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LE GRAND TRAIL DES TEMPLIERS 2014 By Antoine Collard

LE GRAND TRAIL DES TEMPLIERS 2014 - trakks.be · bout de son nez trois mois avant la course et a fait de moi un papa ultracomblé. Mon entrainement a donc dû se plier à mon nouveau

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LE GRAND TRAIL DES TEMPLIERS 2014

By Antoine Collard

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By Antoine Collard

LE GRAND TRAIL DES TEMPLIERS 2014

VOYAGE AU BOUT DE MOI-MÊME

Chaque passion a ses monuments, ses légendes, ses institutions porteuses de rêves qui tirent ses afficionados vers le haut. Comme un apprenti guitariste qui fantasmerait sur un concert des Stones, je rêvais depuis longtemps de participer à un trail mythique.

Les Templiers est clairement de ceux-là. Pionnière du trail en France, cette course qui serpente dans les montagnes de l’Aveyron et la Lozère est une légende connue de tous dans le petit milieu des coureurs nature. Le Grand Trail des Templiers comporte tous les ingrédients qui font rêver : départ nocturne à la frontale, plateau de traileurs très relevé, paysages grandioses… Et même si on est encore très loin des ultras alpins, sa longueur (74km) et son dénivelé (3500m d’ascension) en font une redoutable épreuve pour le petit traileur du plateland que je suis.

Mon inscription était donc réglée - au moins dans ma tête- depuis longtemps, très longtemps… Bien avant que j’apprenne avec un bonheur énorme qu’une actualité familiale hors norme allait bouleverser tous mes plans. Un premier petit chérubin a pointé le bout de son nez trois mois avant la course et a fait de moi un papa ultracomblé. Mon entrainement a donc dû se plier à mon nouveau mode de vie ; il a dû composer avec mes cernes et mon envie de ne déserter le nid sous aucun prétexte. Mes guibolles ont, quant à elles, dû se contenter du travail du piston (à ne pas sous-estimer) souvent utilisé de nuit pour calmer mon fils…

C’est donc un traileur HEUREUX mais sous-entraîné et mal reposé qui arrive dans les Cévennes une semaine avant la course. Ma tête est logiquement pleine de doutes lors des très belles vacances que je passe en famille dans cette région sublime. Mon corps relâche la pression des semaines de travail précédentes et fait paradoxalement apparaître des douleurs assez vives dans mon dos. Cela s’ajoute à la sensation de ne pas être prêt à encaisser un tel effort et me vaut quelques nuits un peu angoissées. Je reste néanmoins convaincu que je m’alignerai bien le dimanche sur la ligne de départ. Je me sens capable d’écouter mon corps et d’adapter mon plan en fonction de mon état. Grande première pour moi, j’accepte l’idée que je ne me battrai contre aucun chrono et n’irai au bout que si mon corps le permet.

Dès le samedi, je rejoins la ville de Millau pour suivre ma sœur et ses amis venus participer à d’autres courses lors de ce grand rendez-vous du trail1. Avec beaucoup de plaisir, je me plonge dans cette ambiance si particulière de grand-messe du sport nature : grand trail expo, arches de départ et d’arrivées entourées d’un public aussi dense que motivé, paysages magnifiques...

Le samedi soir, je dors au gîte loué par ma sœur et mon beau-frère, à 20 minutes en voiture de la ligne de départ. Mon beau-frère Thomas et son amie Caroline acceptent très gentiment de jouer les coaches et de m’assister pendant la course. Alors qu’ils ont eux-mêmes participé à deux trails les deux jours qui précèdent, ils se lèvent avec moi à 3h du matin et me conduisent au départ. Ce dévouement me touche énormément et m’aide à dépasser cet état de stress qui me paralyse presque au moment d’arriver au village départ sous un ciel étoilé.

