmentionnés ci-dessus, est peu à peu devenue plus difficile. Mainte-nant que le Japon a, du point de vue technologique, rattrapéles pays industrialisés, il ne peut plus attendre de l'étrangerbeaucoup de nouveautés. Il ne pourra maintenir un taux élevé dedéveloppement technologique qu'en renforçant son potentielpropre et en montrant de plus en plus d'indépendance dansl'invention d'une technologie à lui.

S'il est naturel que l'extraordinaire taux de croissance del'industrie japonaise attire particulièrement l'attention, il nefaudrait pas pour autant négliger l'évolution et la croissancede la technologie agricole.

Comme dans le cas de l'industrie, il est possible de chiffrerici le « développement technique » en comparant les « entrées »et les « sorties » du système pendant un certain nombre d'années.Dans le secteur agricole, les entrées sont de quatre sortes : main-d'œuvre, superficie des cultures, immobilisations et dépensescourantes. Si l'on prend l'année 1878 comme base de départ(indice 100), l'indice des entrées (facteurs de production)s'établissait en 1962 à 165 alors que celui de la production(sorties) avait augmenté deux fois plus vite et atteignait 324. Bienqu'on ne puisse attribuer tous ces progrès au seul développementtechnologique, il est certain que l'emploi de meilleurs engraiset de semences sélectionnées y a beaucoup contribué puisqu'aucours de la période considérée, la production de riz par unitéde surface a plus que doublé. Bien que la technologie agricole eûtdéjà atteint un niveau assez élevé avant la restauration Meiji, ilfaut reconnaître que les efforts ultérieurs du gouvernement

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82 Conditions économiqueset développement technologique

ont favorisé la rapidité du développement en même temps quel'indépendance technologique.

Le gouvernement a assuré ce développement en recourantsurtout à trois moyens : investissements, éducation et diffusiond'informations.

Cependant, si l'on examine le taux annuel de développementtechnique de l'agriculture pendant une longue période, onobserve un brusque changement aux environs de 1915; depuis1880 jusqu'à cette date, le taux en question a été de 1,3 %,tandis que, de 1915 à i960, il n'a été en moyenne que de 0,2 %.Cette énorme diminution s'explique peut-être, indépendammentdes indicences de la seconde guerre mondiale, par le fait queles améliorations dues à l'emploi d'engrais et de semencessélectionnées, plus ou moins arrivées au point de saturation,ne pouvaient plus que « plafonner ». Pendant cette même période,toutefois, le Japon s'ingénia à développer l'agriculture (la produc-tion du riz en particulier) dans ses territoires extérieurs deFormose et de Corée, d'où il importait du riz en échange destechniques agricoles qu'il y exportait. Le tableau 14 indiqueles taux de croissance de la production agricole dans ces troispays de 1908 à 1937.

TABLEAU 14 Évolution de l'indice de la production agricoleau Japon, à Formose et en Corée (1932-1933 = 100).

Période Japon Formose Corée

1908-19121913-19171918-19221923-19271928-19321933-1937Source. Isamu

—88,892,793,198,9

102,3YAMADA, Research on

43,848,655,672,290,6

106,3agricultural production index.

61,774,985,588,793,8

110,8

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Conditions économiques 83et développement technologique

Conditions économiques favorables à l'innovationtechnologique

Pour qu'un pays puisse atteindre un niveau élevé de développe-ment technologique, il est indispensable, notamment, que lasituation sociale y soit favorable et que le gouvernement appliquela politique qui convient; le caractère de la population est aussid'une importance capitale. Nous examinerons dans cette sectionquelques-unes des conditions économiques qui ont permisau Japon d'atteindre des taux élevés de développement techno-logique, en particulier : la rapide expansion du marché, qui astimulé l'introduction de nouveaux produits; une importanteaccumulation de capital, qui a servi de base à l'application destechniques; la structure industrielle particulière à l'économiedite « double », qui a également favorisé l'adoption des nouvellestechniques ; 1' « élasticité des prix », qui a contribué à ouvrir lemarché à de nouveaux produits ; la politique nationale de renfor-cement de la puissance économique, face à la concurrence inter-nationale.

La rapide expansion du marché

Un taux élevé d'expansion du marché s'accompagne généra-lement, à long terme, de taux élevés de développement écono-mique et de l'apparition de nouvelles industries et de nouveauxproduits ayant un effet stimulant.

Depuis 1880, le PNB du Japon a un taux de croissance réelled'environ 4,5 %. En outre, le taux d'industrialisation au coursde la même période a été lui aussi très élevé, comme le montrentle rétrécissement rapide (toutes proportions gardées) du secteurprimaire et la diminution du nombre des travailleurs qu'iloccupe.

Manquant de ressources naturelles et contraint, par con-séquent, d'importer des matières premières, le Japon avait unurgent besoin de s'industrialiser et d'exporter ses produitspour se procurer des devises étrangères. Le taux de croissancedes exportations dépassant celui de la croissance économique

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84 Conditions économiqueset développement technologique

générale, l'expansion du marché d'exportation a notablementcontribué au progrès technologique du Japon.

Les taux de croissance économique de l'après-guerre, encoreplus élevés que ceux d'avant-guerre, soit liés à une accumulationconsidérable de capital (voir tableau 15).

Le taux annuel d'accroissement de la demande brute a étéde 9,8 % de 1946 à 1955 et de 9,7 % de 1956 à 1965. Pour la con-sommation individuelle, on a enregistré un taux d'accroissementde 9,8 % entre 1946 et 1955 et de 8,6 % entre 1956 et 1965.Ces taux de croissance de la consommation individuelle, quicomptent parmi les plus élevés du monde, peuvent s'expliquerde la façon suivante : a) le revenu personnel dont dispose chaqueindividu a augmenté rapidement en raison des taux élevés deproductivité; b) de 1946 à 1955, la demande a été stimulée parla volonté qu'avait la population de retrouver son niveau de vied'avant la guerre; c) de 1956 à 1965, la demande de nouveauxarticles manufacturés, celle notamment des appareils électriquesque l'innovation technologique mettait sur le marché, a été trèsforte et s'est accompagnée d'une meilleure répartition du revenu,grâce à diverses réformes réalisées après la guerre.

TABLEAU 15 Taux de croissance économique.

Paramètres économiques

Consommation individuelleInvestissements privés fixesFormation de capital (part de l'État)Consommation de l'ÉtatImportationsDemande brute

1946-1955

9,810,78,3

10,713,19,8

1956-1965

8,612,615,86,4

14,09,7

Les investissements privés fixes ont augmenté encore plusrapidement, leur taux annuel d'accroissement est passé de 10,7 %en 1946-1955 à 12,6 % en 1956-1965. Il ressort clairement del'augmentation marquée du taux de contribution des investisse-ments privés fixes à l'accroissement de la demande brute que laremarquable expansion du marché intérieur entre 1956 et 1965

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Conditions économiques 85et développement technologique

est imputable à l'extension considérable du marché des biensd'équipement, grâce au volume croissant des capitaux investisdans l'innovation technologique et à la libéralisation deséchanges. La part de l'État dans la formation de capital a égale-ment accusé des taux d'accroissement très élevés, passant de8,3 % dans les années 1946-1955 à 15,8 % au cours de la période1956-1965-

L'expansion du marché intérieur a été suscitée en partie parl'accroissement de la demande sous l'influence de facteurscomme les investissements dans l'outillage et l'équipement,la révolution de la consommation et la constitution de capitalsocial. D'autre part, l'accroissement remarquable que les expor-tations connaissent depuis vingt ans, atteignant en 1967 lechiffre de dix milliards de dollars, a contribué à stabiliser lemarché. Bien que le Japon ait continué après la guerre à exporteressentiellement des articles de coton, les machines, les produitschimiques et les articles de métal commencèrent à jouer unrôle important à cet égard au début de la période 195 6-1965.En outre, la proportion de produits nouveaux dans l'ensembledes exportations n'a cessé d'augmenter depuis la fin de la secondeguerre mondiale; l'industrie lourde et celle des produits chimi-ques ont tenu, dans les exportations du Japon d'après-guerre,une place de plus en plus grande. C'est là un effet des inno-vations technologiques réalisées dans ces deux secteurs; maisc'est aussi, à son tour, un facteur favorable aux innovationstechnologiques.

En dehors même du rapide accroissement de la demande, lasimple existence du vaste marché intérieur qu'offre un pays decent millions d'habitants a naturellement favorisé la mise au pointde nouveaux produits et de nouveaux procédés de fabrication.L'exploitation rationnelle d'un tel marché est évidemment duplus haut intérêt pour le développement industriel et le progrèstechnologique, ainsi que cela ressort des considérations ci-aprèssur l'industrialisation du Japon après la première guerremondiale.

Au cours de la décennie 1919-1929, l'économie japonaisea progressé plus vite que celle d'autres pays comme le Royaume-

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86 Conditions économiqueset développement technologique

Uni et l'Allemagne, qui travaillaient à leur reconstitution. Lerythme d'industrialisation du Japon pendant cette période amême été plus rapide que celui du développement économiquedes États-Unis, qui n'avaient pas eu à souffrir directementde la guerre. Le Japon fit alors de grands progrès, à l'égal d'autrespays avancés, dans les industries dites « modernes » comme cellesdes engrais chimiques, de la rayonne, etc., ainsi que dans lesindustries « traditionnelles » comme celles des textiles, du char-bon, du fer et de l'acier. L'expansion du marché intérieur, fondéesur le développement de l'industrie chimique lourde, a constituél'aspect saillant et le principal facteur de la croissance économiquedu Japon pendant cette période, où elle a joué le rôle qu'avaientjoué pendant la guerre les exportations (voir tableau 16).

TABLEAU 16 Rapidité du développement industriel du Japon(industries « modernes » et « traditionnelles »).

Industries

« Traditionnelles »Constructions navalesArticles de cotonProduction de charbonProduction de fonteProduction d'acier

« Modernes »

Indices de production de 1929(production

Japon

2 5 21791 6 2750

I 150

Production de sulfate d'ammonium 2 050Production de pétroleProduction d'aluminiumProduction d'automobilesProduction de rayonne

73——

27 162

Source. Gendai Nippon Sangyo Koza [Conférences sur lesnaises modernes], I.

de 1913 = 100)

Autres paysindustrialisés

83I I I1 1 61 2 61 6 0

2864 1 1

424892

I 172

industries japo-

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Conditions économiques 87et développement technologique

Vaccumulation de capital

L'accumulation de capital est indispensable pour que la techno-logie puisse servir à créer des moyens de production efficaceset à augmenter la productivité. Elle présente, dans le cas del'économie japonaise, les particularités suivantes : a) le taux réeld'accumulation a été très élevé; b) l'épargne privée y a contribuépour une large part; c) le capital accumulé a été utilisé directe-ment dans des domaines où il pouvait favoriser l'accroissementde la productivité; d) certains traits spécifiques du systèmebancaire japonais ont eu des incidences sur l'accumulation decapital.

Il ressort du tableau 17, qui illustre la situation de l'épargneau Japon, que l'épargne brute représente 34 % du PNB, soitune proportion supérieure à ce qu'elle est dans n'importe quelautre pays. Cependant, la provision pour amortissement ducapital et l'épargne nette des sociétés — deux éléments impor-tants de l'épargne nationale brute — ne sont pas très différentesau Japon de ce qu'elles sont ailleurs. Cela montre bien l'impor-tance du rôle qu'a joué l'épargne privée.

TABLEAU 17 Composition en pourcentage de l'épargne nationalebrute au Japon et dans divers autres pays (1956-1963).

Provisionpour

amortis-sement

du capital

Épargnenette du

gouverne-ment

Épargnenette

dessociétés

Épargnenette

desparti-

culiers

Épargnenationale

brute(total)

JaponAllemagne

(Rép. féd.)ItalieFranceÉtats-UnisRoyaume-Uni

11

999

10

73322

11

9—11—

3 52 55 3

34

2724201817

En raison de la normalisation imparfaite des statistiques, la somme deschiffres figurant dans les quatre premières colonnes ne correspond pas toujoursau total inscrit dans la cinquième.

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88 Conditions économiqueset développement technologique

Quatorze pour cent de l'épargne totale sont affectés à l'outil-lage et 12 % à la construction d'usines, etc.; ces pourcentagessont eux aussi supérieurs à ceux de n'importe quel autre pays.Le volume des investissements dans les stocks par rapport à latotalité de l'épargne est également élevé, tandis que celui desinvestissements dans le logement est relativement bas, ce quiconfirme que l'épargne a été investie dans des secteurs directe-ment liés à la production.

Il est donc manifeste que le taux élevé de l'épargne et sarépartition entre les divers genres d'investissement ont considé-rablement favorisé le développement de la technologie.

La relation entre l'épargne et l'accumulation de capital esttelle, chacun le sait, que l'épargne, à mesure qu'elle s'accroît,est affectée à la formation de capital; il ne se produit pas d'ac-cumulation de capital lorsque le taux de l'épargne diminue. Demême, lorsque la demande de capitaux à investir est faible, il ya toutes chances pour que le niveau de l'épargne le soit aussi.

Le Japon avait besoin, pour son développement, d'unsystème bancaire efficace; il s'est donc attaché sans retard àconsolider son système financier avant d'entreprendre l'industria-lisation du pays.

L'activité bancaire a commencé au Japon en 1869 et, en1961, le nombre des banques atteignait 2 400; mais il s'agissaitdans la plupart des cas d'établissements très modestes. C'estessentiellement l'État qui a suscité cette multiplication rapidedes banques en incitant les membres de la classe des guerriersà employer à la création de banques les obligations qui leuravaient été remises en échange de leurs anciens fiefs. C'est pour-quoi l'activité bancaire fut d'abord considérée comme l'apanageexclusif de la classe des guerriers. Toutefois, des banquesagricoles ne tardèrent pas à être fondées par des propriétairesfonciers qui avaient des capitaux à placer. Le capital des banquesconstituait une grande partie de l'argent disponible; en 1884,les dépôts représentaient moins de la moitié des disponibilitéstotales. Même dans les premières années du xxe siècle, le montantdes prêts était toujours supérieur à celui des dépôts, et il étaitcourant d'emprunter à la Banque du Japon. En un sens, pendant

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Conditions économiques ' 89et développement technologique

cette première période, les capitaux s'accumulèrent et les créditsfournis par la Banque du Japon assurèrent la circulation del'argent.

Les banques privilégiées jouèrent un rôle important dansl'accumulation de capital et le développement d'industriesmodernes. La Banque centrale était considérée comme la cléde voûte du marché commercial de l'argent, tandis que, sur lemarché des capitaux industriels, des banques privilégiées secréèrent sous l'égide de l'État qui en détenait des actions.

Ces divers facteurs permirent une forte accumulation decapital. D'autre part, chacun des zaïbatsu (grands cartels finan-ciers) qui jouèrent un rôle majeur dans l'industrialisation dupays constituait un système industriel, grâce aux liens existantentre sa banque et les sociétés par actions. Une crise économiqueprovoqua la disparition de nombreuses banques de petite etmoyenne importance créées pendant l'ère Meiji, ce qui favorisala concentration du capital dans les grandes banques. L'industriechimique lourde ayant continué à progresser régulièrementdans les années vingt, le marché industriel de l'argent commençaà être monopolisé par les deux banques privilégiées que soute-nait le gouvernement et par treize grandes banques appartenantaux zaibatsu.

Quelques changements sont intervenus dans le systèmebancaire depuis la seconde guerre mondiale par suite de la disso-lution des zaibatsu et de l'émancipation des petites banquesqui avaient dû fusionner pendant la guerre avec des banquesplus importantes ; mais ce système n'en continua pas moins àjouer le même rôle à l'égard de l'accumulation de capital. Ledéveloppement spectaculaire du Japon a été rendu possible parl'âpre concurrence qui a conduit les banques à élargir le créditau moyen de prêts à découvert et par l'affiliation d'entreprisesindustrielles aux principaux établissements bancaires. L'État n'ena pas moins joué un rôle très important dans l'accumulation decapital et, jusqu'en 1955, les fonds qu'il a recueillis, surtout parl'intermédiaire de la Banque japonaise de développement, ontoccupé une place non négligeable sur le marché industriel del'argent.

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90 Conditions économiqueset développement technologique

Toutes les entreprises se procurèrent des fonds en emprun-tant aux banques au lieu de se tourner vers le marché ordinairedes capitaux. C'est pourquoi leur situation financière se dégradarapidement à mesure que progressait le développement. Avantla guerre, le pourcentage des capitaux qui provenait de prêts ban-caires et autres crédits ne dépassait pas 40 % mais, après la guerre,il atteignit 70 % et, en 1965, ce passif s'élevait même à 80 %.

Si les banques consentaient des prêts excessifs et si les entre-prises de leur côté empruntaient trop, l'économie japonaisen'en continua pas moins à se développer sans chercher à secouerla mainmise des banques. Les grandes entreprises pensaientpouvoir compter sur les banques et, de ce fait, considéraientles prêts bancaires comme un instrument indispensable dudéveloppement; en outre, si l'on tient compte de la fiscalité, ilest moins coûteux de se procurer des fonds en empruntant auxbanques qu'en procédant au lancement d'actions sur le marchéfinancier.

Les taux élevés auxquels l'accumulation de capital s'estpoursuivie pendant tout le siècle qui a suivi le début de l'èreMeijij taux imputables à la concurrence intense entre les entre-prises et au niveau également élevé de l'épargne privée, n'ont étépossibles que grâce à l'attitude positive des banques et au soutiende l'État.

L'exploitation du dualisme de Véconomie

L'économie japonaise a été caractérisée dans le passé par sa« structure double », dont le trait essentiel était la forte disparitétant de la productivité que des salaires entre les grandes entre-prises d'une part, les petites et moyennes entreprises de l'autre(voir tableau 18).

Dans les grandes sociétés, l'emploi à vie et l'avancement àl'ancienneté sont devenus la règle; mais, dans les petites et lesmoyennes entreprises, la surabondance de la main-d'œuvre afatalement empêché les salaires de monter. De plus, le manquede mobilité de la main-d'œuvre entretient la disparité desrémunérations.

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Conditions économiques 91et développement technologique

TABLEAU 18 Indices de la productivité et des salaires industrielsau Japon, au Royaume-Uni et aux États-Unis : variation en fonctionde la dimension des entreprises (l'indice 100 correspond auxentreprises ayant au moins 1 000 salariés).

Nombre desalariés

de 1 à 3 (1 à 4)de 4 à 9 (5 à 9)de 10 à 19

(10 à 24)de 20 à 49

(25 à 49)de 50 à 99de 100 à 199

(100 à 249)de 200 à 499

(250 à 499)de 500 à 9991000 et au-delà

Indices

Japon(1956)

31

38

435O

56

6777

1 0 0

des salaires

R.U.(1949)

84°

83»84

85

86

89IOO

E.U.A.(1947)

65»73°

79

8486

86°

88»90

roo

Indices de productivité,valeur ajoutée

Japon(1956)

26

31

3746

57

7790

100

R.U.(1949)

90 "

92 "94

96

9798

1 0 0

E.U.A.(1947)

io8 a

90"

89

9391

102"

104"105IOO

Source. Pour le Japon, Kogyo Tokeihyo (Statistiques industrielles), 1956;pour le Royaume-Uni et les États-Unis, OFFICE DE PLANIFICATION ÉCONO-MIQUE, Keizai Yoran (Étude économique), 1959.

a Ces chiffres se rapportent aux effectifs indiqués entre parenthèses dansla première colonne.

Il ne fait pas de doute que la structure économique du Japonrepose sur cette grande disparité de salaires. Les petites etmoyennes entreprises ont tendance à faire des économies decapital en réduisant par exemple leurs charges salariales. Lesgrandes, pour leur part, grâce à la politique libérale du gouverne-ment en matière de crédit, ont pu adopter des méthodes aussimodernes que celles de n'importe quel pays.

