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EDUARDO GALEANO

LES ENFANTS DES JOURS


« Chaque jour a une histoire à raconter. »

Faisant fi des frontières et du temps, chaque page de celivre raconte une histoire tirée de la longue biographie del’humanité. L’ensemble forme un livre des jours, pour nepas oublier et pour apprendre à trier le bon grain de l’ivraiedans l’étourdissante succession des événements du passé.Mosaïste chevronné, Eduardo Galeano nous livre 366 ins-tantanés qui rendent hommage à des anonymes ou ressus-citent héroïnes et héros effacés. Afin que demain ne soitpas juste un autre nom pour aujourd’hui.

Exilé des dictatures uruguayenne et argentine, EduardoGaleano (Montevideo, 1940-2015) a vécu en Espagne avantde retourner en Uruguay en 1985. Récipien daire du prixStig Dagerman en 2010, il est, entre autres, l’auteur desVeines ouvertes de l’Amérique latine. Journaliste, penseuret passeur de mots, il était d’une érudition formidable etamoureuse. Ses livres nous ont appris la geste des héros que lepouvoir a voulu effacer, ceux qui sont restés debout face à laviolence et la domination.

29,95$ – 22€ISBN 978-2-89596-208-3

Collection « Orphée »

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EDUARDO GALEANO


UN cALENDRiER DE L’HiSTOiRE HUmAiNE

Traduit de l’espagnol (Uruguay) par Jean-marie Saint-Lu


Collection « Orphée »

Dans la même collection:

Edward Bellamy, C’était demainJohn Berger, La liberté de CorkerLewis Carroll, La chasse au SnarkRichard Desjardins, AliénorBernard Émond, 20 h 17 rue DarlingEduardo Galeano, Le livre des étreintesEduardo Galeano, Paroles vagabondesEduardo Galeano, Les voix du tempsSaint-Denys Garneau, Regards et jeux dans l’espaceMiguel Sanches Neto, La machine de boisRodolfo Walsh, Les métiers terrestres

Titre original : Los Hijos de los días© Eduardo Galeano, 2012, texte et collages© Lux Éditeur, 2015, pour la présente éditionwww.luxediteur.com

Dépôt légal : 1er trimestre 2016Bibliothèque et Archives CanadaBibliothèque et Archives nationales du QuébecISBN : 978-2-89596-208-3ISBN epub : 978-2-89596-684-5ISBN PDF : 978-2-89596-884-9

Ouvrage traduit avec le soutien du Centre national du livre.

Ouvrage publié avec le concours du Programme de crédit d’impôt du gouver-nement du Québec et de la SODEC. Nous reconnaissons l’aide financière dugouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC)pour nos activités d’édition.


Remerciements

Je ne peux remercier ici tous les amis qui ont rendu possible celivre, ni les auteurs des nombreux ouvrages que j’ai consultés. Cesamis et ces auteurs ne rempliraient pas un stade, mais presque.

Toutefois, je ne peux manquer de dédier le résultat à ceux quiont eu la patience de lire et de me donner leur opinion sur les pre-mières versions, qui voulaient être les dernières et étaient toujoursles avant-dernières, parce qu’il y avait toujours quelque chose àcorriger ou à modifier ou à supprimer ou à ajouter : Ramón Akal,Mark Fried, Karl Hübener, Carlos Machado et Héctor Velarde.

Ce livre est dédié à Helena Villagra. Sans plus de mots.

Montevideo, fin 2011



Et les jours se mirent à marcher.Et eux, les jours, nous firent.Et c’est ainsi que nous naquîmes,nous les enfants des jours,les interrogateurs,les chercheurs de la vie.

La Genèse selon les Mayas



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Aujourd’hui

Aujourd’hui, ce n’est pas le premier jour de l’année pour les Mayasni pour les juifs, les Arabes, les Chinois et bien d’autres habitantsde ce monde.