Il fait à peine quelques degrés lorsque je rejoins la masse de traileurs sautillants dans la nuit noire. Les émotions s’emballent. Je suis balancé entre un énorme stress face à une journée qui s’annonce extrêmement rude et l’euphorie de voir ce rêve se concrétiser enfin. Face à l’arche de départ, les 2500 traileurs massés oscillent eux aussi entre grand calme et surexcitation. Gilles Bertrand, l’organisateur de l’évènement (un ponte dans le monde du trail) prend la parole quelques instants. Avec son ton si poétique, il nous explique le plaisir qu’il a pris à tracer le parcours qui nous attend sur ses causses chéries. Et c’est déjà l’heure d’allumer nos frontales et de nous lancer sous une pluie de torches rouges et la musique AMENO d’ERA à fond. Moment unique, magique !

1. 11 courses réparties sur trois jours, de 9 à 100km, le point d’orgue étant le Grand Trail des Templiers, « LA » grande course légendaire organisée le dimanche.

Détail technique de la course

Nom : Grand Trail des Templiers

Date : 26 octobre 2014

Distance : 74km

Dénivelé : 3500m de D+

Arrivée/départ : Millau

(Aveyron, France)

Barrière horaire : 16h

Nombres de participants :

2500 partants/2000 finishers

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Quitter la nuit

Dès les premières foulées, le silence s’installe dans le peloton. La musique d’Era s’éloigne. A sa place, entre quelques rires, c’est surtout le martellement des chaussures sur le bitume que l’on entend. Tout le monde se concentre, règle sa frontale. 2-3km d’asphalte très vite avalés en montée légère et nous voilà déjà dans le petit village de Garbassas (les noms des villages traversés … un dépaysement en soi) ✪ La première difficulté du jour se profile : une montée sèche dans des chemins caillouteux relativement larges. La marche rapide est de rigueur. Les muscles sont frais et le rythme est bon. Je temporise un maximum, bien conscient que le mot d’ordre du jour c’est l’économie. Mes mouvements doivent être les plus rentables possibles. Se retourner de temps à autre permet de voir la longue et subjuguante rivière de frontales qui sillonne la vallée.

Sans avoir eu le temps d’avoir mal aux mollets, nous arrivons sur le plateau qui domine cette première belle bosse. Nous déboulons ensuite sur des sentiers forestiers globalement plats. Ils permettent une bonne relance. Pendant une bonne heure, je cours ainsi entre prairies et forêts de conifères. Le jour se lève peu à peu sur ce sympathique décor campagnard. Il faut néanmoins rester très attentif à sa pose de pied entre cailloux et racines. Ce rythme plutôt rapide rend en effet les chutes méchantes. Quelques coureurs en font les frais autour de moi.

Progressivement, nous atteignons le premier monotrace du jour, qui descend gentiment vers le petit village de Peyrelau, situé dans un val encaissé 400m plus bas. J’apprécie la descente et suis content de voir que le chrono est excellent pour l’instant (pale ignorant que je suis, je pense tenir le bon bout).

Les ruelles du village de Peyreleau (21.5km -2h23) grouillent de monde malgré l’heure matinale. A chaque village, la foule sera ainsi au rendez-vous. Des encouragements qui feront chaud au cœur toute la journée !

Thomas et Caroline m’attendent comme convenu juste avant le ravitaillement. Je me déleste de ma frontale et grappille quelques gels pour la suite. Je prends mon temps et donne à mon assistance (qui

fera le relais vers ma femme) un feedback très positif. Je me dirige ensuite vers les tables de ravitaillement pour faire le plein d’eau et piocher dans le gargantuesque buffet proposé. Des bénévoles en pleine forme nous saluent de leur accent chantant et nous motivent. Je les remercie avec mon plus beau sourire.

En rang serré

Je relance la machine quelque peu refroidie… Mauvaise surprise de constater que j’ai perdu beaucoup de temps sur le ravito et que je suis revenu dans la grosse masse de traileurs. L’ascension qui suit se fera donc dans une file dense de coureurs un peu irrités d’être ainsi contraints à jouer les accordéons. Ce rythme cassé en permanence me fait connaître un premier coup de moins bien. Les kilomètres paraissent soudain gigantesques dans cette succession de monotraces forestiers assez humides. Sur certaines portions, nous flirtons avec les 3-4km/h. Le prochain ravitaillement, si proche dans ma tête (à peine 11 km) s’écarte douloureusement. Heureusement, une fois cette deuxième bosse passée, nous parvenons à retrouver un rythme. Avant de nous arrêter à nouveau, de reprendre, etc. Sur une section roulante, je ressens une douleur vive au tendon du fascia lata, au genou gauche… la tuile. J’essaye de ne pas y penser mais elle ne s’estompe pas. Je devrai désormais vivre avec.

