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Vol. 23, n o 1 Le dépôt légal et la législation sur le droit d’auteur au Sénégal : évolution historique et situation actuelle Henri Sène* 1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 333 2. LA LÉGISLATION SUR LE DÉPÔT LÉGAL ET LE DROIT D’AUTEUR . . . . . . . . . . . . . . . . . . 336 3. LE DÉPÔT LÉGAL DURANT LA PÉRIODE COLONIALE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 336 4. LA LÉGISLATION SUR LE DROIT D’AUTEUR ET LE DÉPÔT LÉGAL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 342 4.1 La période coloniale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 342 5. LE SÉNÉGAL INDÉPENDANT . . . . . . . . . . . . . . . 347 6. LÉGISLATION ET FONCTIONNEMENT DU DÉPÔT LÉGAL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 359 7. CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 362 331 © Henri Sène, 2010. * L’auteur est Conservateur des bibliothèques, Maître-assistant à l’École de Biblio- thécaires, Archivistes et Documentalistes (EBAD) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, au Sénégal.

Le dépôt légal et la législation sur le droit d’auteur au Sénégal : …©pôt-légal-et... · 2019. 6. 12. · 2. LA LÉGISLATION SUR LE DÉPÔT LÉGAL ET LE DROIT D’AUTEUR

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Vol. 23, no 1

Le dépôt légal et la législationsur le droit d’auteur au Sénégal :

évolution historique etsituation actuelle

Henri Sène*

1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 333

2. LA LÉGISLATION SUR LE DÉPÔT LÉGALET LE DROIT D’AUTEUR . . . . . . . . . . . . . . . . . . 336

3. LE DÉPÔT LÉGAL DURANT LA PÉRIODECOLONIALE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 336

4. LA LÉGISLATION SUR LE DROIT D’AUTEURET LE DÉPÔT LÉGAL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 342

4.1 La période coloniale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 342

5. LE SÉNÉGAL INDÉPENDANT . . . . . . . . . . . . . . . 347

6. LÉGISLATION ET FONCTIONNEMENTDU DÉPÔT LÉGAL. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 359

7. CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 362

331

© Henri Sène, 2010.* L’auteur est Conservateur des bibliothèques, Maître-assistant à l’École de Biblio-

thécaires, Archivistes et Documentalistes (EBAD) de l’Université Cheikh AntaDiop de Dakar, au Sénégal.

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1. INTRODUCTION

Nous vivons à une époque où les technologies de l’informatique,des télécommunications, de l’électronique et du numérique ont pro-fondément modifié l’environnement scientifique, technique, culturelet économique de tous les pays du monde. Par l’impact considé-rable qu’elles ont dans tous les domaines des activités humaines,ces technologies qui évoluent constamment, modèlent les comporte-ments des individus et des groupes sociaux, conditionnent l’accèsaux savoirs et à la connaissance et sont devenues le passage obligépour connaître les sources d’information et accéder à leurs contenus.

Le phénomène de la mondialisation a grandement contribué àl’expansion de cette société de l’information à travers la planète, ens’appuyant sur l’Internet. La maîtrise de l’information, pour l’accèsaux différentes idées, connaissances et découvertes scientifiqueset technologiques, qui paraissent régulièrement dans toutes leslangues et dans toutes les disciplines, constitue en ce début duXXIe siècle, un impératif majeur pour tous les pays du monde. Cettemaîtrise est vitale pour les pays en voie de développement dans leurquête de modernité, de compétitivité et de productivité.

Les progrès dans des domaines comme l’éducation, la santé,l’industrie, le développement économique et social, de même quedans des secteurs aussi importants que la démocratie ou les droitshumains, sont largement dépendants de nos jours de la maîtrise parles nations et les citoyens, des technologies de l’information et de lacommunication, comme outils de repérage, de localisation, de diffu-sion et d’accès à l’information. L’appropriation et la maîtrise de cestechnologies, sont en effet absolument nécessaires, si l’on veut accé-der aux contenus qui circulent dans les réseaux professionnels etsociaux ou de coopération documentaire. Il en est de même pour lescontenus qui sont stockés dans des banques de données bibliographi-ques ou factuelles, et dans des banques de données numériques ousur des supports multimédias.

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Ce contexte en constante mutation ne manque cependant pasde poser des problèmes d’ordre éthique, économique et juridique,d’une part, lorsqu’il s’agit d’offrir aux usagers des possibilités d’accèsà l’information disponible et, d’autre part, lorsque se pose le pro-blème des conditions de son utilisation par ces derniers, que ce soitau sein des services d’information documentaire ou à travers des sys-tèmes électroniques. À ces problématiques liées aux questions dedroit de propriété littéraire et artistique, s’ajoute pour les pays endéveloppement et, en particulier, pour ceux d’Afrique, un double défià relever.

Il s’agit d’abord, pour eux, de réduire la fracture numérique quiles sépare des pays développés, afin de s’approprier les outils techno-logiques, qui sont non seulement les supports et les véhicules decette information mondialisée, mais qui sont aussi les points d’accèsobligés à cette information. Ces pays doivent, en outre, être enmesure de créer, de produire et de diffuser des savoirs et des connais-sances, en utilisant ces technologies et en mettant en place et enorganisant les institutions et les mécanismes, qui leur permettrontde contrôler, de sauvegarder et de protéger leur patrimoine litté-raire, scientifique et artistique par le biais notamment de législa-tions sur le dépôt légal et le droit d’auteur.

Dans un contexte mondial, où l’information et la culture ontdésormais une valeur marchande de plus en plus affirmée, et oùl’industrie de l’information et du savoir occupe un secteur importantdans l’économie mondiale, le dépôt légal et le droit d’auteur consti-tuent sans aucun doute des mécanismes et des outils de contrôle etde régulation de premier ordre. Ils permettent d’assurer aux usa-gers, un accès reconnu et garanti au savoir et à la connaissance dansle cadre d’institutions à vocation patrimoniale. Ils garantissent, parailleurs, la protection et la sauvegarde des droits légitimes desauteurs et des producteurs d’information sur tous les formats et tousles supports et en particulier l’information sur support électroniqueet numérique. « Jumeler le droit d’auteur au dépôt du document phy-sique ou électronique auprès d’une institution nationale de conser-vation du patrimoine documentaire répondra ainsi aux défis quepose actuellement le foisonnement des nouveaux supports d’infor-mation »1.

334 Les Cahiers de propriété intellectuelle

1. Philippe GIRARD, « Le dépôt conventionnel de la bibliothèque nationale suisse »,Archives et Bibliothèques de Belgique, 2009, tome LXXX 1-4, p. 161.

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Dans ce contexte, les bibliothèques et les services d’archives, àtravers leurs missions traditionnelles, peuvent être amenés à jouerun rôle très important dans ce processus de protection et de commu-nication/diffusion de l’information. Certaines de ces institutions ontparmi leurs missions, la charge d’assurer la gestion et le fonctionne-ment d’une régie de dépôt légal, dont la finalité principale, à traversla constitution et la préservation de collections patrimoniales, est depermettre à des usagers de satisfaire en permanence, des besoinsd’information variés et multiformes. Le problème qui se pose alorsaux services d’information documentaire est de savoir commentrendre l’information disponible au public, tout en respectant lesdroits moraux et patrimoniaux des auteurs ou de leurs ayants droit.En d’autres termes, comment concilier la nécessité pour les usagersd’un accès libre et permanent à l’information avec les exigences durespect des droits légitimes des propriétaires d’œuvres protégées :

Cette querelle prend un relief particulier dans le contexte afri-cain caractérisé dans certaines régions par une sous scolarisa-tion certaine, par un fossé numérique important avec les paysoccidentaux et par l’appartenance de l’ensemble de ces pays àdes catégories de pays en voie de développement. À cause deces trois facteurs qui s’expliquent mutuellement, le besoin deconsommation des objets protégés est encore plus accru. Iln’empêche, la question se pose comme pour les pays développésqui bordent le sujet, de savoir si et dans quelles proportions ilfaut sacrifier les intérêts des titulaires de droits.2

La majorité des pays africains ont adopté à l’heure actuelle, destextes législatifs (lois ou ordonnances) qui réglementent la gestion etle fonctionnement du dépôt légal des œuvres littéraires ou artisti-ques produites sur leurs territoires respectifs et/ou, pour certainspays, des œuvres produites à l’étranger et traitant du pays3. Par ail-leurs, nombre de pays africains ont une législation qui réglemente ledroit d’auteur et les droits voisins sur leur territoire. Ces législationss’inspirent largement des conventions internationales et, notam-ment, celle de Berne et de son Annexe concernant les pays en voie dedéveloppement.

Le dépôt légal et la législation sur le droit d’auteur au Sénégal 335

2. Joseph FOMETEU, Étude sur les limitations et les exceptions au droit d’auteur etaux droits connexes au profit de l’enseignement en Afrique, Genève, OMPI, 2009,p. 12-13.

3. Voir à ce sujet, Marcel LAJEUNESSE et Henri SÈNE, « Legislation for Librariesand Information Services in French-Speaking Africa Revisited », (2004) 36 TheInternational Information and Library Review 367-380.

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2. LA LÉGISLATION SUR LE DÉPÔT LÉGALET LE DROIT D’AUTEUR

Au Sénégal, l’instauration, par des autorités administratives,d’une obligation de dépôt d’exemplaires de documents publiés locale-ment, dans des institutions désignées à cet effet, remonte à ladeuxième moitié du XIXe siècle. Pour le droit d’auteur, les premierstextes législatifs seront pris à partir de la fin des années cinquante.On peut donc ainsi distinguer deux périodes historiques en ce quiconcerne le dépôt légal et le droit d’auteur au Sénégal. La premièrecorrespond à la période coloniale. La seconde à celle du Sénégal indé-pendant.

