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Le livre XIII des « Confessions » I. IMPORTANCE GÉNÉRALE DU DERNIER LIVRE L/unité des Confessions a été mise eu doute par ceux qui insistent sur l'histoire, ou ceux pour qui la confession est avant tout un aveu de fautes, même s'il est fait en esprit de louange et de reconnaissance. Ces deux positions sont intenables, car elles mettent au second plan la vie spirituelle. Voilà, sans aucun doute, le trait prédominant et caractéris- tique de l'ouvrage, livre de prière avant tout, pur écho des entretiens pieux de l'évêque avec Dieu, guide aussi pour les autres en cet exercice, comme l'insinue l'auteur lui-même dans les Révisions (II, c. vi, i). L/origine bibli- que du mot et l'usage qui en est fait invitent à mettre l'accent sur la louange divine, et, si l'on y est fidèle, le problème de l'unité ne se pose pas de façon aiguë. Or, ce n'est pas seulement au livre X, notamment c. i-v, 1 -7, que l'accent est mis sur la louange. Il est prédominant dès le début et les premiers chapitres du livre I ne font presque aucune allusion à la vie de péché de l'auteur. C'est la louange qui domine dans la plus grande partie de l'ouvrage. Cette louange a partout un caractère très élevé, non seulement sur le plan doctrinal, mais sur le plan spirituel ; elle est l'effusion d'une âme toute remplie de Dieu et soumise à l'action de l'Esprit-Saint. Ce trait n'est pas toujours assez remarqué, et de là viennent maintes équivoques. Certains ne voient que lyrisme humain et littérature en ces pages qui sont, cependant, toutes pleines de Dieu perçu comme présent et vivant en l'âme, ce qui est un fruit éminent de la grâce. Saint Augustin lui-même a maintes fois analysé cette expérience religieuse et il l'a expliquée par une action éminente du Saint-Esprit. Or, précisément, le dernier livre des Confessions est tout entier consacré à ce sujet et on ne l'a pas généra- lement assez relevé. Nous voudrions en ces pages combler cette lacune et montrer, qu'en fait, le livre XIII des Confessions est comme une longue description, enthousiaste, souvent lyrique, des interventions de l'Esprit de Dieu dans la vie chrétienne, surtout parfaite. Ce thème, qui est capital, est souvent resté dans l'ombre, parce que certains auteurs ne retiennent comme valable qu'une explication théolo- gique stricte, laquelle ici est souvent voilée, sinon absente. D'autres n'y voient qu'un raffinement de lettré, attiré par le « jeu des allégories », comme s'exprime P. de I^abriolle, qui, du reste, se garde de négations

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Le livre XI I I des « Confessions »

I. IMPORTANCE GÉNÉRALE D U DERNIER LIVRE

L/unité des Confessions a été mise eu doute par ceux qui insistent sur l'histoire, ou ceux pour qui la confession est avan t t ou t un aveu de fautes, même s'il est fait en esprit de louange et de reconnaissance. Ces deux positions sont intenables, car elles met ten t au second plan la vie spirituelle. Voilà, sans aucun doute, le t ra i t prédominant et caractéris­tique de l 'ouvrage, livre de prière avan t tout , pur écho des entretiens pieux de l'évêque avec Dieu, guide aussi pour les autres en cet exercice, comme l'insinue l 'auteur lui-même dans les Révisions (II , c. vi, i ) . L/origine bibli­que du mot et l 'usage qui en est fait invi tent à met t re l 'accent sur la louange divine, et, si l 'on y est fidèle, le problème de l 'unité ne se pose pas de façon aiguë. Or, ce n 'est pas seulement au livre X, no t ammen t c. i-v, 1 - 7 , que l 'accent est mis sur la louange. I l est prédominant dès le début et les premiers chapitres du livre I ne font presque aucune allusion à la vie de péché de l 'auteur. C'est la louange qui domine dans la plus grande par t ie de l 'ouvrage.

Cette louange a pa r tou t un caractère très élevé, non seulement sur le plan doctrinal, mais sur le plan spirituel ; elle est l'effusion d 'une â m e toute remplie de Dieu et soumise à l 'action de l 'Esprit-Saint . Ce t r a i t n'est pas toujours assez remarqué, et de là viennent maintes équivoques. Certains ne voient que lyrisme humain et l i t téra ture en ces pages qui sont, cependant, toutes pleines de Dieu perçu comme présent et v ivan t en l'âme, ce qui est u n fruit éminent de la grâce. Saint Augustin lui-même a maintes fois analysé cet te expérience religieuse et il l 'a expliquée par une action éminente du Saint-Espri t . Or, précisément, le dernier livre des Confessions est t ou t entier consacré à ce sujet et on ne l'a pas généra­lement assez relevé. Nous voudrions en ces pages combler cet te lacune et montrer, qu 'en fait, le livre X I I I des Confessions est comme une longue description, enthousiaste, souvent lyrique, des intervent ions de l 'Espri t de Dieu dans la vie chrétienne, sur tout parfaite.

Ce thème, qui est capital, est souvent resté dans l 'ombre, parce que certains auteurs ne re t iennent comme valable qu 'une explication théolo­gique stricte, laquelle ici est souvent voilée, sinon absente. D 'aut res n ' y voient qu 'un raffinement de let tré, a t t i ré par le « jeu des allégories », comme s'exprime P . de I^abriolle, qui, du reste, se garde de négations

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outrées. La réalité est tou t autre . Pa r delà les allégories et les évocations dogmatiques certaines, il y a, en ces pages, une vraie doctrine spirituelle, qui est le couronnement de tou t l 'ouvrage. On sait qu 'August in est coutu-mier du fait. Le De magistro est un long exercice préparant , de très loin, le lecteur à une doctrine condensée en quelques pages au chapitre x iv , n.45-46. Le De quantitate fait de même pour exposer les diverses activités de l 'âme groupées dans les derniers chapitres, x x x i i i - x x x v i , 70-81. Les cinq premiers livres du De musica sont une large introduction à la philosophie du livre VI. Tous ces t rai tés sont des œuvres de jeunesse; mais le De Trinitate, qui est de la grande matur i té de l 'auteur, procède de même, au moins dans la seconde part ie. Ces remarques expliquent assez la méthode employée dans les Confessions.

Ici, les neuf premiers livres pourraient être considérés comme une monumentale, mais véritable introduction, de 134 chapitres, chiffre qui sera dépassé de dix par les quatre derniers livres de l 'ouvrage, car chacun de ceux-ci est fort compact. Cependant, il paraî t plus normal d 'y voir une vraie première partie, saris détr iment pour l 'unité. L 'auteur choisit ses premiers thèmes de réflexion dans ses expériences de jeunesse, jusqu'à, t rente-deux ans, mais les considérations qu'elles provoquent sont bien celles d 'Augustin écrivant dix ans après sa conversion. D'où leur affinité profonde, en dépit des apparences, avec celles des livres où l 'auteur se décrit tel qu'il est à ce moment de sa vie. L 'uni té de l 'ouvrage est donc à chercher là, dans cet te analyse d 'âme du nouveau prélat. I l est écrasé par sa charge, soit qu'il se rappelle ce qu'il fut (livres I - IX) , soit qu'il se considère tel qu'il est ou se croit être (livre X) , ou qu'il cherche ce qu'il peut réaliser pour être le porte-parole de ce Dieu dont il a une si hau t e idée, car voilà le thème (livres X I - X I I I ) , qui achève l 'ouvrage.