Lentement, nous arrivons enfin à Saint André de Vezine (km 33.0). Mon chrono vient de dépasser les 4h d’effort. Un grand soleil réchauffe les coureurs qui rejoignent leur staff. Tout en expliquant à Thomas que je suis quelque peu dans le rouge, je fais rapidement le plein de calories : tartines, soupe, coca, eau gazeuse. Je me sens reboosté. Thomas me passe sa bombe froide sur mon genou, ce qui me soulage temporairement.

Je me motive pour reprendre ma course sans trop traîner. Thomas me crie « au prochain ravito, c’est ta femme et ton fils qui t’attendent ! ». Rien que cette idée est un bonheur ! Je redémarre en douceur et en profite pour appeler Aurélie. Je lui explique que la course tape dur sur les organismes mais que je tiens bon. Elle m’encourage copieusement.

Je me reconcentre ensuite. La portion suivante est beaucoup plus ensoleillée. Nous courons à flanc de falaise dans un décor sublime. Face à nous, un panorama incroyable se découvre. Des vallées très encaissées, au fond desquelles lézardent des rivières qui scintillent, surplombées de grand reliefs sauvages. Minéral très clair et végétal

s’y associent pour offrir un spectacle unique, doux et brut à la fois. Cette vue imprenable justifie largement tous nos efforts. Mon corps souffre mais, repue de cette superbe nature, c’est désormais ma tête qui prend le relais. Les kms défilent toujours plus lentement. L’allure se fait gauche, les articulations couinent, mais j’avance. « Chaque pas me rapproche de l’arrivée » me dis-je pour la première fois. Ce mantra ne me quittera plus.

Je réalise à quel point tous mes repères de coureur routier obsédé par l’allure kilométrique sont inutiles dans ce décor montagneux. Il convient de relativiser et d’avancer sans se poser de question. Seule la pose du pied requiert toute notre concentration sur ces sentiers escarpés.

L’interminable descente vers le splendide village médiéval de la Roque-Sainte-Marguerite (km 42.5 – 5h47’) s’achève enfin. Un point d’eau nous permet de faire le plein. Plus que 4km et je vais enfin retrouver Aurélie et Elliott ! Je ne me précipite pas car je sais que l’ascension vers Pierrefiche est une des difficultés majeures de la journée. En effet, la montée cogne dur et le cœur s’emballe lors de ces 2km très techniques que je passe sans encombre majeure (les montées restent ma force). Il faut ensuite relancer la machine jusque Pierrefiche. J’arrive vaille que vaille à « courroter ». A partir de là je me dis que c’est officiel, je suis au bout physiquement ! Si la ligne était placée à cet endroit, je me serais empressé de balancer « il ne me fallait pas un km de plus ». Manque de chance, il m’en reste 28, et les traileurs autour de moi n’arrêtent pas de lancer des effrayantes affirmations telles que « la course ne commence qu’après Pierrefiche » ou « rien n’est joué avant le ravito du Cade (km 65) »…. Avec humour, j’ai envie de les inviter à la fermer : pourquoi être si cruel !?

Une bonne tête

Je suis donc un peu déprimé quand j’aperçois enfin mon clan qui m’attend à l’entrée du village de Pierrefiche (km 46.6km – 6h24’). Je bondis néanmoins de joie à leur simple vue. Je leur explique que « c’est dur, putain qu’est-ce que c’est dur » mais ils ne veulent rien entendre. Ils m’encouragent, me félicitent, me disent même au passage que j’ai une bonne tête. J’aimerais savoir ce qu’ils pensent vraiment . Soit, je finis par me convaincre que je ne suis pas si mal après tout. Je picore sur les tables de ravito qui débordent, je fais littéralement le plein en liquide et solide, au point d’en avoir mal aux côtes. Je sais que j’en aurai besoin, car 17km me séparent du prochain point d’eau !

