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Sociétés Contemporaines (2000) n° 40 (p 165-182.) 165

LE JOUET AU CŒUR DES STRATEGIES FAMILIALES D’EDUCATION

RÉSUMÉ : À partir des résultats d’une enquête sur les usages sociaux du jouet, cet article se propose d’examiner l’importance du jouet dans les stratégies familiales d’éducation. Il ana-lyse la manière dont les parents utilisent le jouet dans le suivi de la scolarité de leur enfant ainsi que les définitions qu’ils en donnent. Objet a priori éloigné de l’univers scolaire, le jouet est un outil d’apprentissage pour les milieux socioculturels moyens et supérieurs alors qu’il est un outil de pression scolaire en milieux populaires. Si pour l’ensemble des milieux sociaux l’école est aujourd’hui une nécessité, les stratégies déployées par les parents diffè-rent socialement : les usages du jouet en constituent une preuve concrète.

D’un bout à l’autre de l’échelle sociale, les familles sont aujourd’hui convain-cues de l’utilité de l’école. Depuis quelques années, ce constat régulièrement confir-mé (Terrail, 1984 ; Lahire, 1995), ne permet plus de conclure – comme les enquêtes sur les inégalités de réussite et de choix de cursus l’avaient fait dans les années 60-70 (Girard, 1965) – au désintérêt singulier des familles populaires à l’égard de l’institution scolaire. De l’ouvrier au cadre supérieur, la réussite scolaire est devenue essentielle dans les esprits, les parents accordant aux diplômes un rôle primordial dans l’insertion socioprofessionnelle future de leurs enfants. Preuve en est : « 76 % des parents souhaitent que leur enfant poursuive ses études jusqu’à l’âge de 20 ans et plus » (Caille, 1992, p. 15). Cette demande est sans doute légitime car, comme le rappellent M. Duru-Bellat et A. Henriot-van Zanten, les relations entre diplôme et emploi n’ont jamais été aussi fortes (1992, p. 60). Pour comprendre l’orientation, la réussite ou encore la construction des trajectoires scolaires, les sociologues ont dans un premier temps privilégié le rôle de l’école et ses mécanismes de reproduction des inégalités sociales. Plus récentes, les enquêtes menées ont permis de nuancer l’exclusivité de cette action en soulignant l’efficacité du rôle de la famille, notamment à travers la diversité des « stratégies éducatives » déployées par les parents. Le suivi quotidien de la scolarité, l’implication des parents dans la vie de l’établissement de leur enfant, ou encore plus fondamentalement les choix d’options, de filières et d’établissements réalisés sont autant de preuves de la mobilisation familiale autour de la scolarité et de ses enjeux de rentabilité. Toute-fois, si la réussite scolaire est de la sorte conçue comme la résultante des pratiques familiales d’éducation, le suivi parental de la scolarité est souvent « bien plus subtil que le simple soutien scolaire » (Dubet, 1997), car il passe par un ensemble d’outils

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qui, à première vue, n’ont pas de rapport direct avec l’école. Lorsque l’on prend en compte tout ce qui constitue la vie quotidienne de l’enfant aussi bien dans son uni-vers familial que scolaire, l’on constate que son environnement ludique, incarné no-tamment par la présence des jouets, est également un indicateur de cette mobilisa-tion familiale.

Si pour le sens commun l’essentiel des objectifs assignés à l’achat d’un jouet se résume à l’intention de faire plaisir, cet objet est plus fondamentalement vecteur de relations éducatives et de pratiques d’apprentissages 1. Bien que largement concer-nées par le destin scolaire de leurs enfants, les familles ont un usage différencié de l’institution scolaire, notamment en fonction de leur appartenance sociale 2. De la même façon, elles accordent au jouet un statut inégal. Cet article 3 se propose d’analyser le rôle des jouets 4 dans les stratégies familiales d’éducation, c’est-à-dire non seulement les définitions que les parents en donnent mais aussi les usages qu’ils en font dans la scolarité de leurs enfants.

1. LE ROLE DU JOUET DANS LES APPRENTISSAGES SCOLAIRES

Les jouets sont nombreux et variés. Une partie d’entre eux est fréquemment as-sociée au terme « éducatif » rendant d’une certaine façon explicite leurs usages dans les apprentissages scolaires. Cette notion même de jouet (ou jeu) éducatif a fait l’objet d’une construction scientifique 5 sans que pour autant les définitions élabo-rées soient connues des consommateurs. L’univers ludique de l’enfant est plus géné-ralement scindé par l’ensemble des parents en deux grandes catégories : d’un côté les « jouets récréatifs » 6, qui ont pour but la détente et l’amusement, de l’autre les

1. Différentes enquêtes ont analysé de manière indirecte la présence des jouets, parfois même de ma-

nière incidente. On citera pour mémoire les analyses de B. Bernstein (1975), de J.-C. Chamboredon et J. Prévot (1973), de P. Bourdieu (1979) ou encore de R. Establet (1987).

2. Les caractéristiques sociales des familles rencontrées de même que les critères sélectionnés pour opérer leurs regroupements sont précisés dans l’annexe méthodologique.

3. Cet article est issu d’une enquête sociologique réalisée dans le cadre d’une thèse de doctorat (cf. 1999, Les usages sociaux du jouet. Le jouet comme révélateur des relations familiales d’éducation, École des Hautes Études en Sciences Sociales, Marseille). Il s’appuie sur les résultats d’une en-quête menée en deux temps à l’aide tout d’abord de 624 questionnaires appareillés (312 enfants et leurs mères respectives ont été interrogés) puis d’une enquête par entretiens réalisée auprès de pa-rents (20 pères et 20 mères de la même famille ont été interviewés simultanément).

4. Le « jouet » (au singulier ou au pluriel) représente dans cette enquête l’ensemble du matériel vendu dans le commerce à l’instar des poupées, petites voitures, figurines diverses, mais aussi jeux de so-ciété et autres jeux vidéo... C’est une définition assez large qui a été retenue puisqu’elle regroupe sous un même terme le matériel ludique appelé ordinairement « jouets » ainsi que les matériels nommés plus couramment « jeux ».

5. Trois catégories de jeux ou jouets éducatifs ont été distinguées. Le « jeu-détente » procure des cou-pures (« des récréations ») imposées entre les temps de travail, afin de favoriser une meilleure concentration de l’enfant dans son travail scolaire. Le « jeu-ruse » correspond à un subterfuge pé-dagogique qui fait partie des méthodes d’enseignement dans le but d’aider l’enfant à comprendre et lui faire manipuler des connaissances. Enfin, le « jeu-pédagogique » représente la « base » de nom-breuses méthodes éducatives parce qu’il a de fait une valeur éducative propre.

