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ERA Forum (2013) 14:263–275 DOI 10.1007/s12027-013-0306-z ARTICLE Le droit de l’Union et la coopération en matière pénale European Union Law and cooperation in criminal matters Maria Berger Published online: 23 August 2013 © ERA 2013 Résumé Cet article retrace l’évolution de la coopération en matière pénale dans le droit de l’Union, depuis le traité de Maastricht jusqu’au traité de Lisbonne. Il examine les dispositions de droit primaire qui servent de bases juridiques au développement de ce domaine, en expliquant le cas échéant les difficultés qu’elles peuvent susciter, et met en lumière le rôle joué par la Charte des Droits Fondamentaux l’UE dans ce contexte. L’article présente ensuite les principaux apports de la jurisprudence de la CJUE dans l’interprétation tant du droit primaire (notion de « matière pénale ») que des principes généraux (notamment le principe non bis in idem) et du droit dérivé (notamment la décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen). Mots clés Historique de la coopération en matière pénale · Bases juridiques · Principe de reconnaissance mutuelle · Rapprochement des législations nationales · Spécificités de la procédure législative · Garanties de la Charte · État du droit dérivé · Notion de matière pénale · Principe ne bis in idem · Effets juridique des décisions-cadre · Mandat d’arrêt européen · Infractions nationales Abstract This article traces the evolution of judicial cooperation in criminal matters in European Union law from the treaty of Maastricht to the Lisbon treaty. It examines the provisions of primary law that serve as the legal bases for the developments in this field by explaining, wherever necessary, potential difficulties that might arise and highlights the role played by the Charter of Fundamental Rights of the EU in Le présent article reprend un exposé présenté à l’occasion du colloque de la CJUE et de la Cour Suprême de Bulgarie qui s’est tenu à Sofia le 20 mai 2013. M. Berger, Judge Court of Justice of the European Union, Boulevard Konrad Adenauer, 2925 Luxembourg, Luxembourg

Le droit de l’Union et la coopération en matière pénale; European Union Law and cooperation in criminal matters;

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ERA Forum (2013) 14:263–275DOI 10.1007/s12027-013-0306-z

A RT I C L E

Le droit de l’Union et la coopération en matière pénaleEuropean Union Law and cooperation in criminal matters

Maria Berger

Published online: 23 August 2013© ERA 2013

Résumé Cet article retrace l’évolution de la coopération en matière pénale dans ledroit de l’Union, depuis le traité de Maastricht jusqu’au traité de Lisbonne. Il examineles dispositions de droit primaire qui servent de bases juridiques au développementde ce domaine, en expliquant le cas échéant les difficultés qu’elles peuvent susciter,et met en lumière le rôle joué par la Charte des Droits Fondamentaux l’UE dans cecontexte. L’article présente ensuite les principaux apports de la jurisprudence de laCJUE dans l’interprétation tant du droit primaire (notion de « matière pénale ») quedes principes généraux (notamment le principe non bis in idem) et du droit dérivé(notamment la décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen).

Mots clés Historique de la coopération en matière pénale · Bases juridiques ·Principe de reconnaissance mutuelle · Rapprochement des législations nationales ·Spécificités de la procédure législative · Garanties de la Charte · État du droitdérivé · Notion de matière pénale · Principe ne bis in idem · Effets juridique desdécisions-cadre · Mandat d’arrêt européen · Infractions nationales

Abstract This article traces the evolution of judicial cooperation in criminal mattersin European Union law from the treaty of Maastricht to the Lisbon treaty. It examinesthe provisions of primary law that serve as the legal bases for the developments inthis field by explaining, wherever necessary, potential difficulties that might ariseand highlights the role played by the Charter of Fundamental Rights of the EU in

Le présent article reprend un exposé présenté à l’occasion du colloque de la CJUE et de la CourSuprême de Bulgarie qui s’est tenu à Sofia le 20 mai 2013.

M. Berger, JudgeCourt of Justice of the European Union, Boulevard Konrad Adenauer, 2925 Luxembourg,Luxembourg

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this context. This article then presents the main contributions of the case law of theCJEU to the interpretation of primary law (notion of “criminal matters”) and generalprinciples of EU law (in particular the principle of ne bis in idem) as well as secondarylaw (in particular the framework decision on the European Arrest Warrant).

Keywords History of cooperation in criminal matters · Legal bases · Principle ofmutual recognition · Harmonisation of national legislations · Specificities of thelegislative procedure · Charter guarantees · State of secondary legislation · Notion ofcriminal matters · Principle of ne bis in idem · Legal effects of framework decisions ·European Arrest Warrant · National offences