Le dualisme de l'économie a, de cette façon, facilité l'accu-mulation de capital dans les grandes entreprises, ce qui a favoriséà son tour le progrès technologique du pays. Sans doute l'accu-mulation de capital a-t-elle suivi une évolution plus ou moinsanalogue dans d'autres pays industrialisés. Mais, au Japon, laconcentration du capital a été extrêmement forte et les grandes

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92 Conditions économiqueset développement technologique

différences de productivité qu'on y constate sont imputables aulien étroit qui existe entre les grandes entreprises et les institu-tions financières. Les capitaux privés accumulés dans les banquescommerciales ainsi que les fonds publics ont coulé à flots versles grandes firmes. Dans les pays plus avancés, les entreprisesindustrielles et commerciales ont prélevé sur leurs bénéficesla majeure partie du capital qu'elles ont accumulé. Au Japon, sil'accumulation de capital a pu être intensive c'est parce que lesméthodes d'attribution indirecte de crédits pratiquées par lesbanques l'ont rendue relativement facile aux grandes entreprises,et non parce qu'elle a accusé globalement les taux élevés quenous avons indiqués plus haut.

Vers 1955, 60 % du total des investissements industrielsprivés étaient imputables à 2 000 de ces grandes entreprises, quiréunissaient un capital de 10 milliards de yen; 57 grandes sociétésrecevaient à elles seules 48,7 % du montant global des créditsconsentis par les banques; ces chiffres témoignent de la concen-tration des prêts bancaires entre les mains d'une poignée degrandes sociétés.

A cause de ce déséquilibre dans la répartition du crédit,nombre de petites entreprises n'ont pas pu obtenir les capitauxdont elles auraient eu besoin pour faire les investissements quesuppose l'innovation technologique; même les sociétés relative-ment favorisées ont souvent dû se contenter d'un matériel deseconde main. En 1955, les achats de matériel de seconde mainentraient pour 45 % dans l'accroissement total de l'actif fixedes usines employant au maximum 19 ouvriers; même danscelles qui employaient jusqu'à 100 ouvriers, la proportioncorrespondante atteignait 35 %.

Mais l'effet de 1' « économie dualiste » s'est rapidementestompé depuis le début de la dernière décennie. L'éventaildes salaires s'est resserré et les petites et moyennes entreprisesont commencé à se moderniser; on peut donc s'attendre à lesvoir se lancer comme les grandes dans des innovations techno-logiques.

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Conditions économiques 93et développement technologique

L'élasticité des prix favorise la substitution

Sans doute la multiplication rapide des nouveaux genres deproduits et la croissance spectaculaire des nouvelles industriesdénotent-elles le manque de maturité économique du pays etla vive curiosité de sa population. La compétitivité du marchéjaponais a stimulé le progrès technique, comme le montrent parexemple la substitution du sulfate d'ammonium à la farinede fèves dans l'industrie des engrais et celle de la rayonne à lasoie brute dans l'industrie textile.

Les efforts de l'agriculture japonaise pour accroître sa faibleproductivité ont ouvert un marché étendu et stable à l'industriedes engrais. La poudre de poisson séché était l'engrais le pluscourant depuis l'époque Tokugawa; mais, après la guerre sino-japonaise, on commença à utiliser la farine de fèves de Mand-chourie. Lorsque, durant la première guerre mondiale, lesimportations cessèrent, le sulfate d'ammonium, plus efficace,conquit le gros du marché. La production de cet engrais pritalors la première place dans l'industrie chimique; de 16 000tonnes en 1914, elle monta en flèche et atteignit 266 000 tonnesen 1930. L'évolution rapide des méthodes de fabrication (aban-don du carbure de calcium pour l'ammoniaque synthétique)fut un facteur encore plus important. La consommation desulfate d'ammonium s'accrut à mesure que le prix en diminuaitpar rapport à celui des engrais traditionnels. C'est la progressionrégulière de la demande de ce produit en tant qu'engrais qui apermis de le fabriquer en grand et a facilité l'évolution de laproduction. Si les agriculteurs japonais s'étaient montrés plusconservateurs, l'utilisation des engrais chimiques ne se serait pasrépandue aussi facilement, et son expansion n'aurait pas étépossible sans la réduction de prix qu'a permise le monopoledont jouissait l'industrie du sulfate d'ammonium.

Le Japon a d'abord, jusqu'en 1910, importé le produit del'étranger; l'importation de techniques de production a ensuitepermis de mettre sur pied l'industrie actuelle. Plus tard, après1950, une partie de la production locale a pu être exportée et,plus récemment, l'industrie japonaise des engrais a commencé

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94 Conditions économiqueset développement technologique

à exporter la technique de fabrication de l'urée synthétique.Nous avons ici un exemple frappant du schéma caractéristique duprogrès technologique du Japon : importation de produitsétrangers — importations de techniques — mise sur pied d'indus-tries nationales — exportation de produits locaux (tout d'abordà destination des dépendances japonaises) — exportation detechniques de fabrication.

On trouve d'autres exemples de ce schéma dans le passagequi s'est fait de la soie brute à la rayonne, avant la guerre, et,après la guerre, des fibres naturelles aux fibres artificielles.A partir de 1909, la production de soie brute augmenta d'environ1 250 kilos par an; les trois quarts environ étaient exportés,principalement à destination des États-Unis. En 1913, la partde la soie brute dans les exportations totales était de 30 %et celle des soieries de 6,2 %, tandis que les parts respectivesdes filés de coton et des cotonnades ne dépassaient pas 11 %et 5,9 %•

Après la guerre russo-japonaise, l'industrie cotonnière japo-naise conquit le marché mandchou, y supplantant le coton améri-cain, et elle étendit ses activités à toute l'Asie du Sud-Est, aprèsle recul des capitaux britanniques et néerlandais qu'avait provo-qué la première guerre mondiale. En même temps, le commercede la soie brute, qui se classait naguère au premier rang desexportations, devint de plus en plus tributaire des achats améri-cains. Contrairement aux filatures de coton, l'industrie de la soiebrute reposait sur la prospérité des États-Unis ; elle n'avait pasbesoin d'importer des matières premières, et la concurrenceinternationale était trop faible pour la contraindre à moderniserses méthodes. Cependant, dans la confusion et la réorganisationdu marché international qui suivirent la crise mondiale d'après1930, la soie brute, non seulement perdit sa position prédomi-nante en tant que source de devises, mais se trouva détrônée parla rayonne, dont le prix de revient avait baissé de moitié entre1926 et 1930, grâce à l'effet conjugué de techniques très avancéeset de bas salaires.

La substitution effective de la rayonne à la soie brute estimputable au niveau élevé des normes techniques de l'industrie

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Conditions économiques 95et développement technologique

textile japonaise, ainsi qu'à l'utilisation d'une méthode spécialeconsistant à mélanger plusieurs fils différents.

La mise au point et l'introduction des fibres synthétiquesaprès la seconde guerre mondiale ont suivi un processus analogue.C'est là l'innovation technologique la plus importante de l'après-guerre. Le Japon avait pour sa part mis au point sa premièrefibre synthétique, le vinylon, dès avant la guerre, et c'est ce quiexplique que la fabrication du nylon et des fibres polyacryliquesy ait connu après la guerre une croissance aussi rapide. Bien qu'ilait employé des procédés importés, ce pays disposait d'une basetechnologique et économique solide, renforcée par une politiqueprotectionniste. En 1951, au moment où l'industrie fit songrand effort de modernisation, le gouvernement lui accorda unrégime fiscal et financier de faveur et prit les mesures nécessairespour lui ouvrir des débouchés, notamment en stimulant lademande publique et privée et en décidant (en 1957) que lesfibres synthétiques seraient utilisées pour la fabrication desfilets de pêche. L'objectif qu'on s'était fixé pour la fabricationde vinylon, de nylon et de chlorure de vinyle — 45 000 tonnespar an — fut presque atteint et, à la fin de 1956, la productionde nylon était près de trois fois supérieure aux prévisions. Depuislors, la fabrication industrielle du chlorure de vinyle, des fibrespolyacryliques et des polyesters a fait de grands progrès, et cesproduits ont commencé à inonder le marché en quantités de plusen plus abondantes.

Mesures visant à accroître le capacité concurrentielle du Japon

A cause de la médiocrité de ses ressources naturelles, le Japon nepouvait à la fois, dans le passé, développer son industrie et équi-librer sa balance des paiements. Pour assurer l'expansion de sonéconomie, il lui fallait exporter. Grâce à l'augmentation de laproductivité et à la pression accrue de la concurrence internatio-nale, de nombreuses industries qui s'étaient d'abord fait uneplace sur le marché en concurrençant certaines importationsdevinrent plus tard exportatrices.

Nous verrons plus loin comment la nécessité d'accroître

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96 Conditions économiqueset développement technologique

l'aptitude du Japon à soutenir la concurrence internationalea favorisé son développement technologique. Nous retraceronsen particulier les diverses étapes de la modernisation de l'indus-trie textile, qui a contribué plus que toute autre à la constitutiondu capitalisme japonais, au prix d'une lutte de plus en plusintense pour le monopole des grands marchés mondiaux aprèsla première guerre mondiale.

Dans le contexte économique difficile de l'après-guerre, leJapon devait s'attaquer à deux problèmes : d'une part, trouverdes débouchés extérieurs et intérieurs qui fussent à la mesurede sa productivité accrue; d'autre part, préserver l'équilibrede sa balance des paiements tout en résolvant les problèmesde matières premières. C'est dans ces conditions que l'industrietextile japonaise entreprit sa rationalisation.

Luttant d'un côté pour s'introduire dans la sphèred'influence britannique, cette industrie se trouvait d'autre partmenacée par la concurrence des pays en voie de développementcomme l'Inde et la Chine. Le Japon résolut le premier de cesproblèmes en maintenant le bas niveau de ses charges salarialesgrâce à des méthodes très modernes de tissage et de teinture,et le second en introduisant dans Pouvraison du coton — dufilé au tissu — les méthodes de fabrication en grande série.C'est ainsi que la conjugaison de techniques de pointe et desalaires extrêmement bas a fourni le schéma type de rationa-lisation de l'économie japonaise.

La fabrication est devenue automatique et continue grâceà l'introduction de métiers à filer modernes et de métiers à tisserautomatiques. La qualité de la production s'est considérablementaméliorée : plus grande régularité de la grosseur des fils et de lalargeur des tissus, perfectionnement des procédés de teinture.Ce progrès technologique a permis au Japon de devenir en1933 le principal exportateur de cotonnades, supplantant leRoyaume-Uni.

L'évolution de l'industrie de la rayonne a été elle aussicaractérisée par la conjugaison efficace de techniques de pointeet de frais de main-d'œuvre peu élevés. Grâce aux progrèsaccomplis à l'égard des divers genres de fil (viscose, rayonne

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Conditions économiques 97et développement technologique

cupro-ammoniacale, filaments multiples, fil décati), la productionjaponaise est devenue en 1936 la première du monde, dépassantcelle des États-Unis et atteignant finalement 27 % de la produc-tion mondiale.

Les chiffres du tableau 19 permettent de comparer la produc-tivité et les salaires des filatures de coton de quelques pays auxenvirons de 1932. La situation du Japon est unique en ce quele niveau des salaires y est aussi bas qu'en Inde et la produc-tivité presque aussi élevée qu'au Royaume-Uni.

TABLEAU 19 Salaires et coûts afférents à la production de filéde coton n° 20 dans quelques pays vers 1932.

États-UnisInde

Salairehebdomadairepar personne

(en yen)

35,o5,5

Royaume-Uni 18,0AllemagneChineJaponSource. Tokyo

13,03,75,8

Keizai (Revue de

Nombred'ouvriers

nécessairesjusqu'au stadefinal du filage,par milliers de

broches

3,415,04,0

4,58,96,1

l'industrie).

Coût defabrication

par balle(en yen)

49,634,43i,425,411,813,2

C'est par ses efforts soutenus pour élever sa productivité quel'industrie textile japonaise a pu devenir la première du monde;elle a conservé sa position sans défaillance même au plus fortde la crise économique mondiale qui a si profondément affectél'équilibre du marché international et intensifié la lutte dont sonpartage a fait l'objet lors de sa réorganisation. Par ses efforts, elle aaussi contribué notablement à accélérer les progrès de l'industriechimique lourde en fournissant les devises nécessaires à l'impor-tation de matières premières, en exploitant toutes les possibilitésqu'offraient la rationalisation économique et les taux de changeavantageux, et en surmontant les obstacles tarifaires dressés parles pays concurrents.

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98 Conditions économiqueset développement technologique

Facteurs économiques particuliers qui ontconditionné le développement technologiquedu Japon

Les facteurs économiques particuliers au Japon qui ont exercéun effet profond sur son développement technologique peuventse ranger sous quatre rubriques. Chacun d'eux est éminemmentdistinctif, mais tous n'ont pas nécessairement eu un effet d'accé-lération. Les quatre rubriques sont les suivantes : ressourceslimitées; main-d'œuvre peu coûteuse; utilisation d'une techno-logie importée; démarrage relativement tardif de l'industria-lisation. Nous examinerons maintenant les incidences de chaquegroupe de facteurs.

Ressources limitées

Le développement de l'industrie textile est un exemple particu-lièrement instructif des incidences que ce facteur a eues sur leprogrès technologique du Japon.

Vers la fin de l'époque Tokugawa, la culture du coton ne lecédait en importance qu'à celle du riz. Néanmoins, quand, à lafin de cet âge féodal, le Japon ouvrit ses portes au commerceextérieur, il fut inondé de cotonnades à bon marché; dès le débutde l'ère Meiji (1868), les importations de fils et de tissus à la pièceaugmentèrent de plus en plus et finirent par entrer pour untiers dans la valeur totale des importations. Pour remédier à cettesituation, il apparut comme indispensable de réorganiser l'indus-trie cotonnière japonaise.

Sa modernisation fut entreprise en 1883 par la Société desfilatures d'Osaka (aujourd'hui Société des filatures de Tokyo),qui utilisa un matériel importé du Royaume-Uni. La capacité desmachines était de 15 000 bobines, c'est-à-dire très supérieureà celle qui était jusqu'alors normale. D'autre part, ce matérielmoderne était mû par la vapeur, et non plus par des chutesd'eau comme auparavant; le Japon réalisait ainsi ce genre de« saut de mouton » que peuvent faire les pays à démarrage tardif

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Conditions économiques 99et développement technologique

qui sont disposés à se mettre à l'école de pays plus avancés,où certaines industries sont déjà bien établies.

Ne disposant que de ressources intérieures limitées, l'indus-trie japonaise fut d'abord conduite à mélanger du coton chinoisavec les variétés locales, et c'est ainsi qu'elle mit au point latechnique des fils mélangés dont elle devait se faire une spécialitéet qui joua un grand rôle dans les efforts du Japon pour soutenirla concurrence internationale, vers la fin de l'ère Meiji. Audébut de cette période, le fil de coton importé était moins cherque le produit autochtone mais, en raison de sa qualité médiocre,il fut peu à peu écarté du marché japonais, ce qui favorisa lacroissance de l'industrie nationale.

La production d'énergie électrique nous fournit un autreexemple. Cette industrie a démarré lors de l'installation d'unréseau d'éclairage électrique à Tokyo pour la Compagnie d'élec-tricité de Tokyo, créée en 1886 et exploitant une centrale àvapeur dont les machines venaient des États-Unis. Au cours dela période de prospérité qui suivit la guerre sino-japonaise, lecharbon — combustible normalement utilisé à l'époque —augmenta de prix et les coûts de production de l'électricité mon-tèrent en conséquence. Cette situation conduisit naturellementles autorités à se tourner vers une autre source d'énergie, etdiverses centrales hydro-électriques furent construites au débutdu siècle. Au début de la seconde guerre mondiale, il existait 461compagnies de production d'énergie hydro-électrique et dedistribution d'électricité à longue distance; mais elles utilisaientun matériel importé. Ensemble, elles avaient un capital voisin de600 millions de yen, et leur production atteignait 459 000 kW.

Avec le temps, on reconnut les avantages économiques quepouvaient présenter les centrales thermiques lorsque l'énergiehydraulique devait être acheminée sur de longues distances.Outre que ces centrales peuvent être implantées dans la régionmême qu'elles sont appelées à desservir, leur coût et leurs délaisde construction sont modestes par rapport à ceux des stationshydro-électriques. C'est pourquoi, à partir de 1953 environ,on développa la production d'énergie thermo-électrique; celle-cidevint prépondérante en 1961, grâce à l'installation de grandes

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ioo Conditions économiqueset développement technologique

centrales, et les usines hydro-électriques ne jouèrent plus désor-mais qu'un rôle complémentaire. Cependant, l'industrie char-bonnière continua à poser des problèmes de transformation del'énergie; la part du charbon comme source d'énergie est mainte-nant tombée à 20 %, et celle du pétrole a augmenté d'autant.(Il semble d'ailleurs probable que le passage à l'utilisation del'énergie atomique sera plus rapide au Japon que dans n'importequel autre pays. )

La sidérurgie japonaise, qui a progressé rapidement après laguerre grâce à des disponibilités illimitées de minerai de fer,offre un tableau tout différent. La nécessité de tirer le meilleurparti possible des matières premières importées a stimulé la miseau point de bonnes technique de broyage et de transformationet de méthodes de transport satisfaisantes. C'est le contrairede ce qui s'est passé dans certains pays avancés, que la surabon-dance des ressources a plutôt incités à conserver des méthodesdésuètes de production.

Main-d'œuvre peu coûteuse

Pour pouvoir exploiter les techniques relativement avancées qu'ilimporta aux premiers stades de sa révolution industrielle, le Japonavait besoin d'une main-d'œuvre de qualité. Mais, pour pouvoirproduire à des prix compétitifs, il était essentiel d'empêcherla hausse des frais de main-d'œuvre. Pendant la première décen-nie de l'ère Meiji (c'est-à-dire à partir de 1868), les industrielscapitalistes se montrèrent très habiles à résoudre ce dilemme.Les techniciens et les ouvriers qualifiés purent suivre des coursde formation accélérée qui devaient leur permettre d'accéderà des postes administratifs; on modernisa les méthodes de gestionen même temps que l'on conservait la structure féodale de rela-tions sociales; recrutés comme manœuvres, beaucoup de travail-leurs agricoles furent pratiquement contraints par la gravitédu chômage agricole d'accepter de bas salaires. Les femmes et lesenfants en particulier furent embauchés en grand nombre et àdes conditions très dures.

A une époque relativement récente — vers la fin de la seconde

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Conditions économiques 101et développement technologique

guerre mondiale — il y avait au Japon (estime-t-on) environ13 millions de chômeurs, en comptant les soldats démobilisés,les rapatriés et les travailleurs licenciés des usines de munitions.Dans une telle crise de l'emploi, beaucoup d'ouvriers étaientdisposés à accepter des salaires extrêmement bas, et c'est cequi explique la « structure économique double » de l'industriejaponaise.

A l'heure actuelle, la situation du Japon par rapport auxpays occidentaux industrialisés peut se résumer comme suit :la concentration de la main-d'œuvre dans de petites entreprisesest relativement forte; les salaires et les conditions de travailne sont guère comparables d'une catégorie d'entreprise à l'autre;les différentes catégories de main-d'œuvre sont séparées pardes cloisons étanches.

L'incidence de ces facteurs dépend dans une grande mesuredu contenu technologique de l'industrie considérée; et cesdifférences ont contribué à consolider la « structure économiquedouble », qui maintient la main-d'œuvre peu rémunérée dansles petites et moyennes entreprises.

Emploi de techniques importées

Une industrie mécanique nationale a peu de chances de sedévelopper à moins que l'ensemble de l'industrie n'atteigne uncertain niveau; avant cela, la demande intérieure ne sera passuffisante pour lui permettre de survivre et devra nécessairementêtre satisfaite par des importations de matériel en provenancede pays plus industrialisés.