3. LE DÉPÔT LÉGAL DURANT LA PÉRIODECOLONIALE

Durant cette période, un certain nombre de textes législatifs etréglementaires (décisions, arrêtés ou lois), rendant obligatoire ledépôt de certaines publications auprès de services administratifsdésignés à cet effet, furent pris par les autorités civiles et militaires.Ce dépôt concernait aussi bien les documents publiés en métropole,que ceux qui paraissaient ou qui étaient diffusés dans les territoiressur lesquels la France exerçait son autorité politique et administra-tive. À cette époque donc, coexistaient deux catégories de texteslégislatifs concernant le dépôt légal de publications. La législationqui était prise en métropole et qui était applicable dans les colonies,et celle qui était prise localement par les administrateurs coloniaux.

Pour appuyer le fonctionnement de ses services dans la coloniedu Sénégal, l’administration avait créé dès le début du XIXe siècle,des institutions chargées de publier, de collecter ou de conserver lesdocuments et les publications reçus de la métropole ou produits etpubliés localement. Dès 1820, les premières archives de la coloniefurent organisées par le Gouverneur de la colonie du Sénégal etdépendances. La bibliothèque de la colonie sera créée par un arrêtédu 14 juillet 1849 à partir des collections du greffe de Saint-Louis. En1855 fut ouverte la première imprimerie de la colonie4.

C’est ainsi, par exemple, qu’une circulaire ministérielle duDépartement de la marine et des colonies, datée du 22 septembre1868, et adressée aux Gouverneurs, créera dans chaque colonie une

336 Les Cahiers de propriété intellectuelle

4. Voir à ce sujet Henri SÈNE, « Les bibliothèques en Afrique occidentale française :1800-1958 », (1992) 42(4) Libri 300-329.

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bibliothèque du service de la justice maritime, « dans le but de favori-ser, parmi les officiers chargés de fonctions de judicature, l’extensiondes connaissances de la législation militaire et de rassembler lesdocuments dont l’étude leur est indispensable, j’ai décidé la forma-tion, dans chaque colonie, d’une bibliothèque spécialement affectéeau service de la justice maritime...Vous voudrez bien y faire verserles ouvrages actuellement mis à la disposition des membres desconseils de guerre, ainsi que tous les documents de même nature quivous seront ultérieurement adressés »5.

Les bibliothèques et les archives existant dans les servicesadministratifs de la colonie se verront ainsi confier, dès cette époque,des tâches destinées à faire exécuter et respecter un dépôt légal offi-ciel de certaines publications. Ainsi, l’Arrêté du 9 décembre 1859 duGouverneur Faidherbe, « prescrivant la délivrance, à la bibliothèqueimpériale, d’un exemplaire de toutes les publications périodiquessortant des presses de la colonie »6, constitue le premier texte législa-tif pris au Sénégal, qui réglemente un dépôt obligatoire de publica-tions auprès d’une institution officielle.

Ce premier texte avait une finalité purement administrative. Ilavait pour objectif de préserver pour les besoins de l’administrationun exemplaire de chaque publication officielle imprimée sur les pres-ses de l’imprimerie du gouvernement à Saint-Louis.

Si l’arrêté de 1859 constitue une étape importante dans l’his-toire du dépôt légal au Sénégal, il reste cependant, que ce texte a uneportée très limitée dans son contenu et dans son champ d’applica-tion. Il est le reflet de l’état embryonnaire dans lequel se trouvaient àl’époque, dans les colonies, les secteurs du livre, de l’édition, de lapresse et de l’imprimerie dont les activités et les productions justi-fient l’adoption et l’application de législations sur le dépôt légal et ledroit d’auteur.

En effet, l’édition et la publication de documents étaient quasiinexistantes dans la colonie du Sénégal. C’est pourquoi, cet arrêté,malgré le caractère obligatoire de ses dispositions, ne constituait pasvéritablement pour l’autorité publique d’alors, un outil de gestiondocumentaire ou de contrôle de la production éditoriale. Ce texte nefixait pas des conditions et des modalités particulières pour le dépôt

Le dépôt légal et la législation sur le droit d’auteur au Sénégal 337

5. Circulaire ministérielle no 375, « Envoi d’un arrêté ministériel portant création,dans les colonies, d’une bibliothèque du service de la justice maritime », (1868) (9)Bulletin administratif du Sénégal 255-256.

6. Arrêté no 115, Bulletin administratif du Sénégal, no 8, août 1859, p. 370-371.

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des publications concernées. Il ne précisait pas de manière formelleet explicite des dispositions permettant d’assurer le contrôle du res-pect ou non du dépôt des publications. Il ne prévoyait pas de sanc-tions en cas de non-respect de l’obligation du dépôt. Enfin le nombrede documents soumis au dépôt se limitait à quatre publications del’administration, les seules à être imprimées et publiées par l’im-primerie du gouvernement à Saint-Louis. Il s’agissait, du Bulletinadministratif, de La Feuille, du Moniteur du Sénégal et dépendanceset de l’Annuaire du Sénégal et dépendances. Le premier était le jour-nal officiel de la colonie, les trois autres relevaient de la presse pério-dique d’informations générales sur la vie dans la colonie.

La promulgation, dans la colonie du Sénégal et dépendances,de la loi française sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 vapermettre de franchir une nouvelle étape dans l’adoption d’unelégislation sur le dépôt légal au Sénégal, plus élaborée et plus con-traignante dans ses dispositions réglementaires7. L’application decette nouvelle législation sur le dépôt des publications dans les colo-nies, et dans celle du Sénégal en particulier, s’inscrivait dans un nou-veau contexte caractérisé par la naissance dans la colonie, d’unepresse libre, indépendante du pouvoir colonial. Cette période est eneffet marquée sur le plan social et politique, et dans une moindremesure sur le plan économique, par l’émergence de nouvelles forcessociales qui, pour mener leurs combats, vont s’appuyer sur unepresse locale, partisane, engagée et souvent très critique à l’égard del’ordre colonial. Ce phénomène a d’abord pris naissance, à partir dela deuxième moitié du XIXe siècle dans les milieux métis et mulâtresde Saint-Louis et de Gorée. Il va se développer à partir du début duXXe siècle, dans les milieux de l’intelligentsia noire, originaire ourésidant dans les quatre communes de Saint-Louis, Gorée, Rufisqueet Dakar :

Il a fallu attendre que le Sénégal retrouve son siège au Parle-ment français en 1879, et que deux ans plus tard la loi françaisesur la liberté de la presse entre en vigueur, pour qu’une presseessentiellement politique et peu amène à l’égard des représen-tants de l’administration coloniale, connaisse le jour.8

338 Les Cahiers de propriété intellectuelle

7. Arrêté du 20 août 1881 « promulguant au Sénégal et dépendances la Loi du 29 juil-let 1881 sur la liberté de presse », Moniteur du Sénégal et Dépendances : Journalofficiel, no 1334, 23 août 1881, p. 192-197.

8. Amadou Touré DIA, « La presse sénégalaise de ses origines à nos jours », Revueafricaine de communication, 1985, mars-juin, p. 30.

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La loi de 1881 prévoyait un certain nombre de dispositions des-tinées à réglementer le dépôt des publications imprimées9. Ce dépôtdevait être effectué par l’imprimeur « au moment de la publication detout imprimé ». Sous peine d’amende, ce dépôt devait être effectué en« deux exemplaires, destinés aux collections nationales ». Ce dépôtvisait enfin « tous les genres d’imprimés ou de reproduction destinésà être publiés », à l’exception des travaux de ville et des impriméscommerciaux. Par ailleurs, le colportage et la vente sur la voiepublique d’ouvrages et de publications périodiques étaient soumis àune déclaration préalable auprès des autorités des services de l’inté-rieur de la colonie.

Le dépôt prévu par le législateur faisait donc partie des disposi-tions prises par les pouvoirs publics, dans le cadre de cette loi, pourcontrôler et surveiller la publication et la diffusion de la presse pério-dique dans les colonies. Ce dépôt n’avait pas pour but de constituerlocalement des collections patrimoniales de référence à finalité docu-mentaire. Appliqué dans les colonies, ce dépôt avait pour but essen-tiel de permettre à l’administration d’exercer un contrôle strict surles publications qui étaient imprimées dans la colonie ou qui yétaient introduites et diffusées : périodiques, livres, brochures, des-sins, gravures, photographies, notamment.

Ce dépôt n’avait donc qu’un caractère purement administratif.Il constituait en réalité, pour l’administration, un moyen de surveil-lance et de contrôle du contenu et des orientations idéologiques oupolitiques des publications et des documents auxquels on pouvaitavoir accès dans la colonie et, le cas échéant, d’appliquer à d’éven-tuels contrevenants, des sanctions pécuniaires ou pénales, voire desmesures de censure.

La gestion de ce dépôt légal était en effet de la responsabi-lité des services qui dirigeaient les affaires intérieures de la colonie.L’arrêté de promulgation de la Loi de 1881 précisait en son article 2que, « les dépôts prescrits par les articles 3 et 10 § 2 de ladite loi,seront effectués, savoir : à Saint-Louis, dans les bureaux du chef duservice de l’intérieur, et à Gorée-Dakar, dans les bureaux du déléguéde l’intérieur » de même, « la déclaration prescrite par l’article 18 §1er de ladite loi sera faite à Saint-Louis au chef du service del’intérieur, soit aux mairies des diverses communes, soit à Gorée-Dakar, au délégué de l’intérieur »10.

Le dépôt légal et la législation sur le droit d’auteur au Sénégal 339

9. Loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, art. 3, 4, 10 et 18, Moniteur duSénégal et Dépendances : Journal officiel, no 1334, 23 août 1881, p. 192.