Les dernières lignes du livre X, c. x l i i i , 70, décrivent de façon très émouvante les inquiétudes d 'âme qu 'éprouva Augustin au début de son épiscopat, en considérant les grandeurs de sa charge. On ne voit là d'or­dinaire qu 'un rappel de sa conversion lointaine. Mais tou t le contexte s'y oppose. L'évêque vient d'évoquer, avec une humilité qui a quelque chose d'héroïque, car il ne s'agit plus d 'un passé lointain, mais d 'un é ta t présent, les mouvements intérieurs désordonnés qu'il éprouve en son être profond, et même s'il les réprouve, il n 'en est pas moins humilié par cet te misère ; d 'où une tenta t ion de « fuite en quelque solitude », formule qui ne répond pas à l 'ancien projet longuement étudié de vie retirée avec des amis pour la recherche de la sagesse, projet qui .peut , de fait, être réalisé à Cassiciacum, à Tagaste, puis à Hippone même. I l parle mani­festement ici d 'aut re chose que d 'une retrai te organisée : c'est d 'une vraie fuite qu'il s 'agit 1 . E t le projet est signalé.à la fin du livre X , qui est

1. Conterritus peccatis meis et mole miseriae meae, agitavéram corde méo meditàtusqué fueram fugam in solitudinem. Confess.; X, X L m , 70.

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consacré à l'état présent de son âme, sur lequel l 'auteur vient d'insister avec une sévérité purifiante, mais apparemment outrée. Cette rigueur, fruit sans doute de hautes lumières surnaturelles, t rouva d'ailleurs son contrepoids en d'autres directives intérieures centrées sur le mystère du Christ, qui a précisément été évoqué par August in en conclusion de son sévère examen de conscience, ch. x u i , 67, et x u n , 68-69. E t voici la réponse du saint : « Cela (la fuite), vous me l 'avez défendu, et vous m 'avez réconforté, en me disant : Jus tement , le Christ est mort pour tous, pour que ceux qui v ivent, désormais ne v ivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort pour eux. Voi là, Seigneur : je jette en vous toute mon inquiétude, pour avoir la vie ». (Ibid., 70) .

Cette décision prise, saint August in se tourne vers D ieu , en particulier vers le Christ, « l 'Unique » Fi ls de D ieu , « en qui.sont cachés tous les tré­sors de la sagesse et de la science », et qui nous a sauvés. Ces trésors, il va les considérer en leur source même, d'où peut venir à l'apôtre la force supérieure dont il a besoin pour remplir sa mission. L a parole sacrée, adressée par D ieu à l'humanité, à travers l 'Ecri ture, est réduite ici à quelques textes, mais ils sont poussés à fond par le saint, qui v a s'attacher à chacune des trois Personnes, soit groupées, soit envisagées séparément. I l arrive ainsi à la vraie substance spirituelle du divin Mes­sage, envisagé de très haut.

Les premiers mots du texte inspiré, « In firincifito creavit », suffisent à alimenter tout le, livre X I . C'est le Père, Créateur de l 'Univers, qui est le plus directement en vue, bien que le Verbe y paraisse souvent, à cause de la part que lui reconnaît saint Jean dans la création d'abord, puis dans la manifestation de Dieu. I l est particulièrement évoqué à propos du temps, réalité par où la nature se distingue le plus de D ieu et par où elle peut aussi s'en rapprocher en quelque manière, 1 , 1 .

L e livre X I I expliquant l'objet général de la création, le ciel et la terre (cœlum et terrant), pose encore u n problème fondamental à propos de la matière et l'étude du temps est reprise ici à des points de vue nouveaux, très divers, montrant la transcendance de D ieu et celle du monde angé-lique, symbolisé par le ciel et le « ciel du ciel », c. 11-x i v , 2 - 1 7 . Ici saint Augustin aborde un autre sujet qui n'a pas, avec le précédent, de lien direct, mais qui lui est rattaché par un pur artifice, à base de symbo­lisme : le firmament étoile représente l 'Ecr i ture, par laquelle Dieu nous parle et très spécialement le Verbe, la Vérité, dont les saints L iv res portent les messages destinés à la sanctification des hommes, X V - X X X I I , 18-43. Les principes d'exégèse que pose ici August in sont fort complexes et certains ont pu être discutés, d 'autant que l'auteur ne les donne pas tant pour des règles définitives que comme des suggestions. E n terminant il évoque le Saint-Espr i t , auquel il consacrera d'ailleurs tout le dernier livre.

Surpris lui-même par l'abondance des réflexions qu'il a multipliées à

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propos des premiers mots de la Genèse, l 'auteur tourne court et pose, à propos des six jours de la création, les principes qui, à ses yeux, vont éclairer tou te l 'Ecri ture. Ils se réduisent à la révélation concrète de l 'Esprit-Saint, qui a pour mission d'éclairer intérieurement les Saintes Ecritures aux yeux des chrétiens fervents. Tel sera, en effet, le thème général du livre X I I I . Dès le début de cet te part ie nouvelle, dont l'im­portance théologique est capitale, l 'auteur en donne en quelque sorte la clé. La doctrine va reposer sur une t r ame biblique et il est bon d'en fixer ici, à l 'avance, les grandes lignes ; il faudra d'ailleurs les dépasser pour suivre le vrai déroulement de la pensée.

E n cet Hexaméron spirituel, le premier et le dernier jour sont part i­culièrement développés, les quatre autres formant une sorte de partie moyenne, assez homogène d'ailleurs. L 'œuvre du premier jour, la lumière,' est la plus largement traitée, dans les chapitres III-XIV, 4-15 : elle forme une sorte de part ie fondamentale, sur laquelle reposera tou te la suite. De fait, Fauteur va se borner à de brèves notat ions sur l 'activité des quatre jours suivants : il évoque le firmament, œuvre du deuxième jour, c. x v - x v n , 16-19 ; les eaux et la terre féconde, œuvre du troisième jour, c. xvi i , 20-21 ; les astres, œuvre du quatr ième jour, c. XVIII-XIX, 22-25 '> les êtres vivants produits au cinquième, peuplant les airs et la mer, c. x x , 26-28. Pa r contre, il s 'arrête très longuement sur l 'œuvre du sixième jour, l 'homme, être complexe, corps et esprit, en qui la vie se présente comme l 'achèvement de l 'œuvre divine dans le monde, d 'où l 'ampleur des sug­gestions, c. x x i - x x v n , 28-42. Trois séries de réflexions générales vien­nent clore l'exposé : deux sur l 'ensemble de l 'œuvre divine, et une autre sur la paix éternelle, à propos du repos du septième jour.

Cette évocation de la vie éternelle sur laquelle s 'achèvent les Confes­sions est, à sa manière, une indication de l'idéal qui a t t i ra i t l 'auteur en ses larges exposés spirituels, car voilà ce qui donne à son ouvrage sa valeur unique : t ou t y est orienté vers la vie divine participée. Le livre X I I I en présente comme une synthèse supérieure, avec insistance sur la vie parfaite des chrétiens pleinement soumis à l 'Esprit-Saint. C'est à ce point de vue qu'il faut se placer pour le comprendre jusqu 'en ses pro­fondeurs. C'est aussi par cette voie qu 'on peut a t te indre le fond de la pensée augustinienne qui s'affirme dans les grands chefs-d'œuvre du saint et dont les meilleurs maîtres spirituels de l'Eglise d'Occident se . sont inspirés depuis quinze siècles.

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IL CONTENU DOCTRINAL D U LIVRE XIII

Haute miss ion du Saint-Esprit dans la vie chrétienne.

L e thème dominant du livre X I I I est, sans conteste, l'action eminente du Saint-Espr i t dans l'âme appelée à la vie divine. L e texte biblique commenté fournit un cadre à cet exposé, mais il faut le dépasser et se tenir constamment sur le plan supérieur de la vie chrétienne, avec ten­dance même à se fixer sur les hauteurs de cette vie. T o u t alors devient clair en ces pages souvent énigmatiques. Les symboles déployés alors ne sont plus un « jeu », mais l 'appui normal d'une doctrine très élevée et très riche, exposée dans le cadre du premier chapitre de la Genèse, mais consacrée à de tout autres réalités que celles du texte pris à la lettre. Saint August in ici spiritualise sans scrupule, d 'autant qu'il a conscience d'exposer, à propos de la lettre, une théologie d'une très large envergure.

