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LE JOURNAL DE LA CNE

C O M P E T E N C E – E X P E R I E N C E – I N D E P E N D A N C E

Avril 2018 CNE Paris France

LES RESTITUTIONS

Page 4 et 5

LA VIE DE LA CNE

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LE FAUX EN ART

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LES ASSISES DE L’EXPERTISE 2018

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LE LIVRE. Actuellement, il ne se passe pas un moissans que des articles paraissent sur le phénomèneéconomique chinois et sur les prix extravagantsréalisés par les antiquités chinoises. Or, hormis lescatalogues d’exposition du Grand Palais et desmusées Guimet ou Cernuschi, il n’existe pourainsi dire pas d’ouvrage sur la céramique chinoiseancienne qui soit à la fois pédagogique et pratique.C’est cet oubli que se propose de réparer ce livre.En fin connaisseur de l’histoire de la Chine, AlexandreHougron analyse la production céramique chinoiseancienne par dynasties, chaque chapitre reposantavant tout sur une synthèse historique qui permetde cerner le contexte de production, puis unedescription des styles et des genres de céramiquesqui sont produites à cette époque, le propos étanttoujours de relier certaines évolutions majeures dela porcelaine de Chine à l’histoire de ce pays.En complément, l’auteur apporte des rudimentssur des notions techniques de base : qu’est-ceque la porcelaine, quand a-t-elle été inventée,qu’est-ce qu’une marque sur un objet chinois, quepenser de l’usure, comment sont constitués les émaux,quels sont les principaux lieux de fabrication, etc.Il ne s’agit pas d’un ouvrage académique d’accèsdifficile, mais bien plutôt d’un livre au langage simple- bien que riche et savant - pour initier les amateurset les curieux aux arcanes de l’art chinois, l’esthétiquedes objets étant à chaque fois reliée à l’histoiredes hommes qui les ont faits. Pour ce faire,Alexandre Hougron a en outre tenu à ce que cetouvrage soit abondamment illustré avec forcephotographies des objets issus des remarquablescollections des musées français, de façon à les faireconnaître enfin du grand public : musées Guimet et

Cernuschi, musée de Sèvres, châteaux de Versailleset Fontainebleau, que viennent également compléterles collections du Metropolitan Museum à NewYork, du Victoria & Albert Museum à Londres, etdu Musée national du Palais de Taipei, à Taiwan.(Les Éditions de l’Amateur)L’AUTEUR Ancien enseignant en classes préparatoires,Docteur en études cinématographiques, agrégé deLettres classiques et élève de l’École NormaleSupérieure d’Ulm, Alexandre Hougron, qui a rejointla CNE récemment, est l’auteur d’un ouvrage desociologie paru en 2000 aux PUF, Science-fictionet société. Devenu antiquaire en art asiatique parpassion pour l’art chinois, c’est en souhaitantrépondre à la demande de clients qui voulaientapprendre à mieux comprendre cet art fascinantqu’il s’est attelé à cet ouvrage.Si nous sommes tous entourés d’objets en céramique- statuettes, vases, vaisselle, objets décoratifs - quenous apprécions pour leur qualité esthétique ouartistique, ou simplement pour leur utilité, peud’entre nous se sont penchés sur le pourquoi etle comment qui ont présidé à leur création et quiexpliquent notre appréciation. Il s’agit alors deregarder et non plus voir ; d’écouter et non plusentendre ; de palper, caresser, manipuler et nonplus toucher. En un mot, il s’agit de connaître.L’approche qu’offre cet ouvrage permet de marierl’histoire de la Chine sous ses formes tant politiques,gouvernementales que culturelles, avec l’histoire dela céramique ; de mieux comprendre l’interactionentre le développement de la civilisation et de saculture et son application sur les créations des potierschinois qui n’ont eu, eux, de cesse de développerleur art à travers tous les aspects techniques tels que

les fours, les couleurs, les glaçures, et artistiquescomme les formes, les émaux, la décoration. Ilpermet de mieux appréhender, de « comprendre »,ces œuvres d’art dans toutes leurs expressions.Dans ce livre introductif sur la céramique chinoise

ancienne, richement illustré par les chefs-d’œuvredes collections étrangères et de nombreuses piècesrarement montrées des musées français, l’auteurnous offre une vision personnelle et synthétiquede cet art, qui combine l’histoire des empereurs,des courants philosophiques et des contraintessocio-économiques de la Chine impériale.

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La céramique chinoise ancienne

LA VIE DE LA CNE

Alexandre Hougron, Les Éditions de l’Amateur

Dès l’aube du XXe siècle, la France et particulièrementParis prennent une importance considérable dans la« découverte » des arts premiers par l’Occident.Lors de cette période bouillonnante où l’arteuropéen connaît des bouleversements sansprécédent, des artistes en pleine remise en questiondes canons établis voient dans les créations de

ces cultures lointaines et méconnues des formes« inédites » qui les inspirent. Mais ces découvertessont par-dessus tout une révélation pour des

amateurs d’art, des critiques, des poètes et desmarchands, qui dans une sorte d’empathie esthétique,vont se passionner pour la beauté intrinsèque deces objets qui arrivent en grand nombre, rapportéspar des militaires en poste, des missionnaires oudes coloniaux. L’extraordinaire expressivité liée àl’harmonie de leur forme pour les plus belles deces œuvres les bouleverse. Il est question dans cetouvrage de cette reconnaissance essentielle descultures non européennes et de l’émergenced’une perception nouvelle du beau à travers« l’œil » de grands amateurs, amoureux des artspremiers. En référence à ces amateurs éclairés, denombreuses œuvres de haut niveau artistique sontreproduites dans les deux premiers chapitres, œuvresqui mettent en évidence le génie particulier depeuples dont seules témoignent aujourd’hui lescréations plastiques dans un contexte quasi générald’absence d’écriture. Parmi celles-ci, beaucoupsont inédites ou rarement publiées. Certaines deces cultures ont été découvertes et appréciées enOccident dès le début du XXème siècle. Cependantla période de l’après-guerre verra des voyageursfrançais, un peu baroudeurs, partir dès 1950 à larecherche d’œuvres inédites qui vont parfoissurprendre ou enthousiasmer les collectionneurs.Leur aventure est évoquée dans le second chapitre.Ainsi les arts d’Afrique, d’Océanie, d’Amérique etd’Asie du Sud-Est sont représentés, témoignant del’extrême variété des figurations artistiques dans