Cette date a été inventée par Rome, la Rome impériale, avec labénédiction de la Rome vaticane, et il paraît plutôt exagéré de direque l’humanité tout entière fête cette traversée de la frontièreentre les années.

En revanche, il faut le reconnaître, le temps est assez aimableavec nous, ses fugaces passagers, et il nous donne la permission decroire qu’aujourd’hui peut être le premier des jours, et de vouloirqu’il soit aussi joyeux que les couleurs de l’étal d’un marchand delégumes.

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Du feu au feu

Ce jour de 1492 fut celui de la chute de Grenade, et avec elle cellede l’Espagne musulmane.

Victoire de la Sainte Inquisition : Grenade avait été le dernierroyaume espagnol où les mosquées, les églises et les synagoguesétaient en bon voisinage.

La même année débuta la conquête de l’Amérique, quandl’Amérique était un mystère sans nom encore.

Et au cours des années suivantes, sur des bûchers distants, lemême feu brûla les livres musulmans, les livres hébreux et les livresindigènes.

C’était au feu qu’étaient voués les mots nés en Enfer.

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2


La mémoire errante

Le troisième jour de l’an 47 avant Jésus-Christ, un incendie rava-gea la plus célèbre bibliothèque de l’Antiquité.

Les légions romaines avaient envahi l’Égypte, et pendant unedes batailles de Jules César contre le frère de Cléopâtre, le feudévora la plus grande partie des milliers et des milliers de rouleauxde papyrus de la bibliothèque d’Alexandrie.

Deux millénaires plus tard, les légions nord-américaines enva-hirent l’Irak et, pendant la croisade de George Bush contre l’en-nemi qu’il avait lui-même inventé, la plus grande partie desmilliers et milliers de livres de la bibliothèque de Bagdad futréduite en cendres.

Dans toute l’histoire de l’humanité, il n’y eut qu’un seulrefuge pour livres à l’épreuve des guerres et des incendies : labibliothèque errante fut une idée du Grand Vizir de Perse,Abdul Kassem Ismaël, à la fin du xe siècle.

Homme averti, cet infatigable voyageur emportait sa biblio-thèque avec lui. Quatre cents chameaux portaient cent dix-septmille livres, en une caravane de deux kilomètres de long. Les cha-meaux servaient aussi de catalogue général : chacun des trente-deux groupes de chameaux transportait les titres commençant parune des trente-deux lettres de l’alphabet perse.

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Terre qui appelle

Aujourd’hui naquit, en 1643, Isaac Newton.Newton n’eut jamais, que l’on sache, ni amants ni amantes.Il mourut vierge, sans que personne l’ait touché, terrorisé par la

menace des contagions et des fantômes.Mais ce monsieur craintif eut le courage de faire des recherches

et de révélerle mouvement des astres,la composition de la lumière,la vitesse du son,la conduction de la chaleuret la loi de la gravité, cette irrésistible force d’attraction de la

terre qui nous appelle, et qui en nous appelant nous rappelle notreorigine et notre destinée.

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4


Terre qui dit

George Carver rêva de Dieu.— Demande-moi ce que tu voudras, lui offrait Dieu.Carver lui demanda de lui révéler les secrets de l’arachide.— Demande plutôt à l’arachide, lui dit Dieu.George, fils d’esclaves, consacra sa vie à la résurrection des

terres assassinées par les plantations esclavagistes.Dans son laboratoire, qui ressemblait à la cuisine d’un alchi-

miste, il élabora des centaines de produits dérivés de l’arachide etde la patate douce : huile, fromage, beurre, sauces, mayonnaise,savon, colorants, encres, mélasses, colles, talc…

— Ce sont les plantes qui le disent, expliquait-il. Elles l’offrent àqui sait les écouter.

Quand il mourut, au jour d’aujourd’hui de 1943, il avait plusde quatre-vingts ans. Il répandait encore recettes et conseils etdonnait des cours dans une étrange université qui avait été la pre-mière en Alabama à accueillir des étudiants noirs.