Ainsi envisagé, en ses tendances doctrinales profondes, le livre X I I I constitue une synthèse remarquable sur le rôle du Saint -Espr i t dans l'âme du baptisé, et particulièrement en celui qui s'est élevé par degrés à une parfaite docilité à l'action de la grâce dont le Saint-Espr i t a la garde et la responsabilité courante. D ' o ù les divisions suggérées ici pour marquer le progrès de la pensée :

A . Thème fondamental, à propos du premier jour : principes touchant le Saint-Espr i t , en Dieu et dans les créatures spirituelles, n i - x i v , 4-15.

B. Applications diverses à la vie chrétienne, à propos des jours 2 à 5 : série des grands moyens de sanctification, x v - x x , 16-20.

C Description du chrétien parfait, à propos du sixième jour : exposé des activités supérieures du chrétien conduit par l 'Espr i t divin, x x i -x x v n , 29-42.

D . Aspects divers de la perfection, d'après les compléments qui achèvent de fixer, par les sommets, les orientations intérieures de l 'œuvré, x x v i n -x x x i v , 43-53-

.Mani festement, la trame générale du livre est beaucoup plus spiri­tuelle qu'exégétique : l 'Ecr i ture Sainte est ici, pour l'auteur, une simple occasion d'exposer, dans un ordre donné par ailleurs, une doctrine qui a sa valeur propre et dont l 'Ecr i ture est bien la source, au moins en d'au­tres textes : ceux du présent chapitre ne fournissent rien de plus qu 'un moyen d'exposition doctrinale. Mais le cadre est très riche et il mérite qu'on l'examine de près. E n réalité, c'est une synthèse abrégée de haute spiritualité, doctrinale et v ivante, l'une des plus riches que nous ait laissées l'antiquité, souvent sous la forme lyrique et entraînante qui caractérise les plus belles pages des Confessions.

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A . L E T H È M E F O N D A M E N T A L : I -XIV, I -15.

L a méditation d'August in s'arrête ici spécialement au Saint-Espr i t , mais il se garde d'oublier les deux autres Personnes divines. L e Père, Créateur, est, dès les premières lignes, invoqué avec un amour où le respect se fond dans la tendresse (c. 1, 1 ) , unie à l'humilité de l'être tiré du néant, 11, 2. L e Fi ls, Verbe éternel, est évoqué aussitôt comme lumière des esprits, qui doivent s'unir à Dieu sous peine de tomber dans l'esclavage du péché, œuvre des ténèbres, 11, 3. Cette évocation du Père et du Fi ls conduit à la première œuvre de Dieu, la lumière, en fait les esprits : en eux v a régner spécialement l 'Espri t-Saint, et, par là, l'auteur des Confessions aborde la troisième Personne, en qui s'achève le mystère de la Trini té, ii i-v, 4-6.

L a créature spirituelle n'est vraiment lumière que par l'illumination surnaturelle et celle-ci est un don gratuit de D ieu : cela n'est dû qu'à la grâce 2. Ce don n'a pas été accordé par suite d'indigence en Dieu, mais par un effet de sa plénitude dans l'ordre du bien. Celle-ci est exprimée par l 'Ecri ture elle-même quand elle dit de l 'Espr i t qu'il « se mouvait au-dessus des eaux » (Gen., 1, 2). C'est lui qui a pour mission de perfec­tionner les créatures en les unissant à Dieu, leur principe, fin suprême de leur activité, car l'esprit créé doit « v ivre de plus en plus près de la Source de vie, voir la lumière dans sa lumière (ps. 35, 10), pour être et parfait et lumineux et bienheureux » (c. i v , 5). L 'au teur ne fait pas ici une exégèse littérale, mais donne une application spirituelle à base de théologie. L'ensemble de l'exposé v a se tenir à ce niveau, qui n'exclut pas un sens littéral, mais ne le recherche pas, pour s'attacher exclusi­vement à des applications morales, fondées sur le mystère des condes­cendances gratuites de D ieu vis-à-vis des créatures spirituelles.

L a personne du Saint-Espr i t est ainsi mise au premier plan des préoc­cupations de l'auteur, comme y furent le Père et le Verbe dans les deux livres précédents. Ce point de vue est capital et il convenait de noter ici précisément la place que tient cette nouvelle Personne dans le mystère trinitaire. Ce premier chapitre de l 'Ecri ture porte une thèse aux yeux d'August in : la mission sanctificatrice de la Troisième Personne, car on doit être D ieu pour la remplir efficacement. Ailleurs, le saint étudiera les Trois Personnes d 'un point de vue strictement théologique; ici, il les considère dans leurs relations avec les créatures, et la mission du Saint-Espr i t est, avant tout, sanctificatrice. Te l est le thème essentiel du pré­sent ouvrage. Voyons les modalités de réalisation de la thèse ainsi posée.

Cette mission de l 'Espr i t est envisagée d'abord à un point de vue négatif, peut-on dire, la lutte contré les obstacles à la vie divine. L a mention tardive qui est faite de l 'Espr i t dans la Genèse fournit à saint August in l'occasion cherchée d'expliquer le pourquoi de ce combat qui

2. Non deberet nisi gratiae tuâé. Ibid.\ n i , 4.

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va s'imposer contre les sens (vi, 7 ) . L 'amour saint ne peut surgir et vivre que par la lu t te contre la concupiscence à laquelle est soumis l 'homme ici-bas. Le saint en. parle (vin, 8) avec une émotion qui rappelle maintes descriptions de l'esclavage qu'il subit dans sa jeunesse et dont t ra i ten t les premiers livres des Confessions. Il se borne ici à l 'anti thèse des deux amours : « Que d'analogies ! Que de dissonances ! Il s'agit d'affections, d'amours : impureté de notre esprit qui nous entraîne au fond par amour des aises ; sainteté de votre esprit qui soulève par désir d 'une sécurité supérieure » (vu, 8). Voilà l 'Espri t au-dessus des eaux f L 'au teur s 'arrête à ces lut tes intimes de l 'homme : il en a t a n t souffert (vm, 9) ! mais il insiste plus encore sur la puissance de l 'amour divin quand l 'Espri t-Saint l'enflamme et l 'avive au cœur de l 'homme. D'où ce mot célèbre qui exprime une des thèses capitales de l 'augustinisme : « Mon poids, c'est mon amour : c'est lui qui m'emporte , où que j ' a i l l e 3 » (ix, 10).

Nous voici déjà sur un plan positif et celui-ci va entraîner Augustin vers les hauteurs de la théologie. Il faut d'ailleurs en demander l'intelli­gence à Dieu, source de toute lumière. C'est lui qui a éclairé les bons anges et les a fixés dans l'indéfectible lumière, au point de devenir eux-mêmes « lumière » (ix, 10). L 'homme éclairé par Dieu participe en quelque manière à ces hautes*clartés, et ici saint Augustin, considérant son intel­ligence éclairée par la foi, y t rouve les bases d 'une analogie tr ini taire qui n'avait encore été donnée par personne. Et re , connaître, vouloir : ces trois réalités d 'un unique v ivant peuvent exprimer quelque chose du mystère d 'un Dieu en trois Personnes, pour les âmes qui ont la foi à ce mystère et sur tout qui en vivent de quelque façon par la grâce de l 'Esprit-Saint, comme le suggère tou t le contexte (xi, 12). Précisément, à ce point dé son exposé, saint Augustin s 'unit au Dieu Père, Fils et Saint-Espri t en des mouvements de foi qui sont l 'œuvre même de cet Espri t , par l 'amour qui transfigure cet te ver tu (xn, 13). L'espérance n'est pas oubliée d'ail­leurs ; elle est abondamment recommandée (xra , 14) et même chantée par les propres paroles de l 'Espri t-Saint dans l 'Ecri ture (xiv, 15).