Les industries mécaniques prennent donc nécessairement duretard sur les autres.

Depuis une époque antérieure à la restauration Meiji (1868)jus qu'à la fin du XIXe siècle, il y eut un très grand écart entre leniveau général d'industrialisation des pays occidentaux et celuidu Japon (voir tableau 20), qui était encore bas alors que les paysavancés faisaient de vigoureux efforts d'exportation.

Le marché japonais s'est donc accommodé des machines etdes méthodes de construction étrangères. Mais, en même temps,

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102 Conditions économiqueset développement technologique

TABLEAU 20 Production industrielle de quelques paysen pourcentage de la production mondiale (1840-1900).

Royaume-UniAllemagneFranceRussieÉtats-UnisJaponSource. J. KuczYNSKl,Deutsche Akademie der

1840

4512——

11

1850

3915——

15—

Studien zur

1860

361612

417

— •

1870

32

1310

423—

Geschichte desWissenschaften, 1957.

1880

2 8

1393

28—•

1890

2 2

148

31—

Kapitalismus,

1900

181676

3 i1

Berlin,

le Japon commença à accumuler du capital et à produire d'aborddu matériel léger puis du gros matériel, l'industrie des armementsoccupant une position centrale, avec la construction de navires,celle de véhicules et celle de machines électriques gravitantautour d'elle. L'industrie des machine textiles n'était pas encoreprête à se lancer, car l'ampleur de la demande posait desproblèmes ardus, à la fois économiques et techniques. Le tableau21 illustre l'évolution des importations et de la productionintérieure de machines textiles de 1914 à 1928.

Toutefois, au moment où éclata la première guerre mondiale,l'industrie mécanique japonaise ne dépendait plus que faiblementdes pays avancés. La construction de navires et celle de véhiculesavaient perdu la place privilégiée qui leur avait été indûment

TABLEAU 21 Évolution des importationset de la production intérieure de machines textiles (1914-1928).

Année

1914191619191922192419261928

Importations

62562590

1556033612142949645

i l 330

Production intérieure

en milliers de yen879

— •

21 914i l 48117 5191888323 804

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Conditions économiques 103et développement technologique

accordée, et l'on assista dès lors à une progression rapide detous les secteurs.

Depuis la seconde guerre mondiale, l'industrie s'est complè-tement modernisée; les ouvriers étant démobilisés, la productiona pu retrouver son niveau d'avant-guerre; le matériel a étérenouvelé et accru; la technologie mise au point à l'étrangerpendant la guerre a été importée et le marché des biens d'équipe-ment et des biens de consommation produits par les industriesmécaniques s'est élargi. On estime néanmoins que, dans certainssecteurs de la technologie — matériel industriel, machines-outils, procédés de forgeage et de moulage — le Japon a encoredu retard sur l'Occident. Bien que son niveau technologiques'élève et que ses coûts de production diminuent, l'industriejaponaise souffre encore de la médiocrité de ses anciennes bases.Même dans certaines des grandes entreprises nouvelles, onconstate un certain retard, lié à une spécialisation insuffisante,à des systèmes compliqués de gestion financière et d'administra-tion et à la « structure économique double ».

Avantages d'un développement technologique tardif

Née vers le milieu de l'ère Meiji, l'industrie japonaise du matérielélectrique a connu une expansion spectaculaire à deux étapesde son évolution : une première fois lorsqu'elle a ouvert unnouveau marché d'appareils d'électrolyse et d'éclairage élec-trique, ensuite lorsqu'elle est passée de la fabrication de cematériel (c'est-à-dire de biens de consommation) à celle demoteurs électriques (c'est-à-dire de biens d'équipement). Encette seconde occasion, le développement technologique s'estaccompli dans un contexte économique particulier. Pendant ladécennie 1930-1940, l'électricité a fourni environ 90 % de lapuissance installée non seulement dans les grandes usines maisaussi dans les petites et moyennes entreprises. La consommationd'électricité a augmenté sans arrêt, même pendant la crise de1929 à 1932, à cause de la demande d'énergie pour les usineset notamment de Pélectrification, devenue urgente, des petites

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104 Conditions économiqueset développement technologique

et moyennes entreprises. En soulignant la nécessité de rationaliserla production, la crise économique a en fait accéléré le processusd'électrification. L'économie japonaise a donc pratiquementbrûlé l'étape de la machine à vapeur; son évolution est un exempleintéressant de développement technologique accéléré résultantd'un retard initial.

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Formation et emploide personnel pour les besoinstechnologiques

Les hommes ne prennent de valeur sur le marché de l'emploi quedans la mesure où l'éducation leur donne des connaissancesgénérales et techniques. On devrait donc pouvoir à tout momentévaluer, en quantité et en qualité, le personnel disponible d'aprèsla somme des connaissances générales et techniques qu'il possède.De même, on peut considérer les variations et les déplacements —quantitatifs et qualitatifs — du personnel comme résultant de ladiffusion des connaissances générales et techniques. L'accroisse-ment quantitatif de ces connaissances est, dans tous les pays, unedes conditions préalables de la croissance économique et duprogrès technologique. Il est possible de mesurer cette croissanceet ce progrès avec plus de précision en observant la « dynamique »de l'enseignement, c'est-à-dire l'ensemble des changements etdéplacements qualitatifs et quantitatifs que manifestent lesconnaissances générales et techniques.

L'accumulation de connaissances par les êtres humainsrésulte : à) de l'éducation méthodique, c'est-à-dire essentielle-ment de l'enseignement de type scolaire; b) des acquisitionsfortuites, dont l'étendue est impossible à préciser. D'autre part,la diffusion des connaissances est directement fonction de lademande d'enseignement. En gros, c'est de cette demande quedépend l'augmentation, ou la diminution, du stock de connais-sances. Le marché du travail devient, de ce fait, l'un des princi-paux facteurs qui déterminent le rythme de la croissance écono-mique.

Le présent chapitre traitera successivement des questionssuivantes :

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io6 Formation et emploi de personnelpour les besoins technologiques

Évolution dans le temps du stock des connaissances acquisesgrâce à l'enseignement proprement dit, notamment à celuiqui est dispensé sous l'autorité du Ministère de l'éducation.

Rôle de l'enseignement technique dans l'éducation de typescolaire (y compris les établissements qui ne relèvent pasdu Ministère de l'éducation), et influence de cet ensei-gnement sur le progrès technologique.

Fluctuations de la structure professionnelle et de la mobilitédu personnel. (On insistera sur les tendances qui semblentparticulières au Japon.)

Formation de techniciens supérieurs et répartition de leur emploi.Genre de personnel qui a le plus efficacement contribué à l'indus-

trialisation du Japon.

Tendances de l'éducation et ressourcesen personnel

Selon le Livre blanc publié par le Ministère de l'éducation en1962 1 le capital éducatif total (c'est-à-dire le coût cumulé del'éducation) était au Japon environ vingt-trois fois plus élevé eni960 qu'en 1905 (voir tableau 22). En outre, le taux de croissancede ce capital dépassait à la fois celui de la main-d'œuvre et celuidu capital matériel total. Ce capital éducatif contribue à accroîtrele revenu national, surtout en élevant le niveau général d'instruc-tion et en augmentant la fraction de la population active qui afait des études supérieures. Pour la période 1905-1955, d'aprèsles tentatives d'estimation du taux de rendement du capital édu-catif — autrement dit, de la mesure dans laquelle l'éducationa permis d'accroître le revenu — le quart environ de l'accroisse-ment net du revenu national est imputable à ce facteur 2.

Les dépenses d'enseignement, qui constituent le principal

1 MINISTÈRE JAPONAIS DE L'ÉDUCATION, Japan's growth andéducation, educational development in relation to socio-economic growth,traduction anglaise, 1963.

2 Ibid., p. 13-15. Ce calcul a été tenté suivant la méthode deT. Schulz.

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Form

ation et emploi de personnel

pour les besoins technologiques107

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io8 Formation et emploi de personnelpour les besoins technologiques

élément du capital éducatif, sont pour la plupart le fait dugouvernement central et des pouvoirs locaux. Pour se faireune idée claire de la façon dont évolue la structure de cesdépenses — c'est-à-dire la répartition des investissements entreles divers degrés de l'enseignement primaire, secondaire etsupérieur, la fraction du budget qui est consacrée aux investisse-ments d'ordre éducatif, la répartition des dépenses d'enseigne-ment entre l'État, les écoles privées et la population, parexemple — il est nécessaire d'examiner l'évolution historiquedu système scolaire, en accordant une attention particulièreaux variations de la demande sociale et économique d'éducation.

Le système d'enseignement du Japon repose actuellementsur le Statut de l'enseignement {Gakusei) promulgué en 1872.Mais des bases solides avaient déjà été jetées à l'époque Toku-gawa. Les quatre principaux types d'établissement d'enseigne-ment étaient alors : les écoles shogunales, comme l'Académieconfucéenne, créées pour éduquer les enfants des samouraïsous l'autorité directe du gouvernement des Shoguns; les écolesdomaniales, ou de fief, pour l'éducation des samouraï de chaqueclan; les écoles locales, ouvertes aux roturiers, et les écoles depagode, essentiellement destinées elles aussi aux classes popu-laires. Outre ces quatre types d'établissement d'enseignementpublic, il existait aussi, au xixe siècle, des académies privéesdispensant divers genres d'enseignement à des élèves issus declasses sociales très variées.

Comme le montre le tableau 23, les effectifs de ces différentstypes d'établissement augmentèrent fortement vers la fin del'ère Tokugawa, sauf dans les écoles domaniales1.

1 Au sujet de l'expansion des possibilités d'accès à l'éducation etde l'évolution du contenu de l'enseignement, on consultera, en outre :Michio NAGAI, Nihon no Daigaku [Les universités japonaises], Tokyo,

Chuokoron-sha, 1965.Michitoshi KIYOHARA, « Waga Kuni ni okeru Sangyo Gijutsu Kyoiku no

Tenkai » [Développement de l'enseignement technique au Japon],Sangyo Gijutsu Kyoiku Koza, vol. I, Tokyo, Ishigyo ShuppanCo. Ltd., 1958.

Mamoru SATO, Totei Kyoiku no Kenkyu [Étude sur l'éducation desapprentis], Tokyo, Ochaniomizu Shobo, 1962.

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Formation et emploi de personnel 109pour les besoins technologiques

TABLEAU 23 Effectifs scolaires vers la fin de l'ère Tokugawa.

Type d'école

Écoles de pagodeÉcoles domanialesÉcoles localesAcadémies privéesÉcoles shogunales

Jusqu'à 1829

219 604515029 752

44 574a

1830-1853

593 79061 9821469596798

a

1854-1857

9217206375029990

121 7086 000 "

325 432 767 265 1143 168

Source. Herbert PASSIN, Society and éducation in Japon, p. 44, Bureau ofPublications, Teachers Collège and East Asian Institute, Columbia Univer-sity, 1965-

a Pas de données disponibles.b Évaluation approximative.

Cet accroissement notable de la population scolaire et, parvoie de conséquence, les progrès de l'alphabétisme suscitèrent unmouvement en faveur de l'abolition du régime féodal. Commele montre le tableau 24, l'alphabétisme se répandit d'abord parmiles commerçants des grandes villes et les samouraï, qui compo-saient la classe politique dirigeante. Il est, toutefois, extrêmementintéressant de constater que les notables des villages agricolessavaient presque tous lire et écrire. Cela montre que, même pen-dant la période féodale, le Japon n'a pas connu de stagnationculturelle.

En outre, tandis que la société japonaise donnait, à la finde l'ère Tokugawa, les signes de mutation économique dont il aété question au chapitre 1, le système des classes sociales — ski(guerriers), no (agriculteurs), ko (artisans) et sho (commerçants)— tendait graduellement à se désintégrer. Les gros effectifs desécoles de pagode et l'éducation en commun dans les mêmesécoles locales d'enfants issus de classes sociales différentesdonnent à penser que, dès cette époque, les classes n'étaient plusrigoureusement cloisonnées. On ne saurait dire avec certitudesi c'est l'évolution sociale, attestée par l'affaiblissement régulier

KYU-KOBUDAIGAKKO SHIRYO KANKO KAI, Kyu-Kobudaigakko Shiryo[Histoire du Collège de technologie], 1931.

Hiroyasu OGATA, Seiyo Bunka Inyu no Hoto [Comment introduire letype occidental d'éducation], Tokyo, Kodansha, 1961.

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n o Formation et emploi de personnelpour les besoins technologiques

TABLEAU 24 Taux d'alphabétisme des divers groupes sociauxau début de la période Meiji ".

Groupe social

Tauxd'alphabétisme(évaluation enpourcentage)

Dimensions dugroupe

(en pourcentage de lapopulation totale)

SamouraïHommesFemmes

Commerçants des grandesvilles "

Commerçants des petitesvilles et des régions rurales

Artisans des grandes villesArtisans des petites villes et

des régions ruralesNotables de villageClasses moyennes des villagesClasses paysannesPaysans des régions écartées

près de 100

50

70 - 80

50 - 60

50 - 60

4 0 - 5 0

près de 1005 0 - 603 0 - 4 0

29

87

Source. Irène B. TAEIXBER, The population of Japon, p. 26-28, PrincetonUniversity Press, 1958.

a En raison de la nature même de la question, les chiffres précis fontdéfaut; mais les témoignages fragmentaires dont on dispose ne paraissent pasinfirmer l'interprétation ci-dessus. Nos données proviennent des rapportsannuels du Ministère de l'éducation pour 1886 et 1890. Toutefois, l'impor-tance démographique des catégories essentiellement urbaines (commerçants etartisans) est peut-être sous-estimée, attendu que les trois grandes villes d'Edo,d'Osaka et de Kyoto groupaient à elles seules environ 5 ou 6 % de la populationtotale, et l'ensemble des villes sans doute 15 à 20 %. Il se peut que de nom-breuses personnes aient été enregistrées d'après le lieu d'origine de leurfamille plutôt que d'après leur situation sociale présente.

b Pour les femmes de ce groupe social, le pourcentage d'alphabétisme estsans doute un peu plus élevé que pour les femmes du groupe des samouraï.

des distinctions de classe, qui a suscité la demande d'instruction,ou si ce sont au contraire les progrès de l'instruction qui ontaccéléré l'évolution sociale. Il est clair, en tout cas, que l'assou-plissement des distinctions sociales dans les écoles locales corres-pondait à une évolution de la société. Nous savons aussi que lesécoles shogunales et certaines académies privées ont beaucoupfavorisé les réformes sociales en enseignant les sciences occiden-tales.

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Formation et emploi de personnel 111pour les besoins technologiques

Comme l'enseignement avait déjà des bases solides à l'époqueféodale des Tokugawa, la transformation radicale de la sociétéjaponaise en une société moderne, sous la restauration Meiji,n'entraîna pas de brusque rupture dans le domaine de l'éduca-tion. On en trouve confirmation dans le fait que l'effectif globaldes écoles primaires était sensiblement le même en 1875 qu'en1865.

Notons en passant que le Japonais moyen n'a pas toujoursréagi favorablement à l'effort du gouvernement pour accroîtrela fréquentation scolaire, grâce au Statut de l'enseignementde 1872. Cela s'explique par un délai normal d'inertie et unerésistance au nouveau système, qui mettait le coût de l'enseigne-ment à la charge des bénéficiaires. Cependant, une fois quela réforme de l'enseignement fut entrée en vigueur, les effectifsdes écoles primaires augmentèrent régulièrement, le taux descolarisation passant de 50 % en 1891 à 90 % en 1902 (voirfig. 6).

De leur côté, les effectifs des écoles secondaires augmentè-rent à peu près au même rythme que la production industrielle(fig. 7). Dans l'enseignement supérieur, l'accroissement deseffectifs a été un peu moins rapide que dans l'enseignementdu second degré.

Mais les courbes de la figure 7 ne permettent pas à ellesseules d'apprécier pleinement les efforts accomplis par le gouver-nement depuis le début de l'ère Meiji pour donner une formationsatisfaisante aux futurs cadres de la nation.

Enseignement supérieur

Le fait que l'Université de Tokyo soit restée jusqu'en 1897 la

seule université d'État montre clairement que le rôle assigné àl'enseignement supérieur était essentiellement de former unepetite élite. L'Université de Tokyo est née de la fusion, en 1869,de plusieurs écoles shogunales. En 1877, une faculté de droit futajoutée aux facultés de médecine, de sciences et de lettres quecomprenait déjà l'université. Cet élargissement répondait àl'impérieuse nécessité de former des administrateurs de niveau

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112 Formation et emploi de personnelpour les besoins technologiques

90

80

70

60

SO

40

30

20

10

0

//

/

garçons e

filles /-•

IS

/

t filles / '

„---»

- \'x, - •

y''

//

/ // /

/ //////

//

J

s1

/1ii

ii

83 08 13 18

Figure 6 Effectifs scolaires, en pourcentage du groupe d'âge astreintà la scolarité obligatoire (1873-1918).

Source. MINISTÈRE DE L'ÉDUCATION, Japon's grovith and éducation, educationaldevelopment to socio-economic grozvth, p . 31.

élevé pour les rouages modernisés de l'administration. Bien queles collèges universitaires de technologie1 et d'agriculture,créés sous l'autorité des ministères compétents, n'aient étérattachés à l'Université de Tokyo qu'en 1886 et 1890 respective-ment, ces collèges ainsi que d'autres établissements d'enseigne-ment supérieur dispensaient, depuis le début des années 1870,une formation technologique et agricole de niveau élevé.

L'idéologie des premiers dirigeants Meiji reposait entière-ment sur l'éthique des samouraï2; mais l'origine sociale des

1 On trouvera un exposé détaillé sur les collèges universitairesde technologie dans la section du présent chapitre qui s'intitule « Crois-sance économique et enseignement professionnel au Japon ».

2 Voir plus haut la section du chapitre 1 intitulée « La périodede redressement et de forte croissance ».

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Formation et emploi de personnelpour les besoins technologiques

113

Période d'expansion Enseignement du Nouveaudu système moderne temps de guerre systèmed'enseignement d'enseignement

1875 80 35 95 1900 05 10 15 20 25 30 3ù 40 45 50 55 60

Figure 7 Évolution des effectifs des enseignements primaire, secondaireet supérieur.

1 Non compris l'enseignement moyen.2 En vertu de l'ordonnance sur l'enseignement de 1878, certaines écoles

de niveau insuffisant cessèrent d'être comptées parmi les établissements dusecond degré.

3 Les élèves de l'enseignement primaire supérieur ont été comptés avecceux du secondaire.

4 1935 = I 0 ° -

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114 Formation et emploi de personnelpour les besoins technologiques

détenteurs du pouvoir se diversifia progressivement, comme lemontre le tableau 25.

Jusqu'en 1880, la majorité des étudiants inscrits à l'Univer-sité de Tokyo descendait de membres de l'ancienne classe dessamouraï. Après 1880, leur pourcentage alla en diminuant, àmesure que l'enseignement s'ouvrait à d'autres classes sociales \Des universités impériales furent créées à Kyoto (1897), Tohoku(1907), Kyushu (1910) et Hokkaïdo (1918). Toutefois, on necomptait encore en 1946 que dix-huit universités publiques oud'État, y compris les collèges universitaires du premier cycle.C'est, en fait, grâce aux universités et collèges universitairesprivés que les possibilités d'accès à l'enseignement supérieurse sont accrues vers le milieu du xxe siècle.

Beaucoup de ces établissements privés remontent à la fin.du xixe siècle, bien que certains soient issus d'académies privéesqui florissaient vers la fin du shogunat Tokugawa. Certainscomprenaient des facultés de sciences et de lettres mais, dansleur majorité, ils s'intéressaient surtout au droit. Cette tendancecorrespondait à l'opinion, très répandue à l'époque, qu'on était

TABLEAU 25 Étudiants de l'Université de Tokyo à l'époque Meiji(répartition en pourcentage selon le rang social).