1 De la périphérie vers le centre

La coopération en matière pénale est apparue pour la première fois dans le droiteuropéen avec le traité de Maastricht, entré en vigueur le 1er novembre 1993. Ellerelevait de la coopération dans les domaines de la justice et de la sécurité intérieureet partageait leur statut de simple coopération intergouvernementale. Depuis le traitéd’Amsterdam, entré en vigueur le 1er mai 1999, la coopération en matière pénale re-lève du concept certes un peu plus ambitieux d’espace de liberté, de sécurité et dejustice (ci-après « ELSJ ») ; cela n’a toutefois pas produit de changement décisif ence qui concerne les faiblesses qui étaient liées à la coopération intergouvernemen-tale. Ce n’est que le chemin vers le traité de Lisbonne qui a permis de surmonteren grande partie, mais pas totalement, les réserves de beaucoup d’États membres enmatière de souveraineté, lesquelles sont particulièrement marquées dans le domainedu droit pénal. L’ensemble du concept d’ELSJ a été fortement réévalué avec le traitéde Lisbonne. Il constitue désormais un projet d’intégration autonome, indépendantdu marché intérieur, qui possède une place éminente au sein des objectifs de l’Union(article 3 TUE). La coopération en matière pénale en profite aussi. Mais le plus im-portant est que, avec le traité de Lisbonne, on a réussi à intégrer la coopération enmatière pénale dans les structures régulières de la nouvelle Union. L’Union disposedésormais de bases juridiques consolidées pour adopter des mesures législatives etprogrammatiques. Les mesures législatives doivent en principe être adoptées selon laprocédure législative ordinaire, ce qui signifie que le principe de majorité s’appliqueau Conseil et que le Parlement européen dispose du droit de codécision. La mise enœuvre des mesures législatives des États membres est désormais soumise au contrôlede la Commission et de la Cour.

2 La coopération en matière pénale, élément de l’ELSJ

Le titre V du TFUE, consacré à l’ELSJ, commence par des « dispositions géné-rales » qui s’appliquent à tous les sous-domaines de l’ELSJ. L’obligation de respecterles droits fondamentaux et les différents systèmes et traditions juridiques des Étatsmembres (article 67, paragraphe 1, TFUE), qui figure déjà à l’article 6 TUE, est ré-affirmée au titre de ces dispositions. Cette idée est aussi déjà exprimée de manière

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générale à l’article 4, paragraphe 2, TFUE. La traditionnelle subdivision en troisparties, que l’on trouve pour la première fois dans le « plan d’action de Vienne »du 3 décembre 1998, a influencé manifestement l’ordonnancement des paragraphessuivants de l’article 67 TFUE. Les mesures en matière d’asile, d’immigration et decontrôles aux frontières sont placées sous le signe de la « liberté » (article 67, pa-ragraphe 2, TFUE). Les mesures de prévention de la criminalité et de lutte contrecelle-ci, la coopération entre autorités policières et judiciaires, la reconnaissance mu-tuelle des décisions judiciaires en matière pénale et le rapprochement des législationsrelèvent manifestement de l’élément « sécurité » de l’ELSJ (article 67, paragraphe 3,TFUE). Restent pour l’élément « justice » les mesures relatives à l’accès à la justiceet celles relatives à la reconnaissance mutuelle des décisions en matière civile (ar-ticle 67, paragraphe 4, TFUE). On ne peut pas tirer de conséquences juridiques deces classifications : dans tous les domaines, il y a lieu de concilier liberté et sécurité,et dans tous les domaines il s’agit bien de « justice ». L’article 67 TFUE n’est pasnon plus en parfaite adéquation avec les bases juridiques spéciales des articles 81 etsuivants TFUE. Par exemple, à l’article 67, paragraphe 3, figure également l’objectifde lutte contre le racisme et la xénophobie, pour lequel on ne trouve pas d’indicationexplicite dans les bases juridiques spéciales. On peut par conséquent se demander sides mesures législatives et programmatiques qui ne sont pas visées dans les basesjuridiques spéciales peuvent être directement fondées sur l’article 67 TFUE. La Courn’a jusqu’à présent pas eu l’occasion de se prononcer à cet égard, mais la doctrineconsidère que la réponse est négative.

2.1 Orientations stratégiques

Le traité de Lisbonne a assigné au Conseil européen la responsabilité de définir lesorientations stratégiques de la programmation législative et opérationnelle relevantde l’ELSJ (article 68 TFUE). Le « programme de Stockholm », encore applicableactuellement, a été le premier du genre à avoir été adopté sur cette nouvelle basejuridique. Ses prédécesseurs (programmes de Tampere et de La Haye) ont encoreété adoptés sur la base de l’habilitation générale du Conseil européen à donner lesimpulsions nécessaires au développement de l’Union. Il existe une tension entre cetteprérogative du Conseil européen pour définir des programmes et le droit d’initiativede la Commission ; on l’a vu à l’occasion du « plan d’action de la Commission sur leprogramme de Stockholm »,1 qui n’a pas été « adopté » par le Conseil européen maisdont celui-ci a seulement « pris connaissance », étant donné que ledit plan ne s’estpas entièrement tenu aux recommandations dudit Conseil.

2.2 Contrôle de subsidiarité spécial et droit d’initiative des États membres

Outre les contrôles de subsidiarité que les traités prévoient en tout état de cause pourtous les domaines de compétences partagées, dont fait aussi partie l’ELSJ (article 5,paragraphe 3, TUE), l’article 69 TFUE prévoit un renvoi supplémentaire au contrôle

1COM (2010) 171 final.