B. L 'CEUVRE D E 4 JOURS A P P L I Q U É E A L A V I E C H R É T I E N N E . X V - X X , 16-28-

La méthode doctrinale adoptée par saint Augustin dans son explication de la Genèse touchant le premier jour va le porter, les bases spirituelles étant posées, à chercher des applications de même ordre aux œuvres décrites dans les autres jours. I l passera d'ailleurs rapidement sur les quatre suivants, qui peuvent, de fait, d 'après ses exposés, se grouper en un tou t homogène : les moyens de sanctification courants accordés par l 'Esprit divin pour la spiritualisation progressive de l 'homme, sur le plan surnaturel évidemment : il s 'agit en effet de le sanctifier, et la vraie

3. Pondus meum amor meus ; eo feror, quocumque fero.r.

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sainteté est u n don gratuit . Le principe de cet te divinisation reste donc le même, le Saint-Esprit , mais les modalités d'action sont ici analysées par le menu, les principales au moins. Suivons-les en les ra t tachant , comme le fait saint Augustin, à chacun des jours qui accompagnent la création de la lumière.

1. L'Ecriture Sainte est figurée, pour Augustin, par le firmament, œuvre du second jour : ch. xv-xvi/16-19. ^ avai t déjà abordé le sujet dans le même sens, au livre X I I , c. x v n et suivants, à propos du ciel et de la terre dont parle le premier verset de la Genèse. Le sujet est repris ici à u n point de vue plus pra t ique : la parole de Dieu est comme u n immense rouleau déployé, 16, sur lequel sont fixées les volontés divines sur nous, chastes oracles qui appellent notre adhésion, 17. Sur un plan supérieur s 'étend un autre espace, le firmament des esprits qui voient Dieu, celui qui éclaire ici-bas les prédicateurs, échos du Verbe venu sur la terre pour nous présenter les vérités célestes, en a t t endan t que nous puissions les contempler là-haut, 18. Toutes ces lumières sont d'ailleurs inférieures à la réalité : Dieu seul est source de lumière, comme il est source de vie, xv i , 19.

2. La distinction des bons et des méchants dans lè monde est symbolisée par la séparation des eaux amères et de l a te r re féconde, décrite au t roi­sième jour : l 'océan représente les passions livrées à leurs appéti ts , mais en des limites bien marquées par des rivages, x v t i , 20, tandis que les terres fécondes dégagées des eaux représentent les actions bonnes que font les serviteurs de Dieu, 21.

3. Les astres du firmament, soleil, lune, étoiles, au quatr ième jour, ouvrent aux yeux d'Augustin, les vastes horizons d'une vie spirituelle éminente, où la contemplation joue un grand rôle : ch. x v i i i - x i x , 22-25. Voici les éléments de ce hau t allégorisme moral et mystique. Le cha­pitre xvi i i décrit l 'action qui prépare la contemplation, c'est-à-dire les vertus purificatrices de l 'âme, pareilles aux lueurs de la nuit et de l 'aurore, 22 ; puis il exalte les dons de sagesse, de science et d'intelligence, 23. Le rôle sanctificateur des ver tus correspondant aux dons inférieurs es t évoqué ensuite, x ix , 24, et t ou t l'exposé s 'achève par une enthousiaste description de l 'apostolat réalisé par les âmes que l 'Esprit de Dieu a ainsi introduites dans la lumière du jour : « O vous, race choisie, vous les faibles de ce monde, qui avez tou t qui t té pour suivre le Seigneur, allez à sa suite, e t confondez les forts ; allez, vos pas sont radieux !... Oh !... courez en t o u t Ken, flammes saintes, flammes splendides ! Vous êtes la lumière du monde ; vous n 'êtes pas sous u n boisseau. Celui à qui vous vous êtes données a été exalté et vous a exaltées. Allez, faites-vous connaî­t r e à tous les peuples 4 , 25 ».

4. Voir Contemplation augustinienne, p. 9 S - 1 0 1 .

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4. Les êtres v ivants énumérés par la Genèse au cinquième jour, vont devenir, chez Augustin, les symboles des moyens de sanctification don t dispose l 'Eglise pour réaliser sa mission sur la terre, x x , 26-28. E n ce seul chapitre, t rès sommairement, il signale deux sortes de réalités matérielles utilisées pour conférer les dons surnaturels aux hommes : les rites sacra­mentels sont ra t tachés aux reptiles qui habi tent souvent dans l 'eau, tandis que les oiseaux sont des messagers des paroles de vie, 26 : c 'est grâce au Verbe de Dieu que ces effets sont produits, 27 ; mais il faut que l 'âme dépasse les objets sensibles pour at te indre la réalité spirituelle qu'ils appor tent , 28. Quelques mots suffisent à évoquer tou t cela, car ici le saint évite de s 'a t tarder . Il va, par contre, insister sur le sixième jour, où, de nouveau, il retrouve les hautes activités que l 'Espri t-Saint exerce dans l 'âme du chrétien parfait.

C. L e six ième j o u r : l e c h r é t i e n soumis a i / E s p r i t - S a i n t .

Comme il l 'avait fait au premier jour, consacré à la lumière et a u Saint-Esprit, saint Augustin va s 'a t tarder au sixième jour, où il considère en l 'homme sorti des mains du Créateur la vie parfaite que le même Esprit vient réaliser ici-bas, au nom du Christ, dans les baptisés soumis à son action. I l est intarissable en ce domaine, où l 'on sent qu'il met une large pa r t d'expérience personnelle, fondée sur le message évangélique sans doute, mais enrichie par la prière. Ne repose-t-elle pas aussi sur u n e fréquentation commencée de fidèles ou des prêtres d'élite qu'il a formés et qu'il a vus à l 'œuvre en divers champs d 'apostolat ? Cette fin des Confes­sions est manifestement u n écho des observations faites par le prêtre e t même par l 'évêque en ses premières activités apostoliques. Certains déve­loppements ne s 'expliquent pas au t rement ; ils sont un fruit manifeste d'une activité tou te consacrée à Dieu, sous l ' inspiration du Saint-Espri t , dont précisément il cherche à décrire les interventions. At tardons-nous à ces pages qui sont t ou t un programme.

Le chrétien v ivant (anima viva) est le baptisé qui s'inspire de sa foi dans sa conduite, x x , 29 : il maîtrise ses passions, qui sont les mou­vements de l 'âme mor te 5 , xx i , 30 ; et il s 'a t tache avec ferveur à l ' imita­tion du Christ, selon l 'enseignement des Evangiles 6 , x x i , 3 1 . Spirituel­lement transformé, non seulement il comprend la vérité.révélée, mais il la contemple, et alors il n ' a pas besoin q u ' u n aut re maî t re la lui mont re 7 , xxi, 32. Ces lumières por tent non seulement sur la morale, mais sur les plus hau t s mystères, no tamment celui des Trois Personnes en Dieu 8

5. Motus sunt animae mortuae. 6. Ut producat terra in fonte vitae animam viventem, in Verbo tuo per evangelistas tuos,

animam continentem imitando imitatores Christi tui. 7. Mente quippe renovatus et conspiciens intellectam veritatem tuam homine demonstra-

tore non indiget, ut suum genus demonstretur. 8. Doces eum jam capacem videre trinitatem unitatis vel unitatem Trinitatis.

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ce sont, avan t tout , des valeurs de jugement qui sont ici en cause, déclare le saint, x x n , 33 ; et il va préciser sa pensée dans un autre chapitre .

