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Communication Le lithium chez le sujet bipolaire a ˆge ´ Lithium use in elderly patients with bipolar disorder Fre ´de ´ ric Limosin a, * ,b,c a Service de psychiatrie de l’adulte et du sujet aˆge ´, ho ˆpital Corentin-Celton, groupe hospitalier ho ˆpitaux universitaires Paris Ouest, Assistance publique– Hoˆpitaux de Paris (AP–HP), 4, parvis Corentin-Celton, 92130 Issy-les-Moulineaux, France b Universite ´ Paris Descartes, Sorbonne Paris-Cite ´, 75006 Paris, France c Inserm, U894, centre de psychiatrie et neurosciences, 75014 Paris, France 1. Introduction La prise en charge des troubles psychopathologiques du sujet a ˆge ´ repre ´ sente un enjeu majeur de sante ´ publique. Les troubles psychiatriques sont en effet fre ´ quents chez le sujet a ˆge ´, notam- ment la de ´ pression, avec des chiffres de pre ´ valence de ´ passant 40 % chez les sujets de plus de 75 ans institutionnalise ´s. Or les troubles mentaux constituent l’une des premie ` res causes de morbidite ´ et de mortalite ´ pre ´ mature ´e chez le sujet a ˆge ´, et repre ´ sentent les trois cinquie `me des sources d’incapacite ´ lie ´es au vieillissement. De surcroı ˆt, en Europe, c’est chez les personnes a ˆge ´es que le taux de suicide est le plus e ´ leve ´ (en 2005, de 16,4 a ` 22,9 pour 100 000), les suicides de la population des 60 ans et plus repre ´ sentant 30 % du total des suicides. Ce taux augmente avec l’a ˆge et c’est parmi les hommes de plus de 85 ans que le suicide est le plus fre ´ quent (six a ` sept fois plus que les hommes a ˆge ´s de 15 a ` 24 ans). En France, entre 2002 et 2003, les taux de suicide e ´ taient de 60 pour 100 000 hommes de 75 a ` 84 ans et de 124 pour 100 000 hommes de 85 ans ou plus. 2. Pre ´ valence et incidence du trouble bipolaire chez le sujet a ˆge ´ Me ˆme si la majorite ´ des cas de trouble bipolaire sont diagnostique ´s avant 35 ans, 15 a ` 20 % le sont apre `s l’a ˆge de Annales Me ´ dico-Psychologiques xxx (2014) xxx–xxx * Correspondance. Adresse e-mail : [email protected]. I N F O A R T I C L E Historique de l’article : Disponible sur Internet le xxx Mots cle ´s : De ´ mence Effet secondaire Pre ´ valence Sel de lithium Sujet a ˆge ´ Trouble bipolaire Keywords: Bipolar disorder Dementia Elderly Lithium citrate Prevalence Side effect R E ´ S U M E ´ Compte tenu de l’impact de ´ le ´ te `re majeur des troubles psychiatriques chez le sujet a ˆge ´, que ce soit en termes de morbi-mortalite ´, notamment suicidaire, ou d’alte ´ ration de la qualite ´ de vie et des capacite ´s d’autonomie, de ´ dier une offre de soins spe ´ cifique a ` cette tranche d’a ˆge est une priorite ´ de sante ´ publique. Dans le cas des troubles bipolaires, on constate aujourd’hui une sous-prescription du lithium chez le sujet a ˆge ´, alors me ˆme qu’il s’agit d’une alternative the ´ rapeutique recommande ´e dans cette tranche d’a ˆge. S’il est vrai que les donne ´ es d’efficacite ´ chez le sujet a ˆge ´ souffrent d’un manque d’e ´ tudes contro ˆle ´es spe ´ cifiques, le profil de tole ´ rance du lithium chez le sujet a ˆge ´, notamment sur le plan re ´ nal, ne justifie pas une telle sous-utilisation. De surcroı ˆt, les proprie ´ te ´s anti-inflammatoires et neuroprotectrices du lithium en font une strate ´ gie me ´ dicamenteuse susceptible de limiter la survenue et/ou le de ´ veloppement de certains processus neurode ´ ge ´ ne ´ ratifs survenant au cours du vieillissement. ß 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits re ´ serve ´s. A B S T R A C T Regarding the burden of mental disorders in elderly patients, including morbidity and mortality, especially by suicide, and impairment of quality of life and functional autonomy, there is a need to take into account special health care needs of elderly persons. In bipolar disorders, lithium tends to be under- prescribed in elderly patients, while it is still a first line choice in guidelines. If it is true that there is a lack of controlled studies on effectiveness of lithium in elderly patients, available data from lithium side effects, especially on renal function, don’t justify this under-utilization. Moreover, anti-inflammatory and neuroprotective effects of lithium may be of particular interest in ageing, in preventing and/or controlling the occurrence of some neurodegenerative process. ß 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. G Model AMEPSY-1815; No. of Pages 4 Pour citer cet article : Limosin F. Le lithium chez le sujet bipolaire a ˆge ´. Ann Med Psychol (Paris) (2014), http://dx.doi.org/10.1016/ j.amp.2014.02.014 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com 0003-4487/$ see front matter ß 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits re ´ serve ´s. http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2014.02.014

