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N 0 132 OCTOBRE, NOVEMBRE 2013 8,95 $ LE MAGAZINE DU LIVRE Photo : John Reeves DOSSIER GABRIELLE GABRIELLE ROY ROY MARGARET COLETTE PEIGNOT, LAURE DITE Lac-Mégantic, le 23 juillet 2013... Nuit blanche, 1026, rue Saint-Jean, bureau 403, Québec (Québec) G1R 1R7 LAURENCE PP40038870 E09023 Extrait de la publication

LE MAG AZ IN E DU LIVRE · 2018-04-13 · N0 132 OCTOBRE, NOVEMBRE 2013 8,95 $ LE MAG AZ IN E DU LIVRE DOSSIER Photo:JohnReeves GABRIELLE ROYROY MARGARET COLETTE PEIGNOT, LAUREDITE

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N0 132OCTOBRE, NOVEMBRE 2013

8,95 $

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Nuit blanche, 1026, rue Saint-Jean, bureau 403, Québec (Québec) G1R 1R7

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NUMÉRO 132–AUTOMNE 2013

Nuit blanche est membre de la Société de développementdes périodiques culturels québécois (SODEP).www.sodep.qc.ca [email protected]

Nuit blanche remercie le Conseil des arts et des lettres du Québec,le Conseil des arts du Canada de l’aide accordée à notre programmede publication et le Service de la culture de la Ville de Québec ;il est répertorié dans l’Index des périodiques canadiens et dans Repère.

«Nous reconnaissons l’appui financier du gouvernement duCanada par l’entremise du Fonds du Canada pour les périodiques,qui relève de Patrimoine canadien. »

Directrice de la publication : Suzanne Leclerc.

Rédacteur en chef : Alain Lessard.

Direction artistique : Anne-Marie Guérineau.

Comité de rédaction : Jean-Paul Beaumier, Hélène Gaudreau,Anne-Marie Guérineau, Louis Jolicœur, Alain Lessard,François Ouellet.

Responsable de la rubrique « Écrivains méconnusdu XXe siècle » : François Ouellet.

Ont collaboré à ce numéro :Manouane Beauchamp,Jean-Paul Beaumier, Gaétan Bélanger, Patrick Bergeron,Pierrette Boivin, Roland Bourneuf, Yvan Cliche,Ève Dubois-Bergeron, Andrée Ferretti, Soundouss El Kettani,Yves Laberge, Laurent Laplante, Francois Lavallée,David Lonergan, Renaud Longchamps, Andrée A. Michaud,Michel Nareau, François Paré, Julie Pelletier, Michel Peterson,Judy Quinn, Pierre Rajotte, Simon Roy, Mathieu Simoneau,Catherine Voyer-Léger.

Photo de la couverture : John Reeves.

Actualités : Judy Quinn, Yvon Poulin.

Révision : Judy Quinn, Suzanne Leclerc.

Infographie : Perfection Design.

Abonnements, publicité :Marie-Pia Alexis.

Conseiller en informatique :Nicolas Bégin (Somitel).

Impression : Lithochic.

Distribution au Canada, en kiosque et en librairie :Les Messageries de Presses Benjamin inc.

Nuit blanche, le magazine du livre : 1026, rue Saint-Jean,bureau 403, Québec (Québec) G1R 1R7 ;téléphone : 418 692-1354 ; télécopieur : 418 692-1355.

Courrier électronique : [email protected]

Les opinions émises dans les articles et les commentairesn’engagent pas la rédaction.

Périodicité : 4 numéros par année.

Numéro 132 : octobre, novembre 2013.

Date de publication : octobre 2013.

Envoi de Poste publications :Enregistrement no 09023 ; Convention no 40038870.

ISSN : 0823-2490.

ISBN : 978-2-9814175-0-3 (PDF).

Dépôt légal : Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2013.

35 Par routes, rails, rivières...

36 Une nomade aux ancrages tenacespar Laurent Laplante

40 Bibliographie (sélective) en images

42 Les routes d’Altamontpar Andrée A. Michaud

45 L’empreinte des grandes rivièrespar François Paré

47 La Petite Poule d’EauHeureux les cœurs purspar Andrée Ferretti

50 Le sommet de l’œuvreLa détresse et l’enchantementpar Roland Bourneuf

52 Correspondance entreGabrielle Roy etMargaret LaurencePardonnez-moi ce long silencepar Catherine Voyer-Léger

54 Margaret Laurenceet les femmes de Manawakapar Patrick Bergeron

Dyane Léger

©Collectionpa

rticulère

©John

Reeves

Colette Peignot

Margaret Laurence

RUBRIQUES

12 «Écrivains méconnusdu XXe siècle»Colette Peignot, dite Laurepar Patrick Bergeron

2 Sommairedes livres commentés

3 PrésentationLaure, Gabrielle, Margaret

4 Nouveautés québécoises

10 Manitoba, Acadie, Ontario

69 Nouveautés étrangères

16 Fiction

57 Essai

COMMENTAIRES DE LECTURE

ACTUALITÉS

CŒURS SUPÉRIEURS

24 Lac-Mégantic,le mardi 23 juillet 2013par Renaud Longchamps

26 «Écrivains franco-canadiens»Dyane Légerpar David Lonergan

©Bibliothèq

ueet

ArchivesCan

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GABRIELLE ROY

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Gabrielle Roy

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Sommaire des livres commentés

AL KHAMISSI, Khaled :L’arche de Noé, Actes Sud, 2012,par J.-P. Beaumier, p. 21.AL-AZAB, Mohamed S. :Mauvaises passes, Seuil, 2013,par S. El Kettani, p. 18.ASLÂN, Ibrahim : Deux chambresavec séjour, Actes Sud/Sindbad,2013, par Y. Cliche, p. 29.AUBIN, Yves : La promessede Mangalore, Fides, 2013,par L. Laplante, p. 16.CASTELLANOS MOYA, Horacio :La servante et le catcheur, Métailié,2013, par M. Nareau, p. 17.CHARTRAND, Sébastien :L’ensorceleuse de Pointe-Lévy, T. I,Le crépuscule des arcanes, Alire,2013, par J. Pelletier, p. 20.COLIN, Fabrice : Ta mort serala mienne, Sonatine, 2013,par S. Roy, p. 34.COLLECTIF : Ouvrir le XXIe siècle,80 poètes québécois et français, LesCahiers du Sens/Mœbius, no 136,2013, par J. Quinn, p. 23.DAMAS, Geneviève : Si tu passesla rivière, Septentrion, 2013,par S. Roy, p. 17.DE ROBIEN, Beata : Fuguepolonaise, Albin Michel, 2013,par L. Laplante, p. 18.DELILLO, Don : L’ange Esmeralda,Actes Sud/Leméac, 2013,par P. Bergeron, p. 30.DELILLO, Don : Great Jones Street,Leméac/Actes Sud, 2011,par P. Bergeron, p. 31.DES ROCHES, Roger : La cathédralede tout, Les Herbes rouges, 2013,par M. Simoneau, p. 19.DEWITT, Patrick : Les frères Sisters,Alto, 2013, par M. Nareau, p. 22.FROST, Corey : Tout ce que je saisen cinq minutes, Le Quartanier,2013, par J. Quinn, p. 16.GAUDÉ, Laurent : Pour seulcortège, Actes Sud/Leméac, 2012,par J.-P. Beaumier, p. 32.GUNN, Carla : Amphibien, Prise deparole, 2013, par Pierrette Boivin,p. 21.JACMIN, Sophie : Deux poids deuxmesures, XYZ, 2013, par P. Boivin,p. 29.JASMIN, Claude : Anita, une fillenumérotée, XYZ, 2013,par G. Bélanger, p. 20.KOSCIELNIAK, Hélène : Filleul,L’Interligne, 2012, par Y. Laberge,p. 31.

LAPIERRE, René : Pour lesdésespérés seulement, prixde poésie Estuaire-Bistro Leméac2012, Les Herbes rouges, 2012,par È. Dubois-Bergeron, p. 33.LAURENCE, Margaret : Le cyclede Manawaka, T. I, II et III, Alto,2012, par P. Bergeron, p. 54.LELIÈVRE, Sylvain : Le troisièmeorchestre, L’instant même, 2012,par Y. Laberge, p. 67.NOËL, Francine : Le jardinde ton enfance, Leméac, 2012,par M. Nareau, p. 29.O., Rachid : Analphabètes,Gallimard, 2013, par S. El Kettani,p. 22.ROY, Gabrielle : La Petite Pouled’Eau, Boréal compact, 1993,par A. Ferretti, p. 47.VACHON, Hélène : La manièreBarrow, Alto, 2013, par F. Lavallée,p. 32.VOLLMANN, William T. :La tunique de glace, Le cherchemidi, 2013, par L. Laplante, p. 33.

AUSTER, Paul : Chronique d’hiver,Actes Sud/Leméac, 2013,par J.-P. Beaumier, p. 58.BASTIEN, Frédéric : La bataillede Londres, Boréal, 2013,par L. Laplante, p. 58.BAUER, Alain : Dictionnaireamoureux du crime, Plon, 2013,par L. Laplante, p. 61.BRASSET, Rose-Line : À la modede chez nous 1860-1980,Publications du Québec, 2013,par Y. Laberge, p. 57.CALVET, Louis-Jean : Léo Ferré,Archipoche, 2013, par Y. Laberge,p. 68.CONDÉ, Maryse : La vie sans fards,Lattès, 2013, par M. Peterson,p. 60.COUTURE, Claude etCHANDONNET, David : Vingt ansaprès Charlottetown, Pressesde l’Université Laval, 2013,par L. Laplante, p. 59.DESCOMBES, Vincent :Les embarras de l’identité,Gallimard, 2013, par Y. Laberge,p. 63.