ces quatre régions du monde, figurations artistiquesqui ont en commun la force de leur expressivité.L’histoire des arts primitifs en France et celle de sesprincipaux acteurs, collectionneurs et marchandscomme le Docteur Stephen-Chauvet, Georgesde Miré ou Charles Ratton, est abordée dans letroisième chapitre, sur une période d’environ 80 ans.Quelques portraits de ces pionniers sont présentésen préambule, avec en regard des œuvres qu’ilsont patiemment sélectionnées, avec exigence etpassion. Elles sont aujourd’hui célèbres et considéréescomme des « icônes ». Une telle enquête n’avaitpas encore été menée à ce jour, en particuliersur la période de l’après-guerre, dont certainsprotagonistes sont aujourd’hui presque oubliés.Cet ouvrage a l’originalité de présenter unedouble approche à la fois esthétique et historiquesur l’art de collectionner.Christine Valluet, spécialiste des arts premiers depuisle début des années 1970 (Afrique, Océanie, Asiedu Sud-Est, Amérique du Nord) est membre de laCNE depuis 1986. Nommée expert près la Courd’appel de Paris de 2010 à 2016, elle exerce toujoursson expertise lors de nombreuses ventes publiques,dont les ventes prestigieuses de la collection Gastonde Havenon, en 1994, et de la collection B. H.(Bela Hein), en 2005. Elle est également membrede comités d’acceptation des œuvres pour différentssalons et a contribué à un grand nombre depublications dans le domaine des arts primitifs.

Regards visionnaires Arts d’Afrique, d’Amérique, d’Asie du Sud-Est et d’OcéanieChristine Valluet, 5 Continents Editions

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3LE JOURNAL DE LA CNE

Avril 2018

C O M P E T E N C E – E X P E R I E N C E – I N D E P E N D A N C E

Les missions de l’expert par Emmanuel Lhermitte, Secrétaire Général de la CNE

Une enfance impressionniste : le journal de Julie Manetpar Jane Roberts, I. BB Tauris Publishers

A l’ère du bouleversement sociologique quenous connaissons, de cette révolution numériquequi est notre quotidien et à laquelle noussommes forcés de nous adapter, le monde del’art, et particulièrement le monde des expertsen art, se pose de multiples questions : Comment demain exercer notre métier face àces nouvelles technologies ? Peut-on et doit-onfaire des expertises sur internet ? Commentlutter contre une concurrence déloyale, incapableou délictueuse ? Comment nous protéger ?Doit-on militer pour un statut ? etc.Au vu de ces nombreux sujets sur lesquels nousdevons réfléchir, il en est un primordial qui vientse placer avant tous les autres et dont les autresne sont que la conséquence : c’est celui de définirquelle est la mission de l’expert.Lorsque l’expert en œuvres d’art est sollicitépour une mission spécifique, jusqu’où doit-il allerdans ses investigations ? Quelles sont ses margesde manœuvre et quelles limites ne doit-il pasdépasser ? Quels sont les moyens qu’il doit utiliseret ces moyens peuvent-ils être limités ? La mission

peut-elle être elle aussi limitée dans le temps oudans le champ de son action ? Que doit-il rendrecomme résultat ? Sous quelle forme ? Lorsque l’expert agit pour son propre compte,n’y a-t-il pas contradiction entre ses intérêtspersonnels et la mission qui est la sienne ?N’y a-t-il pas conflit d’intérêt à se reconnaîtrela qualité d’expert marchand ? Comment concilierl’idée que l’on peut déterminer le prix d’un objetet proposer de l’acquérir à ce prix ou à un prixinférieur ? Comment justifier qu’il y ait une différenceentre le prix d’estimation et le prix d’acquisition ?Enfin, lorsque l’expert n’est pas partie à unemission ou à une négociation, peut-il et doit-ilintervenir pour signaler l’objet qu’il juge être faux ?Que ce soit chez un marchand, dans une salle deventes ou dans un salon professionnel, l’expertest-il tenu de dénoncer le faux ou doit-il passersous silence ce qui lui semble une évidence ?Est-ce son rôle d’alerter, de dénoncer et de mettreau grand jour une erreur, volontaire ou involontaire,dont il sait l’importance ?Telles sont les questions que nous devons, avant

toutes autres, nous poser sur le rôle de l’expert.Elles feront l’objet d’une des tables rondes desAssises de l’expert que nous organiserons aumois de juin prochain.

« J’ai toujours voulu écrire un journal et je croisque je vais le faire maintenant. Peut-être ai-je tropattendu ? Mais, plus j’attends et plus le temps passe ;et, après tout je n’ai que quatorze ans… »

Ainsi écrivait Julie Manet, fille du peintre Berthe

Morisot et nièce du grand Édouard Manet en 1893.Cette année-là, Julie commence son journalqu’elle devait tenir pendant six ans, y consignantavec une franchise désarmante et toute la candeurde son jeune âge des réflexions étonnantes surson entourage et sur son époque. Élevée dans une atmosphère d’intense créationartistique et littéraire, Julie raconte la vie quotidienneparmi les impressionnistes. Elle apprend à peindreavec Renoir, se promène avec Degas, visite Monet àGiverny. Stéphane Mallarmé, son tuteur, l’introduitdans le cercle littéraire des symbolistes. Elle épouserale peintre Ernest Rouart et sera elle-même uneartiste accomplie.Jeune parisienne, elle découvre les Folies Bergère,se passionne pour Wagner et lit les écrivains à lamode. Elle assiste émerveillée au feu d’artificedonné en l’honneur du tsar de Russie. C’est aussil’époque où la France se déchire à propos del’affaire Dreyfus ; Julie ressent profondément cesmoments de trouble et relate les opinions detous ceux qui l’entourent.Choisis et commentés par Jane Roberts, avec uneintroduction historique et un glossaire, les extraitsde ce journal sont accompagnés d’illustrations etde photographies d’époque qui viennent animerles réflexions de Julie.