6. Dans la catégorie des jouets récréatifs sont classés : les poupons, les poupées et leurs accessoires (vêtements, landau, etc.) ; les poupées mannequins et leurs accessoires (vêtements, mobilier, etc.) ; les jouets de transport (petites voitures, garages, circuits, voitures téléguidées, …) ; les jeux vidéo et leurs cassettes ; les figurines et robots divers (Powers Rangers, Dinosaures, Tortues Ninga,...) ; les animaux et la ferme, les ustensiles de cuisine et de ménage ; les Playmobil ; les jeux de société

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« jouets éducatifs » 7 au sens large, aux vertus didactiques, c’est-à-dire avec pour finalité le développement cognitif et moteur de l’enfant. Les jouets éducatifs sont notamment présents à l’école, principalement dans les petites sections, contribuant ainsi à assimiler cette institution à « un grand jeu éducatif ». Spécialement conçus dans un premier temps pour être utilisés dans le cadre de l’activité scolaire, ces jouets se sont progressivement diffusés à l’univers domestique, et ont ainsi ouvert « la voie au développement d’une pédagogie familiale calquée sur la pédagogie sco-laire » (Chamboredon et Prévot, 1973, p. 329).

TABLEAU 1 : TYPE DE JOUETS MAJORITAIREMENT REÇUS A NOËL SELON LA CATEGORIE SOCIALE DE LA FAMILLE ET LE DIPLOME DE LA MERE (EN %).

Majoritaire-ment

éducatif 8

Majoritaire-ment

récréatif 9

Éducatif et récréatif en proportion égale 10

Total

Populaires 14,6 70,8 14,6 100

Moyennes 30,1 45,6 24,3 100

Supérieures 42,1 42,1 6,1 100

Catégories sociales

Ensemble 29,9 49,8 20,3 100

N = 241 χ2 = 14,4 p < 0,010

< bac 18,4 60,8 20,8 100

> bac 34,7 44,9 20,4 100

Diplôme de

la mère Ensemble 27,7 51,8 20,5 100

N = 292 χ2 = 10,4 p < 0,010

Le tableau se lit ainsi : — sur 100 enfants d’origine populaire, 14,6 ont reçu majoritairement des jouets éducatifs à Noël. — sur 100 enfants dont la mère a un diplôme inférieur au bac, 18,4 ont reçu majoritairement des jouets éducatifs à Noël.

Cette diffusion est pourtant loin d’être généralisée. On constate en effet que les enfants des catégories supérieures sont trois fois plus nombreux que les enfants de catégories populaires à recevoir des jouets éducatifs (42,1 % contre 14,6 %). Cette

« amusants » (Zigo Dingo, Trompissimo,...) ; les jeux de société destinés aux filles (Secret Girl, Té-léphone secret) (cf. classification opérée à partir des réponses obtenues auprès des familles interro-gées lors de l’enquête réalisée, Vincent, 1999).

7. La catégorie « jouets éducatifs » regroupe : les jeux de créativité et les jeux scientifiques (potier, chimie, magie, microscope, etc.) ; les jeux de chiffres et de lettres (Scrabble, Boggle, Topword,...) ; les jeux de stratégies et d’action (Echecs, Dame, Cluedo, Labyrinthe, Mallette de jeux de société, etc.) ; les jeux de connaissances (Trivial Pursuit junior,...) ; les jeux de construction et d’observation (Lego, Meccano, K’nex, puzzles,…) ; les jeux d’extérieur et d’agilité (baby-foot, bil-lard, corde à sauter, ballon, etc.) ; les jeux éducatifs électroniques (micro-informatique qui s’adresse aux enfants : Ordi-mini, etc.).

8. La modalité « majoritairement éducatif » signifie que les enfants ont reçu plus de jouets éducatifs que de jouets récréatifs.

9. La modalité « majoritairement récréatif » regroupe les enfants qui ont obtenu plus de jouets récréa-tifs qu’éducatifs.

10. L’intitulé « éducatif et récréatif en proportion égale » correspond aux enfants qui ont obtenu une quantité identique de jouets éducatifs et de jouets récréatifs.

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tendance se confirme, de façon un peu plus nuancée, lorsque le niveau scolaire de la mère est pris en compte. Les enfants dont la mère est au moins titulaire du baccalau-réat ont proportionnellement plus de jouets éducatifs (34,7 %) que ceux dont la mère n’a pas atteint ce niveau de diplôme (18,4 %), soit deux fois plus (tableau 1).

Les raisons qui poussent les parents de milieux socioculturels favorisés à offrir ce type de jouets tiennent principalement aux qualités qu’ils leur prêtent, et qu’ils considèrent généralement comme essentielles au développement de leur enfant. C’est notamment à travers les définitions que les parents donnent des jouets éduca-tifs que l’on s’aperçoit que cette notion est à géométrie variable, dépendante de l’appartenance socioculturelle.

TABLEAU 2 : DEFINITION DU JOUET EDUCATIF SELON LA CATEGORIE SOCIALE DE LA FAMILLE ET LE DIPLOME DE LA MERE (EN %) 11.

Définition du jouet éducatif

Permet d’appren

dre

Favorise le déve-loppe-ment et l’éveil

intellec-tuel

Amuse et

apprend

Com-plète des connais-sances

Ne sait pas

Total

Populaires 7,8 19,6 3,9 15,7 53,0 100

Moyennes 9,1 35,6 11,2 16,8 27,3 100

Supérieures 18,2 46,9 15,2 6,1 13,6 100

Catégories sociales

Ensemble 13,1 35,7 9,9 12,8 28,5 100

N = 260 χ2 = 33,1 p < 0,001

< bac 11,1 28,1 6,7 13,3 40,8 100

> bac 14,7 41,3 12,4 12,4 19,2 100

Diplôme

de la mère

Ensemble 13,1 35,7 9,9 12,8 28,5 100

N = 312 χ2 = 19,5 p < 0,001

Le tableau se lit ainsi : — sur 100 familles de catégories populaires, 7,8 considèrent que le jouet éducatif « permet d’apprendre ». — sur 100 mères qui ont un diplôme inférieur au bac, 11,1 considèrent que le jouet éducatif « permet d’apprendre ».

Les jouets éducatifs n’ont pas la même signification et ne représentent pas le même intérêt pour l’ensemble des parents. Au fur et à mesure que l’on monte dans l’échelle sociale, la définition du jouet éducatif se précise. Dans les catégories popu-laires, la référence au jouet éducatif fonctionne comme un emblème, alors que dans les catégories supérieures, cette notion obéit à des critères didactiques précis. Ces résultats sont comparables à ceux de B. Bernstein (1975, p. 160) pour qui « la conception générale de l’usage des jouets, conception qui trouvait dans la classe

11. Ce classement en quatre « définitions » a été obtenu à partir des réponses que les mères ont donné à

la question ouverte : « quelle définition donneriez-vous du jouet ou du jeu éducatif ? ».

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supérieure sa formulation la plus explicite, était de plus en plus vague au fur et à mesure que l’on descendait dans l’échelle sociale ». Les catégories populaires ont en effet une définition « restreinte » des jouets éducatifs. Elles éprouvent des difficultés à exprimer ce qu’elles en attendent, si l’on prend comme indicateur le taux de non-réponse (53 % n’ont pas répondu à la question posée 12 contre 27,3 % des catégories moyennes et seulement 13,6 % des catégories supérieures). En revanche, les catégo-ries supérieures se singularisent tout particulièrement par leur définition plus « éla-borée ». Elles en indiquent plus précisément les fonctions didactiques : 46,9 % d’entre elles affirment que ce type de jouet « favorise le développement et l’éveil intellectuel de l’enfant », 18,2 % considèrent qu’il « permet d’apprendre » (tableau 2). Le niveau scolaire de la mère révèle également des différences dans ce domaine. Pour les mères diplômées, le jouet éducatif contribue avant tout à l’éveil intellectuel de l’enfant (41,3 %) et permet « d’apprendre en s’amusant » (14,7 %). En revanche, 40,8 % des mères peu diplômées s’abstiennent de donner une définition du jouet éducatif (tableau 2).