GAGNON, Élizabeth etVAILLANCOURT-LELIÈVRE,Monique : Toi l’ami, Cent regardssur Sylvain Lelièvre, L’instant même,2013, par Y. Laberge, p. 66.GERMAIN, Georges-Hébert :Jadis, si je me souviens bien...,Libre Expression, 2013,par P. Boivin, p. 64.GUTTMAN, Frank M. : Le diablede Saint-Hyacinthe, Télesphore-Damien Bouchard, Hurtubise,2013, par L. Laplante, p. 65.HÉBERT, Raymond-M. :La révolution tranquille auManitoba français, Du Blé, 2012,par L. Laplante, p. 57.MANN, Charles C. : 493, AlbinMichel, 2013, par L. Laplante,p. 67.MARTEL, Jacinthe (sous la dir. de) :Les marges de l’œuvre, Nota bene,2012, par M. Beauchamp, p. 64.MENDEZ, Antonio et BAGLIO,Matt : Argo, L’Archipel, 2013,par G. Bélanger, p. 61.

ROY, Gabrielle : Le temps qui m’amanqué, Boréal, 1997, par F. Paré,p. 45.ROY, Gabrielle : La détresseet l’enchantement, Boréal compact,1996, par R. Bourneuf, p. 50.RUFIN, Jean-Christophe :Immortelle randonnée, Compostellemalgré moi, Michel Guérin, 2013,par P. Rajotte, p. 60.SOCKEN, Paul (sous la dir. de) :Entre fleuve et rivière, Correspondanceentre Gabrielle Roy et MargaretLaurence, Des Plaines, 2013,par C. Voyer-Léger, p. 52.STIGLITZ, Joseph E. : Le prix del’inégalité, Les liens qui libèrent,2012, par Y. Cliche, p. 63.SURYA, Michel : Georges Bataille,La mort à l’œuvre, Gallimard,2012, par P. Bergeron,p. 65.TESSIER, Yves : L’alimentation,Du Big Bang au Big Crunch,Une histoire étonnante, Pressesde l’Université Laval, 2013,par G. Bélanger, p. 62.

fiction

essai

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P r é s e n t a t i o n

es deux premières sont nées avec le XXe siècle.« Personnalité météorique des non-lettres françaises », Colette Peignot – Laure – a laissé une œuvre torturée et exaltée.À peineplus de deux cents pages « presque toutes de feu » que de son vivant elle n’aurait, dit-on, pas souhaité voir publier. Il

faut la lire, bien que la connaître c’est « brûler du feu qui la dévora ». Par Patrick Bergeron.À l’âge de 35 ans Laure quitte l’existence. Nous sommes en 1938. L’année suivante,Gabrielle Roy rentre d’un séjour en Europe.

La jeune trentenaire se lance corps et âme, d’abord par le journalisme, dans le métier d’écrivain. Quelques années seulement etdéjà vient le succès avec Bonheur d’occasion. À l’occasion de la quatrième édition du festival Québec en toutes lettres,Nuit blanchelui consacre un dossier spécial : par routes, rails, rivières, Roland Bourneuf,Andrée Ferretti, Laurent Laplante,Andrée A.Michaud,François Paré et Catherine Voyer-Léger revisitent le parcours de l’auteure de La route d’Altamont. La préparation de ce dossier aété, pour l’équipe du magazine, une source de plaisir et d’étonnement, parfois après des années d’infidélité à une œuvre qui n’apourtant pas pris une ride. Nous espérons que ces pages seront le moteur de très beaux moments de lecture, qu’à l’exempled’Andrée Ferretti certains d’entre vous liront, en 2013, « un tout autre roman » que celui pourtant apprécié à seize ans ; qued’autres s’étonneront de se retrouver à Fort Chimo (La rivière sans repos) plutôt qu’à Kuujjuaq, seront estomaqués par « Les deuxNègres » de Rue Deschambault… Car si rides il y a, ne sont-elles pas intéressantes et profondes tout comme celles qu’affiche encouverture le visage de la jeune femme libre devenue écrivaine mature ?

u Manitoba natal de Roy naît la troisième en 1926.Margaret Laurence, voisine trop longtemps méconnue au Québec, auteuredu superbe Cycle de Manawaka, fait songer à une Gabrielle Roy du Canada anglais. Chez Laurence, « il y a autant deManawaka qu’il y a de narratrices » ; Patrick Bergeron s’est replongé dans leur univers.

etour à notre époque avec Dyane Léger, première femme à faireparaître un recueil de poésie en Acadie. C’était en 1980. Grainesde fées, aussi premier livre publié par les éditions Perce-Neige,

« a amené un nouveau regard sur l’Acadie en même temps qu’uneautre façon d’écrire ». Par David Lonergan.

ui dévorera l’autre, et à quel prix ? Le poète RenaudLongchamps en appelle à un cœur supérieur à celuiaujourd’hui corrompu par le sang mauvais des prédateursde toutes sortes. À lire dans « Cœurs supérieurs, Lac-

Mégantic, le mardi 23 juillet 2013 ».NBBonne lecture ! Suzanne Leclerc

LAURE, GABRIELLE, MARGARET

En couverture : Gabrielle Royphotographiée par John Reeves

Reconnu pour ses nombreux portraits de célébrités,principalement du monde des arts et de la culture, lephotographe torontois John Reeves a vu son travailpublié dans les principaux magazines canadiens depuisles années 1960. Membre de l’Académie royale des artsdu Canada, il a reçu en 2002 la reconnaissance del’Association canadienne des créateurs professionnelsde l’image (CAPIC) pour l’ensemble de son œuvre.Son site Web comporte de superbes photos d’écrivains, dont Robertson

Davies, Mavis Gallant, Jane Urquhart. Voir : johnreevesphotographer.com

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ErratumContrairement à ce qu’écrivaitNuit blanche (no 131), lacollection « Série P » deséditions Héliotrope n’est pasnouvelle. Elle existe depuisla réédition en 2011 duCiel de Bay City de CatherineMavrikakis.

L’enfance corrigéeSelon Louise Auger, docteureen psychologie sociale,l’inconscient inventé parFreud aurait autorisé et justifiépar la suite la maltraitancedes enfants. C’est l’une desidées maîtresses de son essaiL’enfant monstrueux,Une invention de Freud(Sémaphore), une mise aubanc de la psychanalyse.

Une vieCet automne, Boréal publieles mémoires d’AndréeYanacopoulo, psychiatre etécrivaine d’origine tunisienne,notamment connue dans lemilieu littéraire comme laconjointe d’Hubert Aquin.Elle relate, dans Prendre acte,son enfance, son immigrationau Québec, son parcoursprofessionnel, et cet amourtragique qui marqua à jamaissa vie

Folle jeunesseMax Férandon, l’auteurdeMonsieur Ho, signeun premier roman jeunesseà La Bagnole.La corde à lingeraconte comment deux jeunesAnglais en vacances dansun coin reculé de la Francearrivent à brancher tout unvillage à Internet en se servantd’une corde à linge.Débridéà souhait..

PolarArmand Gamache amorce unenouvelle enquête dans Illusionde lumière (FlammarionQuébec) de Louise Penny.Le lendemain d’un vernissageau Musée d’art contemporainde Montréal, l’une des invitéesest retrouvée morte.Gamachedevra faire preuve de perspi-cacité dans ce monde pétri demensonges et de désirsinassouvis.

Les mots de DesbiensOn le compare souvent àCharles Bukowski, à causepeut-être de son franc-parler.Patrice Desbiens a toutefoissa langue propre et un humourbien particulier, plein d’unedouce ironie. En témoigne sondernier recueil de poésie paruà L’Oie de Cravan,Les abatsdu jour.

Pérégrinations poétiquesLa poète, nouvelliste etromancière Lisa Carduccipublie un beau recueil auxÉcrits des Forges.Avec maissans toi est une invitation auvoyage, à la fois géographiqueet intime. Carducci a reçu unesoixantaine de prix en Europe,dont récemment le Prixinternational de poésie S.Domenichino, réservé auxpoètes italiens vivant horsd’Italie.

Imaginaire télévisuelDans Le téléroman québécois,Entre modernité et postmoder-nité 1953-1998 (Septentrion),Renée Legris pose un regardcritique sur ce qu’elle considèrecomme le reflet d’une société etd’une époque. Elle y analyseentre autres la place de lafemme et de la religion, lesreprésentations de la violenceet l’importance de plus en plusgrande de l’hédonisme.

Bien voir, bien lireGuy Saint-Jean éditeur lancedéjà le cinquantième titre desa collection de livres imprimésen gros caractères, « Focus ».Il s’agit deM. et Mme Jean-Baptiste Rouet de DenisMonette. Ce roman historiqueraconte la vie d’un orphelin néen 1882 et marié à la filled’un notaire.