LES ASSISES DE L’EXPERTISE

L E S A S S I S E S D E L’ E X P E RT I S E6 juin 2018 - Petit Palais

• Les missions de l’expert• Les procès tuent l’expertise• L’œil de l’expert

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4LE JOURNAL DE LA CNEAvril 2018

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LES RESTITUTIONS

Restitutions : amputations et machinations politiques Judith Schoffel de FabryFaisant suite au discours d’Emmanuel Macron auBurkina Faso le 28 novembre 2017, ouvrant la voieà la restitution d’œuvres d’art africain à leur paysd’origine, la récente nomination de deux expertsmandatés pour en définir les modalités inquièteinstitutions et collectionneurs. (l’historienne d’artfrançaise Bénédicte Savoy et l’universitairesénégalais Felwine Sarr). « Je veux que d’ici cinq ansles conditions soient réunies pour des restitutionstemporaires ou définitives du patrimoine africainen Afrique ». Si, au premier abord, ces parolesprononcées par le Président français lors de sondiscours semblent la marque de sa bonne foi et deson sens de l’équité, il apparaît malheureusementqu’elles ne sont finalement rien d’autre que lefruit d’une habile tactique diplomatique.En effet, la concentration du patrimoine africain(tout comme celui de nombreuses régions dumonde) en Occident, que ce soit dans descollections privées ou publiques, cache desréalités trop complexes pour crier à l’injustice oul’amoralité et sans tenir à des préjugés hâtivementformulés. D’une part, malgré tout ce qu’elle a puimpliquer de néfaste durant sa phase coloniale, lacollecte occidentale a permis la sauvegarde d’unepartie du patrimoine africain. Même si l’on nepeut en faire une généralité, un grand nombred’objets d’art premier n’avaient pas vocationà être conservés indéfiniment : destinés à descérémonies spécifiques ou éphémères, ils étaientabandonnés au profit de nouvelles fabrications etn’auraient sans doute pas survécu aux conditionsclimatiques auxquelles ils étaient exposés. Il est indéniable que, durant la colonisation, des« blancs » se soient livrés à de nombreux pillagesd’objets rituels mais on ne peut écarter la partprise par des prophètes indigènes, promoteurs dereligions nouvelles, dans la destruction des fétiches.Au temps du Congo Belge, Simon Kimbangu ou lemage de Massa en pays sénoufo ont contribué àfaire disparaître des pans entiers de la culturematérielle de leur région. Le pasteur libérien WilliamWade Harris, à l’aube de la Première Guerremondiale, éradiqua la quasi-totalité de la statuaireanimiste des populations lagunaires de Côte d’Ivoire. Si le patrimoine culturel matériel est potentiellementrestituable, l’Histoire ne l’est pas, et il est tropréducteur de mesurer la collecte des objets à laseule aune de bavures militaires, d’intérêts lucratifs- inexistants à l’époque - ou du prosélytisme desmissionnaires chrétiens. Ainsi seule la soif dedécouvertes de mondes méconnus animait unMungo Park, explorateur écossais à la recherchedes sources du Nil, ou encore René Caillé,premier Européen revenu vivant de Tombouctou.La deuxième moitié du XIXe siècle sera marquéepar l’émergence des expositions universelles etdes premiers musées ethnographiques, commecelui du Trocadéro, inauguré en 1882. Malgrél’indifférence du peuple pour ces cultures lointaines,ces institutions, partout en Europe, furent à l’origined’un profond bouleversement de l’art occidental.La découverte de la puissance, de l’expressivitédégagées par les sculptures « nègres » aussi bienque la portée universelle de leur message,influencèrent de façon irréversible les artistes enquête de renouveau dans la foulée, dès 1905, deDerain, Matisse, Picasso ou Vlaminck… Plusieurs tentatives avant-gardistes d’introduireces arts au musée du Louvre restèrent vaines, en1909 puis 1912, celles de Guillaume Apollinaire, ou,dans les années 1920 de Félix Fénéon. Les espritsn’étaient pas encore prêts. Il faudra attendre l’an2000 et la pugnacité de Jacques Chirac pour installer« pour toujours » les arts premiers au pavillondes Sessions, aux côtés des plus belles œuvresclassiques du monde. Suite au déclin de l’intérêt

pour les collections ethnographiques, Paul Rivet,directeur du musée du Trocadéro, créa à partirde 1928 une nouvelle muséologie qui aboutiraà la transformation de l’institution en Musée del’Homme en 1938. Sous son égide, la missionDakar-Djibouti (1931-1933), dirigée par MarcelGriaule, accompagné de l’écrivain Michel Leiris,s’inscrit comme la première expérience de collecteintensive et documentée à des fins scientifiques.Ce musée laboratoire, sans but lucratif, a vu lanaissance de l’ethnologie. La philosophie instauréepar Paul Rivet, bien qu’elle ait du mal à perdurerà notre époque, inspire encore nos musées quise veulent des institutions culturelles, artistiques,pédagogiques et de recherches internationales.Ce sont de formidables ambassadeurs des voixlointaines venues d’Afrique. Rappelons d’ailleursqu’après la décolonisation, les marchands africainseux-mêmes sont venus diffuser leur cultureen Europe ou aux Etats-Unis : Mamadou Sylla,Almami Diongassi, Amadou Coulibaly, ou encoreMamadou Diao et bien d’autres ont permis à cet artdit premier d’accéder à l’universalité. Il est faux depenser que l’art n’appartient qu’à son lieu deproduction, alors qu’il est le fruit d’un constantmétissage de différentes cultures au cours dessiècles. Les œuvres africaines contiennent pour