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de subsidiarité des Parlements nationaux. Néanmoins, ce contrôle de subsidiarité sup-plémentaire ne s’applique qu’à la coopération en matière pénale et à la coopérationpolicière et non aux autres domaines de l’ELSJ. En effet, le protocole (n° 2) surl’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité prévoit, dans son ar-ticle 7, paragraphe 2, que, pour les mesures législatives en matière de coopérationen matière pénale et de coopération policière, un nombre de voix moins élevé quedans les autres domaines est requis pour obtenir le réexamen d’un acte juridique del’Union. En règle générale, au moins un tiers des Parlements nationaux doit émettreune opposition, tandis qu’un quart des voix suffit pour ce qui concerne la coopéra-tion judiciaire en matière pénale et la coopération policière. Il est remarquable que,jusqu’à présent, aucune procédure de contrôle de subsidiarité n’a eu lieu dans le do-maine du droit pénal, contrairement à ce qui a été le cas dans le domaine du droitcivil.2 De même, ce n’est que dans le domaine de la coopération en matière pénaleet de la coopération policière que non seulement la Commission, mais également unquart des États membres, disposent du droit d’initiative pour faire de nouvelles propo-sitions législatives (article 76 TFUE). Cette situation de concurrence constitue l’unedes raisons pour lesquelles la Commission et le Conseil parviennent régulièrement àdes positions différentes sur ce qu’il convient précisément d’entendre par « matièrepénale ».

2.3 Autres dispositions générales

Les articles 70 et suivants TFUE prévoient notamment des habilitations pour évaluerles mesures des États membres dans le domaine de l’ELSJ et pour la coopération ad-ministrative dans ce domaine. L’article 72 TFUE contient une dérogation pour l’exer-cice des responsabilités qui incombent aux États membres pour le maintien de l’ordrepublic et la sauvegarde de la sécurité intérieure. L’article 75 TFUE contient une ha-bilitation législative en ce qui concerne la prévention du terrorisme et la lutte contrecelui-ci. Cette base juridique se situe dans une certaine relation de concurrence avecl’article 215 TFUE et les habilitations qu’il prévoit pour adopter des mesures restric-tives dans le domaine de la PESC. La délimitation de ces deux dispositions a déjàfait l’objet d’un arrêt de la Cour.3 Il convient également de mentionner les protocolesn° 21 et 22, qui contiennent des dispositions particulières pour le Royaume-Uni, l’Ir-lande et le Danemark.

3 La coopération judiciaire en matière pénale

Les dispositions centrales relatives à la coopération en matière pénale figurent dé-sormais à l’article 82 TFUE. D’une part, cette disposition ancre pour la première foisdans le droit primaire le principe de reconnaissance mutuelle aussi à l’égard des juge-ments et décisions judiciaires en matière pénale. D’autre part, elle contient des habili-tations pour rapprocher les dispositions législatives et réglementaires et pour adopter

2Rapport de la Commission sur la subsidiarité et la proportionnalité, COM(2012) 373 final.3Arrêt du 19 juillet 2012, Parlement/Conseil (C130/10, non encore publié au Recueil).

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d’autres mesures visant à faciliter l’acceptation du principe de reconnaissance mu-tuelle également dans le domaine des décisions pénales. La manière dont l’article82 TFUE est conçu fait clairement apparaître que le législateur de droit primaireétait conscient du fait que le principe de reconnaissance mutuelle, particulièrementcontesté en matière pénale, nécessite d’être complété par des mesures d’accompagne-ment pour être appliqué de manière cohérente en pratique. La procédure législativeordinaire qui s’applique actuellement a d’ores et déjà permis l’adoption effective demesures d’harmonisation minimales fondamentales, sans que celles-ci, comme dansle passé, n’échouent au Conseil en raison de l’exigence d’unanimité. La procédure defreinage d’urgence prévue à l’article 82, paragraphe 3, TFUE n’a pas encore été utili-sée. Il n’a donc pas non plus été nécessaire de trouver une issue par une coopérationrenforcée. Les deux gros paquets législatifs sur les droits de l’accusé d’une part et surles droits de la victime d’autre part ont déjà été adoptés pour leur plus grande partie.Le passage à des décisions majoritaires au Conseil et la participation du Parlementeuropéen ont également conduit à ce que les mesures d’harmonisation aillent au-delàdu plus petit dénominateur commun.

3.1 L’harmonisation du droit pénal matériel

L’article 83 TFUE établit désormais sur de nouvelles bases les prérogatives del’Union dans le domaine du droit pénal matériel. Son paragraphe 1 habilite l’Unionà adopter dans le domaine des « eurocrimes » des règles minimales relatives à la dé-finition des infractions pénales et des sanctions. Cela ne peut se faire que par voie dedirectives ; néanmoins, celles-ci doivent être adoptées conformément à la procédurelégislative ordinaire. L’article 83, paragraphe 2, TFUE réglemente la compétence pé-nale accessoire pour les politiques de l’Union ne relevant pas de la matière pénale. Sides mesures d’harmonisation ont déjà été prises pour l’une de ces politiques et si celas’avère indispensable pour leur mise en œuvre efficace, les dispositions de droit pénaldes États membres peuvent aussi être harmonisées. Cette disposition codifie la juris-prudence de la Cour sur la compétence pénale accessoire.4 Dans le domaine d’appli-cation de cette compétence accessoire, seules des directives sont également possibles,la procédure législative, ordinaire ou spéciale, suit celle qui s’applique à la matièreprincipale. La procédure de freinage d’urgence et les dispositions spéciales relativesà la coopération renforcée qui figurent au paragraphe 3 peuvent être utilisées pour desmesures prises tant au titre du paragraphe 1 que du paragraphe 2. La limitation à l’ins-trument de la directive prévue par l’article 82 TFUE exclut la création d’infractionspénales supranationales. En revanche, l’article 325, paragraphe 4, TFUE, consacré àla lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union, autoriseaussi la forme du règlement. La Commission n’en a toutefois pas fait usage et a éla-boré également sa dernière proposition sous la forme d’une directive.5 Ainsi que celaa déjà été mentionné, l’exercice de la compétence accessoire suppose que l’adoption

4Arrêts du 13 septembre 2005, Commission/Conseil (C176/03, Rec. p. I7879) et du 23 octobre 2007,Commission/Conseil (C440/05, Rec. p. I9097).5Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la lutte contre la fraude portantatteinte aux intérêts financiers de l’Union au moyen du droit pénal (COM/2012/0363 final).