Les entretiens réalisés confirment l’hétérogénéité de ces représentations sociales. Les parents de catégories moyennes et supérieures énoncent clairement pour les jouets éducatifs à la fois leurs attentes mais aussi les usages qu’en font leur enfant. Ces familles mettent très souvent en avant les apprentissages intellectuels induits par cette catégorie de jouets. M. et Mme Picard, tous deux détenteurs d’un diplôme d’ingénieur agronome, analysent les apports didactiques des jouets éducatifs. Pour mieux les expliquer, M. Picard prend l’exemple du jeu de construction « Capsela » 13 acheté après la visite d’un Salon du jouet qu’il qualifie de « très bon jouet éducatif » :

Père : C’est un bon jeu, parce que pour l’éveil d’un gamin qui a un attrait pour la construction, pour ce qui est un peu technique. Ce jouet a l’avantage d’être intuitif, parce que les enfants aiment bien emboîter. Il est très simple à manipuler, et, tout de suite, il voit des résultats : la machine qui avance... Il peut jouer avec dans le bain, faire des machines qui flottent sur l’eau. Il a passé des heures et des heures à jouer avec ça. Et vraiment le gamin est cap-tivé, et en même temps il apprend beaucoup de choses, sur les engrenages, pourquoi cela tourne plus vite d’un côté que de l’autre, des notions de physi-que en fait... On apprend beaucoup de choses sur ce genre de manipulations. Et ça, je trouve que c’est un très très bon jouet éducatif.

Famille PICARD : Père (44 ans) ingénieur en conception et irrigation. Mère (42 ans) conseillère en gestion dans une entreprise agricole. Tous deux titulai-res d’un diplôme d’ingénieur agronome. Deux enfants (François, 10 ans et Stéphanie, 16 ans).

Pour Mme Langlois, professeur d’allemand, mariée à un enseignant universitaire en économie et en informatique, les jeux « scientifiques » (microscope, électronique, …) de « créativité » (potier, magie, moulage,…) aiguisent la curiosité des enfants

12. « Quelle définition donneriez-vous du jouet ou du jeu éducatif ? » 13. Le jeu Capsela est un jeu de construction et d’emboîtement moins connu que les Lego technics. Il

était – et reste encore – très peu distribué dans les grandes surfaces au moment où a été réalisé cet entretien (1998).

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par une approche ludique. Quant aux Lego, ils développeraient des compétences aussi bien manuelles qu’intellectuelles :

Mère : Ils ont eu beaucoup de Lego. Ils ont passé des heures à jouer, à cons-truire, à fabriquer des trucs, et, c’est vraiment quelque chose qui lui a plu, et qui lui plaît encore, même s’il a 14 ans ! Je trouve que c’est un jouet, vrai-ment très exigeant, et j’aime beaucoup parce que cela met l’enfant devant des plans, qu’il doit lui-même lire, décrypter, il doit réaliser quelque chose du dé-but jusqu’à la fin. Ces jouets sont très bien conçus, ils ont une progression qui est très bien prévue, et l’enfant réalise un projet. Il est tout seul, et il réalise ses pièces, de A jusqu’à Z, il réalise quelque chose jusqu’à la finition. C’est vraiment mettre l’enfant dans un projet de réussite. L’aider à réaliser quelque chose de compliqué, je trouve que c’est très très bien, c’est une belle expé-rience. C’est un jeu, mais c’est quand même une expérience très belle ! […] Mes enfants ont aussi fait des tas de découvertes avec le « petit chimiste ». Le liquide qui devenait rouge, alors qu’il était incolore… Ils découvrent un monde qui est un petit peu magique, et qui est pourtant un monde scientifique.

Famille LANGLOIS : Père (56 ans), enseignant universitaire en économie et en informatique (agrégé en économie). Mère (47 ans), professeur d’allemand dans un lycée (titulaire d’un CAPES d’Allemand). Deux enfants (Jean Chris-tophe, 10 ans et Julien, 13 ans).

Interrogées sur leur vision des jouets éducatifs, les familles de milieux populaires s’en tiennent, dans la plupart des cas, à des remarques générales sur le plaisir que leurs enfants y trouvent. Le caractère éducatif fonctionne ici comme référent et ne donne pas lieu à une réflexion approfondie ou spécifique. C’est tout particulièrement le cas des parents Blanc, tout deux concierges, dont la définition qu’ils donnent des jouets éducatifs se fonde sur un discours pour le moins allusif :

Père : Ça doit apporter quoi ? Mère : De faire travailler sa tête. Père : Oui. De dégourdir les mains aussi… Ça les dégourdit. Mère : Ça les reste pas sans rien faire. Ça fait passer le temps en même temps... Famille BLANC : Père (36 ans) et mère (41 ans) concierges, tous les deux sans diplôme. Deux enfants (Mathieu, 7 ans et Mélanie, 13 ans).

C’est également le cas de la famille Descours, qui a des difficultés à évaluer quels bénéfices leurs enfants peuvent en retirer. Ils éludent en fait la question et trouveront un échappatoire en argumentant sur la nécessité, en tant que parents, de satisfaire les désirs de leur enfant :

Père : Éducatif ?… Je ne sais pas, il aime bien certains personnages... Mère : Il est content déjà... D’avoir eu ce qu’il voulait. Père : Il est content. Et toute la soirée, vous ne l’entendez plus. Mère : Et il joue avec. Famille DESCOURS : Père (46 ans) surveillant dans un entrepôt de grande surface (études arrêtées en seconde). Mère (41 ans) femme au foyer (titulaire d’un certificat d’étude). Deux enfants (Lionel, 10 ans, Magali, 16 ans).

Pour ces familles de milieux populaires, les usages du jouet entrent plus fonda-mentalement dans un cadre idéologique de la socialisation qui fait d’eux bien moins

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des outils d’apprentissages que des objets de sanction scolaire et plus largement éducative.

2. LE JOUET COMME OBJET DE SANCTION SCOLAIRE

On a longtemps considéré les familles populaires comme des « victimes » de la scolarisation, tout comme on a sans doute « trop vite » 14 conclu, au vu des résultats scolaires de leurs enfants, que ces familles avaient « démissionné », ne s’occupaient pas de la scolarité de leur progéniture. Ces conclusions peuvent être largement dis-cutées : les parents de milieux populaires s’intéressent autant que les autres à la sco-larité de leurs enfants. Ils s’en distinguent toutefois par leurs manières spécifiques de pratiquer le suivi scolaire. Alors que les catégories moyennes et supérieures se ca-ractérisent par un accompagnement « pédagogique » de la scolarité, les catégories populaires adoptent un suivi plus « autoritaire ». Dans ce contexte, les jouets ont va-leur d’« instruments » de pression qui sanctionnent les résultats scolaires des en-fants.