Le lithium chez le sujet bipolaire âgé

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Annales Medico-Psychologiques xxx (2014) xxx–xxx

G Model

AMEPSY-1815; No. of Pages 4

Communication

Le lithium chez le sujet bipolaire age

Lithium use in elderly patients with bipolar disorder

Frederic Limosin a,*,b,c

a Service de psychiatrie de l’adulte et du sujet age, hopital Corentin-Celton, groupe hospitalier hopitaux universitaires Paris Ouest, Assistance publique–

Hopitaux de Paris (AP–HP), 4, parvis Corentin-Celton, 92130 Issy-les-Moulineaux, Franceb Universite Paris Descartes, Sorbonne Paris-Cite, 75006 Paris, Francec Inserm, U894, centre de psychiatrie et neurosciences, 75014 Paris, France

I N F O A R T I C L E

Historique de l’article :

Disponible sur Internet le xxx

Mots cles :

Demence

Effet secondaire

Prevalence

Sel de lithium

Sujet age

Trouble bipolaire

Keywords:

Bipolar disorder

Dementia

Elderly

Lithium citrate

Prevalence

Side effect

R E S U M E

Compte tenu de l’impact deletere majeur des troubles psychiatriques chez le sujet age, que ce soit en

termes de morbi-mortalite, notamment suicidaire, ou d’alteration de la qualite de vie et des capacites

d’autonomie, dedier une offre de soins specifique a cette tranche d’age est une priorite de sante publique.

Dans le cas des troubles bipolaires, on constate aujourd’hui une sous-prescription du lithium chez le

sujet age, alors meme qu’il s’agit d’une alternative therapeutique recommandee dans cette tranche d’age.

S’il est vrai que les donnees d’efficacite chez le sujet age souffrent d’un manque d’etudes controlees

specifiques, le profil de tolerance du lithium chez le sujet age, notamment sur le plan renal, ne justifie pas

une telle sous-utilisation. De surcroıt, les proprietes anti-inflammatoires et neuroprotectrices du lithium

en font une strategie medicamenteuse susceptible de limiter la survenue et/ou le developpement de

certains processus neurodegeneratifs survenant au cours du vieillissement.

� 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves.

A B S T R A C T

Regarding the burden of mental disorders in elderly patients, including morbidity and mortality,

especially by suicide, and impairment of quality of life and functional autonomy, there is a need to take

into account special health care needs of elderly persons. In bipolar disorders, lithium tends to be under-

prescribed in elderly patients, while it is still a first line choice in guidelines. If it is true that there is a lack

of controlled studies on effectiveness of lithium in elderly patients, available data from lithium side

effects, especially on renal function, don’t justify this under-utilization. Moreover, anti-inflammatory

and neuroprotective effects of lithium may be of particular interest in ageing, in preventing and/or

controlling the occurrence of some neurodegenerative process.

� 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Disponible en ligne sur

ScienceDirectwww.sciencedirect.com

1. Introduction

La prise en charge des troubles psychopathologiques du sujetage represente un enjeu majeur de sante publique. Les troublespsychiatriques sont en effet frequents chez le sujet age, notam-ment la depression, avec des chiffres de prevalence depassant 40 %chez les sujets de plus de 75 ans institutionnalises. Or les troublesmentaux constituent l’une des premieres causes de morbidite et demortalite prematuree chez le sujet age, et representent les troiscinquieme des sources d’incapacite liees au vieillissement.

* Correspondance.

Adresse e-mail : [email protected].

Pour citer cet article : Limosin F. Le lithium chez le sujet bipolaire

j.amp.2014.02.014

0003-4487/$ – see front matter � 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves.

http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2014.02.014

De surcroıt, en Europe, c’est chez les personnes agees que letaux de suicide est le plus eleve (en 2005, de 16,4 a 22,9 pour100 000), les suicides de la population des 60 ans et plusrepresentant 30 % du total des suicides. Ce taux augmente avecl’age et c’est parmi les hommes de plus de 85 ans que le suicide estle plus frequent (six a sept fois plus que les hommes ages de 15 a24 ans). En France, entre 2002 et 2003, les taux de suicide etaientde 60 pour 100 000 hommes de 75 a 84 ans et de 124 pour100 000 hommes de 85 ans ou plus.