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de mesures d’harmonisation minimales en matière pénale soit qualifiée d’indispen-sable. Dans le même temps, trois États membres ont toujours la possibilité, sur lefondement des protocoles n° 21 et 22, de ne pas participer à ces mesures prétendu-ment indispensables, sans que cela n’implique pour autant automatiquement qu’ils neparticipent pas non plus aux mesures d’harmonisation, ce qui pourrait conduire à unesituation où chacun « picore » ce qui lui convient. Les distorsions de concurrence quien découlent apparaissent clairement s’agissant de la proposition de directive relativeaux sanctions pénales applicables aux opérations d’initiés et aux manipulations demarché.6 Pour de tels cas de figure, l’article 116 TFUE et l’explication n° 26 pré-voient des procédures spéciales de consultation, ainsi que des mesures législatives oud’autres mesures. Néanmoins, la question de savoir si un État membre, du fait qu’ilne participe pas aux mesures d’harmonisation en matière pénale, peut aussi être exclude la participation à la politique concernée, n’est pas claire.

3.2 Formes juridiques

À l’exception des mesures législatives qui peuvent être basées sur l’article 82, para-graphe 1, TFUE 7 et qui peuvent aussi être adoptées sous la forme d’un règlement, ladirective est la seule forme par laquelle l’Union peut faire usage de ses compétencespénales. Cela montre que les réserves des États membres tenant à la souverainetén’ont pas encore été totalement surmontées. Néanmoins, le passage à la directiveconstitue un progrès considérable au regard des instruments juridiques qui étaientutilisés avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. La coopération intergouver-nementale dans le domaine de l’ancien troisième pilier se faisait sous la forme depositions communes, de décisions-cadre, de décisions et d’accords entre les Étatsmembres. Les dispositions adoptées par le biais de ces instruments continuent néan-moins à s’appliquer. Les compétences de contrôle limitées de la Commission et dela Cour (article 10, paragraphe 1, du protocole n° 36) continuent à s’appliquer pources dispositions jusqu’au 30 novembre 2014, dans la mesure où elles n’ont pas faitl’objet de modifications. Leur transposition dans les États membres sera soumise aucontrôle de la Commission et de la Cour à partir de ce moment. La menace de cecontrôle constitue l’une des raisons pour lesquelles le Royaume-Uni réfléchit à sortirde l’ensemble de la coopération en matière pénale au moyen d’un « block opt out ».8

Ces anciens instruments vont probablement perdurer, étant donné que la Commissionn’a jusqu’à présent pas pris d’initiatives pour, par exemple, transformer les décisions-cadre en directives. Cela suscite quelques questions qui demeurent ouvertes et pourlesquelles les traités ne donnent pas de réponse déterminée. En vertu de l’ex article 34TUE, les décisions-cadre n’étaient pas directement applicables ; elles ne disposaientpar conséquent d’aucune primauté par rapport au droit national. Il doit être considéréque cette exclusion de l’applicabilité directe continuera à valoir jusqu’à l’expirationde la période transitoire en novembre 2014. Néanmoins, pour la période qui suivra

6COM/2011/654/final.7Les articles 79, paragraphe 2, sous c), et 325, paragraphe 4, TFUE permettent aussi d’adopter des dispo-sitions pénales sous la forme du règlement.8Peers [1].

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cette période transitoire, j’estime qu’il n’y aura plus de raison d’écarter l’applicabilitédirecte de dispositions de décisions-cadre qui sont inconditionnelles et suffisammentprécises.

3.3 Les garanties de la Charte des Droits Fondamentaux de l’UE en matière deprocédure pénale

Au moment de l’élaboration de la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union eu-ropéenne (ci-après la « Charte »), la question de savoir si on devait aussi faire figu-rer dans celle-ci des garanties spéciales pour la procédure pénale était très débattue.Contre une intégration de ces garanties, il a été avancé que les effets du droit del’Union sur le droit pénal et la procédure pénale étaient encore trop limités pourexiger une protection spécifique en matière de droits fondamentaux au niveau del’Union. Néanmoins, l’extension des compétences de l’Union dans le domaine dudroit pénal et de la procédure pénale et l’existence désormais non négligeable de dis-positions de droit dérivé dans ce domaine ont certainement justifié a posteriori l’in-tégration de ces garanties spéciales. L’article 47 de la Charte s’applique à toutes lesprocédures qui concernent des droits et des libertés qui découlent du droit de l’Union.Il peut s’agir aussi de procédures pénales. Pour ces dernières, l’article 47 de la Chartecontient des garanties fondamentales tant pour l’accusé que pour la victime. Les ga-ranties des articles 48 à 50 quant à elles sont forgées pour les procédures pénales etles droits de la défense de l’accusé.