Année " Nobles Ex-samouraï Autres classes sociales

25,521,825.548,250,847.O49.648,1

a Les chiffres de la période 1878-1880 se rapportent aux facultés dedroit, des sciences et des lettres; pour la période 1881-1885, ils englobent enoutre la faculté de médecine.

1 En 1874, les guerriers constituaient entre 5 et 6 % de lapopulation.

1878187918801881188218831884

1885

0,6

0.50,90,0

0,1

0,1

0,2

0,2

73.977.773.651,8

49.152,950,2

51.7

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Formation et emploi de personnel 115pour les besoins technologiques

sûr de réussir socialement en devenant fonctionnaire et qu'undiplôme de droit constituait pour cela un atout majeur. Elletraduisait aussi le souci de répondre aux vœux de ceux quicritiquaient l'oligarchie Meiji et souhaitaient étudier le droitafin d'instaurer un régime parlementaire moderne.

Les établissements d'enseignement supérieur privés duxixe siècle se répartissaient en trois groupes principaux : a) ceuxqui souscrivaient aux doctrines libérales, par opposition à toutedirection étatique; b) ceux qui étaient voués à l'étude de la culturejaponaise traditionnelle; c) ceux qui suivaient les directives dugouvernementx. Toutefois, lorsque l'économie japonaise devintfonctionnellement capitaliste, vers la fin du xixe siècle et aucommencement du XXe, la demande de spécialistes augmenta, etles établissements privés, changeant de caractère, assumèrent desfonctions analogues à celle des écoles de l'État. L'ordonnanceuniversitaire de 1918, qui promut au rang d'université de nom-breux établissements publics et privés, entraîna un accroissementde l'effectif de ces écoles2. En dix ans, de 1915 à 1925, le nombredes étudiants passa de moins de 35 000 à environ 90 000.

L'augmentation des effectifs universitaires fut encore plusrapide après 1947. L'accession des anciens collèges universitairesdu premier cycle au rang d'université explique en partie cetteaccélération. En outre, l'essor considérable de l'économie après1955 a conduit la plupart des établissements d'enseignementsecondaire privés qui ont été reclassés en 1964, selon le nouveausystème, parmi les écoles secondaires du deuxième cycle (c'est-à-dire au-dessus des écoles secondaires du premier cycle, dont lafréquentation est obligatoire), à créer leurs propres collègesuniversitaires et universités. En 1967, le nombre des universitéset collèges universitaires atteignait 309, et celui des collègesuniversitaires du premier cycle 451. Ces deux groupes d'établisse-ments accueillaient respectivement 1 160 425 et 234 725 élèves.

1 Ce classement repose sur l'étude suivante : Michio NAGAI,« Chishikijin no Seisan Ruto » [Production d'intellectuels], KindaiNihon Shisoshi Koza, p. 216-219, Tokyo, Chikuma Shobo, 1959.

2 Voir Michio NAGAI, Nihon no Daigaku [Les universitésjaponaises], p. 45-54, Tokyo, Chuokoron-sha, 1965.

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n 6 Formation et emploi de personnelpour les besoins technologiques

Ainsi, l'enseignement supérieur a d'abord mis l'accent sur larecherche (jusqu'en 1910), puis sur la formation de spécialistes(de 1920 à 1946), et enfin sur une éducation de masse (depuis1950).

Soucieux de donner à toute la population une instructionélémentaire et de former une élite capable de tenir les rênes dupouvoir, le gouvernement Meiji avait eu tendance à négligerl'enseignement secondaire. Les écoles moyennes, qui préparaientà l'université, et les écoles normales, qui formaient des institu-teurs, furent réorganisées après 1880; mais l'enseignementsecondaire professionnel ne commença à se développer qu'audébut du xxe siècle, au moment où s'accéléra l'industrialisationdu Japon.

Le tableau 26 montre l'évolution des effectifs aux diversniveaux de l'enseignement pendant la période 1895-1960.

En 1940, les écoles normales sont devenues des établissementsd'enseignement supérieur. En 1947, les septième, huitième etneuvième années d'enseignement ont été rendues obligatoires.En même temps, les effectifs des écoles secondaires du deuxièmecycle (dont la fréquentation n'est pas obligatoire) sont montésen flèche, atteignant 74,5 % du groupe d'âge en cause en 1967.Toutefois, cet accroissement s'est surtout produit dans les disci-plines figurant au programme des examens d'entrée à l'université.L'augmentation des effectifs de l'enseignement secondaire asoulevé d'innombrables problèmes. L'enseignement profession-nel, par exemple, était peu développé, et bien des gens doutaientde la qualité de l'enseignement secondaire dans son ensemble etdes capacités des élèves à leur sortie du lycée.

Croissance économique et enseignementprofessionnel au Japon

L'enseignement professionnel du second degré

Pendant la dernière moitié du xixe siècle, les écoles du seconddegré ne dispensaient aucun enseignement professionnel systé-matique. Jusqu'à la promulgation du Statut de l'enseignement

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Formation et emploi de personnelpour les besoins technologiques

117

TABLEAU 26 Niveau d'instruction de la population en âge deproduire, de 1895 à i960. Valeur absolue (unité : 10 000 personnes)et pourcentage (chiffres entre parenthèses).

Année

1895

1905

1925

1935

I95O

i960 d

Populationen âge deproduire"

2279(100)2 437(100)3 293(100)3825(100)4 735(100)5699(100)

N'ont pasfréquenté

l'école"

1 916(84,1)1396(57,3)

659(20,0)

255(7,i)

117

(2,3)3 i

(o,5)

Ont faitdes étudesprimaires

complètesc

357(15,6)1 015(41,6)2 447(74,3)3 154(82,1)3718(78,5)3639(65,9)

Ont faitdes études

secondairescomplètes"

4(0,2)

2 1(0,6)

161

(4,9)355

(7,2)743

(15,8)1713

(30,1)

Diplômésd'un éta-

blissementd'ensei-

gnementsupérieur"

2

(0,1)5

(0,2)26

(0,8)61

(1,6)157)(3,4316

(5,5)

Source. The rôle of éducation in the process of industrialization of Japan, p. 43,Tokyo, Statistical Research Institute, 1962, multigraphié.

a Par population en âge de produire, il faut entendre le groupe d'âge15-54 ans pour les années 1895, I9°5 « 1925, et le groupe d'âge 15-59 ansaprès 1935. Les chiffres correspondent jusqu'en 1920 à des estimations del'Institut d'études démographiques du Ministère de la sécurité sociale; aprèscette date, ils proviennent des recensements nationaux.

b Le nombre des personnes n'ayant pas fréquenté l'école a été obtenu endéduisant, pour chaque année, de la population en âge de produire, le nombretotal des personnes possédant un diplôme scolaire quelconque.

c Le nombre des personnes ayant fait des études primaires ou secon-daires complètes, ou ayant obtenu le diplôme d'un établissement d'enseigne-ment supérieur, a été obtenu en retranchant le nombre des décès (estimésd'après les tables de longévité de l'Institut d'études démographiques duMinistère de la sécurité sociale) du nombre total des diplômés des diversesécoles, pour chacune des années postérieures à 1873 (bulletin annuel duMinistère de l'éducation).

d Les chiffres de i960 reposent tous sur les résultats du recensementnational.

professionnel en 1899, ce genre de formation était donné dansles écoles primaires sous la forme de cours supplémentaires.En outre, bien que le gouvernement insistât sur l'importance decette formation professionnelle supplémentaire, les résultats en

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n8 Formation et emploi de personnelpour les besoins technologiques

étaient décevants, essentiellement pour deux raisons : a) à cetteépoque, l'industrie japonaise comprenait surtout les textiles etd'autres industries légères, de sorte qu'on n'éprouvait guère lebesoin de disposer de travailleurs pourvus d'une formationprofessionnelle spécialisée; b) le système traditionnel de l'appren-tissage était encore largement pratiqué, et les milieux industrielsn'étaient pas particulièrement désireux de recruter un personnelayant déjà une formation professionnelle1. C'est pourquoi,malgré les efforts du gouvernement pour institutionnaliserl'enseignement professionnel et en particulier l'enseignementtechnique de niveau secondaire (voir plus loin), il y eut peu deprogrès dans ce domaine.

Entre 1930 et 1940, le fort accroissement des effectifs del'enseignement primaire fit progresser de plus de 50 % ceux dusecondaire. A cette époque, l'enseignement professionnel étaitessentiellement axé sur les techniques agricoles. Le développe-ment a été plus lent dans le secteur secondaire de l'économie quedans le primaire ou le tertiaire. D'autre part, bien que le nombredes écoles d'agriculture fût passé de 56 en 1900 à 339 en 1930,on manquait encore de personnel pourvu d'une formationagricole de niveau secondaire2.

Le Statut de l'enseignement professionnel de 1899 avait étépromulgué pour répondre aux besoins des industriels quidemandaient du personnel qualifié. En même temps, l'enseigne-ment technique du niveau secondaire s'institutionnalisait suivantles dispositions du Statut des écoles d'apprentissage (1895), des-tinées à remplacer les arrangements antérieurs relatifs à la for-mation des apprentis, arrangements qui n'étaient ni rationnels,ni systématiques. Des écoles d'apprentissage existaient déjàdans les centres de production des industries traditionnelles,notamment celles de la poterie, de la laque et des colorants3. Les

1 Michitoshi KIYOHARA, « Waga Kuni ni okeru Sangyo GijutsuKyoiku no Tenkai » [Développement de l'enseignement technique auJapon], Sangyo Gijutsu Kyoiku Koza, vol. I, p. 143, Tokyo, IshigyoShuppan Co., Ltd., 1958.

2 Ibid., p. 170.3 Mamoru SATO, Totei Kyoiku no Kenkyu [Étude sur l'éduca-

tion des apprentis], p. 110-112, Tokyo, Ochanomizu Shobo, 1962.

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Formation et emploi de personnel 119pour les besoins technologiques

principaux objectifs du Statut de 1899 étaient, d'une part, deregrouper les écoles techniques qui fonctionnaient déjà dans lesagglomérations urbaines et, d'autre part, de réorganiser les écolesd'apprentissage des régions rurales en leur donnant la mêmestructure qu'aux écoles d'apprentissage récemment créées dansles agglomérations urbaines. Conformément à ce principe, lesécoles secondaires techniques (écoles techniques du second degréet écoles d'apprentissage) commencèrent au début du xxe siècle àconcentrer leurs efforts sur l'électricité, la mécanique et la chimieappliquée. Les écoles techniques du second degré, se modernisantde pair avec l'industrie japonaise, dépouillèrent graduellementleur caractère traditionnel d'écoles d'apprentissage et se trans-formèrent, quantitativement et qualitativement, en institutionsmodernes. Leur développement s'accéléra après la premièreguerre mondiale, parallèlement à celui des industries lourdes etdes industries chimiques.

A la suite des réformes apportées à l'enseignement en 1947,l'enseignement technique du second degré devint partie inté-grante de l'enseignement secondaire du deuxième cycle. End'autres termes, les instituts techniques, dont la fréquentationn'était pas obligatoire, étaient autonomes (contrairement àceux qui préparaient à l'enseignement supérieur et dépendaientd'une institution de ce niveau). Beaucoup de ces instituts techni-ques, toutefois, devaient se contenter de moyens et méthodesd'enseignement antérieurs à 1940; ils étaient souvent négligés,l'attention se concentrant de plus en plus sur l'enseignementsecondaire en tant que préparation aux études supérieures.Cependant, en liaison avec les changements structurels del'économie et la diffusion du progrès technologique, l'enseigne-ment technique changea sensiblement de caractère, notammentlorsque des cours d'électronique, de commande automatique,d'aviation et de gestion industrielle s'ajoutèrent à ses pro-grammes.

La création d'instituts technologiques, en 1947, marqua defaçon spectaculaire l'avènement de l'ère technologique moderne :à un enseignement « à voies multiples », elle substituait unsystème intégré offrant les mêmes possibilités d'études secon-

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120 Formation et emploi de personnelpour les besoins technologiques

daires à tous ceux qui, au terme de leur scolarité obligatoire,justifieraient des capacités et aptitudes requises pour continuer(la même égalité des chances existe pour les diplômés des écolessecondaires qui désirent poursuivre leurs études dans uneuniversité). Les instituts de technologie donnent à leurs élèvesune formation technologique spécialisée ininterrompue, compor-tant trois années d'études du niveau de l'enseignement secon-daire du deuxième cycle, et deux années correspondant aupremier cycle de l'enseignement supérieur. Ce système vise,d'une part, à remédier à la pénurie d'étudiants pourvus d'undiplôme d'ingénieur et, d'autre part, à répondre à la demandede personnel d'un niveau de compétence technologique supérieurà celui des élèves de l'enseignement technique du second degré.Les associations d'employeurs ont apporté un soutien actif à lalégislation des instituts technologiques, montrant ainsi le pro-fond intérêt qu'ils portent aux impératifs de la modernisation.Ce système, qui a pour principal objet la formation de techniciensde niveau moyen, présente aussi cet intérêt qu'il aide à éliminercertains gaspillages inhérents au système d'enseignement anté-rieur.

L'enseignement scientifique et technologique de niveau supérieur

Vu l'importance que cette question présente pour le développe-ment technologique au Japon, il convient d'examiner d'assezprès l'évolution de l'enseignement supérieur, tant des sciencesque de la technologie industrielle (ou sciences de l'ingénieur).

Le premier point à noter est la prééminence relative dessciences de l'ingénieur. Si, depuis la restauration Meiji, le nombredes étudiants s'est considérablement accru dans tous les domainesscientifiques, c'est à l'égard des sciences de l'ingénieur que cetaccroissement a été le plus spectaculaire. Le nombre des per-sonnes qui poursuivent de hautes études de technologie estpassé d'un millier environ au début du siècle à plus de ioo ooo eni960. Pour apprécier les facteurs qui ont provoqué cet accroisse-ment, il faut se souvenir qu'au début de l'ère Meiji, la scienceet la technologie japonaises reposaient essentiellement sur des

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Formation et emploi de personnel 121pour les besoins technologiques

connaissances importées des pays d'Europe et d'Amérique duNord. Il était indispensable de faire venir de ces pays des hommesde science et des techniciens, dont le nombre atteignit sonmaximum vers 1880. L'apport de ces spécialistes étrangers àl'enseignement des sciences et de la technologie industrielle futhautement apprécié; mais en même temps, comme le soulignaitpar exemple une notice concernant l'Institut de technologie,il était admis que le Japon «ne devrait pas rester indéfini-ment tributaire des ingénieurs et des techniciens étrangersmais que les Japonais devraient acquérir une technologie àeux »1.

L'Université de Tokyo et d'autres établissements d'enseigne-ment supérieur employaient un certain nombre de professeursétrangers qui enseignaient dans leur propre langue, tandis quedes Japonais allaient poursuivre leurs études à l'étranger; laplupart des professeurs japonais qui finirent par remplacerles professeurs étrangers dans les universités avaient fait leursétudes supérieures au Japon, puis étudié à l'étranger pendantquelques années. Sur les 439 étudiants qui firent des études àl'étranger entre 1875 et 1908,60 % (soit 259) avaient choisi pourmatière principale une des sciences exactes et naturelles; leurnombre dépassait donc largement celui des étudiants en scienceshumaines2.

En 1892, l'Université de Tokyo et l'Institut de technologieavaient décerné au total 441 diplômes d'ingénieur dans lesdomaines suivants : génie civil, mécanique industrielle, cons-tructions navales, électrotechnique, architecture, chimie appli-quée, mines et métallurgie. La guerre sino-japonaise, qui éclatapeu après, eut au Japon d'importantes répercussions non seule-ment sur l'industrialisation mais aussi sur l'enseignement.Si l'Université de Kyoto, dont la création était depuis longtempsdifférée, vit le jour en 1897, c e fut e n grande partie sous l'effetde la guerre sino-japonaise. En 1900, l'ensemble des instituts

1 KYU-KOBUDAIGAKKO SHIRYO KANKO KAI, Kyu-KobudaigakkoShiryo [Histoire du Collège de technologie], 1931.

2 Hiroyasu OGATA, Seiyo Kyoiku Inyu no Hoto [Commentintroduire le type occidental d'éducation], Tokyo, Kodansha, 1961.

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122 Formation et emploi de personnelpour les besoins technologiques

TABLEAU 27 Diplômés des instituts de hautes études technologiques.

Institution

Université impérialede Tokyo

Université impérialede Kyoto

Institut de technologiede Tokyo

DiversTotal

Nombre de diplômésJusqu'à

1880

1 0 3

103

1881-1889

332

140—

472

1890-1900

650

39

615162

1 466

Total

I 085

39

755162

2041

technologiques avait formé au total plus de 2 000 ingénieurs(voir tableau 27).

Le Statut des écoles professionnelles qui fut promulgué en1903 visait toutes les écoles techniques de niveau supérieur.En 1901, les écoles secondaires techniques de Tokyo et d'Osaka,développées et renforcées, étaient devenues des instituts deformation professionnelle supérieure, et le Statut de 1903 stipulaque seuls les diplômés de l'enseignement secondaire pourraientêtre admis dans ces établissements.

En ce qui concerne les collèges universitaires du premiercycle et les écoles professionnelles, l'évolution de leur nombreentre 1900 et 1930 est illustrée par la figure 8.

Après le nombre des écoles de médecine, de pharmacie et destomatologie, c'est celui des collèges universitaires de techno-logie qui a le plus augmenté. (La période sur laquelle porte lafigure 8, et qui comprend les années correspondant à la premièreguerre mondiale, a d'ailleurs vu le produit national brut duJapon atteindre des niveaux jamais égalés, en raison du dévelop-pement rapide de l'industrie lourde et des industries chimiques.)Toutefois, c'est entre 1920 et 1925 que le nombre de ces collègesa accusé la plus forte augmentation. Cela tient à ce que lademande d'ingénieurs spécialisés n'a abouti qu'au bout d'uncertain temps à l'institutionnalisation de la formation technolo-gique. Mais cela n'explique qu'en partie la situation car, sursur les douze écoles d'ingénieurs créées entre 1920 et 1925, deux

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Formation et emploi de personnelpour les besoins technologiques

123

1925

Médecine, pharmacie,stomatologie

Sciences de l'ingénieur

_ . _ . _ . _ . _ Commerce

. _ . _ . _ . Agriculture

— . . _ . _ . _ . _ Sciences

• - Constructionsnavales

Figure 8 Évolution du nombre des collèges universitaires du premiercycle.Source. Nihon Kagaku Gijutsu-shi Daiekù vol. 9, p. 275, publié par laSociété d'histoire de la science et de la technologie japonaises, 1965.

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124 Formation et emploi de personnelpour les besoins technologiques

seulement furent implantées dans des centres industriels exis-tants. Dans la plupart des cas, ces écoles furent installées par lesautorités préfectorales aux chefs-lieux de préfecture, afin dedévelopper les industries locales (textiles, industries minièresetc.). En plus des cours présentant un rapport direct avec lesindustries locales, ces établissements locaux donnaient, parexemple, des cours de mécanique ou d'électrotechnique. Celamontre que la création d'établissements supplémentaires entre1920 et 1925 ne correspondait pas nécessairement aux besoinsparticuliers de leur lieu d'implantation.

A long terme, cependant, il faut reconnaître que la fonda-tion de ces établissements dans diverses localités a beaucoupcontribué à l'industrialisation de l'économie. Comme le montrela figure 9 ci-après, la multiplication des écoles d'ingénieurs endes lieux très divers a eu pour avantage de faciliter la répartitiongéographique des ingénieurs et a contribué à assurer à la techno-logie industrielle une large diffusion.

L'augmentation progressive des effectifs des instituts techno-logiques est illustrée par la figure 9.