10. Arrêté du 20 août 1881, op. cit., p. 192.

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Si l’on se réfère à un rapport du Ministre des colonies daté du1er janvier 1922, ces prescriptions ne furent pas toujours respectées,car leur application effective semble s’être heurtée à des difficultés.« En Afrique occidentale française, ces dispositions sont restées ino-pérantes en ce qui concerne l’obligation du dépôt au Ministère del’Intérieur [...] Il en résulte qu’en l’état actuel des choses, les direc-teurs de journaux et périodiques ne sont nullement tenus d’effectuerces dépôts dans les locaux de l’administration locale »11.

En définitive, on peut affirmer que jusqu’au début du XXe siè-cle, le dépôt des publications prévu par la législation n’a pas été effec-tif dans la colonie du Sénégal. La promulgation de certains texteslégislatifs métropolitains dans les colonies n’a pas toujours permisd’atteindre les résultats escomptés. Dans le cadre d’une loi sur lapresse, l’instauration d’un dépôt obligatoire, comme moyen de con-trôle administratif, se justifiait dans le contexte de la métropole où ily avait une certaine tradition et une pratique relativement impor-tante d’édition et de diffusion de publications imprimées. Dans lescolonies, en revanche, ce secteur en était à ses premiers balbutie-ments à cette époque.

En effet, le nombre de titres de périodiques paraissant dans lacolonie était insignifiant. Moins d’une dizaine avant 1881. Certainsde ces titres étaient d’ailleurs publiés par l’administration elle-même. Il n’y avait par ailleurs pas d’éditeurs et, par conséquent, pasde production de livres au niveau local. À Saint-Louis, l’imprimeriedu gouvernement était au service de l’administration. Dans cesconditions et dans un tel contexte, il n’est pas étonnant que les dispo-sitions de la Loi sur la presse, relatives au dépôt des publications,bien que promulguées dans la colonie, ne furent jamais respectées.

Une Commission sur les bibliothèques coloniales avait pour-tant émis, en janvier 1884, une recommandation qui aurait pu cons-tituer le point de départ pour l’instauration d’un dépôt légal dans lesbibliothèques ouvertes dans les colonies. Dans ses propositions, ellesuggérait en effet que, « tous les documents officiels, les journaux etpublications de la localité forment l’un des premiers fonds à cons-tituer dans la colonie qu’ils concernent »12. Malheureusement, la

340 Les Cahiers de propriété intellectuelle

11. « Rapport au Président de la République française suivi d’un décret relatif audépôt des journaux et publications de toute sorte en Afrique occidentale fran-çaise, Bulletin officiel du Ministère des colonies, 1922, tome 36, no 1 à 12bis, p. 71.

12. Gabriel RICHOU, « Rapport présenté au Ministre par la Commission sur lesbibliothèques coloniales (7 janvier 1884), Moniteur du Sénégal et Dépendances :Journal officiel, no 1545, 30 décembre 1884, p. 588.

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gestion d’un dépôt de publications imprimées n’a jamais été formel-lement et juridiquement confiée à l’une des deux bibliothèques admi-nistratives qui avaient été ouvertes à cette époque à Saint-Louis et àGorée. Pas plus d’ailleurs à la bibliothèque publique de Saint-Louis.La décision du 23 janvier 1886 et l’arrêté du 18 mars 1895 du Gou-verneur, qui fixaient les conditions d’organisation et de fonctionne-ment de cette bibliothèque, n’avaient à aucun moment intégré lagestion d’un dépôt légal dans ses missions et dans ses activités.

L’acte juridique qui va organiser le dépôt légal dans les coloniesne sera pris qu’après la guerre. C’est en effet le décret 46-1644 du17 juillet 1946, qui va créer un service du dépôt légal dénommé« régie du dépôt légal », dans chaque chef lieu des territoires relevantdu ministère de la France d’outre-mer13. Le décret de 1946 abrogeaitles dispositions de la Loi de 1881 sur le dépôt de la presse périodique.

Ce nouveau texte sur le dépôt légal s’inspirait largement de laréglementation en vigueur en métropole en la matière, notammentpour ce qui avait trait aux différents types de documents soumis audépôt. Il en était de même pour les conditions et les modalités des dif-férents types de dépôts (imprimeur, producteur ou éditeur). Il futrendu applicable dans la colonie du Sénégal par l’arrêté du 31 juillet1946. La régie du dépôt légal était alors de la responsabilité duservice « archives bibliothèque » du Gouvernement Général à Saint-Louis. Ce service avait été créé en 1913. À partir de 1942, il fut trans-féré à l’Institut Français d’Afrique Noire (IFAN) à Dakar14. La ges-tion de la régie du dépôt légal fut aussi confiée à l’IFAN à partir de1947. Par la suite, les Archives du Sénégal prirent le relais de l’IFANà partir de 1958.

Le fonctionnement du dépôt légal à l’IFAN, puis aux Archivesdu Sénégal, aura permis, pendant de longues années, de constituerdans ces deux institutions, un très riche patrimoine documentairecomposé principalement d’ouvrages scientifiques sur l’Afrique et leSénégal, de monographies publiées par des chercheurs, de manus-crits, notamment en langue arabe, de périodiques officiels et scienti-fiques ou de la presse locale, de cartes et de documents iconogra-phiques, d’enregistrements audiovisuels sur les peuples et les civili-sations de l’Afrique. Il aura aussi permis, à partir de 1962, la publi-

Le dépôt légal et la législation sur le droit d’auteur au Sénégal 341

13. Décret no 46-1644 du 17 juillet 1946 tendant à fixer les conditions du dépôt légaldans les territoires relevant du ministère de la France d’outre-mer, Bulletin offi-ciel du Ministère de la France d’outre-mer, janvier 1946, p. 800-804.

14. Arrêté 3248 du 17 septembre 1942, Journal officiel de l’Afrique occidentale fran-çaise, 26 septembre 1942, p. 815.

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cation régulière par les Archives du Sénégal de la bibliographienationale du Sénégal sur la base de ce dépôt légal15.

Le décret de 1946 restera en vigueur au Sénégal jusqu’en 1976.C’est à partir de cette année-là que le gouvernement du Sénégalindépendant prendra un certain nombre de textes législatifs et régle-mentaires pour créer la bibliothèque nationale, organiser le réseaudes bibliothèques publiques et instituer une nouvelle réglementa-tion sur le dépôt légal au Sénégal.

4. LA LÉGISLATION SUR LE DROIT D’AUTEURET LE DÉPÔT LÉGAL

4.1 La période coloniale

L’histoire du droit d’auteur dans l’ancien domaine colonialfrançais débute en 1930. C’est à cette époque que furent promulguésen Afrique Occidentale Française (AOF) et rendus applicables dansles colonies, les différents accords internationaux relatifs à la protec-tion de la propriété littéraire et artistique auxquels le Gouverne-ment français avait adhéré. Il s’agissait de la Convention de Berne de1908 pour la protection des œuvres littéraires et artistiques et des tex-tes révisés de 1914 et de 1928, ainsi que de la Convention de Rome.Ces différentes conventions furent respectivement promulguées etrendues applicables en 1933 et en 1934 en AOF16,17. « Le Gouverne-ment français a notifié, au moment de l’adhésion, que la conventionest applicable aux colonies, ainsi qu’aux Pays de protectorat et Terri-toires relevant du Ministère des colonies »18.

L’application de la Convention de Berne dans les colonies devaitdonc permettre de protéger les œuvres littéraires et artistiques endehors de la métropole et, en particulier, les œuvres publiées dansles territoires sous tutelle de la France. Elle devait aussi protéger les

342 Les Cahiers de propriété intellectuelle

15. La bibliographie nationale du Sénégal a été publiée de 1962 à 1964 sous le titresuivant : Éléments de bibliographie du Sénégal. Elle change d’appellation entre1964 et 1972 pour devenir Le bulletin bibliographique du Sénégal. Depuis 1979,elle paraît sous le titre de Bibliographie du Sénégal.

16. Arrêté no 218 A.P. portant promulgation de la Convention pour la protection desœuvres littéraires et artistiques signée à Rome le 2 juin 1928, Journal officiel del’Afrique Occidentale Française (1934), 16 février 1934, p. 119.

17. Décret du 24 décembre 1933 portant promulgation de la Convention pour la pro-tection des œuvres littéraires et artistiques, Journal officiel de l’Afrique Occiden-tale Française (1933), 10 février 1933, p. 1115.

18. Arrêté no 218 A.P., op. cit., p. 119.

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droits des auteurs de ces œuvres. Cependant, si l’application de laConvention dans les colonies était utile et nécessaire, elle n’était passuffisante en elle-même pour assurer une protection réelle et efficaceaux auteurs et à leurs œuvres. Cette législation était en effet diffici-lement applicable et ses dispositions avaient peu d’effet au planlocal. Cette situation était due à l’inexistence, dans les colonies, d’unorganisme officiel chargé, premièrement, de veiller localement àl’application effective des lois et règlements en matière de propriétéintellectuelle et artistique et, deuxièmement, de défendre les inté-rêts des auteurs, des créateurs ou de leurs ayants droit et enfin, troi-sièmement, d’assurer une gestion collective des droits moraux etmatériels de ces derniers.

Pour combler cette lacune, deux organismes de contrôle et degestion des droits d’auteur furent créés en avril 1943, dans les terri-toires relevant de l’autorité du Commandant en Chef. Il s’agissait duBureau africain des gens de lettres et auteurs de conférences et duBureau africain du droit d’auteur. Le siège de ces deux organismesétait à Alger19.