4 Le droit dérivé dans le domaine de la coopération en matière pénale

Le droit dérivé dans le domaine de la coopération en matière pénale est devenu tropétendu pour pouvoir le présenter ici. Je ferai ici seulement deux remarques à cetégard : ce qui manque encore, c’est un règlement Bruxelles I relatif aux compétencessur les questions pénales ; la décision-cadre 2009/948/JAI relative à la prévention etau règlement des conflits en matière d’exercice de la compétence dans le cadre desprocédures pénales n’arrive pas à la hauteur de la rigueur du règlement Bruxelles I. Enrevanche, au titre des points positifs, il y a lieu de souligner que la législation sur lesdroits de l’accusé et les droits de la victime est désormais en grande partie achevée.Ces règles minimales devront être appliquées également dans les procédures pénalesqui ne présentent pas de rapport avec le droit de l’Union et dans lesquelles il n’existepas non plus forcément d’aspect transfrontalier.

5 La jurisprudence de la Cour sur les questions de coopération en matièrepénale

5.1 La notion de matière pénale

Le droit primaire ne contient pas de définition de la notion de « matière pénale » etle droit dérivé n’aide pas non plus vraiment davantage dans la recherche d’une défi-nition. La situation est similaire également pour la notion de « matière civile », telle

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qu’elle est utilisée par exemple à l’article 81 TFUE. Néanmoins, pour définir cettenotion du droit primaire, on peut avoir recours à la jurisprudence abondante de laCJUE sur la notion de « matière civile » dans les actes de droit dérivé. Ce recours àla jurisprudence ne donne pas autant de résultats pour l’interprétation de la notion de« matière pénale » que pour celle de « matière civile ». Jusqu’à présent, aucune desaffaires soumises à la Cour n’a nécessité de décrire de manière positive la notion de« matière pénale ». On trouve néanmoins des éléments importants dans la jurispru-dence relative à la qualification des sanctions telles que le droit de l’Union les prévoitlui-même pour garantir son exécution ou telles qu’elles sont édictées par les Étatsmembres lorsqu’ils transposent le droit de l’Union. Ces questions de qualification sesont posées la plupart du temps dans le contexte de la question de l’application duprincipe de droit de l’Union « ne bis in idem ». Jusqu’à présent, la Cour n’a, semble-t-il, qualifié de sanction pénale aucune des sanctions dont elle a eu à connaitre. Nouspouvons donc en déduire les cas dans lesquels sont en cause non des sanctions pénalesmais de simples sanctions administratives. Lors de cet examen, la Cour a récemmentappliqué elle-même les « critères Engel » issus de la jurisprudence de la CEDH9 ou alaissé le juge national contrôler les sanctions en lui imposant à cet effet l’applicationdesdits critères.10 En tout état de cause, une affaire qui pourrait exiger que la Courdéfinisse plus précisément la notion d’« infractions pénales » dans le contexte de l’ar-ticle 87 TFUE est actuellement pendante devant la Cour.11 Dans cette affaire, il ya lieu de déterminer sur quelle base juridique devait être adoptée une directive rela-tive à l’échange transfrontalier d’informations en cas d’infraction contre les règles desécurité routière. La directive a été adoptée sur la base de l’article 87 TFUE (coopéra-tion policière), tandis que la Commission considère que l’article 91 TFUE (politiquecommune en matière de transports) constitue la base juridique correcte. Cette affairene constitue pas le premier litige entre la Commission et le Conseil s’agissant dela délimitation correcte des bases juridiques dans le domaine de la coopération enmatière pénale. Il y a déjà eu un litige de ce type notamment sur le champ d’applica-tion de la décision de protection européenne.12 La Commission avait alors défenduune notion très étroite du droit pénal, censée être axée sur les conceptions des Étatsmembres, tandis que le Conseil plaidait pour une conception autonome et pour unenotion large du droit pénal pouvant aussi inclure des mesures qui sont considéréesdans les États membres comme relevant du droit civil. Ces positions quelque peusurprenantes peuvent vraisemblablement s’expliquer par le fait que des intérêts ins-titutionnels entrent ici en cause. Le Conseil, par une définition large de la notion dematière pénale, devrait avoir un intérêt à pouvoir appliquer le plus souvent possibleles spécificités procédurales qui existent dans ce domaine. Au titre de ces spécificitésfigurent notamment le droit d’initiative également des États membres, la limitation

9Arrêt du 5 juin 2012, Bonda (C489/10, non encore publié au Recueil, point 37).10Arrêt du 26 février 2013, Åkerberg Fransson (C617/10, non encore publié au Recueil, points 35 etsuivants).11Affaire C43/12, Commission/Parlement et Conseil.12Directive 2011/99/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 relative à la décisionde protection européenne.

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pour l’essentiel à l’instrument de la directive, la possibilité d’utiliser la procédure defreinage d’urgence ainsi que le recours facilité à la coopération renforcée.