Devenir adulteLe dernier bouquin d’ÉricSimard,Le mouvementnaturel des choses, a le ton desjournaux intimes.On y suit unjeune homme dans le Montréaldes années 1990, s’interrogeantsur son avenir et ses nouveauxengagements. Le livre paraîtdans la collection « Hamac »des éditions Septentrion.

Somme touteMaintenant que les éditions400 coups ne se consacrentplus qu’à la jeunesse, un nouveléditeur vient poursuivre lapublication des livres pouradultes.Quelques titres sontdéjà annoncés au catalogue deséditions Somme toute :Tout çam’assassine, un recueil de troispièces de théâtre signéDominic Champagne, PatriceDesbiens et Pierre Lefebvre,Quand j’étais italienne deSylvie Laliberté et I(ma)geset réflexions, un livre dephotographies sur une tournéed’Ariane Moffatt, par SPG &LePigeon.

nouveautés

québécoises

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Prix Robert-ClichePhilippe Arseneault, avec Zora, un conte cruel (VLB),remporte le Robert-Cliche 2013. Il a été journaliste à la radiode Radio-Canada de Toronto et de Régina ; on peut maintenantle lire à La Presse.Les auteurs d’un premier roman ont jusqu’au 29 novembre

2013 pour faire parvenir leur manuscrit au prix Robert-Cliche.

Andrée Yanacopoulo

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Max Férandon

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Femmes qui doutentFrance Théoret, Prix Athanase-David 2012, sort un nouveaurecueil de poésie en collaborationavec l’artiste Claire Aubin.DansZone grise (Pleine lune),motset sculptures se répondent pourparler de doute, d’incertitude etde domination.

Alain-Ulysse TremblayC’est avec regret que nousapprenions le décès d’Alain-Ulysse Tremblay (1954-2013),emporté rapidement par lecancer. Cet auteur prolifiqueavait touché au théâtre, à lalittérature jeunesse, au roman,en plus de poursuivre unecarrière de professeur enécriture journalistique.On luidoit notamment La vieille àPitou, un dernier ouvrage paruen 2013 chez Tête première.

Folklore québécoisOn peut maintenant seprocurer le deuxième tomedes Contes, légendes et récitsde l’Île de Montréal (Trois-Pistoles) d’Aurélien Boivin. Lemême éditeur, Trois-Pistoles,fait également paraître Contes,légendes et récits de la Côte-du-Sud de Pierre Landry etContes, légendes et récits duCentre-du-Québec de Jean-Pierre April.

Dire la perteAprès La voix qui meurt,Guillaume Lebel signe unsecond recueil avecDans l’œildes vestiges (l’Hexagone).La rupture et la mort sont aucentre de cette poésie épuréequi cherche néanmoins à gardervivant le souvenir de l’autre.

Gallimard à MontréalEn 2014,Gallimard devraitouvrir une maison d’éditiongénéraliste sur le boulevardSaint-Laurent, tout prèsde la librairie Gallimard.Cette branche, qui aura sonpropre nom,publiera desauteurs étrangers et québécois.

Poèmes d’avantLes quinze premières annéesde publication d’Yves Namurfont l’objet d’une très belleréédition au Noroît, en collabo-ration avec Le Taillis Pré.Un poème avant les commen-cements comprend des textesparus entre 1975 et 1990.Acteur important de la poésiefrançaise,Yves Namur a fait pa-raître une trentaine de recueils,qui sont maintenant traduitsdans une quinzaine de langues.

Sur FerronLes Presses de l’UniversitéLaval rééditent le classiquedes études ferroniennes,Jacques Ferron malgré luide Jean Marcel. Cette excellenteétude sur ce grand auteurquébécois est augmentée de sixtextes écrits et publiés entre1970 et 1996

Travail colossalPlus de 450 pages de découverteset d’agrément [Mme de Sévigné]avec Le grand glossaire desarchaïsmes, régionalismes etautres populismes venus deFrance tels qu’ils se retrouventdans la langue des Québécoisde Jean Forest (Triptyque).On remonte le temps jusqu’àla naissance même du françaisau XIe siècle.À la revoyure ![Maupassant].

nouveautés

québécoises

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France Théoret

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Jacques Ferron

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Presse

Grands débatsLe spécialiste du Moyen-Orient Sami Aoun s’entretient avecStéphane Bürgi dans Le printemps arabe, Mirage ou virage ?,publié chezMédiapaul.Dans ce livre vivant et rigoureux, l’auteuranalyse l’évolution de ce qu’on appelait il n’y a pas si longtempsune révolution. Le même éditeur fait aussi paraître dans sacollection « Dialogues »Quelle laïcité ? de l’historienYvanLamonde et du théologien Bruno Demers, une réflexion surla place des religions dans nos démocraties.

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Premier romanLe traducteur, auteur de deux reccueilsde nouvelles et d’un recueil de fables,François Lavallée, publie L’hommequi fuyait, un roman qui paraît chezGuy Saint-Jean.

Coup doubleUn doublé pour le poète Renaud Longchamps, qui voit son recueilPositifs traduit en espagnol chez Mantis, sous le titre de Positivos,en même temps que paraît aux Écrits des Forges Critiqueradicale de la réalité, son dernier-né.Au moment d’aller sous presse,Renaud Lonchamps était

finaliste au prix Jean-Éthier Blais pourDans la nuit blanche etnoire (Trois-Pistoles), ouvrage qui regroupe des textes du poèteparus dans Nuit blanche.

Autre doubléDe Linda Amyot sont publiés,chez Leméac, le recueil de nouvellesLes heures africaines ainsi qu’undeuxième roman pour ados : Le jardind’Amsterdam. Rappelons que sonprécédent roman jeunesse,La filled’en face, paru chez le même éditeur,avait reçu le Prix TD 2011.

NOS COLLABORATEURS PUBLIENT

Linda Amyot

François Lavallée

Éditions La ThébaïdeCe nouvel éditeur se consacre à la réédition de romans des années1920 à 1950 et d’inédits d’auteurs de l’époque.Deux ouvragesde Pierre Bost (voir Nuit blanche nos 93 et 101) viennent d’êtreajoutés au catalogue : Faillite, un roman de 1928, et Flots d’encreet flots de miel, un recueil d’articles littéraires inédits. Ils sont tousdeux préfacés par François Ouellet. Pour commander un livre :[email protected]

De la dispersionSpécialiste des littératures de l’exiguïté, François Paré fait paraîtreavec Tania Collington un recueil d’articles portant sur des fictionsinspirées par l’exil et l’isolement de communautés.Diasporiques,Mémoire, diaspora et formes du roman francophonecontemporain est publié aux éditions David.

L’invention d’une littératureDans son essai Acadie 72, Naissancede la modernité (Prise de parole),David Lonergan analyse et interrogel’émergence de la modernité dansles lettres acadiennes, depuis lapublication en 1972 du Cri de la terrede Raymond Guy Leblanc, qui futpar ailleurs le premier ouvragedes éditions d’Acadie. David Lonergan

©Marie-Luc

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Faits diversCelle qui nous avait donnéLe cri, finaliste au Prix deslibraires du Québec 2013section jeunesse, nous offre cetautomne un premier livre pouradultes publié chez Druide.Dans Les faits divers n’existentpas,Martine Latulippe met enscène une suite de personnagesdont la souffrance dépasse lestrois lignes que leur consacrele journal.

La vie au litAssez, c’est assez.Après ledépart de ses enfants pourl’université, Eva interrompttoute activité afin de faire lepoint sur sa vie.La femme quidécida de passer une annéeau lit (La courte échelle) dela Britannique Sue Townsenddresse un portrait à la foisamusant et grave de la mèred’aujourd’hui.

Printemps érableLux éditeur vient tout justede lancer l’essai très attendude Gabriel Nadeau-Dubois,l’un des leaders de la révolteétudiante.Dans Tenir tête,Nadeau-Dubois revient surles moments charnières de ceprintemps 2012 : assembléesétudiantes, rencontres avecles médias, les politiciens, etc.

Langevin rééditéDans les années qui suivent,une dizaine de livres d’AndréLangevin (1927-2009) serontdisponibles en format de pochedans la collection « Boréalcompact ».L’élan d’AmériqueetUne chaîne dans le parcsont déjà offerts depuis le moisde septembre. Suivront en 2014le classique Poussière sur laville ainsi que Le temps deshommes.

Québécois traduitsDe nombreux essais publiéschez Boréal seront bientôtdisponibles en anglais.Notonsau passage La bataille deLondres de Frédéric Bastien,L’interculturalisme de GérardBouchard,Brève histoire desfemmes au Québec de DenyseBaillargeon etDepuis toujoursde Madeleine Gagnon.

En pleine RévolutiontranquilleLa suite des Pavés deCarcasonne de Maryse Rouyparaissait à la fin de l’été sousle titre du Retour à Montréal(Québec Amérique).On yretrouve Nicole Beaumier,après un exil en France quiaura duré trois ans.De juillet1966 à juillet 1967,Nicoledécouvrira un Québec enpleine mutation, et peut-êtrequ’un nouveau départ s’offriraà elle.

Chez AltoUne rentrée littéraire chargéepour les éditions Alto.Paraissaient au début del’automne : L’empereur deParis, de C.S.Richardson,L’orangeraie de LarryTremblay etMur mitoyen deCatherine Leroux.On annoncepour novembre la sortie dudernier Rawi Hage,Carnaval.