2. Prevalence et incidence du trouble bipolaire chez le sujet age

Meme si la majorite des cas de trouble bipolaire sontdiagnostiques avant 35 ans, 15 a 20 % le sont apres l’age de

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55 ans [2]. La prevalence ponctuelle du trouble bipolaire chez lessujets ages est plus faible que celle retrouvee chez les sujets plusjeunes, estimee a 4 % en population generale [13]. Dans lalitterature internationale, la prevalence ponctuelle en populationgenerale du trouble bipolaire chez les sujets ages de 65 ans etplus se situe en effet entre 0,25 et 1,03 % [11,29]. En France,l’enquete epidemiologique ESPRIT (Enquete de Sante Psycholo-gique-Risques, Incidence et Traitement), realisee aupres de1873 sujets ages d’au moins 65 ans, a retrouve une prevalenceponctuelle de 0,4 % [22]. Les principales hypotheses avanceespour rendre compte de cette moindre prevalence sont l’effetcohorte imputable a la surmortalite prematuree des sujetspresentant un trouble bipolaire (non seulement due au suicide,mais egalement a une surmortalite precoce par causesnaturelles) ; un certain degre d’amendement symptomatiquedu trouble avec le vieillissement et la plus grande difficulte aposer le diagnostic de trouble bipolaire chez le sujet age, comptetenu des comorbidites pouvant se surajouter (au premier rangdesquelles les alterations cognitives liees aux pathologiesneurodegeneratives), mais aussi d’une certaine inadequationdes criteres diagnostiques elabores pour evaluer les sujetsadultes et ne prenant donc pas suffisamment en compte lescaracteristiques evolutives liees a l’age. Il faut egalement noterque le sex-ratio du trouble bipolaire chez le sujet age indique unepredominance feminine (deux pour un) [7]. Une etude epide-miologique longitudinale americaine realisee entre 2000 et2005 retrouvait une incidence sur trois ans du trouble bipolairede type I de 0,54 % (SE = 0,09) dans une cohorte de 8012 sujetsages d’au moins 60 ans, et du trouble bipolaire de type II de 0,34 %(SE = 0,06) [5].

3. Caracteristiques cliniques du trouble bipolaire chez le sujetage

La presence de symptomes psychotiques lors des episodesthymiques apparaıt aussi frequente chez les sujets bipolaires agesque chez les sujets plus jeunes, mais les episodes maniaques sontglobalement de moindre intensite que chez ces derniers [7]. Enrevanche, chez le sujet bipolaire age, on retrouve davantage deformes a cycles rapides et moins de tentatives de suicide [21].

Plusieurs auteurs ont propose un demembrement phenotypi-que du trouble bipolaire en fonction de l’age de debut du trouble[4,19]. Classiquement, on distingue les troubles bipolaires a debutprecoce (early onset bipolar disorder [EOB]) des formes a debuttardif (late onset bipolar disorder [LOB]), l’age seuil retenu etant leplus souvent 50 ans. Bien que la valeur heuristique de ladichotomie EOB et LOB reste discutee [16], ces deux sous-typespresentent certaines caracteristiques cliniques et evolutivesdistinctes. En 2004, une revue de la litterature retrouvait unsex-ratio equivalent entre EOB et LOB. Selon cette meme etude, leLOB etait associe a une moindre concentration familiale du troubleet a davantage de comorbidites neurologiques [7]. Les specificitescliniques selon l’age de debut restent discutees [16]. Pour Sajatovicet al., les episodes maniaques sont moins frequents et de moindreseverite chez les patients presentant un LOB comparativement auxformes a debut plus precoce, avec en outre une humeur plussouvent irritable qu’exaltee [23]. Certains auteurs ont rapporte une

Tableau 1Strategies therapeutiques pour le sujet bipolaire age [18].

Episode maniaque Episode de

1re ligne Lithium (Li) ou anticonvulsivant (AC) AC ou AC +

2e ligne Antipsychotique de deuxieme generation (AP2G) ou AC + AP2G Li ou Li + a

3e ligne ECT AP2G ou AP

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plus grande frequence des episodes mixtes chez les patientspresentant un LOB [27], alors que d’autres etudes ont retrouvel’inverse [24]. Une recente etude prospective ayant compare surdeux ans le devenir de patients au decours d’un episode maniaquea montre que les sujets LOB atteignaient la remission et sortaientde l’hopital dans des delais plus courts que les patients EOB [20].Enfin, Schurhoff et al. ont montre que les episodes a debut tardifetaient associes a un meilleur taux de reponse au lithium [24].