La définition de la notion de « matière pénale » est importante tant dans le contextedes définitions de compétences et de l’interprétation du droit dérivé que pour définirle champ d’application minimal des garanties pénales de la Charte. La Cour appliquecertaines de ces garanties, telles que la présomption d’innocence, également dans desprocédures qu’elle qualifie expressément comme n’étant pas des procédures pénales,comme par exemple dans les procédures d’infractions aux règles de concurrence.13

Les fondements nouveaux en matière de compétence qui concernent la coopéra-tion en matière pénale et l’augmentation du droit dérivé n’ont cependant pas conduitla Cour à modifier une formulation utilisée de manière constante dans sa jurispru-dence : « À cet égard, la Cour a déjà relevé que si, en principe, la législation pénaleet les règles de procédure pénale relèvent de la compétence des États membres, cedomaine du droit peut néanmoins être affecté par le droit de l’Union ».14

5.2 Le principe « ne bis in idem »

La jurisprudence ancienne de la Cour relative au principe « ne bis in idem » a étérendue à propos de l’article 54 de la convention d’application de l’accord de Schen-gen et à propos de la notion de « mêmes faits » utilisée à l’article 3, paragraphe 2, dela décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen. La Cour pourra avoir recoursà cette jurisprudence également lorsqu’elle interprétera l’article 50 de la Charte, quiconsacre désormais au niveau du droit primaire l’interdiction des doubles poursuitespénales et des doubles sanctions pénales. Le principe de droit de l’Union « ne bis inidem » s’applique lorsque, en cas de cumul de sanctions, au moins l’une des sanc-tions relève du droit de l’Union. Une sanction relève du droit de l’Union lorsqu’elleest prévue directement par celui-ci, lorsqu’elle est prévue par le droit national, dansla mesure où elle poursuit la finalité objective de transposer des obligations qui dé-coulent du droit de l’Union. En outre, le principe « ne bis in idem » entre en jeulorsqu’est en cause l’application de dispositions d’actes de droit dérivé dans le cadrede la coopération transfrontalière en matière pénale. Et ce également lorsque les in-fractions pertinentes n’ont pas de lien avec le droit de l’Union. La Cour a appliquél’article 50 de la Charte pour la première fois dans l’affaire Åkerberg Fransson, danslaquelle elle a statué il y a peu. Elle a notamment dit à cette occasion que l’article50 de la Charte n’empêche pas les États membres, pour réprimer le même acte, deprononcer une sanction fiscale et une sanction pénale (en l’espèce, il s’agissait dunon-respect d’obligations déclaratives en matière de TVA). Mais cela ne vaut quelorsque la sanction fiscale ne revêt pas de caractère pénal. Si une sanction devaitêtre écartée en raison de l’application du principe « ne bis in idem », la sanction quisubsisterait devrait néanmoins être encore effective, proportionnée et dissuasive.15

13Ordonnance du 7 février 2012, Total et Elf Aquitaine/Commission (C421/11 P, non encore publiée auRecueil, point 31) ; arrêts du 8 juillet 1999, Hüls/Commission (C199/92 P, Rec. p. I4287, points 149 etsuivants) et du 8 juillet 1999, Montecatini/Commission (C235/92 P, Rec. p. I4539, points 175 et suivants).14Arrêt du 6 décembre 2011, Achughbabian (C329/11, non encore publié au Recueil, point 33).15Arrêt Åkerberg Fransson, précité, points 34 et 36.

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On trouve d’autres prises de position de la Cour notamment sur la question desavoir ce que l’on doit entendre par « idem »16 et dans quels cas l’action publique estconsidérée comme éteinte.17

5.3 Effets d’une décision-cadre

Il existe également une jurisprudence abondante sur la question des effets d’unedécision-cadre. Cette jurisprudence n’est pas dépassée étant donné que, comme nousl’avons déjà mentionné, les décisions-cadre vont continuer à faire partie du droitde l’Union dans les prochaines années. On lit souvent dans la jurisprudence que ladécision-cadre pertinente dans la procédure en cause laisse aux autorités nationalesun large pouvoir d’appréciation quant aux modalités concrètes de mise en œuvre desobjectifs qu’elle poursuit.18 Néanmoins, cela n’exclut pas l’obligation d’interpréterle droit national à la lumière de la décision-cadre.19 Les prises de position sur lefond concernent notamment les droits des victimes dans la procédure pénale. Ainsi,la Cour a en particulier constaté que ni la décision-cadre actuellement en vigueur20

ni l’article 47 de la Charte ne garantissent à la victime d’une infraction pénale undroit de provoquer l’exercice de poursuites pénales contre un tiers afin d’obtenir sacondamnation.21 La décision-cadre qui faisait l’objet de la procédure en cause va êtreremplacée à l’avenir, pour tous les États membres sauf le Danemark, par la nouvelledirective 2012/29 sur la protection des victimes.22 Il conviendra ensuite d’examinerau cas par cas quels éléments de l’ancienne jurisprudence peuvent encore être main-tenus.