Nouveautés VLBQuelques nouveautés s’ajoutentau catalogue des éditionsVLB.Jean-PhilippeWarren faitparaître sonHistoire desprisonniers politiques auQuébec, tandis que sontpubliés Les chroniques dePierre Falardeau et un collectifsur Le miroir, qui comprendentre autres des textes deDanielle Fournier, IndiaDesjardins et Caroline Allard.

Raconter la scienceJean-François Chassays’intéresse depuis denombreuses années aux liensentre littérature et science.Ce professeur du Départementd’études littéraires de l’UQAMa déjà fait paraître, entreautres : Si la science m’étaitcontée, Des savants enlittérature (2009) et Lalittérature à l’éprouvette(2011).Dans son dernier-né,Au cœur du sujet, Imaginairedu gène (Le Quartanier),il se passionne pour la « fictiongénétique ».

Histoires scandaleusesLe journaliste français Patrick Pesnot retrace certains épisodesparmi les plus noirs de la nation américaine dans La face cachéedes États-Unis, Assassinats, trahisons, enlèvements, scandales(L’Homme). La mort de Robert Kennedy jusqu’à l’ingérencedu pays dans les affaires des États d’Amérique du Sud en passantpar la mafia syndicale et les débordements de la CIA profitentd’un nouvel éclairage.

Répression légitime ?Pas moins de 4500 personnes auraient été arrêtées pendant lesmanifestations du Printemps érable.Depuis le Sommet du G20en 2010, les arrestations de masse au Canada seraient devenuescourantes, voire normales, et c’est sans parler de la brutalitépolicière. Francis Dupuis-Déri et ses collaborateurs sonnent l’alarmedansÀ qui la rue ? Répression policière et mouvements sociaux,publié chez Écosociété.

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France DaigleLes éditions Prise de paroleréunissent en un seul volume dansla Bibliothèque canadienne-françaiseles trois premiers récits de FranceDaigle : Sans jamais parler du vent,Film d’amour et de dépendanceetHistoire de la maison qui brûle.Depuis 1993, France Daigle construit l’une des œuvres les plusriches,novatrices et singulières de la littérature franco-canadienne.

Troisième titreOn retrouve cet automne la belleet singulière langue de la jeuneNéo-Écossaise Georgette LeBlanc(Alma et Amédé) qui fait paraîtrePrudent, chez Perce-Neige.

nouveautés

Manitoba, Acadie , Ontar io

Climat d’après-guerreLa pièce de théâtre La porcelaine de Chine (L’Interligne)de Marie-Léontine Tsibinda met en scène des personnages prisdans les remous d’un après-guerre en quelque pays d’Afrique.Il y a d’abord Bazey, une journaliste obligée par un généralde se taire, puis son mari alcoolique et sa domestiquemaladroite,qui supporte tant bien que mal son destin.

Gabrielle Roy et Margaret LaurenceIl est heureux qu’une maison d’édition des Prairies nous fassedécouvrir la correspondance qu’ont entretenue Gabrielle Roy etMargaret Laurence.Entre fleuve et rivière, qui paraît cet automneaux Éditions des Plaines, rassemble leslettres que se sont échangées les deuxgrandes Manitobaines de 1976 à 1983,année de la mort de Roy.Voir« Pardonnez-moi ce long silence », p. 52.

Le mal plurielLise Gaboury-Diallo – voir Nuit blanche,no 124 – explore le Mal, en poèmes et endessins, dans Confessions sans pénitence(Du Blé).Georgette LeBlanc

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Lise Gaboury-Diallo

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Vers la révolutionAmateurs de romanshistoriques, voici que vientde sortir en librairie le premiertome d’une série se déroulantà la fin du XVIIIe siècle ets’étendant de la France àl’Amérique du Nord. Les hérosen sont des Acadiens cherchantcomme leurs contemporainspaix, égalité, fraternité… Cettefresque intitulée Les cheminsde la liberté (JCL) est signéeJean Mohsen Fahmy.

Voix engagéesLe fameux essai d’AnténorFirmin,De l’égalité des raceshumaines, publié initialementen 1885 pour répondre aupamphlet de Joseph Arthur deGobineau,De l’inégalité desraces humaines, est réédité cetautomne aux éditions Mémoired’encrier.Paraît également chezle même éditeur un entretienavec l’éminent historienburkinabé Joseph Ki-Zerbo,mené par René Holenstein etintitulé À quand l’Afrique ?

Sur la JCWAprès le projet In guns we trust,paru dans La Presse, NicolasLévesque récidive avec un essaiphotographique intitulé Lutteet publié cette fois à La Peuplade,dans une nouvelle collection,« LesGrands cahiers ».En col-laboration avec Max-AntoineGuérin, qui signe les textes dulivre, le photographe s’intéressecette fois aux lutteurs de laJonquière ChampionshipWrestling.

Un libéral méconnuQui aujourd’hui se souvient deTélesphore-Damien Bouchard ?Ce politicien libéral et anticléri-cal,ministre d’Adélard Godboutet président d’Hydro-Québec,s’est battu en son temps pourl’amélioration des conditionsde vie de la classe moyenne.Frank M.Guttman nous fait lerécit de sa vie politique dansLe Diable de Saint-Hyacinthe,Télesphore-Damien Bouchard(Hurtubise). L’ouvrage estpréfacé par Jean Chrétien.

Gaétan SouciL’écrivain montréalais estdécédé cet été à l’âge de 54 ans.Il s’était fait connaître des deuxcôtés de l’Atlantique avecson roman La petite fille quiaimait trop les allumettes,traduit en une vingtaine delangues. Lauréat de nombreuxprix et considéré comme unécrivain majeur de la littératurequébécoise, Gaétan Souci étaitaussi l’auteur deMusic-Hall !et de L’acquittement.

Des vies désertéesLes personnages qui peuplentLa désolation (Triptyque)de Jérémie Leduc-Leblanc onttout à gagner, rien à perdre.La vie les a comme qui diraitoubliés en chemin.Voilà qu’ilsse résignent, qu’ils baissent latête, qu’ils fuient au lieu d’allerau-devant du bonheur.Avecune écriture sensible et fine,le nouvelliste dépeint lesmultiples visages de cettedésolation.

Du nouveau en OutaouaisUn nouvel éditeur vient d’êtrecréé dans la région del’Outaouais : Neige-galerie. Lamaison s’intéresse surtout à labande dessinée nontraditionnelle et à la poésie.Paraissent Ludwig, Lettre àl’immortelle bien-aimée deChristian Quesnel et Larmes,Cycle d’une femme-racine deMélanie Rivet et SylvieVaillancourt

Amouret désenchantementUn couple de trentenairesretourne dans sa Gaspésienatale pour renouveler sesvœux de mariage. Là-bas,chacun retrouve de vieillesconnaissances, et le souvenirde cette jeunesse pleined’idéaux qui s’est enfuie. Lapièce de théâtreÀ tu et à toi(L’instant même) d’IsabelleHubert met en scène, non sanshumour, une certaine crisede la trentaine.

Le fait d’écrireLa poète et romancière ÉliseTurcotte nous offre une visited’atelier dans Autobiographiede l’esprit, un livre illustréparu à La mèche.Après 30 ansd’écriture, l’auteure réfléchit sursa pratique et ses inspirations,mais aussi sur l’importance dela création dans cette ère ditemarchande.

OnirismePnina C.Gagnon renoue avecl’entreprise surréaliste dansRêves 2002-2010, un beau livrepublié aux éditions Du Passagedans la collection « Autour del’art ».On peut y admirer lesmagnifiques peintures crééespar l’artiste à partir de sesrêves.Des récits aussi insolitesaccompagnent les images.

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Fredric Gary Comeau

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« Quai no 5 »Les deux premiers livres de la collection « Quai no 5 » des éditionsXYZ sont encore tout chauds. Fredric Gary Comeau se commetavec un premier roman,Vertiges, où se croisent de Moncton àSanta Fe en passant par Montréal des personnages avides d’amouret de justice. L’ancien membre du groupe de musique Banlieuerouge, Sylvain David, revient dans Faire violence sur ses annéesde révolte.

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Colette Peignot, dite Laure

ColettePeignot

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Écrivaine française née à Meudon (Hauts-de-Seine) en 1903

et décédée de la tuberculose à Saint-Germain-en-Laye (Yvelines) en 1938,

Colette Peignot a laissé une série d’écrits à la prose torturée et exaltée,

dont Histoire d’une petite fille, cri de révolte contre les valeurs bourgeoises.

Elle fut, à compter de 1934, la compagne de Georges Bataille,

qui la surnomma « Laure ».