Ce sont les écoles de médecine, de pharmacie et d'art dentairequi, jusqu'en 1939, attirèrent le plus grand nombre d'élèves;mais, de cette date à 1946, les écoles d'ingénieurs prirent lapremière place quant aux effectifs. En 1940, le Conseil dudéveloppement scientifique recommanda d'augmenter le nombredes diplômés de l'enseignement secondaire du deuxième cycle,afin de pouvoir utiliser à plein les capacités d'accueil des univer-sités, qui allaient se multipliant (voir fig. 10), et de répondre dansune plus large mesure à la demande de spécialistes, toujourssupérieure à l'offre1.

En même temps, le nombre des personnes désireuses defaire des études supérieures dépassait la capacité du systèmed'enseignement, en dépit des nombreuses réorganisations.

Ce besoin non satisfait d'enseignement supérieur devint plusimpérieux vers 1955, e t les demandes d'accès à l'enseignement

1 NIHON KAGAKU GIJUTSU-SHI GAKKAI, Nihon Kagaku Gijutsu-shi Daikei [Histoire de la technologie au Japon], vol. 10, p. 185 eti865 Tokyo, Daïtchi Hoki Shuppan, 1966.

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Formation et emploi de personnelpour les besoins technologiques

125

Technologie

Médecine, pharmacieet stomatologie

. _ . _ . _ . Agriculture

—._._.—.-_ Sciences

Figure 9 Évolution des effectifs des collèges universitaires du premiercycle.

Source. « 70-year history of industrial éducation », Bulletin annuel du Ministèrede l'éducation.

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126 Formation et emploi de personnelpour les besoins technologiques

Figure 10 Évolution du nombre des chaires dans les universitésimpériales.Source. History of development of éducation System since Meiji Era, et Materialson modem éducation System.

technique supérieur ont augmenté dans des proportions encoreplus fortes depuis i960; car l'extraordinaire expansion de l'écono-mie japonaise et les progrès rapides de l'industrialisation tendentà accroître encore le besoin d'ingénieurs et de techniciens.

Il va sans dire, toutefois, qu'un accroissement quantitatif dela main-d'œuvre scientifique et technique n'assure pas automa-tiquement le maintien de la technologie à un niveau élevé, nil'élaboration de nouvelles techniques. Si les réalisations del'industrie japonaise depuis 1950 ont été spectaculaires, c'a étégrâce à l'introduction et à l'utilisation efficace d'une technologie

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Formation et emploi de personnel 127pour les besoins technologiques

étrangère de niveau élevé plutôt qu'à une technologie autoch-tone (encore qu'elles n'eussent naturellement pas été possiblessans les potentialités technologiques du pays et les dons naturelsdes nombreux ingénieurs japonais qui ont réussi à assimiler lestechnologies importées des pays avancés d'Europe et d'Amériquedu Nord). Aujourd'hui comme dans le passé, c'est essentiellementaux facultés des sciences et de technologie des universitésjaponaises qu'il incombe de former des scientifiques, desingénieurs et des techniciens capables d'ouvrir des voies nouvellesencore inexplorées.

Mobilité professionnelle et emploi desouvriers d'usine

L'emploi est régi, dans les entreprises japonaises, par un systèmequi, bien qu'antérieur à la seconde guerre mondiale, fonctionneconvenablement. Ce système repose sur le principe de l'ancien-neté et sur l'habitude de ne jamais licencier les employés. Quelssont les caractères du marché du travail et les particularités de lamobilité de la main-d'œuvre qui ont abouti à ce régime ? Tellessont les questions fondamentales auxquelles nous devons main-tenant essayer de répondre, d'abord à l'égard des ouvriersd'usine, puis à l'égard des techniciens.

Emploi et mobilité des ouvriers

Au début de l'industrialisation, les ouvriers de chaque usine serecrutaient dans les villages des environs. En vertu des réformessociales qui suivirent la restauration Meiji, ces ouvriers auraientdû venir de toutes les classes sociales, notamment celles desanciens samouraï, des cultivateurs et des artisans traditionnels.En fait, ils venaient pour la plupart de la classe des cultivateurs,qui constituait à cette époque la majeure partie de la populationjaponaise 1 : les usines modernes étaient souvent construites dansdes régions rurales, et de nombreux cultivateurs vivaient àproximité des villes. D'autre part, comme il était rare que les

1 Vers 1875, les agriculteurs constituaient environ 80 % dela population totale du Japon.

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128 Formation et emploi de personnelpour les besoins technologiques

compétences techniques des artisans de l'ère Tokugawa fussentdirectement applicables aux métiers modernes, presque tous lestravailleurs disponibles en ces premières années de l'ère Meijiétaient dénués de toutes qualifications professionnelles, bien quele besoin d'ouvriers qualifiés se fît déjà sentir dans certainesmanufactures d'État. Pour parer au besoin de main-d'œuvrequalifiée, on créa dans certaines usines des instituts de formationen cours d'emploi, ce qui permit d'attribuer aux employésreclassés de nouvelles fonctions à l'intérieur des usines.

Jusque vers la fin du xixe siècle, il y avait trois grandescatégories de salariés : les métallurgistes des industries méca-niques, les ouvriers du textile — qui étaient surtout desfemmes — et les mineurs, considérés comme formant la plusbasse classe de la société *.

Les ouvrières du textile, notamment les jeunes femmesemployées dans les filatures, constituaient la catégorie profes-sionnelle la plus nombreuse. Au début, elles étaient recrutéesdans les villages voisins de l'usine par les « équipes d'embauché »agissant pour le compte des différentes sociétés mais, à mesureque le volume des affaires augmenta, le recrutement s'étenditprogressivement à des régions plus éloignées. L'expansion desentreprises accrut la mobilité des travailleurs. L'exode ruralétait d'ailleurs souvent une sorte d'évasion2 et il n'était pas rareque, dans une entreprise, le nombre des départs dépassât, enfin d'année, celui des embauchages. D'après certaines données 3

1 Mikio SUMIYA, Nikon Chinrodo-shi Ron [Exposé historiquesur les salaires et le travail au Japon], Tokyo, Bureau d'édition del'Université de Tokyo, 1955.

2 Wakiso Hosoi, Joko Ai-shi [La triste histoire des jeunes fillesà l'usine], p. 53-57, Tokyo, Iwanami Shoten, 1954 ( i r e éd. en 1925).

3 Keizo FUJIBAYASHI, « Meiji Nijunen-dai ni okeru waga Boseki-Rodhasa no Ido-Gensho ni tsuite» [Mobilité des travailleurs de l'in-dustrie du textile au Japon de 1887 à 1897], Meiji-Zenki no Rodo Mondai[Problèmes du travail pendant la première moitié de la période Meiji],supplément I, p. 169, Tokyo, Ochanomizu Shobô, i960. (Étude del'Association de liaison pour la recherche de documentation historiquerelative à la période Meiji.)

La durée des contrats offerts aux ouvriers d'usine variaitd'une société à l'autre; elle était habituellement de quelques années.

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Formation et emploi de personnel 129pour les besoins technologiques

qui datent des environs de 1900 et qui concernent un groupede 15 filatures, 13,1 % des travailleurs quittaient l'usine moinsde six mois après y être entrés, et 23,6 % seulement restaientjusqu'à l'expiration de leur contrat.

Qu'en était-il, à la même époque, des travailleurs qualifiésemployés dans les ateliers de mécanique et les aciéries? Auxixe siècle, de nombreux ouvriers des usines d'État, après avoiracquis les compétences techniques qu'on y enseignait, les quit-taient pour entrer dans les usines nouvelles. On les appelait« travailleurs migrants ». Au début du xxe siècle, la demandede travailleurs qualifiés dans l'industrie lourde s'accrut dans desproportions extraordinaires, à cause des progrès de la mécani-sation et du développement de la technologie. Toutes les entre-prises essayèrent d'obtenir du personnel qualifié en créant leurspropres instituts de formation et en adoptant un système d'admi-nistration du personnel propre à enrayer l'hémorragie de main-d'œuvre. L'École technique du chantier naval Mitsubishi deNagasaki (créée en 1898) et l'Institut de formation des jeunesouvriers d'usine de l'aciérie de Yawata (ouvert en 1910) sontreprésentatifs de ce genre d'instituts. Le nombre d'usines dotéesde tels instituts continua d'augmenter jusqu'à la fin des annéesvingt; toutefois,l'importance attachée à l'enseignement techniqueétait en général beaucoup plus grande dans les usines d'État quedans celles du secteur privé.

Parmi les autres mesures prises pour freiner les départs detravailleurs, on peut citer la révision du système de promotion etde la limite d'âge et l'amélioration des mesures de protectionsociale des employés. C'est ainsi qu'on s'attacha particulièrementà compléter l'éducation de ceux dont la scolarité n'avait pasdépassé le minimum obligatoire, et à donner une formationprofessionnelle aux ouvrières. On en vint progressivement àconsidérer ces activités éducatives comme un aspect capital del'administration du personnel K

1 Sur l'évolution historique de l'enseignement technique ausein des entreprises, voir : Koichi ISHIWARA, Nihon Gijutsu Kyoiku-shi Ron [Exposé historique sur l'enseignement technique au Japon],Tokyo, San'ichi, 1962.

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130 Formation et emploi de personnelpour les besoins technologiques

Nous avons déjà dit que, jusqu'au début du xxesiècle, l'offrede main-d'œuvre était souvent insuffisante; le recrutement depersonnel posait un problème que chaque entreprise devaitrésoudre elle-même. C'est pourquoi le marché du travail était engénéral cloisonné. La direction de la main-d'œuvre demeuraitl'un des points faibles de la politique industrielle du gouverne-ment, et c'est seulement en 1923 qu'un organisme national del'emploi fut mis sur pied 1.

Par la suite, l'évolution de l'offre de main-d'œuvre fut forte-ment conditionnée par la mobilité interrégionale et par la struc-ture du marché du travail. Une enquête sur cet aspect du pro-blème, faite dans les filatures en 1932, a montré que les villagesétaient encore à cette date la principale source de main-d'œuvre,mais que les travailleurs, pour la plupart, quittaient bientôt leuremploi initial pour aller travailler dans d'autres régions.

Ces migrations de travailleurs eurent fatalement pour consé-quence, pendant les années vingt et trente, un certain recul del'agriculture; pendant cette période, la productivité augmentabeaucoup plus vite dans l'industrie que dans l'agriculture.

D'autres études détaillées mettent en lumière certainescaractéristiques intéressantes de cette migration vers les villes.Vers la fin des années vingt et le début des années trente, lephénomène se modifia progressivement, la migration d'unepartie de chaque famille (généralement les fils cadets) faisantplace à celle de familles entières. D'autre part, les migrationsétaient liées au niveau économique des familles paysannes, l'attraitdes villes s'exerçant avec une force particulière sur les pluspauvres d'entre elles. Enfin, le genre d'emploi occupé après lamigration était étroitement lié à des facteurs tels que l'âge et ledegré d'instruction. Comme on pouvait s'y attendre, les travail-leurs relativement instruits trouvaient d'ordinaire des emploismeilleurs et plus considérés 2.

1 La loi sur la sécurité de l'emploi n'a été promulguée qu'en1921 mais des bureaux de placement fonctionnaient déjà avant cettedate.

2 Shigeo NOJIRI, Nomin Rison no Jissho-teki Kenkyu [Étudesur l'exode des paysans], Tokyo, Iwanami Shoten, 1934.

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Formation et emploi de personnelpour les besoins technologiques

TABLEAU 28 Mouvements des ouvriers ayant quittéleur usine entre 1923 et 1936.

131

Année

192319241925192619271928192919301931193219331934T9351936

Source.market,

Emploi dansl'industrie

40,043,o37,937,230,830,828,025,418,724,625,33i,532,444,3

Retour àl'agriculture

39,635,739,337,640,240,244,745,749,o5i,450,643,842,528,2

Emploi dansd'autressecteurs

12,413,414,414,012,118,013,916,518,513,814,715,817,515,4

Shunsaku NISHIKAWA, Inter-regional labour migrationp. 62, Tokyo, Yuhikaku, 1966.

Chômage

/o8,07,98,4

11,216,911,0

13,412,413,810,29,48,97,6

12,1and labour

La vie professionnelle des travailleurs, une fois qu'ils avaientquitté leur village, pouvait prendre diverses tournures. On s'enfera une idée partielle en examinant le tableau 28, qui illustreles changements d'emploi des ouvriers qui ont quitté les filaturesentre 1923 et 1936.

A certaines périodes, 50 % de ceux qui quittaient leuremploi en usine revenaient à l'agriculture, mais pas nécessaire-ment dans leur village d'origine; le courant initial de migrationde la campagne à la ville était suivi par un courant inverse, plusfaible, de retour à la campagne. On peut donc considérer qu'unepartie de la main-d'œuvre japonaise était «employée temporaire-ment loin de son domicile ». Et, si l'exode de la main-d'œuvred'origine rurale s'est accéléré sous l'effet de la crise économiquequi a frappé le secteur agricole au cours des années vingt ettrente, la répartition professionnelle de la population ne s'est pasmodifiée de façon radicale.

Au cours des années trente et jusqu'en 1945, pendant toutle temps où la nation vécut plus ou moins sur un pied de guerre,

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132 Formation et emploi de personnelpour les besoins technologiques

l'État réglementa strictement la composition, la répartitionet les déplacements de la main-d'œuvre; d'une manière générale,les travailleurs étaient mobilisés et affectés d'office aux industriesde guerre. Après la seconde guerre mondiale, la répartition de lapopulation ouvrière entre les industries a été marquée par unebaisse brutale dans le secteur primaire et par un accroissementrégulier dans les secteurs secondaire et tertiaire, suivant uneévolution conforme aux tendances constatées dans les autrespays avancés.

Structure et mobilité professionnelles

A mesure que la structure industrielle se modifiait, la structureprofessionnelle est devenue elle aussi plus complexe. Au débutdu xxe siècle, la spécialisation professionnelle s'est marquéedavantage, dans la société japonaise, en même temps que sediversifiait le rôle social assigné aux divers genres d'école.

Le tableau 29 montre comment la répartition de la main-d'œuvre entre les professions a évolué de 1920 à 1955; dans undessein de simplification, nous avons partiellement regroupéles différentes catégories d'emplois que distingue le recensementnational.

En 1947, immédiatement après la fin de la seconde guerremondiale, la répartition de la main d'oeuvre entre les professionsétait encore, en gros, analogue à celle de 1920. Toutefois, aucours des années suivantes, le pourcentage de la population activeemployée dans les secteurs de l'agriculture, de la sylviculture etde la pêche (catégorie C) a constamment diminué. Parallèlement,on a constaté une augmentation progressive du pourcentage depersonnel de direction, de techniciens et de « cadres » en général(catégorie A), ainsi que de personnes employées dans lecommerce et les services (catégorie D).

Cette évolution traduit les progrès de l'urbanisation et de labureaucratisation des diverses couches de la société, et la différen-ciation de plus en plus marquée de la structure sociale en général.Les «cols blancs» avaient déjà fait leur apparition au Japon dansles services administratifs mis en place au début de l'ère Meiji;

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Formation et emploi de personnel 133pour les besoins technologiques

TABLEAU 29 Évolution de la répartition du personnelentre les professions (en pourcentage) de 1920 à 1955 ".

Profession

ABCD

1920

12,322,854,o11,0

1930

13,623,149,014,3

1947

13,524,353,5

8,7

1950

15,024,847,o12,5

1955

i5°727,240,4l6,7

Source. Toshio KURODA, « Occupational mobility of population », dans : HiromiARISAWA, Seiichi TOHATA et Ichiro WAKAYAMA, Lecture on économie indepen-dence, vol. III, p. 81, Tokyo, Chuo Koron Company, i960.

a Dans ce classement des professions, la catégorie A comprend lesemplois de spécialistes et de techniciens (classe I du recensement), les postesde direction et de gestion (II), les emplois de bureau (III); la catégorie Bcomprend les industries extractives (VI), les transports (VII), les travailleursqualifiés, agents de production et manœuvres n'appartenant à aucune autrecatégorie (VIII); la catégorie C comprend l'agriculture, la sylviculture, lapêche et les secteurs apparentés (V); la catégorie D comprend la commercia-lisation (IV) et les services (IX). Les professions qui n'entrent dans aucunedes catégories ci-dessus ne sont pas prises en considération.

comme leur nombre était restreint, ils étaient assurés d'occuperune position privilégiée. C'est seulement au début du XXe siècleque le progrès phénoménal de l'industrialisation provoqua uneforte prolifération de ces « cadres », manifestement associéeau développement de l'enseignement supérieur.

Pendant les années troublées de la période de crise quisuivit la première guerre mondiale, et surtout après 1929, lechômage contraignit certains de ces « cols blancs » à reprendreun travail manuel. Aussi, les « syndicats de cadres » se trou-vèrent-ils avoir un plus grand rôle à jouer dans le mouvementsyndical aux environs de l'année 1920, et à nouveau de manièretemporaire pendant la période chaotique qui suivit la secondeguerre mondiale. Cependant, malgré ces perturbations, le nombredes « cadres » a constamment augmenté, de pair avec les effectifsdes enseignements secondaire et supérieur.

Il a évidemment fallu une assez grande mobilité profes-sionnelle pour que la structure professionnelle de la populationpût se modifier de la sorte. Le tableau 30 montre, d'après lesrésultats d'une enquête récente publiée à Tokyo, le degré actuelde mobilité d'une génération à l'autre.

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134 Formation et emploi de personnelpour les besoins technologiques

TABLEAU 30 Mobilité d'une génération à l'autreentre métiers manuels et non manuels.

Métier du pèreMétier du fils Manuel Non manuel

la la

Manuel 83 17Non manuel 42 58

Source. Ken'ichi TOMINAGA, « Japanese society and occupational mobility »dans : Tomoo ODAKA (éd.), Technological innovations and human problems,p. 288, Tokyo, Diamond Publishing Ltd., 1963.

La proportion de pères qui ont un métier manuel alors queleurs enfants exercent une profession non manuelle (42 %) estrelativement élevée par rapport à la norme internationale. Enregard de cette mobilité ascendante, la mobilité descendante,c'est-à-dire le passage d'une profession non manuelle à unmétier manuel, est bien plus faible (17 %). On peut conclure deces chiffres que les Japonais se sont bien adaptés à l'industrialisa-tion qui s'est produite dans leur pays depuis un siècle. Il semblequ'en général les paysans japonais s'attendent à voir leurs enfantsabandonner l'agriculture pour prendre en ville un emploi nonmanuel, et cette attitude a certainement beaucoup contribué àl'industrialisation du Japon.

Il est intéressant aussi d'examiner le degré de fréquence deschangements d'emploi dans le Japon d'aujourd'hui. Toujoursselon l'ouvrage de Ken'ichi Tominaga, 30 % environ des Japo-nais n'ont jamais changé d'emploi. Si l'on se souvient que lesentreprises japonaises ont l'habitude de garder leur personnelà vie, cette proportion n'est peut-être pas très élevée; elle estcependant assez forte.

Parmi les cas où il y a eu changement d'emploi, la proportionde passages d'un métier manuel à une profession non manuelleest restée assez faible par rapport au degré de mobilité constatéd'une génération à l'autre.

Il est peut-être difficile de dire carrément si la mobilitéprofessionnelle est élevée ou non. Il n'est pas douteux qu'ellea joué un certain rôle, car l'industrialisation rapide du Japon aexigé au début de gros déplacements de main-d'œuvre. Mais elle

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Formation et emploi de personnel 135pour les besoins technologiques

a été tempérée par les efforts constants des entreprises pourfreiner les changements d'emploi, suivant le principe qui a guidéleur administration du personnel depuis le début du xxe siècleet auquel elles sont restées fidèles jusqu'après la seconde guerremondiale. Cette politique s'explique par le désir qu'elles avaientde conserver un personnel capable de recruter des ouvriersqualifiés. Elle a été favorisée initialement par le cloisonnement dumarché du travail, qui s'est longtemps maintenu au Japon, etpar la situation particulière du pays.