4. Evolution des prescriptions de lithium chez le sujet age

Bien que le lithium ait ete longtemps considere comme letraitement de reference, les habitudes de prescription ontprogressivement evolue en faveur de l’acide valproıque dans laprise en charge des troubles bipolaires du sujet age. Au Canada,dans l’Ontario, entre 1993 et 2001, le nombre annuel de nouvellesprescriptions de lithium chez les patients ages de plus de 65 ans achute de 653 a 281, tandis que pour celles d’acide valproıque lenombre a augmente de 183 a 1090 [25]. Pourtant, van Melick et al.(2012) [30] ont montre, sur une periode se situant entre 1996 et2008, que chez les patients ages traites par lithium, on retrouvaitmoins de co-prescriptions et pas plus d’arrets ou de substitutionsque dans les autres tranches d’age.

Quoi qu’il en soit, les recommandations de bonne pratiqueactuelles continuent de preconiser l’utilisation de lithium chez lesujet bipolaire age. C’est notamment le cas des recommandationsfrancaises [18] (cf. Tableau 1).

5. Donnees de pharmacocinetique

Lors de l’avancee en age, du fait de l’augmentation du volumegraisseux et de la diminution du volume musculaire et du volumed’eau, on constate une diminution du volume de distribution. Orcette diminution, concomitante d’une diminution du taux defiltration glomerulaire et donc de la clairance renale, explique queles concentrations seriques therapeutiques de lithium soientobtenues avec des posologies plus faibles que chez l’adulte plusjeune [28].

De meme, l’augmentation de la demi-vie d’elimination et lasurvenue d’effets neurotoxiques a des doses plus faibles que chezl’adulte ont incite certains auteurs a recommander des concentra-tions plasmatiques therapeutiques plus basses, de 0,4 a 0,7 mEq/L[10].

6. Donnees d’efficacite et de tolerance

Concernant l’efficacite du lithium chez le sujet age bipolaire, onne dispose pas d’etude controlee randomisee specifique, que ce soitdans le traitement curatif des etats d’excitation maniaque ouhypomaniaque, ou dans la prevention des rechutes. Quelquesetudes non controlees retrospectives, ainsi qu’une analyse post-hoc de donnees issues d’un essai en double insu sont neanmoins enfaveur de son efficacite et de sa tolerance chez le sujet age bipolaire[3,6]. Concernant les effets indesirables rapportes de faconretrospective, une incidence plus elevee des effets indesirablesmoderes a severes a ete retrouvee chez le sujet age comparative-ment aux sujets plus jeunes (p < 0,02) [26]. Une autre etude

pressif Phase de prophylaxie

AD ou ECT Li ou AC ou poursuite du traitement efficace en phase aigue

ntidepresseur (AD)

2G + AD

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retrospective sur sept ans a montre que l’effet indesirable le plusfrequemment rapporte parmi 114 personnes agees presentant untrouble de l’humeur traitees par lithium etait la confusion (19,3 %)[14].

Rej et al. [21] se sont specifiquement interesses aux complica-tions renales, en analysant 96 articles ayant porte sur des patientsages d’au moins 65 ans. L’incidence de l’insuffisance renale aigueetait de 1,5 % par personne-annee, avec comme principaux facteursde risque la prescription de diuretiques et/ou d’inhibiteurs del’enzyme de conversion (IEC), la prevalence de l’insuffisance renalechronique de 1,2 % a 34 %, les facteurs de risque etant l’age, lesurdosage en lithium, la polyurie et les antecedents d’alterationsde la fonction renale ; enfin la prevalence du diabete insipide sesituait entre 1,8 % et 85 %, les facteurs de risque etant la duree dutraitement, la posologie, la forme retard et l’absence de reponseclinique. Au total, les auteurs concluent a ce que la frequence deseffets indesirables renaux chez le sujet age ne justifie pas d’autantpeu recourir au lithium.

Concernant l’hypercalcemie et l’hyperparathyroıdie induites, ils’agit de l’effet indesirable le plus souvent asymptomatique, dont lafrequence est mal connue chez le sujet age. Or, chez le sujet age ceteffet secondaire est susceptible d’etre plus grave, surtout si coexisteune alteration de la fonction renale. C’est dans ce contexte queLehmann & Lee [17] ont realise une analyse systematique des casrapportesdanslalitterature.Leursresultatsmontrentque40%descasrapportes concernaient des sujets de plus de 60 ans, et que lesconcentrationsseriquesdecalciumetaientsuperieureschezlessujetsde plus de 60 ans comparativement aux sujets plus jeunes. Il convientdonc d’etre particulierement vigilant et de realiser une surveillancereguliere de la calcemie chez le sujet age traite par lithium.