16Arrêts du 28 septembre 2006, Van Straaten (C150/05, Rec. p. I9327, points 48 et suivants), et du 9 mars2006, Van Esbroeck (C436/04, Rec. p. I2333, points 25 et suivants).17Arrêts du 16 novembre 2010, Mantello (C261/09, Rec. p. I11477, points 45 et suivants), du 22 décembre2008, Turanský (C491/07, Rec. p. I11039, points 32 et suivants), Van Straaten, précité, points 54 et sui-vants, du 28 septembre 2006, Gasparini e.a. (C467/04, Rec. p. I9199, points 22 et suivants), du 10 mars2005, Miraglia (C469/03, Rec. p. I2009, point 30), du 11 février 2003, Gözütok et Brügge (C187/01 etC385/01, Rec. p. I1345, point 48).18Arrêt du 21 décembre 2011, X (C507/10, non encore publié au Recueil, point 28, et la jurisprudencecitée).19Arrêts du 27 février 2007, Gestoras Pro Amnistía e.a./Conseil (C354/04 P, Rec. p. I1579, points 50 etsuivants), du 9 octobre 2008, Katz (C404/07, Rec. p. I7607, points 48 et suivants) et du 16 juin 2005,Pupino (C105/03, Rec. P. I5285, points 41, 58 et suivants).202001/220/JAI : décision-cadre du Conseil du 15 mars 2001 relative au statut des victimes dans le cadrede procédures pénales.21Arrêt X, précité, point 43.22Directive 2012/29/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2012 établissant des normesminimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité et remplaçant ladécision-cadre 2001/220/JAI du Conseil. Cette directive est entrée en vigueur le 14 novembre 2012 et doitêtre transposée en droit national avant le 16 novembre 2015.

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5.4 Le mandat d’arrêt européen

La décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen23 est la seule décision-cadrequi a été transposée presque intégralement dans les États membres et qui joue doncégalement dans la pratique un rôle important.24 Cela a aussi pour conséquence quela décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen constitue la décision-cadre quijoue le rôle le plus important dans la jurisprudence de la Cour. La question de lavalidité de la décision-cadre s’est posée dès la première demande de décision pré-judicielle25 parvenue à la Cour à propos de ladite décision-cadre. La validité a étéconfirmée notamment au regard du choix de la base juridique et également au re-gard de la violation des principes de légalité et d’égalité. Cette affaire a donné à laCour l’occasion de constater que le principe de légalité du droit pénal et le principe« nullum crimen, nulla poena sine lege » doivent être considérés comme des principesgénéraux du droit de l’Union. La Cour a néanmoins considéré que ni ces principes nid’autres dispositions du droit primaire de l’Union n’étaient violés. Elle a par la suiteconfirmé la validité de la décision-cadre.

Quelques autres procédures devant la Cour ont concerné l’interprétation de l’ar-ticle 4, paragraphe 6, de la décision-cadre, qui prévoit la non-exécution facultatived’un mandat d’arrêt européen lorsque la personne recherchée demeure dans l’Étatmembre d’exécution, en est ressortissante ou y réside. Dans ce cas, l’État d’exécutiondoit néanmoins s’engager à exécuter la peine ou la mesure de sûreté conformémentà son droit interne. Dans les affaires renvoyées, il s’agissait de la question du trai-tement du critère du séjour et de la résidence pour les personnes non ressortissantesde l’Union.26 On peut dire, pour simplifier, que la Cour a conclu que cette possi-bilité doit être appliquée aussi dans le cas de non-ressortissants de l’Union qui, dufait d’un séjour prolongé dans l’État d’exécution, ont construit avec cet État des lienssimilaires à ceux qu’ils auraient construits s’ils y avaient résidé.

D’autres arrêts concernent la remise dans l’État d’exécution,27 le principe de spé-cialité,28 l’obligation de consentement lors d’une suite de remises dans le cas d’unechaîne de mandats d’arrêt29 et l’application du principe « ne bis in idem ».30 La Coura dû rappeler à plusieurs reprises que la non-exécution d’un mandat d’arrêt euro-péen ne peut avoir lieu que pour les motifs énumérés aux articles 3, 4 et 4 bis de la

23Décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et auxprocédures de remise entre États membres.24Pour l’année 2009, la Commission relève que 15 827 mandats d’arrêt européens ont été émis et 4431ont été exécutés, COM(2001) 175 final.25Arrêt du 3 mai 2007, Advocaten voor de Wereld (C303/05, Rec. p. I3633).26Arrêts du 5 septembre 2012, Lopes Da Silva Jorge (C42/11, non encore publié au Recueil) et du 6octobre 2009, Wolzenburg (C123/08, Rec. p. I9621).27Arrêt du 21 octobre 2010, B. (C306/09, Rec. p. I10341).28Arrêt du 1er décembre 2008, Leymann et Pustovarov (C388/08 PPU, Rec. p. I8983).29Arrêt du 28 juin 2012, West (C192/12 PPU, non encore publié au Recueil).30Arrêt Mantello, précité, et la jurisprudence citée.

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décision-cadre. Selon la Cour, la liste des motifs de non-exécution facultative est uneliste exhaustive.31