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5


Terre qui attend

En l’an 2009, la Turquie rendit sa nationalité confisquée à NazimHikmet et reconnut, enfin, que son poète le plus aimé et le plushaï était turc.

Il ne reçut pas la bonne nouvelle : il était mort depuis un demi-siècle en exil, où il avait passé la plus grande partie de sa vie.

Sa terre l’attendait, mais ses livres y étaient interdits, et lui aussi.L’exilé voulait revenir :

Il me reste encore des choses à faire.Je suis allé rejoindre les étoiles, mais je n’ai pas pu les compter.J’ai tiré de l’eau du puits, mais je n’ai pas pu l’offrir.

Il n’est jamais revenu.

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La petite-fille

Soledad, la petite-fille de Rafael Barrett, se rappelait souvent unephrase de son grand-père :

Si le Bien n’existe pas, il faut l’inventer.Rafael, paraguayen par choix, révolutionnaire par vocation,

passa plus de temps en prison que chez lui, et mourut en exil.Sa petite-fille fut criblée de balles au Brésil, au jour d’au-

jourd’hui de 1973.Elle fut livrée par le caporal Anselmo, marin insurgé, chef

révolutionnaire.Las d’être le perdant, se repentant d’avoir cru et aimé, il

dénonça, un par un, ses compagnons de lutte contre la dictaturemilitaire brésilienne, et les envoya au supplice ou à l’abattoir.

Soledad, qui était sa femme, il la garda pour la fin.Le caporal Anselmo signala l’endroit où elle se cachait, et

s’éloigna.Il était déjà à l’aéroport quand retentirent les premiers coups

de feu.

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Je ne dis pas adieu

En 1872, sur ordre du président de l’Équateur, fut exécutéeManuela León.

Dans sa sentence, le président appela Manuela Manuel, pourne pas laisser la preuve qu’un caballero comme lui envoyait unefemme au poteau, même s’il s’agissait d’une Indienne ignorante.

Manuela avait mis sens dessus dessous terres et villages et sou-levé les Indiens contre le paiement de tributs et le travail servile. Etcomme si ce n’était pas assez, elle avait commis l’insolence de pro-voquer en duel le lieutenant Vallejo, officier du gouvernement,sous les yeux stupéfaits des soldats, et sur le champ de bataillel’épée de l’officier avait été humiliée par la lance de la femme.

Quand son dernier jour fut venu, Manuela fit face au pelotond’exécution sans bandeau sur les yeux. Et quand on lui demandasi elle avait quelque chose à dire, elle répondit, dans sa langue :

— Manapi.Rien.

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Le voyage du mot

En l’an 208, Serenus Sammonicus écrivit à Rome un livre, Affairessecrètes, où il révélait ses découvertes dans l’art de guérir.

Ce médecin de deux empereurs, poète, propriétaire de la meil-leure bibliothèque de son temps, proposait, entre autres remèdes,une méthode infaillible pour éviter la fièvre tierce et chasser lamort : il fallait s’accrocher un mot à la poitrine et se mettre nuit etjour sous sa protection.

C’était le mot Abracadabra, qui en hébreu ancien voulait dire,et veut toujours dire :

Envoie ton feu jusqu’à la fin.

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CET OUVRAGE A ÉTÉ IMPRIMÉ EN OCTOBRE 2015 SUR LES

PRESSES DES ATELIERS DE L’IMPRIMERIE FIRMIN-DIDOT

POUR LE COMPTE DE LUx, ÉDITEUR À L’ENSEIGNE D’UN

CHIEN D’OR DE LÉGENDE DESSINÉ PAR ROBERT LAPALME

L’infographie est de Benoît Chaput

Lux Éditeurc.p. 60191

Montréal, Qc H2J 4E1

Diffusion et distributionAu Canada : Flammarion

En Europe : Harmonia Mundi

Imprimé en France


Documents

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