Avant de partir, je m’octroie quelques minutes de tendresse avec ma petite famille. Le fiston pieute mais il est là, du haut de ces trois mois avec mon amour de femme. Tous deux perdus dans ce mini village de montagne accessible uniquement par une route minuscule, en sens unique pour la journée. C’est énorme. Je remercie Auré et ses parents qui ont géré toute la logistique pour être là. Je suis tellement touché ! Quand je vois les traileurs qui ruminent tout seul autour de moi, je réalise ma chance. Voilà qui me donne la pèche.

D’un point de vue purement technique, cette pause me permet également de prendre mes bâtons pour la fin de la course, de retrouver un T-shirt propre et sec, ainsi que des chaussettes fraîches. Des petits détails qui font du bien. A nouveau Thomas me passe sa bombe froide sur mon genou qui me fait toujours mal (douleur qui passe désormais plus inaperçue dans la multitude de bobos qui apparaissent et disparaissent au gré des km). A ma grosse surprise, tout ce petit monde m’annonce que contrairement au plan prévu initialement, ils seront bien là au prochain point d’eau (Massebiau). Encore un cadeau !

C’est un homme tout neuf qui quitte Pierrefiche, bien déterminé à aller au bout ! Grande première pour moi, je suis désormais équipé de bâtons ultra légers. En analysant le parcours et sa difficile dernière partie, j’avais en effet jugé ce moment idéal pour me les procurer. Je vais maintenant me discipliner pour en faire le meilleur usage possible, et soulager un maximum mes gambettes qui crient au massacre.

Après une première descente arpentée dans un tempo assez lent (histoire de digérer), nous remontons sur les hauteurs qui dominent les gorges de la Dourbie. A nouveau, les panoramas sont imprenables. Millau apparait au loin, son viaduc trône, gigantesque et magistrale œuvre humaine, dans cet océan de nature. Un soleil massif revigore les organismes.

Météo idéale, panorama grandiose, assistance au top, voilà les pensées positives auxquelles je tente de m’accrocher pour la suite. Mais le terrain de jeu est laborieux. Très techniques, les sentiers requièrent de plus en plus d’attention. Les appuis se font instables. Descendre pour mieux remonter, et redescendre à nouveau, la tête baissée…. Interminable état de transe, de dialogue avec soi-même pour ne pas décrocher. Lutter contre l’idée même d’abandon. Si mon corps ne lâche pas, j’irai au bout me dis-je de temps à autre. Mais ce bout, cette arrivée, je me refuse d’y penser déjà car la projection mentale de la fin de cet effort rend beaucoup trop difficile le retour à la réalité. Ne plus penser aux kms ni au chrono mais mettre un pied devant l’autre encore et encore, fier d’être un peu plus loin que la seconde précédente. S’obliger constamment à oublier toutes les douleurs que suscite chaque mouvement pour rester concentré sur sa pose de pied. C’est peu dire que je suis inconfortable dans cette partie qui me parait immensément longue… Aussi belle soit-elle, elle ne figurera pas dans les meilleurs souvenirs de cette course. Seul point positif : j’ai l’impression de bien me débrouiller avec les bâtons. Ils rythment mon avancée aussi bien qu’ils me sécurisent dans les descentes.

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Je mets 3h20 pour faire 17km…. Un chrono de marathon couru relax il y à peine trois semaines ! Ne pas y penser, cela fait trop mal. Pour la toute première fois, je réalise que je terminerai peut-être dans le noir. Le final ardu qui nous attend rend encore plus difficile toute projection horaire réaliste.

Je déboule avec soulagement dans le village de Massebiau (63.7km – 9h43’) où se situe le point d’eau. Je sais qu’après, il ne me restera « plus » que 10km ! Je sens que la fin approche même si dans cet état et avec ce qui nous attend, il y a encore du pain sur la planche. Par-dessus tout, ce qui me rend heureux est qu’à ce stade, je peux légitiment espérer être finisher !