Dans l’affaire Melloni,32 il s’agissait de savoir si les autorités judiciaires espa-gnoles pouvaient subordonner la reconnaissance et l’exécution d’un mandat d’arrêteuropéen au fait qu’une condamnation par défaut dans l’État d’émission puisse êtreréexaminée. Dans la version initiale de la décision-cadre, une telle possibilité étaitreconnue sous certaines conditions, au titre des motifs de non-exécution facultative.Cette disposition a néanmoins été abrogée par une décision-cadre ultérieure et unnouvel article 4 bis a été inséré. Le paragraphe 1 de celui-ci exclut dans quatre casde figure que les autorités judiciaires d’exécution puissent refuser de reconnaître etd’exécuter un mandat d’arrêt européen émis après un jugement par défaut. Aprèsavoir analysé le libellé, le contexte et la finalité de cette disposition, la Cour a concluque celle-ci doit être interprétée en ce sens que, dans les conditions mentionnéesdans la disposition en cause, l’exécution d’un mandat d’arrêt européen ne peut pasêtre soumise à la condition selon laquelle la condamnation rendue par défaut peutêtre réexaminée dans l’État d’émission. La Cour a ensuite considéré que la disposi-tion faisant l’objet de la procédure était compatible avec la Charte. Pour le cas oùune telle conclusion serait tirée, la Cour constitutionnelle espagnole souhaitait quesoit clarifiée la question de savoir si une exécution d’un mandat d’arrêt européenne peut pas néanmoins être soumise à la condition d’un réexamen de la condamna-tion, lorsque la constitution nationale ainsi que le droit à un procès équitable et lesdroits de la défense qu’elle prévoit l’exigent. La juridiction de renvoi invoquait à cetégard l’article 53 de la Charte. La Cour a compris la question de la Cour constitution-nelle espagnole en ce sens que ladite cour constitutionnelle envisageait d’interpréterl’article 53 de la Charte comme autorisant de manière générale un État membre àappliquer le niveau de protection des droits fondamentaux garanti dans sa constitu-tion si ce niveau est plus élevé que celui qui découle de la Charte, et en ce sens que,le cas échéant, ladite cour constitutionnelle pouvait opposer ce niveau plus élevé àl’application de dispositions de droit de l’Union. La Cour n’a pas voulu se rallier àune telle interprétation de la Charte. Elle a constaté qu’une telle interprétation vio-lerait le principe de la primauté du droit de l’Union, étant donné qu’elle permettraità un État membre d’empêcher l’application d’actes juridiques de l’Union parfaite-ment conformes à la Charte. La Cour considère au contraire que l’article 53 de laCharte confirme que lorsqu’un acte juridique de l’Union rend nécessaire des mesuresnationales de mise en œuvre, les autorités et juridictions nationales demeurent libresd’appliquer les niveaux nationaux de protection des droits fondamentaux. Mais celane vaut que lorsque cette application ne remet en cause ni le niveau de protection dela Charte telle qu’elle est interprétée par la Cour ni la primauté, l’unité et l’efficacitédu droit de l’Union. En l’espèce, la Cour a considéré qu’il existait une telle atteinte àl’unité et à l’efficacité du droit de l’Union.

31Arrêt du 29 janvier 2013, Radu (C396/11, non encore publié au Recueil). Dans ses conclusions danscette affaire (points 69 et suivants), l’avocat général Sharpston a plaidé pour une reconnaissance d’autresmotifs de refus en cas de violation grave des droits fondamentaux.32Arrêt du 26 février 2013, Melloni (C399/11, non encore publié au Recueil).

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6 La neutralisation des infractions nationales

Il découle aussi de la jurisprudence de la Cour certaines restrictions à la créativité dela législation pénale des États membres. On trouve dans la jurisprudence récente deuxarrêts33 dans lesquels la Cour a dû constater que la directive 2008/11534 s’oppose àdes sanctions pénales infligées en France et en Italie aux ressortissants d’États tiersqui ne se sont pas conformés à une ordonnance d’expulsion. Dans la jurisprudenceplus ancienne,35 c’étaient notamment les libertés fondamentales qui etaient invoquéespour s’opposerà à l’application de dispositions pénales nationales.

7 Remarques finales

La position selon laquelle le droit pénal et la procédure pénale constituent la seulezone libre de droit de l’Union et ainsi le dernier bastion du droit national36 est en-core largement répandue chez les praticiens du droit ainsi que dans la doctrine. Cetteperception se retrouve constamment, en tout cas dans mon pays d’origine. J’espèreavoir pu montrer qu’elle était inexacte déjà pour ce qui concerne le passé et que, aprèsl’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, elle n’a vraiment plus rien à voir avec laréalité du droit de l’Union.

Bibliographie

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2. Satzger, H.: Europäisierung des nationalen Strafrechts. In: Sieber, U., Brüner, F.-H., Satzger, H.,von Heintschel-Heinegg, B. (eds.) Europäisches Strafrecht, pp. 229–280. Nomos, Baden-Baden (2011)

33Arrêts Achughbabian, précité, et du 28 avril 2011, El Dridi (C61/11 PPU, Rec. p. I3015).34Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normeset procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers enséjour irrégulier.35Arrêts du 15 septembre 2011, Dickinger et Ömer (C347/09, non encore publié au Recueil, point 32), du9 septembre 2010, Engelmann (C64/08, Rec. p. I8219), du 6 mars 2007, Placanica e.a. (C338/04, C359/04et C360/04, Rec. p. I1891, points 63 et 69), du 30 novembre 1995, Gebhard (C55/94, Rec. p. I4165, point37), du 31 mars 1993, Kraus (C19/92, Rec. p. I1663, point 32), du 16 décembre 1992, Commission/Grèce(C210/91, Rec. p. I6735, point 20), du 25 février 1988, Drexl (299/86, Rec. p. 1213, point 18), du 11novembre 1981, Casati (203/80, Rec. p. 2595, point 27), du 15 décembre 1976, Donckerwolcke et Schou(41/76, Rec. p. 1921, points 41 et 42), et du 7 juillet 1976, Watson et Belmann (118/75, Rec. p. 1185, point20).36Satzger [2], p. 231 et suivantes.