Ce nouvel exposé, x x n , 33-34, met l 'accent sur la na ture du jugement, lequel se ra t tache à la sagesse, au sens large du mot, dans l 'ordre surnatu­rel : il est donné à ceux qui obéissent comme à ceux qui commandent 9 . Ce jugement est d 'ordre spirituel et il dépasse, soit le sexe, soit la natio­nalité, soit la condition sociale, 33. A ce jugement personnel ne peuvent être soumis ni les vérités révélées 1 0 , ni les Livres sa in ts 1 1 , ni la Loi divine 1 2 , ni la condition spirituelle ou charnelle des personnes 1 3 et même tous ceux du dehors, car on ignore ce qu'ils deviendront 1 4 , x x m , 33. Il faut, au contraire, lui soumettre, soit les modalités d ' init iat ion sacramentaire 1 5 , soit les rites eucharist iques 1 6 , soit les questions bibl iques 1 7 , soit les lois morales communes 1 8 , soit même le hau t ascétisme 1 9 . Une règle générale est posée en conclusion : le spirituel peut juger là où il a pouvoir d'amen­der 2 0 . Cette double série est absolument remarquable et suppose, chez Augustin, une étude méthodique et réfléchie du sujet. Une telle pré­cision est d ' au tan t plus surprenante qu 'à cette époque, ces problèmes ne semblent pas s'être posés encore de façon aussi technique, en ce domaine encore peu observé par les moralistes. Aussi bien, n'est-ce pas en casuiste qu'Augustin les résout, mais en spirituel et en apôtre commen­t a n t la parole de Dieu.

C'est encore en spirituel, qu'il parle ici de la pluralité des sens bibli­ques 2 1 , xx iv , 35-37. La formule est certes équivoque et même dange­reuse : la véritable exégèse depuis longtemps a réclamé ses droits avec raison. On peut abuser dés suggestions d'Augustin, et le saint lui-même, en est un exemple en maints passages oratoires, auxquels la liturgie a t rop fait écho dans le passé. Mais ces concessions faites, il faut bien obser­ver quel est le fond de la pensée d 'Augustin en ce domaine. Le livre X I I des Confessions est précisément l 'écrit le mieux indiqué pour la connaî­tre . Le saint est t rès préoccupé de la soumission de l 'âme chrétienne aux directions intérieures que lui donne le Saint-Esprit , et voilà pourquoi

9. Spiritales ergo, sive qui praesunt, sive qui obtempérant, spiritaliter judicant, 33. 10. Non (judicant) de cognitionibus spiritualibus quae lucent in firmamento. 11. Non de ipso I,ibro tuo. 12. Factor tamen legis debet esse, non judex. 13. Neque de ilia distinctione judicat spiritalium videlicet atque carnalium hominum. 14. Neque de turbidis hujus saeculi populis. 15. Sive in solemnitate saçramentorum : XJCXI, 34. 16. Sive in ea qua ille Piscis exhibetur, quem... terra pia comedit. 17. Ce sujet, traité au livre XII , va être repris ici même. 18. Approbation du bien, réprobation du mal. 19. Chasteté, jeûne, pieuses pensées, pour autant que cela est perceptible. 20. De his enim judicare nunc dicitur in quibus et potestatem corrigendi habet. 21. Simple reprise sommaire de la théorie exposée au livre XII , c. x x n , 37, et dont il main­

tiendra la substance encore dans la « Doctrine chrétienne », JII , c. x x v n , 38. Voir la note sur ce sujet dans Téd. Œuvres de saint Augustin., vol. 1 i , p. -586-587. .

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il reprend ici le sujet déjà traité au livre X I I du même ouvrage, à un autre point de vue. I l a expérimenté personnellement combien est réelle et efficace l'action intérieure de la grâce : elle suppose la foi, mais elle doit s'épanouir en espérance et en amour envers D ieu et envers le prochain. Or , elle n 'y réussit en perfection que si l 'Espr i t même de Dieu vient ajouter une aide efficace à notre effort. I l croit à la réalité de cette force intérieure divine, qui est un don, mais généreusement offert aux âmes désireuses de s'unir à D ieu en plénitude. Toutes les Confessions sont orientées en ce sens, et le L i v r e X I I I en explicite la doctrine.

L e mysticisme qui, ici, s'affirme, est une vraie force spirituelle, dont les mots de l 'Ecr i ture sont le canal pour les âmes croyantes et aimantes, même si le sens des mots n'est pas toujours bien perçu : leur signification naturelle, sans être niée, est souvent négligée et dépassée. Les sens mys­tiques ainsi conçus sont multiples et infiniment renouvelables, puisqu'ils s'adaptent aux besoins des âmes, selon des règles qui dépassent la lettre et sont d 'un tout autre domaine. L e livre X I I I en est un exemple fort éclairart. O n y trouve un ensemble de principes et d'applications homo­gènes, mais sur un plan supérieur à celui des faits courants, plan direc­tement ordonné au bien spirituel des âmes. Nous ne sommes plus là dans l'histoire ou l'exégèse, mais dans une théologie spirituelle, très personnelle d'ailleurs. Cependant la plupart des âmes soucieuses de vie parfaite peuvent s'y reconnaître et en bénéficier, grâce au contact direct qui peut ainsi s'établir en elles avec D ieu. E n cette méthode, la loi capitale est là soumission au Saint-Espr i t . O n en voit la souplesse et la valeur, plus divine qu'humaine. E l le n'est pas dépourvue de règles, mais il faut les chercher dans les principes mêmes d'une doctrine. L e livre X I I I des Confessions est, à cet égard, un modèle du genre et il ne semble pas qu'on l'ait assez remarqué jusqu'à présent.

Cette préoccupation du spirituel, si intense qu'elle soit, n'empêche pas saint August in de penser aussi au temporel dans la condition du prêtre, qui, de fait, à droit à être aidé en ce domaine. Des analogies très loin­taines permettent à l'auteur d'évoquer, de façon artificielle d'ailleurs, la manière dont les chrétientés fondées par saint Paul , soutenaient leur initiateur, à l'occasion, x x v , 38. S'il a des droits, le prêtre a aussi des devoirs à ce sujet : il doit user des biens corporels en vue de D ieu et en union au Christ, à la manière de l 'Apôtre, x x v r , 39, en pensant aux autres plus qu'à lui-même, Ibid.; 40. L e « don », ou la chose offerte, est bon sans doute, mais bien meilleur encore est le « fruit », c'est-à-dire la volonté bonne et droite de celui qui donne, Ibid., 4 1 , et ce fruit est lié à la joie de l'âme ; d'où sa valeur, « car l'âme ne se nourrit que de ce qu i fait sa jo ie 2 2 », x x v i i , 42 : réflexion profonde, malheureusement voilée par le symbolisme exubérant qui l'encadre. Saint August in recourait à cette

22. Inde quippe animus pascitur unde laetatur.

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154 F, CAYRÉ

méthode de façon systématique et par principe : estimant que l'obscurité des Ecritures avait pour but de stimuler l'activité des lecteurs 2 3, il s'atta­chait à trouver des sens cachés divers en des textes qui ne semblent guère les appeler. Mais ce qui ressort le plus nettement du livre X I I I des Confessions, c'est l'intense vitalité actuelle du Christ, qui anime, par son esprit, tous les chrétiens en état de grâce, mais de façon très spéciale les baptisés avancés en grâce, en qui se réalise déjà une certaine anticipation de la vie bienheureuse.

D . D e r n i è r e s o r i e n t a t i o n s s p i r i t u e l l e s .