Au nombre des prescriptions figurant dans les ordonnancescréant ces institutions, certaines missions leur étaient assignées.Parmi celles-ci, on peut relever les suivantes :

– regrouper les membres « africains ou repliés en Afrique française »des professions de gens de lettres, d’auteurs de conférences, d’au-teurs dramatiques, compositeurs et éditeurs de musique ;

– protéger et exploiter les droits des personnes relevant des profes-sions citées ci-dessus ;

– constituer et gérer les organismes destinés à administrer les inté-rêts communs de leurs membres ;

– autoriser au nom des auteurs ou de leurs ayants droit la publica-tion, la reproduction ou la diffusion des œuvres ;

– percevoir des droits d’auteur au profit des membres appartenant àces professions « sur toutes les œuvres littéraires, sur toutes lesconférences et en général sur toutes les œuvres de l’esprit [...]sous toutes leurs formes : publication, reproduction, représenta-

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19. Ordonnances du 14 et du 28 avril 1943, Journal officiel de l’Afrique OccidentaleFrançaise (1943), 26 juin 1943, p. 487-490.

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tion, exécution, présentation et communication au public par hautparleur ou tout autre moyen analogue, enregistrement phonogra-phique ou autres, réalisation par le film, reproduction mécaniquesonore, par quelque moyen que ce soit y compris la radiodiffusion.

Étaient considérées comme étant des œuvres de l’esprit, toutesles productions relevant du domaine littéraire, scientifique ou artis-tique quel que soit le mode ou la forme de publication. Les auteursavaient un droit exclusif sur leurs œuvres. Le législateur avait toute-fois prévu des exceptions à ce droit qui autorisaient les courtes cita-tions d’articles de journaux et de périodiques, la reproduction desdiscours prononcés en séance publique, de même que celle des texteslégislatifs et réglementaires.

Par ailleurs, pour permettre au Bureau africain de remplir sesmissions avec le maximum d’efficacité, le législateur avait instituédes rapports entre le Bureau africain du droit d’auteur et le servicedu dépôt légal. L’article 2 de l’Ordonnance du 14 avril 1943 stipulaiten effet que, « le Bureau africain est habilité à recevoir du Service duDépôt légal un exemplaire des publications de toute nature ayantfait l’objet dudit dépôt. De ce fait, ledit Service devra exiger le dépôtd’un exemplaire supplémentaire aux fins de transmission au Bureauafricain précité »20.

Dans l’esprit du législateur, cette disposition devait sans doutepermettre au Bureau africain, situé à Alger, d’être régulièrementinformé de l’existence ou de la parution d’œuvres littéraires ou artis-tiques dans les différentes colonies africaines, et qui étaient suscep-tibles de bénéficier de la protection prévue par la législation envigueur sur le droit d’auteur. Cette disposition devait aussi per-mettre au Bureau africain d’avoir une connaissance précise des diffé-rents propriétaires africains d’œuvres protégées afin d’assurer ainsiune gestion efficace de leurs droits.

Cependant, l’application effective de cette disposition ne man-que pas de soulever un certain nombre de questions. Ce dépôt légalauprès du Bureau africain du droit d’auteur a-t-il été effectivementrespecté par les créateurs, les éditeurs et les producteurs d’œuvreslittéraires et artistiques ? Le Bureau africain a-t-il disposé desmoyens humains et matériels nécessaires pour pouvoir faire respec-ter le dépôt légal prescrit par l’Ordonnance du 14 avril 1943 ? Était-ilpossible à cette époque, à partir des différents territoires de l’Afrique

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20. Ordonnance du 14 avril 1943, op. cit., p. 487.

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française, d’effectuer le dépôt de publications auprès d’un organismedont le siège se trouvait à Alger ? En l’absence de textes organisantce dépôt, on peut légitimement aussi se poser la question de savoirs’il a effectivement fonctionné, en dehors peut-être du territoire algé-rien. Si ce dépôt n’a pas pu être effectué de manière régulière, leBureau africain du droit d’auteur a-t-il pu remplir les missions quilui avaient été assignées par le législateur pour assurer une protec-tion efficace des auteurs et de leurs œuvres dans les colonies ?

Dans nos recherches, nous n’avons malheureusement pasretrouvé, à notre niveau, des documents tels que des correspondan-ces, des rapports ou des dossiers administratifs, relatifs à des acti-vités qui auraient été menées par les bureaux d’Alger. Ils nousauraient en effet permis de vérifier si le dépôt légal au niveau de cesbureaux avait été régulièrement effectué et dans quelles conditions.Ils nous auraient aussi permis d’étudier et d’évaluer dans quellemesure le dépôt légal a eu un impact sur la protection des droits desauteurs d’œuvres protégées, en donnant, par exemple, au Bureaules moyens de mieux identifier les différents auteurs et créateursafricains dont il avait la responsabilité de défendre les intérêtsmatériels et moraux. Ils nous auraient enfin permis d’avoir des infor-mations sur le fonctionnement au quotidien du Bureau africain surle droit d’auteur et sur ses rapports avec les services chargés danschaque colonie de la gestion de la régie du dépôt légal.

En l’absence provisoire de preuves, toutes ces questions et tou-tes ces hypothèses restent bien entendu en suspens. Des investi-gations plus poussées, à mener, devraient sans doute permettred’apporter des réponses à ces questions et de vérifier et d’étayerces suppositions. On peut cependant supposer que l’obligation d’undépôt dans les bureaux d’Alger, tel que prévu par l’Ordonnance du14 avril 1943, a sans doute été difficile à appliquer sur le terrain,dans le contexte de l’époque.

Dans le cas du Sénégal par exemple, pour des raisons adminis-tratives et de logistique et surtout à cause de l’éloignement, le ser-vice de la Régie du dépôt légal, qui était géré à cette époque par labibliothèque de l’IFAN à Dakar, n’avait pas de relations avec leBureau d’Alger. Il faut ajouter à ces difficultés de liaison entre Algeret le chef-lieu de chaque colonie, la situation de l’édition et de la pro-duction éditoriale dans les colonies. Celles-ci étaient inexistanteslocalement. En effet, dans le sillage du mouvement de la Négritudeau début des années 30 et de Présence Africaine à partir de 1947, denombreux auteurs et écrivains africains publièrent des œuvres litté-

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raires, scientifiques et artistiques. Cependant, la totalité de cesromanciers, poètes, dramaturges et essayistes africains publierontleurs œuvres chez des éditeurs français21. Le dépôt légal de leursœuvres ne se fera donc pas dans les services du dépôt légal des colo-nies, mais à la Bibliothèque nationale à Paris. Il était donc impos-sible, dans ces conditions, pour ces services d’envoyer à Alger, commele prévoyait l’Ordonnance de 1943, des exemplaires d’œuvres litté-raires ou artistiques produits et déposés en métropole.

Avec la Loi du 11 mars 1957, la France avait adapté et intégré,dans sa législation nationale, les dispositions prévues par les con-ventions internationales auxquelles elle avait adhéré, pour la pro-tection de la propriété littéraire et artistique. L’article 81 de cette loistipulait qu’elle était applicable aux territoires d’outre mer, sousréserve de déterminer, par un règlement d’administration publique,les conditions de son application au niveau local22. Avec cet instru-ment juridique, le législateur garantissait donc, dans les colonies,aux auteurs d’œuvres de l’esprit, un droit exclusif sur leurs œuvres,quels que soient la forme et le genre d’expression. La Loi fixait aussiles conditions générales d’usage et d’exploitation des œuvres pro-tégées. Cette Loi de 1957 sur le droit d’auteur avait été rendueapplicable aux colonies dans un contexte socio-politique particulier,marqué dans de nombreux territoires français par des luttes anticoloniales et des revendications, parfois violentes, pour l’émanci-pation des peuples colonisés. Au Sénégal, la presse périodique cons-tituait à cette époque, le principal, sinon l’unique, support d’expres-sion et de transmission des idées.

Comme nous l’avons vu précédemment l’édition et la publica-tion d’œuvres littéraires étaient quasi inexistantes au plan local. Endehors des publications scientifiques éditées et diffusées dans lecadre de l’IFAN par des chercheurs, il n’y avait pas de production de« livres, brochures et autres œuvres littéraires artistiques et scien-tifiques, œuvres dramatiques et cinématographiques »23. Dans ce

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21. Les premières œuvres littéraires publiées par des auteurs sénégalais furent édi-tées à Paris. On peut citer entre autres : David BOILAT : Esquisses sénégalaises,P. Bertrand, 1853 ; Amadou MAPATÉ DIAGNE, Les trois volontés de Malic,Larousse, 1920 ; Bakary DIALLO, Force-Bonté, 1926 chez Rieder ; OusmaneSOCÉ DIOP, Karim, aux Nouvelles Éditions Latines, 1935, suivi de Contes etlégendes d’Afrique noire. Jusqu’à la création à Dakar, en 1972, des Nouvelles Édi-tions Africaines, les auteurs sénégalais publiaient leurs œuvres chez des éditeursfrançais.

22. Loi 57-298 du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique, Journal offi-ciel de la République française (1957), p. 2730.

23. Ibid., art. 3, p. 2723.

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contexte, on peut raisonnablement penser qu’en l’absence d’œuvresproduites localement par des écrivains, des auteurs, des artistes etdes éditeurs, la Loi de 1957 n’a eu que très peu d’effets pratiques auSénégal.

5. LE SÉNÉGAL INDÉPENDANT

Les ordonnances et les lois françaises de 1943, de 1946 et de1957 sur le dépôt légal et le droit d’auteur resteront en vigueur auSénégal jusqu’au début des années 70. C’est à partir de cette époqueque le Sénégal va élaborer et promulguer une série de textes législa-tifs et réglementaires dans le domaine. Cette législation nationale vaporter, d’une part, sur la propriété littéraire et artistique, pour laprotection des auteurs et de leurs œuvres ainsi que la gestion deleurs droits, et, d’autre part, sur le dépôt légal.