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uteure de poèmes, de journaux, de lettres etde courts récits, Colette Peignot a fait sonentrée dans le circuit de la lecture de façonposthume. De son vivant, elle n’a jamais

émis le vœu de publier ses textes, bien qu’elle les aitsoigneusement retravaillés. Il existe par exemple septversions de l’Histoire d’une petite fille. Si l’ensemblede ses écrits ne fait pas beaucoup plus de deux centspages, ces dernières sont « presque toutes de feu1 »,selon Maurice Nadeau. Trois temps forts marquent laréception de son œuvre. Le premier se situe en 1939,soit un an après sa mort, quand Georges Bataille etMichel Leiris publient hors commerce Le sacré, suivide Poèmes et de divers écrits. L’initiative a surtout uneportée confidentielle. Le deuxième temps fort survientdans les années 1970. Le neveu de l’écrivaine, JérômePeignot, qui avait douze ans à la mort de sa tante,a réuni en 1971 une première édition complète desécrits de celle qu’il surnomme sa « mère diagonale ».L’éditeur pressenti est Gallimard, où sont réunies dès1970 les œuvres complètes de Bataille et où JérômePeignot a lui-même publié quelques livres, dontGrandeur et misère d’un employé de bureau en 1965.Mais Gallimard refuse. Ce sera plutôt chez Pauvertque paraîtront les Écrits, fragments, lettres de Laure.Le succès est éclatant. Le livre est réédité en formatpoche en 1976 et une version augmentée paraît en1977. Dans les mêmes années, l’Association des amisde Laure voit le jour. Présidée par Leiris, elle compteMarguerite Duras, Michel Foucault et Claude Mauriacparmi ses premiers membres, un parrainage prestigieuxpour une « personnalité météorique des non-lettresfrançaises2 ». Un troisième temps fort dans laréception des Écrits de Laure pourrait bien avoirdébuté en janvier 2013 avec l’inauguration des CahiersLaure aux éditions Les Cahiers3. Ceux-ci, au lieud’aborder la figure de Laure dans son rapport àBataille, proposent d’approcher son œuvre « pource qu’elle est : une grande écriture4 ».

« Je vous salue ! Marie, merde, Dieu5. »

Colette Peignot appartient à une famille d’industriels.Son père est une figure importante de la typographiefrançaise. Il dirige la Fonderie G. Peignot & Fils, quideviendra la Fonderie Deberny et Peignot en 1923.C’est grâce à cette entreprise familiale que GustavePeignot, le grand-père de Colette, a fait fortune.La prospérité des Peignot ne les met toutefois pas àl’abri des épreuves que leur réserve bientôt le destin.Le père de Colette et trois de ses oncles meurent auservice de la patrie entre 1914 et 1916. Ce quadruplesacrifice frappe les esprits, si bien qu’une rue duXVe arrondissement de Paris en a gardé la trace :la « Rue des Quatre-Frères-Peignot ». Hormis sonfrère Charles, c’est donc dans un environnementessentiellement féminin, conservateur et bigot queColette grandit. Les conventions familiales sontstrictes. Colette n’a pas le droit de parler aux autresenfants, ni de partager leurs jeux sans l’assentimentde sa mère. Elle ne peut dire « bonjour monsieur » auxouvriers, ni, par un jour pluvieux, offrir son parapluieà des gens de condition inférieure. Trop jeune pour ensaisir l’injustice, Colette se sent vite étouffée par cettecodification du comportement. « À huit ans, écrit-elle,je n’étais déjà plus un être humain6. » Un drame latouche particulièrement. Christiane, la fille d’unefemme de chambre prise à voler du charbon, se jettepar la fenêtre. Le rigorisme de madame Peignot frisel’insensibilité : « Je demandai des explications sur cedrame, mais on ne ‘devait’ pas en parler. On changeraitde femme de ménage, c’est tout7 ». Après la disparitionde son père et de ses oncles, Colette voit une figured’autorité masculine faire son entrée chez les Peignot :l’abbé Pératé. Il est l’un des « prêtres bourgeois » quel’Église a introduits dans les bonnes familles parisiennespour éviter que l’euphorie de la victoire ne fasseoublier les devoirs chrétiens. L’ecclésiastique viendratoutefois aviver l’irréligion de Colette. Ce « Raspoutine

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ParPatrick Bergeron*

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à la manque », ainsi qu’elle le surnomme, fait mainbasse sur l’argent de la famille et tente d’abuser deColette et de sa sœur Madeleine : « Il avait l’habituded’attirer ma sœur dans les coins, de lui presser lapoitrine en disant ‘sois bien en paix’ et de lui toucherle derrière en rentrant sa jupe entre les deux fessespuis la retirant8. »

La vie à corps perdu

Cette éducation catholique et bourgeoise est insuppor-table à Colette, qui est résolue à s’en défaire. Elle semet à apprendre le russe aux Langues orientales etsurveille avec intérêt les développements de la Révolu-tion de 1917. Au début des années 1920, elle lit Barrès,Gide et D’Annunzio, maîtres émancipateurs qui paventla voie aux futurs mentors que seront Nietzsche et Sade.En 1924, une cure thermale s’impose. Colette séjourneà Font-Romeu dans les Pyrénées-Orientales. Ce n’estpas la première fois (ni la dernière) que la maladiemontre les dents. À douze ans, Colette avait dû combat-tre le bacille tuberculeux. Un soir de juillet 1925, sabelle-sœur et amie Suz (Suzanne Rivière, mariée àson frère Charles) lui fait rencontrer lors d’un dînermondain l’homme qui deviendra son premier amant :le journaliste anarchiste Jean Bernier. Alors âgé de 31ans, celui-ci est l’auteur du roman aux forts accentsautobiographiques La percée (1917), qui documente lemassacre de l’infanterie française. Ami de Drieu laRochelle, Bernier collabore à la revue Clarté, cofondéepar Henri Barbusse. Pour Colette, c’est l’amour fou.

Cette liaison – avec un communiste ! – consterne lessiens. La tuberculose revient en force en 1926. Enjanvier 1927, se sentant délaissée par Jean, Colettetente de s’enlever la vie. On la retrouve, baignant dansson sang, un revolver à ses côtés. Elle visait le cœur,mais la balle a ricoché sur une côte. Dans les moisqui suivent, au lieu de se consumer comme unepoitrinaire romantique, Colette adopte une attitudecombattive : « […] je ne peux pas m’arrêter devivre9 », clame-t-elle. Elle entreprend la reconquêtede sa santé et de son indépendance. Mais la guérisonse refuse à elle. En 1928, Colette séjourne à Leysin,dans les Alpes vaudoises, pour recevoir les meilleurssoins de l’époque. Entre les poèmes de Rimbaud etle Zarathoustra de Nietzsche, elle rêve de Moscou,« Jérusalem du prolétariat10 ! » En 1930, elle se renden Union soviétique afin de partager la vie de moujiksdans un kolkhoze. À son retour, elle adhère au Cerclecommuniste démocratique, dont fait également partieSimoneWeil, avec qui elle nouera une grande amitié.Le Cercle a été fondé par Boris Souvarine, un marxisteendurci qui deviendra son amant jusqu’en 1934.

L’ingénue débauchée

C’est Souvarine qui lui suggère son premier pseudo-nyme : celui de Claude Araxe, sous lequel elle publieen 1933 des articles pour La Critique sociale, unerevue qu’elle finance partiellement et qui dénonce lesdérives du stalinisme. « Araxe » est le nom d’un fleuved’Azerbaïdjan, évoqué par Virgile dans l’Énéide ; un« fleuve torrentiel, explique Michel Surya, qui nesupportait pas qu’on lui imposât un pont pour lefranchir11 ». Pour La Critique sociale, Colette secharge aussi de traduire des articles venant de Russie.Son esprit de révolte radicale s’affirme. Elle est prête à« tout oser, tout risquer », à « répondre aux appels lesplus sombres, dire oui à tous les fantasmes…12 » Elleva de transgressions en souillures. À Berlin, quelquesannées plus tôt, elle avait mené une vie dissipée avec lemédecin et poète expressionniste, Edouard Trautner.Lecteur de Sade et de Sacher-Masoch, Trautner luifaisait porter un collier de chien et prenait plaisir à labattre et à l’humilier. Pour Colette, la liturgie maso-chiste était un moyen de pousser plus loin sa rébellionsociale. Sans le savoir, elle était fin prête à devenir l’amiedu scandaleux auteur d’Histoire de l’œil.

– Je n’habitais pas la vie mais la mort. Aussi loin que je me souvienneles cadavres se dressaient tout droit devant moi : – « Tu as beaute détourner, te cacher, renier… tu es bien de la famille et tu serasdes nôtres ce soir ». – Ils discouraient tendres, aimables et sardoniques,ou bien à l’image de ce Christ l’éternel humilié, l’insane bourreau,ils me tendaient les bras.

Laure, « Histoire d’une petite fille », Écrits, fragments, lettres, p. 56.

L’œuvre poétique est sacrée en ce qu’elle est création d’un événementtopique, « communication » ressentie comme la nudité. – Elle est violde soi-même, dénudation, communication à d’autres de ce qui estraison de vivre, or cette raison de vivre se « déplace ».

Ce qui m’affirme assez fortement pour nier les autres.Laure, « Le sacré », Écrits, fragments, lettres, p. 89.

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É C R I V A I N S M É C O N N U S D U X X e S I È C L E

Sa première rencontre avec Georges Bataille a lieuen 1931 à la brasserie Lipp de Saint-Germain-des-Prés. Bataille est frappé par la beauté de Colette, unebeauté n’apparaissant « qu’à ceux qui savent voir13 ».Ils se côtoient souvent entre 1931 et 1934, annéesd’activité de La Critique sociale, puis entament leurcélèbre liaison. À partir de 1936, Colette participe àl’expérience de la revue Acéphalemenée par Bataille,Caillois, Klossowski et Rollin. Pour Bataille, elle n’estpas simplement une maîtresse ou une amie. Alors que,au moment de leur rencontre, il n’avait encore presquerien écrit à part Histoire de l’œil et L’anus solaire –textes à diffusion confidentielle et sous pseudonyme –,voilà qu’il trouve en elle une égérie. Le surnom « Laure »dont il l’affuble est l’un de ses prénoms de baptême(Colette Laure Lucienne Peignot). Le clin d’œil àLaure de Sade (1310-1348), muse de Pétrarque etaïeule du « divin marquis », n’a rien de fortuit.

