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Le G20 au chevet de la finance mondiale Réunis à Shanghaï, les grands argentiers vont notamment se pencher sur la politique monétaire chinoise Une agence bancaire, à Pékin, mardi 16 février ng hanguan/ap L es ministres des finances et les grands argentiers des pays du groupe des vingt (G20), qui repré sente 85 %de l’économie de la pla nète, se sont donné rendez-vous à partir du vendredi 26 février à Shanghaï (Chine). Ils vont se pen cher pendant deux jours sur la si tuation conjoncturelle mondiale, sur la volatilité et la vulnérabilité des marchés, mais aussi recenser les priorités qu’ils veulent abor der d’ici au sommet des chefs d’Etat et de gouvernement des 4 et 5 septembre à Hangzhou. Si les turbulences financières se sont pour l’instant apaisées, l’état de l’économie mondiale continue à susciter des inquiétudes. Après la Banque mondiale et le Fonds mo nétaire international (FMI), l’Orga nisation de coopération et de dé veloppement économiques (OCDE)vient de présenter de som bres prévisions, une fois de plus ré visées à la baisse. La croissance mondiale resterait en 2016 à son niveau de 2015 (+ 3 %), qui était le plus faible des cinq dernières an nées, et les risques financiers de meureraient substantiels. Surcapacités industrielles Voilà de quoi nourrir quelques discussions à Shanghaï où les re présentants des dix-neuf pays membres du G20 - économies avancées et émergentes - et de l’Union européenne (UE) de vraient faire part de leur ressenti et de leurs analyses. Et dire s’ils sont convaincus, comme les gran des institutions économiques, que le monde ne se trouve pas à la veille d’une nouvelle crise ma jeure à l’image de celle de 2008. Car malgré les turbulences fi nancières et la montée chez les in vestisseurs, ces derniers mois, La Banque mondiale, le FMI et l’OCDE jugent les pays mieux protégés qu’en 2008 d’une aversion aux risques émer gents qui s’accompagnent de sor ties de capitaux impressionnan tes, la Banque mondiale, le FMI et l’OCDE jugent les pays mieux pro tégés qu’en 2008 et les banques plus capitalisées. Les risques ne sont pas, selon el les, du même niveau qu’au mo ment de la faillite de la banque d’affaires américaine Lehman Brothers. Reste à savoir si les membres du G20 partagent ce point de vue. L’hôte chinois aura fort à faire pour rassurer. Il y a deux ans, l’obtention du G20 résonnait comme une reconnaissance de la maturité de l’économie de la Ré publique populaire : malgré le ra lentissement de la croissance, la Bourse s’envolait, le yuan prenait de la valeur. Quant au duo formé par le pré sident Xi Jinping et le premier ministre Li Keqiang, il semblait déterminé à mener des réformes ambitieuses. Depuis, les marchés actions chinois ont chuté, la monnaie chinoise baisse et les autorités semblent trop occupées à gérer les affaires courantes pour enga ger les réformes promises. Le ralentissement, plus rude que prévu, a fait émerger de gra ves surcapacités industrielles, dans la métallurgie en particu lier, qui font grincer des dents l’Europe et les Etats-Unis crai gnant pour leur propre industrie. Mais c’est avant tout la politi que monétaire chinoise qui in quiète. Depuis 2015, déprécia tions et interventions pour sou tenir le yuan se sont succédé sans qu’on sache bien si la Chine comptait ou non libéraliser le cours de sa monnaie, comme an noncé pour entrer dans le panier de devises du FMI. Ce dernier a d’ailleurs appelé Pékin à commu niquer plus clairement sur ses choix monétaires. Des filets de sécurité financiers Plusieurs pays, notamment émergents, s’apprêtent à plaider en faveur d’un rééquilibrage de la politique économique («policy mix ») et d’un plus large recours à l’arme budgétaire pour soutenir la croissance et investir. Les politiques monétaires ont atteint leurs limites et elles en traînent des effets collatéraux non désirés notamment sur les changes. La Chine, qui préside le G20 pour la deuxième fois, en sait quelque chose ; elle a fait des questions d’architecture finan cière internationale l’une de ses priorités. La faiblesse persistante de l’investissement et du com merce devrait aussi susciter des débats nourris. La question des filets de sécu rité financiers mondiaux devrait être largement débattue, qu’il s’agisse de ceux qu’apportent les Etats lorsqu’ils sont bien gérés ou de dispositifs régionaux comme le Mécanisme européen de stabi lité (MES). Dans ce cadre, l’initiative de Chiang Maï conclue par dix pays de l’Association des nations du Sud-Est asiatique (Asean), le Japon, la Corée du Sudet la Chine a consa cré la possibilité chère aux émer gents d’accords de swaps de devi ses- des échanges dedevisesgéné ralement entre banques centrales L’hôte chinois aura fort à faire pour rassurer - en cas de manque de liquidités. La question du FMI, de sa taille, des instruments dont il dispose - sont-ils bien adaptés aux néces sités de l’heure ? -, des outils de prévention des crises et du con trôle des capitaux devrait être aussi évoquée alors que Christine Lagarde, choisie à l’unanimité le 19 février par le conseil d’admi nistration du Fonds pour faire un deuxième mandat, a plusieurs fois déclaré que le FMI était prêt à apporter une aide d’urgence nouvelle aux pays - notamment émergents - en grande difficulté. Seront aussi évoqués les tra vaux au long cours du G20. Ils concernent la régulation finan cière - le «TLAC» ou «ratio de ca pacité d’absorption des pertes » imposé par le Conseil de stabilité financière aux banques d’impor tance systémique, aux infras tructures de marchés et aux chambres de compensation. Ils portent aussi sur les réfor mes structurelles et la fiscalité internationale - le projet «BEPS » de l’OCDEest destiné à combattre l’érosion des bases imposables et les transferts de bénéfices des multinationales. La lutte contre le financement du terrorisme et, après la COP21, le dossier climat - le G20 s’inté resse de près à l’évaluation des risques climatiques dans les por tefeuilles des institutions finan cières - sont aussi au menu de la réunion de Shanghaï. ■ CLAIRE GUÉLAUD ET SIMON LE PLÂTRE (À SHANGHAÏ) + 3 % C’est la prévision de croissance de l’économie mondiale pour 2016 de l’Organisation de coopération et développement économiques (OCDE). Selon l’estimation, publiée le 18 février, la progression du produit intérieur brut de la planète resterait à son niveau de 2015, qui était déjà le plus faible des cinq dernières années. Pour l’expliquer, l’OCDE évoque le ralentissement dans les émergents - la performance de la Chine s’établirait au mieux à + 6,5 % en 2016 - et la modestie de la reprise dans les économies avancées. Dans ce contexte, la faiblesse du commerce mondial, celle des investissements et l’instabilité finan cière concourent à installer durablement un climat des plus moroses. Le Monde - vendredi 26 février 2016