La mise en place de ce cadre juridique interviendra dans uncontexte où les pouvoirs publics de l’époque, sous l’impulsion du Pré-sident Léopold Sédar Senghor, avaient placé la culture et l’éducationau cœur du processus de développement économique et social dupays. Cette politique volontariste en faveur de la promotion et dudéveloppement des activités culturelles s’était traduite, entre lesannées 1972 et 1976, par la prise de plusieurs mesures législativesdestinées à favoriser la création littéraire et artistique, à soutenir etpromouvoir le secteur du livre et de l’édition au niveau national, àprotéger la propriété intellectuelle et artistique, à créer et à organi-ser des bibliothèques pour la promotion de la lecture et la conserva-tion et la diffusion du patrimoine documentaire du Sénégal. Lenouvel environnement juridique, qui avait été progressivement misen place à partir de 1972, permettra ainsi de créer et d’organiser lesinstitutions et les structures nécessaires à la production, à la conser-vation et à la diffusion d’œuvres littéraires et artistiques. Il permet-tra aussi d’assurer la protection des droits des acteurs culturels et desauvegarder le patrimoine national.

Cette volonté politique des pouvoirs publics reposait, selon lePrésident Léopold Sédar Senghor, sur le postulat suivant : « la poli-tique de développement économique et social doit avoir la culturecomme fondement et comme but ultime, en même temps ».

La Loi 72-40 du 26 mai 1972, qui créait le Bureau sénégalais dudroit d’auteur (BSDA), fut à ce titre le premier acte juridique posé

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par les dirigeants du Sénégal post-colonial pour officialiser et maté-rialiser cette volonté politique24.

Établissement public à caractère professionnel, le BSDA, selonl’article 2 de la Loi 72-40, se substituait au Bureau africain du droitd’auteur et au Bureau africain des gens de lettres et auteurs deconférence dont nous avons parlé précédemment. Société de gestioncollective des droits des créateurs d’œuvres de l’esprit, elle a pourmissions, d’une part, de les rassembler et de défendre leurs intérêtsmatériels et moraux et, d’autre part, de protéger, d’exploiter, de per-cevoir et de répartir les droits d’auteur au Sénégal. Le décret 72-1195du 5 octobre 1972 détermine les conditions d’organisation et de fonc-tionnement du BSDA pour l’accomplissement des missions qui luisont confiées25.

Les dispositions de ce décret d’application font, de manière plusconcrète, du BSDA l’organe officiel chargé de faire respecter et defaire appliquer toutes les dispositions légales et réglementaires pré-vues par les lois sur le droit d’auteur au Sénégal. En particulier,l’établissement, l’exécution et la gestion de contrats avec les usagersd’œuvres protégées, la conclusion d’accords avec des sociétés d’au-teurs étrangères en vue de la représentation et de la gestion de leursrépertoires sur le territoire du Sénégal et, enfin, la constitution decommissions chargées d’étudier les questions concernant le droitd’auteur au Sénégal.

La Loi 73-52 du 4 décembre 1973 relative à la protection dudroit d’auteur a été le premier texte législatif adopté par les pouvoirspublics au lendemain de l’indépendance pour fixer le cadre juridiquedestiné à assurer la protection des auteurs d’œuvres de l’esprit, ainsique celle de leurs œuvres. Cette loi s’inspirait largement de la Con-vention de Berne et de la loi française de 1957 sur la propriété litté-raire et artistique. Son champ d’action et de compétence s’exerçaitsur toutes les œuvres de l’esprit relevant des domaines littéraire,scientifique et artistique de même que sur les œuvres dérivées. Ilfaut toutefois noter que la loi sénégalaise présentait une certaine ori-ginalité. Le législateur avait en effet inclus dans la liste des œuvres

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24. Loi 72-40 du 26 mai 1972 portant création du Bureau sénégalais du droitd’auteur, Journal officiel de la République du Sénégal (1972), 3 juin 1972,no 4228, p. 913.

25. Décret no 72-1195 du 5 octobre 1972 portant règles d’organisation du Bureausénégalais du droit d’auteur, Journal officiel de la République du Sénégal (1972),2 décembre 1972, no 4263, p. 1993.

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de l’esprit : « le folklore et les œuvres inspirées du folklore »26. Cechoix avait pour but d’assurer la protection du patrimoine national.Selon le législateur en effet, le folklore « appartient à titre originaireau patrimoine national » et il s’entend comme étant « l’ensemble desproductions littéraires et artistiques créées par des auteurs présu-més de nationalité sénégalaise, transmises de génération en généra-tion et constituant l’un des éléments fondamentaux du patrimoineculturel traditionnel sénégalais ». Il était par ailleurs précisé que,« L’œuvre inspirée du folklore s’entend de toute œuvre composéeexclusivement d’éléments empruntés au patrimoine culturel sénéga-lais »27.

L’exploitation d’œuvres tirées du folklore sénégalais, sous formede représentation, d’exécution ou de fixation directe ou indirecte,était soumise par le législateur à l’autorisation préalable du BSDA,et assujettie au paiement d’une redevance. La Loi de 1973 présentaitaussi une autre particularité. Elle créait en effet un domaine publicpayant à l’expiration de la période de protection du droit d’auteur quiétait de cinquante ans après le décès de l’auteur. L’article 43 stipu-lait en effet que la représentation ou l’exécution des œuvres dudomaine public est subordonnée, entre autres obligations, « au paie-ment d’une redevance dont les produits seront versés au Bureausénégalais du droit d’auteur (BSDA) et consacrés à des fins culturel-les et sociales au bénéfice des auteurs »28.

Il faut enfin préciser que les dispositions de la Loi de 1973prévoyaient des limitations au droit d’auteur dans les conditionssuivantes. L’œuvre devait avoir été rendue licitement accessibleau public. La mention du nom de l’auteur et du titre de l’œuvreétait obligatoire dans certains cas. Ces limitations devaient êtreconformes au bon usage. Sous réserve du respect de ces conditions« l’auteur ne pouvait interdire l’exploitation dans un cadre privé, lacommunication à des fins éducatives, la reproduction, la traduction,l’adaptation à titre personnel, la parodie, le pastiche, la caricature,les analyses et les courtes citations justifiées par des buts scientifi-ques, critiques, polémiques ou d’enseignement. Il en était de mêmepour les articles d’actualité politique, sociale ou économique ainsique des discours destinés au public »29. Il faut ajouter enfin que le

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26. Article 1, alinéa 13, Loi 73-52 du 4 décembre 1973 relative à la protection du droitd’auteur, Journal officiel de la République du Sénégal (1973), 29 décembre 1973,no 4333, p. 2270.

27. Ibid., art. 9, p. 2274.28. Ibid., art. 43, p. 2275.29. Articles 10 à 14, Loi 73-52 du 4 décembre 197, op. cit., p. 2271-2272.

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législateur ne prévoyait aucune contrepartie pécuniaire en faveurdes auteurs en cas d’utilisation de leurs œuvres, dans le cadre de ceslimitations.

La Loi de 1973 fut partiellement modifiée par le législateuren 1986. La modification des articles 22, 46, 47 et 50 avait pourbut d’adapter la législation à l’évolution du droit d’auteur dans lemonde et de tenir compte des diverses mutations technologiques,qui s’étaient produites dans les domaines de la production, de lareproduction et de la diffusion des œuvres littéraires et artistiques.L’exposé des motifs de la Loi de 1986 est très clair à cet égard :

La technologie devance le droit et l’évolution du concept de lapropriété intellectuelle accuse un retard important par rapportaux procédés de reproduction et d’exploitation des œuvres del’esprit qui progressent à un rythme qui dépasse le niveau deprotection des législations sur la question.30

Les modifications apportées par la Loi de 1986 renforçaient lesmesures de protection sur le plan pénal et réglementaire pour luttercontre la piraterie et la contrefaçon, consécutives à l’apparition, auSénégal, de nouveaux moyens technologiques de reproduction et dediffusion, en particulier dans le domaine audiovisuel. La loi instau-rait, en matière de protection des droits d’auteur, une collaborationentre le BSDA et d’autres administrations chargées de la répressionde la fraude : douanes, contrôle économique et officiers de police judi-ciaire notamment. En outre, l’appui d’un juge d’instruction ou duPrésident du tribunal pouvait être requis pour s’opposer à toute vio-lation des droits des auteurs.

En effet, la Loi stipulait que tout auteur ou ses ayants droit oule BSDA pouvaient « ordonner la saisie, en tous lieux et même endehors des heures prévues par l’article 831 du Code de Procédurecivile, des exemplaires fabriqués ou en cours de fabrication d’uneœuvre illicitement reproduite, des exemplaires illicitement utiliséset des recettes provenant de toute reproduction, représentation oudiffusion d’une œuvre protégée »31.

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30. Loi no 86-05 du 24 janvier 1986 abrogeant et remplaçant les articles 22, 46, 47 et50 de la Loi no 73-52 du 4 décembre 1973 relative à la protection du droit d’auteur,Journal officiel de la République du Sénégal, (1986), 25 janvier 1986, no 5102,p. 43-44.

31. Article 47, Loi no 86-05 du 24 janvier 1986, op. cit., p. 44.

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La Loi de 1986 renforçait aussi le respect des droits de repré-sentation, de reproduction, d’adaptation et de traduction. Ellegarantissait à l’auteur une rémunération proportionnelle ou forfai-taire sur les recettes générées par l’exploitation de son œuvre, à lasuite d’une cession partielle ou totale par l’auteur de ses droits surson œuvre. L’auteur conservait sur celle-ci un droit de repentir ou deretrait vis-à-vis du cessionnaire, sous certaines conditions. Les dis-positions de la Loi de 1973 et ses modifications de 1986 resteront envigueur au Sénégal jusqu’en 2008, lorsqu’un nouveau texte législatiffut adopté et promulgué : la Loi 2008-09 du 25 janvier 2008 portantloi sur le droit d’auteur et les droits voisins.