Les parents connaissent le niveau de réussite de leur enfant non seulement par obligation (la signature « imposée » des notes des cahiers), mais aussi par intérêt. Dans la majorité des cas, les parents ont des attitudes identiques à l’annonce d’une bonne ou d’une mauvaise note : ils félicitent l’enfant lorsque ce dernier obtient une bonne note ; ils le grondent ou l’encouragent à persévérer lorsque la performance est insuffisante. À ces pratiques courantes et communes s’ajoutent d’autres comporte-ments : les enfants reçoivent de l’argent ou obtiennent un jouet pour une bonne note. Pour une mauvaise note, les parents peuvent leur interdire de regarder la télévision ou encore leur retirer un jouet. Toutefois, ces pratiques éducatives ne concernent pas l’ensemble des milieux sociaux : plus on descend dans l’échelle sociale plus les pa-rents sanctionnent les résultats scolaires de leurs enfants et plus ils utilisent le jouet comme moyen de pression éducative. En effet, de toutes les catégories en présence, les milieux populaires manifestent la plus grande sévérité, lorsque les résultats de leur enfant leur paraissent insatisfaisants (37,3 % grondent leur enfant contre 32,4 % et 23,4 % respectivement pour les catégories moyennes et supérieures). Cette répro-bation verbale peut s’accompagner de punitions en tout genre, en particulier de la privation de télévision (21,6 % des enfants d’origine populaire en sont privés contre 13,4 % et 9,5 % pour les enfants d’origines moyennes et supérieures) et de jouets (9,8 % des catégories populaires confisquent les jouets préférés de leurs enfants contre 1,6 % des catégories supérieures, tableau 3). Moins répressives, les catégories supérieures manifestent de préférence des comportements de soutien et d’aide (54 % préfèrent soutenir moralement l’enfant et éventuellement lui faire retravailler le contrôle « raté », contre 29,4 % chez les catégories populaires, tableau 3).

14. Le discours des enseignants sur ce point en est pour partie responsable (cf. Lahire, 1995).

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TABLEAU 3 : REACTIONS DES PARENTS EN CAS DE MAUVAISE NOTE SELON LA CATEGORIE SOCIALE DE LA FAMILLE (EN %).

Réactions des parents

Catégories sociales

Retrait d’un jouet

TV supprimée

Autres punitions

Encou-ragent ou lui font retra-vailler

l’exercice

Ne font que gron-

der

Total

Populaires 9,8 21,6 2,0 29,4 37,3 100

Moyennes 6,8 13,5 9,8 37,6 32,4 100

Supérieures 1,6 9,5 11,1 54,0 23,8 100

Ensemble 5,4 14,5 7,1 44,1 30,0 100

N = 247 χ2 = 16,1 p < 0,05 Les parents de milieux populaires ont concrètement un comportement en deux

temps. Ils manifestent tout d’abord une certaine indulgence à l’égard des mauvais résultats de leurs enfants, puis si ces mauvais résultats persistent, ils les sanction-nent. Cette relative mansuétude est destinée à ne pas « braquer » leurs enfants contre l’école, car ils considèrent les mauvaises notes comme des accidents de parcours. Pour autant lorsque ses mauvais résultats se répètent, ces parents n’hésitent pas à sévir. C’est le cas de M. Roy, maçon, qui s’en explique :

Père : Généralement on lui fait refaire, s’il m’a fait que des catastrophes, on le voit, c’est flagrant, on a les notes, on voit très bien s’il a travaillé ou s’il n’a pas travaillé. Maintenant, si ça dégénère... on le punit, et c’est toujours pareil, c’est sur ce qu’il aime. On enlève la console par exemple, ou sa télévi-sion… Une fois je lui ai même vidé toute sa chambre... Famille ROY : Père (35 ans) maçon, mère (39 ans) employée dans une bou-langerie en supermarché. Ces parents n’ont aucun diplôme. Un enfant (Yan-nick, 10 ans).

À l’opposé de ces pratiques de censure, les catégories supérieures, peu concer-nées par l’utilisation du jouet comme objet de sanction matérielle, s’emploient plutôt à connaître la (ou les) cause(s) des difficultés de leur enfant afin d’y remédier, en lui expliquant ce qu’il n’a pas compris. M. et Mme Picard affirment n’avoir jamais puni leur fils ou leur fille, lors de mauvais résultats. Ils se préoccupent des causes des mauvaises notes, qu’ils considèrent comme dues davantage à un certain laisser-aller de la part de leur fils, qui plus est passager, qu’à de réelles difficultés scolaires, d’autant que, à tout moment, l’enfant a la possibilité de demander à ses parents des explications sur les leçons incomprises :

Père : On leur demande pourquoi ils ont eu une mauvaise note… Mais dans l’ensemble, il a quand même relativement peu de mauvaises notes, François, ça lui est arrivé de se relâcher, et dans ces moments là, s’il voit qu’il a fait une connerie, de lui-même, généralement il fait plus attention par la suite. Et s’il y a quelque chose qu’il ne comprend pas, ils viennent nous voir immédia-

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tement. Ils savent que si il y a un truc qu’ils comprennent pas dans n’importe quelle matière, on sera là pour leur expliquer. Mère : Non, on n’a jamais été obligé de sanctionner. Si on arrive aux sanc-tions, c’est que vraiment le gamin renâcle au travail scolaire. Parce que, soit c’est qu’il comprend pas, c’est un gamin qui a des difficultés, à ce moment là c’est pas une sanction qui changera quelque chose. Famille PICARD : père (44 ans) ingénieur en conception et irrigation, mère (42 ans) conseillère en gestion dans une entreprise agricole. Tous deux titulai-res d’un diplôme d’ingénieur agronome. Deux enfants (François 10 ans, Sté-phanie, 16 ans).

TABLEAU 4 : REACTIONS DES PARENTS EN CAS DE BONNE NOTE SELON LA CATEGORIE SOCIALE DE LA FAMILLE ET LE DIPLOME DE LA MERE (EN %).

Achat d’un jouet

Donne de l’argent

Achat d’un livre ou de ma-tériel de classe

Ne font que félici-

ter

Total

Populaires 26,7 13,3 4,4 55,6 100

Moyennes 18,5 12,3 11,5 57,7 100

Supérieures 6,3 17,2 12,5 64,1 100

Catégories sociales

Ensemble 16,7 13,8 10,5 59,0 100

N = 239 χ2 = 10,2 p < 0,010

< bac 26,9 12,6 8,4 51,1 100

> bac 9,1 15,9 10,4 64,6 100

Diplôme de

la mère

Ensemble 16,6 14,5 9,5 59,4 100

N = 283 χ2 = 15,7 p < 0,005

Le tableau se lit ainsi : — sur 100 familles de catégories populaires, 26,7 offrent un jouet à leurs enfants lorsqu’ils ont une bonne note. — sur 100 mères qui ont un diplôme inférieur au bac, 26,9 offrent un jouet à leurs enfants lorsqu’ils ont une bonne note.