certaines d’entre elles des éléments et matériauxde troc que les Européens échangeaient avec euxcontre d’autres biens : perles de Venise, clousde tapissier et métaux européens, étoffes (waxhollandais), pigments bleus… « (…) C’est de tout faire aussi pour qu’il y ait lasécurité, le soin qui soit mis en Afrique poursurveiller ces œuvres ». Ces paroles, prononcéespar E. Macron lors de ce même discours deOuagadougou, montrent que les conditionsmatérielles de conservation et la sécurité desœuvres sur place sont une question primordiale,en particulier face à la menace islamiste mondiale,entre autres. Des pillages ont eu lieu au muséedu Caire et au sein même des pyramidespendant le printemps arabe, tandis que le site dutombeau des Askia à Gao a été inscrit en 2012sur la liste des sites en péril. Comment ne pas sesouvenir également de la destruction desBouddhas de Bâmiyân, ou de la ville antique dePalmyre… Il faut être certain que la restitutionne se fasse pas au détriment de l’œuvre. Pour enrevenir aux « personnalités incontestables »nommées par le Président français, l’une d’entreelles, l’économiste Felwine Sarr, s’illustre la veilledu discours de Ouagadougou par un texte

post-colonialiste (co-rédigé dans Le Monde Afriqueavec le philosophe camerounais Achille Mbembe,le 27 novembre 2017). Ce pamphlet virulentcontre la France et son chef de l’État, au titreévocateur d’Africains, il n’y a rien à attendre dela France que nous ne puissions nous offrir ànous-mêmes ? peut amener son lecteur à sedemander si sa nomination ne va pas totalementà l’encontre de l’intérêt général – des Françaiscomme des Africains. Édifiante est la réponse deCharles Tsimi sur son blog, intitulé Achille Mbembe,Felwine Sarr et leurs tristes rêveries, en date du28 novembre 2017. Le projet de restitution duPrésident français a pour le moment commedestinataires les musées existants à Dakar, Lagoset Cotonou. Or, de nombreuses œuvres d’artproviennent d’autres pays d’Afrique ; l’Afrique estun continent, et chaque pays africain est souverainet indépendant. Le projet de Jacques Chirac estun succès planétaire qui a contribué à offrir uneplace aux arts extra-occidentaux dans les grandsmusées internationaux, dès lors universels :l’inauguration du Louvre Abu Dhabi en est un deses fleurons. Grâce à cet engouement, des œuvresd’art premier, ayant parfois appartenu à desartistes et des collectionneurs précurseursaujourd’hui reconnus (Breton, Picasso, Matisse,Derain, Paul Guillaume, Helena Rubinstein, PeggyGuggenheim…) sont vendues aux enchères pourdes prix de plus en plus importants. Ce nouvelétat des choses conduit malheureusement àl’instrumentalisation des arts premiers, attirant lesinvestisseurs financiers et suscitant la convoitise.Il est devenu une monnaie d’échange et même unearme diplomatique et commerciale : les déclarationsde notre Président ne permettent-elles pas, dansson esprit à moindres frais, de restaurer sur lecontinent l’image dégradée de la France ? Un instrument du « soft power » au service desÉtats africains comme français. On peut s’interroger sur les limites, dans le tempscomme dans l’espace, à fixer à ces projets derestitution des œuvres d’art, loin d’être l’apanagede l’Afrique. Certains chefs-d’œuvre préservés dansdes collections publiques ou privées pourraient dèslors être rendus aux propriétaires d’origine,chaque pays sera donc en droit de réclamer sondû : les frises du Parthénon, la Joconde, le grandautel de Pergame, l’Obélisque de la Concorde…L’ouverture de cette boîte de Pandore pourraità terme entraîner des conséquences gravesqu’Emmanuel Macron n’a visiblement pas prises encompte. Les partisans de cette restitution utilisentles méfaits de la colonisation pour revenir sur laconvention de l’Unesco, en contournant la loi surl’inaliénabilité et l’imprescriptibilité des collectionspubliques. Selon Proudhon, la personne publiquen’est pas propriétaire du domaine public, maissimplement gardienne ; elle ne peut donc pasvendre les biens publics. Revenir sur ce principefondateur irait à l’encontre des idées qui ontbâti notre République. Une des conséquencesimmédiates des restitutions sera de vider le fondde tous les musées, qui perdront leur vocation àéduquer le monde aux cultures classiques etextra-européennes. Que deviendrait notre Louvreuniversel vidé de tout art non national ? Puisles collections privées, qui peuvent être aussiconsidérées comme œuvres intellectuelles enelles-mêmes, souvent constituées au départ sansbut lucratif, pourraient quitter la France qui perdraitégalement sa place prédominante sur le marchémondial, au profit de Londres ou New York.Comment demander dès lors à un collectionneurde prêter des œuvres pour une expositionmuséale ? Réfléchissons donc tous, aujourd’hui,aux multiples conséquences.

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Si on reproche souvent aux hommes politiquesleur peu de consistance, un tel grief ne peut êtrefait au Président Macron, en tout cas pas enmatière de restitution. C’est au contraire sa belleconstance en la matière qu’il faut saluer etaussitôt déplorer.C’est le 28 novembre dernier qu’EmmanuelMacron, en déplacement officiel à Ouagadougou,s’est prononcé en faveur des « restitutions » :« Je veux que d’ici cinq ans les conditions soient réuniespour des restitutions temporaires ou définitives dupatrimoine africain en Afrique ». Si l’analyse du discours politique est un exercicehasardeux, le sens des mots est quant à lui biendéfini. Ainsi, le dictionnaire Larousse renseigne :« Restitution : action de restituer, de rendre quelquechose qu’on possède indûment : la restitution d’unbien mal acquis ».« Restituer : rendre quelque chose à son propriétairelégitime : un État invité à restituer les territoiresconquis ».Le décor lexical est planté