Plus de trente ans après sa promulgation la Loi 73-52 n’étaitplus adaptée pour faire face aux problèmes très complexes posés parl’impact des technologies de l’information et de la communication surle droit d’auteur en ce qui concerne notamment la reproduction, laconservation, le transfert et la diffusion d’œuvres à l’ère d’Internet etdu numérique. Le développement des industries culturelles et leurimportance de plus en plus grande dans l’économie mondiale avaientaussi eu des influences notables sur l’évolution du droit d’auteurdans le monde, d’où la nécessité d’intégrer dans la législation séné-galaise des dispositions qui tiennent compte de ces mutations. Il fal-lait enfin que le Sénégal, pour respecter les accords auxquels il avaitsouscrit, mette sa législation sur le droit d’auteur en conformité aveccertaines conventions internationales. Il s’agissait de la Conventionde Rome du 26 octobre 1961 sur la protection des artistes interprètes,des producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffu-sion, de l’Accord ADPIC et des deux traités de l’OMPI du 20 décem-bre 1996, dits « Traités Internet ».

Pour l’essentiel, la Loi de 2008 reprend les principales disposi-tions sur le droit d’auteur contenues dans la Loi de 1973, en tenantcompte des mutations technologiques et professionnelles interve-nues à partir des années 80 dans les domaines de la production, de laconservation, de la diffusion et de l’accès à l’information et au savoir.« Elle présente ainsi, une physionomie plus en conformité avec lesdernières évolutions intervenues dans la propriété intellectuelleen général et la propriété littéraire et artistique de façon particu-lière »32.

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32. Assane FAYE, L’impact du droit d’auteur sur l’accès à la connaissance au Séné-gal, IFLA, Milan, 2009, p. 5 : <http://www.ifla.org./files/papers/ilfla75/95-faye-fr.pdf> (consulté le 22 mars 2010).

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Ainsi, sont considérées par le législateur comme œuvres del’esprit, à l’exception des textes législatifs, des idées et des informa-tions, « les créations intellectuelles de forme dans le domaine litté-raire et artistique » (art. 5). Parmi ces créations, figurent désormais« les œuvres du langage, qu’elles soient littéraires, scientifiques outechniques, y compris les programmes d’ordinateurs » (art. 6, ali-néa 1), « les œuvres consistant dans des séquences d’images animées,sonorisées ou non, dénommées œuvres audiovisuelles » (art. 6, ali-néa 5). La Loi de 2008 a maintenu, en outre, les œuvres de l’espritrelevant du folklore comme étant des œuvres susceptibles d’êtreprotégées (art. 156 et 157).

Par ailleurs, pour être protégée, l’œuvre doit répondre à deuxcritères : être de forme complète, d’une part, et être originale, d’autrepart. L’originalité s’entendant par « la marque de la personnalité del’auteur » (art. 7). L’auteur est le titulaire initial et exclusif des droitsmoraux et patrimoniaux, en tant que créateur d’une œuvre qui a étédivulguée sous son nom (art. 12 et 14). Cependant, dans le cas d’uneœuvre créée par un salarié ou un fonctionnaire, le législateur a intro-duit des limitations permettant la cession des droits patrimoniaux.Dans le cas d’un salarié, la cession est faite au profit de l’employeur,« par l’effet du contrat de travail dans la mesure justifiée par les acti-vités habituelles de celui-ci au moment de la création de l’œuvre(art. 18) ». Dans le cas d’un fonctionnaire « dans l’exercice de ses fonc-tions ou d’après les instructions reçues », les droits sont cédés àl’administration « dans la mesure strictement nécessaire à l’ac-complissement d’une mission de service public » (art. 20).

La Loi prévoit des exceptions au droit de communication aupublic. Cette exception ne s’applique qu’à deux conditions, la com-munication au public doit être gratuite et elle doit être faite dans« un cercle familial ou au cours d’un service religieux, dans deslocaux réservés à cet effet » (art. 38 et 39). Des exceptions au droit dereproduction ont aussi été prévues par le législateur. Selon l’article40 en effet, « L’auteur ne peut interdire la reproduction destinée à unusage strictement personnel et privé ». Cette exception ne s’appliquecependant pas à « la reproduction d’une base de données électroniqueet d’un programme d’ordinateur » (alinéas 2c et 2d). Toutefois un« utilisateur légitime » peut effectuer « une copie de sauvegarde des-tinée à remplacer l’original » (art. 41). Le législateur ne précise pasce qu’il entend par « utilisateur légitime ». On peut cependant pen-ser que cette expression vise la personne physique ou la personnemorale, ayant acquitté les montants nécessaires à l’acquisition d’un

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programme d’ordinateur auprès d’un fournisseur reconnu et qui, dece fait, s’en est matériellement rendu propriétaire.

La Loi prévoit aussi en ses articles 42 et 44 que, pour des finsd’illustration de l’enseignement, la reproduction ou la communica-tion d’une œuvre protégée peut être effectuée sans l’autorisation dupropriétaire des droits, de même que les analyses et les courtes cita-tions d’une œuvre sous réserve de « se conformer aux bons usages etque son nom et la source de son œuvre soient mentionnés ». La Loi selimite à faire référence à la notion de « bon usage » sans préciser ceque recouvre ce concept, ni à partir de quel seuil l’utilisateur d’uneœuvre protégée n’est plus dans le « bon usage » et, par conséquent,porte préjudice aux intérêts légitime des titulaires des droits.

En fait, le législateur sénégalais reprend ici les dispositions del’article 10 de la Convention de Berne concernant les exceptions auprofit de l’enseignement qui stipule que : « sont licites les citationstirées d’une œuvre rendue licitement accessible au public à conditionqu’elles soient conformes aux bons usages et dans la mesure justifiéepar le but à atteindre, y compris les citations d’article de journaux etrecueils périodiques sous forme de revues de presse [...] les citationset utilisations devront faire mention de la source et du nom del’auteur, si ce nom figure dans la source » (art. 10, alinéas 1, 2 et 3).« À bien scruter l’exigence de conformité aux bons usages, il y a lieude penser qu’elle signifie que l’usage fait de l’œuvre protégée ne doitêtre ni abusif, ni lucratif »33.

Les exceptions prévues par la loi sénégalaise concernent l’en-seignement sans plus de précisions. Elles ne visent ni un type d’en-seignement, ni un type d’établissement d’enseignement en parti-culier. L’enseignement public ou l’enseignement privé, par exemple.Le législateur sénégalais a donc retenu le principe de l’exceptiongénérale au profit de l’enseignement en général, sans le versementd’une rémunération aux titulaires des droits. Une telle option peutdans certains cas être sujette à discussion. Lorsque, par exemple, desstructures d’enseignement de type privé qui recherchent le profitbénéficient de telles exemptions. Cependant, ce choix peut être justi-fié par le contexte socio-économique des pays en voie de développe-ment. En effet, « le choix de la technique de l’exception a desconséquences importantes pour les titulaires de droits. Il signifie, enprincipe, que ceux-ci ne bénéficieront d’aucune rémunération du faitde l’utilisation de leurs œuvres. Dans le contexte africain, une telle

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33. Joseph FOMEUTEU, op. cit., p. 40.

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option permise par les Conventions internationales... peut être lar-gement justifiable. En effet, les populations sont globalement dému-nies et le paiement systématique de droits d’auteur par l’État pro-priétaire de la plupart des établissements d’enseignement pourraitentraîner des charges difficiles à soutenir. Même lorsque l’établisse-ment appartient à un privé et que celui-ci exige des frais de scolarité,le paiement des droits d’auteur n’est pas forcément souhaitable,dans la mesure où cela pourrait provoquer un renchérissement de lascolarité »34.

Les principaux bénéficiaires de ces exceptions sont donc lesenseignants, les élèves et les étudiants, dans le cadre de leurs activi-tés éducatives et pédagogiques. Toutes les œuvres de l’esprit rele-vant du domaine littéraire et artistique peuvent donc être librementutilisées et exploitées pour des besoins d’étude, de formation, etd’illustration de l’enseignement, sous réserve du respect des droitsmoraux de l’auteur et d’un bon usage de l’œuvre protégée. Les actesautorisés par la Loi dans le cadre de ces exceptions sont la reproduc-tion, la citation et la représentation sans contrepartie pécuniairepour les titulaires des droits.

Il faut noter que le législateur sénégalais n’a pas prévu, demanière spécifique, des exemptions ou des limitations au droit d’au-teur au profit des bibliothèques et des services d’archives. Dansl’application pratique de la Loi de 2008, il y a une espèce de tolérancequi permet d’étendre, de manière implicite, aux services d’infor-mation documentaire les exceptions prévues pour l’enseignement.Il faut cependant avoir présent à l’esprit que ces entités consti-tuent deux secteurs différents, même s’ils sont complémentaires.Par conséquent, l’absence de dispositions législatives explicites pré-voyant des limitations ou des exceptions au droit d’auteur en faveurdes bibliothèques et des archives constitue, de toute évidence, unelacune de taille dans la Loi sur le droit d’auteur au Sénégal. Lesexceptions accordées aux établissements d’enseignement, pour lareproduction et la citation, ne peuvent couvrir tous les besoins desusagers des bibliothèques et des archives.

Ces institutions ont en effet comme mission fondamentale demettre en œuvre des méthodes et des techniques, permettant deconstituer et de diffuser auprès de leurs usagers des œuvres proté-gées par le droit d’auteur, dont elles assurent la conservation. Lareproduction au profit des usagers permet de préserver des collec-

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34. Ibid., p. 40.