Des mots, des éclats, des cris

« Ce qu’elle a écrit se situe au-delà de toutelittérature14 », affirme Leiris. Comme l’expliqueJérôme Peignot, « elle n’écrit pas de la littérature. Ellejette sur du papier des phrases, des mots, des éclats,des cris15. » Laure fait partie des « écrivains négatifs »en qui Patrick Tillard a vu des incarnations deBartleby, le scribe dans une nouvelle de Melville quia marqué la littérature par la fermeté de son refus :« Je préférerais pas16 », s’entêtait-il à répondre à ceuxqui le sollicitaient. Malgré le retentissement provoquépar leur publication dans les années 1970, il estétonnant que les Écrits de Laure n’aient pas encoreélargi leur audience. Comme chez Rimbaud, Artaudou dans la Lettre de Lord Chandos (1902) deHofmannsthal, on voit s’y exprimer quelque chosede fondamental qui transcende l’expérience de lalittérature. La ressemblance des Écrits de Laure avecla prose d’Une saison en enfer est frappante. « Ainsiallais-je osciller entre l’infâme et le sublime au coursde longues années d’où la vraie vie serait toujoursabsente17 », affirme-t-elle. « Je crois que la vraie vieest absente au sens où j’entendrais la vraie vie si jecroyais en conscience qu’elle peut exister quelque partau monde… sauf en des êtres inexistants18. »À 35 ans, Laure quitte l’existence. Elle succombe

à la tuberculose dans le lit de Bataille, qui tient le

journal de son agonie dans « Lecoupable ». Comme Heathcliff(Laurence Olivier) dansLes Hauts de Hurlevent (1939)de WilliamWyler, il sent qu’il vivrahanté par son fantôme. Quiconquelira les Écrits de Laure pourracomprendre. « Mieux la connaître,écrit Jérôme Peignot, c’est brûlerdu feu qui la dévora19. »NB

1. Maurice Nadeau, « Des mots qui brûlent »,La Quinzaine littéraire, Paris, no 125, 16-30septembre 1971.2. Patrick Tillard, « L’authenticité de

l’expérience », Cahiers Laure, Les Cahiers,Meurcourt, no 1, 2013, p. 33.3. Cet éditeur consacre aussi des cahiers à

Bataille, à Leiris et à Artaud.4. Anne Roche, « Présentation », Cahiers Laure,

no 1, p. 7.5 à 8. Laure, « Histoire d’une petite fille »,

Écrits, fragments, lettres, Pauvert, Paris, 1985,p. 67, 63, 61 et 68.9. Laure, « Le sacré », Écrits, fragments, lettres,

p. 95.10. Élisabeth Barillé, Laure, La sainte de l’abîme,

Flammarion, Paris, 1997, p. 138.11. Michel Surya, Georges Bataille, La mort à

l’œuvre, Gallimard, Paris, 2012, p. 615.12. Élisabeth Barillé, Laure, La sainte de l’abîme, p. 142.13. Michel Surya, Georges Bataille, La mort à l’œuvre, p. 229.14. Cité par Jérôme Peignot, « Comme on met un pied devant l’autre

on écrit », Cahiers Laure, no1, p. 17.15. Jérôme Peignot, « Comme on met un pied devant l’autre on

écrit », p. 23.16. Patrick Tillard,De Bartleby aux écrivains négatifs, Une approche

de la négation, Le Quartanier, Montréal, 2011, p. 27.17 et 18. Laure, Écrits, fragments, lettres, p. 60 et 102.19. Jérôme Peignot, « Laure est morte en beauté », Cahiers Laure,

no1, p. 27.

Laure (Colette Peignot) a publié : Écrits, fragments, lettres,Pauvert, 1977 et 1985 ; Écrits retrouvés, Les Cahiers des Brisants, 1987 ;Une rupture, 1934, correspondance avec Boris Souvarine, la famillePeignot, Georges Bataille, Pierre et Jenny Pascal, Simone Weil,Des Cendres, 1999.

Écrits sur Colette Peignot : Jean Bernier, L’amour de Laure,Flammarion, 1978 ; Élisabeth Barillé, Laure, La sainte de l’abîme,Flammarion, 1997 ; Jean-Paul Enthoven, La dernière femme, Grasset,2006 ; Patrick Tillard, De Bartleby aux écrivains négatifs, Une approchede la négation, Le Quartanier, 2011 ; Collectif, Cahiers Laure, no 1,Les Cahiers, 2013.

*Patrick Bergeron, voir p. 56.

Cahiers Laure, no 1

Les cris de Laure, fragments, poèmeset lettres inédits à paraître en 2014

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Yves AubinLA PROMESSE DE MANGALOREFides, Montréal, 2013, 557 p. ; 29,95 $

Un seul parcours, mais réparti entre plu-sieurs continents et irrigué par plusieurscultures. En effet, Louis de Reynac naît àPondichéry, fait escale en France le tempsde s’associer aux forces françaises quiparticiperont à la guerre d’indépendanceétatsunienne et retourne en Inde pourlivrer un dernier combat à l’Angleterreconquérante. La tonalité du récit changedonc à plusieurs reprises et les perspec-tives s’en trouvent chaque fois renou-velées. À Pondichéry, Louis de Reynacenfant partage avec son ami autochtoneTippou sa haine des Anglais : « Alors, jureavec moi de te battre contre eux quand tuseras grand et d’en tuer le plus possible ! »Même si le temps tempère (à peine) cettedétestation, elle demeure assez vive pourque de Reynac se réjouisse de participer,au côté du séduisant La Fayette, à laguerre qui soustrait les États-Unis à latutelle britannique. À peine cet objectifest-il atteint que de Reynac reçoit deWashington mandat de vérifier si lesfrancophones du Québec accepteraient dese joindre aux treize colonies étatsunien-nes. L’enquête dure peu, car de Reynacattire la suspicion des autorités britan-niques et doit s’enfuir. Il boucle la boucleen retournant au pays qui l’a vu naître eten participant à la résistance qu’opposel’Inde au conquérant britannique. Un

instant sensible à l’influence pacifiante dela contemplation et de Mère Teresa, deReynac renoue pourtant, en même tempsqu’avec Tippou, avec la haine qui a mar-qué son existence.Ce parcours ample et tumultueux n’est

pourtant qu’une facette du roman d’YvesAubin : l’amour occupe l’avant-scène decette fresque tout autant que les bruits debottes. Tout se ligue, comme dans Le Cidou Roméo et Juliette, contre la passionamoureuse qui emporte de Reynac etAnn Buckridge : père vicieusement opposéà l’union, rival cruel et puissant, dangersdes combats, longues séparations opa-ques, etc. Rien de mièvre dans cette quêtetraversée par mille épreuves, mais desrebondissements dramatiques et pour-tant plausibles.Quand s’ajoutent à ces ingrédients de

pertinentes comparaisons entre la révo-lution étatsunienne et 1789, on ne peutqu’admirer la minutie et la diversité desrecherches consenties par Aubin : ellesforcent l’histoire, la géographie, la psy-chologie, la politique à dévoiler leurssecrets.Même si Aubin identifie rarementles auteurs auxquels il adresse ses clinsd’œil, il est patent que la littérature aussia retenu son attention : Baudelaire,Valéry,Verlaine, même sans guillemets, rendenttémoignage. Impressionnant.

Laurent Laplante

Corey FrostTOUT CE QUE JE SAISEN CINQ MINUTESTrad. de l’anglais par Christophe BernardLe Quartanier, Montréal, 2013,184 p. ; 20,95 $

Le terme post-dadaïsme n’est peut-êtrepas totalement adéquat pour qualifier lelivre de Corey Frost, mais c’est celui quidit le mieux, semble-t-il, cette mise à sacdes idées préconçues sur la littérature, lapolitique, la vérité, le sens à donner auxchoses. « Vous (le public) et moi, nousavons des buts contraires. Vous voudriezdémêler les fils de ce tissu de citations,mais moi j’essaie de les coudre ensemblepour me fabriquer une paire de sous-vêtements pare-balles », écrit l’auteurdans un chapitre intitulé « Cité horscontexte », où il pousse jusqu’à l’absurdela règle de l’utilisation des guillemets touten évoquant une boîte noire cachée aufond de l’océan Atlantique et contenantses dernières paroles. Post-dadaïsme,aussi parce que ce recueil de fictionss’inscrit dans un monde en constantefluctuation, lui-même déroutant, où il estimpossible de se faire une idée sur quel-que chose sans paraître fou, comme cethomme croisé dans un train, qui s’est misà croire en Dieu à cause de la preuve irré-futable que constitue le saint suaire. Enoutre, qu’est-ce que l’authenticité en litté-rature, se demande l’écrivain, puisque lemessage réside maintenant dans lamanière, dans le faux ? Et l’auteur deconstruire des graphiques à l’appui – quine démontrent rien. Le bouquin érigeainsi un savant amalgame de contra-dictions ; il n’y a que ça au fond de vrai :ce que le discours affirme en le niant detoutes ses forces. Ou bien ce qu’il taitvolontairement. Comme dans une cer-taine poésie contemporaine dont il serapproche beaucoup – des libraires ontd’ailleurs classé ce livre dans la catégoriepoésie –, Tout ce que je sais en cinqminutes cultive en effet le vide entre lesphrases, c’est-à-dire que chaque phrased’un texte peut être un monde en soi, quin’a parfois aucun lien causal avec lasuivante et la précédente ; au lecteur de le

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fresque historique, post-dadaïsme, guerre civile

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trouver. L’essentiel fonctionne sous lemode de la fragmentation, de la multi-plication des niveaux de lecture, dumétadiscours parfois, mais toujours avecun humour pince-sans-rire et une drô-lerie tout à fait rafraîchissante. « Amenezl’art se promener au parc, écrit Frost.Lancez-lui le frisbee. Si vous aimez l’art,ligotez-le à un banc et laissez-le là.Éloignez-vous de lui en ignorant sessupplications. » La littérature a besoind’être violentée de temps en temps. En luidérobant son ou ses sens, on crée en ellel’espace nécessaire pour en inventer desneufs, plus appropriés au monde et autemps actuels.