Le G20 au chevet de la finance mondiale · des marchés, mais aussi recenser les priorités qu’ils veulent abor der d’ici au sommet des chefs d’Etat et de gouvernement des 4

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Page 1: Le G20 au chevet de la finance mondiale · des marchés, mais aussi recenser les priorités qu’ils veulent abor der d’ici au sommet des chefs d’Etat et de gouvernement des 4

Le G20 au chevet de la finance mondialeRéunis à Shanghaï, les grands argentiers vont notamment se pencher sur la politique monétaire chinoise

Une agence bancaire, à Pékin, m ardi 16 février ng hanguan/ap

Les ministres des finances et les grands argentiers des pays du groupe des vingt (G20), qui repré­sente 85 % de l’économie de la pla­

nète, se sont donné rendez-vous à partir du vendredi 26 février à Shanghaï (Chine). Ils vont se pen­cher pendant deux jours sur la si­tuation conjoncturelle mondiale, sur la volatilité et la vulnérabilité des marchés, mais aussi recenser les priorités qu’ils veulent abor­der d’ici au sommet des chefs d’Etat et de gouvernement des 4 et 5 septembre à Hangzhou.

Si les turbulences financières se sont pour l’instant apaisées, l’état de l’économie mondiale continue à susciter des inquiétudes. Après la Banque mondiale et le Fonds mo­nétaire international (FMI), l’Orga­nisation de coopération et de dé­veloppement économiques (OCDE) vient de présenter de som­bres prévisions, une fois de plus ré­visées à la baisse. La croissance mondiale resterait en 2016 à son niveau de 2015 (+ 3 %), qui était le plus faible des cinq dernières an­nées, et les risques financiers de­meureraient substantiels.

Surcapacités industriellesVoilà de quoi nourrir quelques discussions à Shanghaï où les re­présentants des dix-neuf pays membres du G20 - économies avancées et émergentes - et de l’Union européenne (UE) de­vraient faire part de leur ressenti et de leurs analyses. Et dire s’ils sont convaincus, comme les gran­des institutions économiques, que le monde ne se trouve pas à la veille d’une nouvelle crise ma­jeure à l’image de celle de 2008.

Car malgré les turbulences fi­nancières et la montée chez les in­vestisseurs, ces derniers mois,

La Banque mondiale,

le FMI et l’OCDE jugent les pays mieux protégés

qu’en 2008

d’une aversion aux risques émer­gents qui s’accompagnent de sor­ties de capitaux impressionnan­tes, la Banque mondiale, le FMI et l’OCDE jugent les pays mieux pro­tégés qu’en 2008 et les banques plus capitalisées.