Le jouet sert à punir, il sert aussi à récompenser. Bien évidemment offrir un jouet pour un bon résultat scolaire n’est pas le seul comportement adopté par les parents. D’autres moyens de récompenses existent. À ce jeu d’attitudes éducatives, de fortes distinctions se font à nouveau jour, à commencer par la tendance la plus générale qui oppose les catégories populaires plus interventionnistes, i.e. qui pratiquent plus fré-quemment la « politique de la carotte », aux catégories supérieures qui se contentent de félicitations verbales, en cas de bons résultats scolaires (64,1 % contre 55,6 % chez les premières). Un examen plus approfondi montre que les catégories populai-res achètent plus souvent un jouet à l’enfant en cas de bonne note que les catégories supérieures (26,7 % contre 6,3 %, les catégories moyennes ayant sur ce point, comme dans d’autres, une position intermédiaire) lesquelles optent de préférence pour l’achat de livres et de matériel de classe (peinture, trousse, …) (tableau 4). La relation entre l’usage social du jouet et les résultats scolaires est liée au niveau de

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diplôme de la mère : plus d’une mère peu diplômée sur quatre (26,9 %) achète un jouet pour « récompenser » une bonne note obtenue, alors que seulement une mère diplômée sur dix (9,1 %) est dans ce cas. On constate également que « donner » de l’argent (15,9 %) offrir des livres (10,4 %) est plutôt l’apanage des mères qui ont un niveau de diplôme élevé.

Pour expliquer leurs stratégies éducatives, les parents des couches populaires es-timent que le jouet est un bon moyen d’encourager l’enfant à réussir à l’école. En lui offrant un jouet (ou en lui donnant de l’argent pour s’acheter un jouet), ils signifient ainsi à la fois leur fierté devant les excellents résultats de leur enfant, mais égale-ment leur volonté de lui faire plaisir. À l’inverse, les catégories supérieures refusent cette stimulation matérielle, le jouet ne pouvant être assimilé ni à une « carotte » ni à un « bâton ». Pour elles, il est nécessaire que l’enfant comprenne « seul » que bien travailler à l’école est important pour son avenir. L’enfant est, dans ce cas, le pre-mier responsable de sa réussite et de son échec. Cette responsabilité est incompatible avec toute méthode qui sanctionne « ouvertement » et directement l’enfant. Ces deux points de vue opposés sur l’opportunité ou non d’inciter matériellement l’enfant à réussir à l’école sont clairement exprimés par les parents.

Le jouet a permis de récompenser les bonnes notes de Lionel Descours. Son père a arrêté ses études en seconde. Il est surveillant dans un entrepôt de grande surface. Sa mère est aujourd’hui au foyer (elle possède un certificat d’études). Actuellement en CM1, Lionel fait partie du « peloton » de tête de sa classe. À chaque bon résultat, Lionel a reçu de l’argent pour s’acheter le jouet dont il avait envie :

Mère : On était parti avec des A, on avait trois francs, avec des B, on avait deux francs et avec les C, pas d’argent. À la fin de la semaine, il avait une bonne petite somme. Il avait son petit bonhomme…, des billes. C’est pour l’encourager, c’est sûr. Quand ça dépasse, c’est bien. Je leur dis quand même que même s’ils ont la moyenne, il faut qu’ils aient compris ce qu’on leur a ex-pliqué. Famille DESCOURS : Père (46 ans) surveillant dans un entrepôt de grande surface (études arrêtées en seconde). Mère (41 ans) femme au foyer (titulaire d’un certificat d’études). Deux enfants (Lionel, 10 ans, Magali, 16 ans).

Autant les parents de milieux populaires sont quasi unanimes pour reconnaître la nécessité d’un soutien par le jouet de la réussite scolaire, autant les parents de caté-gories supérieures s’opposent à cette pratique qu’il qualifie de « dressage ». Pour M. et Mme Picard faire acte d’autorité au moyen d’un jouet pour exiger de bons résul-tats scolaires n’est absolument pas la bonne méthode. Ils affirment se contenter de féliciter ou d’encourager leur enfant :

Père : On n’a jamais associé un jouet avec un résultat. En plus, on n’a pas trop besoin (Rires). Bon, et puis je trouve que c’est malsain d’associer le ca-deau, enfin le jouet, à la réussite scolaire. Je trouve que ça fait un peu dres-sage, comme un animal, style : « si tu réussis ton tour, je te donne un sucre, et si tu réussis pas, tu ne l’as pas ». Non, non. Les gamins qu’ils aient de bons résultats à l’école, ça c’est une chose. Si ça ne va pas, on leur fait comprendre qu’ils doivent bosser. Et puis quand on a besoin de jouer sur l’autorité, c’est déjà qu’il y a une non-réussite au niveau de l’éducation en général. Famille PICARD : père (44 ans) ingénieur en conception et irrigation, mère (42 ans) conseillère en gestion dans une entreprise agricole. Tous deux titulai-

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res d’un diplôme d’ingénieur agronome. Deux enfants (François 10 ans, Sté-phanie, 16 ans).

De nombreuses enquêtes ont montré l’existence de différenciations sociales dans la réussite scolaire. Ce constat permet de penser que les catégories populaires utili-sent plus souvent que les autres le jouet comme sanction en raison de l’insuffisance de réussite de leurs enfants. Le jouet s’inscrirait dans ces conditions dans une straté-gie de soutien matériel destiné à formaliser les enjeux de la réussite scolaire. Selon le même raisonnement, si les enfants de catégories supérieures n’ont pas besoin d’être récompensés (ou punis) systématiquement, c’est parce qu’ils réussissent glo-balement mieux, cette excellence scolaire allant pour ainsi dire de soi 15. Pourtant, à performance égale, en cas de bons résultats, les parents de catégories populaires uti-lisent toujours le jouet comme récompense. Les parents de Lionel Descours qui est un excellent élève sont dans ce cas. C’est également le cas de M. et Mme Levert qui offrent un cadeau à leur fils quand il a de bonnes notes, alors que Bruno est un élève très brillant :

Mère : À chaque fois qu’il a des bonnes notes, chaque fois qu’il a un bon clas-sement, il a une surprise : un jouet, des bouquins, des cassettes pour sa chaîne hi-fi, de ce qu’il a envie sur le moment en fait. Ça l’encourage… et nous ça nous fait plaisir. Famille LEVERT : père (32 ans) chef de rayon dans un supermarché bien qu’il soit titulaire d’un C.A.P. de maçon. Mère (29 ans) au foyer, a arrêté sa scolarité en 3e. Trois garçons (Romain, 4 ans, Cyril, 6 ans et Bruno, 10 ans).

En cas de mauvais résultats, les parents de milieux supérieurs s’abstiennent tout autant de faire intervenir le jouet comme sanction scolaire. M. et Mme Vivien 16, respectivement ingénieur et kinésithérapeute, sont des parents de deux élèves « très moyens ». Ils se sont demandé s’il ne fallait pas les « stimuler » en utilisant cet ar-gument. À ce jour, ils ont renoncé à se servir du jouet qu’ils appréhendent comme une forme de « marchandage » : « C’est pas des gamins extrêmement brillants. Clara redouble sa cinquième et Laurent a tout juste la moyenne. Mais, je suis pas sûre que vraiment ça servirait de motivations » assure Mme Vivien. Ces différences d’utilisation du jouet dans la scolarité renvoient plus fondamentalement à des conceptions sociales de l’école différenciées.