Judy Quinn

Horacio Castellanos MoyaLA SERVANTE ET LE CATCHEURTrad. de l’espagnol par René SolisMétailié, Paris, 2013, 236 p. ; 29,95 $

Si les romans donnant la parole à desdictateurs ont créé un sous-genre au seinde la littérature latino-américaine, ceuxqui mettent en scène les guerres civiles sefont plus rares, même si les deux mauxont été trop présents dans l’histoire de larégion. Avec La servante et le catcheur,Horacio Castellanos Moya s’est mis à latâche de décrire celle qui a secoué le paysoù il a grandi et qui l’a forcé à s’exiler, leSalvador. Avec ce roman, CastellanosMoya signe son récit le plus narratif, dansla mesure où les voix hallucinées etsoliloquées qui usuellement composaient

la charpente de ses histoires laissent placeà une narration distanciée d’événementsviolents, à travers une polyphonie déran-geante. Si le lecteur doit faire face à unmonde trouble, à des horreurs sans nom,c’est que le roman ne ménage aucun recoindu drame salvadorien, sans se placer surle plan militant d’emblée. Les causes del’insurrection ne sont pas présentées, lecontexte de guerre n’est pas réellementexplicité, et ce roman, de ce fait, ne cher-che pas à présenter un exposé historiquepour saisir les dynamiques sociales de laguerre civile.Au contraire, en présentant sur trois

jours le maelstrom de décisions rudes, dechoix déchirants, d’actes barbares, d’hé-roïsmes discrets conduits sous la loi del’urgence et de la violence, Castellanos

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ue Geneviève Damas œuvre dans le milieu du théâtre ne devrait pas étonner tant son roman estmarqué par la densité d’un drame tragique. L’auteure belge a remporté avec son très maîtrisé Si tupasses la rivière le Prix des cinq continents en 2012 en plus du prix Rossel un an plus tôt.Elle aurait pu intituler son roman, à la manière de Steinbeck,Des cochons et des hommes. Or le titre

est bel et bien à prendre sur le ton d’un avertissement. Mieux vaut pour François respecter l’ordre du pèreautoritaire et ne pas trop rêver en vain de grands espaces ou de liberté. Un drame claustrophobe sourd faitvibrer les lames du plancher de la petite maison puante des Sorrente. Le destin écrasant de cette famillerurale rongée par les tabous et le mystère ne laisse aucune chance de scruter au loin quelque horizonprometteur. Chez les Sorrente, on ne sourit guère.François agit en général dans le secret, à l’insu des autres membres de la famille. Sans cesse humilié, voire tout juste toléré,

le garçon de dix-sept ans a l’allure d’un Cendrillon à salopette au sein d’un clan de malappris et d’agriculteurs frustes, tousmalheureux car comme prisonniers les uns des autres. Un milieu clos, dur, où la cruauté n’est pas réservée qu’aux animauxd’élevage de la ferme. Seul refuge affectif pour l’adolescent qui n’a jamais connu sa mère, la chaleur des peaux roses descochons qu’il nommera Oscar ou Hortense. Sa sœur Maryse, qui pouvait évoquer naguère une certaine fée marraine, a hélasfranchi la rivière pour ne plus revenir en arrière.Au-delà de ce récit que l’on finit par lire comme un suspense, avec tous ces secrets d’un passé qui est mis au jour

progressivement, c’est le style, totalement en adéquation avec ce milieu de vie malsain qui est dépeint, qui suscite l’adhésioninitiale, avant que l’on se fasse complètement emporter par cette histoire poignante. Si tu passes la rivière rend hommage aupouvoir des mots et des histoires que l’on se raconte, à la puissance d’évocation inédite de la littérature à travers laquelleFrançois reconnaît l’appel du monde extérieur plus riche, raffiné, dont il est cruellement coupé.Diffusé au Québec dans la collection « Hamac », que publient les éditions du Septentrion, ce beau texte condensé mérite

inconditionnellement les honneurs qu’on lui a décernés depuis deux ans.Simon Roy

Geneviève DamasSI TU PASSES LA RIVIÈRESeptentrion, Québec, 2013, 150 p. ; 17,95 $

Deux prix pour un premier roman

Q

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Moya décrit une famille happée par unehistoire qui la dépasse et la fait éclater.Chaque membre de cette famille modesteprend fait et cause pour un clan ou l’au-tre, sans être capable de comprendre ceque ce choix impose comme actions,comme compromissions avec ceux qu’ilsaiment. De celle qui pense à son avan-cement dans le système de santé à lagrand-mère (la servante du titre) prochede ses patrons, richissime famille pour-tant opposée à la dictature, en passantpar le policier malade, ancien lutteur, quiarpente la scène du désastre et qui estamoureux de la servante, les protago-nistes de La servante et le catcheur seperdent dans leur impuissance et dans lesgestes qu’ils posent pour sortir de cettelogique de subordination néfaste. Leportrait composé par Castellanos Moyaévoque alors moins les pénuries, lesangoisses, les violations des droits, lesrationalisations de la force, qu’un étatsocial fondé sur l’écrasement du plusgrand nombre. La quotidienneté dudrame est présentée, non pas comme laconséquence de la guerre civile, maiscomme la violence initiale qui révèle laguerre continuelle pour améliorer sonsort, sa situation, dans un pays quiempêche toute revendication à la justice.Les trois jours de cauchemar sont narrésde telle sorte que ce cloaque est perçudans son effroyable continuité, comme siles tortures, les rapts, les viols, les explo-sions, les craintes faisaient partie d’un

horizon plus vaste, une chape de plombqui inscrit dans la durée la plongée impo-sée par Castellanos Moya. Au final, c’estl’humanité grossière de la servante et ducatcheur,malgré leurs errements et erreurs,qui parvient à la conscience du lecteur,comme échappée possible au renonce-ment continuel.

Michel Nareau

Mohamed S. al-AzabMAUVAISES PASSESTrad. de l’arabe par Emmanuel VarletSeuil, Paris, 2013, 126 p. ; 27,95 $

Il y a un décalage entre la parution deMauvaises passes en français et sapublication en arabe en 2006. Les lecteursfrancophones reçoivent ce texte après leprintemps arabe et ne peuvent s’empê-cher de le lire à la lumière du soulève-ment du peuple égyptien en 2011.On retrouve, en effet, dans ce court

roman, les ferments de la révolution àvenir : la pauvreté, le chômage, la crise dulogement, les clivages sociaux, les inter-dits religieux et les commandements dela tradition. Rien n’est simple pourMohamed Ibrahim, narrateur et ancienpropriétaire d’une salle de jeux électro-niques qui servait de refuge mixte auxjeunes lycéens privés de lieux de ren-contre. Jugée contraire aux bonnes mœurs,la salle est fermée et, depuis, MohamedIbrahim erre en quête d’une échappa-toire, d’un improbable moment de plaisir,

d’une solution à l’impossibilité de réalisa-tion de la moindre aspiration personnelle.Les infimes morceaux de liberté que

le narrateur réussit à arracher à sonquotidien établi d’avance sont dérisoires.Il parvient tant bien que mal à louer unechambre hors de la maison paternelle etloin de la banlieue du Caire où sa familles’est installée. Ce refuge était une pro-messe de désirs enfin comblés, maisjamais la promesse ne sera tenue. Lemonde extérieur s’immiscera constam-ment entre le narrateur et un plaisirpresque touché du doigt mais toujoursdifféré.Le texte saute d’un événement à

l’autre, revient au premier, anticipe sur untroisième sans aucun respect d’unelogique quelconque. Le choix du présentet du futur de narration donne une den-sité temporelle au récit qui amplifie l’im-pression de désordre produite par lastructure non linéaire. Dans ce chaos,reflet d’un Caire éclaté mûr pour lesbouleversements imminents, la narrationà la deuxième personne du singulier faitémerger un être qui se raconte sa vie en lavivant, comme si c’était un moyen de seprouver sa propre existence.Mohamed S. al-Azab nous offre une

tranche de vie dans le Caire du XXIe

siècle cruelle de réalisme mais dénuée delyrisme et d’emphase. Une belle décou-verte.