Trois séries de conclusions achèvent le livre X I I I et couronnent le grand chef-d'œuvre spirituel de saint August in. I l se tient ici sur les cimes et plus que jamais les œuvres ne sont pour lui qu'une occasion de poser des principes très élevés sur la docilité du chrétien aux directions de l 'Espr i t , leurs exigences et leurs fruits, en ce monde et en l'autre.

i. A propos de la bonté des œuvres, proclamée par la Genèse à propos de chaque nouvel objet mentionné, xxvi i i , 43, August in insiste sur la transcendance de Dieu, qui reste hors du temps, même quand nous voyons ses œuvres dans son Espr i t : « Ce que vous voyez par mon Espr i t , c'est moi qui le vois ; ce que vous dites par mon Espr i t , c'est moi qui le dis. Mais tandis que vous, vous voyez ces choses dans le temps, moi je ne les vois pas dans le temps ; et de même, quand vous les dites dans le temps, moi, je ne les dis pas dans le temps », x x i x , 44. Ainsi les longs développements donnés sur le temps dans les livres X I et X I I , t rouvent ici une application spirituelle supérieure : D ieu reste dans sa transcen­dance, même quand il se communique par l'action de son Espr i t . E t , après une dernière réprobation du matérialisme manichéen, x x x , 45 saint August in proclame à nouveau, x x x i , 46, la nécessité de l 'Espr i t de piété pour juger sainement de la création : il ne suffit pas d'éviter le manichéisme qui appelle mal le bien, ni le naturalisme qui reconnaît le bien des êtres créés, mais en oubliant le Créateur ; il faut, par eux, s'éle­ver à D ieu et l'aimer en son œuvre 2 4 . O r , ceci n'est possible que par l'ac­tion du Sain t -Espr i t 2 5 . C'est tout le thème du livre X I I I qui se situe sur un plan surnaturel très élevé. Ceci n'exclut pas d'ailleurs une vue réaliste de la nature, mais cela la situe dans son vrai soutien, la main du Créateur : « E l le tient son existence, non pas d'une réalité quelconque, mais d'un Ê t r e qui est l 'Ex is tan t 2 6 ». Ce thème cher à saint August in, qui le déve­loppe souvent en philosophe pour compléter les intuitions de Platon, est ici enchâssé dans un cadre mystique, car, précisément le rôle de l ' E s -

23. Voir La Doctrine chrétienne, II, c. vi, 7. 24. Ut cum aliquid videt homo quia bonum est, Deus in illo videat quia bonum est. 25. Ut scilicet ille ametur in eo quod fecit, qui non amaretur nisi per Spiritum quem dédit. 26. Ab illo enim est qui non aliquo modo est, sed quod est, est. Ib., 46.

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prit, d'après le saint, est de faire saisir D ieu, non seulement en lui-même de quelque manière, mais en son œuvre.

2. Ce thème v a être repris, du même point de vue, spirituel et transcen­dant en quelque manière, dans les trois chapitres suivants. Après un rapide tableau de l 'œuvre créée vue dans son ensemble, x x x n , 47 , saint Augustin montre comment la création nous invite à l 'amour de Dieu, x x x i i i , 48 ; puis il reprend, en un court chapitre, x x x i v , 49, une brève synthèse de l 'œuvre esquissée dans les trois derniers livres, ou ce qui relève, au moins, de leurs directives de fond : le rôle du Verbe dans la création. Celui du Christ dans l 'Église est rappelé en quelques mots, complétés par l'évocation des L iv res saints et de l'Eglise. Mais c'est l'œuvre personnelle du Saint-Espr i t qui le retient surtout en cette fin du dernier L i v r e consacré presque en entier à la troisième Personne de la Sainte Trinité. Les thèmes essentiels en sont rappelés encore comme pour en affirmer, une fois de plus, l'importance vitale : les saints « qui possèdent le Verbe de vie et qui, remplis des dons de l 'Espr i t , brillent du prestige d'une haute autorité » ; les sacrements, signes visibles de réalités supérieures ; l'âme, dégagée .des passions par l'action de la grâce ; enfin, les diverses formes d'activités de l'âme renouvelée par l'action de l ' E s -prit-Saint. E t saint August in conclut : « Toutes ces réalités, nous les voyons, et leur valeur est grande, car Vous les voyez en nous, Vous qui nous avez donné l 'Espr i t pour les voir et pour Vous aimer en elles2 7 ». Cette conclusion condense avec netteté l'idée dominante du livre X I I I : il fallait la mettre ici bien en lumière.

3. Les œuvres mêmes de D ieu ayant été présentées dans un cadre spirituel de cette hauteur, il va sans dire que le repos divin du septième jour sera aussi envisagé sur un plan très élevé. August in dépasse immédia­tement l' institution sabbatique et s'élève à la paix éternelle : les quelques lignes qui lui sont consacrées sont divisées en quatre chapitres, brefs comme les strophes d'un cantique, x x x v - x x x v n i , 50-53 : ils sont un appel et un chant de louange à la paix céleste, « paix du repos, paix du sabbat, paix sans déclin », 50. Nos œuvres actuelles nous préparent au repos de la vie éternelle, qui est le vrai sabbat, 51 . D'ailleurs, travail et arrêt ne changent rien en D ieu 4 qui est toujours en action et toujours en repos, 52. Que nous sommes loin du Créateur, observe ici saint August in, contem­plant l'univers : « Ces choses que vous avez faites, nous, nous les voyons, parce qu'elles sont; mais c'est parce que vous les voyez qu'elles sont ! », x x x v i i i , 53. L 'ouvrage s'achève sur ces contrastes, qui affirment la trans­cendance de Dieu. Ce que nous connaissons par les sens ou par l'esprit, Lu i le connaît par sa propre sagesse, qui en est la règle suprême 2 8 . Si

27. Haec omnia videmus et bona sunt valde qupniam tu ea vides in nobis, qui Spiritum quo ea videremus, et in eis te amaremus, dedisti nobis. Ibid., 49.

28. Tu autem ibi vidisti facta, ubi vidisti facienda : XXXVIII, 53.

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nous faisons le bien, c'est par l 'Esprit de Dieu que nous l 'avons conçu 2 9 , après avoir fait le mal ; mais lui n 'a jamais cessé de faire le bien. Nous faisons avec la grâce quelques bonnes actions, qui nous conduiront au repos en Dieu, nous l'espérons, mais Lui, il est éternellement en repos, car son repos, c'est Lui -même 3 0 .

Pour t ou t conclure, voici un dernier appel au Saint-Esprit , par qui Dieu agit en l 'homme, par qui sont réalisées, témoin tou t ce livre X I I I qui couronne les Confessions, les hautes pénétrations en Dieu auxquelles l 'homme est appelé par la grâce. « L'intelligence de ces mystères, quel est l 'homme qui les donnera à l 'homme ? C'est à Vous (ô Dieu) qu'il demandera, en vous qu'il cherchera, chez vous qu'il frappera. Voilà où l'on t rouvera ; voilà d'où l 'on ouvr i ra 3 1 ». Ces derniers mots de l 'ouvrage visent aussi directement sans doute la vision beatifique que l 'anticipation qui en est donnée ici-bas par l 'action du Saint-Esprit , aux âmes qui ont suivi les voies décrites en cet ouvrage, en particulier dans le dernier livre. Ce couronnement du grand livre de prière augustinien peut en donner la clé et il serait son chef-d'œuvre, si l 'on savait en dégager de l'accessoire la doctrine de l 'Esprit , qui en est l'essentiel. Les allégories n 'on t ici, dans la pensée de l 'auteur, qu 'un rôle auxiliaire, et c'est une t rahison que d'y t rop insister. Le fond de tou t est l 'action du Saint-Esprit , envisagée en sa totali té, et c'est sur elle que repose le vrai mysticisme chrétien. D'où la haute portée doctrinale et historique de l 'ouvrage dont il reste à parler.

III. P O R T É E SPIRITUELLE ET HISTORIQUE D U LIVRE XIII

L'analyse détaillée qui précède étai t nécessaire pour montrer le genre de développements littéraires que veut donner saint Augustin en un ouvrage aussi profondément médité que les Confessions. D ' u n bout à l 'autre, il est un livre de prière et ce t ra i t lui imprime sa note essentielle. I l est plus qu 'une élévation à Dieu ; c'est une union avec Dieu, prolongée dans le t ravai l de l'esprit, union spirituelle, plus divine qu 'humaine, contemplative à la manière des anciens, qui vivaient dans l ' intimité des divines Personnes, à l'occasion, soit des mystères évoqués, soit des expé­riences surnaturelles réalisées. Les deux aspects sont associés par tout , bien que l 'a t tent ion sur les mystères semble prédominer à la fin et très part iculièrement au livre X I I I . Ici le mystère qui domine t o u t est l 'action du Saint-Espri t dans les âmes.