7. Lithium et risque de demence

Kessing et al. ont montre en 2008 que le nombre deprescriptions de lithium dont un patient a pu beneficier au coursde sa vie etait associe a un moindre risque de developper unemaladie d’Alzheimer [15]. A partir de ces resultats, plusieursequipes ont tente de determiner par quel(s) mecanisme(s) lelithium pourrait avoir un role protecteur sur ce type de maladieneurodegenerative.

Il a ete montre que chez l’animal et sur des modeles de culturecellulaire, le lithium augmente la survie neuronale par differentsmecanismes : inhibition de l’apoptose, regulation de l’autophagie,augmentation du fonctionnement mitochondrial, augmentation dela synthese de facteurs neurotrophiques [8].

Chez l’homme, les effets neuroprotecteurs du lithium pour-raient etre medies par : augmentation de l’expression des genesanti-apoptose, inhibition du stress oxydatif cellulaire, synthese debrain-derived neurotrophic factor (BDNF), epaississement cortical,augmentation de densite de la matiere grise, augmentation duvolume de l’hippocampe, inhibition de la glycogen synthase kinase-

3 beta (GSK-3) [8].Sur le plan clinique, il est beaucoup plus complexe de mettre en

evidence le role benefique du lithium sur la diminution du risquede maladie d’Alzheimer. Les etudes realisees a ce jour sont de faitcontradictoires. Ainsi l’etude de Hampel et al. [12] n’a retrouve, adix semaines de traitement, aucun effet du lithium, que ce soit surl’activite de la GSK-3, sur les biomarqueurs doses dans le LCR, ousur le score a l’echelle Alzheimer’s Disease Assessment Scale(ADAS-Cog). A l’inverse, Forlenza et al. [9], dans une etude endouble insu ayant teste le lithium versus placebo chez des patientspresentant un deficit cognitif leger ou « mild cognitiveimpairment » (MCI), ont mis en evidence, apres 12 mois detraitement, que le lithium ralentissait la progression des altera-tions cognitives et fonctionnelles, et diminuait l’hyperphosphor-ylation de la proteine Tau (diminution des concentrations de P-tau

Pour citer cet article : Limosin F. Le lithium chez le sujet bipolaire

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dans le LCR (p = 0,03)). Or cette diminution de l’hyperphosphor-ylation de la proteine Tau est justement un processus clef ducontinuum MCI ! MA.

8. Effets anti-inflammatoires du lithium

Lors du vieillissement survient une dysregulation des cellulesdendritiques a l’origine d’une diminution des reponses immuni-taires aux infections, et une augmentation des reactions auto-immunes chroniques de bas grade avec synthese de cytokines pro-inflammatoires (CPI) et de chemokines (CK). Or les CPI et les CKexercent une toxicite cellulaire et jouent par ce biais un role dans lavulnerabilite a differentes pathologies somatiques, dont la maladied’Alzheimer, l’hypertension arterielle, l’atherosclerose, le diabeteet le cancer. Chez l’adulte, l’Interleukine 10 (IL10) a un puissanteffet anti-production de CPI et de CK. Mais chez le sujet age, laproduction d’IL10 diminue.

De surcroıt, il a ete montre que le mecanisme d’action du Li surla diminution des reponses inflammatoires differe entre sujetsjeunes et sujets ages. A l’inverse des sujets jeunes, le lithium estincapable d’induire une production d’IL10 chez le sujet age, mais ildiminue la secretion de TNF-a et d’IL6 par les cellules dendritiques[1].

9. Conclusion

De moins en moins prescrit chez le sujet age, le lithium figureneanmoins parmi les strategies therapeutiques recommandeesdans la prise en charge du trouble bipolaire dans cette tranched’age. Meme si l’occurrence de certaines complications impliqueune surveillance particuliere chez le sujet age, comme l’hypercal-cemie, le profil de tolerance du lithium ne justifie pas une tellesous-utilisation. En revanche, concernant les donnees d’efficacitedu lithium chez le sujet bipolaire age, force est de constater unmanque d’etudes controlees specifiques. Enfin, par ses proprietesanti-inflammatoires et neuroprotectrices, le lithium constitue unealternative therapeutique susceptible de limiter la survenue et ledeveloppement de certains processus neurodegeneratifs.

Declaration d’interets

L’auteur declare ne pas avoir de conflits d’interets en relationavec cet article.

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