Le « patrimoine africain » devra être restituéà son légitime propriétaire parce qu’il fut malacquis. Mal acquis, pourrait-on ajouter, durant lacolonisation que le candidat Macron alors encampagne, n’avait pas hésité à qualifier de crimecontre l’humanité. Le cas des œuvres africaines détenues en Franceen collections publiques ou privées a été jugé etla sentence prononcée : il faudra restituer !Sur le plan des idées, une ligne rouge a clairementété franchie et on nous promet déjà de changerla loi.Suivant l’article L451-5 du Code du patrimoine :« les biens constituant les collections des muséesde France appartenant à une personne publiquefont partie de leur domaine public et sont, à cetitre, inaliénables ». La règle, on le sait, remonte àl’édit de Moulins de 1566. Ancien et profondément ancré dans l’ADN de lanation française et dans son principe de continuité,l’inaliénabilité est aussi d’une grande nécessitéactuelle. Le domaine public est en effet constituédes biens de la Nation, c’est-à-dire du patrimoinedu Peuple français. C’est fondamentalement pourcette raison qu’il est inaliénable et doit le rester.Tout comme ceux qui ont cru à un simple effetd’annonce, qui jamais ne pourrait se concrétiser,« on ne va tout de même pas vider nos musées ! »,ceux qui espèrent que le vent des restitutions nesoufflera pas sur les collections privées, se trompent. Evidemment, suivant l’article 17 de la Déclarationdes droits de l’homme et du citoyen, la propriétéest « un droit inviolable et sacré » et il semblepeu probable que l’on vienne chercher dans lescollections privées ce « patrimoine africain »,pour le « restituer » suivant les termes du discoursde Ouagadougou. Cette véritable spoliation, se fera plus lentementet plus insidieusement. A l’instar de l’admirabletravail de mise en valeur des œuvres africaines parles conservateurs et les marchands, qui a permisde passer en quelques décennies d’un art dit« nègre » et ethnographique à un art classique,qui a droit de cité dans les plus belles collectionsmuséales et dont la valeur atteint des prix record,le travail de déconstruction engagé sur le thèmedu « crime colonial » aura immanquablement unimpact sur le marché de l’art.Enhardis par ces restitutions volontaires sur fondd’auto-flagellation, les pays d’origine, dont onaurait tort de penser qu’ils se limiteront à l’Afriquesubsaharienne (l’Egypte, la Grèce, l’Océanie,l’Asie…), tenteront des procédures pourrevendiquer leur propriété lors d’expositions oude ventes publiques. Ne nous y trompons pas, ce cauchemar au traitvolontairement noirci, est le rêve de ceux quisont à la manœuvre dans cette campagne derestitution qui s’annonce.Si les acteurs du monde des arts premiers maisaussi des antiquités (marchands, collectionneurs,maisons de vente et institutions) ne réagissent paset n’offrent pas une contradiction philosophique,historique et juridique, au-delà de la question descollections muséales françaises, c’est le marché del’art qui risque d’être durablement frappé.Dans l’intervalle, Emmanuel Macron vient deconfier le 5 mars dernier à deux « personnalitésincontestables », la mission d’étudier la restitutionà des pays africains d’œuvres d’art actuellementen France. Leur avis est attendu pour novembre.

Donnez-moi un musée et je le restituerai !Yves-Bernard Debie, avocat spécialisé en Droit du Commerce de l’Art

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C O M P E T E N C E – E X P E R I E N C E – I N D E P E N D A N C E

LES RESTITUTIONS

Cette question ne se posait pas quand les grandsmusées français se situaient sur le terrain del’universalisme, dans le respect et la promotionde la culture et de l’histoire des peuples. Il y avaità l’époque de Jean Rouch et du Musée del’Homme par exemple, peu de revendications derestitution, y compris chez les chercheursafricains, chacun se sentant à l’aise dans un lieudédié à la recherche, à l’éducation et au plaisirdes populations, collégiens, enseignants, touristes.A partir du moment où on est passé del’ethnographie et de la recherche, à l’esthétisme,au marché de l’art et à ses enchères record,…A partir du moment où les œuvres conservéesdans les musées, d’objets patrimoniaux sontdevenus officiellement des “actifs financiers”…Apartir du moment où ces mêmes objets sontdésormais considérés comme des instruments du“Soft power” c’est à dire des armes diplomatiqueset commerciales…A partir du moment où lanotion ancienne de gratuité des prêts entremusées a pratiquement disparu, les musées telsOrsay louant leurs œuvres au prix fort...Dès lors, de nombreux pays se considèrent,à juste titre souvent, comme en droit derevendiquer leur patrimoine désormais détenupar des pays qui, d’une certaine façon, en fontcommerce ou l’utilisent à d’autres fins quel’éducation, la recherche et le plaisir despopulations. Des œuvres muséales on passenaturellement aux œuvres détenues par desparticuliers ou des marchands. Question complexeà laquelle, évidemment, la CNE, seule, ne peutapporter de réponse achevée.Néanmoins, la CNE peut ouvrir un débatnécessaire et poser des questions. C’est le cas iciavec ces premières analyses qui n’engagent queleurs auteurs. Quelques interrogations :Peut-il y avoir des limites historiques et géographiquesà ces revendications ? Si oui lesquelles ? Sinontout devient possible, la Joconde, l’Obélisque, lesstatues Godon, la frise du Parthénon...Mais qui, pour fixer ces limites ? Chaque Étatdans le respect de son indépendance ? Quid parexemple des États en guerre ? Une autoritéscientifique internationale ? Qui la désignera etsuivant quels critères ? Même problématique pour fixer les garantiesnécessaires à la conservation de ces objetset leur mise au service des populations dansdes lieux publics sanctuarisés. Qui contrôleraultérieurement ?Autre problème, en France. En France, l’inaliénabilitédes collections publiques est un principe fondateurde la République et au moment où de nombreusesvoix s’élèvent pour permettre aux musées devendre, de commercer, n’y a t-il pas là le risqued’ouverture d’une brèche dans laquelle ironts’engouffrer les partisans d’une privatisationdes musées ?

Frédéric Castaing,Président de la CNE

La question desrestitutions estlégitime maiscomplexe.

Mbumba à long cou, peuple Tsogho, Gabon, 19e, bois métal, tracesde padouk, h. 38,5 cm, collection du Musée du Quai Branly.Figure de reliquaire Tsogho du Gabon, disparue des collections duMusée de l’Homme et restituée au Musée du Quai Branly-JacquesChirac lors de l’exposition Tsogho de la galerie Bernard Dulon.