On reconnaît aujourd'hui, à la lumière de l'évolution mon-diale, que cette politique traditionnelle pourrait à la longuedevenir néfaste, et l'on constate un certain relâchement del'immobilité qui était jadis de règle. Il importe évidemment que,tout en apportant cette modification souhaitable au régime del'emploi, on veille à ne pas rejeter les éléments de l'ancien systèmequi sont encore utiles.

Répartition et mobilité des technologues

Nous devons maintenant examiner les emplois occupés par lestechnologues après l'obtention de leur diplôme de fin d'étudessupérieures, et essayer notamment de déterminer la fréquence etl'ampleur de leurs déplacements ultérieurs. Notre analyse porterasur les diplômés des universités, des collèges de technologie etdes anciennes écoles techniques supérieures, et distinguera troisgrandes périodes : le début de l'ère Meiji, les années 1900 à 1935et la période postérieure à la seconde guerre mondiale.

Vemploi des technologues au début de Vindustrialisation

En 1900, au terme de la période initiale d'industrialisation, lenombre des diplômés des départements de technologie dontétaient dotées les institutions d'enseignement supérieur relative-ment récentes dépassait tout juste 2 000. Exception faite d'unecentaine d'entre eux, nous disposons de renseignements concer-nant le premier emploi qu'ils ont occupé; et ces renseignements

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%24,259,o3,5o,8

12,5

%

13,234,123,1

1,0

28,6

0/

/o10,239,929,5

5,2

15,2

%8,8

39,042,9

0,48,9

136 Formation et emploi de personnelpour les besoins technologiques

sont condensés au tableau 31, qui indique la répartition de cesdiplômés entre les différentes professions, vers la fin duxixe siècle.

TABLEAU 31 Répartition des diplômés de technologieentre les divers secteurs (1883-1900).

Secteur d'emploi 1883 1889 1892 1900

EnseignementFonction publiqueIndustrie privéeProfessions libéralesAutres secteurs

Effectifs, en valeurabsolue (259) (311) (383) (989)

Source. Ikuo AMANO, Training formula and employment structure of techni-cians during industrial révolution era, p. 165 et 166, Tokyo, 1965. (Study ofeducational sociology, n° 20.) Les chiffres de 1883 et 1889 ont été calculésd'après des données tirées de Kohgakkai-shi (revue de l'Académie de techno-logie). Les chiffres de 1892 et 1900 reposent sur le Tokyo Impérial Universitycalendar.

On notera que la part relative de l'enseignement a progres-sivement diminué, tandis que celles de la fonction publique et del'industrie privée augmentaient, assez fortement dans le secondcas. Ces tendances s'expliquent par le fait que l'entreprise privéeavait progressé depuis la reprise des manufactures de l'État,entre 1863 et 1889, et que l'augmentation du nombre des postesd'enseignement et de recherche avait été beaucoup plusmodeste.

D'après les chiffres plus détaillés dont nous disposons pourl'année 1903, il semble que les organismes publics officiels aientalors employé une plus forte proportion du nombre total detechnologues que ne l'indique le tableau 31, et qu'ils aient confiédes fonctions administratives à 30 % d'entre eux environ.

Pendant l'ère Meiji, la politique gouvernementale dedéveloppement industriel a favorisé les investissements sociauxdans le réseau routier, les ports, les chemins de fer, etc., ainsique dans la mise en place de systèmes modernes de gestion;

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Formation et emploi de personnel 137pour les besoins technologiques

et l'on eut recours, pour diriger ces divers genres de travaux, àdes technologues spécialisés.

La mobilité professionnelle vers la fin du xixe siècle a étéétudiée sur la base d'un échantillon aléatoire de 241 technologues.On a constaté que 58 % d'entre eux sont restés attachés demanière plus ou moins permanente aux organismes qui les avaientengagés à leur sortie de l'université; les autres, soit 42 %, ontultérieurement changé d'employeur. Les premiers travaillaientpour la plupart dans des organismes publics, et il y en avait peudans l'enseignement, la recherche ou l'industrie. Si l'on considèrela spécialité universitaire de chacun des intéressés, on constateque c'est dans les constructions mécaniques, le bâtiment et lestravaux publics qu'il y a eu la plus grande mobilité profession-nelle ; et c'est dans les constructions navales, les mines et le géniecivil que l'emploi a été le plus stable. Les mouvements ont étésurtout orientés dans le sens d'un abandon de la fonctionpublique, de l'enseignement ou de la recherche pour l'industrieprivée, ce qui montre le rôle croissant que ce secteur a joué àcette époque dans le développement technologique.

L'apport des écoles techniques supérieures

Pendant la deuxième moitié du xixe siècle, les ingénieurs(technologues) et les ouvriers qualifiés (techniciens) étaientformés à deux niveaux différents des enseignements secondaireet supérieur. Vers le début du XXe siècle, on commença à créerou agrandir un certain nombre de collèges techniques dénommés« écoles techniques supérieures ». Ces établissements étaientinitialement destinés à former des techniciens de niveau moyen,mais leurs diplômés furent en général assimilés par l'industrieaux gradués d'université; en d'autres termes, quand on étudieles archives des grandes firmes, on constate qu'elles ont offertaux uns et aux autres des postes et des traitements du mêmeordre. Il y eut deux raisons à cela : premièrement, l'offre detechnologues pourvus d'une éducation universitaire s'est laisséedistancer par les progrès de l'industrialisation; deuxièmement,la qualité des élèves formés par ces écoles techniques supérieures

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138 Formation et emploi de personnelpour les besoins technologiques

— notamment celles de Tokyo et d'Osaka (qui furent promuesau rang d'universités en 1929) — justifiait cette assimilation.

Une analyse de la répartition des postes occupés pendant lapremière partie du xxe siècle par les diplômés de sept écolestechniques supérieures établies dans différentes régions montreque, comme on pouvait s'y attendre, les effectifs employés dansl'industrie manufacturière ont été proportionnellement plusimportants dans les zones relativement industrialisées; la pro-portion des postes occupés par ces diplômés dans le secteur desservices a été faible dans toutes les régions.

Cette analyse montre aussi, entre autres choses, que lesécoles techniques supérieures ont été une source importante depersonnel enseignant pour les écoles techniques moyennes.

Les diplômés composant l'échantillon avaient déjà pour laplupart accompli une première migration régionale au momentde leur entrée dans l'école technique supérieure de leur choix.A la fin de leurs études, moins de 70 % d'entre eux ont trouvédes emplois dans le département (« préfecture ») où se trouvaitleur école.

Ces diplômés ont beaucoup contribué au développement desrégions voisines des écoles techniques supérieures et des grandscentres industriels.

On a constaté des différences notables de formation et derépartition professionnelle entre cette catégorie de technologueset les gradués d'université. Les organismes publics régionauxpar exemple embauchaient les premiers de préférence auxseconds. De plus, tandis que les universités recrutaient princi-palement leurs étudiants parmi les diplômés des établissementsd'enseignement secondaire général, les écoles techniques supé-rieures accueillaient les diplômés des écoles secondaires tech-niques, déjà pourvus par conséquent d'une formation techniquede niveau moyen; c'est ce qui leur permit de former destechnologues ayant toutes les qualifications nécessaires à l'époquede la grande industrialisation (aux environs de 1905) et aumoment où l'industrie lourde et les industries chimiquesprirent leur essor, dans les années trente.

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Formation et emploi de personnel 139pour les besoins technologiques

L'emploi de technologues après la seconde guerre mondiale

Dans la période qui suivit la seconde guerre mondiale, l'ensei-gnement supérieur ne s'est pas développé au même rythme dansle domaine de la technologie que dans celui des sciences socialeset humaines. Mais ce rythme s'est accéléré dans la secondemoitié de la décennie 1950-1960, et la proportion d'étudiantsà spécialisation scientifique ou technologique a augmenté enconséquence dans toutes les universités. Ceux qui s'étaientspécialisés en technologie se sont trouvés très avantagés sur lemarché de l'emploi; entre 1952 et 1955, par exemple, le tauxd'emploi des diplômés de technologie se situait en moyenneentre 85 et 90 %, contre 56 à 79 % seulement1 pour les diplô-més de sciences sociales et humaines. Autre élément important :plus de 90 % des diplômés de technologie qui avaient un emploioccupaient des postes où ils pouvaient utiliser activement leursconnaissances spécialisées ; aussi bien qualitativement que quanti-tativement, le marché de l'emploi est resté ouvert auxtechnologues pendant toute la période des fluctuations écono-miques qui a suivi la seconde guerre mondiale et a duré jusqu'auxalentours de 1955 2.

Les innovations technologiques qui sont intervenues depuislors ont amélioré la position sociale des technologues aussi bienà l'intérieur qu'à l'extérieur des entreprises industrielles. Celaressort du tableau 32, qui illustre la répartition des postesoccupés par des titulaires d'un diplôme supérieur de technologie.Dans 13,8 % des cas, ces diplômés occupaient des postes dedirection, alors que 53,5 % d'entre eux faisaient un travailtechnologique normal et 7,6 % un travail spécialisé. Par compa-raison avec celle de diplômés d'autres disciplines la situationdes diplômés de technologie apparaît comme très satisfaisante.Les études spécialisées de technologie étaient donc devenuesl'une des principales voies d'accès aux emplois les plus considérés.

1 MINISTÈRE DE L'ÉDUCATION, BUREAU DE RECHERCHE. SECTIONDE RECHERCHE, Daigaku to Syushoku [Université et emploi], p. 173, 1957.

2 MINISTÈRE DE L'ÉDUCATION, BUREAU DE RECHERCHE, SECTIONDE RECHERCHE, Shokuba ni okeru Gakureki Kosei [Répartition desniveaux de formation scolaire dans les ateliers], p. 63, 1954.

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140 Formation et emploi de personnelpour les besoins technologiques

TABLEAU 32 Répartition (en pourcentage) des diplômés del'enseignement supérieur par disciplines et par genres d'emploi.

Discipline % o g f $ g

£ H 5 (3 l-s 1 1

Droit, littérature,scienceséconomiques

PédagogieSciencesTechnologieAgricultureMédecine,

stomatologie,pharmacie

Économie domes-tique et autresdisciplines

20,023,933,3

7,614,1

66,6

39,6

26,253,518,3

7,9

0//o

18,5 45,6 10,6

4,2 U,i 4,4œ

20,5 9,313,8 8,115, r 20,8

9,0 6,9

30,2 7,9 5,iSource. MINISTÈRE DE L'ÉDUCATION, SECTION DE RECHERCHE, School back-ground and job category in work-places, p .21, 1967.

a Administration du travail.

On constate aujourd'hui une montée des scientifiques, quicorrespond à l'importance accrue que les entreprises indus-trielles attachent à la recherche et au développement.

Le taux annuel d'accroissement du nombre des diplômésemployés dans le secteur secondaire se situe pour les scienti-fiques aux alentours de 35 %, ce qui est plus que pour lesspécialistes de n'importe quelle autre discipline. On reconnaîtde nos jours que la mise au point de nouvelles techniquesindustrielles repose nécessairement sur une combinaison dessciences fondamentales avec la technologie. La forte demande descientifiques montre que l'industrie a conscience de cette néces-sité, et elle tend à rehausser le rang accordé aux scientifiques dansl'échelle sociale.

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Modes de gestion et hautedirection de l'industrie

Parmi les facteurs qui ont concouru à l'industrialisation et auprogrès technique du Japon, il en est qui ne se laissent pasfacilement mesurer. C'est à eux que les économistes se réfèrentglobalement lorsqu'ils parlent de « potentiel japonais ». Nousexaminerons ci-après comment les modes de gestion et l'activitédes chefs d'entreprise ont évolué pendant la période d'industria-lisation du Japon, et quelle est l'attitude générale des Japonaisvis-à-vis de l'industrie (voir aussi la bibliographie, p. 163).

Modes de gestion et développement industriel

L'organisation des manufactures d'État

A la fin de la période Tokugawa, il existait déjà quelques manu-factures employant des centaines d'ouvriers; elles étaient lapropriété du Bakufu (gouvernement shogunal) et de certainshans (clans féodaux) qui les géraient; à la suite de la restaurationMeiji, le nouveau gouvernement en assuma lui-même l'adminis-tration. Le chantier naval de Yokosuka en est un exemplecaractéristique : comme, à l'époque, il n'y avait pas encored'industrie mécanique ni de sidérurgie, le chantier naval, outrequ'il construisait des navires, fabriquait et réparait lui-même sonmatériel; en somme, on y faisait de l'industrie lourde.

Dans l'immédiat, la reprise de ces usines par le régimeMeiji n'a pas changé grand-chose à l'organisation ni au mode degestion de ces entreprises d'industrie lourde. Au chantier naval

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142 Modes de gestionet haute direction de l'industrie

de Yokosuka le personnel se classait en cinq catégories : a) lescadres supérieurs de direction (composés de hauts fonction-naires); b) les cadres moyens de direction (également composésde fonctionnaires) ; c) les cadres de maîtrise (eux aussi au servicedu gouvernement); d) des ouvriers n'appartenant pas au per-sonnel permanent; e) des temporaires (ouvriers non spécialisésemployés à divers travaux). Ces cinq catégories correspondaientaux différentes couches sociales de l'époque. Les travailleurs dugroupe a étaient pour la plupart d'origine samouraï, tandis quele groupe e se composait d'indigents et de détenus. Les membresdu groupe c avaient été autrefois au service du Bakufu et sedistinguaient par là de ceux du groupe d.

Les réformes apportées à l'organisation gouvernementale,l'augmentation du nombre des travailleurs et la nature de plusen plus technique des tâches à accomplir eurent rapidement poureffet de modifier le visage de l'industrie. En 1873, au chantiernaval de Yokosuka, le cadre moyen de direction comprenait38 ingénieurs, tandis qu'à l'échelon immédiatement inférieur oncomptait, dans le cadre de maîtrise, 102 techniciens. Les cloisonsentre les diverses catégories avaient d'ailleurs, la plupart dutemps, gardé toute leur étanchéité, et c'est seulement vers la findes années 1870 qu'il devint possible à des ouvriers non qualifiésau départ d'accéder, après avoir reçu une formation techniquedans le service de formation de leur propre entreprise, à unemploi de travailleur qualifié *.

A cette époque, la majeure partie de l'équipement industrielétait encore importé, et il en allait de même des ingénieurs et desouvriers spécialisés appelés à utiliser ce matériel. Le personneljaponais des cadres supérieurs et des cadres moyens, pour sapart, était surtout occupé à des tâches administratives, mêmelorsque les désignations professionnelles pouvaient faire croireà des occupations plus techniques.

En ce qui concerne les traitements et salaires, il n'existait

1 R. BENDIXJ « A case study in cultural and educational mobi-lity : Japan and the protestant ethic », dans : N. J. SMELSER et S. M.LIPSET (éd.). Social structure and mobility in économie development,1966.

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Modes de gestion 143et haute direction de l'industrie

au départ qu'une relation assez floue entre la nature du travailet sa rémunération mais, à mesure que l'affectation des employéset la réglementation des emplois se précisèrent, une certainecorrespondance s'établit entre le rang du travailleur et sa rému-nération, chaque fabrique appliquant un barème fixe et précis;vers 1885, la catégorie des travailleurs fut subdivisée en groupes— « spécial », « général », « jeunes gens » et « stagiaires àl'essai » — chacun de ces groupes comprenant lui-même detrois à huit échelons.

Les modes de gestion dans l'industrie privée

Vers 1885, le gouvernement Meiji se rendit compte que lasituation financière des manufactures qu'il gérait lui-mêmen'était guère satisfaisante et il les céda peu à peu à des entreprisesprivées, dont beaucoup adoptèrent le principe de ne recruterleurs travailleurs qu'indirectement, ce qui était un moyen deremplacer le déficit par un profit. A l'époque, même dans lesfabriques déjà fort importantes, de nombreuses opérations sefaisaient encore à la main, et il était difficile d'assurer la sur-veillance d'un aussi grand nombre de travailleurs manuels. Lepropriétaire sous-traitait donc la production, gardant sous sonautorité directe les services de comptabilité et de vente. Seloncette formule de sous-traitance, le « patron » recrutait du per-sonnel (parfois par l'intermédiaire d'agents), dirigeait le travailet versait les salaires.

L'organisation des entreprises privées, pendant la périodeMeiji, différait donc sensiblement de celle des manufacturesd'État.

Mais la mécanisation progressive de la production et l'inten-sification de l'activité industrielle favorisèrent le passage dusystème de la sous-traitance (c'est-à-dire de l'emploi indirect)à celui de l'emploi direct. La transition ne s'est pas faite enmême temps dans toutes les industries; elle a généralementcoïncidé avec le moment où il devint indispensable que letravailleur, au lieu d'être uniquement apte à un travail manuelsimple, sût utiliser des machines.

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144 Modes de gestionet haute direction de l'industrie

Parallèlement, il est devenu de plus en plus utile de placeraux échelons supérieurs des éléments compétents du nouveaugroupe, de plus en plus nombreux, des technologues et destechniciens.

La gestion « paternaliste » au début du XXe siècle

Dès les débuts de l'industrie, les manufactures de l'État, notam-ment celles qui furent par la suite cédées au secteur privé,étaient assez importantes, et employaient des milliers de per-sonnes. D'autres entreprises, nées dans les années 1880, sedéveloppèrent progressivement, et ce développement eut natu-rellement pour conséquence d'accroître peu à peu la distanceentre l'employeur et l'employé.

La solidarité du personnel, initialement recruté sur place,alla se relâchant à mesure qu'on faisait venir des ouvriers de plusloin; et, à l'intérieur de l'entreprise, les échanges entre lespropriétaires, les cadres de direction et les travailleurs se dégra-dèrent progressivement. Les difficultés de cet ordre s'accen-tuèrent à mesure que les entreprises créaient des filliales dansdes régions différentes. Entre-temps, les relations du travaildemeuraient assez primitives, toujours caractérisées par de bassalaires et des pénalisations.

Il fallut attendre 1910 pour que les syndicats commencentà réclamer activement l'amélioration des conditions de travail.Parallèlement, de vives critiques étaient formulées de l'extérieur,sous la forme d'études et d'articles de périodiques; mais laquestion était toujours analysée d'un point de vue humanitaireplutôt qu'économique.

On est fondé à penser, et l'histoire d'autres pays avancésle confirme, que si les conditions de travail restaient aussiprimitives, c'est que les industriels voulaient pouvoir soutenirla concurrence sur les marchés internationaux à une époque oùles ressources naturelles mais aussi les ressources techniques duJapon étaient encore limitées. Toutefois, divers changementsvinrent modifier la situation générale, entraînant bientôt unetransformation des modes de gestion industrielle.

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Modes de gestion 145et haute direction de l'industrie

Le plus important de ces changements concerne le mouve-ment ouvrier. Jusqu'en 1910, lorsque les ouvriers voulaientprotester contre le régime primitif et les conditions de travailmédiocres auxquels ils étaient assujettis, ils recouraient ausabotage et se mutinaient. Cependant, ces manifestations demécontentement allèrent se raréfiant; en 1911, à l'apogée del'ère Meiji, il n'y eut que 57 conflits du travail, intéressant autotal environ un millier de travailleurs.

En 1912, des syndicats s'implantèrent dans tout le pays. Audébut, ils recherchaient la coopération entre le personnel et ladirection; mais leur attitude évolua, manifestant progressivementune plus vive conscience de classe, de telle sorte qu'en 1918 lenombre des conflits du travail fut largement supérieur à 2 000,le nombre des travailleurs en cause dépassant 335 000.