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tions ou de remplacer des documents perdus, détériorés ou épuisés etdont l’acquisition auprès d’éditeurs ou de diffuseurs ne serait pluspossible. La diffusion permet l’utilisation et l’exploitation par lesusagers des œuvres protégées. Elle peut se faire par le prêt desdocuments, la consultation sur place ou à distance, la reproductiond’œuvres à des fins d’études ou de recherche, le prêt entre bibliothè-ques ou l’accès aux œuvres au moyen d’un service de fournitures dedocuments.

L’application régulière de ces techniques et de ces méthodes,qui sont généralement mises en œuvre dans les bibliothèques etles archives, pour permettre aux usagers d’accéder à l’informationcontenue dans des œuvres protégées, pose nécessairement des pro-blèmes par rapport aux intérêts des titulaires des droits moraux etpatrimoniaux.

Au Sénégal, de nombreux services documentaires ont été créésces dernières années dans les établissements d’enseignement, enparticulier au niveau supérieur. Ces bibliothèques, services d’ar-chives et autres centres de documentation doivent répondre à desbesoins d’information de plus en plus importants et de plus en plusdiversifiés. Ces demandes d’information sont généralement le faitd’enseignants, de chercheurs, d’étudiants et d’élèves dont la popula-tion croît de manière exponentielle. Il faut ajouter à cette populationscolaire et universitaire, d’autres catégories d’usagers comme lesingénieurs, les techniciens, les administratifs, etc. Ces usagers veu-lent accéder soit à des informations de type électronique ou numé-rique circulant dans les réseaux, soit à des documents que publientrégulièrement les éditeurs ou les diffuseurs sous diverses formes.

Dans des pays comme le Sénégal, où le niveau de développe-ment économique et social demeure encore très bas pour la grandemajorité de la population, la quasi-totalité de ces usagers peuventdifficilement se procurer ou acquérir de manières personnelle etrégulière l’information dont ils ont besoin, en raison de la faiblessede leur pouvoir d’achat, et/ou de la rareté des points de vente. Dansces conditions, les bibliothèques et les services d’archives, générale-ment financés par l’État, demeurent les seules institutions capablesde répondre à ces besoins, en offrant des collections de documents oudes points d’accès à l’information électronique et/ou numérique. Or,les fonds de bibliothèques sont constitués pour l’essentiel d’œuvresprotégées quels que soient leurs supports.

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En l’absence d’une réglementation claire et précise sur lesconditions et les modalités d’utilisation de ces œuvres, de nombreuxusagers des bibliothèques et des archives violent en permanence lesdroits des auteurs, en exploitant de manière abusive les œuvres pro-tégées. Les photocopies de masse et la reproduction intégrale desdocuments à titre personnel et parfois à des fins lucratives, consti-tuent des fléaux majeurs dans les bibliothèques au Sénégal auregard des intérêts des auteurs et de leurs ayants droit.

Il convient donc, pour prévenir et pour éviter de tels abus, derevoir la législation sénégalaise sur le droit d’auteur, en prévoyantdes limitations ou des exceptions en faveur des bibliothèques et desservices d’archives. Ces dispositions permettront de réglementer etd’encadrer l’utilisation et l’exploitation des œuvres protégées, dansdes conditions qui respectent les droits des auteurs et ne portent paspréjudice à l’exploitation normale des œuvres. Elles permettront, enmême temps, de garantir aux usagers des bibliothèques et des archi-ves, une exploitation régulière et licite d’œuvres protégées auxquel-les ils peuvent librement avoir accès dans les services d’informationdocumentaire :

Ces limitations au droit d’auteur peuvent viser des actes telsque les reproductions aux fins de conservation, de remplace-ment d’exemplaires perdus ou endommagés ou pour la recher-che ; la reproduction d’articles isolés ou de courts extraitsd’œuvres à l’intention des utilisateurs, ou les reproductionsdestinées à des appareils de lecture.35

En définitive, on peut affirmer que, tant que les spécificités desservices de bibliothèques et d’archives, en matière d’utilisation etd’exploitation d’œuvres protégées, n’auront pas été prises en comptede manière claire et précise dans la loi sénégalaise sur le droitd’auteur, les intérêts des titulaires des droits continueront à êtreviolés par des utilisateurs, qui n’ont comme autre alternative qued’exploiter les collections des bibliothèques pour accéder à l’informa-tion dont ils ont besoin.

Les limitations au droit d’auteur adoptées au profit des biblio-thèques et des archives ont donc pour objet de leur permettre de

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35. Lucie GUIBAULT, « Nature et portée des limitations et des exceptions au droitd’auteur et aux droits voisins au regard de leurs missions d’intérêt général enmatière de transmission des connaissances : l’avenir de leur adaptation à l’envi-ronnement numérique », Bulletin du droit d’auteur, octobre – décembre 2003,p. 19.

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s’acquitter de leur mission générale et d’encourager la diffusiondes connaissances et de l’information dans l’ensemble de lasociété, dans l’intérêt général [...] en pratique, des exceptionsau droit d’auteur sont d’ordinaire admises en faveur des biblio-thèques à but non lucratif, financées sur des fonds publics etaccessibles au grand public, car on considère qu’elles serventdavantage l’intérêt public que les autres catégories de biblio-thèques. Toutefois, la nécessité d’adopter des mesures spécifi-ques pour atteindre cet objectif particulier d’intérêt général estapprécié de manière variable selon les pays.36

En Afrique, les pays ayant intégré dans leur législation natio-nale des exceptions en faveur des bibliothèques étaient très peunombreux jusqu’en 2008. Il s’agissait des pays suivants : Angola,Cap-Vert, Congo Démocratique, Djibouti, Kenya, Lesotho, Malawi,Mali, Nigeria, Rwanda, Tunisie, Tanzanie37.

En ce qui concerne la durée des droits patrimoniaux, elle a étémodifiée dans la Loi de 2008. Les dispositions actuelles prévoient eneffet pour les auteurs une protection de leurs droits patrimoniauxpendant la durée de leur vie, et soixante-dix ans après leur mort, aulieu de cinquante ans dans la loi précédente. Le domaine publicpayant prévu par le législateur dans la Loi de 1973 a été maintenudans les dispositions de la loi actuellement en vigueur au Sénégal(art. 157 et 158).

Toutefois, l’introduction par le législateur dans la Loi de 2008de dispositions nouvelles sur les droits voisins du droit d’auteur aconstitué le changement le plus significatif et le plus important quia été apporté à la Loi de 1973. Ces dispositions sur les droits voisinsont permis de prendre en compte les intérêts des artistes interprètes,des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes, des organis-mes de radiodiffusion, ainsi que des éditeurs d’œuvres tombées dansle domaine public, en fixant les règles de protection de leurs droitsmoraux et patrimoniaux. Le texte législatif fixe des dispositions pro-pres à chacune des catégories précitées, ainsi que des dispositionscommunes à certaines d’entre elles. Il s’agit de la définition donnéepar le législateur à chaque catégorie, des conditions de cession desdroits patrimoniaux, de la licence pour l’utilisation des phonogram-

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36. Lucie GUIBAULT, op. cit., p. 18-19.37. Kenneth D. CREWS, Copyright limitations and exceptions for libraries and archi-

ves. Presentation to the SCCR/WIPO, 4 novembre 2008 : <http://www.wipo.int/edocs/mdocs/copyright/en/sccr_17/sccr_17www_111493pdf> (consulté le 24 mars2010).

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mes et des vidéogrammes, des exceptions et de la durée des droitsvoisins.

Dans la Loi de 2008, ces droits voisins viennent compléter ledispositif juridique sénégalais sur le droit d’auteur. Ils ne portentpas atteinte aux droits des auteurs (article 87). Le législateur a aussiprévu des exceptions aux droits voisins en les calquant sur cellesaccordées pour le droit d’auteur. « Dans les pays qui protègent lesdroits voisins, lorsque des exceptions sont prévues en ce qui concerneces droits, les formules utilisées sont globalement identiques à cellesrencontrées pour les droits d’auteur [...]. La loi sénégalaise a utiliséune formule qui mérite une certaine attention. Elle s’est conten-tée de transposer les exceptions prévues pour le droit d’auteur audomaine des droits voisins. À l’article 89, elle dispose que : « lesexceptions au droit d’auteur [...] s’appliqueront mutatis mutandisaux droits voisins »38.

Dans le cadre plus général de la mise en œuvre des droitsd’auteur et des droits voisins, la Loi a aussi prévu des mesures tech-niques de protection destinées à protéger les droits des auteurs et lesdroits voisins, « en vue d’empêcher ou de limiter l’accomplissement,à l’égard de leurs œuvres, interprétations, phonogrammes, vidéo-grammes ou programmes, d’actes qu’ils n’ont pas autorisés et qui nesont pas permis par la loi » (article 125). La Loi ne donne pas de préci-sion sur le type de dispositif technique à utiliser. Cette dispositions’inspire des traités Internet de l’OMPI. Elle introduit, dans la légis-lation sénégalaise, l’obligation d’apporter une protection juridiqueayant pour but de prévenir l’utilisation non autorisée d’œuvres pro-tégées par le droit d’auteur dans un environnement numériqueinterconnecté. La Loi prévoit aussi des sanctions pénales en cas deneutralisation des mesures techniques (article 145).

Nous avons vu dans les paragraphes précédents que la législa-tion sénégalaise sur le droit d’auteur et les droits voisins ne fait pascas, de manière explicite, des problèmes posés par l’utilisation etl’exploitation des œuvres protégées dans les bibliothèques et les ser-vices d’archives. Les bibliothèques en général, et les bibliothèquesuniversitaires en particulier, ne bénéficient donc pas de manière for-melle des exceptions prévues par la Loi de 2008 sur le droit d’auteuret les droits voisins.