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6LE FAUX EN ARTLE JOURNAL DE LA CNEAvril 2018

C O M P E T E N C E – E X P E R I E N C E – I N D E P E N D A N C E

Détecter les faux suppose une personnephysique qui, en toute responsabilité, identifie unobjet et dit « Ceci est un faux ». Pour accéder àcette évidence « Ceci est un faux », il faut un« sachant ». L’expert est celui là. Parlons de l’expert.Aujourd’hui même, pendant ce colloque, descentaines d’objets passent de main en main quiont été identifiés par des experts. Du manuscritde Rimbaud à la statue Godon en passant par untableau de Delacroix ou un buste de Rodin.Au passage, des dizaines de faux auront étédétectés et écartés par ces mêmes experts.Voilà pour la lumière.La part d’ombre maintenant. A la fin du XIXe siècle,Feuillet de Conches, grand expert en manuscrits,respecté par tous, ami des conservateurs, fabriquequatre lettres de Marie-Antoinette, va en glisserdeux dans les collections publiques et présente lesdeux autres à un collectionneur… « Je ne voudraispas me tromper… Maître, j’ai toute confiance…Allons aux Archives vérifier »… Aux ArchivesNationales, notre expert sort ses deux faux,compare, le tour est joué. Et aujourd’hui, en 2017,comme en écho lointain, le grand expert enmobilier du XVIIIe siècle, respecté par tous, amides conservateurs, comme Feuillet de Conches,raconte, dans la presse que, par jeu, il a vendu àl’établissement public de Versailles et au Musée duLouvre de faux sièges, une commode, pour quelquesmillions, en l’occurrence, de l’argent public.L’expert c’est comme la langue d’Esope, lameilleure et la pire des choses. Coupe-t-on leslangues pour autant ? Peut-on se passer d’expert ?Evidemment non. Et pourtant…Les choses ne sont pas si simples. Penchez-voussur le droit du marché de l’art. Une série dejurisprudences fixe les obligations de l’expert encas de litige. Mais en amont ? Le titre d’expertn’est pas protégé par la loi. Vous tous, ici, pouvez,si vous le souhaitez, ajouter sur votre carte devisite « Expert en manuscrits » ou « Expert enmobilier XVIIIe » sans que quiconque y trouve àredire. Il y a donc manifestement un flou.Ce flou, on peut l’accompagner, le chevaucher. Jeme souviens d’un dirigeant d’une grande maisonde vente anglo-saxonne m’expliquant qu’il utilisaitde jeunes diplômés pour l’identification des objetset la rédaction de ses catalogues, que la sélection

se faisait, naturellement, au gré des catastrophes. En France, certains, il y a plusieurs années, ont fait untout autre choix : celui de former et de sélectionnerdes experts en amont, justement pour éviter lescatastrophes. Ainsi furent créées en France, dansla deuxième moitié du XXe siècle, les compagniesd’experts. Phénomène unique au monde. Descompagnies avec des règles strictes de sélection :l’expert admis doit être reconnu par ses pairspour ses compétences, il a au moins dix ansd’ancienneté, il exerce dans deux spécialités aumaximum, il a une assurance, un casier judiciairevierge et il s’engage à respecter un code dedéontologie. Je vous invite à prendre connaissancede ce code. Ce n’est pas du Portalis mais dans levide absolu actuel, c’est un monument de clartéet de simplicité.J’ai conscience évidemment qu’il y a là comme unplaidoyer pro domo qui manque, peut-être, d’unpeu de légèreté. Mais convenez qu’en face,l’expert est très souvent ridiculisé quand lefaussaire passe pour un « dandy génial ». Dans lemeilleur des cas, on aura un grand film, Vérités etmensonges de Welles. Dans le pire des cas, cequ’on appelle dans la presse, un « ours » :« Le faux en art » comme « Le classement desmeilleurs lycées » ou « L’évolution de l’immobilieren ile-de-France » avec toujours les mêmesexemples : Beltracchi, Legros ou aujourd’hui notreexpert en mobilier XVIIIe. Faut-il s’y attarder ?...Permettez-moi quand même de revenir rapidementsur ce « dandy génial ». D’abord le terme me paraîtusurpé. Le vrai dandy c’est Barbey d’Aurevilly,Baudelaire. Le vrai dandy n’a pas de compteoffshore, le vrai dandy demande toute sa vie del’argent à sa mère. Ensuite je trouve qu’il y aquelque chose de choquant dans ce consensusmou autour de « l’expert faussaire génial quiroule tout le monde ». L’expert n’est ni l’inventeurni le propriétaire de son art mais le dépositaire,à un moment donné, de connaissances et depratiques accumulées avant lui par ceux qui l’ontprécédé pour que lui même les transmette, enles enrichissant, à ceux qui le continueront. C’est ce qu’on appelle un acquis de civilisation, unde ces points d’appui qui permettent d’avancer. Bref, il manquera toujours à l’expert cette partde romanesque qui fait les héros de film ou deroman, mais il faut bien admettre qu’à ce jour,on n’a rien trouvé de mieux que l’expert descompagnies pour identifier les objets et détecterles faux. Ce malgré quelques échecs collectifsgraves. Je veux parler de l’affaire du mobilier XVIII. Le soir de mon élection comme Président de laCompagnie Nationale des Expert, il y a trois ans,j’avais encore une coupe de champagne à la main,on m’aborde : « Cher président vous ne savez pasoù vous avez mis les pieds. Le scandale va éclater.Il y a trente ans que ça dure. » Comment en est-onarrivé là ? Il y a une phrase, presque un lieucommun : le temps est le pire ennemi du faux.Vous, moi, le commun des mortels, entend cesmots comme un constat rassurant, d’autrescomme la possibilité d’une prise de risque.Pour ces derniers, la vérité triomphe toujours,peut-être, mais pas forcément aujourd’hui oumême demain. Le pari repose sur la combinaisonsuivante : l’habileté d’un faussaire, l’autorité d’unexpert, la lourdeur des protocoles, avocats,huissiers, qui décourage les plaignants et dans le