3. REPRESENTATIONS SOCIALES DE L’ECOLE ET UTILISATION DU JOUET

Les distinctions sociales constatées dans l’utilisation du jouet pour le suivi de la scolarité sont à mettre en rapport avec le lien que les différents milieux sociaux éta-blissent entre l’univers des loisirs et du travail scolaire. Plus largement, les usages scolaires du jouet dépendent des représentations sociales que les familles ont de l’école. Les parents de milieux socioculturels moyens et supérieurs estiment que l’éducation des enfants nécessite un travail de collaboration entre enseignants et pa-rents, qui se concrétise par un ensemble de tâches d’accompagnement de la scolarité

15. Selon les déclarations des parents, on a pu constater que les enfants de catégories du haut de

l’échelle sociale ont effectivement de meilleurs résultats que les autres (Vincent, 1999). 16. Famille VIVIEN : père (40 ans), ingénieur, mère kinésithérapeute (ils sont tous deux titulaires du

diplôme correspondant à leur profession). Deux enfants (Laurent, 9 ans et Clara, 13 ans).

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à la maison et à l’extérieur de l’école. Pour J. P. Caille (1993, p. 37), les parents de milieux favorisés établissent un lien entre l’extrascolaire et le scolaire. Ces parents exploitent alors toutes les possibilités du temps libre des enfants dans l’optique d’une socialisation parascolaire préparatoire à leur futur statut d’adulte. Les jouets s’intègrent dans un ensemble plus large de biens culturels destinés à favoriser l’épanouissement moral et intellectuel de l’enfant. Et lorsque les familles des catégo-ries supérieures offrent des jouets à leurs enfants, elles témoignent leur intention de construire un environnement propice à stimuler, aussi souvent que possible, tout en « s’amusant », les apprentissages intellectuels des enfants. R. Establet (1987, p. 215) précise d’ailleurs que ces parents se distinguent par leur volonté « méthodique » de faire fructifier tout les biens dont ils disposent. Jouet et scolarité sont liés. Les jouets représentent le plaisir tout en masquant l’intention qu’ils contribueront à renforcer des acquisitions scolaires fondamentales (lecture, écriture, calcul, etc.). Ces parents cherchent bien à prolonger, avec les différents types de jouets éducatifs, les exerci-ces que leurs enfants réalisent à l’école. C’est notamment le cas de Mme Fernandini qui paraît ravie que sa fille lui demande un microscope. Ce jouet lui apportera, selon elle, un complément scolaire intéressant :

Mère : Moi, je l’ai dit, j’aime bien ces jeux éducatifs car on s’amuse, tout en apprenant des choses. [...] En plus Maéva fait de la biologie cette année et elle aime ça, elle apprend bien ses leçons. Voilà, je pense que c’est intéressant qu’elle ait envie du microscope. Ça lui servira pendant ses études et Maéva peut découvrir une passion 17, pourquoi pas ? Famille FERNANDINI : père (44 ans), docteur vétérinaire (titulaire du di-plôme correspondant). Mère (42 ans), hôtesse commerciale (avec un bac série littéraire). Deux enfants (Maéva, 11 ans et Xavier, 16 ans).

Le jouet est alors perçu comme un bien culturel et pédagogique, comparable à la lecture ou à d’autres activités à caractère culturel et artistique (musique, dessin, tra-vaux manuels, etc.). Plus encore, il véhicule une valeur essentielle qui n’est autre que le plaisir que procure l’acquisition du savoir. L’école est envisagée par les caté-gories moyennes et supérieures comme un lieu de transmission de la culture, qui s’appuie « obligatoirement » sur le plaisir d’apprendre, gage de la réussite sociale ultérieure. Ces parents demandent alors à leurs enfants d’être performants tout en valorisant le « goût » pour « la connaissance », ingrédient indispensable au succès scolaire. M. Fernandini (vétérinaire de profession) explique qu’il rappelle fréquem-ment à ses enfants l’importance « de devenir des gens cultivés ». Mais il fait égale-ment le constat qu’actuellement, pour avoir un bagage culturel suffisant, ses enfants devront poursuivre des études supérieures : « si on veut acquérir de la culture, c’est vrai qu’il faut pousser dans les études ». Les parents des couches moyennes et supé-rieures aiment voir leurs enfants s’instruire et se cultiver, ils apprécient également qu’ils le fassent avec plaisir. Ils valorisent et entretiennent la satisfaction de la dé-couverte et de l’apprentissage. C’est notamment le cas de la famille Picard, pour la-quelle le plaisir, l’« envie d’apprendre », représentent même un enjeu de transmis-sion, une valeur à communiquer aux enfants, car elle est un des moteurs de la réus-site :

17. Mme Fernandini souhaiterait que sa fille exerce la profession de vétérinaire, comme son père.

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Mère : C’est vrai, qu’on essaie aussi de leur tenir un discours sur le fait qu’ils sont à l’école pour apprendre, et pour plus tard le plaisir de savoir. [...] Di-sons le meilleur moyen de réussir, je crois que c’est avoir du plaisir. Moi, il me semble que si on a du plaisir, on va être persévérant, assidu, tenace. Famille PICARD : père (44 ans) ingénieur en conception et irrigation, mère (42 ans) conseillère en gestion dans une entreprise agricole. Tous deux titulai-res d’un diplôme d’ingénieur agronome. Deux enfants (François, 10 ans, Sté-phanie, 16 ans).

À l’inverse, la majorité des parents de milieux populaires conçoit l’école comme une entité distincte de la maison, qui représente un lieu de labeur, pour lequel les ef-forts doivent être constants. Par opposition, les activités de loisir, réalisées dans le cadre domestique, doivent être associées au plaisir. Les jouets signifient en général la détente. Les parents de catégories populaires sont favorables à la séparation de ces deux activités. Les parents Saviton considèrent que les jouets éducatifs présentent par conséquent l’inconvénient d’établir une continuité entre travail scolaire et loisir. Leur présence est discutable étant donné qu’il est inutile de « tracasser » leur fils avec des jouets qui lui rappellent l’école (où, au demeurant, il n’aime pas aller). Quand il joue, il doit avant tout s’amuser et éprouver du plaisir :

Père : Un jeu pourquoi un éducatif en fin de compte ? Moi, je pense qu’un jeu c’est quelque chose qui doit être un peu une part de rêve. L’éducation, en dé-finitive, c’est l’école tant qu’à faire ! Il n’est déjà pas trop intéressé par ça, j’irai pas lui acheter un jeu juste à cause de ça. Je vais penser à lui faire plai-sir, je ne vais pas lui acheter exprès un jeu parce qu’il est éducatif. Sauf, s’il le réclame... Famille SAVITON : père (45 ans) gendarme, mère (40 ans) femme au foyer. Tous deux sont sans diplôme. Trois enfants (Sébastien 12 ans, Stéphanie, 22 ans et Séverine, 23 ans).