Il faut en deuxième lieu tenir compte du fait que le niveaud'instruction des travailleurs s'est élevé à mesure que la fré-quentation scolaire obligatoire se généralisait et que l'ensei-gnement se normalisait. Rares sont aujourd'hui les ouvriers quin'ont pas fait d'études au moins primaires.

En troisième lieu, le nombre des diplômés des lycées etcollèges du premier et du second cycle avait considérablementaugmenté, et beaucoup d'entre eux occupaient des postesadministratifs et des postes de direction, encore que leursperspectives de carrière ne fussent pas égales à celles des diplômésd'université.

Au total, ces divers changements eurent pour effet, dansl'industrie, d'encourager les travailleurs à s'organiser et destimuler le syndicalisme. Les services de direction et d'admi-nistration n'étaient pas assez solidement établis pour faire faceà l'évolution des besoins, malgré l'énorme croissance des struc-tures de gestion. Un changement d'attitude s'imposait et cettenécessité donna naissance à une nouvelle conception de lagestion, qu'on désigne du nom de « familisme » ou, plus couram-ment, de « paternalisme ». Dans un tel système la relation entrel'industriel capitaliste et ses ouvriers ressemble à la relationentre parents et enfants ; des deux côtés, il est admis que l'intérêtet le bien-être de chaque partie dépendent directement de

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146 Modes de gestionet haute direction de l'industrie

l'autre. Ce système répond à l'idéal japonais traditionnel d'uneexistence axée sur la famille et dans laquelle les saines relationsqui existent entre le chef de famille (ou le patron) et le reste duclan créent une chaude atmosphère de coopération.

Dès avant 1910, des industriels et des administrateurscapitalistes avaient déjà formulé des idées de ce genre. Lepremier projet de législation sur le travail des usines était prêtdepuis 1898 et avait été déposé devant la Diète nationale àplusieurs reprises, mais il ne fut voté qu'en 1911. Si les industrielscapitalistes et les directeurs administrateurs lui avaient opposéune si longue résistance, c'est précisément parce qu'ils crai-gnaient de voir perturber le régime paternaliste en vigueur.

Évolution de la gestion paternaliste

II y a loin de l'idéologie paternaliste professée par les cadres degestion avant 1910, qui mettait l'accent sur les rapports humains,et le paternalisme des années plus récentes.

De 1905 à 1920 environ, la révolution industrielle battitson plein; sous l'effet des forces internationales l'économieconnut alors de violentes fluctuations, mais l'industrialisationne s'en réalisa pas moins avec une rapidité étonnante.

Pendant la période précédente, les relations entre directionet ouvriers reflétaient la différence de rang social entre le maîtreet ses serviteurs; toute augmentation de salaire, toute mesurepropre à améliorer les conditions de travail étaient, de la partde la direction, un acte de charité.

Aux alentours de 1910, le Japon connut de profondestransformations sociales. L'ère Meiji se termina en 1912 et,sous le régime Taisho, les directions d'entreprise durent bongré mal gré accepter d'entretenir avec les mouvements de tra-vailleurs des relations très différentes de celles du passé; lessyndicats prirent un nouvel essor, et une législation ouvrière,concernant notamment le travail des usines, entra progressive-ment en vigueur.

Pour maintenir leur position, le capital et les dirigeantsdéfendirent avec vigueur leurs conceptions paternalistes, inspi-

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Modes de gestion 147et haute direction de l'industrie

rées du principe traditionnel qu'on retrouve dans la relationpère-fils, et ils s'efforcèrent de traduire concrètement cetteidéologie, sur le plan des rapports humains et de l'emploi de lamain-d'œuvre, en accordant aux travailleurs des augmentationsde salaire et autres avantages.

Le système alors en vigueur ne comportait pas l'établisse-ment, au moment du recrutement, de relations contractuellesprécises entre l'employeur et l'employé; celui-ci était traitécomme un membre de la famille. Chaque travailleur se voyaitassigner un certain poste et certaines tâches d'après des aptitudesqui lui étaient imputées plutôt que par celles dont il avait faitpreuve.

A l'époque Meiji, ces aptitudes supposées dépendaient dulieu d'origine et de la famille de l'intéressé : c'était le cas notam-ment dans les manufactures de l'État. Après 1910 toutefois,on commença à évaluer autrement les qualifications profession-nelles, et l'on vit progressivement s'établir un nouveau systèmede différenciation fondé sur les antécédents scolaires de chaquetravailleur (voir tableau 33). Chacun pouvait, suivant les étudesqu'il avait faites, être engagé comme employé ou comme ouvriernon spécialisé, et espérer, à partir de là, bénéficier de promotionssuivant son ancienneté dans sa catégorie. Selon ce système fondéessentiellement sur l'ancienneté, il fallait, pour être promu,travailler dur et longtemps dans sa catégorie, bien s'adapterà l'esprit de l'entreprise et faire preuve de fidélité enverselle.

On trouve une autre caractéristique importante du régimede l'emploi dans ce qu'on a appelé P« engagement à vie ». Unefois recruté dans une entreprise donnée, l'individu était sûr dene jamais être licencié, sauf circonstances exceptionnelles. Inver-sement, il était entendu qu'il ne quitterait pas l'entreprise de sonpropre gré.

Vers la fin des années vingt, lors de la crise économique, onput voir à quoi aboutissaient parfois ces principes : au lieu deréduire les effectifs, les employeurs réduisaient le nombred'heures de travail — et, bien entendu, les salaires; mais ilsmettaient également en train des travaux de construction sur

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148 Modes de gestionet haute direction de l'industrie

TABLEAU 33 Relation entre la position des travailleurs dansl'entreprise et le niveau d'instruction aux environs de 1930.

Classement Position dans l'entreprise » Niveau d'instruction

Cadre Chef de service

Chef de section

Employé Employé

Contremaître

Ouvrier Ouvrier, i re classe

Ouvrier, 2e classe

Travailleur temporaire

Diplôme de l'enseignementsupérieur

Études secondaires

Études primaires,cycle long (6 ans)

Études primaires,cycle court (4 ans)

a La situation à laquelle correspondaient, dans la réalité, des désignations similairespouvait varier jusqu'à un certain point d'une entreprise à l'autre.

les terrains des usines, pour occuper la main-d'œuvre dont ilsn'avaient plus l'emploi.

Toutefois, ce système de prime à l'ancienneté, fondé sur leclassement du travailleur, la durée de ses services et l'« engage-ment à vie », n'était pas applicable au personnel temporaire,rangé tout en bas de l'échelle, lequel, en période de crise, servaiten quelque sorte de soupape de sûreté au profit des travailleursdes catégories plus élevées.

Les éléments constitutifs de la rémunération du personnelpermanent en 1922 étaient les suivants1 : salaire de base ou fixeplus allocations normales (allocation générale, allocation de dépla-cement, allocation de logement, allocation d'habillement, alloca-tions pour frais quotidiens, allocations de subsistances); venaients'ajouter les allocations et primes convenues entre le personnel etla direction (prime de fonction, prime de ponctualité, prime de

1 Showa DOJINKAI, Historical study of wage structure in Japan, p. 250-254) 1955-

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Modes de gestion 149et haute direction de l'industrie

fidélité, garde d'enfants [pour les employées mères de famille],primes saisonnières). Cette rémunération doit sa complexité aufait que le salaire normal était majoré de diverses allocations etprimes d'encouragement qui, contrairement à l'usage en vigueur àl'époque Meiji, étaient versées aux simples ouvriers aussi bienqu'aux employés. A partir de 1920, tous les travailleurs eurentdroit à des primes saisonnières. Le versement d'allocations etprimes convenues entre le personnel et la direction constituaitaussi un grand changement par rapport à la pratique antérieure.

Autre innovation importante, les augmentations de salairecalculées d'après la durée de bons et loyaux services : au bout devingt ans, le salaire put désormais être deux ou trois fois supé-rieur à celui d'un débutant. Cela était conforme à la conceptionpaternaliste, puisque cela permettait au travailleur, qui était leplus souvent jeune célibataire au moment de son entrée dansl'entreprise, de faire face à de nouveaux besoins une fois qu'ilétait marié et avait une famille à sa charge. En même temps,on récompensait ainsi la fidélité à l'entreprise, et l'on favorisaitévidemment la stabilité de l'emploi.

Ce sont surtout les grandes entreprises qui pratiquaient lepaternalisme tel que nous l'avons décrit ci-dessus; et ce modeparticulier de gestion était moins une application au domaineindustriel des pratiques sociales traditionnelles au Japon qu'unemesure d'adaptation des milieux patronaux, visant à leur per-mettre de faire face à certains des problèmes soulevés parl'explosion industrielle.

Le principal problème qui se soit posé aux administrateursgênés par l'insuffisance des structures de gestion était d'assureret de maintenir l'offre de main-d'œuvre qualifiée que réclamaitle développement de la production. La technologie pouvaits'importer de l'étranger à mesure que le besoin s'en faisaitsentir; mais, sur le plan humain, les problèmes de gestionn'étaient pas si simples, et les méthodes appliquées avec succèsen Europe risquaient de ne pas convenir. Toute méthodeimportée devait être soigneusement étudiée et adaptée avantd'être applicable à la situation sociale du Japon. A une époqueoù il n'existait aucun dispositif, même rudimentaire, de régula-

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150 Modes de gestionet haute direction de l'industrie

tion du marché du travail, il était indispensable d'élaborerdes techniques de gestion d'un style essentiellement japonais.C'est par le paternalisme que le Japon a essayé de résoudre leproblème.

Le paternalisme après la seconde guerre mondiale

Après la seconde guerre mondiale, l'industrie japonaise estrestée fidèle au système de l'ancienneté et de l'emploi à vie; mais,si ce système a persisté, c'est pour de tout autres raisons quecelles qui l'avaient fait adopter.

Avant la guerre, en effet, c'étaient les directions d'entrepriseet les employeurs qui avaient instauré ce système, de leur propreinitiative et pour leur commodité; après la guerre, ce furent lesemployés qui demandèrent qu'il soit conservé.

Pendant la période troublée qui suivit immédiatement laguerre, les syndicats, soucieux d'éviter le chômage, protestaientvigoureusement contre tout licenciement et réclamaient auxpatrons le maintien du principe de l'emploi à vie, qui garantissaitla sécurité de leur existence quotidienne et qui avait pourcorollaire le calcul de la rémunération en fonction de l'ancienneté.

En 1954,43 % des travailleurs de l'industrie manufacturièreavaient à leur actif au moins cinq ans de service dans la mêmeentreprise.

Quel jugement convient-il de porter, dans ces conditions,sur le mode de gestion paternaliste, notamment quant à sesincidences sur le développement technologique ?

Sans doute était-ce l'employeur qui fixait les méthodes degestion; mais il était important pour lui d'avoir l'assentimentde ses employés avant de mettre ces méthodes en application.

Le régime paternaliste a eu pour effet de ralentir le renouvel-lement de la main-d'œuvre dans les grandes entreprises et defaciliter la formation de travailleurs spécialisés à l'intérieurmême de l'entreprise; ce fut là un facteur important du dévelop-pement technologique. Toutefois, si l'offre de travailleursspécialisés se trouvait ainsi assurée, c'était seulement à l'intérieurde chaque entreprise.

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Modes de gestion 151et haute direction de l'industrie

Par ailleurs, si les modalités de la gestion restaient en grandepartie conformes à la tradition japonaise, elles répondaient aussi,heureusement, aux principes fondamentaux de toute organisationrationnelle.

Il ne faut toutefois pas oublier que ce système reposait nonsur les qualités dont l'employé avait fait preuve, mais sur cellesqu'on lui imputait de façon gratuite, d'après son niveau d'ins-truction.

Cependant, l'évolution technique qui se poursuit depuis 1955a mis en lumière certains faits nouveaux et significatifs concer-nant la main-d'œuvre; et, depuis la seconde guerre mondiale,les jeunes travailleurs attachent de plus en plus d'importance à lafidélité au pays (plutôt qu'à l'entreprise) et à la dignité de lapersonne humaine. Aussi se peut-il que le paternalisme toucheà sa fin. De surcroît les patrons, comme les jeunes travailleurs,attachent de plus en plus de prix aux aptitudes réelles (plutôtqu'à la simple ancienneté) de sorte qu'un système de valeursplus moderne finira peut-être par s'imposer au Japon.

Rôle et personnalité des grands chefsd'entreprise

Le rôle du grand patronat dans la croissance économique et ledéveloppement technologique a été étudié par rapport à l'his-toire de la gestion essentiellement sous l'angle de l'initiativeprivée. La documentation utilisée pour ces études consistesurtout en biographies ou autobiographies de grands chefsd'industrie. En regardant de près qui sont les patrons de grandesentreprises telles que les zaibatsu (trusts), quelle est leur concep-tion de la gestion, quel est, dans le détail, le système qu'ilsappliquent, quels sont leurs activités extérieures, leurs liensavec le monde politique, quels efforts ils déploient en faveur dudéveloppement industriel, on a pu dresser un tableau d'ensemblerévélateur de l'importance du rôle que ces personnalités ontjoué dans l'industrialisation du Japon. Ce grand patronat,constate-t-on, se caractérise par les cinq types d'activité sui-

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152 Modes de gestionet haute direction de l'industrie

vants : recherche d'un profit économique; développementtechnologique; action politique concourant directement à laréalisation des principaux objectifs; groupement de différentesorganisations; activités essentiellement motivées par des valeurssociales.

Les chefs d'entreprise qui ont véritablement contribué auprogrès de l'industrialisation au cours du dernier siècle se sontsignalés à l'attention dans une au moins des directions ci-dessus.Toutefois, le genre de chef d'entreprise qu'il faut pour susciteret stimuler le développement industriel évolue nécessairementavec le temps, et nous voudrions retracer ici certaines étapesrécentes de cette évolution.

Le grand patronat à Vépoque de la restauration Meiji

Les chefs d'entreprise, à cette époque, étaient encore issus pourla plupart de la classe des seigneurs féodaux, les samouraï,qui avaient dominé l'ère Tokugawa et exercé une forte influencepolitique. Non seulement leur conception de l'initiative enmatière industrielle, mais leurs jugements de valeur et toute leurmanière d'agir se ressentaient de leurs origines. En outre,comme ils constituaient la classe dirigeante, leur culture impré-gnait également d'autres couches sociales, donnant le ton àl'ensemble du pays. C'est pourquoi il est bon que nous consi-dérions d'un peu plus près la culture samouraï. Sans doute,l'esprit qui l'anime a-t-il quelque peu évolué tout au long del'ère Tokugawa; mais les caractéristiques qui nous intéressentici n'ont pas varié; on pourrait dire du samouraï qu'il allie l'espritdu pionnier au dégoût du mercantilisme.

A l'époque de la restauration Meiji, le gouvernementcontraignit les seigneurs féodaux à restituer à l'empereur sesanciens pouvoirs sur les terres et sur les gens. Le régime féodal,fondement économique de la relation paternaliste initiale entregrands et petits samouraï, fut tout d'abord modifié puis progres-sivement aboli. L'esprit du pionnier prit alors une forme nou-velle : les dirigeants., rompant avec le passé et la tradition, seconsacrèrent désormais à l'industrialisation prochaine et voya-

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Modes de gestion 153et haute direction de l'industrie

gèrent pour cela à l'étranger, en quête de connaissancesscientifiques et techniques.

La carrière d'Eiichi Shibusawa, qui introduisit au Japon lesystème bancaire moderne et les sociétés par actions, illustre larépugnance caractéristique du samouraï pour le mercantilisme.Son système de gestion soulignait « l'identité de la morale et del'économie ». Parmi ses entreprises, dont le nombre dépassaun millier, un peu moins de la moitié étaient d'ordre commercialet économique, tout le reste relevant de l'action sociale et destravaux d'intérêt public. Il se peut, d'ailleurs, que l'échecfinancier des manufactures d'État s'explique précisément par lefait que les questions économiques n'étaient pas seules à retenirl'attention des responsables.

Le grand patronat industriel à l'aube de l'entreprise privée

Les entreprises privées qui, dans les vingt dernières annéesdu XIXe siècle, reprirent à leur compte les usines de l'Étatétaient, en gros, de deux sortes : les unes bénéficiaient d'appuispolitiques et pouvaient favoriser le développement grâce à leursliens étroits avec le gouvernement (les zaibatsu en étaient desreprésentants typiques) ; les autres ne pouvaient compter que surelles-mêmes, ne bénéficiant d'aucune aide officielle.

Les entreprises du premier groupe purent, dans nombre decas, acquérir du capital grâce à la session à leur profit d'ex-biensdomaniaux devenus propriété privée, jetant ainsi les bases decélèbres empires industriels modernes. A mesure que leur activitégrandissait et se diversifiait, il leur fallut changer leurmode de gestion. Beaucoup des grands chefs d'entreprise del'époque avaient bénéficié dans leur formation de la nouvelle loisur l'enseignement adoptée en 1872; ils introduisirent dansleurs affaires les méthodes occidentales et accordèrent tout leurprix aux aptitudes et à l'efficacité de leur personnel. L'espritsamouraï était moins fort en eux que le sens du profit.

Quant aux entreprises du second groupe, elles comprenaientcertaines des premières sociétés textiles, auxquelles s'ajoutèrentplus tard des sociétés de construction mécanique.

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154 Modes de gestionet haute direction de l'industrie

Certains de ces dirigeants d'entreprises privées conservaientcependant les idées confucianistes sur lesquelles s'était édifié lerégime social des Tokugawa; d'autres introduisirent dans l'admi-nistration de leurs affaires certaines conceptions en accord avecla foi chrétienne, témoignant de leur idéologie humanitaire etinsistant sur les valeurs sociales sans négliger pour autant larecherche du profit. Ce type de patron favorisait l'adoption demesures propres à améliorer la situation des travailleurs etréservait aux œuvres sociales une partie des bénéfices. Ils avaientpour principe de ne rechercher que « de petits bénéfices ». Ilsobéissaient en fait à des motivations inconciliables, puisqu'àcette époque de formation du capital privé, il était absolumentindispensable, pour pouvoir développer la production, d'accumu-ler des capitaux et il était fatal qu'en fin de compte, les valeursd'ordre économique prissent le pas sur les valeurs humanitaires.

La rationalisation et la gestion scientifiques

Sous la double contrainte de la situation intérieure et extérieure,l'industrie japonaise parvint rapidement à l'indépendancenationale. On reconnut pleinement la nécessité du déve-loppement technologique, et l'on donna priorité à l'industrielourde en même temps qu'on s'attachait à stimuler lesexportations.

On vit bientôt apparaître de grands chefs d'industrie, aptesà concilier le mode de gestion traditionnel de type paternalisteavec les idées modernes sur la rationalisation. Lorsqu'on étudieles antécédents sociaux (c'est-à-dire familiaux) et scolaires deces patrons dans les années vingt (voir tableau 34), on constateque 44 % d'entre eux étaient diplômés d'université, et qu'unautre groupe, représentant 17 % d'entre eux, avait fait desétudes supérieures dans des établissements professionnels deniveau universitaire. En regard de ces chiffres (au total, 61 %),la situation des années 1880 — à deux générations de distance —accusait un retard sensible puisque, à cette époque, 17 % seule-ment des dirigeants avaient fait des études primaires supérieuresd'un genre ou d'un autre.

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Modes de gestionet haute direction de l'industrie

155

TABLEAU 34 Antécédents (origine sociale et instruction)des grands chefs d'industrie dans les années vingt ".