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38. Joseph FOMEUTEU, op. cit., p. 39.

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Pour faire face à cette situation et tenter de faire respecter untant soit peu les droits des auteurs, les bibliothèques et les servicesd’archives élaborent et appliquent généralement une réglementa-tion interne basée sur l’information et la sensibilisation de leurs usa-gers. Celles ci porteront, par exemple, sur le respect de l’intégrité desœuvres par l’interdiction de la reproduction intégrale des docu-ments, la limitation des copies aux activités d’étude et de recherche,la limitation du nombre de copies autorisées, la mise en place au pro-fit des usagers de systèmes ou de procédures d’accès à l’informationmieux contrôlés et plus sécurisés tels que le prêt entre bibliothèquesou les services de fourniture de documents à distance. Les difficultéssont plus grandes lorsqu’il s’agit de contrôler l’utilisation et l’exploi-tation d’œuvres protégées, dans des environnements donnant accèsà des contenus numériques ou électroniques :

Au même titre que les bibliothécaires et les archivistes, lesenseignants et les scientifiques souhaitent tirer pleinementparti de la technologie numérique pour leurs activités d’ensei-gnement ou de recherche [...]. La numérisation et la communi-cation d’œuvres au public, activités qui occupent une placeimportante dans l’enseignement en classe, à distance et dansla recherche posent de réels problèmes en matière de droitd’auteur. Comme pour les bibliothèques et les archives, lelégislateur reconnaît généralement que l’extension au domainenumérique des exceptions actuelles, qui permet l’exercice desactivités de recherche et d’enseignement en classe ou à dis-tance, n’est peut-être pas souhaitable dans tous les cas.39

6. LÉGISLATION ET FONCTIONNEMENTDU DÉPÔT LÉGAL

C’est en 1976 que l’État du Sénégal décide d’organiser et dedévelopper un réseau national d’institutions culturelles, ayant pourmission de coordonner et de promouvoir le livre et la lecture sur toutle territoire national. Ce programme s’appuyait sur la création etl’ouverture progressive de bibliothèques publiques, sous l’égide duministère de la Culture. C’est ainsi que la Loi 76-29 du 9 avril 1976relative aux bibliothèques va fixer le cadre d’organisation et defonctionnement du réseau national de lecture publique. Dans l’ex-posé des motifs de cette loi, le législateur considérait le dépôt légalcomme un moyen important de préservation du patrimoine littéraireet scientifique du pays. « Grâce à l’institution du dépôt légal et à

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39. Lucie GUIBAULT, op. cit., p. 36.

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son bon fonctionnement, la bibliothèque nationale pourra dépister,recueillir et préserver toutes les productions nationales impriméeset toutes autres formes de documents, de même que les œuvres desnationaux sénégalais publiées à l’étranger »40.

Pour le législateur de l’époque, le dépôt légal devait jouer unrôle central dans la mise en œuvre et l’accomplissement des missionsde la bibliothèque nationale. C’est pourquoi, la Loi 76-30 du 9 avril1976 portant institution du dépôt légal sera promulguée le mêmejour que la Loi sur les bibliothèques de 1976, qui constitue le textefondateur de la politique nationale de développement des bibliothè-ques au Sénégal. La Loi sur le dépôt légal abrogeait le décret de 1946et elle fixait le cadre général de fonctionnement de la Régie du dépôtlégal en ce qui concerne son organisation, le régime du dépôt, les dif-férents types de dépôt (imprimeur, producteur, éditeur) et enfin lessanctions. À côté de ce dépôt légal officiel de type documentaire, il yavait parallèlement d’autres dépôts obligatoires prévus au niveaude certaines administrations. L’article 14 de la Loi précise en effetque « le dépôt régi par la présente loi ne se confond pas avec le dépôtjudiciaire fait au parquet et le dépôt fait par l’administration auxArchives nationales pour les publications officielles »41.

Il est intéressant de noter le lien qui avait été établi entre ledépôt légal et le droit d’auteur par les rédacteurs de la Loi. Ilsavaient en effet considéré qu’en dehors de ses fonctions traditionnel-les qui permettaient de constituer le patrimoine documentaire natio-nal, d’assurer le contrôle bibliographique et d’élaborer et de publierla bibliographie nationale, le dépôt légal, dans leur entendement,pouvait aussi jouer un rôle important dans la protection des œuvreslittéraires et artistiques. Dans l’exposé des motifs de la Loi sur ledépôt légal, ils affirment en substance que : « tel qu’il est conçu, ledépôt légal est un instrument qui garantit la conservation de toutela production imprimée nationale, élément privilégié du patrimoineculturel. De plus, le dépôt légal assure aux auteurs, éditeurs etimprimeurs, une meilleure protection de leurs droits permettant uncontrôle facile et rigoureux des contrefaçons et des usurpations éven-tuelles »42.

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40. Loi no 76-30 du 9 avril 1976, portant institution du dépôt légal, Journal officiel dela République du Sénégal, 15 mai 1976, p. 761.

41. Loi no 76-30 du 9 avril 1976 portant institution du dépôt légal, Journal officiel dela République du Sénégal, 1976, 15 mai 1976, p. 761.

42. Loi no 76-30 du 9 avril 1976 portant institution du dépôt légal, ibid., p. 759.

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Une telle conception du dépôt légal n’est pas très courante. Celasignifie, dans ce cas, que l’antériorité du dépôt d’une œuvre dans lecadre d’un dépôt légal officiel pourrait servir de preuve dans le casd’un litige sur la propriété d’une œuvre ou sur son caractère original,au sens où l’entend la loi sénégalaise sur le droit d’auteur, à savoirlorsque l’œuvre porte « la marque de la personnalité de l’auteur ».

On peut évidemment regretter que les concepteurs de la Loi de2008 sur le droit d’auteur et les droits voisins n’aient pas créé de lienentre ces droits et le dépôt légal, en intégrant cette dimension dudépôt légal comme possibilité de preuve, dans le dispositif juridiquesur la protection de la propriété littéraire et artistique au Sénégal.De la même façon qu’ils ont totalement ignoré, comme nous l’avonsvu précédemment, la place de plus en plus importante que les utili-sateurs des bibliothèques et des services d’archives et ces institu-tions elles-mêmes, occupent dans les processus d’accès, d’utilisationet d’exploitation des œuvres protégées.

À l’heure actuelle, le dépôt légal au Sénégal fonctionne encoresur la base de la Loi de 1976. La réglementation en la matière n’aconnu aucun changement depuis lors, et ce, malgré les évolutionstechnologiques qui se sont produites dans le secteur du livre, del’édition et de l’information documentaire en général, notamment auniveau des supports de stockage et de transfert de l’information. LaLoi de 1976 est donc devenue totalement obsolète dans plusieurs deses dispositions. Ainsi, tous les nouveaux supports qui sont apparusà partir des années quatre-vingt, tels que les vidéogrammes, lesdocuments sonores et multimédias, les logiciels et les bases de don-nées et, plus récemment, les documents électroniques et numériquesne sont pas actuellement soumis au dépôt légal.

Cette situation est sans doute largement due à l’obsolescencedes textes, mais elle est aussi directement liée au fait que le Sénégalne dispose pas actuellement d’une institution nationale à voca-tion patrimoniale fonctionnelle. La bibliothèque nationale, qui a étécréée par la Loi no 2002-17 du 15 avril 2002, et dont l’une des mis-sions est d’organiser et de gérer le dépôt légal, n’a jamais fonctionnéréellement. Elle n’a qu’une existence nominale. Le décret d’appli-cation de cette loi, qui devait fixer les règles de fonctionnement desdifférents services de la bibliothèque nationale, en particulier celuidu dépôt légal, est toujours à l’étude au niveau de la Direction dulivre et de la lecture. Dans ces conditions, il est difficile de parler d’undépôt légal digne de ce nom au Sénégal. Pour l’heure, les seuls dépôtseffectués plus ou moins régulièrement par des éditeurs ou des impri-

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meurs sont ceux faits au niveau des Archives du Sénégal. Ils sontconstitués pour l’essentiel de documents imprimés (presse pério-dique et livres). Ces dépôts sont loin de couvrir la totalité de la pro-duction documentaire du pays ou concernant le pays, sur tous lesformats et tous les supports.

7. CONCLUSION

Malgré une histoire relativement longue, que nous avons essayéde retracer ici, et des expériences développées plusieurs annéesdurant, dans les domaines du droit d’auteur et du dépôt légal, leSénégal se trouve présentement à la croisée des chemins. Dans uncontexte socio-économique et technologique mondialisé et en cons-tante mutation, des mécanismes de contrôle et de protection commele droit d’auteur et le dépôt légal sont devenus, pour tous les pays dumonde, des instruments de développement et de promotion écono-mique de premier ordre, particulièrement en matière d’accès ausavoir et de transfert des connaissances. Si le Sénégal veut créerun environnement favorable à la constitution, à la conservation, à laprotection et aussi à la circulation de son patrimoine littéraire, scien-tifique et artistique, il lui faudra impérativement, et de manièreurgente, moderniser sa législation sur le dépôt légal, faire fonction-ner effectivement la bibliothèque nationale et adapter sa législationsur le droit d’auteur et les droits voisins aux réalités et aux contrain-tes liées à la transmission et à la circulation des idées et des connais-sances, en particulier dans les bibliothèques où l’information numé-rique prend de plus en plus de place. Ce sont là, d’une part, des préa-lables à toute politique de défense et de préservation des biens cultu-rels matériels et immatériels produits et diffusés par les Sénégalaiset, d’autre part, la garantie pour les bibliothèques et les servicesd’archives, dans le cadre de leurs missions de service public, d’assu-rer aux citoyens un accès démocratique à l’information, dans le res-pect des droits légitimes des propriétaires.

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