Si en théorie la détente qu’incarne le jouet est formellement distinguée du sé-rieux que représente l’activité scolaire, dans la pratique, les enjeux de la scolarité en milieux populaires font interférer ces deux univers. La sanction scolaire par le jouet est le signe fort de l’intérêt que portent les parents à ces deux activités distinctes mais surtout de la prédominance de la seconde sur la première. Le recours à la sanc-tion scolaire par le jouet est probablement à la mesure de l’investissement que les catégories populaires ont consenti au cours de ces dernières années. Interrogés sur leur propre trajectoire scolaire, les parents expriment souvent leurs regrets de ne pas avoir compris, lorsqu’ils étaient jeunes, que « bien travailler à l’école » leur aurait permis d’espérer une autre condition matérielle et sociale. L’école est alors désignée comme le moyen d’accéder plus tard à une situation professionnelle solide, dans tous les cas meilleure que celle connue au sein de la famille d’origine. Les enfants pourront ainsi vivre plus confortablement avec « la possibilité donc de ne pas (de ne plus) subir les aspects les plus pénibles de la condition ouvrière » (Terrail, 1984, p. 5). L’école est, dans ces conditions, principalement perçue comme un lieu de la-beur où se fabrique jour après jour l’avenir professionnel de leurs enfants. La pré-sentation de la réalité scolaire des parents du bas de l’échelle sociale est bien diffé-rente des parents situés en haut de l’échelle sociale. C’est l’effort et un travail assidu qui est demandé aux enfants de cette origine sociale, conditions indispensables qui sont censées, aux yeux des parents, conduire à la réussite scolaire. Cette attitude est

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particulièrement présente chez les parents Levert, où le père est gendarme et la mère au foyer, pour qui, de leur propre aveu, la situation sociale et professionnelle vécue est difficile. Convaincus que leurs enfants devront fournir des efforts réguliers pour réussir leur scolarité, les parents Levert n’hésitent pas à utiliser l’argument de l’accès aux biens matériels pour leurs signifier les enjeux sociaux de cette scolarité :

Mère : Souvent, quand ils ont envie de quelque chose, ils disent : « moi, quand je serai grand, j’aimerai bien m’acheter ça, parce que toi tu peux pas l’acheter ! » alors, je leur dis : « Justement, vous voulez vous payer ça, et bien il faut continuer dans vos études pour pouvoir vous le payer ! » C’est le dis-cours que l’on tient actuellement parce que dire : « Il faut travailler bien », ils s’en foutent ! Ils comprennent pas, eux ! Père : L’essentiel c’est de leur dire, qu’ils aient une meilleure situation que nous ! Enfin que moi ! S’ils veulent tout ce qu’ils veulent quand ils seront grands, il faut qu’ils aient une belle situation, et pour ça il faut travailler à l’école et pour avoir une bonne situation, il faut quand même faire des étu-des ! Famille LEVERT : père (32 ans), chef de rayon dans un supermarché bien qu’il soit titulaire d’un C.A.P. de maçon. Mère (29 ans) au foyer, a arrêté sa scolarité en 3e. Trois garçons (Romain, 4 ans, Cyril, 6 ans et Bruno, 10 ans).

Si le bon déroulement de la scolarité est primordial pour l’ensemble des familles, l’école n’y revêt pas la même signification socioculturelle. Les catégories populai-res, peu diplômées, manifestent une bonne volonté culturelle à l’égard de l’école dont elles louent essentiellement le rôle « instrumental », qui permet au bout du compte d’initier à l’effort.

EN GUISE DE CONCLUSION…

Quel que soit leur milieu social d’appartenance, les parents sont bien évidem-ment attachés à la réussite de leurs enfants. Toutefois, dans ce domaine, les moyens et les attentes diffèrent. Le jouet n’est pas un objet neutre, il entre dans les stratégies éducatives des familles et permet d’établir un lien entre ces stratégies, les apprentis-sages scolaires et les fonctions sociales accordées à l’école. Les différences d’utilisation du jouet dans la socialisation scolaire se fondent autant sur les types de jouets achetés que sur la manière de s’en servir. Autrement dit, aux différents types d’achats s’ajoutent des diversités d’usages.

Le jouet témoigne de deux modèles socialement différenciés de la gestion fami-liale de la scolarité. Le premier modèle, tout particulièrement incarné par les catégo-ries supérieures, se traduit par des conduites éducatives que l’on qualifiera de « libérales » fondées sur un « contrôle indirect » et un suivi pédagogique de la scola-rité. Le jouet est alors un outil didactique de « stimulation intellectuelle » qui de-vient un élément caractéristique de l’environnement culturel et pédagogique de l’enfant. Ce jouet (notamment lorsqu’il est qualifié d’« éducatif » par les parents) représente la complémentarité entre les apprentissages scolaires et ceux réalisés à l’extérieur de l’école (les loisirs), y compris au sein du milieu familial. Cet objet s’inscrit dans ce cas-là dans un univers culturel beaucoup plus large. Les catégories moyennes mais plus encore supérieures envisagent la scolarité de leurs enfants sur le long terme et lui reconnaissent des fonctions socialisatrices essentielles qui permet-tent d’obtenir ou d’entretenir un niveau culturel général élevé comme si la propre

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position sociale de ces familles nécessitait d’être maintenue ou améliorée par le biais de l’école.

Le deuxième modèle peut être qualifié de « contrôle direct » 18 et de suivi autori-

taire de la scolarité, spécifique aux milieux populaires. Le jouet est dans ce cas un « instrument » qui a pour rôle de « stimuler matériellement » la réussite scolaire de l’enfant. Utilisé comme outil de sanction, son achat (ou son retrait) ponctue les ré-sultats de l’enfant. Objet de pression (chantage) qui gratifie ou punit, le jouet est ici un moyen « autoritaire » destiné à faire comprendre à l’enfant son obligation de tra-vail et de résultats. Le jouet en milieux populaires représente la détente de l’enfant, et lui procure du plaisir. Dans cette perspective, il s’oppose au travail (et plus géné-ralement à l’école), synonyme d’effort. C’est cette opposition qui rend possible l’utilisation du jouet comme sanction scolaire, et ce dans la mesure où il ne joue principalement aucun rôle direct dans la scolarité, ni pédagogique, ni didactique. Plus généralement, les sanctions dont usent les catégories populaires rentrent dans leur modèle rigoriste voire « mécaniste » de la scolarité car « à défaut de pouvoir aider scolairement leurs enfants les parents de milieux populaires leur demandent d’avoir la capacité à se soumettre à l’autorité scolaire en se comportant correcte-ment » (Lahire, 1995, p. 24). Cette conception de la scolarité centrée sur le présent, et fondée sur la recherche de résultats immédiats, manifeste plus largement une vi-sion à court terme de la scolarité.

Sandrine VINCENT Docteur en sciences sociales,

EHESS, MARSEILLE

18. Cette opposition entre « contrôle direct » et « contrôle indirect » est directement inspirée d’une en-

quête réalisée par R. Benoliel et R. Establet, référencée dans l’ouvrage L’école est-elle rentable ? (cf. bibliographie), qui en 1981 aboutissait à des conclusions différentes. Quinze ans après, on peut comprendre ces changements de tendance par la mobilisation spectaculaire réalisée par les parents de milieux populaires en faveur de la scolarité de leur enfant. En effet, au cours de ces dernières années « de démocratisation scolaire », ces catégories sociales ont semble-t-il intériorisé l’importance de l’école dans la construction du devenir de leur enfant. Les types d’interaction entre la mère principalement et son (ses) enfant(s) à propos des jouets constituent de ce point de vue un indicateur à part entière de cette mobilisation familiale croissante en milieux populaires. Nos résul-tats d’enquête corroborent ainsi les constats réalisés par J. Kellerhals et C. Montandon (1991), M. Duru-Bellat et A. Henriot-van-Zanten (1992) ou encore de B. Lahire (1995) qui soulignent, à leur manière, l’investissement de plus en plus « volontariste » des familles de milieux populaires dans l’école.