Profession du pèreEnsei-

gnementélémen-

taire

Ensei-gnement

secondaireet profes-

sionnel

Ensei- Nombre degnement personnesuniversi- concernées

taire

Fonction publique

Administration de

86 14

grandes entreprisesSpécialiste

Samouraï

Cadre de direction degrandes entreprises

Propriétaire foncier

Cadre de direction depetites entreprises

Employé(« col blanc »)

Ensemble desprofessions

2 0

21

26

30

39

52

0

2 0

21

24

28

29

21

75

25

60

58

50

42

32

27

25

44

15

14

38

5O

3 i

33

4

199

Source. J. C. ABEGGLEN et Hiroshi MANNARI, « Nihon no Sangyo Shidoshato Gakureki » [Les chefs d'entreprise japonais et les études qu'ils ont faites],Chuo Koron, numéro spécial sur les problèmes de gestion, décembre 1963,p. 188.

a Le Comité de recherche de la Société japonaise de sociologie (Socialclass structure in Japanese society, Tokyo, Yunikaku, 1957) propose la hiérarchiesociale suivante : a) gouverneurs, b) professeurs, c) magistrats, d) cadressupérieurs des grandes entreprises, e) médecins.

Une autre comparaison intéressante (voir tableau 35) per-met de voir comment a évolué l'effectif du personnel de directionayant fait des études à l'étranger; les chiffres des années vingtsemblent constituer un record à cet égard, et c'est aux États-Unis et au Royaume-Uni qu'on allait de préférence étudier lesméthodes modernes de gestion. En modifiant leur paternalismetraditionnel à la lumière des compétences acquises à l'étranger,les grands patrons de l'industrie japonaise ont plus tard réussi

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156 Modes de gestionet haute direction de l'industrie

TABLEAU 35 Études à l'étranger des cadres supérieursdes entreprises japonaises (1880-1960).

Pays d'études Années 1

États-Unis d'AmériqueRoyaume-UniAllemagne et AutricheFranceAutres pays

TotalPourcentage des cadressupérieurs dans l'ensembledes personnes étudiantà l'étranger

:88o

35211

12

6Source. J. C. ABEGGLEN et Hiroshi MANNARI, «to Gakureki » [Les chefs d'entreprise japonais etChuo Koron, numéro spécial sur les problèmesp. 194.

Années vingt

2512

321

43

2 2

i960

2

3001

6

3Nihon no Sangyo Shidoshales études qu'ils ont faites],de gestion, décembre 1963,

à rationaliser leur propres entreprises 1 ; et dans cet effort demodernisation, le rôle qu'a joué le recours croissant à la techno-logie, qu'elle fût importée ou élaborée au Japon même, a certaine-ment été capital2.

La situation des cadres de direction depuis la seconde guerre mondiale

Avant 1940, le patronat industriel était plus ou moins soumis àl'influence de l'État. A la fin de la seconde guerre mondiale après

1 Dans l'enquête relative au grand patronat qui a fournil'essentiel des données reproduites aux tableaux 34 et 35, les échantillonsse composaient de chefs de grosses entreprises du Japon actuel. Maisles personnes interrogées ont été peu nombreuses à répondre.

2 Okochi Masatoshi en est un excellent exemple. Voir, à sonsujet : Yukio CHO, « Jitsugyo no shiso » [Philosophie des affaires],Gendai Nihon Shiso Taikei, vol. II, p. 44-47, Tokyo, Chikuma Shobo,1964; Toshio YAMAZAKI, Gijmsu-shi [Histoire de la technologie], p. 124,125, 184 et 185, Tokyo, Tokyo Keizai Shinpo-sha, 1961; OkochiMasatoshi-Hito to sono Jijo [Okochi Masatoshi, sa vie et sa personna-lité], Tokyo, Nikkan Kogyo Shinbun-sha 1954 (publication dePOkochi Mémorial Association); Yujiro HAYASHI, Shihon-Shugi toGijutsu [Capitalisme et technique], Tokyo, Chikuma Shobo, 1966(étude de la modernisation du Japon, portant essentiellement sur latechnique industrielle et les techniciens).

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Modes de gestion 157et haute direction de l'industrie

la dissolution des zaibatsu et le vote de la loi anti-monopoles,le système de gestion traditionnelle s'effondra. Depuis lors, lasituation des cadres de direction des entreprises industrielless'est améliorée et, dans le climat général de croissance écono-mique rapide et d'innovation technique, on a de mieux en mieuxreconnu l'importance de leur rôle. Une enquête menée en 1952sur les classes sociales dans six grandes villes a permis de consta-ter que, sur une trentaine d'emplois classés par ordre de prestige,les cadres de direction des grandes entreprises venaient auquatrième rang, ce qui n'est sans doute pas sans rapport avecles immenses progrès réalisés par le Japon sur la scène inter-nationale. Les grands chefs d'entreprise participent activement à lapolitique, à la vie culturelle et à l'enseignement, et élargissent cons-tamment le champ de leur activité; on les voit devenir membresde conseils et comités ayant des responsabilités officielles, ouassumer un rôle directeur dans l'agriculture ; ils poussent à l'innova-tion technique la rationalisation moderne et la prévoyance sociale.

Dans une très forte proportion (91 %), les cadres supérieursde direction sont aujourd'hui diplômés de l'enseignementsupérieur. Les liens de parenté ne semblent pas jouer un rôleabusif car on ne trouve dans ces cadres que peu d'hommes quisoient fils (ou gendre) du propriétaire d'une grande entreprise et,dans le climat actuel de l'industrie, conditionné par une viveconcurrence internationale, on ne peut manifestement pas fairecarrière si l'on n'a pas de titres universitaires. La gestion devranécessairement, un jour ou l'autre, se fonder sur ces principesmodernes de sélection, qui conduiront probablement à une sortede « méritocratie ».

Attitudes et caractère national japonais

Nous avons fait observer, dans l'aperçu général qui constituenotre premier chapitre, que certains traits caractéristiques duJapon — son homogénéité raciale par exemple, son unitélinguistique, l'ordre qui y préside aux rapports sociaux et lacontinuité de la culture nationale — ont beaucoup contribué

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158 Modes de gestionet haute direction de l'industrie

à protéger les Japonais contre les perturbations dont s'ac-compagne généralement une mutation sociale rapide. Nous allonsmaintenant examiner de façon succincte les attitudes caractéris-tiques des Japonais, notamment à l'égard de l'industrialisation.

Attitudes à l'égard de l'industrialisation

Sous les influences combinées de la civilisation matérialisteoccidentale et de la culture japonaise traditionnelle, les objectifsd'ordre social que se donnent les chefs d'entreprise les plusactifs ont considérablement évolué.

Résolument recherchée pendant les dix années qui suivirentla restauration Meiji, la réforme sociale s'est réalisée dans lesfaits au prix d'une occidentalisation marquée; mais une transfor-mation radicale en ce sens ne pouvait s'opérer sans que cesincidences sur le mode de vie traditionnel ne provoquent deviolentes critiques; on s'est finalement arrêté à un compromisqui assurait de grands progrès matériels.

L'intégration progressive de l'État, qui a commencé à la findu xixe siècle et n'a connu que quelques périodes brèves derépit — marquées notamment par le romantisme en littérature,par certaines revendications visant à l'extension du droit de voteet par la création de syndicats — correspondait essentiellementà un nationalisme inspiré des conceptions occidentales; lesdirigeants responsables de cette évolution plaçaient délibérémentles objectifs nationaux avant les ambitions individuelles ouparticulières à un groupe. Leur dessein était d'édifier un Japonqui fût l'égal des grandes puissances occidentales. Cet objectifayant acquis une priorité absolue, la Diète nationale et sesorganes subsidiaires reconnurent fermement la nécessité d'indus-trialiser fortement le Japon et firent de cette nécessité un desprincipes intangibles de la politique du gouvernement.

Puissamment soutenue par l'État, cette idéologie nationa-liste resta incontestée jusqu'en 1945. Dans la période qui suivitimmédiatement la guerre, la position du Japon sur la scèneinternationale étant très affaiblie, la mainmise de l'État serelâcha et la situation intérieure alla se dégradant. L'initiative

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Modes de gestion 159et haute direction de l'industrie

privée s'orienta alors vers les industries non militaires, dansl'espoir de parvenir ainsi à rétablir et stabiliser le niveau de viede la nation. En cela, les objectifs des chefs d'entreprise coïnci-daient avec ceux du gouvernement, qui prit donc des mesurespour protéger les grandes industries nouvelles.

Les dirigeants ne furent d'ailleurs pas seuls à réagir positive-ment au changement de situation; l'ensemble de la populationréussit sans difficulté apparente à rationaliser ses attitudestraditionnelles et à adopter un mode de vie plus ou moinsoccidental. Sans doute cette adaptation a-t-elle été facilitée parl'absence au Japon de tout préjugé religieux.

Le caractère japonais

Comment la population a-t-elle réagi à la politique d'intégrationnationale et de développement industriel adoptée par ses diri-geants? D'une manière générale, pour que ceux-ci réussissentdans leurs desseins il ne suffit pas qu'on leur obéisse aveuglé-ment; encore faut-il que la politique choisie soit approuvée de lamasse et en reçoive un soutien actif. Telle est la relation qui doits'établir entre l'État et la nation, comme entre les cadres et lesemployés de toute entreprise.

Quelles étaient donc les caractéristiques du peuple japonais,quels étaient les traits essentiels de la culture japonaise, quiprésentaient de l'intérêt pour l'établissement de cette relation?Des chefs d'entreprise et des intellectuels se sont longuementpenchés sur ces questions après la restauration Meiji, et desétrangers qui avaient vécu et voyagé au Japon leur ont égalementconsacré de savantes études. Nous énumérerons ci-dessous cer-tains traits qui, d'après diverses sources autorisées, seraientcaractéristiques des Japonais; tous ces traits sont signalés dansdes ouvrages publiés avant 1953 1.

1 TOKEI SURI KENKYUJO, KOKUMIN-SEI CHOSA IINKAI-HEN,Nihon-jin no Kokumin-sei [Institut de mathématiques statistiques.Comité de recherche sur le caractère national japonais, Étude du caractèrenational japonais], p. 530-541, Tokyo, Shiseido, 1961. Cette étudeporte sur le caractère japonais tel qu'il a été décrit en détail dans37 ouvrages.

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i6o Modes de gestionet haute direction de l'industrie

Traits constitutifs du caractère national lui-même

Le Japonais est modéré et raisonnable; il n'est pas enclin à l'extré-misme;

II s'attend à bénéficier des égards dus à son rang;II est doux et généreux, tolérant; réceptif à l'endroit de cultures diffé-

rentes de la sienne, non content d'admettre simplement qu'ellesexistent; disposé à conserver certains éléments du passé;

II est doué pour l'assimilation d'idées étrangères; bien que naturel-lement conservateur, il est prompt à adopter tout ce qui luisemble devoir être profitable;

II a une personnalité harmonieusement intégrée qui le prédispose àcoopérer paisiblement avec autrui;

II excelle à imiter et à appliquer ce qu'il a appris, mais il manqued'originalité;

II s'intéresse au monde extérieur, s'enthousiasme pour les nouveautés,apprécie ce qui est exotique;

II sait s'adapter, mais il manque de fermeté sous la pression de cir-constances adverses;

II est diligent, patient, fidèle, sincère, régulier, et doué pour l'auto-didactisme;

II fait passer l'honneur avant l'argent; il craint le ridicule.

Traits intéressant les rapports humains

Le Japonais apprécie les relations honnêtes et sûres, à fondementrationnel;

II attache aux relations humaines et aux considérations personnellesplus d'importance qu'au fond d'un débat;

Ses relations avec autrui importent plus à ses yeux que sa proprepersonne;

Le sens du devoir l'emporte chez lui sur la fidélité et la piété filiale;la bienveillance et la sympathie; de même que la gratitude;

Ses relations humaines ne sont pas nécessairement rationalisées;II s'incline devant l'autorité;II est porté à nouer des relations étroites de caractère exclusif (clans,

coteries, etc.).

On notera évidemment que certaines des caractéristiquesci-dessus paraissent s'exclure mutuellement. Il convient de lesconsidérer comme propres à la période antérieure à la secondeguerre mondiale; mais une enquête statistique récente1 embrassela période ultérieure jusqu'en 1963.

1 Les résultats de l'enquête que le même institut (voir note,p. 159) a menée de façon continue de 1953 à 1963 sont exposés dans lesouvrages suivants : TOKEI SURI KENKYUJO, « Kokumin-sei no Kenku-

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Modes de gestionet haute direction de l'industrie

161

choisissent un élémentde la " nouvelle morale"et la "piété fi l iale"

32%

"Nouvelle morale":{"respect des droits de lapersonne humaine" ou"respect de la libertéindividuelle")

15%

choisissent un élément de la"nouvelle morale" et la"récompense des faveurs"

choisissent la "piété filiale"et la "récompense des faveurs"

Figure n Ancienne morale et nouvelle morale.

Source. Chikio HAYASHI et al., Zusetsu, Nihon-jin no Kokumin-sei [Explicationgraphique du caractère national japonais], p. 71, Tokyo, Shiseido, 1965.

Les traditions de la société japonaise veulent que si unepersonne bénéficie d'une gentillesse ou reçoit une aide maté-rielle ou spirituelle — c'est ce qu'on appelle on (faveur) — ellemanifeste sa reconnaissance pendant fort longtemps, voire pen-dant le reste de sa vie; et elle doit, en guise de compensation,faire des cadeaux, rendre des services ou obéir à son bienfaiteur.Cette relation humaine particulière, sorte de récompense d'unefaveur par une attitude de piété filiale, relève de ce qu'onappelle l'« ancienne morale », tandis que le respect des droitsde la personne humaine et de la liberté individuelle constitue

Dai Sanji Chosa », Tokei Suri Kenkyujo Iho [Institut de mathématiquesstatistiques, « Étude du caractère national japonais, troisième enquête »,Rapport de l'Institut de mathématiques statistiques], III, 2, 1964; ChikioHAYASHI et al., Zusetsu, Nihon-jin no Kokumin-sei [Explication graphiquedu caractère national japonais], Tokyo, Shiseido, 1965.

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i62 Modes de gestionet haute direction de l'industrie

ce qu'on appelle la « nouvelle morale ». On a essayé de classerles Japonais sur la base de cette opposition (voir fig. n ) .

Les personnes interrogées devaient indiquer, parmi quatreéléments proposés à leur choix — « ancienne morale » = « récom-pense des faveurs » et « piété filiale »; «nouvelle morale » = «res-pect des droits de la personne humaine » et « respect de la libertéindividuelle » — quels étaient les deux éléments auxquels ellesattachaient le plus de prix. Les résultats de cette enquêteressortent des pourcentages notés sur les côtés et aux angles dutriangle que représente la figure n .

La piété filiale est l'élément capital pour la majeure partiede l'échantillon (61 %) ; d'autres éléments ont priorité aux yeuxde 40 à 50 % des personnes interrogées. Celles pour qui seuleimporte l'« ancienne morale » constituent 28 % de l'échantillon,tandis que celles qui combinent l'ancienne et la nouvelle moraleen représentent environ 50 %. On voit que l'« ancienne morale »demeure très profondément ancrée dans les esprits. Mais onrelève aussi des différences sensibles entre les groupes d'âge.Parmi les personnes de vingt à trente ans, par exemple, 19 %seulement attribuent de l'importance à la «récompense desfaveurs » tandis que la proportion correspondante est de 64 %parmi les plus de soixante ans.

La « diligence » figure dans la liste ci-dessus comme un destraits particuliers du caractère japonais; et 60% des Japonaisse décrivent eux-mêmes comme « diligents ». La proportioncorrespondante est de 80 % parmi les Allemands, 37 % parmiles Français et 29 % parmi les Chiliens. Les Japonais sont doncrelativement moins nombreux que les Allemands à se considérereux-mêmes comme « diligents », mais plus nombreux que leshabitants d'autres pays.

Quoi qu'il en soit, d'après une étude faite aux États-Unissur les élèves de l'enseignement secondaire, les Japonais sontplus diligents que les Américains 1.

Qu'on puisse ou non faire fond sur la liste ci-dessus des

1 Go ISHIDAJ « Beikoku Gakusei no Nihonjin Kan » [Commentles étudiants américains voient les Japonais], Kyoiku Shakaigaku Kenkyu[Études de sociopédagogie] (Tokyo), n° 21, 1967, p. 201.

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Modes de gestion 163et haute direction de l'industrie

éléments constitutifs du caractère national japonais, il faudrait,pour évaluer l'apport de ces particularités psychologiques àl'industrialisation, en étudier les incidences profondes à chaqueétape du processus, examiner comment ces traits se sont modi-fiés sous la pression de circonstances nouvelles et déterminerdans quelle mesure ils varient d'un individu à l'autre.

Bibliographie

Publications traitant des questions auxquelles ce chapitre est consacré

Mikio SUMIYA. Nihon Chinrodo-shi Ron [Exposé historique sur letravail salarié au Japon]. Tokyo, Tokyo University Press, 1955.

Tsuneo OUCHI. Shokuba no Soshiki to Kanri [Organisation et gestiondes ateliers]. Tokyo, Diamond, 1957.

Wakao FUJITA. Nihon Rodo-Kyoyaku Ron [Exposé sur les conventionsdu travail au Japon]. Tokyo, Tokyo University Press, 1961.

Hiroshi HAZAMA. Nihon-teki Keiei no Keifu [Généalogie du patronatjaponais]. Tokyo, Nihon Noritsu Kyokai, 1963.

Hiroshi HAZAMA. Nihon Romu-Kanri-shi Kenkyu [Étude historique surla gestion du personnel au Japon]. Tokyo, Diamond, 1964.

Hideaki OKAMOTO. Kogyoka to Genba Kantoku-sha [L'industrialisationet les cadres de maîtrise]. Tokyo, Nihon Rodo Kyokai, 1965.

En anglaisJames A. ABEGGLEN. The Japanese factory. Glencoe, The Free Press,

1958.John W. BENNET; Iwao ISHINO. Paternalism in the Japanese economy,

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Mikio SUMIYA. Social impact of industrialization in Japan. Commissionnationale japonaise pour l'Unesco, 1963.

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Annexe

Liste des membres du groupede travail et du groupe de rédaction

Groupe de travail

Nom Spécialité

M. Osamu Abe Économie

M. Shiro Baba Sociologie

M. Shoichi Hirono Économieagricole

M. Ken-ichi Iida Histoire

M. Giichi Kamo Histoire

Fonctions

Professeur à l'Institutde technologie de TokyoProfesseur à l'UniversitéKyoiku de TokyoConseiller de recherches,Conseil de l'agriculture,des forêts et des pêches,Ministère de l'agricultureet des forêtsDépartementde la recherche YawataIron and Steel Co., Ltd.Président de la Sociétéjaponaise d'histoire de lascience, professeur à l'Uni-versité Kanto-Gakuin

M.

M.

M.

Takashi Mukaibo

Kikuo Nishida

Goro Oda

Chimie

Planification del'éducation

Politiquescientifique

Professeur à l'Universitéde TokyoConseiller en matièrede planificationde l'enseignementet de recherchepédagogique, Secrétariat duministre de l'éducationChef de la Section deplanification, Bureau deplanification, Office de lascience et de la technologie

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i66 Annexe

Nom Spécialité

M. Tadao Okawa Agriculture

M. Toshio Shishido Économie

M. Minoru Tanaka Histoire

M. Akira Uchino Techno-économie

M. ToshioYamazaki

Histoire

Fonctions

Chef de la Sectiondes enquêteset de l'information,Conseil de l'agriculture,des forêts et des pêches,Ministère de l'agricultureet des forêts

Conseiller au Bureau deplanification économique,Office de la planificationéconomique

Professeur à l'Institut detechnologie de TokyoSection de planification,Bureau de planification,Office de la science et de latechnologieProfesseur à l'Institut detechnologie de Tokyo

Groupe chargé de la rédaction du rapport

FonctionsNom

M. Osamu AbeM. Shiro BabaM. Kantaro Honda

M. Ken-ichi IidaM. Ryoichi Iwauchi

M. Kunioki Kato

M. Toshio Shishido

M. Akira Uchino

Conseil de l'agriculture,des forêts et des pêches,Ministère de l'agriculture

Institut de technologie deTokyoInstitut de technologie deTokyo