I l faut rappeler, et il suffit ici de le dire d 'un mot, que saint Augustin

29. Posteaquam concepit de Spiritu tuo cor nostrum. 30. Tu autem, Bonum nullo indigens bono, semper quietus es, quoniam tua quies Tu ipse es. 31. A Te petatur, in Te quaeratur, ad Te pulsetur : sic, sic accipietur, sic invenietur, sic

aperietur.

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ne fait pas de l'exégèse à proprement parler en cette fin des Confessions : il a repris ailleurs l 'étude littérale des passages qui sont ici allégués d 'un point de vue très spécial. Le tex te n 'est qu 'une occasion d'exposer une haute morale religieuse. Celle-ci est fondée elle-même sur l 'Ecri ture, qui est évoquée de façon très large sans recours à ses vraies sources. L'ouvrage n 'es t pas un t ra i té d'exégèse, mais un écrit spirituel, il faut le redire. Les anciens ont souvent utilisé cet te méthode et en ont t iré des chefs-d'œuvre d 'ordre mystique. C'est à ce point de vue seul qu'elle est admissible. Elle est même hau tement louable et marque une date dan£ l 'évolution doctrinale du saint. C'est cela que nous voulons préciser, en conclusion de l 'analyse détaillée qui précède.

Les années 396-398, da te de l 'ouvrage, font.époque dans le développe­ment de la pensée augustinienne. Le P . Portalié a signalé ce progrès avec raison, à propos des Réponses aux questions de Simplicien, qui sont à peine antérieures aux Confessions : dès ce moment, le nouvel évêque d'Hippone avai t sa doctrine sur la nécessité de la grâce en tou t domaine d'ordre surnaturel , même les débuts .de la sanctification. On a, par ail­leurs, relevé l ' importance de la délectation spirituelle dans la doctrine de la grâce telle qu'elle s'affirme chez lui depuis lors et jusqu 'à la fin de sa vie. Mgr Gaudel l 'a bien fait remarquer à propos de YEnchiridion32, E. Gilson a aussi, t rès à propos, signalé la position de Jansénius, qui relevait avec raison l ' importance de la delectatio chez saint Augustin, mais qui avai t le t o r t de la fausser : il en parle comme si elle « était , dans la volonté, un poids différent de la volonté même » ; et par là, il « donne à l'action de la grâce divine l 'aspect d ' un déterminisme du dehors sous lequel la volonté d i spara î t 3 3 ». Pour saint Augustin, la delectatio est l'amour même, comme il l 'explique de façon vivante dans les Tractatus in IoannemZ4t. Ces exposés sont des commentaires doctr inaux pénétrés de mysticisme, ce qui. renforce encore l 'opposition au jansénisme, et il faut y insister ici.

Nous nous appuyons évidemment d 'abord sur les Confessions, mais sans négliger quelques autres ouvrages de la même époque, t r a i t an t le même sujet. Ce n 'est pas par hasard que ce grand livre de prière s'achève sur un .exposé de l 'action du Saint-Espri t . Cette doctrine étai t déjà familière au saint, qui en avai t posé les bases dans le Commentaire du Sermon sur la montagne, à propos des béati tudes, lesquelles sont les formes supérieures de la ver tu ici-bas et t rouvent leur couronnement dans la paix. Or, saint Augustin les met en rappor t direct avec les sept dons, qui ont pour mission propre d'aider à leur réalisation. Celle-ci commence par la crainte et s'élève par degrés jusqu 'à une sagesse don t

32. Ed. B.A. (J. Rivière)., vol, 9 ; beaucoup de notes de A. Gaudel (Mgr) ; voir de lui surtout note 9, p. 354*357 et note 43, p. .396-398.

33. E. GILSON, Introd. à Vétude de S . A.., éd. 1943, p. 210-211. 34. In Joannem, X X V I , 5 ; P.Iy. 35, col. 1609.

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l'effet propre est précisément de fixer l 'âme dans une paix supérieure, où sont associées contemplation et ac t ion 3 5 . Le fond doctrinal du livre X I I I des Confessions est là tou t entier, exposé trois ans avan t le grand ouvrage de prière du sa in t 3 6 , en 393-394. Son mysticisme, dès cet te époque, ne saurai t surprendre, si l 'on se rappelle ce qu'il di t de ses dispositions inté­rieures au lendemain de sa conversion, au livre I X , avan t même son baptême, c. iv, 8 - 1 1 .

Dans la Doctrine chrétienne, écrite peu après les Confessions, du moins les livres I - I I qui nous intéressent ici, l 'évêque d 'Hippone reprend la même position que dans le Commentaire du Sermo in monte : la montée vers la perfection suit un chemin allant de la crainte à la sagesse, ce qui n 'em­pêche pas des modalités nouvelles. L 'auteur , en effet, est doué d'une souplesse prodigieuse, apte à toutes les adapta t ions utiles, sans rien abandonner des positions fondamentales de la vie chrétienne. Sans détr iment pour la sagesse, il met ici l 'accent sur l'intelligence qui purifie l 'esprit humain, en vue de l 'union parfaite à Dieu par la charité, épanouie elle-même en sagesse 3 7 . Cette doctrine du livre I I vient à point compléter, en le précisant, t ou t le livre I e r du même ouvrage, où saint Augustin construit une brève mais puissante synthèse de dogme et de morale, donnée comme base de la science sacerdotale par excellence, celle de l 'Ecri ture Sainte. Voilà précisément repris le thème des trois derniers livres des Confessions, mais ici dans un cadre nouveau. La méthode didactique diffère des envolées lyriques du grand livre de prière, mais elle en vi t encore, et précisément le frui et Yuti, qui sont mis à la base de la synthèse, ne sont pas à prendre en un sens purement philosophique, ni purement théologique : ils ont une portée plus haute , l 'union fruitive à Dieu par la charité parfaite, laquelle n'est réalisée que par les dons du Saint -Espr i t 3 8 .

Ce n'est pas seulement à des ouvrages de second plan, car si précieux que soient ceux que nous venons de citer, ils n 'on t -pas la notoriété des très grands, que le livre X I I I des Confessions peut être ra t taché ; il faut relever ses liens avec les plus vastes synthèses du saint. Le De Genesi ad litteram est à signaler d'abord, puisqu'il a repris et peu après les Confessions, le commentaire des débuts de la Genèse, mais cette fois sur un plan littéral et t ou t au long, puisque l 'œuvre comprend douze livres, et est restée quinze ans sur le chantier . Ici le point de vue est tou t autre que dans les Confessions, où dominait le souci des applications spirituelles, la let tre n ' é tan t qu 'une occasion de s'élever à celles-ci. I l y a, cependant, un point de rencontre capital : le livre X I I du nouveau commentaire aborde la hau te mystique, extraordinaire, à propos du paradis tertes-

3 5 . V O I R C E S T E X T E S D A N S Contemplation augustinienne, éd. 1954, P . . 61-64. 3 6 . M Ê M E E X P O S É D A N S Sermon 347 ; C I T A T I O N S ibid., P . 57-61. . 3 7 . Doctr. christ., I I , C . V U , 9-11. V O I R ibid., P . 65-69. 2 . 8 . V O I R N O T E Frui-Uti, edit. B . A ; t. 11, P . 560.