cas d’un mauvais coucheur, le remboursement entoute confidentialité. Ensuite intervient ce quej’appellerais le degré d’acceptation de la société,je veux dire, la police, la justice et tout organe derégulation. Si ceux-ci n’interviennent pas, soitpar manque de moyens, soit par négligence, unsentiment d’impunité s’installe qui gangrène lesecteur en entier. Les faussaires continuent etprennent de l’assurance. Certains professionnelss’alignent pour survivre face à une concurrencefaussée. Les autres se mettent en retrait et setaisent pour ne pas être ostracisés. Les faux serépandent dans les salons ou les ventes publiqueset acquièrent de fait un label d’authenticité. Volensnolens tout le monde est devenu aveugle.Des secteurs entiers du marché de l’art sont ainsiattaqués comme le mobilier XVIIIe, l’art déco ouencore récemment l’art vietnamien.Un phénomène que les bouleversements actuelsdu marché de l’art ne font qu’amplifier. Après lacrise des subprimes, avec la multiplication desgrandes fortunes et les menaces qui pèsent surles paradis fiscaux, des sommes considérables sereportent sur le marché de l’art, que ce soit pouroptimisation fiscale, fraude ou blanchiment. Et, àl’échelle internationale, se multiplient salons, ventespubliques, échanges sur Internet. Les faussairessuivent le mouvement, conformément à l’adage« le faux va à l’argent ». Conséquence, l’expertest de plus en plus sollicité, les investisseurs ontbesoin de sa garantie. L’expert se retrouve dansl’œil du cyclone, son verdict peut signifier laplus-value conséquente ou la perte sèche. Lesprocès intentés contre les experts pour préjudicefinancier du fait d’une expertise négative et lesmenaces physiques pour imposer un diagnosticse multiplient. Par ailleurs, « vite, vite les affairessont les affaires, pas de temps à perdre », maisonsde vente ou négociants font pression pour obtenirdes expertises sur photo ce qui est contraire à nosrègles, contraire à la fameuse obligation de moyens.Le résultat ? Un double mouvement. D’un côté,nombre d’experts refusent désormais de délivrerdes certificats d’authenticité ou de s’exprimerquand ils sont en présence d’un faux par craintede poursuites judiciaires. Les procès tuentl’expertise. De l’autre, allez sur Internet. Là, c’esttous les jours que se créent de nouveaux sites« d’expertise sur photo ». Avec, par exemple, cecommentaire lu ce matin « La nouvelle annéesera marquée par la révolution de l’expertise desobjets d’art en ligne, rejoignez-nous ! » Quantaux ventes publiques, un catalogue suisse, en cemoment, affiche le commentaire suivant, dans sesconditions de vente : « Nos descriptions ne sontque l’expression d’une opinion et ne constituentpas une garantie. »Alors, que faire ? Accompagner cette évolution ?Résister ? Se mettre en retrait ? Un débat quitraverse toute la profession. On parlera de couragepersonnel, de morale individuelle. Tout cela existemais ne peut être une réponse à la crise. L’expertisolé dans sa discipline est fragilisé, impuissant,quelles que soient ses qualités propres. C’est laresponsabilité des compagnies d’offrir à leursmembres une protection et un cadre pour laréflexion comme pour l’action.Cela ne suffira pas,bien sûr, la vigilance de bien d’autres acteurs estnécessaire. Il reste que les compagnies ont desresponsabilités qui leur sont propres. Et en premier

Le faux en art : parlons de l’expert Par Frédéric Castaing, Président de la CNEIntervention du Président de la CNE au colloque organisé par la cour de Cassation le 17 novembre 2017 sur le faux en art

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L E S A S S I S E S D E L ’ E X P E R T I S EL e 6 j u i n 2 0 1 8 a u P e t i t P a l a i s d e 1 0 h à 1 8 h

7 LE FAUX EN ART LE JOURNAL DE LA CNEAvril 2018

C O M P E T E N C E – E X P E R I E N C E – I N D E P E N D A N C E

Doté d’un suspense haletant, Avancez masqués(éditions Le Passage, 2018) est le 4e roman denotre consœur Hélène Bonafous-Murat, experten estampes. Intriguée par le meurtre d’une sulfureuse ministrede la Culture issue de l’immigration, et prisedans une manipulation érotique dérangeante, lacritique d’art Olivia Lespert navigue de muséesen ministères, de Paris à Marseille. Elle découvreque tout n’est que relation de pouvoir et dedomination entre les hommes et les femmes,entre les artistes et leur public. Tout, de l’art à lapolitique, n’est aussi que détournement.Iconoclaste et satirique, Avancez masquésaffronte les problématiques de notre époque :quelles inspirations troubles président auxcréations de l’art contemporain ? Qu’est-ce quedéfendre la culture ? Quel sens a encore lapolitique ? Un roman jubilatoire et allègre, enrésonance profonde avec les débats d’actualité.

lieu, défendre le cœur de notre métier. Cettequestion des expertises sur Internet va devenirune question centrale. Il faut le répéter et le répéter,la 2D, la 3D, la réalité augmentée, la 4D, la 8D, ceque vous voudrez, ne remplacera jamais lecontact avec l’objet. Il faut voir, toucher, sentir. Il sedégage d’ailleurs, parfois, de l’objet une sensualitéqui nourrit l’intuition de l’expert, laquelle intuitions’appuie sur des années d’expérience. Ce qu’onappelle, par un raccourci, « l’œil de l’expert». Ceque toutes les analyses scientifiques, si utilescomme complément, ne pourront jamais rempla-cer. En second lieu, continuer à former, sélection-ner les meilleurs de nos professions. Et puis

protéger l’expert, précieux mais fragile, enpoursuivant la réflexion engagée lors des Assisesde l’expertise organisée par la CompagnieNationale des Experts. Comment protéger lesexperts des abus de procédure ? Car oui, l’expertest précieux. J’enfonce le clou. Sans expert, l’objetd’art, le livre ancien, le document, tout bienculturel reste à l’état de potentialité. Sansexpert, l’amateur est à la merci des circonstances,le jouet du hasard. Sans expert, que reste-t-ildes commissaires-priseurs, des organisateurs desalons ? Sans l’expert, le marché de l’art seréduit à un jeu de dupes sur fond d’optimisationfiscale ou de spéculation.

En conclusion, je reviendrai sur quelquesréflexions glanées ici ou là et qui se font de plusen plus insistantes. Le problème du faux seraitdésormais un faux problème. Le « triomphe dumultiple démocratique », la « nouvelle civilisationde l’image » auraient balayé la notion d’authenticitédevenue obsolète, à contre-courant de l’histoire.Dans ce cadre de pensée, évidemment, le faussairedevient un dandy génial et le faux est très kitsch.Peut-être. Pour ma part, il me semble qu’aucunesociété humaine, jamais, ne pourra prétendrevouloir accéder à la civilisation en se fondant surle faux, en tolérant le faux dans quelque domaineque ce soit.