Soundouss El Kettani

Beata de RobienFUGUE POLONAISEAlbin Michel, Paris, 2013, 418 p. ; 40,95 $

La Pologne que fait vibrer l’auteure neressemble guère à celle qu’ont accréditéeau Québec la littérature et les médiasauprès des générations plus âgées. Pré-sumée fréquentable parce que le publicquébécois d’hier la savait catholique, laPologne bénéficiait de plus à nos yeux del’endossement d’une France elle aussibien disposée à son endroit. Son dépe-çage par Hitler et Staline nous paraissaitd’une cruauté particulière. Peut-êtrefaudrait-il remonter à Napoléon et à sonministre Talleyrand pour expliquer la

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Égypte, Pologne

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DOSSIER

i le temps manque aux deux épistolières quis’écriront une trentaine de lettres de 1976 à 1983, iln’en demeure pas moins qu’elles créent un richeespace de quotidienneté, d’émulation et de possiblesamitiés. Parcourant leur correspondance réunie parPaul Socken, Entre fleuve et rivière1, on se prend à sedemander si les auteurs de ce début du XXIe sièclelaisseront quelque chose de similaire en héritage.

L’espace-temps de la correspondance

Son ancrage dans le moment présent fait de la corres-pondance un espace particulier pour explorer laquotidienneté. Gabrielle Roy remercie d’ailleursMargaret Laurence pour « tous ces détails simples etcharmants sur [sa] vie quotidienne2 » qui colorentses lettres. Il est vrai que les lettres de MargaretLaurence s’intéressent aux détails du quotidien etrevendiquent le coq-à-l’âne : « Oserons-nous passerdu sublime au ridicule ? […] Bien sûr, pour faire çadans un roman ou un article, il faudrait ménagerles transitions requises, ou du moins s’efforcerd’entrelacer les différents tons de façon à ne porterpréjudice à aucun. En tout cas, ceci est une lettre àune amie et vous saurez faire la transition3 ».Comme le démontre ce commentaire, l’échange

devient aussi un espace d’émulation marqué par leurpréoccupation réciproque pour le travail d’écriture.Elles abordent leurs vies intellectuelles, l’évolution deleurs carrières et leurs publications respectives. SiGabrielle Roy fait souvent preuve d’une étrangemodestie devant le travail de Margaret Laurence –

« comme vous êtes jeune, avec pourtant tous ceslivres remarquables derrière vous4 » –, l’une et l’autrese reconnaissent clairement comme des pairs. Si cetteappartenance au même monde professionnel permetles premiers contacts, l’amitié apparaît rapidementcomme un thème important.Rappelons que Margaret Laurence et Gabrielle

Roy ne se sont croisées qu’une seule fois lors d’uncolloque en février 1978. Ce n’est donc pas dansl’angle mort de la correspondance que naît l’amitié,mais dans l’écriture même. Cela pourrait d’ailleursfaire réfléchir ceux qui décrient de façon unidimen-sionnelle les nouvelles communications technolo-giques sous prétexte qu’elles donnent naissance à de« fausses amitiés ». L’humanité n’a tout de même pasattendu les réseaux sociaux pour entretenir desrelations émotives à distance !Après les premières lettres où perce un enthou-

siasme pour la plume de leur vis-à-vis, il estémouvant de sentir poindre ici et là les premierssignes d’amitié, entre autres dans l’inquiétude queMargaret Laurence témoigne quant aux problèmesque traverse sa correspondante. Dans une lettre trèscourte, datée du 19 février 1979, Gabrielle Roy écrit :« Je suppose que votre numéro de téléphone estconfidentiel. Voudriez-vous me le donner, Margaret ?Un jour, il se pourrait que j’aie un grand besoin devous parler ». Cette chute vibrante heurte le lecteur etsouligne, plus que n’importe quelle autre lettre, jus-qu’à quel point cette relation presque exclusivementépistolaire a donné naissance à un attachementprofond.

Pardonnez-moi ce long silencePar

Catherine Voyer-Léger*

Ce titre s’inspire d’une formule récurrente dans la correspondance entre Gabrielle Roy

et Margaret Laurence, les deux femmes s’excusant régulièrement d’avoir mis plusieurs mois

avant de répondre à l’autre. Cela nous rappelle qu’en plus d’être une écriture de l’intime,

la correspondance témoigne aussi du rapport au temps.S

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Le temps accéléré, l’espace rétréci,la mémoire trouée

S’il y a une constante propre à notre époque et à celleque décrivent Laurence et Roy, c’est que le tempsnous manque. Margaret Laurence s’en plaint souvent.Elle affirme qu’il lui a fallu plus d’un mois pourpasser à travers une grosse boîte « d’invitations à allerparler ici et là5 ». Après m’être étonnée qu’on puisselancer par courrier régulier une telle invitation, jem’en suis voulu de ce réflexe stupide qui trahit monâge : je n’aurai jamais été invitée où que ce soitautrement que par courriel…Bien que le temps nous manque toujours,

le rythme a changé. Je commence moi-mêmenombre de messages par une version modernede « Pardonnez-moi ce long silence », mais c’estgénéralement parce que j’ai laissé traîner quelquesjours, au plus une dizaine. L’étiquette actuelle de lacorrespondance tolérerait mal qu’on laisse passer desmois comme le faisaient les deux écrivaines.On dit que nous n’avons jamais autant commu-

niqué par écrit, et dans nos nouvelles formes épis-tolaires, nous documentons le quotidien, nous créonsdes amitiés (quoi qu’en disent les esprits chagrins) etnous nourrissons un puissant réseau d’émulationintellectuelle et artistique. Est-ce à cause de l’abon-dance de ces échanges que nous semblons si peupréoccupés par leur conservation ? Pour ma part, jene garde presque rien des dizaines d’échanges écritsque j’entretiens chaque jour.Lisant Laurence et Roy, j’ai pensé à ce merveilleux

message que Fanny Britt m’a envoyé ce printemps etque j’ai pris dans une station-service au bord del’autoroute. Je l’ai lu en diagonale et, séduite par sesfulgurances, j’y ai répondu sur-le-champ commel’exige l’air du temps : une ligne pour dire que jen’avais pas le temps de répondre. Voilà qui estefficace ! Comme si me rendre à destination m’auraitobligée à écrire : « Pardonne-moi ce long silence (dedeux heures)… » S’en est suivi un échange qui traitede création et témoigne un peu de qui nous étions ence printemps 2013. Cette correspondance est privée,mais je peux imaginer que dans quelques annéesquelqu’un qui s’intéresserait à l’œuvre de Fannyverrait là une trace intéressante. Or, cet échange a eu

lieu par la messagerie de Facebook et il est probableque le ventre de la bête le digère un jour sans laisserde traces.Nous n’avons peut-être jamais autant écrit, mais

jamais autant dans l’éphémère. Si Fanny Britt m’avaitlancé une invitation aussi passionnée par courrierrégulier, je l’aurais glissée dans un classeur sans meposer de question. Sous sa forme actuelle, elleexigerait de moi que je pose un geste conscientd’archivage pour sortir l’échange de sa plateformeéphémère et le transplanter dans un lieu plussécuritaire. Que je manipule le contenu pour créernotre trace, dans la conscience que je crée notre trace.À Margaret Laurence qui promet une vraie lettre

subséquente après avoir envoyé une note plus courte,Gabrielle Roy répond : « Je me demande ce quiconstitue dans votre esprit une ‘vraie lettre’6. » Ainsi,il me semble que ceux qui s’inquiètent de lapersistance de la vraie correspondance dans le nouvelunivers technologique font fausse route. Les relationsépistolaires sont en mutation, mais bien actives. Ellessurvivront. Mais laisseront-elles encore des traces ?J’ai trop de respect pour ces formes littéraires duquotidien pour imaginer que celles de ma générationne méritent pas de perdurer quelque part.NB

1. Sous la dir. de Paul Socken, Entre fleuve et rivière, Correspon-dance entre Gabrielle Roy et Margaret Laurence, traduit de l’anglais parDominique Fortier et Sophie Voillot, Des Plaines, Saint-Boniface, 2013,144 p. ; 21,95 $.2. Lettre de Gabrielle Roy, 28 septembre 1976, p. 48.3. Lettre de Margaret Laurence, 17 février 1977, p. 61.4. Lettre de Gabrielle Roy, 28 septembre 1976, p. 48-49.5. Lettre de Margaret Laurence, 17 février 1977, p. 56.6. Lettre de Gabrielle Roy, 6 mars 1978, p. 77.

*Catherine Voyer-Léger, après des études supérieures en science politique, consacre sa carrière à sa passion, les arts et la culture.Elle travaille actuellement comme directrice du Regroupement des éditeurs canadiens-français. En plus de fréquenter frénétiquementles lieux culturels d’Ottawa et de Montréal, elle est connue comme blogueuse prolifique et tweeteuse hyperactive ! Elle est l’auteurede Détails et dédales paru au printemps 2013 dans la collection « Hamac-Carnets » des éditions du Septentrion.

[P]ouvez-vous le croire, l'espace d'un instantj'oublie tous les soucis domestiques, je meberce doucement en regardant le fleuvepuissant, les superbes montagnes et la frêlesilhouette de mon merle tout seul dans lapénombre grandissante. Ah, c'est d'une tellebeauté ! Comment se fait-il que nos cœurssoient si rarement capables de l'absorber toutentière ? Une si grande partie de notre viese passe à lutter, lutter, lutter.

Lettre de Gabrielle Roy, 4 juin 1977, p. 65.

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