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tre, évoqué par le mot de saint Paul déclarant qu'il avai t été lui-même un ins tant introduit au parad is 3 9 . A cet te occasion, saint Augustin expose son sentiment sur maints phénomènes mystiques (extases et visions) signalés par l 'Ecri ture. Cette documentat ion, précieuse par son choix et son abondance concernant la myst ique extraordinaire, ne supprime rien de ce qui étai t donné, au livre X I I I des Confessions, comme l 'œuvre supérieure du Saint-Espri t dans les âmes soumises à la grâce. Cette docilité aux directions divines intérieures représente la myst ique courante des anciens, très supérieure même à la sagesse chrétienne commune, théologique au sens de spéculative : elle établi t le chrétien dans un certain état de perfection théologale, sans rappor t direct avec l 'extraordinaire qui n 'est pas mentionné au livre X I I I des Confessions. I l n 'est même pas probable que Y ictus cordis de la vision d'Ostie soit à ra t tacher à l 'extraor­dinaire du De Genesi; il n'est, semble-t-il, qu 'une forme eminente de cet te action des dons du Saint-Espri t les plus élevés, décrits ici par saint Augus­tin à propos du quatr ième jour, c. x v i n - x i x , 22-25, e * du sixième, xxi> xxn , 29-3240. Ce mysticisme commun peut conduire t rès haut , d 'après lés descriptions du saint.

Le De Trinitate écrit, lui aussi, au début du V e siècle, de 401 à 419, ne pouvait pas se désintéresser du grand problème posé par le livre X I I I des Confessions. I l y a loin, sans doute, du plan ébauché ici d 'une image tr ini-taire tirée de l 'âme humaine, esse, nosset velie*1, aux amples développe­ments du grand t ra i t é dans les livres VI I I -XIV, mais il est bon de noter que cet te ébauche fut donnée dans le cadre myst ique des Confessions et ce mysticisme se re t rouve no tamment aux livres X I V et X V du De Trinitate- A l'exposé des images naturelles s 'ajoutent les images surna­turelles, et à cet te occasion est décrite, de façon très sobre mais combien émouvante, la vue de Dieu dans l 'image, vue qui est une vraie contem­plation quand elle t ient de l 'amour tou te sa hau te pénétrat ion et sa force unifiante : « Ceux qui voient Dieu ici-bas, ce ne sont pas ceux qui voient cette image qu'est leur âme, -mais bien ceux qui la voient en t a n t qu ' image 4 2 ». Mais cet te vue n'est possible que dans l 'amour et par l ' amour qui s 'ajoute à la foi. Ce fond de mysticisme achève la théologie en la dépassant, grâce à u n amour qui contient la t rès hau te et t rès pure sagesse décrite à la fin des Confessions.

Cette même sagesse a inspiré à saint Augustin le p lan de la Cité de Dieu. En cet ouvrage monumental , l 'évêque d 'Hippone a réalisé d 'une façon originale la puissante synthèse qu'il avai t entrevue, sinon ébauchée, dans la dernière part ie des Confessions. I l y élabore en dix livres une vas te apologétique, sociale et philosophique dont personne encore n ' ava i t ima-

39. .Raptus est in paradisum. II cor., XII, 2-4. 40. Voir Contemplation augustinienne, éd. 1954, p. 101-103. 41. Confess., XIII, c. xi, 12. 42. De Trinit., XV, c. xxrv, 44-45. Voix Contemplation augustinienne, p. 137-139.

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I Ô O F , CAYRÉ

giné l 'ampleur ; puis il construit, dans les livres X I - X X I I , une synthèse de théologie à base d'histoire. L 'œuvre de Dieu dans l 'humanité est ici envisagée à un point de vue nouveau, d 'un réalisme très compréhensif, grâce au plan historique qui l 'encadre, mais plus encore grâce à l'associa­tion, dans la vie humaine, de l 'ordre naturel et de l 'ordre surnaturel, sur le plan personnel et sur le plan social, dans le temps d'abord, depuis les origines jusqu 'au jugement , puis dans la vie éternelle. Ici, le concept de cité divine se réalisera en plénitude, et ici seulement, cet te cité é tant absolument distincte et séparée d 'une autre , moins humaine que diabo­lique. Là encore un spiritualisme la tent maintient, dans les cadres de la cité divine, une vie supérieure, dont l ' âme est u n grand amour éclairé par la foi et animé par l 'espérance. Nous retrouvons ainsi u n hau t mysti­cisme, qui dépasse en étendue celui des Confessions, mais s'y appuie en chacun des élus ; car c'est dans la mesure où l 'Esprit-Saint vit dans les membres de la Cité de Dieu que celle-ci peu t s 'épanouir ici-bas et préparer son avenir éternel.

Le thème de la Cité de Dieu est un de ceux qui dominent dans les Enarrationes in Psalmos, sans détr iment pour la contemplation person­nelle. On se bornera ici à évoquer, à ce sujet, la célèbre homélie sur le psaume 41, dont le caractère mystique se manifeste en maints passages. On l'a sans doute exagéré quand on y a t rouvé la description d'une vision immédiate de Dieu 4 3 , mais il n 'es t pas douteux qu 'en cet exposé oratoire, le saint n ' a i t condensé, en u n raccourci évocateur, une de ces hautes contemplations doctrinales et mystiques dont il est le modèle par excellence dans l 'ant iqui té . La méditat ion s'élève par degrés du dehors au dedans, puis du sensible au spirituel, n. 5-7. Ce spirituel, c'est d 'abord l 'âme même du fidèle uni à Dieu par une foi a iman te ; c'est aussi l'Eglise, maison de Dieu par excellence, où le chrétien fervent, fidèle aux pratiques religieuses, t rouve des lumières et des douceurs qui font penser à la vie éternelle, 8-10. Ce qui est vrai de chacun v a u t pour l'ensemble, toutes proportions gardées. Le rapprochement fait ici même par l'ora­teur des Enarrationes montre les liens qui ra t tachent la vie intense per­sonnelle à celle de l'Eglise en son ensemble. I l y a là avec le livre X I I I des Confessions une parenté qui confirmera sa manière, la grande thèse de la Cité de Dieu e t la corrobore. Ces rapprochements ne sont pas arti­ficiels et ne peuvent être oubliés sans détr iment pour les deux ouvrages.

Comparé aux monuments doctr inaux qui précèdent ou aux grands recueils d'homélies mentionnés, YEnchiridion peu t sembler accessoire. I l est cependant important , soit à cause du temps où il fut écrit, soit à cause de la synthèse qui y est réalisée. Les jansénistes s'y appuyèrent souvent et même en abusèrent, en négligeant précisément le t ra i t essentiel de la vie chrétienne : la charité vivante, animée par l 'Esprit-Saint, en fait,

43. Voir Contemplation augustinienne, p. 193-195 et p. 214-219.

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LE MYSTICISME LATENT DE L'INSPIRATION. IL EST MARQUÉ NETTEMENT PAR L'APPEL

INITIAL À UNE HAUTE SAGESSE, ET L'INSISTANCE FINALE SUR LA DÉLECTATION SPIRI­

TUELLE ÉVOQUÉE DÉJÀ. ELLE EST TRÈS LIÉE, DE FAIT, AUX TROIS VERTUS THÉOLOGALES,

QUI TOUJOURS TIENNENT LES RÊNES DANS L'OUVRAGE, MÊME SI LA FOI SEMBLE Y

AGIR SEULE DANS L'ENSEMBLE DES EXPOSÉS. L A FOI EN CAUSE EST BIEN CELLE QUI

AGIT PAR LA CHARITÉ ET MÊME PAR LES DONS DU SAINT-ESPRIT, VRAIS SOUTIENS DE

LA DÉLECTATION VICTORIEUSE. L E JANSÉNISME L'OUBLIA : IL AVAIT MÉCONNU

L'ESPRIT DES Confessions, NOTAMMENT CELUI DU LIVRE X I I I , QUI EST UN

GRAND AMOUR, AVIVÉ PAR L'ACTION DU SAINT-ESPRIT.

F . C a y r é ,

SOISY-SUR-SEINE.