Dernier round

Thomas en tête, mon staff est de bonne humeur et les encouragements vont bon train. Comme la dernière fois, ils semblent mettre au placard toutes mes considérations négatives. Leur présence inscrit un gros « think positive » dans ma tête fatiguée. Elliott dort à nouveau, merveilleusement calé dans son maxi-cosi! Il respire tellement le confort et le bien-être qu’il me renvoie toute l’absurdité de l’effort que je me suis auto-infligé. Je ne veux plus trainer, conscient que chaque minute perdue m’obligera potentiellement à finir à la frontale, ce que je me suis refusé catégoriquement dans tous les scénarios envisagés. Après avoir avalé un de mes gels (dur dur, l’estomac n’es plus très conciliant) et fait le plein d’eau, je redémarre donc en embrassant Auré. « Je vous revois sur la ligne les gars ! »

La côte qui nous attend est – à ce stade de fatigue avancée – monstrueuse à avaler. Je le sais car depuis 30 minutes, les traileurs ne parlent plus que de ça autour de moi. 1,3km pour 500 m de

dénivelé positif, avec des passages à 20°, face à la pente. Le genre de sentier que j’adore en randonnée en temps normal.

Juste avant de quitter le village, lorsque je grimpe la rue qui me ramène au sentier, j’entends qu’on m’interpelle : « Antooooine ? C’est toi Antoine ? Du BTC ? ». Je n’en reviens pas, voilà Marc et Michou Baert, des membres de mon club de triathlon qui vivent depuis quelque temps dans la région. D’un coup je me rappelle avoir prévenu sur le groupe facebook du club que je m’alignais sur les Templiers… Quelle surprise géniale de voir qu’ils m’attendent là ! Leurs sourires font chaud au cœur. Marc prend des photos et tout en marchant, m’explique calmement la montée qui m’attend. Il la connait bien, elle est juste au- dessus de chez lui. GENIAL !

S’il était encore possible de me regonfler, alors je peux le dire : je suis regonflé ! J’entame l’ascension à un rythme soutenu mais pas inconscient. Plantant rageusement mes bâtons, je dépasse beaucoup de traileurs qui s’écroulent littéralement. Après une vingtaine de minutes, il y a en effet des coureurs qui se couchent sur tous les endroits plus au moins plats, pour tenter de récupérer. Certains vont jusqu’à fermer les yeux. Un spectacle auquel je n’avais encore jamais assisté. Personnellement, je ne m’arrête qu’une ou deux fois brièvement pour reprendre mon souffle et j’arrive en haut sans gros pépin. Ce meilleur état est freiné net par un coup de fringale dans le replat qui suit. Alors que pour la première fois depuis longtemps j’ai devant moi un magnifique chemin presque plat, je suis incapable de courir. Je grelotte et je vois des étoiles. Une hypoglycémie pure et simple. Heureusement la Ferme du Cade n’est plus qu’à un km, pour le dernier ravito solide. J’y arrive en marchant (Ferme du Cade – km 67.2 – 10h51’).

La bénévole qui remplit ma poche à eau me jette un regard qui en dit long sur mon état. « Toi tu fais de la peine à voir » doit-elle penser quand je lutte pour refermer mon sac et enfiler mon coupe-vent – je suis gelé -. Je dois m’y reprendre à trois reprises pour remettre ma ceinture porte dossard. Je me traine jusqu’aux tables de ravito et fait le plein comme je peux. Ma mâchoire fait grève. Chaque bouchée provoque des douleurs très vives dans mon palais, comme des aiguilles qui s’y plantent. Je m’assois pour mastiquer à mon aise. J’essaye d’appeler Auré, pas de réseau. J’en chiale presque, les larmes montent. Mais le coca, la soupe et les tartines que j’avale malgré tout me font du bien instantanément ! Je me sens mieux et je redémarre. Je parviens vaille que vaille à courir. Je sais qu’en dernière difficulté du jour, les organisateurs nous proposent une descente très technique dans la rocaille, à flanc de falaise, face à Millau, pour ensuite remonter au Puncho d’Agast, qui domine la ville avec son énorme antenne. Enfin, il restera 3km de descente jusqu’à Millau.