Les risques ne sont pas, selon el­les, du même niveau qu’au mo­ment de la faillite de la banque d’affaires américaine Lehman Brothers. Reste à savoir si les membres du G20 partagent ce point de vue.

L’hôte chinois aura fort à faire pour rassurer. Il y a deux ans, l’obtention du G20 résonnait comme une reconnaissance de la maturité de l’économie de la Ré­publique populaire : malgré le ra­lentissement de la croissance, la Bourse s’envolait, le yuan prenait de la valeur.

Quant au duo formé par le pré­sident Xi Jinping et le premier ministre Li Keqiang, il semblait déterminé à mener des réformes ambitieuses.

Depuis, les marchés actions chinois ont chuté, la monnaie chinoise baisse et les autorités semblent trop occupées à gérer les affaires courantes pour enga­ger les réformes promises.

Le ralentissement, plus rude que prévu, a fait émerger de gra­ves surcapacités industrielles, dans la métallurgie en particu­lier, qui font grincer des dents

l’Europe et les Etats-Unis crai­gnant pour leur propre industrie.

Mais c’est avant tout la politi­que monétaire chinoise qui in­quiète. Depuis 2015, déprécia­tions et interventions pour sou­tenir le yuan se sont succédé sans qu’on sache bien si la Chine comptait ou non libéraliser le cours de sa monnaie, comme an­noncé pour entrer dans le panier de devises du FMI. Ce dernier a d’ailleurs appelé Pékin à commu­niquer plus clairement sur ses choix monétaires.

Des filets de sécurité financiersPlusieurs pays, notamment émergents, s’apprêtent à plaider en faveur d’un rééquilibrage de la politique économique («policy mix ») et d’un plus large recours à l’arme budgétaire pour soutenir la croissance et investir.

Les politiques monétaires ont atteint leurs limites et elles en­traînent des effets collatéraux

non désirés notamment sur les changes. La Chine, qui préside le G20 pour la deuxième fois, en sait quelque chose ; elle a fait des questions d’architecture finan­cière internationale l’une de ses priorités. La faiblesse persistante de l’investissement et du com­merce devrait aussi susciter des débats nourris.

La question des filets de sécu­rité financiers mondiaux devrait être largement débattue, qu’il s’agisse de ceux qu’apportent les Etats lorsqu’ils sont bien gérés ou de dispositifs régionaux comme le Mécanisme européen de stabi­lité (MES).

Dans ce cadre, l’initiative de Chiang Maï conclue par dix pays de l’Association des nations du Sud-Est asiatique (Asean), le Japon, la Corée du Sud et la Chine a consa­cré la possibilité chère aux émer­gents d’accords de swaps de devi­ses - des échanges de devises géné­ralement entre banques centrales

L’hôte chinois aura fort

à faire pour

rassurer

- en cas de manque de liquidités.La question du FMI, de sa taille,

des instruments dont il dispose - sont-ils bien adaptés aux néces­sités de l’heure ? -, des outils de prévention des crises et du con­trôle des capitaux devrait être aussi évoquée alors que Christine Lagarde, choisie à l’unanimité le 19 février par le conseil d’admi­nistration du Fonds pour faire un deuxième mandat, a plusieurs fois déclaré que le FMI était prêt à apporter une aide d’urgence nouvelle aux pays - notamment émergents - en grande difficulté.

Seront aussi évoqués les tra­

vaux au long cours du G20. Ils concernent la régulation finan­cière - le « TLAC » ou « ratio de ca­pacité d’absorption des pertes » imposé par le Conseil de stabilité financière aux banques d’impor­tance systémique, aux infras­tructures de marchés et aux chambres de compensation.

Ils portent aussi sur les réfor­mes structurelles et la fiscalité internationale - le projet « BEPS » de l’OCDE est destiné à combattre l’érosion des bases imposables et les transferts de bénéfices des multinationales.

La lutte contre le financement du terrorisme et, après la COP21, le dossier climat - le G20 s’inté­resse de près à l’évaluation des risques climatiques dans les por­tefeuilles des institutions finan­cières - sont aussi au menu de la réunion de Shanghaï. ■

C LA IR E GU ÉLA U D

E T S IM O N LE PLÂ TR E

(À S H A N G H A Ï)

+3%C’est la prévision de croissance de l’économie mondiale pour 2016 de l’Organisation de coopération et développement économiques (OCDE). Selon l’estimation, publiée le 18 février, la progression du produit intérieur brut de la planète resterait à son niveau de 2015, qui était déjà le plus faible des cinq dernières années. Pour l’expliquer, l’OCDE évoque le ralentissement dans les émergents - la performance de la Chine s’établirait au mieux à + 6,5 % en 2016 - et la modestie de la reprise dans les économies avancées. Dans ce contexte, la faiblesse du commerce mondial, celle des investissements et l’instabilité finan­cière concourent à installer durablement un climat des plus moroses.

Le Monde - vendredi 26 février 2016