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ANNEXE METHODOLOGIQUE

L’échantillon d’enquête composé de 624 questionnaires appareillés a été réalisé par tirage aléatoire auprès d’une population d’élèves de Cours Élémentaires et de Cours Moyens de 7 écoles primaires d’Aix-en-Provence et de Marseille (principa-lement localisées dans le centre, dans les 7e et 8e arrondissements). Ces écoles ont été sélectionnées dans la mesure où, après examen de la carte scolaire, elles se trou-vaient placées en position charnière entre quartiers « bourgeois » et quartiers « populaires ». Elles étaient ainsi susceptibles d’accueillir un mélange d’enfants le plus large possible des différents milieux sociaux. Le choix des écoles a également été fonction des accords obtenus, souvent difficilement, auprès des chefs d’établisse-ments et des familles.

La catégorie socioprofessionnelle du conjoint (le plus souvent la PCS du père, plus rarement celle du beau-père) a servi d’indicateur principal d’appartenance so-ciale de la famille. L’échantillon de familles françaises obtenu présente les caracté-ristiques sociales suivantes : 25,2 % d’enfants de cadres et de professions intellec-tuelles supérieures, 25,2 % d’enfants issus des professions intermédiaires, 14,5 % dont le père est artisan, commerçant, ou chef d’entreprise, 14,9 % dont le père est employé et enfin 19,5 % d’enfants d’ouvriers (qualifiés et non qualifiés de type in-dustriel ou artisanal, de la manutention, du magasinage, du transport), (aucun enfant d’agriculteur n’a été recensé). Les « retraités » et les « demandeurs d’emploi » ont été codés selon la profession qu’ils exerçaient avant leur fin d’activité.

Compte tenu de la taille de l’échantillon (trop restreint pour autoriser des traite-ments à partir de la classification socioprofessionnelle détaillée), la comparaison des milieux sociaux entre eux a été réalisée sur la base d’un regroupement en trois caté-gories : « supérieures », « moyennes » et « populaires ». Cette nouvelle classifica-tion sociale s’est faite à partir des critères de revenu et de niveau d’instruction : — Les « catégories populaires » ont été constituées des seuls ouvriers, soit 19,5 % de la population d’enquête. Le travail d’exécution de ces ouvriers leur apporte une faible rémunération. Il s’agit essentiellement sur Aix-en-Provence d’ouvriers du bâ-timent et de la manutention (magasiniers, maçons, gardiens d’entrepôt, etc.) ; sur Marseille, d’ouvriers de l’industrie portuaire (marins pêcheur, dockers et chauffeurs livreurs, etc.) : plus de la moitié d’entre eux perçoit moins de 10 000 francs par mois (27,5 % ont moins de 5 000 francs par mois et 43,1 % ont un revenu mensuel com-pris entre 5 000 et 10 000 francs). Leur niveau de diplôme atteint rarement le bacca-lauréat (52,9 % n’ont aucun diplôme et 43,1 % ont un CAP, un BEP, ou ont arrêté leurs études avant le bac) (cf. tableau 5). — Les « catégories moyennes » (soit 35 % de l’échantillon) résultent d’un regrou-pement des artisans, commerçants et chefs d’entreprise (niveau 2 agrégé des PCS de l’INSEE), des professions intermédiaires (niveau 4) ainsi que des employés (niveau 5). Toutes ces « catégories moyennes » ont une position intermédiaire dans l’espace social : lorsqu’on examine leur niveau de diplôme et leur revenu, l’on constate qu’elles sont situées entre les « très diplômés » et les « sans diplôme », et entre les « riches » et les « pauvres » (cf. tableau 5). — Enfin, au sein des « catégories supérieures » se retrouvent les professions libéra-les, les cadres de la fonction publique, les professions intellectuelles et artistiques et

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les cadres d’entreprises, soit 25,4 % de l’échantillon. Le revenu mensuel des cadres et des professions intellectuelles supérieures dépasse 20 000 francs dans les deux tiers des cas rencontrés. Leur niveau d’étude est très majoritairement supérieur au baccalauréat (81,8 % d’entre eux ont suivi au moins trois années d’études supérieu-res) (cf. tableau 5).

Le diplôme a également servi à différencier socialement les familles, étant en-tendu que la corrélation entre profession et diplôme s’est vérifiée pour chacune d’elles. La prise en compte du diplôme de la mère a permis d’éclairer les représenta-tions sociales des familles en matière d’éducation autrement qu’à partir du facteur réducteur que peut constituer la PCS de la personne de référence du ménage. Pour une meilleure significativité des résultats attendus, la variable diplôme de la mère a été « dichotomisée », en considérant que le fait d’être ou de ne pas être titulaire du baccalauréat était discriminant. Dans la catégorie des mères peu diplômées (< bac) sont regroupées les « sans diplôme » (20,2 %), les titulaires d’un CAP ou d’un BEP et les femmes qui ont interrompu leur scolarité avant la fin du secondaire (la plupart se sont arrêtées en classe de troisième) (23,1 %). Dans la catégorie des mères diplô-mées (> bac), sont agrégées les titulaires du bac (19,2 %) et les détentrices d’un di-plôme d’enseignement supérieur (« bac + 2 » : 14,1 % ; « bac + 3 au moins » : 23,4 %).

TABLEAU 5 : DIPLOME DU CONJOINT ET REVENU DU MENAGE SELON SA CATEGORIE SOCIOPROFESSIONNELLE (EN %).

PCS de l’homme (conjoint)

Artisan, com-

merçant et chef

d’entreprise

Cadre et profes-

sion intellec-

tuelle supé-rieure

Profes-sion

intermé-diaire

Em-ployé

Ouvrier Ensem-ble

Aucun 15,8 3,0 4,5 23,1 52,9 17,9 Cap, Bep, - Bac 42,1 1,5 31,8 53,8 43,1 30,9

Bac 13,2 3,0 24,2 15,4 3,9 11,8 Bac + 2 5,3 10,6 24,2 2,6 0,0 9,9

Bac + 3 et plus 23,7 81,8 15,2 5,1 0,0 29,4

Diplôme

de l’homme (conjoint)

Total 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0

N = 260 χ2 = 207,4 p < 0,001

0 – 5000 2,6 1,5 0,0 12,8 27,5 13,1

5000 – 10000 10,5 4,5 21,5 28,2 43,1 25,6 10000 – 20000 36,8 28,8 57,6 51,3 27,5 34,9

20000 et + 50,0 65,2 21,2 7,7 2,0 26,3

Revenu du

ménage (en francs)

Total 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0

N = 235 χ2 = 121,4 p < 0,001

Le tableau se lit ainsi : — sur 100 « cadres », 3 n’ont aucun diplôme et sur 100 ouvriers, 52,9 n’ont aucun diplôme. — sur 100 « cadres », 1,5 ont un revenu inférieur à 5 000 francs par mois et sur 100 ouvriers, 27,5 ont un revenu inférieur à 5 000 francs par mois.