Sans doute parce que la fin approche, j’ai un regain d’énergie dans cette magnifique portion. Je vis beaucoup mieux que prévu la descente, pourtant très casse patte (des cordes sont même nécessaire à certains endroits). Pour la première fois depuis le départ, je me retrouve seul dans la rocaille pour remonter. Le chemin longe l’à-pic sur les pierriers et je me paye une petite frayeur en coinçant mon bâton dans mon coupe-vent que j’ai attaché autour de ma taille. Je trébuche et je m’imagine déjà filer tout droit en bas. Petite remise au point en interne: « Reste concentré B***** de M**** ».

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Alors que la lumière de fin du jour enrobe joliment la vallée, comme dans un rêve, un aigle me survole…. Comme sur l’affiche officielle de la course, comme sur la médaille… petit moment magique à déguster en solitaire. Putain quel pied! C’est pour ça que je fais du trail !

Cet état de grâce ne dure que quelques secondes. L’aigle disparu, je peste, je maudis les organisateurs de nous avoir concocté cet enfer de final, mais je tiens bon et je monte sans m’arrêter jusqu’à l’antenne du Puncho d’Agast. Cette dernière difficulté passée, je me force à avaler un dernier gel. J’appelle Auré pour la prévenir qu’il ne me reste que 3km de descente. Sa voix est comme un rêve qui se rapproche.

La descente commence ensuite très fort, technique. On se tape même quelques petites remontées qui m’arrachent du fin fond de la gorge une pluie d’insultes destinées aux organisateurs (pardon !). Mais une fois la jolie grotte du hibou passée, on peut enfin courir ! La lumière du jour s’estompe, ce sont déjà les dernières minutes de clarté. Un motif de plus pour donner tout ce qu’il me reste et débouler dans le village d’arrivée.

Je savoure les derniers mètres, aperçois mes supporters qui hurlent. Je franchis la ligne. Décharge d’adrénaline, d’émotions, de fierté. Je me sentirais presque frais. Je souris béatement en retrouvant ma petite famille chérie. A l’intérieur, sous mes tempes, j’exulte.

Même si mon piètre classement (995ème/2000) et mon chrono poussif (12h44 !) n’entament pas mon sentiment de fierté, ils me donnent une belle leçon d’humilité. Une préparation beaucoup trop légère et un manque d’expérience criant m’auront couté très cher.

Je reçois ma médaille et la croque pour la photo souvenir. En voilà une qui a meilleur goût que toutes les autres réunies. La saveur d’une première fois pleine de contrastes, entre les moments de douce euphorie face à cette nature magnifique d’un côté et de l’autre cet effort hors norme, extrême à l’échelle de ma petite carrière de sportif. Ce voyage intérieur, cette longue lutte pour avancer entouré de ceux que j’aime me laissera des souvenirs d’une intensité rare.

L’envie de revenir plus fort, plus affuté nait déjà logiquement lorsque je m’endors dans la voiture qui me ramène au gîte…. Mais d’abord digérer cette course et profiter de ce doux flottement qui suit les gros efforts. Et savourer enfin ce sentiment d’être venu à bout d’un challenge qui me trottait dans la tête depuis plus de deux ans !

Enorme merci à tous ceux qui m’ont soutenu ! Vos encouragements et votre soutien fabuleux, par tous les moyens de communications, ont constitué un carburant de choix sur ces beaux et sinueux chemins.

Matériel utiliséChaussures : Sense Mantra 2 SALOMONChaussettes : RU4 Stabilizer FALKEMollets de compression : Booster Original de BV SPORTCollants ¾ compressifs : Exo SALOMONT-shirt technique : Nike TraKKsVeste : Bonatti WP Salomon Longues manches : Craft WARM Sac d’hydratation : SALOMON Adv Skin S-Lab 5Casquette : SALOMON

Tour de cou : team TraKKsMontre : SUUNTO Ambit 2 Batons : Ultra distance BLACK DIAMONDLampe : PETZL NAO

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