Avancez masqués par Hélène Bonafous-Murat

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Antiquités - AntiquesArts premiers - Tribal Art

Livres - BooksObjets d’art - Objets d’art

Sculptures - SculptureTableaux - PaintingLes œuvres d’art

n’ont pas de secrets.Elles ont leurs experts.

Works of arthave no secrets

for professional experts

LE JOURNAL DE LA CNEEdité par la Compagnie Nationale des Experts

Rédacteur en chefFrédéric Castaing

SecrétariatAstrid GilliotRédaction

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LA VIE DE LA CNE

A la fin de l’année 2017, nous ont été exposés lesdevoirs et obligations imposés par la Cellule delutte contre le blanchiment de capitaux et lefinancement du terrorisme dénommée Tracfin.Résumons ici ce qui a été dit et tirons-enquelques conclusions.Tracfin est un service administratif de traitementfinancier chargé de lutter contre les circuitsfinanciers clandestins, le blanchiment de l’argentet le financement du terrorisme. A ce titre Tracfinrecueille, analyse et exploite tout renseignementpropre à établir l’origine ou la destinationdélictueuse d’une opération financière à partirdes déclarations effectuées par les professionnels.Qui doit déclarer ? Petit à petit, le champd’application de Tracfin s’est élargi. Il s’étend à présent aux maisons de vente, auxcourses, aux greffiers, aux avocats, à la CARPA,

aux notaires, aux banques, aux assurances, à l’immobilier, aux commerces de luxe et… auxantiquaires. Allons directement aux revendeursd’objets mobiliers.Que doit-on déclarer et sur quoi reposent lesdéclarations ? Sur des faits , et ici la déclarationn’est pas contestable, mais aussi, et alors c’est plusdiscutable, sur le soupçon. Reprenons les consignes édictées par Tracfin : Lesprofessions assujetties sont tenue de déclarer lessommes inscrites dans leurs livres, les opérations outentatives d’opérations portant sur des sommes dontelles savent, soupçonnent ou ont de bonnes raisonsde soupçonner qu’elles proviennent d’une infractionpassible d’une peine privative de liberté supérieureà un an ou participent au financement du terrorismeou d’une fraude fiscale. Aux dires des exposants, il y a soupçon lorsqu’ily a doute sur la personne, sur l’opération ou surle flux financier. Certaines opérations financièreset certains flux financiers ne posent pas deproblème quant à leur côté frauduleux, d’autressont plus contestables.Aux questions que nombre de participants nemanquèrent pas de poser, il nous fut répondu quele soupçon repose sur le doute que le professionnelpeut avoir quand : - le paiement provient d’unparadis fiscal - le paiement est fait en espècesau-delà de ce qui est autorisé - le nom de lapersonne qui a fait la recherche de l’objet achetéest différent de celui qui s’acquitte du paiement- le paiement est fait par un chèque de banquece qui peut faire supposer une irrégularité audépart - le paiement est fait par une personnepour le compte d’une autre et l’état physique dupayeur peut laisser supposer un abus de faiblesse- l’aspect du payeur ne correspond pas à l’idéeque l’on a d’une personne pouvant s’acquitter detelles sommes ! Enfin, et pour nous assurer une parfaite confidentialité,Tracfin nous assure que les déclarations des

professionnels restent secrètes, même lors desprocédures judiciaires (étonnant qu’un magistratne puisse divulguer une pièce sur laquelle sefonde son accusation) et que ces déclarationsexonèrent le professionnel de la menace d’êtreconsidéré comme complice.Si personne ne peut nier que les desseins et lesbuts de Tracfin sont louables et qu’on ne peut queles encourager dans les combats menés contrele blanchiment, la fraude et le financement duterrorisme, force est de constater que les règlesauxquelles ils veulent nous assujettir sont parfoisincompatibles avec nos métiers.Comment, par exemple, accepter de signaler unclient qui règle avec un chèque de banque alorsque ce moyen de paiement constitue pour nousune garantie et la traçabilité des fonds ? Commentaccepter de refuser un paiement et signaler unclient au motif que celui qui nous a démarchésn’est pas le détenteur de la carte bancaire aveclaquelle est effectué le paiement, même s’il règleavec une carte au nom de sa société ? Commentenfin accepter de signaler un individu au motifqu’il serait trop jeune pour effectuer un paiementimportant, qu’il porterait des baskets ou que satenue serait négligée ?Les professions que nous exerçons sont soumisesà des règles strictes qui sont spécifiquementfrançaises et que nous respectons : limitation del’achat et de la vente en espèces au-delà d’uncertain seuil, tenue d’un livre de police, etc. Quenous dénoncions le recel, que nous combattionsle pillage, que nous empêchions le trafic, qu’enfinpar notre attitude nous contribuions à un marchésain, c’est une évidence. Que nous dénoncionssur un soupçon, tel n’est pas notre rôle et nerelève pas de notre ressort. Si nous sommesde tout cœur pour aider Tracfin dans sa luttequand nous avons connaissance d’un faitdélictueux, il ne nous appartient pas de dénoncerce qui n’est pas avéré.

À propos de Tracfin par Emmanuel Lhermitte, Secrétaire Général de la CNE

La « commission de travail experts » du Conseildes Ventes Volontaires (CVV), sous la direction deSabine Bourgey, travaille sur un projet de vademecumconsacré aux experts. Ce fascicule, destiné au grandpublic, traitera de sujets comme l’estimation, la

description, la responsabilité... avec des entréesalphabétiques pour se montrer le plus pratiquepossible. La rédaction en sera collégiale car lacommission comprend des juristes comme FrancineBardy, Eric Giessler et Pierre Taugourdeau, des

commissaires-priseurs, Patrick Debureau et VincentFraysse et un autre antiquaire Dominique Chevalier.Les principales compagnies d’experts serontconsultées avant la rédaction finale de ce fasciculequi se veut facile à consulter et sans langue de bois.

Le fascicule expert du Conseil des Ventes Volontaires